Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

         Audition de M. Vincent Mazauric, dont la nomination en tant que président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) est proposée par le Président de la République, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement (Mme Sophie Ricourt Vaginay, rapporteure)                            2

         Examen de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (n° 842) (Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Véronique Riotton, co-rapporteures)                            12

 

 


Mercredi
26 mars 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 56

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Florent Boudié,
président


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La séance est ouverte à 9 heures 05.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission auditionne M. Vincent Mazauric, dont la nomination en tant que président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) est proposée par le Président de la République, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement (Mme Sophie Ricourt Vaginay, rapporteure).

M. le président Florent Boudié. Monsieur Mazauric, le président de la République propose de vous nommer à la fonction de président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) en remplacement de M. Serge Lasvignes, décédé prématurément. Le mandat de ce dernier courait jusqu’en octobre 2027 et c’est ce mandat que vous pourriez être amené à achever, sans possibilité de renouvellement en l’espèce.

Vous serez entendu par la commission des lois du Sénat à onze heures. Conformément à l’article 13 de la Constitution, votre nomination ne pourra pas avoir lieu si l’addition des votes négatifs des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Ainsi qu’en dispose l’article 29-1 du règlement de l’Assemblée, la commission a désigné un rapporteur appartenant à un groupe minoritaire ou d’opposition. Il s’agit de Mme Sophie Ricourt Vaginay, du groupe UDR, qui a adressé un questionnaire à M. Mazauric, auquel ce dernier a apporté des réponses écrites. Ces réponses ont été transmises hier aux commissaires, puis mises en ligne sur le site internet de l’Assemblée.

Mme Sophie Ricourt Vaginay, rapporteure. Monsieur Mazauric, notre commission est chargée d’apprécier votre parcours et votre regard sur la CNCTR et sur les enjeux qui lui sont liés.

Les travaux de la CNCTR sont couverts par le secret de la défense nationale, lequel limite aussi les questions et les échanges que nous pourrons avoir. La CNCTR est une institution discrète, voire méconnue. Il n’est donc pas inutile de rappeler son rôle. Cette autorité administrative indépendante, créée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, organise le cadre légal relatif aux activités de renseignement. Elle est chargée de contrôler que les techniques de recueil de renseignements sont employées de façon régulière.

À ce titre, elle exerce un double contrôle. Un contrôle a priori d’abord, dans lequel elle rend au premier ministre un avis sur la légalité de toutes les demandes tendant à l’emploi de techniques de renseignement sur le territoire national à l’encontre d’un individu. Il peut s’agir d’interceptions de sécurité, de sonorisation de lieux ou de véhicules, de captation d’images ou encore de localisation en temps réel d’une personne, d’un véhicule ou d’un objet. La CNCTR exerce aussi un contrôle a posteriori, en veillant à ce que toutes les techniques de renseignement appliquées sur le territoire national aient été autorisées et respectent le cadre légal qui les régit. Ce contrôle inclut des vérifications sur pièces et sur place, au sein des services de renseignement.

La CNCTR dispose enfin d’un pouvoir de recommandation et répond aux demandes d’avis du premier ministre, du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat et de la délégation parlementaire au renseignement.

Elle établit chaque année un rapport public dressant le bilan de son activité.

Monsieur Mazauric, votre parcours est riche et diversifié. Vous êtes conseiller d’État depuis 2021 – mais je précise que vous n’avez pas siégé au sein de sa formation spécialisée dans le contrôle des techniques de renseignement. Auparavant, vous avez notamment exercé les fonctions de directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales, de directeur général adjoint de la direction générale des finances publiques, ou encore de haut fonctionnaire de défense et de sécurité au ministère de l’égalité des territoires et du logement ainsi qu’à celui de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, pour ne prendre que les plus récentes ou significatives. Pouvez-vous revenir sur ce parcours, dont vous observez à juste titre dans vos réponses écrites que la règle de droit est le fil conducteur, et sur les leçons et expériences qui vous seront utiles à la présidence de la Commission ?

Vous évoquez aussi la forte activité collégiale de la CNCTR. Soulignant les tensions qui pèsent sur elle, vous précisez que cette situation pourra nécessiter des adaptations juridiques. Lesquelles ? Seriez-vous, par exemple, favorable à des aménagements du principe collégial ?

Au sujet de l’accès au contenu crypté des messages échangés sur certaines plateformes, dont nous sommes en train de discuter dans le cadre de la proposition de loi sur le narcotrafic, vous soulignez qu’une évolution peut être estimée souhaitable par le législateur et le gouvernement tout en soulevant dans la société civile des inquiétudes légitimes pour les libertés. En effet, l’emploi de techniques de renseignement constitue un équilibre permanent entre la sauvegarde des libertés publiques et l’acceptation de techniques intrusives. Comment cet équilibre peut-il être trouvé ? Est-il de nature à évoluer, dans un sens ou dans un autre, en fonction du contexte, ou doit-il répondre à des principes fermes, au risque de paraître parfois inadapté ?

Enfin, vous faites plusieurs fois référence à l’intérêt du cadre expérimental pour l’application de nouvelles règles ou techniques. Dans quels domaines liés au renseignement pensez-vous qu’une expérimentation serait pertinente ? La méthode de l’expérimentation ne risque-t-elle pas de produire un effet cliquet, avec l’impossibilité de revenir en arrière même si les résultats sont peu probants ?

M. Vincent Mazauric. En me présentant ce matin devant vous, je veux d’abord saluer la mémoire de Serge Lasvignes, qui ne mérite pas seulement l’admiration et le respect pour son dévouement à ses fonctions jusqu’au terme de sa vie, mais pour l’ensemble de son action publique, droite et innovante. Prendre sa suite revêt un sens très fort.

Je suis, comme il l’a été dit, un serviteur public. Cela ne donne pas la capacité de tout savoir d’avance. Il est exact que le monde et le droit du renseignement seront nouveaux pour moi. Je compte que cela aide à dissuader l’implicite dans mes échanges avec les partenaires de la CNCTR.

Je n’ai pas tout fait, mais j’ai un parcours diversifié dans l’administration de l’État, régalienne ou non – notamment à la direction générale des impôts puis à celle des finances publiques, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure. En dernier lieu, j’ai participé à la préparation du prélèvement à la source, comme secrétaire général de deux ministères, puis ai été à la tête de la branche famille de la sécurité sociale, dont les actions multiples s’effectuent au plus proche des gens. J’exerce aujourd’hui mes fonctions au Conseil d’État, dans la fonction contentieuse et consultative.

Ces plus de trente-cinq ans m’ont donné, je l’espère, une expérience approfondie des politiques publiques, de leur application et de leur fonctionnement. Ils m’ont aussi donné le goût de l’adaptation, de la responsabilité – pour assumer – et du dialogue – pour comprendre et trouver des solutions.

Deux caractéristiques me paraissent importantes dans ce parcours. La première est la règle de droit, que je connais pour l’appliquer, pour l’expliquer, pour contribuer à la faire et pour juger en fonction d’elle. La seconde est l’expérience qui m’a permis de connaître et de respecter le Parlement, pour participer à ma place au travail législatif et pour répondre devant lui de l’action des services placés sous ma responsabilité.

Vous me demandez ma conception de la CNCTR et de la fonction de président, ainsi que des enjeux actuels.

La CNCTR est une autorité administrative indépendante. Cette indépendance, voulue par la loi française, est une condition essentielle, exigée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais l’indépendance n’est pas la souveraineté, laquelle appartient au Parlement : c’est lui qui a institué la Commission, qui peut en modifier les missions et qui pourrait même la supprimer.

L’indépendance n’est pas non plus un isolement. La CNCTR partage l’exigence constitutionnelle de garantie des droits avec toutes les institutions qui œuvrent à la police administrative en général et à la politique publique du renseignement en particulier, ainsi qu’avec les institutions qui les contrôlent. Elle est informée de l’évolution des périls. Si, conformément aux textes, elle n’est pas incluse à la communauté française du renseignement, elle coopère étroitement avec elle.

Je conçois sa fonction dans un schéma triangulaire : confiance, contrôle, garantie.

La confiance, c’est celle qui a été construite avec les services du renseignement d’une part, et avec le Parlement d’autre part : je l’entretiendrai.

Le contrôle, que la CNCTR exerce a posteriori sur l’application des autorisations données et sur la maîtrise du cadre légal par les services, est le corollaire de la confiance. C’est son sérieux, son acceptabilité et son acceptation qui permettent à la CNCTR d’être crédible quand elle affirme que, par-delà des anomalies, elle n’a jamais trouvé de contournement de la loi.

Quant à la garantie, elle se bâtit sur ces deux fondations. Elle est d’abord destinée, quotidiennement, au premier ministre, qui délivre des autorisations sur le fondement des avis de la Commission. Elle doit aussi bénéficier, dans la durée, aux services de renseignement dont l’activité de la Commission encadre et protège l’action. Enfin, en tout temps, cette garantie est due au Parlement et, par votre intermédiaire, à la nation.

Le président de la Commission est le garant de l’indépendance de celle-ci. Il est responsable de la réalité et de la sincérité de la garantie qu’elle délivre. Dans cette optique, il doit entretenir la collégialité – laquelle est non seulement une caractéristique, mais aussi une règle de fonctionnement fondamentale. C’est cette collégialité qui garantit le bien-fondé des avis et des délibérations de la Commission. Le collège de la CNCTR est pluriel, avec quatre parlementaires, quatre magistrats et une personne qualifiée : il faut faire s’exprimer et faire contribuer chacun.

Le président de la Commission doit aussi favoriser, avec l’appui des parlementaires membres du collège, l’interaction avec le Parlement, donc avec la délégation parlementaire au renseignement, les commissions compétentes – dont la vôtre –, la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Si votre vote le permet, j’entends poursuivre l’action de mon prédécesseur dans le sens de l’ouverture de la CNCTR, non seulement vers le monde de la recherche, mais aussi vers le public – vous le disiez, madame la rapporteure, la Commission est parfois méconnue.

Dans mes réponses écrites, j’ai souligné, comme vous l’avez relevé, la possibilité de quelques tensions pesant sur les ressources humaines de la CNCTR – je pense à son équipe, que je salue, et à la présidente par intérim – mais aussi, le cas échéant, sur le fonctionnement collégial. Il n’est pas question de réduire la collégialité, puisqu’elle est la condition du sérieux et du bien-fondé des délibérations de la Commission. Toutefois, des adaptations juridiques, par exemple relatives à des règles de quorum, peuvent être envisagées pour garantir la fluidité de son travail. Les services de renseignement présentent 95 000 demandes par an, soit environ 300 par jour. Elles doivent toutes, selon leur contenu ou selon qu’elles sont nouvelles ou constituent un renouvellement, être vues soit en forme collégiale, restreinte ou plénière, soit par un magistrat membre statuant seul. C’est une charge ; elle doit être assumée. La loi impose des délais de vingt-quatre ou soixante-douze heures qu’il n’est pas question de ne pas respecter. La responsabilité du président est donc d’assurer le bon fonctionnement de la Commission pour obtenir un bon travail.

J’ai également mentionné la question délicate de la lecture en clair de certains messages cryptés. Les débats en cours – ce qui appelle de ma part la plus grande prudence dans mes propos – n’ont pas encore fait émerger une solution respectueuse à la fois des libertés publiques et individuelles et des nécessités auxquelles sont confrontés les services de renseignement et donc notre pays. Le rapport d’activité de la CNCTR pour 2023 indique que la criminalité organisée est devenue la première des finalités mesurées, en nombre de personnes concernées, dans l’emploi des techniques de renseignement. La Commission en tire la leçon que la criminalité organisée, en particulier le narcotrafic, est désormais susceptible de mettre en jeu le fonctionnement normal de nos institutions. Pourtant, il faut garder et entretenir l’équilibre que j’évoquais.

Vous me demandez si la fermeté des principes peut les rendre inadaptés. Je ne le crois pas. Si des principes sont fermes, il y a lieu de les respecter. La garantie des droits proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut pas reculer, mais les impératifs constitutionnels de sécurité publique et de lutte contre les différentes formes d’atteinte à l’intégrité de notre territoire ou à la paix publique ont une valeur égale. Il faut soutenir cette tension, en cherchant des solutions.

Enfin, vous m’interrogez sur l’idée expérimentale. Depuis une vingtaine d’années, la loi et le règlement permettent des expérimentations de toute sorte. On a raison de souhaiter qu’une expérimentation soit sincère et complète et qu’il n’y ait pas d’effet de cliquet – que ce ne soit pas une « vraie fausse » expérimentation. Même dans le domaine du renseignement – je pense à la technique de l’algorithme prévue par les lois de 2015 et de 2021, ou aux interceptions de sécurité dans les communications satellitaires –, la méthode expérimentale peut trouver à s’appliquer, à la condition d’être sincère, c’est-à-dire faite dans l’optique de revenir devant le Parlement avec des constats, des résultats ou des explications de l’absence de résultat. Cette méthode pourrait encore servir, si telle était la conclusion des travaux du Parlement, pour répondre à la question délicate de l’accès à la lecture en clair de certains messages cryptés.

Mme Marie-France Lorho (RN). Dans son rapport de 2023, la CNCTR note que l’emploi de systèmes d’intelligence artificielle (SIA) en matière de sécurité nationale, et singulièrement dans le domaine du renseignement, soulève des questionnements éthiques majeurs et des enjeux particuliers. Le rapport souligne ainsi que ces SIA peuvent s’avérer trop compliqués pour être compris et présentés par les agents chargés de les utiliser, et que les recours juridictionnels potentiellement formulés à leur encontre pourraient être remis en question, puisqu’ils nécessitent une compréhension suffisante des technologies par l’autorité juridictionnelle, qui ne semble pas garantie. Que pensez-vous du développement de l’usage des SIA en matière de renseignement, que le rapport de 2023 présente comme inéluctable ? Face aux réserves que je viens de mentionner, quelles dispositions prendriez-vous pour garantir un emploi éthique de tels dispositifs ?

Par ailleurs, à l’occasion de son mandat à la tête de la CNCTR, Serge Lavisgnes avait notamment dirigé ses efforts vers l’extension du périmètre du contrôle des techniques de renseignement. Il aspirait en particulier à ce que la Commission puisse accéder aux fichiers de souveraineté des services questionnés. Quelle est votre position sur ce sujet ? Comment entendriez-vous mesurer cet accès étendu dans le respect des libertés des Français ?

M. Yannick Chenevard (EPR). Je rends hommage à Serge Lasvignes, grand serviteur de l’État.

« Si le monde était clair, l’art ne serait pas », disait Albert Camus. Si le monde était sain, la CNCTR n’existerait pas. Deux ans de service au sein de cette commission créée en 2015 m’ont permis d’en mesurer l’importance, mais aussi l’importance d’une indépendance totale de cette institution et de ses membres, qui prennent collégialement et librement des décisions pour assurer le respect de la loi par les services de renseignement au travers des avis qu’ils donnent au premier ministre.

Les neuf membres qui composent son collège illustrent une volonté d’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La Commission est consultée et rend un avis à chaque fois qu’un service veut recourir à une technique de renseignement. Ses avis défavorables ont toujours été suivis par les premiers ministres. En 2023, le taux d’avis défavorables rendus par la CNCTR était de 1,2 %, en baisse de 20 % par rapport à l’année précédente. L’influence de la Commission sur le respect de notre cadre juridique et des libertés fondamentales est donc bien réelle.

Le respect de ce cadre et de nos valeurs permet aux services de renseignement de protéger efficacement les intérêts de la nation en suivant les sept finalités prévues dans la loi du 24 juillet 2015 pour que les techniques employées soient proportionnées à la gravité des enjeux. La réussite des Jeux olympiques et paralympiques doit beaucoup à l’engagement des services de renseignement et des forces de l’ordre. La CNCTR y a pris toute sa part.

À la lumière des éléments que vous nous avez communiqués, monsieur Mazauric, mon groupe votera pour votre nomination en tant que président de la CNCTR.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Alors que le recours aux analyses algorithmiques en matière de renseignement connaît un développement presque sans limite, pour des raisons politiques mais aussi de développement de marchés, rien dans votre curriculum vitae n’indique que vous maîtrisiez ce sujet, en particulier sur le plan technique – je le dis respectueusement.

Dans son bilan d’activité, la CNCTR qualifie d’inéluctable le développement de ce type de dispositif, ce que vous réaffirmez dans vos réponses à Mme la rapporteure. Vous semblez donc adhérer à l’idée que le développement du recours à l’intelligence artificielle est sans limite. Cette dernière peut trouver de nombreuses applications, celle qui nous préoccupe le plus étant la reconnaissance faciale, que nous jugeons intrusive et liberticide. Or vous n’abordez à aucun moment ce sujet. Quelle serait votre position, si vous étiez consulté en la matière ?

M. Roger Vicot (SOC). Je salue la qualité de votre parcours et la précision de vos réponses au questionnaire de Mme la rapporteure. Vous avez clairement démontré que si nous ne voulons pas avoir à subir les technologies nouvelles, il nous faut les maîtriser.

J’en reviens à un sujet que nous abordons à l’occasion de la proposition de loi sur la lutte contre le narcotrafic, mais qui est bien plus large et que vous aurez à traiter très rapidement si vous êtes nommé président : celui du déchiffrement des messageries. Vous vous êtes dit favorable à la méthode expérimentale dans ce domaine. Qu’entendez-vous exactement par là, alors que tous les acteurs concernés sont fermement opposés à la possibilité de déchiffrement ? C’est vrai pour la totalité des opérateurs comme pour la quasi-totalité des groupes politiques qui composent l’Assemblée. Dans quelle mesure pensez-vous qu’une méthode expérimentale soit nécessaire ? Pourquoi le souhaitez-vous, et comment s’y prendre ?

Mme Émilie Bonnivard (DR). Je salue à mon tour la mémoire du président Lasvignes, grand serviteur de l’État et très regretté à la CNCTR.

Votre parcours ne mène pas de façon intuitive à la CNCTR : quelle est donc votre motivation ? Alors que votre curriculum vitae ne montre aucune spécialisation dans ce secteur hautement stratégique et technique qu’est le renseignement, pouvez-vous nous rassurer, sans offense aucune, quant à vos compétences en matière d’innovation technologique et à votre capacité de répondre sur le fil, dans le respect des différents droits ?

Je partage avec vous l’idée d’une modification du fonctionnement de la CNCTR et du rendu des avis, car il est aujourd’hui difficile d’atteindre le quorum. Pour les parlementaires, notamment, être présent les lundis et vendredis est compliqué. Cette modification est une nécessité pour que la CNCTR puisse faire son travail correctement et répondre aux demandes nombreuses et urgentes – c’est le gage de notre démocratie – des services de renseignement.

Par ailleurs, quel serait le rôle jurisprudentiel de la CNCTR, pour permettre à nos services de renseignement de travailler dans des conditions d’évolutions techniques complexes ? Je suis favorable à une expérimentation, que la CNCTR pourrait contrôler. Je le répète, la Commission est garante de notre démocratie et ses équipes effectuent correctement leur travail. Il faut leur faire confiance.

M. Éric Martineau (Dem). La CNCTR veille à la conformité des méthodes de surveillance avec le code de la sécurité et le respect des libertés individuelles, notions auxquelles nous sommes attachés. Le rapport annuel d’activité 2023 fait état d’une hausse de 15 % sur un an du nombre de personnes surveillées. Quelle est l’estimation pour 2024 ? Avez-vous enregistré une hausse significative du nombre de personnes surveillées dans la période des Jeux olympiques et paralympiques, qui ont donné lieu à un renforcement des moyens employés par les services de renseignement ?

J’ai présenté devant cette commission, avec mon collègue Stéphane Peu, un rapport d’information sur le bilan sécuritaire de Paris 2024. L’un de ses volets porte sur l’usage de la vidéoprotection algorithmique (VPA), avec le recours à l’intelligence artificielle dans certaines caméras programmées. Si ce dispositif a fait beaucoup parler, lors du vote de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 comme lors de l’utilisation de la VPA, il apporte une solution nouvelle en matière de surveillance et de protection. Que pensez-vous du recours à l’intelligence artificielle dans le domaine du renseignement ? Comment bien l’utiliser, pour qu’elle facilite le travail des services sans menacer les libertés fondamentales ? Quelles perspectives d’évolution attendre avec les avancées technologiques ?

Par ailleurs, quel est votre avis sur l’article 8 ter de la proposition de loi « narcotrafic », relatif aux messageries chiffrées, qui est loin de faire l’unanimité ? Pensez-vous qu’il soit utile et nécessaire que les enquêteurs aient accès aux messageries chiffrées utilisées pour le trafic de drogue ?

M. Loïc Kervran (HOR). Au nom de mon groupe mais aussi en mon nom personnel, en tant qu’ancien vice-président de la délégation parlementaire au renseignement, président de la commission de vérification des fonds spéciaux et rapporteur de la loi de 2021 sur le renseignement, je salue la mémoire de M. Lasvignes et, de manière générale, les anciens présidents de la CNCTR, parmi lesquels Francis Delon, qui ont toujours été de grands serviteurs de l’État.

Voyez-vous la CNCTR comme une commission de contrôle des techniques de renseignement, ou comme une commission de contrôle des services de renseignement ? La question de la coopération internationale et de l’éventuel contrôle de la CNCTR sur les données échangées avec les services étrangers, par exemple, fait l’objet de débats récurrents. Ce contrôle ne relève actuellement pas de son périmètre, mais d’anciens présidents s’étaient exprimés en faveur de son extension.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). La procédure de désignation des présidences des autorités administratives indépendantes soulève des interrogations quant aux exigences d’indépendance et d’impartialité. Ces nominations sont faites par un président de la République qui a fait de la transgression morale des règles sa marque de fabrique. L’indépendance propre aux autorités administratives dont fait partie la CNCTR semble difficile à concilier avec le mode de nomination de leurs administrateurs.

Bien que votre ligne rouge soit le respect de l’état de droit, comment pouvez-vous garantir que, lorsque vous aurez à traiter d’une loi potentiellement liberticide et intrusive issue du groupe politique de celui qui vous a nommé, votre impartialité restera intacte et que rien n’entachera les avis que vous aurez à rendre ?

Sur le fond, la question centrale est celle de la vision que vous aurez de l’activité de contrôle propre à la CNCTR si votre candidature est approuvée. En effet, le champ du renseignement est caractérisé par son opacité, et la société est tenue à distance. Pourtant, comme l’ont montré les derniers rapports annuels de la Commission, l’activité des services de renseignement dans les matières les plus sensibles sur le plan démocratique est en forte recrudescence – notamment s’agissant de la surveillance des mouvements sociaux, comme le documente et l’explique La Quadrature du net. Que pensez-vous de cela, et des risques démocratiques que cette évolution implique ? La fin justifie-t-elle les moyens, même lorsqu’il s’agit des libertés publiques, qui sont pourtant le ciment d’un État démocratique ?

Par ailleurs, la CNCTR demande depuis plusieurs années à contrôler le partage de données entre les services français et étrangers. Or la loi exclut tout contrôle de la CNCTR sur ces collaborations internationales. Reprendrez-vous le flambeau et pousserez-vous dans le sens d’une plus grande transparence, ou considérez-vous que cette exclusion des collaborations transnationales est justifiée et nécessaire ?

M. Vincent Mazauric. Madame Lorho, la préoccupation éthique devant tout ce qui touche à l’emploi de systèmes d’intelligence artificielle ne peut être que partagée. Pour avancer, peut-être ne faut-il pas faire de l’intelligence artificielle une masse indistincte et impénétrable, mais la segmenter un peu. À cet égard, l’algorithme n’est pas la même chose que l’intelligence artificielle – et je réponds aussi par là à Mme Martin. L’un est un outil, la seconde est une façon de procéder – façon qu’il convient de maîtriser.

Certaines applications de l’intelligence artificielle existent de longue date, par exemple pour traduire certaines langues rares, ce qui est important pour les services de renseignement. Elles sont assez classiques et ne posent pas de grande difficulté. D’autres sont susceptibles d’inquiéter davantage, face au risque de perte de maîtrise humaine que vous êtes plusieurs à avoir soulevé. On ne sanctionne pas un ordinateur. En revanche, il faut toujours pouvoir mettre en jeu la responsabilité d’une activité publique donc, in fine, d’une personne – le cas échéant, d’une institution, si cela va jusque-là. Chacun à sa place, le Parlement comme la CNCTR doivent veiller à ce que ne puisse jamais se produire une situation dans laquelle pourrait être avancé l’argument de la boîte noire : personne ne peut expliquer ce qu’il y a dedans, personne ne le sait, personne ne peut contrôler.

La première exigence est de s’assurer, pour garantir la primauté humaine, qu’aucun dispositif touchant de près ou de loin à une intelligence artificielle ne soit employé dans un service sans que la CNCTR ne soit au courant. C’est à partir de là, par le dialogue continu que la Commission entretient avec les services, qui nourrit ce qu’elle rapporte devant le Parlement, que l’on peut commencer à avoir une assurance. Si l’on perd l’assurance faute de connaissance, plus personne ne maîtrise le risque.

Les fichiers de souveraineté sont régulièrement évoqués dans les rapports d’activité de la CNCTR comme lui étant inaccessibles. Je ne prétends pas avoir une compréhension complète et intime de la question, mais ces fichiers contiennent des indications susceptibles d’identifier une source humaine. Ce point précis, qui revêt souvent une importance stratégique et une grande sensibilité, ne relève pas du champ d’examen et de contrôle de la CNCTR aux termes du code de la sécurité intérieure. Il me semble toutefois qu’il doit être possible d’isoler les éléments sans rapport avec les missions de la Commission afin qu’elle puisse s’assurer que, pour le reste, les techniques de renseignement ont été employées à bon droit.

On ne peut pas renoncer à l’exercice du contrôle – lequel peut être effectué en entente avec les services de renseignement. Ce n’est pas une question de prérogatives, mais de garanties. Si la CNCTR ne peut pas apporter les garanties que la loi lui demande d’apporter, elle ne fait pas son travail.

Monsieur Chenevard, merci d’avoir dit que la CNCTR avait une incidence bien réelle. Dix années, c’est à la fois peu et déjà significatif. La CNCTR a bien profité de l’acquis de la loi de 1991 et de l’ancienne Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, évidemment dans une autre dimension. Comme normalement dans les institutions publiques, il y a une passation et, je l’espère, un progrès. Je suis conscient, si votre vote me conduit à prendre la suite de Francis Delon et de Serge Lasvignes, que cet acquis, qui est aussi un moteur, doit être entretenu.

Vous avez souligné que le taux d’avis négatifs était faible et décroissant. Il était en effet de 1,2 % en 2023 – et j’en profite pour répondre à M. Martineau que, n’étant pas en fonction, je ne suis pas en mesure d’indiquer les chiffres relatifs à 2024. Il serait préoccupant que ce taux fût nul. Pour autant, il est bien qu’il décroisse. Il est plus important encore de souligner que jamais un premier ministre n’a outrepassé un avis défavorable de la Commission.

Madame Martin, ainsi que je l’ai dit, il n’y a pas d’identité entre les techniques algorithmiques et le recours à l’intelligence artificielle. Les algorithmes se développent-ils sans limite en matière de renseignement ? On ne peut pas le dire, pour la raison expresse que la loi encadre les techniques algorithmiques et qu’elles sont chacune examinées en détail et validées par la CNCTR avant d’être employées. En outre, l’algorithme permet seulement de faire un premier tri : s’il montre l’utilité de poursuivre une investigation, on repart dans un processus individuel de demande d’emploi de techniques de renseignement. Il existe donc une « double coque ».

Sans être sans limite, l’algorithme a une double utilité : améliorer le traitement des données légalement recueillies et faciliter le travail indispensable des agents des services de renseignement, dont le nombre a crû, mais ne peut pas augmenter à l’infini. Je crois souhaitable et pas illégitime que des outils leur permettent de travailler plus efficacement.

Je crois qu’il y a effectivement quelque chose d’inéluctable à l’emploi de l’intelligence artificielle, terme qui figure d’ailleurs dans le dernier rapport d’activité de la Commission. Mais « inéluctable » ne veut pas dire fatal ni sans maîtrise. Au contraire, un niveau de connaissances permettant la maîtrise, autorisant la critique et justifiant, si nécessaire, de poser des limites est la condition première. En tout état de cause, l’intelligence artificielle qui se développe dans maints domaines, et de manière mondialisée, continuera de progresser.

Vous souhaitez connaître ma position concernant la reconnaissance faciale. Ce n’est pas une technique de renseignement et le contrôle de son utilisation n’est pas dans les attributions de la CNCTR. La reconnaissance faciale est autorisée par la loi, ou alors elle n’existe pas. Elle présente des risques évidents qui requièrent vigilance et surveillance.

Monsieur Vicot, pour clarifier mes écrits, je préciserai d’abord qu’ils sont le résultat d’une réflexion personnelle et non collégiale – n’étant pas encore en fonction –, ensuite que c’est le Parlement, et lui seul, qui décidera s’il y a lieu d’instaurer un système légal d’accès en clair aux contenus de messages chiffrés. Je m’autorise simplement à évoquer la méthode expérimentale, qui a été utilisée à plusieurs reprises dans le domaine du renseignement, comme intermédiaire entre rien et un dispositif pérenne et difficile à modifier. S’agissant d’un sujet qui a passé le test de la nécessité mais qui présente encore des incertitudes et qui à l’évidence n’est pas exempt de risques, qui nécessite aussi des adaptations chemin faisant, il me semble que la méthode expérimentale peut être indiquée. Ceci est dit sans préjudice de l’état actuel des débats, qui ont montré, dans votre assemblée, une large opposition aux dispositions proposées.

Madame Bonnivard, ma motivation est celle d’un serviteur public. Elle est complète et sincère. Je le redis, prendre la suite de Serge Lasvignes n’est pas dépourvu de sens, et de loin. On peut servir sous maintes formes. Je l’ai fait, et je crois être prêt à le faire aujourd’hui sous cette forme d’une autorité administrative indépendante et dans ce champ particulier du contrôle des techniques de renseignement.

Je ne suis pas sans expérience dans les questions régaliennes, ni dans la question sensible de l’application de la règle de droit – c’est le métier du Conseil d’État –, ni dans l’emploi de certaines technologies. La direction générale des finances publiques est l’une des premières, bien avant la loi de 2015, à avoir mis au point des systèmes de discernement et de préparation de la décision humaine de faire un contrôle fiscal, même si l’on n’employait pas encore le terme d’algorithme à l’époque. Lorsque je dirigeais la Caisse nationale des allocations familiales, j’ai aussi favorisé et développé des systèmes dont la finalité était analogue. Reposant sur des rapprochements de données, ils avaient pour but d’aider à la décision humaine et, le cas échéant, d’engager un dialogue avec un allocataire quant à la sincérité de ses déclarations périodiques de ressources.

Cela m’amène à votre question très intéressante sur le rôle jurisprudentiel de la Commission devant les évolutions techniques. Si la CNCTR est perdue du point de vue technique, sa fonction est atteinte. C’est pourquoi il y a une personne qualifiée dans le collège, et des personnes expertes dans l’équipe opérationnelle. Pour autant, rien ne peut être garanti sans la confiance des services de renseignement, sans une relation fréquente et proche et sans transparence. Il ne faut pas se trouver dans la situation de découvrir, nécessairement trop tard, qu’une technique a été employée. C’est l’intérêt même des services et de leurs dirigeants, j’en suis convaincu. C’est aussi, je l’espère, de nature à faciliter le rôle de la Commission en la matière, non pas dans la tension, l’opposition ou la dissimulation, mais dans la coopération.

Monsieur Martineau, comme je l’ai dit, je ne dispose pas – et c’est plutôt rassurant – des chiffres relatifs à 2024. Ils seront probablement différents de ceux de 2023, du fait de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques et de la célébration de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame. J’ai déjà répondu aussi d’agissant des usages vidéo de la protection algorithmique. Quant à l’intelligence artificielle, disons qu’il faut faire un peu plus que se tenir simplement au courant.

Vous m’interrogez sur l’article 8 ter de la proposition de loi « narcotrafic ». Avec toute la prudence requise, je répète que la Commission n’a pas d’initiative ou d’avis propre à avoir sur une question telle que celle-ci. Elle peut rendre des avis, comme celui que lui a demandé le gouvernement pour mettre au point une des dispositions qui sont en débat devant vous, relative à l’extension de l’usage des algorithmes. Elle est à tout moment consultable par la présidente de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat. Elle peut être en relation fréquente et étroite avec la délégation parlementaire au renseignement – ce que je favoriserai le plus possible. Mais elle n’est pas le législateur.

Monsieur Kervran, je me suis déjà posé à moi-même la question de savoir si la Commission contrôle des techniques ou bien des services. Les unes sont une partie de l’autre. La loi est claire et, en application du droit, il ne faut ni se restreindre ni déborder. La fonction de la Commission est le contrôle des techniques, c’est indiscutable, mais ce contrôle est effectué non pas automatiquement mais par des institutions, par les femmes et les hommes qui les dirigent et les animent. C’est donc un travail avec les services de renseignement, qui est fécond et auquel je me prépare avec goût. Ce que la loi demande à la Commission, c’est de veiller à la légalité du travail des services de renseignement. Elle ne peut le faire sans comprendre ces derniers et, le cas échéant, les aider à progresser. Dans ce domaine, la loi dit l’essentiel, mais elle ne peut pas tout dire en tout temps. Beaucoup se fait « en doctrine », pour le dire de façon générique, et l’on voit bien que l’objet alors n’est pas la technique, mais le service.

Tout comme M. Coulomme, vous m’interrogez enfin sur les échanges entre les services français et étrangers. Ce n’est pas une attribution de la Commission, parce que ce n’est pas dans la loi. Dans un rapport d’information de 2020, l’Assemblée nationale a conclu qu’il n’était pas opportun de réglementer ces questions. Le dirait-elle de la même manière aujourd’hui ? L’arrêt Big Brother Watch, rendu l’année suivante, montre combien il est nécessaire, aux yeux de la Cour européenne des droits de l’homme, que la loi nationale précise les possibilités ou les impossibilités que soient vérifiées un certain nombre de conditions à l’échange entre deux services de renseignements – des conditions d’équivalence, en quelque sorte, dans les protections juridiques apportées de part et d’autre. Une condition assez naturelle, par exemple, est qu’on ne puisse recevoir un renseignement d’un service étranger que si ce renseignement peut être obtenu dans sa propre législation et sur son propre territoire. Il ressort clairement des constats de la Commission dans ses rapports successifs que ce sujet n’est pas traité aujourd’hui.

Je n’ai, à cet instant, ni le rôle, ni la connaissance ou l’expérience nécessaires pour apprécier le degré d’urgence ou de nécessité de la question. Comme les rapporteurs de 2020, je pars de la présomption que les services sont légalistes. Je constate, comme chacun, que l’état du monde justifie des échanges qui peuvent être les conditions de la protection de notre nation. Ce sujet ne disparaîtra pas de l’agenda.

M. le président Florent Boudié. Je vous remercie. Je vous invite, ainsi que le public, à quitter la salle afin que la commission puisse statuer.

La réunion est suspendue de dix heures cinq à dix heures trente-cinq.

À l’issue de cette audition, délibérant à huis clos, la commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du règlement, sur la proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission des lois du Sénat, à 12 heures 05 :

Nombre de votants : 41

Blancs ou nuls : 11

Suffrages exprimés : 30

Avis favorables : 25

Avis défavorables : 5

*

*     *

Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (n° 842) (Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Véronique Riotton, co-rapporteures).

M. le président Florent Boudié. Cette proposition de loi, déposée le 21 janvier par Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, est inscrite à l’ordre du jour transpartisan de la semaine prochaine.

De nombreux éclairages ont permis de préparer au mieux nos débats d’aujourd’hui. D’abord, une proposition de loi à l’objet similaire, déposée par nos collègues du groupe LFI, a été examinée par notre commission en novembre. Ensuite, la présente proposition a été rédigée à la suite des conclusions de la mission d’information menée par les deux rapporteures dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (DDF). Enfin, nous bénéficions d’un avis du Conseil d’État.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Nous avons parcouru un long chemin avant d’arriver à la rédaction de cette proposition de loi, et nous sommes fières et honorées d’en débattre avec vous.

Nos travaux ont été déclenchés par deux facteurs principaux. Le premier est un triple constat, alarmant : la criminalité sexuelle ne recule pas, un climat d’impunité perdure et la culture du viol demeure une réalité. Malgré les avancées législatives de 2018 et 2021, malgré l’allongement des délais de prescription, malgré les efforts de formation des forces de l’ordre et l’amélioration du recueil de la parole et de l’accompagnement des victimes, les chiffres révèlent toujours autant de drames personnels : toutes les deux minutes, une personne est victime de violences sexuelles, et huit victimes sur dix, hors cadre familial, ne portent pas plainte. Un quart ne le fait pas au motif que l’acte subi ne serait pas assez grave, un autre quart considère que déposer plainte ne servirait à rien.

Le second facteur est en lien avec le contexte européen. En mars 2022, la Commission européenne a présenté un projet de directive visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adopté en mai 2024. Dans notre pays, et plus largement en Europe, ce texte a relancé le débat sur la définition pénale du viol, opposant deux conceptions non exclusives l’une de l’autre : celle qui est fondée principalement sur le non‑consentement de la victime, et celle, que retient le droit pénal français, davantage centrée sur des éléments matériels – violence, contrainte, menace et surprise. Face à ce débat politique, juridique et sociétal, la DDF a décidé de lancer une mission d’information portant spécifiquement sur la question de la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Nous avons commencé nos travaux en décembre 2023 et auditionné près de quatre‑vingts personnes. Nous avons également approfondi plusieurs exemples étrangers, afin de disposer de points de comparaison pour remettre notre droit en perspective. Dans le rapport que nous avons publié, Marie-Charlotte Garin et moi partageons l’ensemble des constats et des pistes d’amélioration.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Sans résumer tout le rapport, je voudrais présenter les constats les plus intéressants pour éclairer notre débat.

Nous avons acquis la conviction que la loi doit être modifiée, car notre définition pénale du viol et des agressions sexuelles échoue dans ses trois grandes fonctions : dans sa fonction répressive, car elle ne permet pas de sanctionner les agresseurs ; dans sa fonction protectrice, puisque les victimes ne sont pas correctement protégées face à leurs comportements violents ; et dans sa fonction expressive, car notre droit n’incarne plus les valeurs de notre société et ne rend pas compréhensible l’interdit, pourtant suprême, de jouir du corps d’autrui sans son accord.

Personne n’a le droit d’accéder à l’intimité de quelqu’un sans son accord. Si nous voulons prétendre à une éducation à une vie relationnelle, affective et sexuelle respectueuse, affirmer clairement ce principe dans notre loi constitue un point de départ essentiel.

À ces constats sur l’écriture de notre loi pénale, j’ajouterai deux remarques. La première concerne la jurisprudence. Ainsi que nous l’avons écrit à la fois dans notre rapport d’information et dans celui que nous vous avons transmis lundi, nous considérons qu’elle est riche et a permis de faire considérablement progresser l’appréhension judiciaire des violences sexuelles. Toutefois, cette jurisprudence et l’interprétation que les juges font de la législation ne parviennent pas à combler le silence de la loi quant à la notion de consentement.

Cela me conduit à ma seconde remarque : malgré l’omniprésence de la question du consentement tout au long de la procédure judiciaire, la loi française reste silencieuse sur ce point crucial dans la définition du viol et des agressions sexuelles. L’absence de cette notion dans le code pénal ouvre la voie à des malentendus, voire à des instrumentalisations du consentement par les auteurs des agressions. Cette lacune législative contribue à entretenir des stéréotypes nuisibles – le fameux « vrai viol », qui serait nécessairement violent – et à entraver la prise en compte des circonstances particulières dans lesquelles sont commises les infractions sexuelles.

Voilà pourquoi, à l’issue de quatorze mois de travaux, nous pensons qu’une réforme législative est impérative.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La rédaction que nous proposons vise à mieux protéger, à mieux réprimer et à dire plus clairement qu’un rapport non consenti est illégal, tout en respectant les grands principes de notre droit.

Une meilleure prise en compte du consentement permettra de mieux appréhender les vulnérabilités des victimes et les stratégies des auteurs pour vicier leur consentement.

Nous avons l’ambition d’éviter de faire du comportement, actuel ou passé, de la victime le cœur de l’enquête. Ce point était déjà au centre du débat en 1980, lorsque l’actuelle définition du viol a été votée, et il avait conduit les législateurs à préférer ne pas y introduire la notion explicite de consentement. Pourtant, c’est toujours le comportement de la victime qui est interrogé dans l’enquête judiciaire, et son absence de réaction jugée comme la présomption de son consentement. Nous souhaitons faire évoluer les investigations pour qu’elles se concentrent d’abord sur les agissements de l’auteur, au mépris de l’absence de consentement. L’enquête doit systématiquement porter sur les indices permettant d’évaluer si et par quelles mesures raisonnables le mis en cause a cherché à recueillir le consentement. En inscrivant clairement cette exigence dans la loi, nous fournirons aux juges un outil supplémentaire pour poursuivre davantage de mis en cause et mieux prendre en considération les stratégies des agresseurs.

Ce point nous semble essentiel. Je précise que la rédaction que nous proposons ne crée pas d’obligation positive de s’assurer d’une manière convenue du consentement d’autrui. Sinon, nous aurions défini le viol comme un acte de pénétration commis sans s’être assuré du consentement de l’autre. Ce n’est pas ce que nous souhaitons et ce n’est pas ce que nous avons fait. Nous ne changeons pas les éléments permettant de caractériser juridiquement l’infraction mais nous les complétons, pour les préciser et les clarifier, afin d’offrir aux juges davantage d’outils pour identifier, appréhender et qualifier les faits, au regard non seulement des quatre critères de violence, contrainte, menace ou surprise mais également de l’absence de consentement.

Ces précisions nous permettent en outre de consolider les acquis de la jurisprudence en les ancrant dans le marbre de la loi et de mieux prendre en compte la variété des situations, notamment les cas de sidération, de coercition ou d’emprise.

Pour atteindre ces objectifs, notre texte propose plusieurs évolutions dans le code pénal. D’abord, l’introduction de la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles permettra de marquer la frontière claire entre la sexualité d’un côté, et la domination et la violence de l’autre. Ensuite, l’apport de précisions relatives à cette notion permettra d’aiguiller le juge dans l’appréciation du défaut de consentement. Il s’agit notamment de préciser les cas dans lesquels le consentement ne saurait être déduit, notamment ceux de sidération, insuffisamment caractérisés dans la jurisprudence. Par ailleurs, la conservation des quatre critères de violence, contrainte, menace ou surprise est essentielle pour consolider les acquis de la jurisprudence et garantir la précision juridique de la définition des infractions. Enfin, nous rappelons que le consentement doit être apprécié au regard des circonstances environnantes. Par cette référence, qui concerne le travail du juge et des enquêteurs, il s’agit d’éviter que l’investigation soit uniquement centrée sur la plaignante et d’inciter à interroger davantage les agissements du mis en cause. En effet, il convient de toujours apprécier la validité du consentement à l’aune des vulnérabilités éventuelles de la victime.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Le 27 janvier, la présidente de l’Assemblée a décidé de saisir le Conseil d’État de la présente proposition de loi. Tout au long du mois de février, nous avons été associées aux travaux des deux rapporteurs du Conseil d’État, avec lesquels nous avons débattu des conséquences du texte pénal que nous proposons et travaillé à une écriture correspondant à nos objectifs. Cet exercice, particulièrement intéressant, nous a permis de confronter à nouveau la solidité de la modification que nous proposons non seulement à l’analyse juridique des membres du Conseil d’État, mais aussi aux questionnements pratiques des administrations concernées, auditionnées par les deux rapporteurs.

Avec l’avis du Conseil d’État, publié le 6 mars, et les travaux que nous avons conduits au sein de la DDF pendant plus d’un an, qui nous donnent une connaissance approfondie du contexte, notre débat est doublement éclairé. Le Conseil d’État a confirmé la pertinence juridique et technique de notre texte. Il a également formulé plusieurs recommandations pour consolider l’écriture que nous proposons, que nous comptons entièrement suivre. Un travail nourri a permis de trouver des points d’équilibre, tout en respectant l’intention du législateur.

Trois points de l’avis méritent d’être soulignés.

D’abord, le Conseil d’État considère que la conservation dans le texte d’incrimination des notions de violence, contrainte, menace ou surprise permet de préserver les acquis jurisprudentiels. Nous avions fait le même constat dès le début de nos auditions. Le Conseil recommande aussi de supprimer le terme « notamment », qui introduirait une indétermination quant aux autres comportements pouvant être réprimés. Compte tenu de l’incompatibilité du principe de légalité des délits et des peines avec l’adverbe « notamment », nous vous proposerons de supprimer ce terme pour préciser et sécuriser la définition des infractions d’agression sexuelle et de viol.

Ensuite, le Conseil d’État souligne que la jurisprudence judiciaire illustre la malléabilité des notions de contrainte ou de menace, considérant que la référence aux quatre termes existants permet de couvrir l’ensemble des situations. Il suggère d’ajouter la mention « quelles que soient leurs natures ». Nous confirmons la pertinence et la plasticité de ces quatre notions, mais nos travaux nous ont conduites à constater que l’interprétation faite par le juge ne permet pas toujours de couvrir tous les cas. Il nous semble donc absolument nécessaire de procéder à l’ajout proposé par le Conseil d’État : la formule « quelles que soient leurs natures » garantit une interprétation suffisamment large de ces quatre notions pour permettre à notre droit de saisir la variété des situations pouvant survenir. La rédaction ainsi proposée correspond à notre intention d’ouvrir les quatre critères de violence, de contrainte, de menace et de surprise tout en conservant les acquis jurisprudentiels qu’ils apportent.

Enfin, nous proposons plusieurs précisions qui visent à guider le juge dans son appréciation de la validité du consentement. Ce faisant, nous ne définissons pas le consentement, nous ne créons pas de nouvelle obligation pénalement réprimée et nous ne créons aucune présomption de culpabilité. Nous sommes très claires sur ces points depuis le départ, et le Conseil d’État les a confirmés. Les éléments avec lesquels nous complétons la loi serviront au juge d’appui, de boussole afin d’appréhender au mieux ces faits encore trop peu saisis par notre justice. Nous donnons ainsi des indications pour clarifier ce que peut être le consentement et ce qu’il ne peut pas être, en précisant notamment certains cas dans lesquels il ne saurait être déduit. Nos échanges avec le Conseil d’État ont été particulièrement fructueux en la matière. Ils nous ont permis de clarifier le sens précisément accordé à chaque qualificatif que nous souhaitions introduire et de simplifier notre formulation, afin de parvenir à la loi pénale la plus précise et claire possible.

Les amendements que nous vous proposerons découlent donc directement de l’avis du Conseil d’État. Nos échanges nous permettront de revenir plus en détail sur certains de ces sujets.

Nous sommes conscientes que la seule modification de la loi ne pourra pas répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes de viol, qui sont multifactorielles. Ce changement doit être soutenu par une formation approfondie des enquêteurs, des magistrats et des professionnels de santé sur les spécificités des violences sexistes et sexuelles, pour les auteurs comme pour les victimes, avec l’instauration de protocoles adaptés tout au long de la procédure. Nous devrons, en outre, collectivement rester attentifs aux moyens attribués à ces institutions, aux associations et à la prise en charge des victimes.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sophie Blanc (RN). Cette proposition de loi a l’ambition de renforcer la répression des violences sexuelles en modifiant la définition du viol et des agressions sexuelles dans notre code pénal. Mais la méthode choisie est dangereuse et juridiquement contestable.

D’abord, cette proposition de loi bouleverse un équilibre fondamental du droit pénal. En supprimant la nécessité de caractériser la violence, la contrainte, la menace ou la surprise pour établir un viol ou une agression sexuelle, elle introduit une insécurité juridique.

Dans son avis du 6 mars, le Conseil d’État a rappelé avec force que le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines impose une appréciation au cas par cas de chaque situation. En créant une définition trop large et imprécise, nous ouvrons la porte à une inflation contentieuse et à des décisions judiciaires aléatoires.

Si nous voulons garantir une justice efficace et crédible, nous devons nous attaquer au véritable problème. Nous devons garantir que les auteurs de violences sexuelles, en particulier lorsqu’ils s’en prennent à des mineurs, reçoivent des peines adaptées à la gravité de leurs actes et exécutées jusqu’à leur terme. Il est inacceptable qu’ils puissent bénéficier de remises de peine automatiques ou d’aménagements systématiques, qui nuisent à la protection des victimes. Lorsque nous avons proposé l’instauration de peines planchers, la gauche et la majorité présidentielle ont refusé de les voter. Pourtant, les récidives de criminels sexuels sont une réalité insupportable.

Nous devons mieux protéger les victimes les plus vulnérables. C’est l’objectif poursuivi par l’amendement déposé par notre groupe, qui précise que les infractions sexuelles doivent inclure les actes commis sur une personne dans l’incapacité de donner son consentement. Il paraît utile que la définition intègre les apports de la jurisprudence, qui prend en compte de longue date les situations dans lesquelles la victime est inconsciente, sous l’emprise de substances, ou en situation de handicap ou de dépendance. Il est essentiel de continuer à pleinement reconnaître ces circonstances pour assurer une répression efficace des crimes sexuels et une protection renforcée des victimes.

L’ajout que nous proposons lève toute ambiguïté et garantit que de tels actes seront systématiquement qualifiés comme des infractions sexuelles. Cette précision empêchera que des failles juridiques puissent être exploitées pour minimiser la gravité des crimes.

En complément, nous devons expulser systématiquement les étrangers condamnés pour viol et agression sexuelle. Là encore, à chaque fois que nous avons proposé cette mesure, la gauche et le bloc central s’y sont opposés.

Plus largement, la lutte contre les violences sexuelles doit s’accompagner d’un renforcement des moyens pour la justice et les forces de l’ordre. Il est incohérent de vouloir modifier le code pénal si les tribunaux manquent de moyens pour juger rapidement les criminels et si les victimes ne sont toujours pas accompagnées correctement.

Cette proposition de loi repose sur une approche théorique qui peine à prendre en compte la réalité des situations et les enjeux de la lutte contre les violences sexuelles. Elle ne protège ni les victimes, ni les innocents et contribue à affaiblir la justice en la rendant imprévisible.

Le Rassemblement national appelle à rejeter ce texte et à se concentrer sur des mesures efficaces : une justice ferme contre les criminels sexuels, la fin de l’impunité pour les récidivistes et les étrangers délinquants, et une véritable protection des mineurs. La protection des victimes mérite mieux que des bricolages législatifs aussi hasardeux qu’inefficaces.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Le sujet que nous examinons ce matin est certainement l’un des plus graves de notre société et l’un des plus sensibles de notre droit pénal. Il déclenche des débats sociétaux et juridiques intenses depuis de longues années. Nous devrons garder à l’esprit notre volonté constante de garantir la meilleure protection possible des victimes et la plus grande sanction des auteurs. Nous ne devrons à aucun moment perdre de vue qu’il s’agit de notre société dans la profondeur de son intimité, dans ses préjugés, ses stéréotypes sexistes, ses inégalités structurelles entre les femmes et les hommes que nous ne pouvons plus accepter, dans ses violences les plus insupportables et destructrices. Ce sujet, c’est celui de la définition d’un crime, celui de la définition pénale du viol.

En France, toutes les deux minutes trente, une femme est victime d’un viol ou d’une tentative de viol. Les débats sont intenses mais nous partageons, je l’espère, le constat que nous devons renforcer nos outils pour lutter contre le viol, bien mieux protéger les victimes et sanctionner les auteurs. Cela passe par davantage de moyens et par une meilleure formation des professionnels, mais aussi par la définition du viol.

Cette définition a une histoire singulière. Elle est le fruit d’un long combat féministe que nous ne devons jamais oublier et dont nous devons transmettre la mémoire. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’avancer, et notamment d’apporter des réponses aux défaillances que nous observons. Dans les trois fonctions de cette définition – dans sa dimension répressive, c’est-à-dire de sanction des comportements, dans sa dimension protectrice pour la société et les citoyens, et dans sa dimension expressive, pour énoncer les valeurs essentielles d’une société – il y a des défaillances. Notre responsabilité est d’avancer dans chacune de ces dimensions si nous voulons sortir de la culture du viol dans laquelle nous sommes enfermés depuis toujours.

Quelques semaines après le procès dit de Mazan, qui aura été à bien des égards celui de cette culture du viol et qui aura eu un impact bien au-delà de nos frontières, nous devons tout faire pour passer à une culture du consentement. Cela implique l’introduction de cette notion dans la définition pénale du viol – une notion qui, comme le rappelle la magistrate Gwenola Joly-Coz, est au cœur de chaque procès : « Il n’y a pas une seule affaire de cour d’assises ou de cour criminelle départementale où l’on ne passe pas des heures à parler du consentement. » Nous devons mettre notre droit en conformité avec ce fait, et mettre fin à ce silence.

C’est tout le travail que vous avez conduit, mesdames les rapporteures, de manière transpartisane, sereine, sérieuse et approfondie. J’en salue la grande qualité. Cinq grandes orientations s’en dégagent, qui doivent guider l’approfondissement de la définition du viol. Vous les citez dans votre rapport : introduire la notion de non-consentement, conserver les quatre critères de la définition actuelle, apprécier l’absence de consentement au regard des circonstances environnantes, préciser les cas dans lesquels le consentement ne saurait être déduit, et enfin toujours garantir les grands principes de notre droit, parmi lesquels la présomption d’innocence et la charge de la preuve. Je sais, que vous nous apporterez des réponses, comme vous l’avez fait durant vos travaux.

Ces cinq orientations vous ont permis, après un an d’auditions, de confrontations d’idées et de rédaction, d’aboutir à cette proposition de loi. Cette dernière a été saluée par le Conseil d’État, qui a fait plusieurs recommandations pour en renforcer la sécurité juridique. À travers plusieurs amendements et conformément aux travaux que nous avons menés ensemble lors des auditions, nous proposons d’introduire ces recommandations par voie d’amendement.

Des doutes, des débats et des questions demeurent. Comme lors des auditions, ils doivent être abordés, afin de créer le rassemblement le plus large possible autour de ce texte. Cette proposition est grandement attendue par nos concitoyennes et nos concitoyens. Elle doit contribuer à construire une société davantage fondée sur le respect et l’écoute de l’autre, plutôt que sur la domination et la soumission.

Le groupe EPR soutiendra ce texte.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Lorsque j’aurai terminé mon intervention, une femme aura été agressée, car une tentative de viol ou un viol sont commis en moyenne toutes les deux minutes trente dans notre pays. L’affaire Pelicot l’a tristement rappelé, le viol est un crime de masse. Ces crimes sont-ils connus de la justice ? Sont-ils poursuivis ? Le préjudice des victimes est-il réparé ? La réponse est trop souvent non : seuls 15 % des 160 000 viols et tentatives de viol commis chaque année sont connus de la chaîne judiciaire, moins de 1 % sont condamnés, 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite. Laisser la justice dysfonctionner ainsi, c’est manquer de reconnaissance pour les victimes. C’est leur dire : « Votre viol n’existe pas aux yeux de la société. Il ne sera ni reconnu, ni traité, ni réparé. » C’est inacceptable.

L’une des explications vient d’un manque dans notre droit pénal, rappelé par les Nations unies et la Cour européenne des droits de l’homme en 2023 : la définition du viol héritée de la loi de 1980 repose sur quatre critères matériels mais omet le consentement, reconnu pourtant par la jurisprudence depuis le XIXe siècle. C’est cette notion, définie de manière féministe comme un accord spécifique, libre, révocable et enthousiaste, qui permet de distinguer la sexualité de la violence.

C’est parce que nous, les Insoumis, écoutons les professionnels, les syndicats et les associations, que nous avons été les premiers à proposer d’intégrer la notion de consentement à la définition du viol lors de notre niche parlementaire de novembre. Nous le savons, cela ne suffira pas. La culture du viol est un problème transversal et profondément ancré dans notre société. Le droit pénal n’y mettra pas fin. Mais la loi a une vertu pédagogique, et fait sa part du travail.

Il nous faudra aussi agir sur tous les fronts de la culture patriarcale. Or les gouvernements successifs empêchent toute évolution significative, en se contentant de réformes à coût zéro. Pas un seul nouvel euro n’est consacré à la justice, à l’éducation à la sexualité, à l’accompagnement des victimes ou à la lutte contre la récidive des auteurs.

La loi de 2001 qui prévoit une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle n’est toujours pas appliquée. À peine 15 % des élèves suivent ces cours pourtant obligatoires depuis vingt-quatre ans. Les associations chiffrent à 2,7 milliards par an les besoins pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles. Nous avons déposé les amendements nécessaires dans le projet de budget, afin par exemple que les femmes soient mieux accueillies en commissariat, que les gendarmes et les policiers soient mieux formés, que les recrutements de magistrats soient renforcés. Nombreux ont été adoptés en commission dans notre assemblée, mais ils ont ensuite été balayés par le 49.3 de M. Bayrou.

Ces limites n’enlèvent rien à la nécessité d’approuver la proposition de loi, et d’abord pour éviter les enquêtes de crédibilité des victimes, cette odieuse pratique qui consiste à évaluer si la victime a crié assez fort et s’est assez débattue, et qui oublie les vulnérabilités, l’emprise, la sidération ou l’inconscience pour en déduire un consentement tacite profitant à l’accusé. La victime a-t-elle, à un moment, désiré l’agresseur ? Quelles sont ses pratiques sexuelles ? Combien de partenaires a-t-elle eus auparavant ? La justice n’a pas à le savoir pour qualifier un viol. Elle sera invitée désormais à se focaliser non pas sur le comportement de la victime, mais sur celui du mis en cause, pour déterminer s’il a eu l’intention d’outrepasser le non-consentement et s’il a tâché de recueillir le consentement de la victime.

Une autre vertu de cette loi est qu’elle permettra enfin au droit français d’être conforme à la convention d’Istanbul sur les violences sexuelles, que la France a ratifiée en 2014 et qui prévoit, dans son article 36, que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».

Cette loi sécurisera les avancées de la jurisprudence, qui reconnaît de longue date le consentement. Elle apportera une sécurité juridique aux plaignantes, pour l’heure exposées à un flou interprétatif qui ne peut leur être que préjudiciable. Et, malgré ce que peuvent déclarer ses contradicteurs, elle ne remet pas en cause la présomption d’innocence et conserve la recherche de l’élément moral. Les nouvelles dispositions ne suppriment pas les anciennes : il conviendra toujours de démontrer l’intention de l’accusé de violer, en s’appuyant sur la matérialité des faits.

Pour tout cela, nous voterons pour ce texte. Et au Rassemblement national, qui a profité de ce débat pour user de ses arguments racistes, je rappelle que dans l’affaire Pelicot, dans l’affaire Bétharram, dont il ne parle jamais, dans l’affaire Le Scouarnec, les mis en cause ne sont pas des étrangers.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). « Le drame de cette attitude c’est que, qu’on le veuille ou non, nous sommes acculées, nous, plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que, mais non !, nous n’avons pas consenti. Alors, si vous n’avez pas consenti, expliquez-vous là-dessus, sur ce geste, sur ce regard, sur cette attente, sur ce délai que vous avez mis pour déposer plainte. Bref, le procès n’est plus le même. Les plaignantes deviennent des accusées, et elles doivent prouver qu’elles n’ont pas consenti. » Ces mots sont ceux de Gisèle Halimi, prononcés à Aix-en-Provence en 1978. Grâce à eux, le viol fut reconnu, deux ans plus tard, comme un crime.

À l’époque, le législateur choisit d’écarter la notion de consentement, jugée trop subjective. Il craignait que le débat se concentre sur le comportement des victimes plutôt que sur l’acte criminel lui-même. Plus de quarante ans plus tard, l’objectif premier de la proposition de loi que nous examinons est de s’attaquer à ces viols et agressions sexuelles, qui sont encore trop nombreux et insuffisamment condamnés.

Seuls 14 % des faits de viol traités par les forces de l’ordre franchissent la frontière symbolique des commissariats pour aller devant la justice. Le taux de classement sans suite est vertigineux : 94 % en 2020 pour les viols. Ces chiffres de la honte révèlent un problème structurel de notre système juridique et policier.

Pour ses défenseurs, l’introduction du consentement dans la définition pénale du viol permettrait de combler certaines lacunes de notre droit et de mieux appréhender des situations spécifiques comme l’état de sidération de la victime, les viols sous emprise d’alcool ou les agressions durant le sommeil. Ce changement permettrait aussi d’aligner notre droit avec les exigences de la convention d’Istanbul, que la France a ratifiée en 2014. Le Conseil d’État a rappelé que la définition actuelle du viol, telle qu’interprétée par la jurisprudence, satisfaisait déjà ces deux exigences.

Autre argument, l’intégration du consentement dans la loi viserait à envoyer un message fort à la société, afin d’encourager le développement d’une véritable culture du consentement. Pourtant, et je le dis en tant que féministe engagée depuis de nombreuses années sur cette question, cette réforme soulève de profondes inquiétudes chez les avocats, les magistrats et les associations qui accompagnent les victimes.

En l’état en effet, la lettre de notre code pénal se concentre sur la volonté de l’auteur d’imposer une relation sexuelle. Cette proposition de loi réorienterait l’attention des juges – et, à travers eux, de la société tout entière – vers le comportement de la victime. Celle-ci serait ainsi placée sur le même plan que son agresseur, puisque la loi laisserait entendre que c’est l’attitude de la victime, et non l’acte du violeur, qui permet la qualification du viol.

Enfin, sur le plan symbolique, cette réforme sèmerait la confusion : une victime pourrait se convaincre qu’elle a consenti, simplement parce que cette notion est floue et subjective. Un oui n’est pas toujours un oui, d’ailleurs : un consentement extorqué sous la contrainte, la peur ou la sidération ne saurait être assimilé à un accord. Même si cette proposition de loi précise que le consentement doit être libre et éclairé, certaines situations démontrent que des individus peuvent consentir à des actes inadmissibles ; ce n’est pas pour autant que ces actes doivent être tolérés.

Comme nous l’avions souligné lors de la publication du rapport, aucune étude d’impact, aucune expérience internationale ne permet d’affirmer que ce changement garantira la reconnaissance de ce crime de masse dont sont victimes les femmes. Le Conseil d’État le souligne : il n’existe pas d’enseignement clair à tirer des réformes menées dans d’autres pays européens.

Même si l’opinion semble souhaiter ce changement, le mouvement féministe est loin d’être unanime ; on compte dans chaque camp, pour ou contre, des organisations dont la légitimité n’est pas à démontrer.

L’absence de moyens donnés à la justice est l’éléphant au milieu de la pièce, et nous espérons tous que ces débats permettront d’y apporter des réponses concrètes.

La loi pénale peut-elle répondre à une attente forte de l’opinion ? Peut-elle changer les valeurs de notre société et reléguer dans les caves de l’histoire la culture du viol ? C’est le pari que vous décidez de prendre.

Au vu de toutes ces incertitudes, notre groupe a choisi d’opter pour la liberté de vote, afin que chacune et chacun puisse exprimer son intime conviction.

Mme Émilie Bonnivard (DR). Je ne reviens pas sur les constats développés par les rapporteures. Cette proposition de loi précise que le consentement est libre, spécifique et révocable. Elle vise explicitement à rendre la loi pénale plus expressive en affirmant que le viol est un acte sexuel non consenti. C’est un progrès véritable en matière de respect de l’intégrité physique et psychique des femmes dans l’inconscient collectif, donc en matière de respect de l’égalité, principe fondamental de notre droit. Cette révolution mettra bien sûr du temps à infuser dans notre société.

La proposition de loi vise à répondre aux lacunes actuelles du code pénal, qui repose principalement sur la caractérisation d’éléments « matériels » du viol – violence, contrainte, menace, surprise. Malgré une jurisprudence qui permet, en creux, de rechercher le consentement à chaque moment de la procédure, et qui comprend de façon large les notions de contrainte et de menace, la loi actuelle reste fragile et son application peut différer suivant les juridictions. La proposition de loi permettra de faire positivement ce que le droit actuel ne fait pas : couvrir au mieux la totalité des cas de viol, par exemple effectués alors que la victime se trouve en état de sidération ou encore dans une situation de vulnérabilité ou d’emprise psychologique.

En revanche, elle ne permettra pas de répondre totalement à la fragilité intrinsèque des jugements pour viol ou agression sexuelle : la difficulté à établir les faits dans le respect de la présomption d’innocence, puisque les éléments matériels manquent dans la majorité des cas pour des faits qui se déroulent le plus souvent dans l’intimité, à l’abri des regards. Ces procès se font souvent parole contre parole.

Cette loi ne sera pas une baguette magique, et il serait hypocrite de lui demander de faire ce qu’elle ne pourra de toute façon pas faire seule. Mais elle couvrira des cas qui ne le sont pas aujourd’hui, ne serait-ce que tous ceux, nombreux, où la défense dit que « elle n’a pas dit non », « elle n’a rien dit », « elle ne s’est pas opposée », « je ne pouvais pas savoir ». Cette défense ne pourra plus être utilisée par les agresseurs.

Contrairement à Mme Thiébault-Martinez, je pense que ce changement de la loi déportera vers l’auteur présumé une partie des questions qui sont aujourd’hui adressées à la victime. Comment a-t-il recherché le consentement ? Les juges devront l’interroger sur ce point.

Le groupe Droite républicaine a été rassuré par le Conseil d’État sur deux points. D’une part, nous nous inquiétions d’un passage de la présomption d’innocence à une présomption de culpabilité parce que l’auteur n’aurait pas recherché de manière explicite, voire contractuelle, le consentement de la personne. Il est clair que l’absence de consentement ne doit pas être interprétée comme une présomption de culpabilité pour l’auteur présumé. D’autre part, le Conseil d’État indique qu’il ne sera pas question de demander une quelconque contractualisation : il reviendra toujours à l’accusation d’établir l’élément intentionnel. L’inscription de la notion de non-consentement, et non de celle de consentement, nous protège de cet écueil.

Nous voterons, pour l’essentiel, ce texte, avec plusieurs amendements proposés.

Mme Sandra Regol (EcoS). Les récentes affaires de soumission chimique ou le procès des viols de Mazan, qui ont agité les conversations des Françaises et des Français – et au-delà, puisque le procès Mazan est devenu emblématique dans le monde entier –, ont placé la question du consentement au cœur du débat. Comment consent-on ? Comment ne consent‑on pas ? Il nous revient, en tant que législateur, d’apporter des réponses à cette faille de notre droit.

Cette notion est difficile à traduire en termes juridiques. Il y a une jurisprudence, c’est vrai, mais cela veut dire aussi que selon l’endroit où vous habitez, la justice n’est pas rendue de la même manière. C’est ce qui a conduit une majorité de la représentation nationale à voter la proposition de loi défendue par Aurore Bergé qui visait à appliquer la jurisprudence de façon plus uniforme sur l’ensemble du territoire afin de faire avancer les droits des femmes.

Nos débats de ce matin sont l’aboutissement d’un long travail, pour moi comme sans doute pour beaucoup d’entre vous. Il faut trouver le juste moyen de traduire cette nécessité dans notre droit.

Nous savons toutes ce que veut dire ne pas consentir ; nous avons de ces situations une compréhension aiguë, viscérale. Exprimer le consentement de façon aussi viscérale est plus compliqué : il existe des oui qui n’en sont pas, des oui polis, des moments de sidération, une attitude qui n’est pas celle que l’on voudrait – mais nous savons aussi ce que veut dire consentir.

Trouver les mots justes est donc difficile. Comment permettre à chaque petite fille, dès son plus jeune âge, de dire qu’elle n’a pas envie d’être touchée, pas à ce moment, pas de cette façon ? Comment apprendre à tous les petits garçons, dès leur plus jeune âge, qu’ils peuvent dire que toucher leur corps n’est pas un dû ? Car il est vrai qu’on ne demande pas aux petits enfants s’ils veulent bien qu’on les embrasse, qu’on les étreigne, qu’on les porte : on le fait, on s’approprie leur corps, particulièrement celui des petites filles, et ce faisant on leur dit que leur consentement ne compte pas.

Cette proposition de loi vise à expliquer à toute la société, grâce au droit, que le consentement peut et doit s’exprimer, que nous en avons toutes et tous le droit.

Merci aux deux rapportrices pour leur long travail d’écoute. Elles ont entendu tous ces questionnements, toutes ces craintes, et elles ont travaillé non pas sur la définition du consentement, qui était très complexe, mais sur la définition de ce que n’est pas le consentement, afin que chacun et chacune puisse se l’approprier et se demander comment la traduire en droit. C’est un travail difficile et celles ont su répondre aux attaques contre leur projet. Je les remercie aussi d’avoir sollicité le Conseil d’État.

J’ai entendu que cette proposition de loi risquait de fragiliser les victimes et les procédures. Mais la police et la justice disent le contraire ! Cette proposition renverse la charge de la preuve. Depuis combien d’années les féministes répètent-elles que la honte doit changer de camp ? C’est ce que fait cette proposition de loi : le devoir de prouver change de camp. Oui, c’est l’agresseur qui doit prouver qu’il a obtenu le consentement.

Alors c’est vrai, il faudra plus de moyens, mais donnons-nous au moins cet outil.

M. Erwan Balanant (Dem). L’introduction du consentement ou du non-consentement dans la définition des agressions sexuelles est avant tout une question de société. Doit-on nécessairement y répondre dans le code pénal ? C’est tout le sujet de notre débat.

Une majorité de professionnels du droit, ainsi qu’une partie des associations féministes, s’accordent à dire que l’ajout de la notion de consentement dans la définition pénale des agressions sexuelles, et donc du viol, ne sera pas un ressort suffisant pour modifier la pratique des juridictions. Ces dernières tiennent en effet déjà compte du consentement, ou de son absence. La Cour de cassation, dans son contrôle des notions d’agression sexuelle et de viol, fait déjà du consentement la pierre angulaire de ses vérifications : elle comprend l’absence des quatre notions que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise comme une définition en creux du consentement. Le Conseil d’État a par ailleurs considéré dans son avis que « la définition actuelle de l’agression sexuelle telle que mise en œuvre par la jurisprudence satisfait aux exigences de la convention dite convention d’Istanbul ».

Il n’en demeure pas moins, le groupe Les Démocrates rejoint les rapporteures sur ce point, que la définition actuelle des agressions sexuelles ne peut être maintenue et qu’il faut intégrer au droit la notion de consentement ou de non-consentement. La loi pénale a une fonction expressive, comme aimait à le rappeler Robert Badinter, qui considérait que « la loi exprime, par les sanctions qu’elle édicte, le système de valeurs d’une société ».

Nous devons adopter une définition claire et pédagogique, mais aussi à même de protéger. Or, celle qui nous est proposée soulève quelques inquiétudes. Son exhaustivité risque de se révéler contre-productive, en permettant à la défense des interprétations a contrario préjudiciables aux victimes. Nous prenons le risque que les débats ne portent plus sur l’intention de l’auteur, mais sur le comportement de la victime : c’est déjà trop souvent le cas aujourd’hui, n’aggravons pas cette situation. Si l’on en vient à définir un crime par l’attitude et le comportement de la victime, on prend le risque de faire son procès plutôt que celui du mis en cause. Une définition plus simple de ces infractions nous éviterait de tomber dans cet écueil.

Par ailleurs, les termes retenus par le Conseil d’État soulèvent des interrogations. Je pense notamment aux mots « spécifique » et « révocable », qui me semblent manquer de précision et ouvrir la voie à une jurisprudence dissonante et fluctuante. Plus largement, si les termes « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » retenus par le Conseil d’État devaient être maintenus, peut-être pourrions-nous envisager une ossature plus claire.

Nous devons trouver un équilibre. Le texte que nous écrirons doit conserver l’architecture que nous connaissons et éviter une écriture trop floue ou trop complexe qui laisse penser aux victimes que les agressions sexuelles n’étaient pas condamnées auparavant par les juridictions, et aux auteurs que les actes qui étaient condamnés ne le sont plus.

En tout état de cause, le groupe Les Démocrates vous remercie d’inscrire ce sujet à l’ordre du jour de notre assemblée. Nos débats devront être sérieux, riches et éclairés pour aboutir à une définition qui prenne en compte les évolutions de la société tout en conservant la sécurité de notre définition actuelle.

M. Didier Lemaire (HOR). L’ampleur des violences sexuelles est alarmante et inacceptable. Le législateur ne peut rester indifférent face à cette réalité brutale qui fait plus de 270 000 victimes par an, en immense majorité des femmes. Le groupe Horizons & indépendants est profondément préoccupé par ce fléau qui mine notre société et porte atteinte à la dignité des victimes comme à l’intégrité de leur corps.

La libération de la parole ces dernières années a permis une prise de conscience collective, mais elle a aussi révélé l’insuffisance de notre système judiciaire. Le fait que 6 % seulement des victimes osent porter plainte est un échec cuisant pour notre société. Nous devons agir pour restaurer la confiance des victimes envers nos institutions et leur assurer qu’elles seront entendues et protégées.

Le taux effarant de 94 % de classements sans suite pour les affaires de viol est une injustice flagrante qui ne peut plus durer. Chaque victime mérite que justice soit rendue ; chaque agresseur doit être reconnu responsable de ses actes.

Je remercie Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton pour leur travail sérieux, ni dogmatique ni caricatural. Lors de la discussion d’une précédente proposition de loi sur le sujet, nous avions appelé de nos vœux un approfondissement de ce sujet ô combien complexe et grave. Les rapporteures font œuvre utile en permettant à nouveau à l’Assemblée nationale de se prononcer sur la question de la définition pénale du viol. Les changements proposés sont importants, certes, mais le Conseil d’État estime que le texte n’induit ni présomption de culpabilité, ni renversement de la charge de la preuve. C’est une objection majeure qui est ici levée.

Nous devons toujours modifier la loi d’une main tremblante, et c’est encore plus vrai s’agissant d’un sujet aussi grave et lourd de conséquences humaines. Nous nous réjouissons donc que de nombreux amendements aient été déposés. Nous pourrons ainsi aiguiser nos avis et confronter nos points de vue, afin d’aboutir à une solution aussi équilibrée que possible. Notre groupe y prendra toute sa part.

Mme Martine Froger (LIOT). Je salue le travail sérieux et de qualité mené par Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin. C’est la deuxième fois que notre commission a l’occasion de faire évoluer la définition pénale du viol et d’y inclure le consentement. En novembre dernier, nous n’avions pas voté le texte de Sarah Legrain ; je ne peux qu’espérer que cette nouvelle tentative trouvera une issue favorable.

Il est grand temps que notre assemblée se saisisse de la question du consentement. Qui peut sincèrement croire que notre système pénal défend efficacement les femmes victimes d’agression sexuelle ? Combien de temps, combien de victimes laissées de côté avant que notre parlement ne se décide à légiférer ?

Votre texte suscite beaucoup de débats. Vos opposants les plus fermes lancent même l’alerte en parlant d’un « piège du consentement ». Pourtant, notre droit est pavé de consentements : nous devons donner notre consentement à chaque étape de notre journée ; il est partout, sauf dans la définition pénale des agressions sexuelles. Cela devient choquant. Il est temps d’intégrer cette notion à notre droit.

Le droit ne protège pas efficacement les victimes, comme en témoigne le taux de classement sans suite de 94 %. Votre texte est très attendu et permettra de réprimer toutes les atteintes sexuelles non consenties.

L’ajout proposé va indéniablement dans le bon sens mais reste largement perfectible. Le groupe LIOT est favorable à la réécriture suggérée par le Conseil d’État, limpide et précise, selon laquelle le consentement doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Nous espérons que le débat parlementaire permettra d’améliorer le texte.

Nous alertons aussi sur la nécessité de peser le choix de chaque mot et de suivre l’ensemble des recommandations du Conseil d’État, afin d’assurer la solidité juridique du texte. Par le passé, des définitions inadéquates ont eu des conséquences substantielles pour les victimes, notamment la censure en 2012 par le Conseil constitutionnel du délit de harcèlement sexuel, qui a stoppé net de nombreuses poursuites. Les enjeux sont trop importants pour prendre le risque de l’inconstitutionnalité qui naîtrait d’une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

Au-delà de cette réserve, je soutiendrai cette proposition de loi. Notre droit permettra ainsi de rendre justice aux femmes. Ce doit être un premier pas : ce changement ne suffira pas à aider les femmes à parler, à éviter des classements sans suite ou à obtenir une condamnation ferme. Il faudra des évolutions plus profondes de l’ensemble des pratiques afin que le système judiciaire soit enfin du côté de victimes.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Je remercie les deux rapporteures pour leur travail et surtout pour leur méthode. Même sur des textes transpartisans, cette volonté d’entendre les craintes de chacun pour avancer est assez rare pour être soulignée.

Nous l’avons tous dit, notre système présente des carences incompréhensibles – le peu de plaintes, le peu de procès, le nombre très important de classements sans suite, le fait que si peu de victimes soient reconnues comme telles et reçoivent une réparation.

Pourquoi ces chiffres effarants ? Cela tient-il aux conditions d’accueil, au manque de preuves ? Devons-nous légiférer sur le consentement ? Nous l’avons déjà fait en portant l’âge de majorité sexuelle à 15 ans : il s’agissait déjà à l’époque de consentement.

Cette proposition de loi permettra-t-elle des changements profonds ? Je l’espère, mais j’en doute. Permettra-t-elle davantage de condamnations ? Ce n’est pas sûr. Certes, on entend encore des défenses du type « elle n’a pas dit non » et « je ne pouvais pas savoir », mais cela suffit-il à éviter la condamnation ? Dans l’affaire Pelicot, ceux qui ont osé utiliser ces arguments n’ont pas convaincu leurs juges.

Cette loi évitera-t-elle aux victimes de longs interrogatoires, des questions déplacées ou malaisantes sur leur consentement ? Probablement pas : dans notre système inquisitoire, pendant de la présomption d’innocence, il est nécessaire de rechercher si le suspect a obtenu le consentement, mais également si la victime avait manifesté son non-consentement. Il y va de la manifestation de la vérité et de la nécessité pour les juges et les jurys de se forger une intime conviction.

Cette proposition de loi implique-t-elle une modification profonde de notre droit ? Certains lui prêtent pour conséquence que la honte changera de camp, que l’adversaire devra prouver seul que la victime avait consenti. Nous irions ainsi vers un renversement de la charge de la preuve. Pour en avoir discuté avec les rapporteures, je sais que cela n’est pas le cas, mais si certains le pensent encore, cela signifie que la rédaction actuelle du texte laisse subsister un doute et que nous devons la retravailler.

Nous peinons encore à saisir toutes les conséquences de cette proposition de loi. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut encore en améliorer la rédaction.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Disons-le d’emblée : la lutte contre les violences sexuelles mérite tout notre engagement et je crois pouvoir dire que personne ici ne le conteste.

Nous devons protéger les victimes avec fermeté, mais sans jamais céder sur les fondements de notre justice pénale. Or, cette proposition de loi soulève des inquiétudes majeures ; nous risquons de basculer vers une justice de l’intime conviction où la parole seule tiendrait lieu de preuve et où l’accusé serait implicitement présumé coupable. Ce n’est pas notre conception de l’État de droit.

La première inquiétude qui persiste est évidemment celle de la charge de la preuve. Depuis toujours, en France, c’est à l’accusation de prouver l’infraction, pas à l’accusé de prouver son innocence. En construisant le viol uniquement autour du non-consentement, sans exiger de preuve matérielle, on inverse quoi qu’on en dise cette logique. On met l’accusé dans une situation impossible : devoir prouver qu’il avait le consentement. Comment, avec quoi, par quels moyens ?

La deuxième inquiétude persistante concerne la présomption d’innocence. C’est un principe constitutionnel : elle n’est pas négociable. Mais dans ce texte, on laisse entendre que l’absence de oui clair pourrait suffire à caractériser une infraction. Si le doute ne bénéficie plus à l’accusé, alors la justice française disparaît, pour laisser place à la justice de l’émotion.

La troisième inquiétude concerne la remise en cause du doute raisonnable. La justice pénale ne condamne pas sur des impressions : elle exige des preuves, des faits, des éléments concrets, et le doute raisonnable doit toujours profiter à l’accusé, même dans les affaires les plus sensibles.

Oui, nous devons nommer les choses ; oui, nous devons faire avancer le droit ; mais nous ne pouvons pas sacrifier les piliers de notre justice pour des effets symboliques. Notre responsabilité de législateur, c’est de protéger les victimes en même temps que les libertés, car l’un ne va pas sans l’autre.

Je note que la gauche, qui à longueur de temps brandit nos principes fondamentaux à des fins dogmatiques ou politiques, n’hésite pas à les malmener quand ils dérangent son militantisme.

En l’état, le groupe UDR ne votera pas ce texte, au nom du droit, de l’équité et de la justice républicaine.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Stéphane Mazars (EPR). Je souscris à l’impérieuse nécessité de trouver les moyens de mieux poursuivre et condamner les auteurs de violences sexuelles : trop de plaintes restent aujourd’hui sans suites. Je reconnais aussi l’intérêt de disposer, dans notre droit pénal, d’une définition pédagogique des infractions sexuelles, car la culture du viol imprègne encore les relations hommes-femmes dans notre société.

Par contre, je suis encore dubitatif sur la capacité de votre proposition de loi à répondre au moins au premier de ces objectifs, même si je sais que c’est votre intention.

La notion de consentement est déjà présente dans les débats judiciaires. Lorsqu’on enquête sur la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, elle est déjà abordée, et constitue d’ailleurs souvent un argument de défense pour les personnes mises en cause. Laisser penser que la nouvelle définition permettra enfin de mieux enquêter sur cette notion pourrait mener à des désillusions – à moins que l’on ne fasse désormais peser, en pratique, sur la personne mise en cause la charge de la preuve. C’est pour moi une source d’inquiétude, même si je sais que le Conseil d’État écarte ce risque dans son avis : je ne suis pas certain que le Conseil constitutionnel appréciera le texte de la même façon.

Intégrer le consentement dans la définition du viol, c’est aussi définir l’infraction non plus sur le fondement du seul comportement de l’auteur, mais sur celui de la victime. Je crains que cette discussion ne se fasse finalement au détriment des plaignantes.

Et comment appréhender cette notion ? Quid de la théorie des vices du consentement, de la capacité à consentir, de la rétractation, du repentir ? Il est aussi erroné de laisser penser que la référence aux circonstances environnantes est une avancée : c’est déjà la pratique des enquêteurs et des juges.

Mme Karine Lebon (GDR). Ma position quant à l’inscription du non‑consentement dans la loi a évolué. Engagée depuis plusieurs années au sein de l’Union des femmes réunionnaises, je sais à quel point le combat mené par les femmes qui osent porter plainte pour viol ou agression sexuelle est difficile, d’autant que la majorité se bat contre un conjoint, un ami, un père. L’idée de leur imposer la charge de prouver leur non-consentement ne m’était pas acceptable et le risque de renversement de la charge de la preuve était trop grand.

Puis vous avez mené de nombreuses auditions et nous avons longuement échangé. J’ai moi-même fait mes recherches. Merci pour tout cela, car j’ai ainsi pu affiner ma position.

Évidemment que ce texte est utile ! À quoi servirions-nous, à quoi serviraient notre travail et celui de nos équipes si la loi ne servait pas aussi à faire changer les mentalités ? Plusieurs magistrats nous l’ont dit : cette proposition de loi aura à tout le moins une fonction expressive. Elle permettra de dire à la société qu’un non est un non, qu’un silence est un non, qu’un état comateux est un non, qu’une minijupe ou un verre de trop n’est pas un oui. Un oui ne s’interprète pas : il faut en finir avec les « qui ne dit mot consent », « elle n’a pas vraiment dit non », « je pensais que cela voulait dire oui », « elle n’a rien dit ».

Certains magistrats voudraient nous faire croire que le sexisme et les clichés n’existent pas au sein de la justice française : ne soyons pas naïfs et ayons conscience de ses qualités, mais aussi de ses failles. Dans certaines cours, il est clair que l’application de ce texte prendra du temps. Mais n’est-ce pas le propre de tous les combats féministes ? Nous y sommes habituées, malheureusement.

À La Réunion, on dit dann oui na pwin batay : en disant oui, on s’épargne les discussions et les éventuelles disputes. Désormais, attendre et entendre un oui évitera surtout de briser la vie d’une femme.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Merci pour cette proposition de loi qui porte la voix de milliers de victimes, qui doivent être protégées et défendues.

Ma position diffère de celle de ma collègue Céline Thiébault-Martinez. Je respecte son avis, mais je considère que rappeler qu’un acte sexuel non consenti est une agression sexuelle et définir le consentement ne fragilisent pas la jurisprudence actuelle. Cette nouvelle définition recentre l’attention sur l’auteur et non sur la victime, au contraire de ce que l’on entend beaucoup. Le consentement est demandé pour d’innombrables actes de la vie quotidienne : pourquoi pas lorsqu’il s’agit du corps d’une femme ?

En consacrant dans la loi la notion de consentement, on envoie un message fort pour déconstruire la culture du viol et passer à la culture du consentement. On donne aussi un outil supplémentaire à la justice pour poursuivre plus de cas.

J’attends beaucoup de ces débats et, à titre personnel, comme d’autres députés de mon groupe, je soutiendrai ce texte.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Je suis heureuse de voir ces débats reprendre et, je l’espère, aboutir. Je note que, depuis le moment où je défendais l’inscription dans la loi de la notion de non-consentement dans la définition du viol et de l’agression sexuelle, au mois de novembre dernier, les députés se sont emparés de ces questions et de ces arguments. Je vois avec satisfaction les positions évoluer. Je salue donc le travail d’argumentation qui a été mené, tout comme je salue toutes les organisations qui ont porté cette idée.

En revanche, s’il y a un camp qui ne change pas, c’est bien celui de l’extrême droite, qui reprend exactement les mêmes arguments contradictoires : alors qu’ils nous ont habitués à tancer notre justice pour son laxisme, à demander toujours plus de répression, à exiger des peines planchers, il faudrait d’un coup – au nom de l’individualisation de la justice et de la présomption d’innocence, tiens donc – renoncer à un texte qui est au contraire très encadré et qui permettra précisément d’éviter 94 % de classements sans suites dans les agressions sexuelles et des viols. Décidément, vous faites preuve de constance : ce que vous appelez la justice ne vous intéresse que si elle sert à réprimer, et tout particulièrement les étrangers. Vous avez voulu faire ce lien ; pourtant, M. Pelicot et les violeurs qui l’accompagnaient n’étaient pas étrangers, et il n’y a pas d’étrangers dans l’affaire Bétharram. De cela, vous ne parlez pas.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Je vous remercie pour la qualité de vos interventions et pour vos questions. Sachez que nous avons été traversées par les mêmes, ce qui explique pourquoi notre travail sur ce sujet technique a été long et pourquoi nous avons saisi le Conseil d’État.

Monsieur Gouffier Valente, nous aspirons effectivement à un changement de paradigme : il faut passer de la culture du viol à la culture du consentement. Pour garantir la solidité juridique du dispositif, nous intégrerons l’ensemble des recommandations formulées par le Conseil d’État.

Madame Cathala, au-delà des trois fonctions de la loi pénale, répressive, expressive et protectrice, nous sommes évidemment attachées à la dimension pédagogique du texte. L’objectif de cette nouvelle rédaction est d’offrir aux juges de nouveaux outils et une autre méthode d’enquête, en particulier pour établir comment l’auteur des faits s’est assuré du consentement de la plaignante. Plus largement, il s’agit de renforcer la formation des magistrats et des forces de l’ordre.

Madame Thiébault-Martinez, la définition du viol date de 1980 : quarante-cinq ans plus tard, les mots de Gisèle Halimi restent d’une actualité terrifiante. Le questionnement continue d’être centré sur la victime, alors qu’il faut se demander comment l’auteur s’est assuré du consentement. C’est l’enjeu de la définition que nous proposons. Les chiffres montrent bien que l’impunité continue de dominer, preuve que la seule jurisprudence est insuffisante. Au reste, son application hétérogène sur l’ensemble du territoire la prive de fait de la dimension expressive attachée à la loi pénale. Le groupe d’experts sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme nous enjoignent d’ailleurs d’intégrer la notion de consentement dans la définition du viol. En Suède, cette démarche a porté ses fruits : les condamnations ont augmenté de 75 %.

Madame Bonnivard, nous intégrerons bien l’ensemble des préconisations du Conseil d’État. Rassurez-vous, la nouvelle définition n’entraînera pas de glissement de la présomption d’innocence vers une présomption de culpabilité : la caractérisation d’un viol continuera de dépendre de la matérialité de la preuve par la démonstration de l’un des quatre éléments constitutifs – violence, contrainte, menace, surprise. C’était un point important pour nous.

Monsieur Balanant, vous avez insisté sur l’importance de la dimension pédagogique et la nécessité de protéger les victimes : ce sont bien ces deux éléments qui nous ont conduites à proposer une méthode d’enquête différente. Et c’est précisément pour proposer une définition du viol la plus claire possible que nous avons choisi de nous appuyer plutôt sur la notion de non-consentement, tout en précisant que le consentement « est apprécié au regard des circonstances environnantes. » Par ailleurs, vous regrettez l’usage du terme « spécifique » pour caractériser le consentement. Mais aux yeux du Conseil d’État, ce mot « rappelle l’autonomie du consentement pénal, marque la nécessaire adéquation du consentement aux circonstances de temps et de lieu, et enfin appelle une définition des actes sur lesquels il porte ».

Monsieur Mazars, le consentement est effectivement déjà questionné dans la pratique : ce que nous voulons, c’est donner de nouveaux outils au juge.

Enfin, madame Ricourt Vaginay, je ne peux pas laisser passer vos contrevérités. Ce texte ne permettra évidemment pas de caractériser un viol par la seule absence de consentement : la matérialité des faits et l’intentionnalité de leur auteur resteront des éléments nécessaires. Il s’agit seulement de donner aux enquêteurs davantage de moyens pour vérifier comment l’auteur s’est assuré du consentement.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Madame Blanc, vous nous reprochez un texte purement théorique : au terme de quatorze mois de travaux et d’une centaine d’auditions – praticiens du droit, victimes, acteurs de la prise en charge des victimes, forces de police – je pense au contraire que nous sommes largement entrées dans la pratique. C’est justement parce que nous légiférons pour des personnes vulnérables que nous sommes particulièrement prudentes et que nous avons pris le temps de mener nos travaux. L’intégration dans le texte de l’ensemble des recommandations du Conseil d’État permettra de parachever la solidité de la définition proposée et d’éviter toute insécurité juridique.

Monsieur Gouffier Valente, je vous remercie pour votre soutien assidu : je sais votre engagement personnel sur ce sujet.

Madame Cathala, nous souscrivons à votre constat : il faut insister sans cesse pour renforcer les moyens, notamment en matière de formation, ainsi que le soutien aux associations chargées de la prévention des violences sexistes et sexuelles.

Madame Thiébault-Martinez, même si cette nouvelle définition vise à pointer du doigt les stratégies des agresseurs, les victimes restent au cœur de l’audience. Déjà lors des débats en 1980, le viol était considéré avant tout comme le viol du consentement. C’est dans cette lignée que nous nous inscrivons. Comme vous le soulignez, certains acteurs sont effectivement inquiets ; mais les attentes sont aussi immenses et les appels à la clarification de la loi pénale sur la question du consentement nombreux. Rassurez-vous : comme vous, nous considérons qu’un oui n’en est pas toujours un. Il peut être le fruit d’une vulnérabilité particulière, et c’est pour protéger les victimes que nous avons précisé le défaut de consentement. Il n’y a jamais de consensus parfait autour d’une réforme de droit pénal, mais ce texte est soutenu par de nombreuses associations. La définition actuelle du viol n’est pas satisfaisante, et je n’accepte pas l’idée qu’autant de victimes soient aujourd’hui laissées de côtés simplement du fait de l’absence d’harmonisation de la jurisprudence. Cette inégalité face à la loi est inacceptable.

Madame Bonnivard, je vous remercie pour votre travail et votre présence aux auditions ; je crois qu’elles ont permis de forger votre avis. Comme nous l’avons toujours dit, ce texte n’est pas une baguette magique, seulement une première pierre lancée dans le mur de l’impunité. Permettez-moi de revenir sur le « parole contre parole ». Si l’on en croit les professionnels, il est très rare d’en être réduit à cette situation si les moyens sont suffisants pour mener correctement l’enquête. En élargissant l’objet de la preuve, le texte permettra aussi de dépasser cette situation, puisque l’absence de consentement pourra être appréhendée à travers d’autres éléments que les quatre critères constitutifs. N’oublions pas que le viol est souvent le fruit d’une stratégie.

Madame Regol, merci d’avoir souligné la complexité de la notion de consentement et les dimensions éducative et préventive du texte, essentielles pour protéger les générations à venir. Je rappelle qu’un enfant est victime de viol, d’agression sexuelle ou d’inceste toutes les trois minutes. C’est aussi pour eux que nous voulons passer de la culture du viol à la culture du consentement.

Monsieur Balanant, le code pénal est le reflet des évolutions de la société et des valeurs que nous voulons protéger : sur ce sujet en particulier, elles méritent d’être actualisées.

Monsieur Lemaire, merci d’avoir souligné que l’ampleur de l’impunité en matière de viol et d’agressions sexuelles signait un échec sociétal. Nous avons rédigé d’une main tremblante : une partie des amendements sont rédactionnels et tendent à intégrer les recommandations du Conseil d’État afin de sécuriser le texte – je sais que cet avis a permis de rassurer certains collègues. J’espère qu’ils seront adoptés.

Madame Froger, merci pour votre position constante sur ce sujet. Comme vous l’avez souligné, en réalité, le consentement est partout dans notre quotidien : c’est une question de respect mutuel et de communication. Il n’y a guère qu’en matière sexuelle qu’il devient un gros mot.

Madame Lebon, je vous remercie d’avoir rappelé qu’à l’instar de la société, l’institution judiciaire reste traversée par des biais sexistes. La portée interprétative de notre texte entraînera des conséquences pour toute la chaîne judiciaire. C’est là l’une de ses forces : faire passer la justice elle-même à la culture du consentement.

M. le président Florent Boudié. Merci à toutes les deux pour la qualité et la précision de vos réponses, qui traduisent bien le travail approfondi que vous menez depuis plusieurs mois.

Article unique : (art. 222-22, 222-22-1, 222-22-2 et 222-23 du code pénal) Inscription de l’absence de consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Amendement de suppression CL14 de Mme Céline Thiébault-Martinez

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol est problématique.

Tout d’abord, cela conduirait à remplacer une définition objective, appuyée sur quatre éléments constitutifs, par une notion instable et difficile à définir en droit. Ensuite, cela reviendrait à nier que le viol et les agressions sexuelles sont avant tout le fruit d’un processus criminel et que c’est donc à l’auteur de l’infraction, et non à la victime, d’être au cœur de la procédure.

Comme l’a rappelé le Conseil d’État, le droit pénal français permet déjà de juger l’ensemble des circonstances de viol : l’introduction de la notion de consentement est donc superflue. De la même façon, la jurisprudence actuelle permet déjà à la France d’être en conformité avec ses engagements internationaux. Ces deux arguments ne valent donc pas.

À nos yeux, l’impunité et la mauvaise prise en considération des victimes tiennent surtout au manque de moyens alloués à la justice pour mener les enquêtes dans de bonnes conditions, en particulier pour collecter des preuves.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Nous partageons vos inquiétudes, et avons déposé plusieurs amendements pour y répondre.

L’auteur doit effectivement être remis au centre du viol. C’était déjà l’intention du législateur en 1980, mais force est de constater que les investigations continuent d’être orientées vers la victime. Il faut changer cette pratique.

La notion de consentement, pourtant centrale dans les investigations, ne figure pas dans la loi. On ne peut donc pas s’en tenir à la définition actuelle : nous devons prendre nos responsabilités et inscrire dans la loi la notion de non-consentement. Au reste, contrairement à ce que vous affirmez, elle n’est pas réservée au droit civil, comme le confirme le dixième paragraphe de l’avis du Conseil d’État : ce dernier la relève dans les infractions portant atteinte à la vie privée et à la représentation de la personne, ou dans celle relative à l’interruption volontaire de grossesse. Il ajoute d’ailleurs, si cela peut vous rassurer, que ni l’existence d’un consentement civil, ni un accord de nature commerciale ne peuvent permettre de présumer l’existence d’un consentement propre à écarter la qualification d’agression ou de viol.

Enfin, en indiquant que la France est en conformité avec la convention d’Istanbul grâce à la jurisprudence, le Conseil d’État souligne en creux que notre droit positif, lui, ne l’est pas.

L’adoption de votre amendement priverait en outre la commission d’un débat nourri sur tous ces éléments. Nous y sommes défavorables.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Si insuffisant soit-il pour faire face au fléau des violences sexuelles, ce texte a le mérite de clarifier la limite entre sexualité et violence, et de mettre notre droit en conformité avec la jurisprudence et les exigences du droit international.

Contrairement à ce qui a été affirmé, notre cadre juridique n’est pas suffisant. Le Conseil de l’Europe a encore rappelé récemment qu’en France, la définition juridique des infractions sexuelles n’était pas fondée de manière explicite sur le non-consentement libre et non équivoque de la victime. Selon le Grevio, les victimes y subissent « une forte insécurité juridique du fait d’interprétations fluctuantes des éléments constitutifs et de l’incapacité desdits éléments à englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération ». En 2023, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes exhortait la France à aligner sa législation sur la convention d’Istanbul ; la même année, la Cour européenne des droits de l’homme interrogeait la France sur le respect de ses obligations « d’adapter et d’appliquer de manière effective des dispositions en matière pénale afin que soient incriminés et réprimés tous les actes sexuels non consensuels. » La Cour de cassation, enfin, dans un arrêt du 11 septembre 2024, a reconnu que l’état de sidération pouvait caractériser une absence de consentement dans les cas de viol ou d’agression sexuelle. Je crois que personne, ici, n’est opposé à ces institutions.

En sécurisant la jurisprudence, ce texte garantira à toutes les victimes le même traitement partout dans le territoire.

M. Erwan Balanant (Dem). Que Mme Thiébault-Martinez, connue de longue date pour ses convictions féministes, dépose un amendement de suppression de l’article unique avec le soutien d’associations féministes majeures doit nous pousser à nous interroger. Je pense que, comme nous tous, elle veut avancer sur ce sujet.

L’inscription du non-consentement dans la définition du viol est une question à la fois sociétale et pénale. Certes la dimension pédagogique du texte est importante, mais il faut avant tout aboutir à une rédaction parfaitement sécurisée : on ne peut pas prendre le risque que la nouvelle définition entraîne des dysfonctionnements, surtout que tous les magistrats ont confirmé, y compris dans vos auditions, qu’elle n’apporterait rien à leur pratique. Soyons prudents.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Comme l’a dit Erwan Balanant, déposer un amendement de suppression n’est pas une démarche anodine, et doit donc nous interroger. En tout état de cause, le groupe EPR y est opposé.

Vous considérez que le problème réside uniquement dans le manque de moyens, rendant inutile une évolution de la définition du viol. Or, à la faveur de deux lois de programmation, les moyens de la justice ont été considérablement augmentés depuis 2017. Le budget de la justice aura même doublé d’ici à 2027 – c’est inédit.

Quant à la définition actuelle, nous y sommes attachés, il faut la protéger, mais elle n’est pas exempte de défauts. Il faut l’améliorer, notamment en introduisant la notion de consentement qui est au cœur de chacun des procès. Vous la jugez instable : à nous de la définir pour l’introduire de la manière la plus sécurisée possible dans notre droit. C’est l’objet de ce texte.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cette proposition de loi ne mettra pas fin à l’impunité des auteurs de viols et d’agressions sexuelles.

Considérer que l’introduction de la notion de consentement dans la définition pénale du viol permettrait d’un seul coup de prendre en compte l’état de sidération des victimes dans la caractérisation de l’acte, comme le fait Mme Cathala, me semble relever d’une vision relativement extensive du consentement, et pas très opérationnelle.

Contrairement à ce que d’aucuns laissent croire, il n’y a pas de consensus autour de la question du consentement : plusieurs associations sont fermement opposées à son introduction dans la loi. Peut-être est-ce une question de rédaction, mais je pense surtout que nous avons encore besoin d’en débattre. Je note au passage que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes n’a rendu aucun avis sur ce texte.

Je vais retirer l’amendement, mais j’aimerais que mes remarques soient prises en compte d’ici à l’examen dans l’hémicycle.

L’amendement est retiré.

Amendement CL46 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant (Dem). Il s’agit d’une réécriture de l’article qui reprend un certain nombre des propositions des rapporteures, ainsi qu’une partie – une partie seulement – des préconisations du Conseil d’État. D’autres en revanche me semblent problématiques. Je rappelle d’ailleurs que le Conseil d’État peut se tromper – cela lui arrive même régulièrement – et parfois être désavoué ensuite par le Conseil constitutionnel.

Il était temps que le mot « consentement » apparaisse enfin dans le code pénal, mais pourquoi y associer un terme comme « révocable », qui ne figure nulle part ailleurs, sauf s’agissant de sursis ou de rapports contractuels ? Je propose d’ôter ce mot pour aboutir à une définition claire, simple et sécurisée du viol, puisque c’est bien là l’objectif.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Nous préférons nous en tenir strictement à l’équilibre construit avec le Conseil d’État. Notre texte n’a pas vocation à être parfaitement exhaustif, mais plutôt à servir de boussole pour les juges.

Introduire la notion de consentement sans y apporter de précisions serait le cas de figure le plus dangereux pour les victimes : cela ouvrirait la voie à l’instrumentalisation du consentement. Cela éluderait aussi quelque chose d’important au regard de la dimension expressive du droit, qui nous est chère à tous les deux.

Lorsqu’elle a été introduite dans le code pénal, la notion de surprise n’était pas bien comprise ; aujourd’hui encore, cette méconnaissance conduit à penser qu’elle désigne la surprise au sens émotionnel, alors qu’il s’agit de la surprise du consentement. Pourtant, aujourd’hui, personne ne remet en cause cet ajout dans le code. Je crois qu’il en va de même pour les deux termes que vous incriminez, « spécifique » et « révocable », qui sont par ailleurs clairement définis dans l’avis du Conseil d’État : ces ajouts sont novateurs, mais dans quelques années, on ne pourra plus s’en passer. Le terme « spécifique » permet d’insister sur la nécessité d’un consentement particulier pour chaque acte, par exemple un accord pour un acte de pénétration avec préservatif n’est pas un accord pour un acte de pénétration sans préservatif. La suppression du terme « révocable », elle, fragiliserait grandement les victimes en conduisant à estimer que le consentement est acquis une fois pour toutes. Avis défavorable.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Monsieur Balanant, je vous fais crédit de vouloir améliorer le traitement des violences sexistes et sexuelles dans notre pays, mais votre amendement fait tout l’inverse. Introduire la notion de consentement sans la définir ne sécurisera pas les victimes. Au contraire, c’est très dangereux : d’une certaine manière, cela revient à entériner le statu quo dans la loi alors qu’en pratique, le mot « consentement » apparaît déjà dans toutes les procédures – souvent dans la bouche des hommes mis en cause.

À l’inverse, s’appuyer sur la notion de non-consentement implique de s’assurer que le consentement a bien été donné de manière libre et éclairée. Il est également important de préciser que ce dernier n’est pas donné une fois pour toutes, pour n’importe quel acte, à n’importe quel moment de la vie.

Par ailleurs, vous dites que l’essentiel réside dans les moyens alloués à la lutte contre ces violences. Permettez-moi de vous rappeler que M. Bayrou, dans son budget, que vous avez soutenu, s’est assis sur des amendements adoptés lors de la discussion et qui dotaient la justice de 550 millions supplémentaires pour financer la formation des policiers et des magistrats, l’accueil des victimes de violences conjugales, l’aide juridictionnelle.

Au-delà des moyens, nous devons réfléchir sérieusement à la façon dont nous voulons faire évoluer la loi, pour éviter qu’in fine, elle se retourne contre les victimes ou crée de l’insécurité juridique. Ce ne serait satisfaisant pour personne.

M. Erwan Balanant (Dem). Madame la rapporteure, vous avez raison, mais je n’adhère pas à la rédaction que vous proposez.

Le code pénal ne définit pas les termes de violence, contrainte, menace ou surprise, il les énonce. Ensuite, les juges font leur travail en bâtissant une jurisprudence. C’est ainsi que s’écrit la loi.

En voulant définir le consentement, vous oublierez immanquablement des manières de consentir ou de ne pas consentir. Vous priverez ainsi le juge dans certains cas de la possibilité de considérer que le consentement n’a pas été donné.

J’étais initialement très réticent à l’introduction de la notion de consentement car la référence à la violence, contrainte, menace ou surprise et la jurisprudence qui s’y rapporte me semblaient puissantes. Je suis désormais convaincu de sa nécessité, mais la rédaction que vous avez choisie risque de fragiliser la position des victimes.

Lors de leur audition par la commission d’enquête sur les violences dans le monde du spectacle, certaines actrices ont reconnu avoir dit oui. Avec votre définition du non‑consentement, il ne serait pas possible dans leur cas de caractériser le viol. Avec ma rédaction, le juge pourrait prouver la situation de viol.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Si l’on vous suit, le viol serait le seul crime dont la définition repose exclusivement sur la jurisprudence. Or, manifestement celle-ci ne suffit pas à couvrir tous les cas de figure.

Je souhaite clarifier un point qui a été évoqué à plusieurs reprises : aux termes de la proposition de loi, le fait de dire oui ne vaut évidemment pas consentement. Nous n’avons pas travaillé pendant quatorze mois sur ce texte pour tomber si facilement dans le panneau. La mention du caractère éclairé du consentement et des circonstances environnantes a précisément pour but de rappeler au juge qu’un oui n’est pas toujours un oui.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL16 de Mme Sophie Blanc

Mme Sophie Blanc (RN). Afin de mieux protéger les victimes, il est précisé que les infractions d’agressions sexuelles sont également constituées lorsqu’elles sont commises sur une personne dans l’incapacité de donner son consentement.

L’article 222-22 du code pénal sanctionne ces infractions lorsqu’elles sont commises par violence, contrainte, menace ou surprise. La jurisprudence a certes reconnu que l’état de sidération, la vulnérabilité ou l’altération des facultés de discernement peuvent constituer une forme de contrainte. Toutefois, l’absence de mention explicite laisse subsister des incertitudes. Pour des victimes inconscientes, sous l’effet de substances, en situation de handicap ou de dépendance, il est impératif que l’absence de consentement suffise à caractériser l’infraction.

Sans modifier l’esprit de la proposition de loi, cette clarification en renforce la lisibilité et l’application rigoureuse afin de protéger les victimes les plus vulnérables. Elle garantit qu’aucune faille juridique ne puisse être exploitée pour minimiser des actes inacceptables.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La mention du caractère éclairé du consentement, conforme aux recommandations du Conseil d’État, répond pleinement à votre préoccupation.

En effet, le terme appelle l’attention sur les capacités de la personne qui est réputée avoir consenti, qu’elles soient limitées par une vulnérabilité, la surprise, la manœuvre, l’empire de substances amoindrissant le discernement, ou tout autre moyen résultant d’une contrainte.

Nous vous invitons donc à retirer l’amendement. À défaut, avis défavorable.

Mme Caroline Yadan (EPR). L’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation atteste d’une certaine souplesse. Dès lors que l’absence de consentement est établie, la présence d’un seul élément – violence, contrainte, menace ou surprise – suffit. En d’autres termes, les juridictions n’ont même pas à montrer précisément que le comportement de la personne mise en cause relève de l’un de ces éléments. C’est l’élément matériel – les circonstances de fait – qui permet de caractériser le viol sans même qu’il soit besoin de choisir parmi les quatre éléments. Votre amendement est donc superfétatoire.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL54 de Mme Marie-Charlotte Garin, CL27 de Mme Sarah Legrain, CL33 de M. Guillaume Gouffier Valente, CL39 de Mme Émilie Bonnivard, CL45 de Mme Céline Thiébault-Martinez et CL48 de M. Erwan Balanant

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Faisant suite aux recommandations du Conseil d’État, l’amendement, de nature rédactionnelle, vise à substituer le terme « acte » à celui d’« atteinte », lequel pourrait laisser supposer qu’il existe des atteintes sexuelles consenties, ce qui n’est pas le cas.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). J’en profite pour remercier les rapporteures de nous avoir constamment associés à leurs travaux.

La commission adopte les amendements.

Amendements identiques CL52 de Mme Marie-Charlotte Garin, CL8 de Mme Céline Thiébault-Martinez, CL26 de Mme Gabrielle Cathala, CL32 de M. Guillaume Gouffier Valente, CL38 de Mme Émilie Bonnivard et CL47 de M. Erwan Balanant

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Il s’agit d’un autre amendement rédactionnel inspiré par le Conseil d’État. En cohérence avec la définition du viol donnée par l’article 222-23 du code pénal, il vise à corriger une inversion dans la rédaction initiale en précisant que l’acte est commis « sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur ».

La commission adopte les amendements.

Amendement CL2 de M. Charles de Courson

Mme Martine Froger (LIOT). L’amendement tend à préciser la distinction entre agression sexuelle et viol afin d’éviter toute requalification abusive, qui pourrait amoindrir la reconnaissance du préjudice de la victime. Cette clarification a pour but de prévenir les dérives interprétatives et d’assurer une protection plus efficace des victimes.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. L’amendement recopie la définition du viol dans l’article relatif aux agressions sexuelles. Ce n’est pas notre choix ni celui du Conseil d’État, qui recommande d’éviter les doublons et les redites. Le chapeau que constitue notamment l’article 222-22 s’applique à l’ensemble de la section 3. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

Amendement CL49 de M. Erwan Balanant ; amendements identiques CL53 de Mme Marie-Charlotte Garin, CL6 de Mme Céline Thiébault-Martinez, CL34 de M. Guillaume Gouffier Valente et CL43 de Mme Émilie Bonnivard ; amendements CL22 de Mme Céline Thiébault-Martinez et CL17 de Mme Sarah Legrain (discussion commune)

M. Erwan Balanant (Dem). Malgré toute la sagesse du Conseil d’État, l’idée d’accoler cinq qualificatifs au consentement est risquée ; elle pourrait même aboutir à une lecture restrictive dans un certain nombre de cas.

S’en tenir aux quatre critères existants – violence, contrainte, menace et surprise, qui ont été définis non par le code pénal mais par la jurisprudence – tout en ajoutant « quelles que soient leurs natures » me semble être source de simplification, sans compter la vertu pédagogique d’une telle formulation : les gens savent ce que signifie le consentement pour eux. Une définition trop précise risque de poser problème.

J’ajoute que, sans nier l’importance et les vertus de la définition pénale, la véritable difficulté réside dans l’accompagnement des plaignantes tout au long de la procédure. Les travaux de la commission d’enquête le montrent, il reste beaucoup à faire dans ce domaine, en particulier pour le dépôt de plainte.

Enfin, une autre question, sur laquelle nous avons déjà commencé à travailler, mérite d’être approfondie : celle de l’emprise et du contrôle coercitif. Le texte n’y apporte pas de réponse satisfaisante.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La rédaction initiale de notre proposition de loi apporte des précisions sur la notion de consentement afin de guider le juge dans son appréciation.

Ainsi, celui-ci doit avoir été donné librement. Ce qualificatif a été validé par le Conseil d’État.

Ensuite, le consentement est spécifique à l’acte : si vous avez dit oui à une pénétration vaginale, vous n’avez pas dit oui à une pénétration anale. Si vous avez dit oui à une pénétration avec un préservatif, vous n’avez pas dit oui à une pénétration sans préservatif. Ce qualificatif a été précisé et validé par le Conseil d’État.

Enfin, le consentement peut être retiré avant ou pendant l’acte : si finalement, vous ne voulez plus, quelle qu’en soit la raison, vous avez le droit de dire non et de retirer votre consentement et cela doit mettre fin à l’acte.

En outre, il est précisé, au septième alinéa, que l’absence de consentement peut être déduite de l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité. Nous faisons référence ici aux situations dans lesquelles une personne mise en cause exploite les vulnérabilités, voire les aggraves, cette stratégie de l’agresseur étant très souvent décrite par les victimes et les organisations féministes.

Considérant que cette formulation est imprécise et s’articule mal avec certaines des circonstances aggravantes prévues par le code pénal, le Conseil d’État nous a suggéré de substituer à cet alinéa le qualificatif « éclairé ». L’usage de ce terme impose d’évaluer si les capacités de la personne réputée avoir consenti sont limitées par une vulnérabilité, une manœuvre, l’empire d’une substance, ou tout autre moyen.

Nous vous proposons donc cette nouvelle formulation qui reprend les propositions du Conseil d’État et qui est plus courte, plus simple et plus précise.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Mon amendement CL22 vise à ajouter un critère à la définition du consentement : celui-ci ne doit pas être monnayé. L’objectif est d’écarter la présomption de consentement pour des personnes sous contrainte économique ou matérielle.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). J’insiste sur l’importance de la définition du consentement. Monsieur Balanant, vous affirmez que tout le monde sait ce que c’est le consentement. Or, le procès Pelicot a montré que non. Des hommes mis en cause ont expliqué que le consentement avait été donné par le mari ; qu’ils pensaient qu’il avait été donné ; qu’ils ne pouvaient pas savoir qu’il ne l’avait pas été. Le fait de préciser que le consentement doit être libre et éclairé est une façon de faire comprendre à tout le monde ce qu’est le consentement et ce qu’il ne peut pas être.

La rédaction de mon amendement est légèrement différente de celle des rapporteures car nous ne souhaitons pas supprimer la référence à la vulnérabilité, comme nous y invite le Conseil d’État. Celle-ci fait partie des circonstances environnantes qui doivent être examinées pour établir le consentement. J’aurais aimé que le texte soit mieux-disant en la matière. La vulnérabilité y est réduite à une circonstance aggravante alors qu’elle peut servir à montrer que le consentement n’a pas pu être donné, d’autant qu’elle peut être organisée par l’auteur lui-même.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Je ne reviens pas sur l’ensemble des arguments que nous avons déjà avancés pour nous opposer à la suppression de l’alinéa 5, monsieur Balanant. Le Conseil d’État a fait valoir que les éléments de définition du consentement qu’il apporte sont non seulement précieux, mais également nécessaires pour garantir la précision de la loi pénale. Si nous les supprimons, nous risquons de limiter l’impact du texte, notamment sa capacité à aiguiller le juge, mais aussi d’encourir une censure du Conseil constitutionnel. Je vous invite donc à retirer l’amendement CL49.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. En ce qui concerne l’amendement CL22, madame Thiébault-Martinez, je comprends votre intention mais je ne peux pas vous suivre pour deux raisons.

D’une part, l’ajout du qualificatif « non monnayé » a pour effet de lier la notion de consentement en matière pénale à celle du consentement en matière civile. Or, c’est exactement ce que nous ne voulons pas faire. L’avis du Conseil d’État réaffirme l’autonomie du consentement pénal. En d’autres termes, l’existence d’un contrat d’ordre monétaire ne suffirait pas à établir celle d’un consentement au sens pénal du terme.

D’autre part, en procédant à un tel ajout, vous sous-entendez qu’un consentement ne peut jamais être monnayé. Dès lors qu’une relation est monnayée, elle devient un viol, c’est‑à‑dire un crime puni de quinze ans de réclusion criminelle. Or, l’article 225-12-1 du code pénal fait déjà du recours à la prostitution un délit sanctionné d’une peine d’amende lorsqu’il est commis en récidive. Le code pénal ne peut sanctionner deux fois les mêmes faits, a fortiori à la fois en tant que crime et que délit.

Votre amendement fragilise la définition du viol que nous proposons. Mon avis est donc défavorable. J’ajoute que le texte n’est pas le cadre approprié pour aborder le sujet de la prostitution.

Madame Legrain, nous partageons votre préoccupation, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé. Il nous apparaît, et le Conseil d’État l’a confirmé, que la mention de la vulnérabilité ne pouvait être conservée, en l’état du droit, car elle vient percuter les circonstances aggravantes. Pour résoudre cette difficulté et garantir la prise en compte de la vulnérabilité de la victime, il a donc été décidé d’une part de recourir au qualificatif « éclairé », et d’autre part de préciser que la vulnérabilité fait partie des circonstances environnantes qui doivent être examinées. Je demande donc le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.

Mme Caroline Yadan (EPR). La référence au consentement présente l’écueil de renvoyer le juge pénal aux acceptions civilistes de cette notion. Or, le juge pénal est beaucoup plus strict, notamment dans l’appréciation de l’élément moral.

Avez-vous pensé à faire appel à la notion de volonté plutôt qu’à celle de consentement ? Cette solution, qui serait de nature à lever les réserves émises par le Conseil national des barreaux, permettrait de garantir que la charge de preuve incombe toujours au ministère public, tant pour l’élément matériel que pour l’élément moral de l’infraction.

M. Erwan Balanant (Dem). Le débat est éclairant. Le fait que des amendements proposent d’introduire de nouveaux éléments montre que le risque d’en oublier est bien réel. Or, c’est précisément pour ne pas prendre un tel risque qu’on évite de faire des listes en droit pénal. En outre, certains cas pourraient ne pas répondre aux critères que vous listez.

Si la notion de consentement est introduite, il appartiendra au juge et aux avocats de le définir et d’établir s’il a été donné ou non, au cas par cas.

Par ailleurs, comment votre définition prend-elle en compte le phénomène d’emprise ? Comment le consentement peut-il être libre et éclairé si l’on est sous l’emprise de quelqu’un ? Il faut laisser la liberté aux juges d’apprécier la réalité du consentement. La jurisprudence qu’ils ont construite pour définir le consentement est solide, tout le monde le dit. Le faible taux de condamnations a d’autres causes, parmi lesquelles le manque d’accompagnement des victimes. Bref, trop de définition tue la définition.

Enfin, madame Legrain, je n’ai pas dit que tout le monde savait ce qu’était le consentement – ce serait trop beau. J’ai dit que chaque plaignant ou plaignante avait sa vision de ce qu’était son consentement.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Mon amendement ne vise pas seulement la prostitution, mais aussi la pornographie.

Dans les contentieux sur l’affaire French Bukkake ou sur les vidéos de Jacquie et Michel, le fait qu’une victime ait pu signer un contrat, qu’elle dise dans une vidéo avoir consenti ou qu’elle remercie d’être devant une caméra fait d’elle une personne consentante. L’amendement vient combler cette lacune de notre droit. Il est important de saisir l’occasion de ce texte pour le faire.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La notion de volonté n’est pas définie en droit pénal. En outre, elle est plus exigeante à l’égard de la victime puisqu’elle suppose un acte de sa part. Elle n’apporte pas de solution satisfaisante.

Monsieur Balanant, le viol reste caractérisé par les quatre éléments de violence, contrainte, menace ou surprise. Le texte les mentionne bien.

J’ai été très touchée par l’audition d’un magistrat expliquant avoir été incapable de sanctionner un acte dont il avait pu démontrer la matérialité, mais pas l’intentionnalité. Il avait dû dire à la plaignante qu’il la croyait, mais qu’en l’état actuel du droit, il ne pouvait pas condamner. Nous comblons cette lacune.

Par ailleurs, nous ne faisons pas de liste : nous précisons la notion de consentement pour donner aux juges des pistes pour s’assurer de son existence.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Nous nous sommes évidemment interrogées sur le terme le plus approprié et, après avoir consulté de nombreux experts, nous sommes sûres de notre choix.

Nous n’avons pas retenu le terme de volonté parce qu’il est moins bien défini que le consentement, qui est inscrit dans le code pénal. Du point de vue éducatif aussi, le consentement est le terme le plus usité ; l’étymologie renvoie au fait d’être d’accord. Avec le consentement, la loi fixe un seuil minimal destiné à protéger la liberté des individus et leur intégrité physique et psychique.

La commission rejette l’amendement CL49.

Elle adopte les amendements CL53 et identiques.

En conséquence, les amendements CL22 et CL17 tombent.

Amendements identiques CL55 de Mme Marie-Charlotte Garin, CL9 de Mme Céline Thiébault-Martinez CL18 de Mme Gabrielle Cathala, CL35 de M. Guillaume Gouffier Valente et CL40 de Mme Émilie Bonnivard

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Notre proposition de loi indique que le consentement ne peut être déduit « du silence ou de l’absence de résistance » de la personne. Le Conseil d’État nous a suggéré de préciser que le consentement ne peut se déduire « du seul silence ou de la seule absence » de réaction de la personne afin de ne pas limiter l’appréciation du juge. Nous faisons nôtre cette suggestion qui correspond à nos objectifs.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Ces amendements sont importants car 70 % des plaignantes subissent une forme de sidération, de dissociation ou d’amnésie.

La commission adopte les amendements.

Amendements CL15 et CL12 de Mme Céline Thiébault-Martinez (discussion commune)

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Il s’agit de préciser que, dans un environnement coercitif, le consentement est présumé contraint. Cette rédaction permet d’appeler l’attention sur les circonstances dans lesquelles l’agression a lieu.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La notion de contrainte est déjà présente dans le texte.

Dans l’amendement CL15, vous employez le terme « présumé », ce que nous avions veillé à ne pas faire afin de ne pas risquer de créer une présomption de culpabilité. Cette mention me semble présenter une fragilité juridique.

Par ailleurs, nous partageons sans doute les constats qui vous amènent à utiliser la notion d’environnement coercitif, mais elle nous paraît trop floue pour être inscrite dans le droit pénal. Elle risque, en outre, de venir concurrencer la notion de contrôle coercitif qui figure déjà dans certaines jurisprudences et sur laquelle la proposition de loi de notre ancienne collègue Aurore Bergé visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants devrait nous permettre d’avancer.

Demande de retrait.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL30 de Mme Caroline Yadan

Mme Caroline Yadan (EPR). Il vise à mieux qualifier juridiquement les situations d’emprise ou de fragilité dans lesquelles les victimes ne sont objectivement plus en mesure de consentir de manière libre et éclairée. Cette clarification m’apparaît essentielle puisque l’évaluation repose largement sur les interprétations des juges, ce qui crée de l’insécurité juridique pour les victimes comme pour les auteurs des faits.

Je propose d’ajouter l’alinéa suivant : « Il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel est commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre. » L’insertion de cette phrase encadrerait davantage l’analyse du consentement car elle caractérise les circonstances objectives dans lesquelles l’acte a été accompli, donc les situations dans lesquelles l’auteur des faits ne peut raisonnablement ignorer l’altération du consentement. La définition pénale du viol gagnerait en prévisibilité, en cohérence et en effectivité, ce qui renforcerait la protection des victimes tout en sécurisant l’appréciation judiciaire.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Votre amendement est le seul à mentionner l’état de peur, sujet auquel nous avons régulièrement été confrontées pendant les auditions. Mais cette notion rejoint celle de sidération, que nous avons absolument voulu inscrire dans notre proposition de loi car elle est centrale pour la compréhension des affaires sexuelles.

Votre intention est toutefois satisfaite par deux éléments qui seront lus de manière combinée si nous adoptons la proposition de loi : d’une part, l’élément de surprise, que la Cour de cassation a récemment lié à la sidération, dans un arrêt qui concernait certes une situation bien particulière ; d’autre part, les précisions que nous apportons sur la notion de consentement et sur la validité de son expression. Nous pointons les circonstances dans lesquelles le consentement n’est pas valable car la personne se trouve en incapacité de le donner.

Nous avons inséré la notion de « circonstances environnantes » pour mieux apprécier le consentement. Nous avons, par ailleurs, refusé de dresser une liste de vulnérabilités pouvant altérer le consentement pour ne pas en omettre : d’ailleurs, certaines d’entre elles ne figurent pas dans votre amendement. Nous ne voulons exclure aucune personne se trouvant dans une situation de vulnérabilité. Demande de retrait ou avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL19 de Mme Sarah Legrain ; amendements identiques CL56 de Mme Marie-Charlotte Garin, CL4 de Mme Céline Thiébault-Martinez, CL28 de Mme Gabrielle Cathala, CL36 de M. Guillaume Gouffier Valente et CL57 de M. Erwan Balanant ; amendements CL7 de Mme Céline Thiébault-Martinez, CL31 de Mme Caroline Yadan et CL13 de Mme Céline Thiébault-Martinez (discussion commune)

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). L’amendement CL19 reprend une suggestion du Conseil d’État en précisant qu’il n’y a pas de consentement en cas de violence, contrainte, menace ou surprise, « quelles que soient leurs natures ». Nous avons bien compris les difficultés que posait le terme « notamment », mais il reste indispensable d’éviter de refermer le consentement sur la seule présence de violence, contrainte, menace ou surprise. Notre objectif est bien de couvrir des comportements qui n’entrent actuellement pas sous ces termes. L’expression « quelles que soient leurs natures » permet d’étendre leur acception.

Ce ne sera néanmoins pas suffisant : je propose donc d’ajouter la notion d’exploitation d’une situation de vulnérabilité ou de dépendance. Sans entrer dans des définitions problématiques sur l’environnement coercitif, nous souhaitons que, lorsque l’auteur des faits organise une situation de vulnérabilité ou de dépendance, le consentement soit considéré comme vicié. Le magistrat pourra ainsi investiguer le contexte de l’agression. Certains hommes reconnaissent avoir eu des relations sexuelles avec des femmes en situation de vulnérabilité – par exemple des élus avec des femmes demandant un logement !

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La rédaction actuelle de l’alinéa 6 se lit ainsi : « Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise. » Notre intention initiale était d’ouvrir le champ de l’infraction et de l’acception de la notion de consentement, tout en conservant les acquis de la jurisprudence liés à l’acte imposé par violence, contrainte, menace ou surprise. Nous voulions inclure par exemple la sidération, tout en étant conscientes de la fragilité juridique pointée lors de nos débats avec le Conseil d’État.

Pour y parvenir, l’amendement CL56 vise donc, conformément à la recommandation du Conseil d’État, à supprimer le terme « notamment », afin d’écarter toute indétermination dans les comportements répréhensibles, et à ajouter les mots « quelles que soient leurs natures », afin d’ancrer dans la loi pénale l’interprétation large donnée aux notions de violence, contrainte, menace ou surprise.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Lors de la présentation de votre rapport, le mot « notamment » avait effectivement suscité de nombreuses inquiétudes.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous souhaitons également supprimer le mot « notamment », afin de reprendre la suggestion du Conseil d’État touchant au principe de légalité des délits et des peines.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement CL7 vise à compléter l’alinéa 6 par les mots « quelles que soient leurs natures », afin de préciser que tout acte commis avec violence, contrainte, menace ou surprise annule automatiquement la possibilité du consentement. Cet ajout garantira que des situations telles que la menace indirecte ou psychologique ou encore l’abus de position d’autorité, de domination ou de rapport professionnel soient considérées comme des cas dans lesquels la victime n’a pas donné son consentement.

Mme Caroline Yadan (EPR). L’amendement CL31 a pour objet d’introduire la ruse, après la contrainte, parmi les éléments qui peuvent caractériser l’absence de consentement. Cette mesure est inspirée d’une disposition du code pénal belge qui mentionne explicitement la ruse comme l’un des moyens constitutifs du viol, permettant la reconnaissance juridique des stratégies de manipulation et d’assujettissement utilisées par les agresseurs.

Les travaux de la mission d’information mettent en évidence que de nombreux agresseurs ne recourent ni à la violence, ni à la contrainte, ni à la menace, ni à la surprise, mais déploient des stratégies de manipulation ou de tromperie pour obtenir un acte sexuel non consenti. Ces procédés qui relèvent de la ruse vicient le consentement en provoquant fréquemment un état de sidération, que l’agresseur recherche et organise.

La sidération garantit l’impunité et empêche la victime de se défendre ou de porter plainte, problème que réglerait, me semble-t-il, l’introduction dans le texte de la notion de ruse.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement CL13 vise à compléter l’alinéa 6 par les mots « ou s’il a été obtenu contre rémunération, quelle qu’en soit la forme ». La rédaction actuelle ne nous semble en effet pas couvrir les situations dans lesquelles la victime a explicitement donné son consentement contre une rémunération, ce qui est notamment le cas des situations de prostitution.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Les vulnérabilités et l’incapacité à consentir sont à nos yeux comprises dans le terme « éclairé ». La responsabilité d’interpréter ce terme et de prendre en compte les vulnérabilités repose sur le juge. Comme l’a expliqué le Conseil d’État, l’amendement CL19 ferait courir un risque d’inconstitutionnalité au texte, lié à l’imprécision de sa rédaction. Je vous demande donc de le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.

L’amendement CL7 vise à ajouter les termes « quelles que soient leurs natures », mais en conservant le mot « notamment » : cela me paraît contradictoire avec votre position, madame Thiébault-Martinez. Avis défavorable.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Le code pénal belge fait état de la ruse car il dresse une liste, option que nous avons écartée. La notion de ruse est incluse dans celle de surprise. Je précise que celle-ci ne correspond pas à une émotion de la victime, mais au comportement de l’auteur des faits : elle intègre, aux yeux de la jurisprudence, les stratagèmes de celui-ci. Le procès de Mazan a bien caractérisé cette acception de la surprise. La Cour de cassation a récemment jugé que « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise. »

Cet ajout fragiliserait vraiment la rédaction. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. L’adoption de l’amendement CL13 fragiliserait l’autonomie de la notion du consentement pénal par rapport à celle du consentement civil et diminuerait la protection offerte par le texte. Conformément à l’avis du Conseil d’État, notre proposition de loi garantit cette autonomie. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). L’amendement CL13 importe dans notre débat sur le consentement un autre sujet, celui de la prostitution, lequel mérite sans doute discussion, mais dans un autre cadre.

Notre objectif constant doit être de protéger les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles ou d’un système prostitutionnel. Nier leur capacité de consentement et mettre une équivalence entre la prostitution et le viol ne sont pas de nature à consolider la notion de consentement. Oui, des clients violent des prostituées lorsqu’ils leur imposent des actes pour lesquels elles n’ont pas donné leur accord. Oui, les prostituées doivent pouvoir obtenir justice lorsqu’elles ont subi un viol ou une agression sexuelle. Nous devrons débattre de la prostitution par ailleurs, mais nous devons dès à présent œuvrer à la reconnaissance de la dignité des personnes. Il ne faudrait pas qu’une évolution de la loi aboutisse à nier que les prostituées peuvent être victimes de viol, ce qui arrive trop souvent. Je vous alerte sur le sujet, car leur vulnérabilité les expose grandement aux violences sexuelles.

La commission rejette l’amendement CL19.

Elle adopte les amendements CL56 et identiques. En conséquence, l’amendement CL7 tombe.

Elle rejette successivement les amendements CL31 et CL13.

Amendement CL23 de Mme Céline Thiébault-Martinez

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Il vise à compléter l’alinéa 10 afin de préciser que, dans le cadre d’un viol ou d’une agression sexuelle, la contrainte peut également être économique.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. La jurisprudence a déjà fréquemment attaché la situation économique et financière de la victime à la contrainte morale. L’adoption de votre amendement pourrait conduire le juge à exclure les autres aspects de la contrainte morale que le législateur n’aura pas fait figurer dans la loi. Il faut en rester à la simple division entre contrainte physique et morale et éviter toute liste. Retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL51 de Mme Marie-Charlotte Garin, CL29 de Mme Sarah Legrain, CL37 de M. Guillaume Gouffier Valente et CL50 de M. Erwan Balanant

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Le Conseil d’État n’estime pas nécessaire de répéter les modifications législatives auxquelles le texte procède. La proposition de loi introduit le défaut de consentement comme élément constitutif de l’infraction à l’article 222-22 du code pénal, lequel concerne l’ensemble des agressions sexuelles dont le viol : il s’appliquera donc également aux articles 222-22-2 et 222-23 que nous visions aussi. Par souci de lisibilité et de précision, nous vous proposons donc de supprimer les alinéas 11, 13 et 15.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL24 de Mme Céline Thiébault-Martinez

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Il vise à introduire dans notre code pénal le stealthing, à savoir le retrait non consenti du préservatif lors d’un rapport sexuel, à l’insu du ou de la partenaire. À ce jour, il n’existe aucun moyen de sanctionner ce type d’agissements.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Je vous remercie d’avoir déposé cet amendement qui nous donne l’occasion d’aborder un sujet mal appréhendé : celui du retrait ou de l’absence de port de préservatif, qui constitue un viol dès lors que le consentement concernait un acte protégé.

Il s’agit d’un sujet essentiel, que nous avons traité pendant nos travaux. Il nous semble que cette infraction est couverte par la présence du terme « spécifique » à l’alinéa 5. Dans ce dernier, on lit que le consentement « est spécifique et peut être retiré avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. » Le Conseil d’État a précisé et validé ce qualificatif.

Le consentement à une pénétration vaginale ne vaut pas forcément pour une pénétration anale, le consentement à un rapport sexuel avec préservatif ne vaut pas consentement à une relation sexuelle sans préservatif. Nous partageons votre objectif, mais je demande le retrait de l’amendement puisqu’il est satisfait ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Votre réponse me surprend beaucoup, car vous avez évoqué au début de notre débat l’importance de la pédagogie et de la compréhension par les juges et la société des pratiques sexuelles. Je pense que si cet acte n’est pas reconnu, c’est qu’il n’est pas mentionné en tant que tel dans la loi. Voilà pourquoi je maintiens mon amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

Après l’article unique

Amendement CL25 de Mme Céline Thiébault-Martinez

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Il vise à réprimer davantage les viols sur mineurs, en prévoyant une circonstance aggravante pour tous les mineurs et pas uniquement pour les mineurs de 15 ans.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Il faut probablement repenser cette circonstance aggravante, du fait de l’adoption en 2021 d’une infraction autonome de viol sur mineur qui en a réduit la portée et a rendu l’articulation entre les différentes dispositions encore plus délicate. Comme vous, il me semble que nous pourrions mieux protéger les mineurs victimes mais je pense que, dans un souci de cohérence, la question des circonstances aggravantes mérite un débat en soi. Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL11 et CL10 de Mme Céline Thiébault-Martinez, CL21 de Mme Sarah Legrain et CL20 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Nous connaissons l’ampleur de l’impunité dont bénéficient les agresseurs, mais nous ignorons le niveau qu’elle atteindra lorsque nous aurons introduit la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Voilà pourquoi l’amendement CL11 demande au gouvernement de remettre au Parlement deux rapports sur l’effet de la loi, le premier dix-huit mois après sa promulgation, le second, trois ans après. Mesurer l’impact de la loi est important, car le mouvement féministe est parcouru de débats sur l’opportunité de procéder à cette évolution législative.

L’amendement CL10 a également pour objet la remise d’un rapport, celui-ci évaluant l’opportunité de préparer, en coordination avec les délégations parlementaires aux droits des femmes, un projet de loi de programmation visant à lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). L’amendement CL21 demande un rapport pour évaluer les effets du texte que nous examinons, un an après son éventuelle promulgation. L’objectif est de connaître précisément l’impact de la redéfinition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol sur le traitement judiciaire des violences sexuelles.

Madame Thiébault-Martinez, une loi de programmation de lutte contre les violences sexistes et sexuelles serait bien sûr intéressante, mais ces lois ne sont pas contraignantes. Souvenons-nous de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, promulguée il y a moins de deux ans : il manquera 250 millions d’euros dans le budget de 2025 par rapport à ce qu’elle prévoyait ! Nous savons déjà ce qu’il faut faire pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles : il suffit que les amendements adoptés par l’Assemblée nationale ne soient pas balayés par l’usage du 49.3. Une énième loi de programmation non contraignante est inutile.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). L’amendement CL20 a pour objet de demander au gouvernement un rapport évaluant les effets du texte sur l’enregistrement, le traitement et la poursuite des faits de violence sexuelle commis dans le cadre conjugal.

L’un des objectifs de la proposition de loi est de changer la vision que la société a de la figure du violeur. Contrairement à la pensée la plus répandue, les chiffres montrent qu’une très grande partie des agressions sexuelles sont commises par une personne connue de la victime et, parfois, par son conjoint ou son ancien conjoint. La société, la police et la justice perçoivent encore le violeur type comme un inconnu, voire un étranger dans la représentation de l’extrême droite, alors que le violeur est souvent le mari.

La Cour européenne des droits de l’homme a récemment condamné la France pour l’interprétation que fait encore parfois la justice de la communauté de vie associée au mariage, notion présente dans le code civil. Ainsi, si le code pénal reconnaît bien le vol conjugal, un divorce a récemment été prononcé aux torts d’une femme qui refusait d’avoir des relations sexuelles avec son mari. Il faut révolutionner les mentalités françaises sur le viol conjugal. Je suis convaincue que la proposition de loi y contribuera, mais j’aimerais que ce concours soit précisément évalué.

Mme Véronique Riotton, rapporteure. Puisque nous sommes, Mme Garin et moi, accueillies en commission des lois, nous nous en tenons à sa pratique de donner un avis défavorable à toute demande de rapport.

Le législateur possède déjà la prérogative d’évaluer l’impact de la loi trois ans après sa promulgation : nous veillerons tous à ce que ce travail soit mené. Par ailleurs, le gouvernement agit dans la lutte globale contre les violences sexistes et sexuelles et lance des initiatives. Enfin, les DDF sont libres de travailler à l’élaboration d’un texte de programmation contre les violences sexistes et sexuelles.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Je voterai en faveur de ces amendements.

Depuis le Grenelle des violences conjugales et surtout depuis le mouvement MeToo, le législateur est intervenu dans le domaine de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à travers une mosaïque de propositions et de projets de loi. Dans la perspective de l’élaboration d’une loi intégrale, globale, cadre, il sera nécessaire de disposer d’évaluations. Pour la préparer, notre commission pourrait constituer une mission d’information chargée d’évaluer, en lien avec la DDF, l’ensemble des mesures déjà existantes.

M. le président Florent Boudié. Nous pourrions confier une mission d’information à la délégation, comme nous pourrions conduire une mission d’information propre à la commission des lois.

La commission adopte l’amendement CL11, rejette l’amendement CL10, adopte l’amendement CL21 et rejette l’amendement CL20.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

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La séance est levée à 13 heures 25.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Léa Balage El Mariky, M. Erwan Balanant, Mme Brigitte Barèges, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Yannick Chenevard, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, Mme Martine Froger, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Jonathan Gery, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, Mme Émeline K/Bidi, M. Loïc Kervran, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, Mme Sarah Legrain, M. Didier Lemaire, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Véronique Riotton, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, Mme Ersilia Soudais, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Ian Boucard, M. Yoann Gillet, M. Philippe Schreck

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Paul Christophle, M. Fabien Di Filippo, M. Sacha Houlié, Mme Karine Lebon, Mme Élisa Martin