Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen de la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (n° 374) (M. Loïc Kervran, rapporteur) 2
– Examen de la proposition de loi pour réformer l’accueil des gens du voyage (n° 906) (M. Xavier Albertini, rapporteur) 27
Mercredi
26 mars 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 57
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de Mme Sandra Regol,
vice-présidente
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La séance est ouverte à 15 heures.
Présidence de Mme Sandra Regol, vice-présidente.
La Commission examine la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (n° 374) (M. Loïc Kervran, rapporteur).
M. Loïc Kervran, rapporteur. Cette proposition est née du constat de l’incompréhension croissante de nos concitoyens envers les décisions de justice. Comment est-il possible, me disent-ils, d’être condamné à de multiples reprises à de la prison ferme et de ne jamais y mettre les pieds ?
Face à cela, nous avons plusieurs choix. Nous pouvons dire aux citoyens qu’ils ne comprennent pas. Nous pouvons accuser les magistrats de laxisme. Nous pouvons aussi laisser prospérer cette incompréhension, en nous disant que nous l’utiliserons à des fins électorales.
Je refuse ces trois options et je vous en propose une autre, qui repose sur notre responsabilité de législateurs. Ainsi, l’objectif du texte que je vous propose est simple : il s’agit de rétablir la pleine liberté pour le juge pénal de prononcer la peine qu’il estime la plus opportune, sans idéologie – y compris une peine d’emprisonnement ferme.
Prononcer la peine la plus adaptée revient tout simplement à respecter le principe constitutionnel d’individualisation de la peine, à la fois pour sanctionner la personne et pour favoriser sa réinsertion. Or ce principe a été malmené par des évolutions récentes de notre droit pénal. On a par exemple interdit aux magistrats de prononcer une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un mois. On a instauré un principe d’aménagement quasi systématique de la totalité d’une peine d’emprisonnement de moins de six mois et de tout ou partie d’une peine d’emprisonnement comprise entre six et douze mois.
Force est de constater que cette politique n’a pas produit les effets escomptés en matière de lutte contre la récidive, de baisse de la délinquance ou de réduction de la surpopulation carcérale. Nous perdons en fait sur tous les tableaux.
Comme l’ont constaté toutes les personnes que j’ai auditionnées, cette surpopulation ne résulte pas de l’augmentation du nombre de prisonniers mais de l’alourdissement des peines prononcées. Les lois successives qui visaient à supprimer les courtes peines ont contribué à cet allongement à travers au moins deux mécanismes. D’une part, faute de pouvoir prononcer des peines courtes pour mettre un coup d’arrêt dès les premières infractions, les juges mettent désormais principalement sous écrou, pour des durées longues, des personnes fortement ancrées dans la délinquance. D’autre part, les juges sont incités à prononcer des peines plus longues s’ils souhaitent échapper à l’obligation de les aménager. La Cour des comptes s’est alarmée de l’importance de ces effets non désirés.
Il faut donc en tirer les conséquences et changer de paradigme. Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui est avant tout un acte de confiance envers les juges.
Si nous l’adoptons, ceux-ci seront de nouveau libres de prononcer des peines d’emprisonnement de moins d’un mois. Lorsqu’ils infligeront une peine inférieure à un an, ils pourront choisir d’aménager ou non son exécution. Ils bénéficieront de cette même liberté pour les peines comprises entre un et deux ans, ce qui leur est actuellement refusé.
Compte tenu des amendements qui ont été déposés, je souhaite dès à présent préciser certains points afin d’éclairer nos débats.
Cette proposition n’est ni pour la prison ni pour l’aménagement des peines. En témoigne le fait que je propose de rétablir la faculté pour le juge d’aménager une peine d’emprisonnement comprise entre douze et vingt-quatre mois. De telles mesures doivent cependant être fondées sur des perspectives sérieuses de réinsertion du condamné, et tel est le sens de l’article 2.
En revanche, s’il est absurde de faire de la prison la solution magique, interdire par principe l’emprisonnement l’est tout autant. En effet, les courtes peines peuvent être efficaces dans certaines situations et pour certains profils – par exemple en donnant un coup d’arrêt à une dynamique délinquante. Il est préférable d’incarcérer plus tôt et moins longtemps plutôt que de laisser un individu s’ancrer dans la délinquance, commettre de multiples infractions et faire plusieurs victimes avant d’être emprisonné trop tardivement et pour une durée plus longue, comme c’est souvent le cas actuellement.
En outre, les exemples de pays étrangers qui pratiquent les courtes peines montrent que cette politique est de nature à réduire la population carcérale du fait de la diminution du quantum moyen de peine. Aux Pays-Bas, la durée moyenne de détention est de trois mois et demi, contre onze mois en France. S’il faut prendre avec prudence les travaux académiques sur ce sujet, il nous a été confirmé lors des auditions que les seules études internationales sérieuses tendent à démontrer l’efficacité des peines ultracourtes – c’est-à-dire de celles qui vont de sept à vingt-et-un jours – par rapport aux mesures alternatives telles que le travail d’intérêt général (TIG).
La philosophie générale consiste donc à ne plus contraindre le juge à prononcer tel ou tel type de mesure, mais de le laisser libre de décider de la peine la plus adaptée.
Cette proposition est soutenue par de très nombreux acteurs du monde judiciaire. Nous avons auditionné des représentants de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires et de la Conférence nationale des procureurs généraux, mais aussi des représentants de syndicats de magistrats.
J’ai bien conscience que cette proposition n’est qu’une brique d’une réforme plus structurelle de notre système pénal, laquelle dépasse le cadre d’une niche parlementaire. Mais j’espère qu’elle servira d’aiguillon pour construire des établissements pénitentiaires adaptés aux courtes peines. Une réflexion devra aussi être menée pour valoriser au mieux ces périodes d’emprisonnement.
Enfin, cette proposition pose au fond deux questions. Avons-nous confiance dans les magistrats ? Pensons-nous que la prison est toujours un mal pour les délinquants et les criminels ou bien qu’elle peut parfois être utile ?
Comme l’a écrit Cesare Beccaria dans Des délits et des peines, « Ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment […]. La perspective d’un châtiment modéré, mais inévitable, fera toujours une impression plus forte que la crainte vague d’un supplice terrible, auprès duquel se présente quelque espoir d’impunité. »
Si cette proposition n’a pas pour ambition d’être le grand soir de la justice, j’ai sincèrement l’espoir qu’elle contribuera à rendre la peine plus lisible et plus intelligible, afin de restaurer la confiance des citoyens dans la justice.
Mme Sandra Regol, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Pierre Cazeneuve (EPR). Votre proposition soulève des questions éminemment légitimes. Comment le droit pénal peut-il être dissuasif si la peine exécutée n’est pas la même que celle qui est prononcée ? Comment les victimes et la société peuvent-elles se sentir protégées si les juridictions n’incarcèrent pas ceux qui ont vocation à l’être ou quand certains auteurs échappent à la prison par le biais des aménagements de peine ? Comment faire comprendre à un citoyen qu’alors qu’un individu est condamné à six mois de prison, il ne dormira probablement jamais dans une cellule ?
Le dispositif adopté en 2019 avec la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice (LPJ) a sans doute rendu la sanction moins compréhensible, ce qui a pu affaiblir le lien indispensable entre le citoyen et l’institution judiciaire. Bien des victimes ont sans doute également ressenti un manque de considération et une injustice lorsqu’un tribunal a prononcé une peine d’emprisonnement mais que la suite a en réalité été toute autre.
Lors des débats sur cette loi de programmation, notre groupe avait souscrit à la vision selon laquelle l’emprisonnement de courte durée, par son effet désocialisant, favorisait la récidive plutôt qu’il ne dissuadait les auteurs d’infraction. La rénovation de l’échelle des peines nous semblait redonner du sens à la sanction. Aujourd’hui encore, nous pensons que l’emprisonnement automatique n’est pas la réponse ultime pour endiguer la criminalité ou la récidive.
Nous étions habités par une forme de pragmatisme – et nous le sommes toujours. Dans un contexte de surpopulation carcérale, il est primordial de pouvoir recourir aux alternatives à l’emprisonnement, telles que la surveillance électronique, le régime de semi-liberté ou le placement à l’extérieur. Le plan du ministère de la justice pour construire 15 000 places ne peut suffire à lui seul à juguler la surpopulation carcérale.
Or, en proposant de limiter l’aménagement des peines de moins d’un an, votre proposition semble se heurter à la réalité du manque de places dans les établissements pénitentiaires. Où et comment incarcérer les condamnés à de telles peines ? Cette question demeure en suspens. On ne peut pas faire évoluer le droit sans un plan de construction minutieux et une vision claire du ministère de la justice pour le mettre en œuvre. Comment la réorganisation que vous proposez peut-elle se conjuguer sans les désorganiser avec le plan de construction de 15 000 places et avec la création des quartiers de lutte contre la criminalité prévue par la proposition de loi contre le narcotrafic ?
Selon vous, les mesures adoptées à l’occasion de la loi de programmation et de réforme de la justice n’ont pas fait baisser la surpopulation carcérale. C’est vrai, mais que se serait-il passé si nous n’avions pas prévu des aménagements de peine ?
Néanmoins – et même si cela peut paraître contradictoire avec le début de mon propos –, nous sommes favorables au fait de rendre au juge la faculté de prononcer de très courtes peines. En effet, celles-ci peuvent avoir du sens dans certains cas. Votre proposition est équilibrée car, si elle durcit les conditions d’aménagement des peines de moins d’un an, elle élargit la possibilité d’y recourir pour les peines allant jusqu’à deux ans.
Notre groupe sera attentif à l’évolution de cette proposition au cours des débats en commission, et il se prononcera dans le respect de la diversité de ses commissaires.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Imagine-t-on éteindre un incendie en jetant un bidon d’essence dans les flammes ? J’en doute fortement. Qui prétendrait réduire la surpopulation carcérale et la récidive en proposant d’enfermer plus de gens en prison ? Cette démarche surprenante est pourtant prônée par le texte que nous examinons.
Qu’il me soit permis de rappeler quelques évidences, car certains détournent le sens commun des mots pour fuir une réalité qui leur est insupportable. Cette réalité vous la connaissez bien, puisque vous en êtes comptable. C’est celle d’un système carcéral qui demeure une véritable honte pour la République.
Le 1er novembre 2024, la population carcérale a dépassé le seuil historique de 80 000 détenus et ils étaient plus de 81 000 au 1er février 2025. La densité carcérale dans les maisons d’arrêt était de 158,9 % et la surpopulation affecte essentiellement les établissements de ce type. Ce taux d’occupation moyen devrait dépasser 164 % à la fin de l’année, malgré des décennies de construction inutile et coûteuse de places de prison. Près de 4 500 détenus dorment sur des matelas à même le sol, et ils sont parfois quatre dans des cellules prévues pour deux.
Les rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté décrivent minutieusement des espaces vétustes et insalubres, des cours de promenade jonchées d’ordures, des déjections sur les murs, des rats et des cafards qui grouillent et des détenus aux bras couverts de piqûres de punaises de lit. Ils montrent que des tensions permanentes sont à l’origine d’incidents entre détenus et entre détenus et surveillants, de la fabrication industrielle de la récidive, de troubles psychiatriques, de passages à l’acte suicidaire et de meurtres.
Face à cette situation intenable, l’administration pénitentiaire est submergée par le flot continu des condamnés. À Nîmes, où la densité carcérale atteint 241 %, cette administration demande aux magistrats de ne plus incarcérer, sous peine de faire exploser des établissements qui sont de véritables cocottes-minute. Voilà la situation carcérale telle qu’elle est, et non pas telle que M. Darmanin aime la maquiller.
Trente ans de populisme pénal et de politique carcérale absurde nous contemplent. Le nombre de détenus et la durée moyenne d’incarcération ont doublé en quelques décennies. Celle-ci est passée de 4,9 mois en 1970 à 10,3 mois en 2024. La réalité, c’est qu’entre 2019 et 2022, le quantum des peines prononcées a augmenté de 11 %, alors même que des menteurs et des inconséquents martèlent que la justice est laxiste.
Pourtant, votre priorité est de vous en prendre aux dispositifs permettant d’éviter les peines de prison ferme dites ultracourtes, c’est-à-dire inférieures à un mois. Vous restreignez les conditions d’octroi d’un aménagement de peine ab initio lorsque la durée totale de la peine prononcée est inférieure ou égale à un an. Vous vantez les mérites des courtes peines, qui sont par nature désocialisantes et qui contribuent à la récidive. Vous dites vouloir faire appliquer le principe d’individualisation de la peine alors qu’à l’occasion de la même niche parlementaire votre groupe ose proposer de rétablir les peines planchers automatiques, afin prétendument de lutter contre la récidive.
Votre proposition est un véritable chef-d’œuvre d’humour noir.
M. Hervé Saulignac (SOC). Depuis les dernières élections législatives de 2024, il ne se passe pas une semaine sans que les uns ou les autres, plus ou moins proches de la majorité, ne tentent de détricoter des dispositifs qu’ils ont parfois eux-mêmes mis en place.
C’est précisément l’objet de cette proposition, qui constitue une remise en cause des avancées issues de la loi de programmation et de réforme de la justice votée en 2019. Elle avait en partie pour objectif louable de prévenir la récidive et de lutter contre la surpopulation carcérale – dont on sait qu’elle est un grave facteur de récidive.
Vous nous proposez un étonnant retour en arrière en rétablissant les courtes peines de privation de liberté, en supprimant l’obligation d’aménagement des peines de prison – qui est une conséquence directe du principe de subsidiarité qui fonde notre droit pénal – et en abrogeant l’article du code de procédure pénale qui prévoit que l’incarcération du justiciable condamné à une courte peine doit avoir un caractère exceptionnel.
Cette proposition vise au fond à incarcérer le voleur de scooter tout en épargnant un candidat à la présidentielle qui aurait pactisé avec un dictateur sanguinaire. Il est extrêmement compliqué de donner du sens à une telle proposition.
L’exposé des motifs va jusqu’à affirmer que l’absence d’incarcération pour les courtes peines a des effets délétères, renvoyant vaguement à des études qui en feraient la démonstration. En réalité, aucune étude n’aboutit de manière précise à cette conclusion et la plupart d’entre elles démontrent plutôt l’inverse.
Vous mettez en exergue le modèle de la justice pénale hollandaise, dont la réussite reposerait selon vous sur l’exécution de courtes peines de prison. Encore une fois, toutes les études – et tout particulièrement les études hollandaises – décrivent une autre réalité. La réussite de ce modèle découle d’une politique pénale ambitieuse qui vise la réinsertion des condamnés et qui s’appuie pour cela sur des peines alternatives innovantes et, depuis les années 2010, sur l’octroi d’importantes remises de peine. En d’autres termes, ce modèle repose sur la prévention plutôt que sur la répression.
Ainsi, en 2010, 1 500 condamnés hollandais avaient pu bénéficier des congés régimaires, qui permettent de purger une partie de la peine en dehors de la prison – notamment pour permettre de se présenter à des entretiens d’embauche ou de travailler.
Le taux de récidive en France nous inquiète tous, mais il n’est certainement pas le résultat d’un quelconque laxisme judiciaire. Il s’explique par le fait que l’administration pénitentiaire a été délaissée par l’État, dont les dotations budgétaires bénéficient majoritairement à la construction de nouvelles prisons plutôt que d’être orientées vers la rénovation du parc existant ou vers une politique sérieuse de réinsertion des condamnés.
Si votre ambition était réellement de lutter contre la récidive et de résorber la surpopulation carcérale, au lieu de céder à une réponse facile vous auriez dû relire l’excellent rapport présenté en 2023 par Caroline Abadie et Elsa Faucillon. Elles proposaient une adaptation profonde du fonctionnement de la politique carcérale, notamment en renforçant les aménagements de peine, en réduisant le recours à l’emprisonnement et en créant des programmes spécifiques d’insertion pour les personnes condamnées à de courtes peines.
Il n’est pas nécessaire d’argumenter davantage : nous voterons contre cette proposition.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cette proposition ne protègera pas du tout les Français car ce qu’elle propose est inefficace. Le texte prétend pallier une prétendue faillite de l’exécution des peines, mais il ne corrigera rien.
Il prétend qu’aménager, c’est renoncer et que réinsérer, c’est faiblir. L’aménagement de peine n’est pas une faveur ; c’est un outil pour mieux sanctionner, mieux accompagner et, au bout du compte, mieux prévenir la récidive. J’entends ici ou là dire qu’une peine aménagée ne serait pas une peine. C’est faux.
Cette proposition prévoit de rétablir des peines de moins d’un mois de prison et de supprimer l’obligation d’aménagement ab initio. Elle veut faire croire que l’enfermement court et brutal serait un début de solution pour la société. Mais personne ne peut dire sérieusement qu’une peine de quelques mois dans une maison d’arrêt surpeuplée, sans accompagnement et brisant les liens familiaux, le parcours professionnel et les repères sociaux aboutirait à autre chose qu’à nourrir la récidive. Les chiffres sont têtus : 62 % des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de six mois récidivent. La surpopulation carcérale atteint aujourd’hui 153 % dans les maisons d’arrêt, et certains établissements dépassent même les 200 %. Comment ne pas voir qu’il est absurde de vouloir toujours plus de peines, y compris plus courtes ?
Ce texte cède à la tentation de l’immédiat et du symbole, tout en confondant sévérité et efficacité. C’est la prison comme réflexe et non comme ultime recours.
Dans notre groupe, nous croyons à la justice de la République. Celle qui protège en punissant parfois, et non en précarisant. Celle qui tient compte des faits, et non des fantasmes. Celle qui sait que la peine a un sens si elle offre un avenir. Nous voulons que les peines soient exécutées mais aussi qu’elles soient aménagées. Nous voulons des peines utiles, qui réparent, qui responsabilisent et qui empêchent que le même geste désespéré se répète.
On mesure l’efficacité du système pénal à l’aune de sa capacité à prévenir la récidive et à réinsérer plutôt qu’à reproduire les inégalités. Inversement, la prison accentue ces dernières sans jamais les corriger. Selon nous, la peine doit accompagner et rétablir une égalité souvent mise à mal avant l’infraction.
Il faut insister sur le fait que l’administration pénitentiaire est un service public. Comme tout service public qui ne fonctionne pas, elle doit être réformée. Actuellement, la prison échoue à prévenir la récidive, à garantir la dignité et à assurer la réinsertion. Si France Travail créait du chômage ou l’hôpital rendait les gens malades, on aurait lancé une réforme d’ampleur depuis longtemps en balayant les réponses faciles. Vous persistez pourtant à privilégier celles-ci lorsqu’il s’agit de la prison.
Plutôt que de rétablir des peines courtes mal exécutées, nous proposons d’investir massivement dans les alternatives à l’incarcération. C’est plus efficace, cela coûte moins cher et cela offre de véritables perspectives de réinsertion. Encore faut-il en avoir les moyens et la volonté politique, ce qui n’est actuellement pas le cas.
Un mot enfin sur le modèle néerlandais brandi par les auteurs de cette proposition. L’exécution des courtes peines permet certes d’y lutter contre la récidive et la surpopulation carcérale, mais les Pays-Bas consacrent presque deux fois plus de moyens que la France à leur justice, avec 120 euros par an et par habitant, contre 70 en France. Copier ce modèle sans investir autant, c’est se condamner à l’échec.
Cette proposition relève de l’affichage. Elle ne répond ni à la réalité du terrain ni aux attentes d’une société qui aspire à une justice utile. C’est pourquoi nous voterons contre.
Mme Anne Bergantz (Dem). Nous sommes nombreux à partager les mêmes priorités en matière de politique pénale : renforcer l’autorité du juge et assurer l’effectivité des peines qu’il prononce. C’est une attente forte de nos concitoyens et une condition de la crédibilité du système judiciaire.
Afin d’atteindre ces objectifs, ce texte propose de rétablir des peines d’emprisonnement d’une durée inférieure à un mois. Vous partez du principe, monsieur le rapporteur, qu’elles permettront de casser le cycle infernal de la récidive. En sanctionnant fermement le petit délinquant dès la première infraction avec une peine courte ou ultracourte de prison ferme, si le juge l’estime nécessaire, nous pourrions selon vous mettre un terme au sentiment d’impunité et éviter la répétition d’actes conduisant fatalement leur auteur à finir par purger une peine longue après avoir été condamné de nombreuses fois.
Toujours selon vous, et même si c’est contre-intuitif, ces courtes peines permettraient de lutter contre la surpopulation carcérale. En revenant sur leur obligation d’aménagement, votre proposition entend rendre au juge un véritable pouvoir d’appréciation afin de lui permettre de choisir entre l’incarcération ou une mesure alternative, en fonction du profil de l’auteur et de la nature des faits. Cette incitation à une plus grande individualisation des peines ne peut être que bénéfique.
Cependant, ce texte pose aussi un certain nombre de questions, notamment pratiques. Quelles seraient les conditions de détention des personnes purgeant de courtes peines ? Des aménagements et des lieux spécifiques sont-ils prévus ? Il semble nécessaire de prévoir des conditions d’accueil particulières, car il n’est évidemment pas envisageable de mêler ces détenus à des personnes condamnées pour des faits beaucoup plus graves.
Enfin, les études concernant les bienfaits des peines ultracourtes restent peu nombreuses. Elles sont insuffisantes pour juger de l’opportunité d’établir un tel dispositif en France.
Notre groupe reconnaît l’intérêt des propositions qui figurent dans ce texte, notamment le fait de redonner une marge de manœuvre aux magistrats afin de déterminer la sanction la plus adaptée. Néanmoins, nous émettons des réserves d’ordre pratique qu’il conviendra de lever au cours des débats.
M. Xavier Albertini (HOR). Depuis une dizaine d’années, la politique pénale a été marquée par la volonté de limiter le recours à l’incarcération pour les courtes peines. Cette orientation, initiée par la loi dite Taubira du 15 août 2014, repose sur l’idée selon laquelle les peines d’emprisonnement de courte durée seraient inefficaces et qu’il conviendrait de privilégier des mesures alternatives à la détention.
Dix ans de pratique de cette politique nous obligent à établir son bilan. On observe une hausse continue du nombre de détenus, ce qui démontre que la politique de réduction des incarcérations n’a pas permis de freiner la pression carcérale. De plus, le taux de récidive atteint près de 60 %, ce qui conduit à s’interroger sur l’efficacité des aménagements de peine.
Cette politique qui enferme dans un cycle de délinquance entretient un fort sentiment d’impunité, tant chez les délinquants – qui peuvent interpréter l’absence de sanction comme une tolérance de leurs actes – que chez les victimes – dont la confiance dans le système judiciaire s’érode car elles l’estiment inefficace. Enfin, de nombreuses études soulignent les résultats plus que contrastés de peines alternatives telles que le placement sous surveillance électronique.
Très récemment, la Cour des comptes s’est penchée sur le taux de réitération suivant le prononcé d’une peine alternative. En exploitant les données du casier judiciaire entre 2010 et 2020, elle a calculé que ce taux s’établissait à environ 60 % dans les cinq années suivant le prononcé d’un TIG. Ce bilan devrait conduire le législateur à réformer avec lucidité et de manière profonde notre politique pénale.
Cette proposition de loi amorce ce mouvement, notamment en rétablissant la possibilité pour le juge de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures à un mois et en supprimant l’obligation quasi systématique d’aménager les peines de moins d’un an.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe soutient sans réserve cette proposition. Elle permettra en effet de renforcer la crédibilité de la justice, de prévenir la récidive et, à long terme, de réduire la population carcérale – malgré une augmentation de cette dernière à court terme que nous avons bien identifiée et qui devra conduire à la construction de places de prison supplémentaires.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nombre de détenus qui purgent leur peine dans les prisons françaises le font dans des conditions jugées indignes. Des agents pénitentiaires travaillent dans un cadre déplorable. Des directeurs d’établissement tirent très régulièrement la sonnette d’alarme au sujet des conséquences dangereuses de la surpopulation carcérale, tant pour les détenus que pour les personnels. Enfin, des instances supranationales condamnent la France à ce sujet.
Cela n’empêche pas le groupe Horizons & indépendants de proposer de revenir aux courtes peines d’emprisonnement. De nombreuses études établissent pourtant un lien direct entre les mauvaises conditions de détention, d’une part, et l’augmentation du risque de récidive et des difficultés de réinsertion des détenus, d’autre part. Je pense que vous les connaissez aussi, mais vous proposez quand même d’emprisonner davantage pour une courte durée.
Depuis un certain temps, on entend un discours politique dominant qui explique que c’est en enfermant plus et en durcissant le régime d’exécution des peines qu’on est le plus responsable et qu’on lutte le mieux contre la délinquance. Il faut arrêter de mentir et dire quelle est la réalité à nos concitoyens. J’étais hier encore à la prison de Bois-d’Arcy. Le taux d’occupation y était de 186 % il y a quelques mois et il atteint désormais 206 %. Les conditions de vie sont déplorables et elles favorisent la délinquance en empêchant la réinsertion.
Il est entièrement faux de dire que faire de l’emprisonnement la peine de référence permettra de mieux assurer la sûreté dans la société. Il faut en finir avec cette conception.
Dans le rapport d’information que j’ai rédigé avec Caroline Abadie, nous avons montré que les peines alternatives à l’emprisonnement permettent une prise en charge plus adaptée au profil des personnes condamnées et à la nature des infractions commises. Ces peines sont souvent bien plus efficaces pour leur réinsertion et pour prévenir la récidive. Les courtes peines de prison sont en effet particulièrement désocialisantes et ne contribuent pas à la lutte contre la récidive.
Vous avez cité l’exemple des Pays-Bas. Ce n’est pas celui que je privilégie, mais ils ont pensé la déflation carcérale, ce que nous ne faisons pas. C’est pourtant indispensable si l’on veut lutter contre la surpopulation carcérale et la récidive. Aux Pays-Bas, on prononce beaucoup de peines alternatives qui n’empiètent pas sur la liberté. En outre, les personnes qui y effectuent des TIG sont très accompagnées, ce qui est moins le cas chez nous. Nous comparer aux Pays-Bas en ne regardant que les courtes peines d’emprisonnement ne permet pas d’avoir une vision d’ensemble.
Vous l’aurez compris, nous voterons résolument contre cette proposition.
Mme Sylvie Josserand (RN). Cette proposition visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme sonne comme un cruel constat d’échec.
Tout d’abord, c’est l’aveu que l’on n’exécute pas les peines d’emprisonnement ferme en France.
Ensuite, ce texte revient sur la réforme voulue à grand renfort de communication par le premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, et par sa ministre de la justice, Nicole Belloubet. La loi du 23 mars 2019 avait en effet purement et simplement supprimé les très courtes peines d’emprisonnement, de moins d’un mois, et imposé un aménagement ab initio des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un an.
Le dispositif de cette proposition concerne seulement les courtes peines d’emprisonnement alors que, comme son titre l’admet de manière peu glorieuse, l’inexécution des peines est un échec qui affecte toutes les peines d’emprisonnement ferme.
On n’exécute plus les peines pour des raisons idéologiques qui sont totalement déconnectées de la réalité du terrain et qui contredisent les principes cardinaux du droit pénal. Faut-il rappeler que l’article 130-1 du code pénal dispose que la peine a pour fonction, premièrement, de sanctionner l’auteur de l’infraction et, deuxièmement, de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion, afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social dans le respect des intérêts de la victime ?
Dans son traité Des délits et des peines paru en 1764, qui inspira les révolutionnaires français dans la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, Cesare Beccaria écrit que la peine a la double fonction « d’empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d’en commettre de semblables ».
La non-exécution des peines d’emprisonnement ferme, pourtant prononcées par les tribunaux correctionnels, fait perdre tout sens à la peine et tout imperium aux juridictions pénales. Une étude de l’Institut pour la justice révèle qu’entre 2016 et 2020, 41 % des condamnés à une peine d’emprisonnement ferme n’ont jamais été incarcérés. Pour justifier ce que l’Institut qualifiait récemment de « carcérophobie », Nicole Belloubet, alors ministre de la justice, expliquait en 2019, comme l’avait fait Christiane Taubira avant elle, qu’il fallait « remplacer les courtes peines de prison, qui sont désocialisantes et vecteurs de récidive, par des peines plus efficaces ». Belle réussite ! L’Insee faisait état d’un taux de récidive de 14,1 % en 2019 ; il atteignait 18,1 % en 2023, selon le service statistique ministériel de la justice.
Dans son programme présidentiel de 2022, Marine Le Pen proposait de « revenir à la raison en recourant à de courtes peines d’emprisonnement », la démonstration étant faite qu’elles permettent d’enrayer les parcours délinquants – à tel point qu’elles ont conduit, aux Pays-Bas, à fermer plusieurs établissements pénitentiaires devenus inutiles et à réduire la dépense publique consacrée à la sécurité.
Le groupe Rassemblement national votera donc en faveur de cette proposition de loi, même si elle n’est pas à la hauteur des enjeux de tranquillité et de sécurité publiques.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Ni moi-même ni aucun des cosignataires de ce texte n’avons la peine de prison pour réflexe. Si tel était le cas, nous n’aurions pas proposé que l’aménagement redevienne possible pour les peines de douze à vingt-quatre mois et nous l’aurions exclu pour les peines inférieures à un mois qui, dans la rédaction proposée, pourront par exemple être converties en TIG. Il est vrai que je préfère les ultracourtes peines aux incarcérations plus longues. En cela, je suis très éloigné de la surenchère actuelle en matière de quantum des peines. Mon seul souci, c’est la liberté du juge, qui doit pouvoir choisir en fonction du délinquant qui lui fait face.
Vous êtes plusieurs à avoir évoqué la surpopulation carcérale. Notez d’abord qu’on incarcère moins actuellement que dans les années 1980. Seulement, les peines infligées sont beaucoup plus longues – la durée moyenne est passée de 6 à 11,2 mois –, si bien qu’on a besoin de presque deux fois plus de places. La Cour des comptes relève ainsi que la loi du 23 mars 2019 a provoqué une explosion du nombre de peines comprises entre six mois et un an, les magistrats étant soucieux d’éviter l’obligation d’aménagement.
Cette proposition de loi est équilibrée : elle redonne au juge la liberté de mettre une personne en prison pour une durée inférieure à six mois s’il considère que cela peut être bénéfique, tout en lui permettant d’aménager les peines comprises entre douze et vingt-quatre mois, ce qui n’était plus possible.
Les très courtes peines, inférieures à un mois, pourront également être aménagées. J’insiste sur le fait qu’elles consommeraient très peu de places de prison : d’après l’administration pénitentiaire et les syndicats, incarcérer 10 000 personnes – ce qui n’est pas du tout l’objectif – pendant sept ou quatorze jours nécessiterait seulement 400 places, puisqu’une rotation s’instaurerait entre les détenus. Je souhaite d’ailleurs que ce texte incite à construire des établissements spécifiques à cette population : un des défauts de notre parc pénitentiaire réside dans le manque de variété des modèles d’établissement. Pour accueillir des détenus condamnés à quelques semaines d’emprisonnement, qui présentent des profils beaucoup moins dangereux et ont peu d’intérêt à s’évader, nul besoin de miradors, de murs ou de filets anti-hélicoptères : on pourrait rapidement faire sortir de terre des bâtiments moins sécurisés, nécessitant moins de foncier – alors qu’il faut actuellement en moyenne sept ans pour construire une prison –, ou même aménager des bâtiments existants, et ainsi soulager des établissements pénitentiaires très chargés.
Article 1er : (art. 132-19 du code pénal) Rétablir la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement ferme inférieure ou égale à un mois et restaurer la liberté du juge d’aménager ou non une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans
Amendements de suppression CL9 de Mme Elsa Faucillon, CL12 de M. Jean-François Coulomme, CL23 de Mme Léa Balage El Mariky et CL31 de M. Hervé Saulignac
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous défendons le principe de l’aménagement des peines d’emprisonnement inférieures à un an inscrit à l’article 132-19 du code pénal, l’obligation d’aménager les peines de moins de six mois et l’interdiction des peines inférieures à un mois. La systématisation des aménagements de peine est en effet justifiée par le caractère désocialisant de l’incarcération. En outre, une peine aménagée reste bien une peine : la personne qui l’exécute voit sa liberté entravée, même si elle n’en est pas privée complètement – par exemple si elle bénéficie d’un placement à l’extérieur en journée.
Vous dites vouloir redonner leur liberté aux juges. Dans le cadre de la mission d’information qui nous a été confiée, Caroline Abadie et moi-même avons entendu des juges désireux d’être soustraits à la pression médiatique et politique qui, s’exerçant sur eux et faisant reposer sur leurs seules épaules le poids de chaque décision, a conduit, parmi d’autres raisons, à l’allongement des peines que vous décrivez. En tant que députés, nous ne contribuons pas seulement à l’augmentation du quantum de nombreuses peines : nous participons aussi, par nos prises de parole, à l’installation d’un climat sécuritaire dont votre majorité est largement responsable et qui fait porter au juge ou à l’univers carcéral la responsabilité de chaque fait divers – dont certains sont très graves. Notre responsabilité de législateurs serait de les délester en partie de cette charge. En matière de régulation carcérale, notamment, nous pourrions avoir un peu plus de courage.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Votre niche parlementaire, dans son ensemble, est surtout l’occasion de stigmatiser les pauvres gens, qu’ils soient délinquants ou tout à fait honnêtes : c’est votre seule ambition. De concert avec les groupes Droite républicaine et Rassemblement national, vous citez Beccaria, comme si vous vouliez en faire l’alpha et l’oméga de votre philosophie pénale. Sachez pourtant que la peine, pour lui, n’était pas forcément synonyme d’emprisonnement ou d’incarcération.
Bien au contraire, ce sont plutôt des peines alternatives qu’il nous faut envisager, puisque la prison ne permet pas à ceux qui y séjournent de s’amender. L’état lamentable de nos prisons, dont certaines sont farcies de rats et de vermine, n’en fait pas un très bon moyen de radoucir les tempéraments que vous jugez inappropriés : il pousse plutôt à une certaine haine contre la société et expose, à tout le moins, à une ambiance qui incite à la récidive. Le taux de surpopulation, qui atteint 160 % dans certaines maisons d’arrêt – et même en réalité 200 %, car les directeurs d’établissement utilisent des cellules comme sas pour y placer des détenus incompatibles entre eux, bien souvent du fait d’affections psychiatriques diverses –, y contribue également.
Votre proposition de loi est donc complètement inappropriée pour prévenir la récidive et favoriser la désistance des détenus.
Enfin, vous ne rendez pas service aux agents pénitentiaires dont vous vous prétendez les défenseurs, qui sont déjà en effectifs insuffisants et dont vous allez encore aggraver les conditions de travail.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Si les juges prononcent davantage de peines supérieures à six mois depuis 2019, c’est parce qu’une pression s’exerce sur les magistrats du siège, qui reçoivent pour information les circulaires transmises au parquet et peuvent ainsi être incités à prononcer des peines perçues comme efficaces par la société, c'est-à-dire des peines d’emprisonnement ferme. Cela ne signifie pas pour autant que ces peines ne seront pas aménagées par la suite. Il y a là une hypocrisie : on critique les aménagements de peine tout en les déléguant aux juges d’application des peines (JAP). Plutôt que de stigmatiser les aménagements de peine, qui permettent de réinsérer et d’accompagner celles et ceux qui ont dévié du chemin, nous devrions renforcer les moyens déployés pour assurer leur bonne exécution. N’opposons pas l’emprisonnement et l’aménagement des peines : tous deux concourent à une justice efficace, et ce d’autant plus quand les peines courtes sont évitées.
M. Hervé Saulignac (SOC). Nous partageons vos constats quant à la surpopulation carcérale, les trop nombreuses récidives et l’incompréhension de nos concitoyens vis-à-vis des peines de prison aménagées. Seulement, il est assez curieux, voire hasardeux, de prétendre lutter contre la surpopulation carcérale en mettant encore plus de monde en prison. De même, on peut légitimement s’interroger sur un dispositif qui rend possible un emprisonnement de très courte durée alors que, dans le même temps, une personne condamnée à vingt-quatre mois de prison pourra voir sa peine aménagée. Avouez que, sur ces deux points, votre texte manque cruellement de sens.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je suis fier de citer Beccaria, qui était un fervent opposant à la peine de mort et que, j’en suis sûr, vous ne manquez pas de rejoindre sur certains points, monsieur Coulomme.
Par ces amendements, vous proposez de supprimer la possibilité d’aménager les peines de douze à vingt-quatre mois, à laquelle vous êtes pourtant favorables, me semble-t-il. J’estime qu’il ne revient pas au législateur de décider de ces aménagements, mais au juge. Or ce choix ne lui est pas laissé pour les peines inférieures à six mois, ce qui alimente l’incompréhension vis-à-vis des décisions de justice, qui ne peuvent pas être rendues en fonction de l’infraction, du profil du délinquant ou des circonstances. Nous voulons rendre cette liberté au juge, y compris en lui permettant de prononcer, dans certains cas, une courte peine de prison, elle-même aménageable.
Je vous rejoins sur un point : une peine aménagée est une peine exécutée. Nous serions cependant beaucoup plus forts si c’était le juge qui pouvait en décider au cas par cas, car c’est lui qui connaît l’auteur, l’infraction et le contexte.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Pour être efficaces dans la lutte contre la récidive des personnes condamnées à de courtes peines, nous ferions mieux de nous intéresser aux sorties sèches, qui sont très propices à cette récidive. Tous les chiffres le montrent : la courte peine est par nature désocialisante et ne permet pas la réinsertion.
Le taux d’incarcération augmente beaucoup plus vite que le niveau de délinquance. Or tout ce qui concourt à enfermer davantage favorise à la fois la surpopulation et la récidive. Mieux vaudrait améliorer l’accompagnement à la sortie plutôt que de multiplier les courtes peines d’emprisonnement.
M. Jiovanny William (SOC). Dans la plupart des cas, le juge mêle déjà prison ferme et sursis lorsqu’il rend sa décision. Je ne vois pas ce que cette proposition de loi apportera de plus. Un juge qui souhaite mettre quelqu’un en prison peut simplement décerner un mandat de dépôt. La loi n’empêche nullement les incarcérations, sauf pour les peines inférieures à un mois.
En revanche, en permettant au juge de prononcer une peine ferme en premier recours quelles que soient la gravité de l’infraction et la personnalité de l’auteur, vous mettez en cause le principe d’individualisation de la peine. C’est un véritable problème.
Au bout du compte, vous allez alourdir la machine judiciaire, notamment dans les procédures de CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), alors que les prisons sont déjà surpeuplées et que nous devrions nous concentrer sur l’accroissement des moyens alloués aux aménagements de peine. Dans ma circonscription, par exemple, nous ne disposons pas de bracelets électroniques en nombre suffisant pour en équiper toux ceux qui pourraient l’être.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Vous avancez un argument d’autorité en vous prévalant de savoir ce que pensent « les magistrats ». Pourtant, selon le Syndicat de la magistrature, qui s’est penché sur votre proposition de loi, aucune contrainte ne s’impose au tribunal, qui peut refuser d’aménager la peine chaque fois que la personnalité ou la situation du condamné le rend possible.
Notre collègue vient de soulever un point très important : vous ne pouvez pas revenir ainsi sur le principe d’individualisation de la peine ! Quels sont les magistrats que vous avez auditionnés ? Les avez-vous sélectionnés en fonction de ce qui vous intéressait ? Pourquoi ne pas avoir auditionné une structure aussi importante que le Syndicat de la magistrature ?
M. Loïc Kervran, rapporteur. Les critères en vigueur pour faire exécuter une peine de prison ferme de courte durée sont tellement restrictifs que ces décisions sont très difficilement applicables, d’autant que la jurisprudence de la Cour de cassation ajoute elle aussi des limitations – elle impose par exemple au magistrat d’aménager la peine même quand le condamné n’a pas assisté à son procès.
Le fait d’avoir inscrit dans la loi, en 2019, que l’emprisonnement sans sursis ne pouvait être prononcé « qu’en dernier recours » avait beaucoup choqué les magistrats : dès lors qu’ils se demandaient déjà systématiquement quelle était la meilleure décision possible pour le prévenu et voyaient à l’évidence dans l’incarcération une solution de dernier recours, le fait que le législateur ait cru bon de le préciser a été perçu comme un acte de défiance. C’est aussi pour cette raison que nous avons décidé de l’enlever du code pénal.
Le Syndicat de la magistrature a bien été auditionné et nous a d’ailleurs fait savoir à quel point il était favorable à la réouverture de la possibilité d’aménagement de la peine jusqu’à vingt-quatre mois.
Enfin, les ultracourtes peines sont moins désocialisantes que les autres : en sept ou quatorze jours, on ne perd pas son travail, ni le cours de sa scolarité, son logement ou ses liens familiaux. C’est pourquoi cette solution est parfois plus intéressante que d’attendre la sixième, la huitième ou la dixième condamnation pour finir par infliger des peines plus longues, pour le coup très désocialisantes.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL17 de Mme Andrée Taurinya
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Par cet amendement d’appel, nous proposons que, pour les personnes en état de récidive délictuelle, les juridictions prononcent ab initio des aménagements de peine. Dès lors que la peine n’a clairement pas fonctionné – puisque le prévenu est en récidive –, quel est l’intérêt de renvoyer la personne en prison, dont on sait, au-delà des conditions indignes qui y ont cours, qu’elle produit précisément de la récidive ? Cela n’a absolument aucun sens : la personne renvoyée en prison pourra y enrichir son carnet d’adresses en rencontrant une multitude de délinquants, donc, une fois sortie de nouveau, replonger dans la délinquance, et ainsi de suite, dans un cercle infernal. Si nous voulons lutter contre la récidive, il ne faut pas voir la prison comme une solution, mais au contraire trouver les moyens de réinsérer ces personnes, en évitant notamment les sorties sèches.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Il vous aurait été difficile de rédiger un amendement auquel j’aurais été plus défavorable. Vous proposez d’interdire d’infliger une peine de prison ferme à une personne déjà incarcérée par le passé et qui aurait récidivé. C’est incroyable ! Vous incitez à commettre des délits, puisqu’une personne récidiviste échapperait mécaniquement à l’emprisonnement. Je ne commenterai pas davantage.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Pour une fois, nous ne répondrons pas à votre appel, chère collègue, même si nous comprenons parfaitement votre intention. Nous estimons qu’il ne faut pas interdire par principe toute incarcération de personnes en récidive, non pas parce que cela favoriserait ou encouragerait une hausse du nombre de délits, mais parce que cela reviendrait à appliquer une autre forme généralisation, aussi peu respectueuse de la singularité des parcours que l’approche du rapporteur. Le juge doit apprécier la peine la plus adaptée à chaque situation, qu’il s’agisse un primo-délinquant ou d’un récidiviste : il doit juger les actes commis ainsi que la personnalité de l’auteur au moment où il statue, et non appliquer mécaniquement une règle fondée sur le passé judiciaire du prévenu.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Nous vous invitons à réfléchir à ce qui produit la récidive. Les études montrent qu’une personne emprisonnée a plus de chance de récidiver qu’une personne dont la peine a été aménagée. Le juge doit garder toute liberté d’individualiser la peine et de l’adapter à la situation personnelle de l’individu, sans être contraint d’avoir recours à une peine de prison ferme.
M. Pierre Cazeneuve (EPR). Cet amendement de La France insoumise est hallucinant : vous promouvez un nouveau système de répression, dans lequel on ne peut aller qu’une fois en prison tout au long de sa vie. Après cela, même en faisant n’importe quoi et en commettant tous les délits imaginables, on n’y retourne plus jamais – c’est littéralement ce que vous proposez. Si une personne est condamnée après avoir récidivé, cela signe évidemment en partie l’échec de la société qui n’a pas réussi à la réinsérer, mais c’est avant tout de sa propre faute, et elle doit être punie pour cela.
Il y a là une totale inversion des valeurs. Vous rendez-vous compte de la folie de ce que vous écrivez et de l’incitation à commettre des délits qui en résulterait ? Vous êtes complètement déconnectés des réalités !
Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous sommes en total désaccord avec Mme Taurinya, qui explique que, quand une personne commet une infraction, la première chose à faire, c’est réinsérer, avant même de sanctionner. Notre collègue évoque une inversion de l’échelle des valeurs : c’est tout à fait cela.
Jamais autant d’aménagements de peine n’ont été prononcés qu’actuellement : on aménage une fois, deux fois, cinq fois, dix fois, et ensuite on finit par envoyer en prison. Voilà comment les choses se passent. Nous proposons de changer la grille de lecture, comme l’ont fait d’autres pays, considérant qu’il faut incarcérer beaucoup plus tôt et moins longtemps pour éviter la récidive – des éléments chiffrés montrent que c’est un succès, particulièrement chez les primo-délinquants – et pour lutter contre la surpopulation carcérale.
N’oublions pas que la France compte moins de places de prison par habitant que les autres pays. C’est une des raisons pour lesquelles nous sommes favorables à la construction de nouvelles places, en différenciant les établissements en fonction des profils et de la durée des peines d’emprisonnement qui, lorsqu’elles sont très courtes, peuvent être exécutées dans des milieux plus ouverts.
M. Hervé Saulignac (SOC). Peut-être devriez-vous examiner cet amendement avec davantage d’attention, car nos collègues de La France insoumise semblent avoir trouvé la solution à la surpopulation carcérale : ne plus renvoyer en prison ceux qui ont récidivé ! Plus sérieusement, nous ne pourrons pas les suivre sur ce point.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL13 et CL14 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Que voulez-vous faire des délinquants ? Comment entendez-vous les réparer, les amender, les améliorer, pour les réintégrer ensuite dans l’espace public sous une forme plus compatible avec une vie sociale libre de toute commission d’actes délictuels ? Telles sont les questions qui devraient nous animer.
Que voulez-vous réparer et améliorer chez quelqu’un qui a commis un délit en lui faisant subir un mois de prison ? Peut-être concevez-vous une telle peine comme un stage d’acclimatation à la vie carcérale en vue d’un prochain emprisonnement, un genre de stage de découverte ? J’avoue ne pas comprendre l’esprit de votre mesure.
Si nous avions un dispositif conduisant à la désistance, nous pourrions dire que la peine constitue un bénéfice ; elle aurait du sens, puisqu’elle améliorerait l’ensemble de la société. Or l’incarcération ne vise qu’à extraire momentanément un individu de l’espace public : elle ne règle donc absolument pas le problème. Les prisons connaissent un phénomène de turn-over qui devient de plus en plus infernal du fait de l’augmentation du quantum des peines et du nombre de personnes incarcérées.
Madame Moutchou, vous avez affirmé qu’il fallait toujours plus de prisons mais, plus il y en aura, plus on aura de motifs de les remplir ! Cela s’est vu aux États-Unis et, plus généralement, dans tous les pays dans lesquels la répression carcérale constitue l’unique mode de sanction.
Nous proposons donc, par l’amendement CL13, d’interdire le prononcé de peines d’emprisonnement ferme inférieures à trois mois, dont pourraient être passibles, par exemple, des chauffards ou des fumeurs de joints. L’amendement CL14 vise à interdire les peines d’emprisonnement ferme de moins de deux mois.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Vous avez une vision à mon sens assez idéologique de la question puisque, par principe, vous déniez toute utilité à la prison. En cela, nos positions divergent profondément. Pour notre part, nous proposons de faire confiance aux magistrats en leur offrant la possibilité de prononcer de la prison ferme. Les magistrats nous disent que, pour des auteurs de délits routiers récidivistes ou des primo-auteurs de violences conjugales qu’il faut absolument faire partir du foyer, la prison ferme peut être un outil adapté. Beaucoup d’entre eux y ont eu recours par le passé, à une époque où la loi le leur permettait, y compris pour les mineurs. Nous ne souhaitons pas les empêcher de prononcer des peines de prison ferme inférieures trois mois.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous pourrions envisager d’autres solutions. En effet, nos prisons abritent déjà une part disproportionnée de prévenus. Ce phénomène inquiétant est l’une des raisons de la surpopulation carcérale et constitue un enjeu en matière de lutte contre la récidive.
Dans le rapport d’information de juillet 2023 que j’avais rédigé avec Caroline Abadie, nous avions proposé l’instauration d’une peine de probation totalement autonome : autrement dit, pour certains délits, le juge ne pourrait pas prononcer de peine d’emprisonnement mais seulement une ou plusieurs peines alternatives qui constitueraient, chacune, une déclinaison de la peine de probation. Le juge d’application des peines pourrait piocher dans la palette des peines alternatives. Au-delà du débat qui oppose partisans et détracteurs de la prison, on peut se demander quelle est l’utilité d’incarcérer pendant six mois quelqu’un qui est en CDI, qui a conduit à plusieurs reprises sans permis dans le cadre de son travail, qui est marié et qui a des enfants. Certes, il faut sanctionner la récidive, mais ne conviendrait-il pas, en l’occurrence, de faire passer un stage à l’intéressé ou de lui permettre de passer son permis de conduire ?
M. Jiovanny William (SOC). Monsieur le rapporteur, avez-vous envisagé de circonscrire le texte à certains types de délits ? En effet, la nature du délit influe sur le quantum de la peine. Je vois mal un juge prononcer une peine de quinze jours d’emprisonnement ferme pour des violences volontaires en récidive, par exemple.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Monsieur William, je fais confiance aux magistrats, qui sont seuls à même de décider de la peine. Je ne pense pas qu’une personne poursuivie pour des faits de terrorisme sera condamnée à quatorze jours de prison.
Madame Faucillon, les courtes peines – inférieures ou égales à un mois – étaient assez fréquemment prononcées jusqu’en 2019 : on en comptait entre 5 000 et 10 000 par an. C’est donc un outil que les magistrats jugeaient utile. J’ai rencontré une personne dont le fils a été tué par un chauffard qui avait fait l’objet de multiples condamnations, y compris à de la prison ferme, mais qui n’avait jamais mis les pieds en prison. Un magistrat aurait pu estimer, après avoir étudié la personnalité de l’individu, qu’un très court passage derrière les barreaux lui aurait permis de prendre conscience de ses actes. À tout le moins, il importe de mettre cet outil à la disposition du juge. On peut espérer que cela réduise l’incompréhension que les décisions de justice inspirent parfois aux citoyens.
La commission rejette successivement les amendements.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL46 de M. Loïc Kervran, rapporteur.
Amendement CL34 de Mme Sylvie Josserand
Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à préciser que, pour le calcul du quantum d’emprisonnement en vue de l’aménagement de la peine, il faut prendre en compte non seulement la peine prononcée par la juridiction de jugement mais aussi l’éventuelle révocation d’un sursis qui assortissait une précédente condamnation. Dès lors que le cumul de la peine et du sursis révoqué n’excède pas deux ans, chacune des deux peines doit pouvoir faire l’objet d’un aménagement. Cela permettrait d’appréhender plusieurs peines prononcées successivement, sachant que certaines sont parfois oubliées.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Cette règle est déjà énoncée par l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale. La chambre criminelle de la Cour de cassation a également rappelé le principe dans plusieurs de ses arrêts. Votre amendement me semble donc satisfait.
Mme Sylvie Josserand (RN). Comme sa numérotation l’indique, l’article D. 48-1-1 résulte d’un décret. Au-delà de sa reconnaissance jurisprudentielle, nous souhaitons inscrire la règle dans le marbre de la loi.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je m’en remets à la sagesse de la commission qui peut, si elle le souhaite, élever le principe dans la hiérarchie des normes.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Peut-être faut-il discerner, derrière cet amendement, le souhait de voir un ancien président de la République passer plusieurs dizaines d’années en prison… En tout état de cause, nous sommes opposés à cette disposition car elle contreviendrait à la règle du non-cumul des peines.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL42 de Mme Béatrice Roullaud
Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à rendre impossible l’aménagement de la peine en cas de violences physiques. Ces infractions présentent en effet une nature particulière dans la mesure où il est porté atteinte à l’intégrité physique de la personne.
M. Loïc Kervran, rapporteur. D’un point de vue juridique, il me paraît délicat d’exclure une catégorie d’infractions du champ de l’aménagement de la peine, eu égard, notamment au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. En réalité, la seule échelle pertinente pour mesurer la gravité d’un délit est celle des sanctions pénales prévues par la loi. On ne peut pas en instaurer d’autres de manière discrétionnaire, sous peine de fragiliser la législation.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL52 de M. Loïc Kervran, rapporteur.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Article 2 : (art. 132-25 du code pénal) Conditionner les mesures d’aménagement de peine à des garanties de réinsertion du condamné
Amendements de suppression CL18 de Mme Andrée Taurinya, CL24 de Mme Léa Balage El Mariky et CL32 de M. Hervé Saulignac
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer l’article 2 car il subordonne les aménagements de peine à des conditions drastiques. Or ces aménagements permettent d’éviter, autant que possible, la récidive, laquelle est alimentée par l’emprisonnement ferme. Il faut complètement revoir notre vision de la justice, refonder l’échelle des peines et repenser la logique de la justice pénale. Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que ce texte se justifiait par l’incompréhension et le ressentiment des citoyens face au faible nombre de peines d’emprisonnement prononcées. Cela étant, notre rôle de législateurs n’est pas de nous appuyer sur ces émotions mais de proposer des textes inspirés par une vision humaniste de la justice. La promotion d’une conception vengeresse de la justice ne règle pas les problèmes. Les courtes peines sanctionnent des délits, tels que le défaut de permis, qui témoignent de difficultés sociales. Essayons de faire en sorte que la société accompagne ces personnes et offrons-leur la possibilité d’être réinsérées.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Nous nous opposons aussi à la réduction des cas dans lesquels le juge pourra prononcer un aménagement de peine car nous sommes fondamentalement attachés à la personnalisation de la peine. En outre, cette mesure est assez contradictoire avec votre discours, monsieur le rapporteur, vous qui affirmez défendre le principe de personnalisation, en particulier pour les courtes peines. Nous vous invitons donc, mes chers collègues, à supprimer l’article.
M. Hervé Saulignac (SOC). Nous appelons également à supprimer cet article, qui remet en cause le caractère subsidiaire de la peine d’emprisonnement ferme. Dans son rapport de 2013, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive affirmait que « le consensus sur l’efficacité des mesures d’aménagement de peine doit emporter une orientation ferme en faveur de leur développement ». L’article 2 emprunte la direction inverse.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Madame Taurinya, je crois, au contraire, que notre rôle de législateur est d’entendre ce que nos concitoyens ont à nous dire. Je ne suis pas sûr que les Français comprendraient qu’un aménagement de peine puisse être inconditionnel. Du reste, les critères figurant dans le texte, qui étaient appliqués jusqu’en 2019, sont très larges ; ils laissent une grande latitude au juge. Avis défavorable.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Si l’on percevait la consommation d’alcool de la même façon que vous considérez la consommation de cannabis, à savoir comme une déviance, imagine-t-on qu’elle pourrait être sanctionnée d’une peine de prison ferme ? C’est pourtant bien la peine applicable aux gens qui consomment du cannabis ou qui en font un petit commerce. Notre groupe considère que, si l’on dépénalisait l’usage du cannabis et que l’on légalisait sa vente, cela rapporterait non seulement beaucoup d’argent à l’État mais réduirait également la surpopulation carcérale, dont une grande partie est liée à ce petit trafic. Si vous voulez remplir les prisons au moyen de votre dispositif, il faudra bien que, d’une manière ou d’une autre, on fasse de la place. En réalité, il faut favoriser une déflation pénale, ce qui va à l’encontre de votre logique.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL27 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). La réforme de 2019 a permis d’augmenter le nombre d’aménagements de peine ab initio mais, comme nous l’avons indiqué, elle a entraîné un certain nombre d’effets de bord. C’est pourquoi nous proposons de relever le seuil d’aménagement obligatoire de la peine à un an d’emprisonnement. Dans les autres hypothèses, où le juge doit s’interroger sur la nécessité d’aménager la peine selon la situation ou la personnalité du détenu, on constate une incohérence entre les mécanismes ab initio et post-sentenciels. Ainsi, une peine de plus d’un an et de moins de deux ans d’emprisonnement ne peut être aménagée directement par le tribunal correctionnel mais devient aménageable dès l’entrée en détention, le JAP étant doté de cette prérogative pour les peines inférieures à deux ans de prison. Cette situation multiplie les procédures inutiles et retarde l’aménagement de l’exécution des peines. Nous proposons donc de relever le seuil d’aménagement quasi obligatoire de la peine à deux ans.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Votre amendement est satisfait puisque les articles 1er et 2 de la proposition de loi rehaussent le seuil jusqu’auquel la peine peut être aménagée, en le faisant passer d’un à deux ans d’emprisonnement ferme. La différence entre les deux dispositions tient toutefois au fait que vous ne conditionnez pas l’aménagement à des exigences de réinsertion sociale. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL47 de M. Loïc Kervran, rapporteur.
Amendements CL35 de Mme Sylvie Josserand et CL28 de Mme Léa Balage El Mariky (discussion commune)
Mme Sylvie Josserand (RN). L’amendement CL35 vise à préciser que, pour le calcul de la durée d’emprisonnement en vue de l’application du régime de la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur, il faut prendre en compte non seulement la peine prononcée par la juridiction de jugement mais aussi l’éventuelle révocation d’un sursis qui assortissait une précédente condamnation. Là encore, il s’agit d’appréhender les deux peines ensemble, dans la perspective d’un aménagement – qui requiert une durée totale d’emprisonnement n’excédant pas deux ans – mais il n’est évidemment pas question de cumuler les peines. Le principe du non-cumul des peines s’appliquera au stade de l’aménagement. L’objectif est de ne pas laisser une peine de côté, qui pourrait ensuite encombrer la juridiction d’application des peines.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). L’article 2 fait de l’aménagement de la peine l’exception : le juge ne sera plus tenu de motiver l’absence d’aménagement. Cette inversion va à l’encontre du mouvement amorcé ces dernières années en faveur d’un recours raisonné et individualisé à l’incarcération. Nous proposons de réaffirmer le principe selon lequel l’aménagement de la peine est la règle et non l’exception pour les peines inférieures ou égales à deux ans dès lors que la personnalité ou la situation du condamné le permet. Il reviendra au condamné de présenter les éléments nécessaires à cette appréciation. Si les conditions sont remplies, le juge devra choisir la modalité d’aménagement la plus adaptée. S’il estime au contraire que le profil de la personne s’oppose à un tel aménagement, il pourra prononcer une peine ferme à condition de motiver sa décision. Notre objectif est de préserver une justice individualisée, respectueuse des parcours de vie, tout en laissant au juge le soin d’apprécier au cas par cas la solution la plus juste et la plus utile.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Madame Josserand, comme tout à l’heure, je laisserai la commission décider si elle souhaite élever cette règle dans la hiérarchie des normes.
Madame Balage El Mariky, en remplaçant les mots « peut décider » par le mot « décide », vous ne laissez plus aucune latitude au juge. Or il doit pouvoir décider librement de la peine la plus adaptée et d’un éventuel aménagement. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL43 de M. Loïc Kervran, rapporteur.
Amendement CL4 de M. Antoine Villedieu
M. Jonathan Gery (RN). Cet amendement vise à garantir l’exécution des peines de prison ferme pour toute personne en capacité de supporter les conditions de détention. En effet, faire du suivi d’un traitement médical, au sens large, un critère d’aménagement de la peine risque d’ouvrir la voie à de trop nombreuses exceptions à l’application des peines de prison ferme.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Votre amendement me paraît satisfait car, lorsqu’une mesure d’aménagement est fondée sur la nécessité de suivre un traitement médical, c’est bien parce que celui-ci ne peut pas être suivi dans les mêmes conditions en prison. Par ailleurs, la condition d’incompatibilité du traitement médical avec le régime de la détention me semble trop restrictive : il faut laisser de la marge de manœuvre au juge pour qu’il puisse prendre la décision la plus adaptée, en fonction de la nature de la pathologie et du traitement.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Il est presque comique de vous entendre dire cela, monsieur Gery. Avez-vous déjà visité une prison ? Qui, parmi nous, serait capable de supporter les conditions de détention ? Personne. Nous sommes un certain nombre à décrire ce que nous voyons lorsque nous visitons une prison : les cafards, la vétusté des bâtiments, l’état déplorable des unités sanitaires... J’ai vu, dans la prison de La Talaudière, des salles d’attente d’unités sanitaires dont les murs sont couverts de déjections. Si l’un d’entre nous passait ne serait-ce qu’une heure en prison, il en sortirait complètement détruit, étant donné les conditions indignes de détention, qui ont valu à la France d’être condamnée à plusieurs reprises. Dans le même temps, on laisse la possibilité à un ancien président de la République de passer des vacances aux Seychelles avant de lui poser un bracelet électronique…
Mme Sylvie Josserand (RN). Il faut également prendre en considération le sort des victimes, que vous avez tendance à oublier. Des personnes doivent parfois être hospitalisées des mois durant à la suite d’une agression. Il faut trouver un équilibre entre le sort de l’un et de l’autre – l’un ayant choisi de commettre l’infraction, l’autre l’ayant subie.
M. Jiovanny William (SOC). Le JAP est justement là pour vérifier que l’état de la personne est compatible avec l’emprisonnement. Il faut lui laisser la liberté de décider.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Les victimes sont évidemment importantes. Lorsque j’ai rencontré les associations, j’ai entendu que les victimes demandaient à être mieux reconnues dans le cadre des procédures, à être mieux informées, plus écoutées. Nous avons un travail considérable à mener en la matière. Je regrette qu’à chaque fois que le bloc central et, plus régulièrement, l’extrême droite parlent des victimes, ce soit pour les présenter comme des gens ayant soif de vengeance. Or ce n’est pas le cas, même si, lorsqu’il vous arrive quelque chose de très grave, vous pouvez en vouloir très fortement à l’auteur du délit ou du crime. En notre qualité de législateurs, nous devons faire preuve du recul que demande l’État de droit. Arrêtons de faire croire que les victimes nous poussent sans cesse à l’inflation pénale. Elles veulent surtout s’assurer que l’État lutte contre la récidive et que, grâce à cela, d’autres ne causeront pas le même préjudice.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL44 de M. Loïc Kervran, rapporteur.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Article 3 : (art. 464-2 du code de procédure pénale) Abroger l’article 464-2 du code de procédure pénale
Amendements de suppression CL11 de Mme Elsa Faucillon, CL15 de M. Jean-François Coulomme, CL25 de Mme Léa Balage El Mariky et CL33 de M. Hervé Saulignac
Mme Elsa Faucillon (GDR). Les chiffres le démontrent, la justice n’est pas laxiste ; nous avons la responsabilité de ne pas faire croire qu’elle le serait. Les peines prononcées sont longues. Il est vrai que l’exécution pose un problème, mais c’est aussi le cas pour les peines alternatives. Si nous voulons que le débat soit sérieux, et surtout efficace, arrêtons de raconter que la justice est laxiste et que les magistrats ne disposent pas d’une latitude suffisante – ce qui d’ailleurs est quelque peu contradictoire –, alors qu’ils prononcent des peines plus longues qu’avant. La pression vient en grande partie de nous.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Il faut identifier le fait générateur des actes délictuels. Depuis de nombreuses années, la population carcérale ne cesse d’augmenter. Une certaine classe de la population se sentirait-elle un goût particulier pour les crimes et les délits ? Les comportements évoluent-ils sous l’effet de la violence de la société ? L’action correctrice, émancipatrice et éducatrice de l’école serait-elle insuffisante, faute de moyens ? À moins que vous ne souhaitiez essentialiser les individus, ce qui vous mènera peut-être, à l’aide de l’intelligence artificielle, à prédire dès la naissance s’ils iront faire un tour en prison pour avoir commis des délits.
Peut-être faut-il soigner non pas les symptômes, mais les causes. Avec votre proposition de loi, vous préférez pénaliser, incarcérer, pour mettre sous le tapis les individus ayant commis des infractions, et ainsi régler le problème – ce qui est hypocrite.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). L’amendement CL25 vise à supprimer l’article 3. Nous souhaitons maintenir l’aménagement ab initio des peines de prison inférieures ou égales à un an, quand la personnalité et la situation du condamné le permettent. Rien ne justifie de supprimer un mécanisme équilibré : si les éléments du dossier sont insuffisants, le juge peut toujours écarter l’aménagement.
M. Hervé Saulignac (SOC). Abroger l’article 464-2 du code de procédure pénale serait une grave erreur. La littérature démontre suffisamment que les peines exécutées en milieu ouvert et assorties d’un accompagnement adéquat favorisent l’arrêt de la délinquance. Nous soutenons donc la suppression de l’article 3.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Avis défavorable. Plutôt que de supprimer l’article, je vous propose d’adopter le prochain amendement, CL49, qui tend à le réécrire. En effet, l’article 464-2 du code de procédure pénale contient des dispositifs intéressants, notamment le mandat de dépôt différé. Les ultracourtes peines sont moins désocialisantes, mais les magistrats expliquent que le mandat de dépôt simple, décerné à l’audience, annule ce bénéfice : la personne concernée n’a pas le temps de se préparer.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Vous voulez éviter la désocialisation mais vous ne prenez pas en considération le choc carcéral, que l’administration pénitentiaire reconnaît pourtant, puisqu’il existe des quartiers primo-arrivants, où les agents ont pour priorité de surveiller le risque suicidaire que provoque le choc carcéral. Je ne veux apitoyer personne sur le sort de ceux qui se retrouvent en prison pour avoir commis des délits, mais il faut mesurer l’impact de ce choc eu égard à la commission d’un délit mineur, puisque nous parlons de peines courtes, et ses potentiels effets lors de la sortie.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Si vous aviez eu à cœur d’éviter la désocialisation, monsieur le rapporteur, vous auriez pu imaginer un dispositif d’aménagement sur le modèle de ce qui existait pour les auteurs d’excès de vitesse : le juge pouvait prononcer un retrait de permis aménagé, de sorte qu’ils puissent continuer à travailler mais non à conduire le week-end.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je souhaite, madame Faucillon, que nous envisagions de créer des établissements spécifiques. Il est préférable de passer sept, quatorze ou vingt et un jours derrière les barreaux, avec la perspective de sortir rapidement, que d’être condamné à une peine beaucoup plus longue pour éviter les obligations d’aménagement.
Sur tous ces sujets, une grande prudence s’impose. Des études montrent que, si l’on meurt davantage en prison qu’en population générale, on meurt aussi davantage sous probation qu’en prison. Différents facteurs l’expliquent, par exemple le fait d’être seul lors d’une décompensation psychique ou les difficultés d’accès aux soins.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 3 est supprimé et l’amendement CL49 de M. Loïc Kervran, rapporteur, tombe.
Après l’article 3
Amendements CL22 de M. Yoann Gillet et CL54 de M. Loïc Kervran (discussion commune)
Mme Sylvie Josserand (RN). L’amendement CL22 tend à limiter le recours aux aménagements de peine pour les personnes condamnées en état de récidive légale, car cela témoigne d’une persistance dans le comportement délinquant et d’un refus manifeste de se réinsérer. Permettre aux personnes concernées de bénéficier de dispositifs comme la détention à domicile, la semi-liberté ou le placement à l’extérieur empêche la fermeté de la réponse pénale.
M. Loïc Kervran, rapporteur. L’amendement CL54 est de coordination.
Successivement, la commission rejette l'amendement CL22 et adopte l’amendement CL54.
Amendement CL48 de M. Loïc Kervran
M. Loïc Kervran, rapporteur. L’article 465 du code de procédure pénale prévoit qu’un mandat d’arrêt ou de dépôt ne peut être décerné que si la peine prononcée est au moins d’une année d’emprisonnement sans sursis. Pour assurer la cohérence avec le reste du texte, le présent amendement vise à supprimer ce seuil.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL51 de M. Loïc Kervran
M. Loïc Kervran, rapporteur. Le présent amendement, de coordination, vise à rehausser à deux ans le seuil d’un an prévu à l’article 474 du code de procédure pénale.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL45 de M. Loïc Kervran
M. Loïc Kervran, rapporteur. L’amendement CL45 vise à supprimer le dispositif de libération sous contrainte (LSC) de plein droit. Quand il reste à un détenu moins de trois mois de prison ferme à effectuer, il y est éligible. Or c’est incompatible avec les ultracourtes peines : si un juge prononce une peine de trois semaines de prison ferme sans aménagement, le condamné sera immédiatement éligible à la libération sous contrainte de plein droit, donc libéré.
En l’état, lorsque le juge révoque le sursis probatoire d’un condamné qui n’en a pas respecté les conditions, celui-ci, si son sursis est par exemple de deux mois, au lieu d’être puni, sera immédiatement libéré sous contrainte, sans passer par la prison. Le présent amendement tend donc également à supprimer cette incongruité.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Cet amendement est cohérent avec la proposition de loi ; j’y suis donc opposée. Je relève une confusion : les deux dispositifs que vous voulez supprimer ont été créés récemment, en 2019 notamment, par votre majorité. Je suis contre la suppression de la LSC de plein droit, qui permet une régulation carcérale, même si elle favorise les sorties sèches, contre lesquelles il convient de lutter. Vous faites, défaites et refaites : accordez-vous !
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Il est vrai que la LSC de plein droit ne fonctionne pas toujours comme prévu, notamment lorsqu’elle s’impose à des personnes qui ne souhaitaient pas d’aménagement. Mal préparée et mal acceptée, elle peut participer à la récidive. Par ailleurs, de nombreuses infractions en sont exclues. Toutefois, il faut non la supprimer, mais l’améliorer. En retirant cet amendement, monsieur le rapporteur, vous nous donnerez peut-être l’occasion de travailler à l’élaboration de dispositifs à même de lutter contre les sorties sèches, donc contre la récidive.
M. Hervé Saulignac (SOC). Une bonne partie du texte se justifie par le constat, partagé, d’une surpopulation carcérale. Or la majorité des dispositions tendent à emprisonner plus ou à éviter de libérer ceux qui pourraient l’être en vertu d’un texte récent – 2021. C’est paradoxal : vous déplorez la surpopulation carcérale mais vous faites tout pour l’alimenter.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Les auditions l’ont montré : la libération sous contrainte de plein droit ne satisfait personne. Nous sommes nombreux à nous inquiéter des sorties sèches non préparées et parfois décidées contre la volonté du détenu. Je pense aussi aux juges de l’application des peines : c’est beaucoup de paperasse car la décision passe par eux, tout en étant d’application automatique, ce qui n’est pas cohérent avec ce que nous attendons de nos magistrats. L’amendement procède donc à la fois de l’intention de rendre possible le prononcé de courtes peines et de la volonté de laisser au juge de l’application des peines la liberté de décider.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL36 de Mme Sylvie Josserand
Mme Sylvie Josserand (RN). Le présent amendement tend à tirer les conséquences de l’abrogation de l’article 464-2 du code de procédure pénale, objet de l’article 3 de la présente proposition de loi, en supprimant les mots de l’article 723-15 qui y font référence.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je défendrai dans un instant un amendement de coordination, CL50, tendant à modifier plus globalement l’article concerné. J’émets donc un avis défavorable sur votre amendement, au profit du mien.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL50 de M. Loïc Kervran et amendements CL40 et CL41 de Mme Sylvie Josserand (discussion commune)
M. Loïc Kervran, rapporteur. Comme je viens de l’annoncer, l’amendement CL50 tend à coordonner l’article 723-15 du code de procédure pénale avec le texte, en portant à deux ans le seuil d’aménagement et en supprimant le caractère obligatoire du dispositif.
Mme Sylvie Josserand (RN). Les amendements CL40 et CL41 tendent à rendre l’article 723-15 du code de procédure pénale cohérent avec l’article 123-25 du code pénal, notamment en remplaçant « un an » par « deux ans ».
M. Loïc Kervran, rapporteur. J’émets un avis défavorable sur vos amendements au profit du mien, plus complet.
La commission adopte l’amendement CL50.
En conséquence, les amendements CL40 et CL41 tombent.
Amendement CL26 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Le présent amendement tend à obtenir un rapport relatif à l’organisation et au financement du placement à l’extérieur. Cet aménagement de peine fait ses preuves, en particulier pour les personnes peu insérées ou vulnérables ; il offre un accompagnement global, qui prend en considération le logement, l’accès aux soins, l’emploi et l’accès aux droits. Après un placement à l’extérieur, le taux de récidive est très faible : 4 % environ. Néanmoins, le financement dépend du nombre de places occupées et non du nombre de places offertes, ce qui fragilise les associations chargées de déployer le dispositif, au point que certaines cessent leurs activités.
M. Loïc Kervran, rapporteur. La commission des lois n’éprouvant pas un grand amour pour les demandes de rapport, j’émets un avis défavorable.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je soutiens l’amendement. Dans notre rapport d’information consacré aux alternatives à la détention, Mme Abadie et moi-même recommandions d’augmenter les crédits affectés au placement à l’extérieur : tous ceux qui s’y intéressent de près s’accordent à souligner les qualités du dispositif, en particulier pour la réinsertion. Lors de l’examen du projet de loi de finances, nous avons proposé d’augmenter les moyens qui lui sont alloués ; malgré son efficacité pour lutter contre la récidive, nos amendements n’ont pas été retenus. Peut-être un nouveau rapport est-il nécessaire pour que le dossier reste ouvert.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Certaines communes s’engagent dans l’accueil de délinquants en coopérant avec la justice pour favoriser le déploiement de peines alternatives, par exemple des travaux d’intérêt général. Cependant, l’État ne les soutient absolument pas. Ce rapport, nécessaire, sera certainement utile.
La commission rejette l'amendement.
Titre
Amendements CL21 de Mme Andrée Taurinya et CL16 de M. Jean-François Coulomme
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). L’amendement CL21 vise à intituler le texte « proposition de loi visant à dégrader les conditions de travail des agents pénitentiaires ». La surpopulation abîme déjà lourdement lesdites conditions de travail ; malgré les annonces et les réformes du ministre de la justice et de son prédécesseur, on ne voit pas comment il serait possible d’embaucher suffisamment d’agents, d’autant que le budget, adopté par 49.3, ne prévoit pas d’augmenter les crédits de la justice. Contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur, vous n’écoutez pas nos concitoyens ; vous surfez sur une vision vengeresse de la justice, nourrie par le Rassemblement national – cette dérive est inquiétante.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). L’amendement CL16 vise à choisir le titre « proposition de loi visant à aggraver la surpopulation carcérale », afin de le rendre cohérent avec les effets qu’entraînerait le texte si, par malheur, il était définitivement adopté. Or la surpopulation est le cancer des prisons : elle empêche la désistance, pousse à la récidive, provoque des drames pouvant aller jusqu’au décès de certains détenus. En outre, vous dégraderez les conditions de travail d’une profession pour laquelle on a déjà bien du mal à recruter, précisément en raison des conditions de travail. Les agents pénitentiaires sont au monde carcéral ce que les agents de soins sont aux Ehpad, où plus personne ne veut travailler parce que chaque agent doit s’occuper d’un nombre bien trop élevé de pensionnaires.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Ces amendements sont potaches. Avis défavorable. Le titre « visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme » n’est peut-être pas parfait : on pourrait y ajouter « et à renforcer la confiance dans la chaîne pénale ».
La commission rejette successivement les amendements.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion est suspendue de dix-sept heures vingt à dix-sept heures trente.
*
* *
Puis, la Commission examine la proposition de loi pour réformer l’accueil des gens du voyage (n° 906) (M. Xavier Albertini, rapporteur).
M. Xavier Albertini, rapporteur. Je mesure la portée de cette proposition de loi et la responsabilité qui est la nôtre : nous n’avons en effet discuté d’aucun texte sur ce sujet important depuis les débats ayant précédé la promulgation de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, puis la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites.
La proposition de loi soumise à votre examen est issue de travaux antérieurs, plus larges, conduits notamment avec mes collègues Ludovic Mendes et Bruno Fuchs ces derniers mois. Le texte ne comporte que trois articles. Certains d’entre vous en seront peut-être contrariés, mais les nécessités du calendrier parlementaire ont fait apparaître plus raisonnable la solution d’un texte concis. Voyez-le comme un appel à de nouveaux travaux législatifs et à des évolutions réglementaires plus larges, et sachez que le gouvernement a la volonté de nous accompagner dans ce travail.
En France, 300 000 à 500 000 personnes vivant de manière itinérante ou semi-itinérante sont reconnues comme gens du voyage. Le chiffre est peu précis, car il est très difficile de connaître l’effectif exact de cette population très hétérogène.
La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage – loi Besson 2 –, qui a connu plusieurs évolutions, précise les obligations des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) quant à la mise en œuvre de l’accueil des gens du voyage et à l’aménagement à cet effet des terrains prévus au schéma départemental d’accueil des gens du voyage.
Il est assez largement admis que cette législation n’est plus satisfaisante et doit être mise à jour. La gestion des terrains et les installations illicites font l’objet d’un groupe de travail récemment créé sous l’égide du ministère de l’intérieur. Il a commencé ses travaux en mars, après une réflexion amorcée en novembre 2024. Réunissant seize parlementaires, dont certains sont ici présents, il a vocation à faire prochainement des propositions, en particulier destinées aux élus locaux, s’agissant des installations illicites de campements. Celles-ci ne constituent pas une pratique majoritaire chez les gens du voyage, mais leur effet est dévastateur auprès de nos concitoyens : chez ceux qui en sont témoins, elles renforcent le sentiment d’injustice et l’idée qu’il existerait une impunité. C’est un problème pour nous tous : pour les gens du voyage qui pâtissent de ces agissements, pour les habitants qui subissent les conséquences concrètes de ces installations illicites et pour les élus locaux, tenus pour responsables mais souvent démunis.
Ce texte vise à inciter les communes et les EPCI à réaliser les différents types d’aires d’accueil prévus dans les schémas départementaux, afin de garantir aux gens du voyage l’accès à un habitat qui corresponde à leur mode de vie. À défaut, les collectivités ne pourront pas bénéficier des nouveaux outils légaux de lutte contre les installations illicites. N’oublions pas en effet qu’en contrepartie de l’accueil, les gens du voyage ont aussi des devoirs et se doivent de respecter la législation, comme tous les citoyens, notamment en matière d’installation sur des terrains publics ou privés.
En effet, malgré l’existence d’aires permanentes d’accueil, d’aires de grand passage ou de terrains locatifs, des groupes de gens du voyage persistent à s’installer sur des terrains sans autorisation. Outre qu’elles portent atteinte au droit de propriété des communes ou des personnes privées concernées, de telles installations ont souvent des conséquences importantes : elles peuvent engendrer des dégradations, des dommages matériels, des problèmes de salubrité et de sécurité. Aux communes et aux administrés de supporter les coûts, souvent élevés, de remise en état de ces installations.
Des instruments juridiques existent face aux occupations illicites de terrains.
D’une part, le code pénal réprime les occupations en réunion de terrains appartenant à des communes ou à des personnes privées sans autorisation en vue d’y établir son habitation, même de manière temporaire. Le délit n’est constitué, s’agissant des terrains communaux, que dans les communes s’étant acquittées de leurs obligations telles que prévues par le schéma départemental, ou dans les communes appartenant à un EPCI ayant satisfait à ces mêmes obligations. La commission de ce délit est passible d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. En 2018, le législateur a introduit la possibilité qu’il soit réprimé par amende forfaitaire délictuelle (AFD). Cette possibilité est actuellement expérimentée par plusieurs tribunaux judiciaires, mais n’a pas encore été généralisée ; je le regrette.
D’autre part, la loi de 2007 relative à la prévention de la délinquance a substitué à la procédure judiciaire en vigueur une procédure administrative moins complexe, permettant au préfet de département, sous certaines conditions, de mettre en demeure les occupants illicites de quitter les lieux et, le cas échéant, de procéder à leur évacuation forcée avec le concours de la force publique. Cette procédure figure à l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000.
Par une forme de parallélisme avec les dispositions applicables au délit mentionné précédemment, cette procédure administrative ne peut être mise en œuvre que si l’EPCI a satisfait aux obligations que lui impose le schéma départemental ou, si tel n’est pas le cas, si la commune elle-même s’en est acquittée. Il faut souligner à cet égard que, d’après une estimation menée en 2024 et confirmée par l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), les schémas départementaux ne sont entièrement mis en œuvre que dans un nombre très limité de départements. Leur taux de réalisation au niveau national s’établissait en 2023 à 80,1 % pour les aires d’accueil permanentes, à 62,2 % pour les aires de grand passage et à 21,3 % pour les terrains locatifs familiaux.
La proposition de loi modifie et complète ces deux procédures, pénale et administrative.
L’article 1er modifie l’article 322‑4‑1 du code pénal relatif à l’infraction constituée par l’installation sans autorisation sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée en vue d’y établir une habitation, même temporaire. Pour démontrer la légalité de son occupation, l’occupant devra pouvoir justifier de l’identité du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain. L’article rehausse également le montant de l’amende forfaitaire délictuelle applicable. Enfin, il prévoit que la justice pourra procéder à la saisie, avant leur éventuelle confiscation, de tous les véhicules qui, par nature, ne constituent pas l’habitation des occupants.
L’article 2 renforce la procédure administrative d’évacuation des résidences mobiles en cas de stationnement illicite pouvant générer des troubles à l’ordre public. Il porte à quatorze jours, au lieu de sept actuellement, la durée de validité de la mise en demeure à compter de sa notification aux occupants. Il prévoit également la compétence liée du préfet pour procéder à l’évacuation forcée après une mise en demeure non suivie d’effet.
L’article 3 complète l’article 322‑3 du code pénal, qui énumère les circonstances dans lesquelles est aggravée la peine prévue à l’article 322‑1, sanctionnant la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui. Il ajoute à ces circonstances le fait d’occuper sans droit ni titre le terrain d’autrui pour y établir son habitation dans les conditions prévues à l’article 322-4-1.
En renforçant les procédures pénale et administrative, la proposition de loi vise aussi à inciter les communes et les EPCI à se mettre en règle, si besoin, afin de pouvoir se saisir de ces moyens juridiques renforcés et de réagir efficacement aux installations illicites de résidences mobiles.
Mme Sandra Regol, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Edwige Diaz (RN). Depuis le 1er janvier 2017, la loi Notre met à la charge des intercommunalités l’aménagement, l’entretien et la gestion des aires d’accueil des gens du voyage. En dépit de leurs budgets restreints, les collectivités déploient beaucoup d’argent pour construire puis entretenir ces terrains imposés par la législation. La presse se fait fréquemment l’écho du désarroi de maires de communes rurales, souvent désarmés : ils sont coincés entre la légitime pression des administrés, qui aspirent à la salubrité à la tranquillité publique, et une lenteur administrative parfois bloquante.
Dans mon département de la Gironde, on ne compte plus les cas où les maires découvrent, médusés, des dégradations, des raccordements dangereux ou des dépôts sauvages qui devront être pris en charge aux frais du contribuable. Pire encore, ils sont parfois violemment agressés lorsqu’ils s’interposent, comme c’est arrivé récemment en Moselle et en Charente-Maritime. Ce mois-ci, dans la communauté de communes du Sud Gironde, une plainte a dû être déposée après l’installation illicite de gens du voyage à Langon. Il s’est produit la même chose en décembre à Libourne, au gymnase Jean-Mamère, tout comme dans de nombreux endroits de la communauté d’agglomération du Libournais, alors que celle-ci respecte le schéma départemental. À Lacanau, le maire a dû parlementer pendant des heures devant plus de 200 caravanes. À Bègles, en octobre, des habitants ont été privés de courant à cause d’une installation illicite dans le stade du Dorat. Je pourrais encore continuer ce panorama de l’impunité en parlant des communes de Blanquefort et de Bouliac, et même du campus universitaire de Bordeaux-Montaigne.
Le Rassemblement national redit son attachement à la justice et à la propriété privée, ainsi que son soutien aux maires, aux collectivités et aux préfectures face aux occupations illégales. En octobre 2024, mon collègue Laurent Jacobelli avait déposé une proposition de loi visant à lutter plus efficacement contre les campements illégaux. Elle visait notamment à faciliter les demandes de mise en demeure de quitter les lieux, à soulager les communes rurales d’un certain nombre d’obligations souvent intenables en matière d’urbanisme et à responsabiliser les propriétaires de terrains acceptant l’installation de gens du voyage.
Je voudrais sonner l’alarme et appeler l’attention des élus locaux, mais aussi des citoyens, sur le danger que présentent un certain nombre d’amendements de l’extrême gauche : avec elle, ce qui prime, ce n’est jamais le respect des élus et les droits des honnêtes gens, mais, souvent, la protection des voyous et une tolérance complice envers l’illégalité. Je le dis clairement : ce n’est plus le Nouveau Front populaire, c’est le nouveau front contre les maires ! Ce n’est plus le Nouveau Front populaire, c’est le nouveau front contre les propriétaires ! Avec l’extrême gauche, c’est la banalisation de l’occupation et l’encouragement à la récidive.
Quand il s’agit de veiller au respect des droits et de réprimer leur violation, les députés du Nouveau Front populaire parlent de mesures iniques et de discrimination ; ils étalent leur misérabilisme en invoquant la précarité pour justifier l’illégalité. Pour eux, l’application du droit est tout simplement de l’autoritarisme. Face à cette idéologie irresponsable et à ces obsessions déroutantes, et pour aller plus loin que les trop timides auteurs de ce texte, les élus du Rassemblement national espèrent renforcer le cadre juridique pour faire respecter l’ordre public et aboutir enfin à une saine cohabitation entre les riverains et les gens du voyage. Comme tout le monde, ceux-ci ont bien évidemment des droits qu’il faut respecter, mais ils ont aussi des devoirs.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Les voyageurs sont depuis longtemps stigmatisés, marginalisés et considérés comme des sous-citoyens. Votre proposition de loi ne fait que reprendre cette sinistre habitude ; votre proposition de loi est raciste. Vous sentez bien que c’est ce que l’on va vous reprocher : vous tentez de vous justifier maladroitement dans l’exposé des motifs, qui ressemble fort à un « je ne suis pas raciste, mais… ». Sous prétexte que l’on aurait fait progresser les droits des voyageurs, il faudrait en effet durcir la répression à l’égard de ceux qui ne respecteraient pas la loi en stationnant de façon illicite.
On aurait fait avancer les droits des voyageurs ? Quelle bonne blague ! Déjà, ce n’est qu’en 2017 qu’on les a dispensés de faire viser régulièrement un titre de circulation par les autorités : la honte ! Des propos antitsiganes sont proférés tous les jours dans les médias et dans la bouche de nos dirigeants, jusqu’au plus haut sommet de l’État, sans que ça n’émeuve personne : la honte ! Seules 40 % des aires d’accueil prévues par la loi Besson ont été créées et 80 % d’entre elles sont situées sur des sites ultrapollués : la honte !
Votre proposition de loi atteint les sommets de l’absurde : vous voulez assommer par des amendes impayables et mettre en prison des personnes qui ne respectent pas la loi, alors qu’elles ne peuvent pas la respecter puisque les pouvoirs publics ne font pas leur travail !
Antoine Sauser, voyageur et médiateur social, rappelle souvent que l’errance est à distinguer du voyage : ce n’est pas un choix, ce n’est pas agréable, c’est quelque chose que l’on subit. Non, ce n’est pas par choix que l’on se fait dégager tous les quatre matins, envoyer d’un lieu à un autre. Où vont stationner les voyageurs pour ne pas être hors la loi, s’il n’y a pas assez d’aires d’accueil ? Sur la Lune, sur Mars ? Ce ne sont pas eux qui doivent être sanctionnés, mais les collectivités qui ne respectent pas leurs obligations légales : faute de lieu de stationnement sur leur territoire, elles les contraignent à être en situation de stationnement illicite.
La vérité, c’est que vous n’aimez pas les voyageurs. La vérité, c’est que, pour vous débarrasser de gens que vous voyez comme des parasites, vous êtes prêts à les faire disparaître de la circulation en les plaçant derrière les barreaux. C’est quoi, la prochaine étape ? Les exterminer, comme en 1939-1946 ?
Quand j’ai annoncé votre proposition de loi, une voyageuse stationnée à Goussainville m’a répondu, abasourdie : « Qu’ils emmerdent les violeurs d’enfants plutôt que nous, qui sommes les personnes les plus simples du monde ! » Ces propos certes fleuris mettent en avant une réalité indiscutable. Nos prisons sont pleines à craquer, si bien que les droits les plus élémentaires de nos détenus ne peuvent être respectés, que les surveillants pénitentiaires sont en souffrance et que de nombreux criminels ne peuvent purger l’intégralité de leur peine. Et vous voulez en plus mettre en prison des personnes mal garées ? Avez-vous perdu tout sens de la mesure ? La prison par-ci, la prison par-là : vous n’avez que ce mot à la bouche.
Vous voulez réformer l’accueil desdits gens du voyage ? Grand bien vous fasse ! Il y a beaucoup de choses à faire en la matière, à commencer par arrêter de dire qu’on « accueille » des gens qui sont chez eux, dans leur pays. D’ailleurs, je ne sais pas pour vous, mais moi, quand j’accueille des gens, je ne leur fais pas payer le stationnement, l’eau et l’électricité – surtout pas trois fois plus cher qu’à n’importe qui d’autre ! Vous trouvez que c’est accueillant d’être à côté d’une usine Seveso, d’une déchetterie, d’une cimenterie, d’une autoroute ? Des voyageurs résument ainsi cette propension à placer les voyageurs dans des zones ultrapolluées : « Cherche la déchetterie, tu trouveras les voyageurs. » Il faut dire qu’à force de considérer les gens du voyage comme des déchets, on finit par les mettre au même endroit. Aurélie Garand, qui a vu mourir son frère en 2017 entre les mains du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), souligne ainsi que les voyageurs sont les premiers que l’on a mis dans les camps et les derniers qui en sont sortis.
Cessez de vous acharner, collègues, contre une partie de la population qui souffre depuis trop longtemps : renoncez à cette proposition de loi à la fois raciste et liberticide.
M. Fabrice Roussel (SOC). Depuis 1990 et la première loi Besson, l’obligation d’accueil des gens du voyage est inscrite dans les textes. Les villes de plus de 5 000 habitants doivent prévoir les conditions de passage et de séjour sur leur territoire par la réservation de terrains aménagés à cet effet. En 2000, la seconde loi Besson a permis de renforcer les obligations des communes à l’égard de cette communauté. La loi prévoit ainsi qu’un schéma départemental détermine les secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d’accueil ainsi que les communes où celles-ci doivent être installées.
Force est de constater que vingt-cinq ans après, cette loi est encore trop peu appliquée. Vingt-six départements seulement ont satisfait aux obligations de leur schéma ; 79 % des aires permanentes et 65 % des aires de grand passage ont été aménagées. Votre proposition de loi aurait dû s’attacher d’abord à renforcer le travail entre l’État et les collectivités pour mieux faire appliquer la loi Besson. En effet, la solution reste la mise en œuvre des schémas départementaux, seuls outils opposables pour permettre l’intervention du préfet. C’est bien le manque d’effectivité de la loi qui rend les conditions d’accueil inadaptées.
Un rapport de Claire Hédon, Défenseure des droits, met en lumière les discriminations systémiques subies par les gens du voyage, soulignant qu’elles touchent tous les aspects essentiels de leur vie : le logement, l’éducation, la santé ou encore l’accès aux services publics. Des conditions d’accueil souvent inadéquates, des expulsions fréquentes et le manque d’accès à l’eau potable sont des problèmes récurrents. Leur lieu de vie, la caravane, n’est pas reconnu comme un logement à part entière. Leurs enfants font face à des refus illégaux de scolarisation. Dans votre proposition de loi, vous faites l’impasse sur ces sujets pourtant essentiels. Vous avez purgé sa version initiale de toutes les avancées sociales qu’elle contenait.
Que va changer ce texte ? En insistant sur les installations illicites et sur la nécessité de renforcer les sanctions, chercherait-il à revenir sur la liberté de circulation garantie par la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Souhaitez-vous, par l’outil de réservation obligatoire des aires d’accueil, limiter l’accès des terrains à certains ? Au lieu de choisir ce titre particulièrement trompeur, vous auriez mieux fait de formuler des recommandations pour améliorer réellement la situation des gens du voyage, par exemple reconnaître la caravane comme un logement à part entière. Mais pas un seul mot sur l’inclusion !
Nous n’avons pas besoin de davantage de mesures coercitives, mais d’une meilleure application des lois existantes, en lien avec les maires, et d’une plus grande sensibilisation pour lutter contre toutes les discriminations. Les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront évidemment contre cette proposition de loi : ce n’est pas en renforçant les sanctions qu’on résoudra les problèmes d’accès aux aires d’accueil ni qu’on luttera contre les discriminations systémiques vécues par les gens du voyage.
M. Charles Fournier (EcoS). Le rapport 2024 de la Défenseure des droits est alarmant : les discriminations liées à l’origine se multiplient et touchent largement les mal nommés gens du voyage – une définition administrative recouvrant des réalités différentes. La proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans la droite ligne de ces discriminations, concourant à les banaliser. Vous estimez dans l’exposé des motifs que tout aurait été fait pour les gens du voyage ; c’est totalement faux ! Les schémas départementaux d’accueil ne sont respectés que dans onze départements. La plupart des communes de plus de 5 000 habitants ne respectent pas leurs obligations et nombre d’entre elles se regroupent pour y échapper. Les aires d’accueil sont surpeuplées et les conditions d’hygiène ne permettent pas de préserver la santé des personnes. On en trouve près des sources de pollution. Lors de l’incendie survenu dans l’usine de Lubrizol, les camps à proximité n’ont pas été évacués et leurs habitants ont été exposés directement à la pollution. L’espérance de vie de ceux qu’on appelle les gens du voyage est inférieure de quinze ans à la moyenne.
Vous dites ensuite respecter leur mode de vie. Mais de quel respect parle-t-on ? Vous avez évoqué des mesures visant à encourager les communes à respecter leurs obligations d’accueil, alors que vous les avez retirées de votre première proposition pour ne conserver que les mesures répressives ! Surveiller, punir, expulser : voilà votre seule ambition. C’est ce qu’il y a de plus choquant dans votre texte, qui est en rupture totale avec l’esprit de la loi Besson. Même si elle était très imparfaite, celle-ci cherchait au moins un équilibre.
Les mesures que vous défendez vont aggraver la situation des gens du voyage et porter gravement atteinte à leurs droits et libertés, déjà nettement réduits par rapport à ceux du reste de la population : ils n’ont droit ni aux APL (aides personnelles au logement) ni au chèque énergie, n’ont pas d’assurance et ne sont pas protégés par la trêve hivernale. Cette catégorie de la population est déjà discriminée et le sera encore davantage à cause de votre texte. Et vous voudriez qu’elle s’acquitte d’amendes plus élevées !
La Défenseure des droits a émis un avis défavorable à votre proposition de loi, comme la Commission consultative nationale des gens du voyage et comme l’ensemble des membres de l’association Tsigane Habitat, que je préside.
Rappelons enfin que la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) parce qu’elle expulse sans reloger. Plutôt que de chercher à améliorer leur situation, on va sanctionner toujours les mêmes et aggraver leur marginalisation. Vous allez vers le pire. Notre groupe votera résolument contre votre proposition de loi.
Mme Anne Bergantz (Dem). Cette proposition de loi cherche à réagir à une réalité vécue par de nombreux maires qui, face à l’occupation illicite de terrains de leur commune, éprouvent un grand sentiment d’impuissance.
Rappelons tout d’abord que ce texte n’a pas vocation à s’opposer au mode de vie nomade des gens du voyage ; il vise seulement à sanctionner plus strictement et plus efficacement les dérives, notamment lorsqu’ils s’installent sur des parcelles privées ou publiques et non sur les aires spécifiquement prévues.
Le groupe Les Démocrates approuve les trois articles, qui prévoient de faciliter le contrôle de la bonne occupation des terrains, d’étendre les pouvoirs du préfet afin d’assurer l’évacuation des terrains occupés, enfin de renforcer les sanctions prévues en cas d’installation illégale.
L’angle répressif retenu ne constitue cependant pas une réponse suffisante face à l’enjeu de l’occupation illicite. Il est aussi de notre devoir d’assurer un accueil satisfaisant des gens du voyage en proposant assez de places dans chaque département et en veillant à ce qu’une solution légale leur soit partout accessible. Cette proposition de loi doit donc être l’occasion d’encourager les élus à se mettre en conformité avec les schémas départementaux prévus par la loi Besson. Dans la continuité des travaux de mon collègue Bruno Fuchs, que je sais très attaché à ces questions, je défendrai des amendements visant à inclure les aires d’accueil dans les quotas de logements sociaux requis au titre de la loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), mais aussi à donner un accès facilité au juge civil pour les communes en règle avec le schéma.
Je veux enfin appeler votre attention sur un autre type de dérive constaté dans nos campagnes et dans les espaces naturels : la cabanisation. Il nous faudra agir contre l’achat – certes parfaitement légal – de terrains non constructibles par des gens du voyage lorsque leur usage est détourné pour y construire des maisons ou y installer des bungalows. Ce phénomène s’opère souvent avec la complicité des vendeurs et de certains notaires peu scrupuleux.
Ce texte apporte des mesures bienvenues pour ce qui est des sanctions et devra être enrichi pour traiter la question de manière plus globale.
M. Loïc Kervran (HOR). La République reconnaît le mode de vie des gens du voyage et le protège. Depuis la loi Besson du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, les villes de plus de 5 000 habitants sont tenues de prévoir des conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur leur territoire par la réservation de terrains aménagés à cet effet. Des lois structurantes ont fixé les grandes orientations relatives à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage. La loi Besson 2, du 5 juillet 2000, a instauré le schéma départemental. Ce document de planification facilite l’organisation de l’accueil des gens du voyage sur le territoire en déterminant les responsabilités de chaque commune et en répartissant les infrastructures de manière équilibrée à l’échelle départementale.
À l’instar de l’ensemble des citoyens, les gens du voyage ont des devoirs, notamment celui de respecter la législation en vigueur. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a créé un délit d’installation illicite sur une propriété privée ou publique en vue d’y établir une habitation même temporaire. Ont été renforcées en parallèle les mesures d’accompagnement social et scolaire, de prévention de la pauvreté ou encore d’insertion par l’emploi. De nombreux travaux avaient en effet mis en lumière les difficultés des gens du voyage à s’intégrer et à accéder à leurs droits. Ce travail essentiel doit être approfondi.
La lutte contre les discriminations est l’un des enjeux les plus importants pour la République. C’est à elle que s’attache le plan national 2023-2026 de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, qui mentionne pour la première fois la lutte contre l’antitsiganisme.
Un équilibre doit être trouvé entre le respect d’un mode de vie et celui de la tranquillité publique, de l’ordre public et du droit de propriété ; c’est une évidence et un constat partagé.
Toutefois, nos élus locaux sont encore trop souvent confrontés à des individus ou à des groupes d’individus qui contournent la législation et s’installent ailleurs que dans les aires d’accueil existantes. Ces occupations illicites de terrains, récurrentes dans certains de nos territoires, en particulier en milieu urbain et périurbain, entraînent désagréments, mobilisation excessive des forces de l’ordre et dépenses indues de remise en état des terrains. En cherchant à renforcer les moyens juridiques à disposition des collectivités locales et des propriétaires privés, tout en veillant à maintenir l’équilibre entre respect du mode de vie des gens du voyage et respect de la législation en vigueur, cette proposition de loi fait œuvre utile. Le groupe Horizons et indépendants la votera, comme vous vous en doutez.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Il y a quelques années, la Défenseure des droits a formulé, avec des associations de voyageurs, dix-sept recommandations visant à permettre l’accès des voyageurs à leurs droits, alors qu’ils souffrent de discriminations dans tous les champs de leur vie.
Plutôt que de vous appuyer sur ces recommandations, vous avez préféré adopter une énième approche répressive, dans une logique sécuritaire que je qualifierais de simpliste. Déjà largement expérimentée ces dernières années, celle-ci n’a donné aucun résultat probant si ce n’est l’aggravation de la marginalisation des voyageurs – peut-être est-ce ce que vous souhaitez ? Votre proposition de loi ne vise pas à « réformer l’accueil des gens du voyage », mais à les stigmatiser, à les reléguer et à rendre quasiment impossible leur mode de vie itinérant. Vous préférez en effet étendre le champ de l’infraction plutôt que celui des solutions légales ; c’est une impasse. Cette proposition de loi occulte les causes principales du stationnement illicite : le nombre insuffisant de lieux de stationnement, qui, de surcroît, sont souvent insalubres.
Le stationnement illicite est aussi le fait d’une défaillance de l’État. Or la proposition de loi ne comporte aucune mesure permettant de sanctionner la majorité de collectivités qui ne respecte pas les lois Besson. On ne peut pas dire que les communes n’ont pas eu le temps de s’organiser : la loi Besson 2 date de plus de vingt ans ! Selon le dernier bilan officiel, 77 % seulement des places prescrites par les schémas départementaux avaient été créées en 2020, et vingt-deux départements seulement avaient totalement satisfait à leurs obligations. Les aires d’accueil sont globalement surpeuplées et détournées de leur vocation initiale d’accueil temporaire, se transformant en solutions de logement permanent. Par ailleurs, la mise en œuvre du pouvoir de substitution du préfet en cas de non-respect est une modalité à laquelle il n’a été fait recours qu’une seule fois depuis l’année 2020. Voilà des constats sur lesquels on pourrait peut-être s’appuyer plutôt que d’arguer que les maires sont en difficulté. D’abord, certains ne le sont pas : ils ne veulent simplement pas créer d’aire d’accueil, en dépit de la loi. Quant aux autres, ils ont à leur disposition des leviers.
Le texte ne propose rien non plus pour remédier à l’insalubrité et à la non-habitabilité des aires existantes. L’environnement des aires d’accueil est globalement malsain, comme l’ont démontré plusieurs études récentes. Leur inventaire publié en 2021 révèle que 52 % sont situées à proximité directe de nuisances environnementales ou d’un risque industriel et que plus de 70 % sont reléguées dans des zones industrielles ou agricoles.
Tout cela révèle la façon dont les voyageurs sont considérés et traités dans notre société. Les discriminations dépassent largement les difficultés d’accès aux droits puisqu’ils sont aussi victimes de violences, voire d’homicides. Notre groupe, quant à lui, souhaite leur dire que nous pouvons les accueillir dans des aires d’accueil en nombre suffisant, qui ne soient pas insalubres, et qui se trouvent à proximité des écoles et des services publics.
M. Ludovic Mendes (EPR). L’installation des gens du voyage est un sujet d’importance capitale. Il est le plus souvent considéré de manière négative, mais l’honnêteté intellectuelle nous oblige à souligner qu’il est bien plus complexe qu’on ne l’imagine. J’ai trouvé certains propos honteux : nous parlons ici de femmes, d’hommes et d’enfants, pas d’objets. La réalité montre que nous n’offrons pas de conditions de vie dignes à ces personnes, dont nous respectons le mode de vie.
Nous ne pouvons pas débattre des problématiques liées aux gens du voyage en adoptant un angle purement répressif. Les différentes communautés qui composent cette population affrontent avant tout de nombreux obstacles dans l’expression de leur mode de vie. Souvent victimes de stigmatisation et de rejet, elles sont perçues au travers de stéréotypes négatifs et font face à des préjugés qui les marginalisent. L’un des problèmes les plus critiques est le manque d’aires d’accueil adéquates. La loi Besson de 2000 oblige les communes de plus de 5 000 habitants à créer des aires d’accueil, mais sa mise en œuvre est insuffisante. Vingt-cinq ans après, peut-on encore l’accepter ? L’accès aux soins est également très compliqué, tout comme l’accès aux droits et services : les gens du voyage ont des difficultés à exercer leurs droits fondamentaux, y compris le droit de vote, soumis à une condition de résidence préalable. Il y a quelques années encore, ils devaient détenir un titre de circulation qui faisait d’eux des citoyens de seconde zone et qui, heureusement, a été supprimé.
Les communautés de gens du voyage sont aussi affectées par les mutations économiques et sociales : leur mode de vie, traditionnellement lié au monde rural, a évolué avec l’urbanisation. Les parcours se sont resserrés autour des pôles urbains, ce qui complique l’accès aux ressources et aux opportunités économiques.
Réciproquement, nous sommes dans l’obligation de renforcer les outils des collectivités locales. Ils offrent aux communes les moyens de mieux organiser et gérer l’accueil des gens du voyage, tout en leur permettant de réagir plus efficacement face aux installations non autorisées. Nous parlons bien entendu des collectivités respectant la loi Besson de 2000 ; celles qui ne la respectent pas doivent en assumer les conséquences.
Enfin, certaines dispositions sont nécessaires pour mieux protéger l’espace public et l’environnement. Elles donnent aux autorités les moyens d’intervenir en cas de nuisances écologiques et d’assurer le respect des espaces publics. Parmi ces propositions, plusieurs méritent une attention particulière : réduction des délais d’expulsion pour les installations illégales, dans le respect du droit des individus – il est crucial d’agir rapidement pour éviter que ces situations ne perdurent –, ou création d’un trouble à l’ordre environnemental et écologique – la protection de notre environnement est une priorité et il est essentiel de disposer des outils adéquats pour l’assurer. D’autres points auraient mérité d’être évoqués : reconnaissance de la caravane en tant que logement, généralisation d’un médiateur départemental comme il en existe un chez nous, en Moselle, qui contribue à ne pas rompre le dialogue de la communauté avec l’État et avec les collectivités.
Notre credo : une législation plus juste et plus efficace, sans stigmatiser une communauté, comme le fait parfois l’extrême droite, ni rejeter la responsabilité des problèmes sur le mode de fonctionnement actuel, comme le fait l’extrême gauche. Certains territoires, majoritairement dans le Grand Est, sont durement touchés par les occupations illicites, bien que la loi Besson y soit respectée. Dès lors, comment accompagner ces collectivités qui ont fait ce qu’elles devaient ? Loin de nous toute volonté de stigmatisation, vous le voyez bien. Nous parlons d’une minorité de gens, de certaines familles qui décident toutes seules, dans leur coin, de ne jamais respecter la loi.
La proposition de loi est bienvenue pour débattre intelligemment de la protection des collectivités et celle des différentes communautés concernées.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Chers collègues, je vous remercie de vos interventions. Il est important que chacun puisse s’exprimer en fonction de ce qu’il connaît ou de ce qu’il croit connaître du mode de vie des gens du voyage. Pour ma part, de 2001 à 2022, j’ai été adjoint au maire, chargé de la population et des gens du voyage. J’ai donc une petite expérience qui me permet de vous dire, madame Soudais, que faire de moi un raciste qui n’aime pas les gens du voyage et les met dans des trains me paraît excessif. Personne ici n’a le monopole de la bonne gestion d’un certain nombre de populations, en particulier de la population itinérante. Ma connaissance de son hétérogénéité m’autorise à penser qu’entre les gens du voyage, les grands rassemblements et ceux qui ne voyagent pas mais qui se revendiquent de cette population, il y a de très grandes différences.
La proposition de loi est le fruit d’un travail initialement plus ambitieux et global. Face aux campements illicites, qui exaspèrent les habitants sédentaires et mettent sous pression les maires, le ministre de l’intérieur a souhaité créer un groupe de travail concernant notamment les grands rassemblements et les gens du voyage.
Il n’est pas acceptable que la loi Besson ne soit toujours pas totalement appliquée au bout de vingt-cinq ans. À qui devons-nous nous en prendre ? Au législateur, qui contrôle l’application des lois ? Cette loi, qui avait été faite pour une population de moins de 300 000 personnes, n’est peut-être plus adaptée maintenant que les gens du voyage sont plus de 500 000. Ne faudrait-il pas la remanier face aux contraintes nouvelles, notamment à l’atomisation des groupes, ou, au contraire, à la nécessité d’éviter de regrouper des familles qui ne se supportent pas, ce qui pourrait avoir des effets néfastes, voire criminogènes ? Je vous invite, si vous êtes sensibles à ce sujet, à transmettre tous les éléments nécessaires au groupe de travail lancé par le ministre Buffet.
Nous avançons sur un chemin de crête, entre le respect du mode de vie de chacun, celui des collectivités, certes encore trop peu nombreuses, qui appliquent les schémas départementaux et celui des acteurs économiques privés, des agriculteurs, des entreprises – ils voient s’installer de façon illicite des gens qui désossent, au sens propre, l’ensemble du bâtimentaire et se retrouvent à devoir tout remettre en état, une fois les familles reparties. C’est important de citer ces exemples, car en rester aux idées générales nous fait courir le risque de l’excès ou de l’incompréhension.
Mon texte n’est pas parfait et je suis ouvert à vos amendements, dans un esprit constructif. Le monde des gens du voyage ne changera pas en un jour. Les occupations illicites contribuent à stigmatiser, en réalité, une population de gens du voyage qui ne veut pas être assimilée à ceux et celles qui commettent ce type de délit. J’espère que nous pourrons débattre jusqu’au bout.
Article 1er : (article 322-4-1 du code pénal) Renforcement de la procédure et des sanctions applicables au délit d’occupation sans titre en réunion d’un terrain en vue d’y établir son habitation, même de manière temporaire
Amendements de suppression CL6 de M. Charles Fournier, CL26 de Mme Elsa Faucillon et CL30 de Mme Ersilia Soudais
M. Charles Fournier (EcoS). Monsieur le rapporteur, si je veux bien croire que vous êtes dans une démarche constructive, permettez-moi tout de même d’avoir des doutes quand vos trois articles ne concernent que des sanctions et que mes amendements de demande de rapport, par exemple sur le droit des gens du voyage aux APL, ont été jugés irrecevables. Ces questions auraient pu être travaillées en amont et l’approche aurait pu être plus équilibrée. Vous avez d’ailleurs enlevé les mesures de progrès de votre texte originel pour ne garder que celles qui posent problème.
L’article 1er vise à doubler le montant des sanctions financières et à recourir à des amendes forfaitaires délictuelles, dont on connaît l’inefficacité. Quand les gens du voyage commettent un acte comme celui que vous venez de décrire, ils peuvent déjà être sanctionnés. Et s’ils s’installent dans des endroits interdits, c’est parce qu’ils n’ont pas de places réservées partout. Ils sont près d’un million en France. Vous allez les sanctionner alors que ce sont ceux qui n’organisent pas l’accueil qui devraient l’être.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je suis d’accord en tous points avec Charles Fournier. Il s’agit d’une énième approche répressive qui ne fait qu’aggraver la situation des voyageurs et des collectivités. Celles qui ne respectent pas la loi doivent être sanctionnées. Ce sont, paradoxalement, les plus accueillantes, celles qui prévoient des aires d’accueil, avec des services publics à disposition, qui subiront les occupations illicites, parce qu’elles auront plus de monde à accueillir.
Cette approche n’est pas la bonne pour améliorer la situation ; au contraire, elle participe à la relégation des voyageurs. Il y aurait tant d’autres propositions à faire sur ce sujet, par exemple sur la scolarisation.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, il est tout de même assez amusant que vous ne cessiez de répéter que vous refusez la stigmatisation, qu’il ne faut pas faire peser les délits de certains sur l’ensemble de la communauté, tout en reconnaissant que les schémas départementaux ne sont quasiment pas respectés, ce qui revient à faire porter à la communauté des gens du voyage un poids dont elle n’est pas responsable.
Cela vous a perturbé que je trouve votre proposition de loi raciste. En revanche, quand le Rassemblement national, qui soutient votre texte, n’a rien trouvé de plus intelligent à faire que de rire pendant que j’évoquais le génocide subi par les Tsiganes, cela n’a ému personne. C’est lamentable ! Et si j’ai parlé de 39-46, c’est parce que les voyageurs n’ont été libérés des camps qu’en 1946. Si vous connaissiez un petit peu l’histoire de la France, vous le sauriez. Mais vous ne connaissez rien au sujet, parce que vous n’écoutez pas les voyageurs. Vous décidez sans cesse à leur place, sans jamais leur demander leur avis, même si vous dites l’avoir fait, monsieur le rapporteur. Si l’on se souciait réellement d’eux, on se soucierait par exemple du fait qu’ils ont quinze ans d’espérance de vie en moins que la moyenne française. Quinze ans ! Vous vous rendez compte ?
M. Xavier Albertini, rapporteur. Vous comprendrez que je m’oppose à ces amendements de suppression. Il faut savoir rester raisonnable lorsque l’on aborde ces sujets complexes. La responsabilité est partagée. L’occupant devra apporter la preuve du caractère licite de son occupation, ce qui n’a rien de compliqué. L’amende forfaitaire, qui est encore en phase d’évaluation, est une peine moins lourde qu’une peine d’emprisonnement. Si elle était acceptée par le contrevenant, elle éteindrait l’action publique.
Quant aux occupations illicites sur les terrains communaux, je rappelle que l’objectif du texte est de fournir des outils supplémentaires aux EPCI qui respectent la loi.
Madame Faucillon, je vous rejoins à propos de la relégation et de la nécessité d’aborder la déscolarisation et le droit au Cned (Centre national d’enseignement à distance) ou à des classes adaptées. Je pense aussi à l’émancipation des femmes. Mais restons humbles : c’est une proposition de loi, sans étude d’impact. Les études du groupe de travail nous seront utiles dans la perspective d’un texte gouvernemental. Pour l’instant, je m’en tiens au traitement des occupations illicites.
Mme Sandra Regol, présidente. Permettez-moi un petit rappel historique pour calmer tout le monde. Mme Soudais faisait référence à ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale. Le Conseil de l’Europe, lors des 80 ans de la libération des camps, a mis en avant la voix des Roms, des Tsiganes et des gens du voyage, qui faisaient partie des grands oubliés de l’histoire des camps de concentration avec les populations LGBTQI. Cela fait très longtemps qu’ils demandent une journée de commémoration pour rappeler leurs très nombreux morts, après avoir été parmi les premiers internés dans les camps et ceux que l’on n’a pas trop cherché à en faire sortir.
M. Ludovic Mendes (EPR). Nous allons essayer d’avoir un débat sain, constructif et serein.
L’article 1er modifie un article du code pénal s’appliquant aux communes qui respectent la loi de 2000. Si elles ne sont pas en règle, si elles n’ont pas d’aires d’accueil, elles ne sont pas concernées par l’article. En revanche, là où les collectivités respectent la loi, si les communautés qui s’installent l’enfreignent, des sanctions plus fortes seront applicables. On ne peut pas à la fois reprocher à des élus de ne pas appliquer la loi et refuser à ceux qui s’y conforment la possibilité de la faire respecter par l’autre partie.
Chez moi, toutes les aires sont adaptées. Quand elles sont dégradées, elles sont réparées assez rapidement. Le préfet et le département se donnent les moyens d’accompagner les différentes communautés avec un médiateur. On reçoit dans mon département chaque année le plus grand rassemblement de France sans aucun problème. Peut-on accepter que des zones commerciales, des zones artisanales, des terrains de foot, des terrains privés soient occupés de façon illicite par des personnes à qui ont les collectivités apportent pourtant des solutions ? Cela crée des troubles importants à l’ordre public et parmi la population.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Vous avez raison, monsieur Mendes, il faut un peu de rationalité. Or, ce texte en manque singulièrement.
À Chambéry, il y a quelques aires d’accueil des gens du voyage, sans qu’elles suffisent à remplir les obligations des lois Besson. J’ai reçu dans ma permanence plusieurs personnes de la communauté des gens du voyage qui m’ont décrit leurs conditions de vie. En député attentif, j’ai proposé d’aller visiter les aires sur lesquelles elles étaient installées. C’est tellement abominable que France 3 a fait un reportage pour montrer les conditions indignes dans lesquelles ces personnes sont accueillies. Ces endroits ressemblent davantage à des décharges publiques ! D’ailleurs, rien n’est fait pour empêcher le dépôt quotidien d’ordures, par des camions qui viennent vider au pied des mobil-homes ou des caravanes leurs bennes pleines d’immondices ou de produits dangereux – dioxine, amiante – dont ils ne peuvent pas se débarrasser dans les décharges habituelles.
Les gens du voyage ne s’installent pas sur les aires qui leur plaisent comme on ferait du tourisme. En réalité, ils vont là où on les autorise à stationner. À Chambéry, ils vivent parmi des rats et des serpents. L’eau, acheminée depuis la communauté Emmaüs d’en face, est impropre à la consommation. Des maladies de peau touchent les êtres humains et les animaux. Les chiens meurent de la leptospirose.
Avant de vouloir sanctionner et pénaliser, il faudrait respecter les obligations créées par les lois Besson.
Mme Edwige Diaz (RN). Propos excessifs et caricaturaux, amendements qui parlent de « mesure inique », de « mesure répressive », d’aggraver la misère des familles, de « logique de punition carcérale », d’« article stigmatisant et démagogique » : les Français doivent aller lire ce que propose l’extrême gauche ! On aurait envie de voter pour ces amendements, simplement pour que le débat s’achève et qu’on ne vous entende plus. Ce que vous dites est trop horrible. Mais nous avons un cas de conscience : comme les macronistes ne sont pas là un jour de niche macroniste, si nous ne votons pas contre les amendements de l’extrême gauche, ni les élus locaux ni les propriétaires ne seront défendus. Parce que nous avons une conscience, des valeurs et des convictions, nous allons donc voter contre.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je veux dire avec beaucoup de solennité que les propos de Mme Soudais sont inacceptables. Ils sont violents et particulièrement caricaturaux. Elle vient de dire que tous les cosignataires de la proposition de loi étaient des racistes. Elle invoque l’histoire et nous parle de 39-46 ; mais nous connaissons notre histoire, et nous savons les souffrances des populations tsiganes et roms pendant la seconde guerre mondiale. Madame Soudais, vous nous balancez cela comme un projectile politique sur le texte d’un collègue qui a travaillé. Quel est le rapport ? On est au-delà même de l’excès ! C’est très grave, ce que vous êtes en train de faire ! Nous ne pouvons pas le laisser passer. Il ne s’agit pas d’un désaccord de fond. Vous êtes en train de nous insulter.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). J’ai dit que le texte était raciste.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Vous nous jetez des anathèmes à la figure comme vous savez le faire. Ça suffit, madame Soudais !
Nous parlons de sujets importants depuis le début de la journée. Des arguments de fond sont échangés. Ce texte ne stigmatise personne. Il n’est écrit nulle part que nous visons une culture ou une communauté. Cessez de déformer les choses ! Le texte répond à une réalité que vous refusez de voir, parce qu’elle ne s’inscrit pas dans votre schéma et que c’est ainsi que vous fonctionnez : dès que quelque chose ne rentre pas dans votre case, vous mettez des œillères, refusez de voir la réalité et en appelez aux grands principes. Vous affaiblissez totalement la crédibilité de la parole publique. Vous affaiblissez aussi la lutte contre les discriminations. J’ai plaidé pendant près de dix ans, à titre bénévole, comme avocate auprès de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), y compris pour défendre des gens de cette culture et de cette communauté. Cela suffit, l’instrumentalisation ! Nous n’acceptons pas que le débat prenne cette tournure, madame la présidente.
Mme Sandra Regol, présidente. Madame Moutchou, nos propos sont notés ; poursuivons donc. Les invectives n’aideront pas à faire avancer le débat – vous répondriez d’ailleurs la même chose à ma place. Mme Soudais vous a entendue. Vous pouvez aussi sortir toutes les deux un instant pour en parler.
M. Charles Fournier (EcoS). Madame Diaz, vouloir voter nos amendements pour ne plus nous entendre est la marque d’une grande envie de démocratie ! Et je ne vous ai pas traités de racistes, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
Monsieur Mendes, l’article ne précise nulle part que la sanction est liée au respect par les collectivités de leurs obligations – M. le rapporteur le confirmera. Monsieur le rapporteur, vous n’avez conservé que le volet répressif du texte initial. En quoi est-il plus urgent que de travailler sur la scolarité, par exemple ? Le groupe d’études sur les gens du voyage a auditionné des familles et, en tant que président d’une structure, je les côtoie régulièrement ; leur niveau de colère est élevé. Ce type de sanctions risque de compliquer notre relation avec eux, alors que l’on aurait pu travailler à un véritable équilibre.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL36 de Mme Ersilia Soudais
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Cet amendement de repli est une autre façon d’affirmer notre opposition à l’article 1er. Évidemment qu’il n’est pas acceptable d’occuper les zones commerciales et agricoles. Mais il faut aussi comprendre la racine du problème : le fait que, bien souvent, les collectivités ne respectent pas leurs obligations, parce que l’État ne respecte pas les siennes non plus. Je ne jette pas la pierre aux collectivités. Cela fait un certain nombre d’années que l’on ponctionne leurs ressources et qu’elles doivent faire des choix. Comme par hasard, les aires d’accueil ne sont pas leur priorité. C’est ainsi qu’on se retrouve dans une situation dramatique : seules 40 % des aires prévues par la loi Besson ont été construites alors même que le total ne suffirait plus puisque le nombre de gens dits du voyage a augmenté. Au fond, la vraie question est celle-ci : ne faut-il pas revoir la loi Besson ? Augmenter les sanctions ne fera qu’accroître la précarité de gens déjà extrêmement précaires. Cela les coupera encore un peu plus de l’accès aux soins, et leurs enfants de l’accès à la scolarité.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Je cite parfois Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. » Cela permet de faire redescendre la pression. Je doute que s’envoyer des invectives fasse avancer le débat. Vous aurez du mal à me faire dévier de ma ligne de conduite, que je veux la plus calme possible sur un sujet qui me paraît sérieux. Même si tous les arguments invoqués sont sérieux, certains me semblent excessifs.
Cet amendement, plus radical encore que l’amendement de suppression, vise à supprimer l’article 322-4-1 du code pénal, ce qui nous priverait de tout support juridique en matière d’occupations illicites. Monsieur Fournier, soit dit en passant, cet article mentionne expressément que la commune « s’est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental prévu » par la loi Besson. L’accentuation des peines ne pourra s’appliquer que dans les EPCI respectant l’ensemble des textes.
Assurément, il faudra examiner d’autres sujets. Mais Paris ne s’est pas fait en un jour. Pour l’heure, il m’apparaît important de corriger une dissymétrie. Les occupations illégales exaspèrent les collectivités et les particuliers.
M. Ludovic Mendes (EPR). Monsieur Fournier, la condition de respect par la commune de ses obligations figure bien dans le texte puisque le premier alinéa de l’article 322-4-1 du code pénal, que modifie l’article, vise « une commune qui s’est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental prévu à l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ». Depuis le début, nous répétons que tout cela ne peut s’appliquer que si les collectivités territoriales respectent la loi. Nous ne concevons pas que certains élus ou certains territoires puissent ne pas respecter la loi, ni que certaines aires d’accueil ne soient pas adaptées à la situation des familles de gens du voyage.
Nous ne pouvons toutefois pas accepter que des zones commerciales ou industrielles, des terrains agricoles, des terrains de football ou d’autres terrains soient occupés de façon illicite par des familles qui nous répondent – comme je l’ai entendu – « je ne peux pas aller à l’endroit prévu, parce que je ne m’entends pas avec Untel, c’est un gros con ». Voilà la réalité de ce que nous vivons, attestée par des rapports circonstanciés de préfets ou de responsables de département.
Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, bien au contraire. Depuis le début, nous dénonçons des problèmes d’accès aux droits, aux soins et à la scolarité et le manque de reconnaissance de l’habitat que constitue la caravane. Nous avons même déposé une proposition de loi complète, qui compte plus de vingt articles : n’hésitez pas à la cosigner ! Nous sommes prêts à la travailler encore avec vous.
Et si ce que nous proposons aujourd’hui ne suffit pas, vous pouvez utiliser vos niches parlementaires pour faire évoluer le droit. Ne nous reprochez pas d’apporter des réponses pour des territoires difficiles. On ne peut pas accepter que des élus soient agressés physiquement en cas d’occupation illégale. Abroger cet article, c’est accepter de ne plus respecter la loi.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Si un élu se fait agresser par une personne qui appartient à la communauté des gens du voyage, cette personne est soumise, comme tout un chacun, au code pénal et les sanctions qui s’ensuivent s’appliquent sans spécificité.
Efforçons-nous de faire sereinement une expérience de pensée. Imaginons que les gens du voyage, pour échapper à la loi que vous voulez imposer, pour ne pas être punis d’amendes pouvant atteindre 75 000 euros ni voir leurs véhicules saisis, décident de se conformer à la loi : où les met-on ? De fait, vous n’allez pas leur demander de rouler sans cesse sur les routes, sans jamais s’arrêter. Où les ferez-vous stationner, puisqu’on manque d’aires de stationnement ? Vous nous direz qu’ils n’ont qu’à faire des demandes de logements sociaux – mais il manque des dizaines de milliers de logements sociaux dans notre pays et vous ne pourrez donc pas davantage les reloger.
Quelle est, dans votre proposition de loi, la solution alternative pour ces gens ? Vous allez les sanctionner alors qu’ils n’ont aucun moyen d’échapper aux sanctions. Ils respecteraient la loi si vous la respectiez, si ceux qui ont le pouvoir mettaient à leur disposition des aires décentes. Ils n’occupent pas des terrains pour le plaisir d’emmerder les gens ! Le problème est qu’ils n’ont pas d’alternative. Lorsqu’il y en aura une, votre texte pourra peut-être se justifier, mais nous en sommes loin aujourd’hui. Dans ma propre ville, beaucoup de gens vivent dans des conditions indignes sur des terrains abominablement pollués.
Mme Edwige Diaz (RN). Par cet amendement, l’extrême gauche veut littéralement supprimer un article du code pénal. Ils nous y ont habitués : avec eux, c’est toujours plus de laxisme et toujours moins de sanctions – c’est très caractéristique de l’idéologie anarchiste qu’ils développent sans cesse en commission.
L’amendement jette la pierre aux collectivités territoriales en les accusant de ne pas respecter leurs obligations légales. Mais la baisse de leur dotation, organisée par les macronistes depuis plusieurs années, et par les socialistes avant eux, rend l’équation budgétaire est difficile.
Je regrette que jamais l’extrême gauche ne parle des agressions subies par les élus qui s’efforcent de faire correctement leur travail, de faire respecter la loi et d’assurer la tranquillité publique de leurs concitoyens. Je regrette aussi que vous instrumentalisiez la situation : comme par hasard, le département cité dans l’exposé des motifs comme étant le mauvais élève est précisément celui des Alpes-Maritimes, dont M. Ciotti est élu. Nous y voyons une certaine malice de votre part.
Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, nous voterons contre cet amendement.
Mme Sandra Regol, présidente. Madame Diaz, je vous demande de respecter le cadre légal, reconnu par le Conseil d’État, qui a été fixé pour l’appellation des partis politiques. Il n’y a pas d’extrême gauche ici, quoi que vous en disiez. Si vous pensez que bafouer la loi et les règles qui nous sont données est la mission d’une députée en commission des lois, vous pouvez continuer, mais je ne sais pas si c’est le meilleur exemple à donner pour la France.
Mme Edwige Diaz (RN). Vous êtes présidente, pas maîtresse d’école !
Mme Sandra Regol, présidente. Madame Diaz, vous avez déjà présidé la séance dans l’hémicycle et vous savez qu’on ne remet pas en question la présidence, fût-elle celle d’une commission. Je vais faire comme si je n’avais pas entendu vos attaques.
M. Charles Fournier (EcoS). Si le code pénal prévoit que les sanctions ne sont applicables que lorsqu’il a été satisfait à l’obligation d’offrir un nombre de places suffisant, elles ne sont pas près d’être appliquées. Car cette obligation n’est pas respectée – ce qu’il sera facile de démontrer – et ne le sera pas de sitôt, faute de terrains en nombre suffisant.
Je ne dis pas qu’il faut autoriser les violences, et des sanctions sont nécessaires, mais elles doivent s’appliquer aussi à ceux qui ne respectent pas les obligations fixées par la loi. L’offre d’accueil est attendue depuis des années, mais en vain, et nous allons laisser des gens en errance, en proie à des difficultés majeures ; cela alimentera les tensions que nous connaissons. Cette voie n’est certainement pas la plus efficace ; il s’agirait plutôt d’organiser une contrainte plus forte pour qu’il y ait des aires d’accueil dignes de ce nom. Trop souvent, en effet, ces aires se situent dans des zones polluées, comme celle qui a été installée à moins de 500 mètres de l’usine Lubrizol. On les éloigne pour les installer à proximité des communes voisines, afin de dégager sa responsabilité. Ce n’est pas acceptable et nous devons agir. Ce texte pourrait en être l’occasion.
Mme Sandra Regol, présidente. Mes excuses à Mme Diaz pour l’avoir confondue avec Mme Laporte à propos du fait d’avoir déjà présidé la séance publique.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Monsieur Fournier, nous examinons le cas des EPCI qui respectent les dispositions légales. J’observe, à ce propos, que les chiffres et les pourcentages diffèrent d’une prise de parole à l’autre, ce qui montre bien qu’il règne en la matière une certaine confusion. Vous évoquez la loi Besson et la création d’aires pour gens du voyage dans les EPCI qui ne les ont pas encore créées, et décrivez des situations inacceptables, mais M. Mendes et moi-même pourrions citer aussi des EPCI qui ont installé ces aires dans des lieux tout à fait convenables.
La question de fond est que l’amendement, en proposant la suppression pure et simple d’un article du code pénal, laisse envisager la possibilité d’installations tous azimuts sans possibilité de sanctions. Or, je ne cesse de le répéter, celles que prévoit la proposition de loi sont à la disposition des propriétaires privés ou publics qui respectent les engagements du schéma départemental.
La commission rejette l’amendement.
La réunion, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.
Amendements identiques CL9 de M. Charles Fournier, CL32 de M. Emmanuel Fernandes et CL74 de M. Laurent Jacobelli
M. Charles Fournier (EcoS). Mon amendement CL9 vise à supprimer l’alinéa 2, qui impose à l’occupant de justifier de l’identité du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain, car cette obligation risque d’aggraver les discriminations à l’encontre des gens du voyage.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Il arrive que les « gens du voyage » s’arrangent à l’amiable avec les propriétaires des terrains sur lesquels ils stationnent et leur laissent une compensation financière pour l’occupation de ces terrains. Ainsi, contrairement à ce qu’insinue la proposition de loi, ces personnes en situation de stationnement illicite contraint ne stationnent pas toujours sans autorisation des propriétaires ou sans contact avec ces derniers.
Élue depuis 2017, j’observe que c’est là le deuxième texte relatif à l’accueil des gens du voyage et qu’il est, après celui de 2018, qui renforçait déjà les sanctions pour occupation illicite, un nouveau texte de répression. D’un texte à l’autre, c’est le même axe qui est choisi : depuis sept ans, le gouvernement et les parlementaires du bloc gouvernemental n’ont jamais fait le choix de textes plus larges et répondant aux demandes de toutes les associations de gens du voyage relatives à leurs besoins en matière notamment d’accès aux droits et d’éducation. Ce défaut de réponse publique exprime le choix de la pure répression. Or, les sanctions, déjà alourdies par la précédente loi, ne répondent pas aux besoins. Du point de vue de l’efficacité même, il aurait fallu une évaluation pour comprendre pourquoi cela ne marche pas. Il faut arriver à la racine du problème ; ce n’est pas en réprimant, en stigmatisant et en précarisant encore davantage les personnes qui se trouvent en situation de stationnement illicite contraint qu’on le réglera.
Mme Edwige Diaz (RN). L’alinéa 2 est redondant. Il est inutile de surcharger la législation et cela ne renforcera pas son effectivité. Tel est le sens de l’amendement CL74.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Avis défavorable, car il semble raisonnable de connaître l’identité du propriétaire du terrain. Cette exigence supplémentaire est proportionnée et n’est pas redondante avec le droit existant, qui ne demande qu’une attestation.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’amendement CL25 de M. Ludovic Mendes tombe.
Amendement CL87 de M. Laurent Jacobelli
M. Xavier Albertini, rapporteur. Il s’agit de supprimer le recours à la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle pour le délit d’installation, en réunion, sur un terrain en vue d’y établir son habitation sans autorisation, procédure introduite par la loi du 7 novembre 2018 et qui a commencé à être expérimentée dans le ressort de certains tribunaux à partir de fin 2021.
Car ce mécanisme peut faciliter la répression d’un délit et se substituer à une procédure devant le juge pénal, qui serait nécessairement plus longue. Avis défavorable.
Mme Edwige Diaz (RN). Il est urgent de restaurer un cadre efficace et, surtout, dissuasif. Or, l’allégement des sanctions banalise l’occupation illégale et favorise la récidive.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Nous voterons évidemment contre cet amendement.
Le vieil adage qu’a cité tout à l’heure M. le rapporteur et selon lequel ce qui est excessif est insignifiant aurait été plus judicieusement utilisé ici : il est excessif de vouloir imposer des peines de prison aux voyageurs qui stationneraient de façon illicite, car il ne s’agit absolument pas d’un choix de leur part et cette situation cause des souffrances.
Antoine Sauser, voyageur, médiateur social et responsable associatif de 25 ans, m’a expliqué qu’il était en errance depuis son plus jeune âge. Né à Claye-Souilly, dans ma circonscription, il n’a pas pu aller au-delà de la classe de première à cause de cette situation d’errance. En première, en effet, il a dû déménager dans l’Oise et n’a pas pu poursuivre sa scolarité, au grand dam de ses professeurs, qui voulaient absolument qu’il continue parce qu’il était très assidu et très impliqué. Cette errance a ruiné toutes ses chances d’obtenir des diplômes et un métier suffisamment rémunérateur. Il a vécu cela comme un traumatisme. Sa famille ne veut même plus que les enfants aillent à l’école, en prévision du déchirement à venir. Devant sans cesse se rendre d’un lieu à un autre sans savoir ce qu’il en sera dans une semaine, ces enfants ne peuvent suivre une scolarité normale.
M. Xavier Albertini, rapporteur. L’AFD, qui est en cours d’expérimentation, n’a pas encore été généralisée et le retour d’expérience est relativement faible. À l’inverse toutefois des affirmations de Mme Diaz, des sanctions sont possibles et nombre d’amendes ont été émises. Je propose d’ailleurs, dans un autre amendement, d’en augmenter le quantum, afin de pouvoir, dans une logique à la fois d’extension et d’évaluation – celle-ci n’a toujours pas été faite, ce que je regrette –, mesurer l’impact dissuasif des AFD.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL10, CL12 et CL11 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier (EcoS). Ces trois amendements visent à supprimer respectivement les alinéas 4, 6 et 7 pour conserver le montant actuel des amendes. L’augmenter aurait très peu d’effet, sinon celui de mettre en difficulté les personnes qui devraient s’en acquitter.
M. Xavier Albertini, rapporteur. La majoration du quantum des AFD a un caractère moins répressif que dissuasif. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL59 de Mme Ersilia Soudais
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Cet amendement de repli exprime lui aussi notre opposition à cet article 1er, qui ne fait que plonger davantage dans la précarité des personnes déjà très précaires. Face à l’affirmation selon laquelle les voyageurs éviteraient délibérément d’utiliser les aires qu’on leur assigne, je citerai une voyageuse, Sue-Ellen, directrice du collectif Da So Vas, qui vit sur une aire d’accueil à Hellemmes-Ronchin, près de Lille : « On a le choix entre crever dans une aire superpolluée et aller en stationnement illicite. » Par dépit, elle a fait le choix de crever dans une aire superpolluée. Le mot est bien choisi : en l’espace de deux mois, elle a perdu trois membres de sa famille, morts très jeunes à la suite de problèmes de santé occasionnés par la pollution de l’air – sa mère de 62 ans, sa tante d’un âge voisin et son cousin. Elle nous indique aussi que tous les enfants vivant sur cette aire entourée par une cimenterie, une concasserie et un champ gorgé de pesticides souffrent de problèmes respiratoires en raison de la pollution. On leur promet depuis longtemps de les installer ailleurs – concrètement, voilà une quinzaine d’années qu’elle attend.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Il s’agit de supprimer le dernier alinéa de l’article 322‑4‑1 du code pénal pour empêcher que le véhicule tracteur ne soit saisi. Avis défavorable, car le texte préserve le principe constitutionnel de protection de l’habitation : nous ne nous intéressons, dans le cas de flagrance, qu’aux véhicules qui ont pu amener les caravanes. Surtout, il ne vise que les occupations illicites, et non pas l’installation sur des terrains destinés à cet effet.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL91 de M. Xavier Albertini, rapporteur.
Amendement CL58 de Mme Ersilia Soudais
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Il vise à empêcher la saisie de véhicules destinés à l’habitation par nature et par transformation, qui aurait pour première conséquence de mettre à la rue bon nombre de personnes, notamment des enfants. Ce n’est pas en plongeant des personnes davantage dans la misère que l’on pourra changer les choses. Il faudrait déjà que l’État et les collectivités respectent leurs obligations et il faudrait aussi permettre que les personnes dites gens du voyage aient plus de droits. À Hellemmes-Ronchin, des voyageuses m’ont dit qu’avant de fonder le collectif Da So Vas, elles n’avaient même pas conscience d’en avoir et pensaient qu’elles n’avaient que des devoirs. Ces propos, que je n’ai jamais entendus dans la bouche de personne d’autre, sont le fruit d’une stigmatisation et d’une maltraitance constantes. Que des personnes puissent en venir à penser cela devrait nous inciter à réfléchir.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Avis défavorable.
Je répète que le texte ne remet pas en cause la protection de l’habitation, puisqu’il vise les véhicules connexes à moins qu’ils ne soient reconnus comme d’habitation. Nous connaissons l’organisation et la façon d’agir de certains groupes. La mesure a un caractère dissuasif et la saisie n’est qu’une possibilité, et non une obligation. Elle fait partie d’un arsenal complémentaire qui conforte les possibilités d’action en cas d’occupation illégale.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL79 de M. Sébastien Huyghe
M. Xavier Albertini, rapporteur. Limiter les transactions de véhicules, comme le propose cet amendement, pourrait être un moyen de combattre les installations illicites et leur récurrence. Toutefois, la notion d’installation répétée n’étant pas reconnue par l’article 322‑4‑1 1 du code pénal, la disposition ne semble pas, en l’état, pouvoir s’insérer dans l’article. Ce sujet pourrait être discuté au sein du groupe de travail lancé par le ministère de l’intérieur. Pour l’heure, je demande le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Je redéposerai l’amendement pour l’examen du texte en séance publique, et espère pouvoir le retravailler avec vous d’ici là.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Article 2 : (article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage) Évolutions de la procédure administrative en cas de stationnement illicite de résidences mobiles
Amendements de suppression CL13 de M. Charles Fournier et CL31 de M. Emmanuel Fernandes
M. Charles Fournier (EcoS). L’article 2 renforce la procédure administrative d’expulsion en allongeant de sept à quatorze jours la durée de la mise en demeure et en supprimant le pouvoir d’appréciation du préfet. Ce durcissement, qui s’apparente quasiment à une interdiction de territoire, frappant de manière collective et sans distinction, va à l’encontre des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Il risque d’envoyer de nombreuses familles en errance – c’est déjà le cas pour près de 200 personnes autour de Nantes, 150 autour de Clermont Ferrand et plus de 100 autour de Brest. Or, comme je l’ai déjà dit, ces situations d’errance créent des tensions et des risques pour ces personnes comme pour les habitants. La meilleure solution reste toujours de pouvoir proposer un accueil et un hébergement – et cela ne vaut pas seulement pour les gens du voyage.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). L’article 2 renforce les procédures d’expulsion des gens du voyage stationnant de façon illicite, notamment en rendant automatiques les expulsions forcées par les préfets. Or, ces expulsions ont des conséquences dramatiques, comme des situations de rupture pédagogique pour les enfants ou de rupture de soins pour les personnes malades, ce qui affecte notamment les femmes enceintes et les enfants en bas âge. Elles peuvent entraîner des pertes de documents essentiels, par exemple médicaux, et interrompent toute sociabilité, ainsi que l’accompagnement social, le suivi scolaire et professionnel et le travail des ONG, des associations ou des municipalités.
Sans prise en charge globale ni solutions alternatives proposées par les pouvoirs publics, les personnes expulsées se verront réduites à trouver un autre lieu d’accueil, souvent illicite lui aussi, faute d’aires de stationnement légal. Cette proposition de loi ne règle pas le fait que seule une expulsion sur trois est précédée d’un diagnostic social et elle ne propose rien pour pallier le fait que, dans la plupart des cas, aucune solution alternative n’est proposée. Où sont les mesures permettant de prévenir les situations de rupture de soins pour les personnes malades ou de rupture pédagogique pour les enfants ? Rien de tout cela n’est fait, car vous vous concentrez sur la répression des gens du voyage, sans tenter de comprendre leur mode de vie et en fermant les yeux sur les nombreuses carences de l’État.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Pour ce qui est de l’allongement de la durée d’applicabilité de la mise en demeure, il apparaît, après échanges avec divers acteurs, notamment des représentants de l’AMF, et au vu des situations concrètes sur le terrain, que le délai de sept jours est parfois difficile à tenir et que son extension à quatorze jours, en utilisant la même procédure et la même notification, permettrait d’éviter la reconstitution d’un campement illicite à court terme sur le territoire de l’EPCI, ce qui épargnerait des tracas inutiles et une embolisation juridique.
En cas d’occupation illicite, la non-exécution d’une décision de justice peut susciter l’incompréhension de la population et des pressions de la part des différents acteurs. La réponse la plus évidente semble être de faire de la compétence du préfet une compétence liée, l’obligeant à procéder à l’évacuation. Les personnes auditionnées ont toutefois souligné les difficultés auxquelles se heurteraient sa mise en œuvre et je suis prêt à revoir notre position.
En revanche, je suis défavorable à tout amendement revenant sur l’allongement du délai de validité de la mise en demeure et à ces amendements de suppression.
M. Ludovic Mendes (EPR). Cessons les amalgames. Nous avons tous la même ambition d’inclusivité pour les gens du voyage. Je ne nie pas qu’il y a des problèmes à Clermont, Chambéry ou Brest et dans d’autres communes et qu’il faut mettre la pression sur les élus qui ne respectent pas la loi Besson, mais l’objet de cette proposition de loi n’est pas l’aménagement des aires d’accueil ou de grand passage. Elle entend accompagner les élus locaux en conformité avec la loi lorsqu’ils sont confrontés à des occupations illicites de terrains communaux, mais aussi privés. L’évacuation, je le rappelle, ne peut être demandée au préfet que pour les collectivités ayant respecté la loi. La position des tribunaux administratifs et du Conseil d’État est claire sur ce point. Nous savons que le délai actuel de sept jours pour les mises en demeure peut être source de difficultés pour le préfet, du fait des réinstallations au huitième jour, d’où la proposition de le porter à quatorze jours.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Vous dites que nous avons le même horizon, monsieur Mendes ; j’aimerais vraiment le croire. Vous ne cessez d’évoquer des préjudices infligés par les gens du voyage, mais vous ne dites rien de ceux qu’ils subissent.
M. Ludovic Mendes (EPR). On n’a pas arrêté d’en parler !
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Certes, il y a eu des violences dirigées contre les élus, mais pourquoi ne parlez-vous pas des violences des élus à l’encontre des voyageurs ? Dans ma circonscription, un élu a tiré au fusil sur l’un d’eux.
M. Ludovic Mendes (EPR). On n’oppose pas les gens.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Je ne vous interromps pas lorsque vous prenez la parole, monsieur Mendes !
M. Ludovic Mendes (EPR). Calmez-vous !
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Vous êtes sexiste !
M. Ludovic Mendes (EPR). Raciste, sexiste : j’aurai tout entendu !
Mme Sandra Regol, présidente. Seule Mme Soudais a la parole.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Ces faits se sont déroulés dans une municipalité qui a refusé d’aménager un chemin digne de ce nom vers l’aire d’accueil, dans le but d’isoler les voyageurs. Vous parlez d’inclusion. Aucun professionnel de santé ne pouvait s’y rendre, alors qu’un monsieur venait d’être victime d’un AVC ; il n’y avait pas non plus d’accès à l’eau et à l’électricité. Comment faisaient les enfants pour prendre une douche avant d’aller à l’école, pour avoir chaud l’hiver ? Vous vous rendez compte ? La nouvelle municipalité a fait les travaux nécessaires et je l’en remercie.
Mme Sandra Regol, présidente. Évitons les invectives entre collègues, elles ne sont agréables pour personne. Adressez-vous plutôt à moi, chers collègues.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Je me demande, madame Soudais, si votre circonscription se situe bien dans le même département que la mienne. Les collectivités de Seine-et-Marne ont consacré des sommes considérables à l’aménagement et à l’entretien des aires d’accueil et je ne vois pas de quoi vous parlez quand vous évoquez l’absence d’accès à l’eau.
La commission rejette les amendements de suppression.
Amendement CL39 de Mme Ersilia Soudais
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Il ne peut y avoir d’obligations sans droits. C’est pourquoi nous proposons d’établir une charte des droits fondamentaux pour garantir des conditions de vie dignes aux gens du voyage.
Lorsqu’ils stationnent sur un terrain désigné, ils sont soumis à de nombreuses obligations, comme le respect d’un règlement intérieur strict ou le versement d’une caution, mais leurs droits fondamentaux ne leur sont rappelés dans aucun texte.
Cette asymétrie ouvre la porte à des abus de la part de certains gestionnaires, notamment en matière d’accès à l’eau et l’électricité. D’après l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 14 % des gens du voyage n’ont pas d’accès à l’eau au robinet. Cette réalité est alarmante alors même que le droit à l’eau est reconnu par les Nations unies et l’Union européenne comme un droit fondamental indispensable à des conditions de vie dignes, et même à la vie tout court.
Une telle charte contribuera en outre à réduire le nombre de stationnements illicites, souvent motivés par l’impossibilité d’accéder à l’eau et à l’électricité sur les terrains désignés.
M. Xavier Albertini, rapporteur. L’accès à l’eau est assuré dans les aires aménagées par les EPCI en conformité avec la loi. Les situations que vous décrivez renvoient plutôt à des installations sauvages, avec des branchements sur des bornes d’incendie et des boîtiers électriques non prévus à cet effet. Je ne minimise toutefois pas la nécessité d’une telle charte et vous suggère d’apporter votre contribution aux réflexions menées au sein du groupe de travail du ministère de l’intérieur. Avis défavorable.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). C’est terrible : vous n’acceptez même pas que soient rappelés aux voyageurs leurs droits fondamentaux ! Certains d’entre eux ignorent même qu’ils ont des droits, comme me l’indiquaient des voyageuses installées sur l’aire d’Hellemmes-Ronchin et membres du collectif Da So Vas, qui milite précisément en faveur de la création d’une telle charte.
Certains nous opposent que l’accès à l’eau est bel et bien assuré. Mais dans quel monde vivent-ils ? Les problèmes sont si fréquents que j’ai dû rédiger de multiples courriers d’alerte. J’ai évoqué la situation à Longperrier, mais je pourrais aussi citer le cas d’une autre commune de Seine-et-Marne, Courtry, où un couple, faute d’accès à l’eau, est obligé de laver son fils handicapé avec de l’Évian. Peut-on tolérer cela dans l’une des plus grandes puissances mondiales ? Allez donc voir les voyageurs au lieu de parler d’eux sans connaître leur vie.
Se raccorder à l’électricité par des branchements illicites, évidemment, ce n’est pas bien, mais pensez-vous vraiment, monsieur le rapporteur, que les gens le font de gaieté de cœur ? Bien sûr que non, ils le font même au péril de leur vie ! Trois voyageurs ont failli mourir en cherchant à alimenter leurs chauffages – vous croyez vraiment que les gens aiment dormir dans le froid ?
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Avec cet amendement, monsieur le rapporteur, nos collègues Insoumis cherchent à vous tendre une perche. Ils vous offrent l’occasion de reconnaître dans votre proposition de loi les droits fondamentaux des voyageurs, enjeu auquel personne ne peut rester insensible après avoir entendu ces divers témoignages. Cet ajout de bon sens ne dénaturerait en rien le texte que vous voulez faire adopter et je vous invite, chers collègues, à voter en faveur de cette défense des droits et des libertés individuelles et collectives.
M. Xavier Albertini, rapporteur. J’aime l’esprit et le ton de votre intervention, chère collègue. Les témoignages que nous avons entendus sont en effet poignants ; je pourrais y ajouter ceux relatifs aux situations compliquées que vivent certains riverains. Sans vouloir minimiser cette proposition – nous voyons bien que chacun y met de son cœur, Mme Soudais particulièrement –, nous estimons qu’un travail de fond s’impose. C’est la raison pour laquelle je vous ai renvoyés au groupe de travail que vient de mettre en place le ministère de l’intérieur. Ses travaux sont destinés, dans un esprit de dialogue et d’apaisement, à élaborer des solutions concrètes, qu’il s’agisse des droits ou des obligations de la communauté des gens du voyage. J’accepte néanmoins de modifier ma position sur cet amendement : sagesse et non plus avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
L’amendement CL40 de Mme Ersilia Soudais est retiré.
Amendement CL41 de Mme Ersilia Soudais
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Les gens du voyage utilisent les termes de « terrains désignés » plutôt que ceux d’« aires d’accueil », auxquels recourent les pouvoirs publics pour qualifier les terrains qu’ils leur assignent. Nous proposons de retenir cette dénomination dans la loi.
Dans une république inclusive comme celle que souhaite mon groupe, la loi doit prendre en compte les personnes qu’elle concerne. En outre, ce changement sémantique serait un moyen d’alerter sur la relégation spatiale et sociale dont souffrent les gens du voyage. Il s’agit d’espaces non pas d’accueil mais d’exclusion, qui n’assurent pas des conditions de vie dignes à nos concitoyens, notamment parce qu’ils sont bien trop souvent situés à proximité d’autoroutes, de déchetteries et de terrains pollués. C’est le cas dans ma circonscription, à Strasbourg : dans le quartier industriel du Port-du-Rhin, un terrain désigné jouxtant les installations de la société MTS était exposé, dans l’indifférence générale, aux retombées de poussières hautement cancérigènes issues des déchets de bois créosoté qu’elle traitait jusqu’en 2020.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Certes, toutes les aires ne peuvent pas être considérées comme des espaces d’accueil, mais les termes de « terrains désignés » seraient stigmatisants. Je vous invite à ce propos à réfléchir au caractère d’exception de la loi Besson : elle met à part une partie de la population, les gens du voyage, pour lui réserver un traitement spécifique. Avis défavorable.
M. Ludovic Mendes (EPR). Sans vouloir remettre en cause votre présidence, madame Regol, je vous fais part de mon doute sur le sort de l’amendement CL39. Avec huit voix pour et huit voix contre, il ne peut avoir été adopté.
Mme Sandra Regol, présidente. Il y avait plus de pour que de contre, je peux vous l’assurer. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à compter.
M. Ludovic Mendes (EPR). Ce n’est pas possible !
Mme Sandra Regol, présidente. Plusieurs de nos collègues ont choisi de s’abstenir. Ne me forcez pas à vous donner leur nom. On connaît ce sketch par cœur.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Les premiers concernés doivent pouvoir désigner comme bon leur semble l’endroit où ils habitent et si cette expression vous paraît stigmatisante, c’est peut-être tout simplement parce qu’ils ressentent ces lieux comme stigmatisants.
La notion d’accueil doit être remise en cause pour plusieurs raisons. Le terme même d’accueil pose problème : il induit l’idée que les voyageurs seraient des étrangers que l’on devrait accueillir, alors qu’ils sont chez eux en France. En outre, 80 % de ces terrains sont situés dans des zones ultrapolluées, à proximité de sites Seveso, de routes et d’autoroutes, de cimenteries et autres installations et, bien souvent, les pollutions s’additionnent. Les nombreuses aires d’accueil que j’ai visitées à travers la France m’ont choquée. Celle d’Aulnay-sous-Bois est littéralement collée à la départementale, ce qui expose ses habitants à de grands dangers : tout récemment, un homme est mort écrasé par une voiture et les enfants prennent chaque jour des risques en allant chercher leur ballon sur cette route où les voitures roulent à 90 kilomètres à l’heure. Et comme ces personnes vivent non loin d’une zone de chasse, elles retrouvent fréquemment des balles en plomb fichées dans leurs caravanes.
M. Éric Martineau (Dem). À vous entendre, on a l’impression que tout va très mal partout. Bien sûr, je ne mets pas en cause vos témoignages, mais je ne peux pas vous laisser dire que les collectivités ne font pas d’efforts. J’évoquerai le Sud de la Sarthe, en saluant le travail effectué par les intercommunalités qui ont aménagé des aires à Vaas, Château-du-Loir ou encore au Lude. Dans ce dernier cas, l’aire, pour laquelle 750 000 euros avaient été investis, a été détruite par les gens du voyage eux-mêmes : ils ont abattu des arbres pour se chauffer et répandu des huiles de vidange qui ont pollué le ruisseau à proximité, ce qui a conduit à goudronner le terrain, occasionnant des frais supplémentaires.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Chacun pourrait citer des exemples de travaux ayant dû être menés à la suite de destructions et de dégradations dues à des raisons parfois assez futiles, comme le prix de l’eau ou de l’électricité.
Je ne voudrais surtout pas enflammer le débat, mais je m’étonne que certains aient voulu renoncer à la discussion sur ce texte en proposant de supprimer ses articles. À entendre tous ces témoignages, on ne peut qu’être convaincu de la nécessité d’agir en urgence. Faire des propositions ne dépend que de nous, chers collègues.
Mme Sandra Regol, présidente. Plusieurs propositions de loi concernant les gens du voyage ont été déposées ; simplement, elles ne sont pas parvenues jusqu’à l’hémicycle.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL73 de Mme Anne Bergantz et sous-amendement CL93 de M. Xavier Albertini
Mme Anne Bergantz (Dem). Les propriétaires de terrains occupés illégalement font régulièrement état de dégradations sur leurs parcelles dues au passage des caravanes, aux déchets, aux écoulements des machines à laver, au lavage des voitures ou au rejet des huiles de vidange. Les espaces naturels se trouvent eux-mêmes grandement fragilisés par l’installation non prévue de groupes formés de dizaines, voire de centaines d’individus.
Par cet amendement inspiré par mon collègue Bruno Fuchs, nous proposons de faire reconnaître le préjudice écologique comme motif de trouble à l’ordre public, susceptible de déclencher une évacuation forcée. Nous disposerons ainsi d’un levier supplémentaire pour agir. Une partie de ma circonscription étant située sur le territoire d’un parc naturel régional, j’ai pu constater les détériorations causées par les installations illicites de gens du voyage.
M. Xavier Albertini, rapporteur. L’alinéa 6 de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000, que modifie l’article 2, prévoit que lorsque le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain fait obstacle à l’exécution de la mise en demeure, le préfet peut lui demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte à la salubrité, à la sécurité ou la tranquillité publiques dans un délai qu’il fixe. Vous ajoutez à cette liste l’« atteinte d’une exceptionnelle gravité à l’environnement » ; je serai favorable à votre amendement, madame Bergantz, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, qui procède à une mise en cohérence rédactionnelle.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je suis surpris que vous vous préoccupiez subitement de l’environnement alors qu’avec vos collègues de droite, vous avez copieusement autorisé l’épandage de pesticides sur les terrains jouxtant les exploitations – je vous renvoie à la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb – et que vous contribuez en ce moment même, dans le projet de loi de simplification de la vie économique actuellement en discussion, à faire sauter toutes les normes environnementales pour laisser place à l’installation d’industries très polluantes, parfois classées Seveso. Vous vous offusquez d’une trace de pneu ou d’un peu d’huile de vidange qui aurait coulé d’un vieux moteur. De grâce, hiérarchisez vos indignations. Tout cela ne constitue pas, à nos yeux, un motif suffisant pour aggraver la responsabilité des personnes occupant un terrain.
M. Ludovic Mendes (EPR). Je salue cet amendement, d’autant que j’en ai déposé un similaire, sur lequel j’ai aussi travaillé avec Bruno Fuchs.
Tout d’abord, cher collègue, je vous invite à séparer les travaux menés au Sénat de ceux de notre assemblée. Ensuite, je vous invite à prendre en compte la réalité des dégâts sur certains territoires. Rendez-vous compte de l’impact qu’ont sur des espaces protégés, comme les zones Natura 2000, des écoulements de machines à laver, des déversements d’huile de moteur et compagnie. En Seine-et-Marne, en Moselle, en Alsace et dans la Marne, les préfets et les associations de protection de l’environnement ont constaté de telles atteintes à l’environnement à plusieurs reprises.
Encore une fois, nous ne stigmatisons personne. Nous voulons simplement apporter des réponses complémentaires aux collectivités qui respectent leurs obligations. Nous avons déposé deux propositions de loi sur ces sujets et personne n’est venu nous voir à ce sujet. Vous avez toujours des niches pour déposer vous-mêmes des textes, mais vous avez toujours refusé de le faire. Je trouve assez déplacé de venir ensuite nous attaquer.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
Amendement CL15 de M. Charles Fournier
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cet amendement de repli vise à ramener à sept jours la durée de validité de la mise en demeure afin de limiter l’impact social des expulsions.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Avis défavorable : l’allongement à quatorze jours est proportionné.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je profite de cet amendement pour revenir sur la chose délirante qui vient d’être adoptée. Prendre l’excuse d’une atteinte irréversible à l’environnement pour procéder à des expulsions alors que vous n’avez cure des polluants éternels par lesquels les grandes entreprises contaminent les sols de notre pays, que vous avez détricoté la proposition de loi sur les PFAS, que vous avez autorisé l’épandage de pesticides par drone, que vous voulez mettre à l’ordre du jour de notre assemblée dans deux semaines une proposition de loi autorisant la réintroduction des néonicotinoïdes (NNI) en France, au deuxième rang dans l’Union européenne pour l’utilisation de pesticides, que vous avez voté contre toutes les mesures environnementales du budget, que vous ne réagissez pas quand le budget de l’écologie est amputé de 2 milliards d’euros, que vous vous résolvez à le voir adopté par 49.3 et que vous n’en avez rien à faire que Nestlé pollue indéfiniment les nappes phréatiques, mais c’est vraiment lunaire !
Mme Béatrice Roullaud (RN). Je ne peux pas laisser dire des choses fausses : la France est le seul pays dans lequel certains NNI sont interdits, alors qu’ils sont autorisés ailleurs en Europe, notamment en Allemagne, et dans le monde. En souhaitant les interdire, vous voulez faire entrer des produits moins-disants sur le plan écologique, donc vous faites preuve d’une grande incohérence.
Dans ma circonscription, la communauté d’agglomération du pays de Meaux (CAPM) a entièrement rénové l’aire d’accueil de Meaux-Poincy, située à proximité de la circonscription de Mme Soudais, pour un montant de 1,4 million d’euros. Certaines familles vivant dans la CAPM auraient également aimé bénéficier d’une telle manne. On ne peut pas dire que les gens du voyage sont laissés-pour-compte.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL16 de M. Charles Fournier et CL34 de M. Fabrice Roussel, amendement CL60 de M. Emmanuel Fernandes (discussion commune)
M. Charles Fournier (EcoS). L’amendement CL16 de suppression de l’alinéa 4 vise à garantir que chaque situation de mise en demeure soit examinée au cas par cas. Nous refusons de transformer la compétence du préfet, actuellement discrétionnaire, en compétence liée, car cette évolution supprimerait la faculté de prendre en considération l’ensemble des éléments de contexte et pourrait conduire à des abus.
M. Fabrice Roussel (SOC). Les préfets peuvent déjà faire procéder à des évacuations de résidences mobiles. Il faut leur faire confiance : ils échangent avec les gens du voyage et les élus locaux et ils sont à même d’apprécier la situation du terrain, d’autant que les évacuations prennent du temps et nécessitent des moyens.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous refusons le pouvoir discrétionnaire du préfet en la matière afin de ne pas accroître la précarité dont souffrent déjà les gens du voyage. Toute décision d’expulsion devrait être collégiale et précédée d’un examen des solutions alternatives de relogement.
Les lois Besson imposent aux communes de mettre des terrains à la disposition de cette population. Il faudrait citer, pour les féliciter, les communes qui remplissent leurs obligations en la matière. Hélas, de très nombreuses communes ou communautés de communes de notre beau pays n’ont rien prévu pour accueillir les gens du voyage.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Nous devons travailler davantage sur le sujet complexe de la compétence liée, compte tenu notamment des besoins en hommes et en matériel que les évacuations exigent. Ces dernières peuvent accroître le trouble à l’ordre public plutôt que le faire cesser. Je m’en remets à la sagesse de la commission pour les amendements identiques CL16 et CL34.
En revanche, j’émets un avis défavorable à l’adoption de l’amendement CL60, lequel prévoit une évaluation de la situation locale que le préfet effectue déjà.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Il faut refuser les expulsions automatiques et régler les problèmes à la racine. Il ne faut pas opposer les voyageurs aux élus locaux. Mon suppléant est maire de Compans et il entretient de très bonnes relations avec les voyageurs. Il a lancé de nombreuses initiatives positives. Je vous invite à lire mon rapport sur l’antitsiganisme pour avoir plus de connaissances sur le sujet : vous verrez que je ne stigmatise personne et que je mets même en avant les élus qui font leur travail.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL38 de Mme Ersilia Soudais
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Les voyageurs sont privés de certains droits fondamentaux, situation qui fait d’eux des sous-citoyens. Ainsi, ils ne bénéficient pas de la trêve hivernale, lacune que l’amendement vise à combler. En hiver, le chauffage est indispensable pour survivre et les expulsions mettent cette population en danger. Si vous ne voulez pas qu’elle occupe certains terrains, permettez-lui d’accéder à de bonnes conditions de vie.
M. Xavier Albertini, rapporteur. La trêve hivernale ne s’applique pas aux évacuations de résidences mobiles. Avis défavorable.
M. Ludovic Mendes (EPR). Si la résidence mobile est une caravane, elle ne peut être concernée par la trêve hivernale, car les personnes qui y vivent ne sont pas expulsées d’un logement, mais d’un terrain illégalement occupé.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Vous jouez sur les mots : ni l’électricité, ni l’eau ne sont intégrées à la caravane et l’amendement vise justement à faciliter l’accès des voyageurs à ces commodités. En réalité, vous ne vous souciez pas des droits des voyageurs, pas plus que de l’écologie, sauf, bien sûr, quand celle-ci permet de stigmatiser cette population.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
L’amendement CL23 de M. Ludovic Mendes est retiré.
Suivant l’avis du rapporteur, l’amendement CL72 de Mme Anne Bergantz est adopté.
Article 3 : (article 322-3 du code pénal) Ajout d’une circonstance aggravante au délit de destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui
Amendements de suppression CL14 de M. Charles Fournier et CL29 de Mme Ersilia Soudais
M. Charles Fournier (EcoS). L’article 3 introduit une circonstance aggravante pour les dégradations commises dans le cadre d’une installation illicite. Des peines sont déjà prévues, donc l’article ne présente aucune utilité. En outre, l’occupation sans titre d’un terrain serait systématiquement considérée comme le fait générateur des délits commis, même mineurs, et serait sanctionnée plus sévèrement par le droit pénal.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). L’article 3 vise à étendre l’infraction de destruction, de dégradation et de détérioration d’un bien pour y inclure l’installation sans droit ni titre sur un terrain. Une telle caractérisation ferait du stationnement illicite un délit passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, sanction totalement excessive. Voilà pourquoi nous souhaitons supprimer l’article.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Avis défavorable. La circonstance aggravante d’occupation sans titre d’un terrain ne constitue pas en elle-même un délit, puisqu’il faut une destruction volontaire de biens pour le caractériser. Cette mesure complémentaire a un objectif dissuasif.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). On ne cesse de déshumaniser les voyageurs ; l’expression « gens du voyage » est en elle-même discriminatoire, car elle fait de ces personnes des membres d’un groupe informe, un peu indéterminé et où les individus sont mis de côté – d’ailleurs, l’expression ne peut s’employer qu’au pluriel. Ce processus aboutit à une absence totale de considération pour ces personnes, que l’on cherche à accabler d’amendes extrêmement élevées, voire à mettre en prison pour un stationnement illégal.
Cette déshumanisation peut conduire à des situations encore plus graves : on laisse mourir ces gens dans les aires d’accueil – je le répète, leur espérance de vie est inférieure de quinze ans à celle du reste de la population – et, parfois, on les tue directement, comme Angelo Garand en 2017.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous ne parlons pas de gens, mais de comportements, dont certains sont graves. En effet, des équipements publics et des propriétés privées sont dégradés de manière de plus en plus récurrente, dans le Val-d’Oise comme ailleurs. La puissance publique ne peut pas ne rien faire. Nous ne stigmatisons pas des individus, nous nous attaquons à des réalités de terrain.
Les coupures d’eau et d’électricité ne sont pas gratuites et ne sont pas effectuées pour le plaisir. Les collectivités territoriales y sont contraintes pour la sécurité et la salubrité publiques. Cessons les raccourcis ! Je dis toute ma reconnaissance aux élus locaux et aux collectivités, car leur travail est difficile sur le plan humain et les oblige à affronter des attitudes hostiles.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL61 de M. Emmanuel Fernandes
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Cet amendement de repli vise à limiter la portée de l’article, dont l’objet est de criminaliser le mode de vie itinérant, en écartant la circonstance aggravante en cas de dégradations mineures ou involontaires.
M. Xavier Albertini, rapporteur. L’avis est défavorable, pour les raisons déjà évoquées.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). La République protège les différents modes de vie, y compris celui des voyageurs. Avec ce texte, vous faites tout pour rendre leur existence invivable. Sue-Ellen Demestre, de l’association Da So Vas, explique que les voyageurs ont le choix entre des zones extrêmement polluées ou des terrains où le stationnement est illicite. Vous ajoutez une troisième option, la prison. Peut-être bientôt une quatrième, la planète Mars ?
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 3 non modifié.
Après l’article 3
Amendement CL84 de M. Sébastien Huyghe
M. Sébastien Huyghe (EPR). Lorsqu’un terrain privé est ouvert au public – parking de supermarché ou terrain vague –, les autorités locales se retrouvent souvent démunies devant des installations qui n’ont reçu aucune autorisation. Ni le maire, ni le préfet ne peuvent intervenir directement, ce qui génère des blocages, des nuisances pour les riverains et des pertes pour les commerçants.
L’amendement vise à autoriser le maire à prendre un arrêté motivé interdisant le stationnement sans autorisation sur les terrains privés accessibles au public. Il ne s’agit pas d’empêcher la circulation ni l’usage normal de ces espaces, mais de donner aux élus locaux un outil supplémentaire pour prévenir et gérer ces occupations prolongées qui nuisent à l’activité économique et à la tranquillité publique.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Votre amendement est intéressant, mais il me semble se heurter à quelques textes, qui peuvent se révéler contradictoires entre eux. Le sujet est important ; je vous propose donc de retirer l’amendement et de le retravailler d’ici à la séance publique, afin d’en améliorer le dispositif et d’éviter que celui-ci ne télescope à la fois le code général des collectivités territoriales et d’autres dispositions relatives au pouvoir de police du maire.
L’amendement est retiré.
Amendements CL17 de M. Ludovic Mendes et CL92 de M. Xavier Albertini (discussion commune)
M. Ludovic Mendes (EPR). Compte tenu du défaut généralisé d’actualisation des schémas départementaux d’accueil des gens du voyage, nous proposons d’imposer cette actualisation d’ici au 31 décembre 2025, afin de résoudre les problèmes que nous évoquons depuis le début de notre débat.
M. Xavier Albertini, rapporteur. L’amendement CL92 a tout d’abord pour objet de réviser l’évaluation des besoins et de l’offre existante avant de procéder à l’élaboration d’un nouveau schéma, celle-ci étant en outre reportée au 31 décembre 2026 pour des raisons opérationnelles.
L’amendement CL17 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL92.
Amendement CL57 de Mme Ersilia Soudais
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Il a pour objet de demander au gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant les conditions sanitaires des aires permanentes d’accueil et le respect du nombre minimum de lavabos, douches et cabinets d’aisances par bloc sanitaire et par emplacement.
Les visites que j’ai effectuées dans plusieurs aires d’accueil m’ont montré à quel point il était nécessaire de se pencher sur le sujet, à première vue terre à terre. De nombreuses aires manquent de sanitaires et, souvent, l’état de ceux qui existent est désastreux sans que ce soit forcément, contrairement à ce que vous pensez, la faute des gens du voyage.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Le sujet est important ; toutefois, il me semble compliqué et peu opportun de demander des informations aussi précises dans le cadre d’un rapport du gouvernement. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL56 de M. Emmanuel Fernandes
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Il s’agit d’une autre demande de rapport, visant à identifier les causes de la très faible conformité des collectivités territoriales à leurs obligations légales en matière d’accueil des gens du voyage.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Par cohérence avec mes propos précédents, je donne un avis favorable à cet amendement.
La commission adopte l’amendement.
Titre
Amendement CL37 de Mme Ersilia Soudais
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Il serait opportun d’intituler ce texte « Proposition de loi visant à criminaliser et stigmatiser le mode de vie desdits gens du voyage », un titre qui correspondrait mieux à son caractère raciste. Le texte stigmatise en effet le mode de vie desdits gens du voyage et fait tout pour que ces personnes ne puissent pas conserver leur mode de vie et que la société ne les voie plus.
M. Xavier Albertini, rapporteur. Je nourrissais l’espoir, au début de notre débat, de trouver quelques voies de consensus. Il s’est révélé vain, même si nous nous sommes accordés sur certains amendements. Les termes que vous employez, notamment celui de « criminalisation », sont totalement erronés. Je suis défavorable au changement de titre, d’autant que nous sommes entrés dans un processus de construction d’une fusée à plusieurs étages, dont cette proposition de loi constitue le premier : je souhaite conserver son intitulé.
M. Ludovic Mendes (EPR). C’est vous, madame Soudais, qui stigmatisez les gens du voyage. Nous avons tenté de montrer le consensus qui existe sur le fond du sujet, même si des différences pouvaient s’exprimer sur la forme. Nous avons reconnu, dès le début de nos échanges, que cette communauté connaît des difficultés et nous avons voulu nous pencher sur la situation des territoires qui s’acquittent de leurs obligations. Nous nous faisons traiter de racistes, alors que vous-même établissez une différence entre ces personnes et les autres citoyens français : c’est vous qui tenez des propos racistes.
Mme Sandra Regol, présidente. Monsieur Mendes, vos propos ne sont pas de nature à pacifier la fin de notre réunion. Mme Soudais a taxé le texte de raciste, non des personnes.
Souhaitez-vous retirer l’amendement, madame Soudais ?
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Absolument pas.
Je maintiens que vous stigmatisez les gens du voyage et vous n’en avez rien à faire d’eux.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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* *
La séance est levée à vingt heures vingt.
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Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Yannick Chenevard, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Jonathan Gery, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Loïc Kervran, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Didier Lemaire, Mme Pauline Levasseur, Mme Marie-France Lorho, M. Éric Martineau, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, Mme Sandra Regol, Mme Véronique Riotton, M. Fabrice Roussel, M. Hervé Saulignac, Mme Ersilia Soudais, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William
Excusés. - M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Yoann Gillet, Mme Émeline K/Bidi, M. Philippe Schreck, Mme Caroline Yadan
Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cazeneuve, M. Paul Christophe, M. Charles Fournier, Mme Sylvie Josserand