Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen de la proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite (n° 1138) (M. Jiovanny William, rapporteur) 2
– Examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière, (n° 157) (M. Eric Pauget, rapporteur) 19
– Information relative à la Commission................ 37
Mercredi
30 avril 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 64
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié, président
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La séance est ouverte à 9 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission examine la proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite (n° 1138) (M. Jiovanny William, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite, dont la discussion en séance publique est prévue le 6 mai, dans le cadre des journées consacrées à l’ordre du jour transpartisan. Déposée par M. Jiovanny William le 18 mars dernier, elle reprend les dispositions d’une proposition de loi déposée sous la précédente législature et inscrite à l’ordre du jour transpartisan du mois de juin 2024, avant que n’intervienne la désormais célèbre dissolution.
M. Jiovanny William, rapporteur. La proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite devait en effet être discutée à partir du 10 juin 2024, soit le lendemain de la dissolution. Les groupes politiques ont à nouveau accepté de reconnaître le caractère transpartisan du texte, ayant à cœur de replacer la victime au centre de la procédure de dépôt et de poursuite de la plainte.
Être victime, c’est être touché dans sa chair, éprouver un ressentiment moral, physique, financier souvent, tout en assumant la lourde responsabilité de devoir assurer sa défense et d’accepter de la confier en toute quiétude au système judiciaire. En amont de la poursuite et de l’enquête pénale à proprement parler, il y a cette phase d’attente pénible, douloureuse, au cours de laquelle la victime plaignante baigne dans l’incertitude.
Notre système judiciaire a été construit sur de grands principes selon lesquels la charge de rétablir la justice est transférée à l’autorité judiciaire, obéissant à la nécessité absolue d’éviter la résurgence de la loi du talion, mais aussi de se mettre en danger ou en situation d’illégalité en tentant d’apporter la charge de la preuve de l’infraction dénoncée. Au cours des dernières années, plusieurs mouvements citoyens ont vu le jour, à l’échelle nationale et à l’échelle locale, notamment dans les territoires dits d’outre-mer, animés par la volonté de prendre une part active à la phase préalable à la poursuite de l’enquête pénale. Ils montrent qu’il existe un dysfonctionnement réel dans la justice qui, à travers son prisme, écouterait trop peu la parole confiée par la victime, l’informerait de manière aléatoire de ses droits et ne tiendrait pas compte de la souffrance causée par la faible motivation des considérations de fait et de droit amenant au classement sans suite de l’affaire.
En 2022, les parquets ont traité plus de 4 millions d’affaires ; sept sur dix, considérées comme ne pouvant donner lieu à des poursuites, ont été classées sans suite sur décision du procureur de la République. Si cette décision relève de l’exercice normal de l’opportunité des poursuites, les conditions dans lesquelles l’avis de classement sans suite est adressé à la victime semblent parfois anormales.
D’abord, il existe une disparité des conditions d’information des victimes de la décision, parfois annoncée lors d’un simple appel téléphonique, et trop souvent jamais transmise. Ensuite, les considérations à l’origine de cette décision ne sont pas assez motivées pour permettre à la victime d’en comprendre la raison. En outre, la victime ne dispose pas d’informations suffisantes, notamment sur les voies et délais de recours, pour organiser la défense légitime de ses intérêts.
Toutes ces considérations m’ont conduit à proposer des mesures visant à tenir compte de l’intérêt de la victime tout en le conciliant avec les nécessités propres au service public de la justice. Après deux cycles d’auditions des syndicats de police et de gendarmerie, des associations œuvrant en faveur des droits des victimes, de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) et du Conseil national des barreaux (CNB), après échange avec le ministère de la Justice, nous sommes parvenus à un équilibre afin de renforcer la confiance de nos compatriotes dans la justice – nonobstant ses moyens matériels et financiers, qui doivent être renforcés.
La proposition de loi s’appliquera à tous les citoyens, incluant la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna comme le prévoit l’article 1er. L’article 2, qui en constitue le cœur, a trois objectifs.
En premier lieu, il vise à généraliser la remise d’une copie du procès-verbal de dépôt de plainte à la victime d’une infraction à la loi pénale en supprimant la condition tenant à sa demande expresse. Les syndicats de police et gendarmerie approuvent cette mesure.
En deuxième lieu, il vise à prévoir les modalités de communication des suites de la procédure au plaignant. Il prévoit que le procès-verbal de dépôt de plainte doit indiquer le choix de la victime s’agissant des modalités de communication de l’information portant sur les suites de la procédure – lettre recommandée avec accusé de réception, envoi par un moyen de télécommunication à l’adresse électronique communiquée par le plaignant ou tout autre moyen de son choix. L’inscription dans la loi des modalités de communication des suites est destinée à uniformiser les pratiques et à offrir à la victime la possibilité de choisir le mode de communication qui lui semble le plus adapté à sa situation. De la sorte, l’information de la victime est mieux garantie, car les modalités retenues seront celles qu’elle aura elle-même acceptées au moment du dépôt de plainte.
Ce point est crucial dans la quête d’allégement du parcours de la victime, qui saura désormais par quel moyen de communication elle sera avertie, ce qui réduira le stress permanent provoqué par l’ouverture de son courrier, par la consultation de ses courriels ou par chaque appel manqué. Le procureur de la République aura toutefois la possibilité, s’il l’estime nécessaire, de recourir à une association d’aide aux victimes ou de délivrer cet avis selon un autre moyen qu’il estimera approprié, conservant ainsi ses prérogatives.
Afin de s’assurer du respect des formalités visant à ce que la victime soit dûment informée de la décision de classement sans suite, il est prévu que le procureur de la République verse au dossier de procédure les éléments qui en justifient l’accomplissement. Comme ils ne le sont pas, il est impossible de s’assurer que l’avis de classement sans suite a bien été réalisé et communiqué à la victime, ni de vérifier les modalités utilisées pour ce faire.
En troisième lieu, l’article 2 permet d’améliorer l’information de la victime en garantissant que la motivation de la décision de classement sans suite est exprimée en des termes simples et accessibles – ces deux mots figurent d’ores et déjà dans le code de procédure pénale. La seule mention de l’avis de classement sans suite et des raisons juridiques ou d’opportunité justifiant la décision semble insuffisante pour assurer le caractère intelligible de la décision. Bien souvent, la motivation n’est que le report d’un motif de classement issu d’une nomenclature utilisée par les magistrats du parquet recensant les différents cas de classement sans suite.
Or la terminologie juridique employée ne permet pas à la victime de comprendre la décision de classement sans suite ni d’en appréhender la portée. Ses motifs sont trop souvent peu explicites pour les victimes, qui n’en comprennent ni le sens ni la portée. Le statut de plaignant de la victime exige une motivation plus humaine, lui permettant par exemple de comprendre en quoi les recherches réalisées n’ont pas été fructueuses ou celles qui ont été effectivement mises en œuvre.
Je remercie nos collègues, de la précédente législature et de l’actuelle, qui ont travaillé à ce texte. J’espère que nous fournirons un travail commun pour envoyer un message fort à toutes les victimes de France hexagonale ou des outre-mer. La représentation nationale n’oublie pas les victimes, qui ne seront jamais seules. Il sera utile, lors de l’examen des amendements, de préserver les grandes lignes de l’équilibre délicat auquel nous sommes parvenus avec les personnes auditionnées.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Soyons clairs : les droits des victimes doivent être protégés. Qu’elles n’aient plus à se venger parce que leur groupe social les protège est un marqueur de civilisation. Leur protection fait partie des missions régaliennes des États. De nos jours, en France, nombreuses sont les personnes ayant l’impression que la République protège plus les délinquants et les criminels que les victimes.
Le droit à l’information des victimes fait partie intégrante de la protection que nous leur devons. Il est inscrit dans la loi, à l’article 40-2 du code de procédure pénale, qui impose au procureur de la République d’informer systématiquement les victimes identifiées des suites données à leur plainte, même en cas de classement sans suite.
Ce droit existe ; il est appliqué. Pour les victimes réellement intéressées par la recherche et la sanction de l’auteur des faits, il est insuffisant. Pour elles, la motivation du classement par le parquet de leur plainte est relativement indifférente pour décider si elles peuvent ou doivent poursuivre l’action pénale. Ce qu’il leur faut, ce sont des éléments sur l’enquête, si celle-ci a été menée.
Ce que nous examinons aujourd’hui, c’est une proposition qui se contente en réalité d’ajouter une nouvelle couche procédurale coûteuse et inutile à un système judiciaire déjà sous tension. Que propose-t-on ? Uniquement de modifier les modalités en imposant une notification traçable, avec toutes les contraintes de coût et de temps que cela entraînera, s’agissant notamment du courrier recommandé avec accusé de réception. Cette mesurette, présentée comme un progrès, aura surtout pour effet d’alourdir la charge de travail des parquets et des services de police, dont je rappelle qu’ils ont d’autres priorités : traiter les infractions ; protéger les citoyens ; soutenir les victimes dans la réalité de leur parcours judiciaire. Elle doit être étalonnée à l’aune des délais de prescription dont disposent les victimes – six ans pour les délits, vingt ans pour les crimes.
Par ailleurs, le coût de cette mesure n’est pas anodin. D’après vos chiffres, monsieur le rapporteur, il pourrait atteindre 3,5 millions par an, à raison de 7 euros par recommandé avec accusé de réception pour seulement 500 000 notifications. Cela représente très exactement le traitement, charges comprises, de quinze magistrats et de vingt-trois greffiers.
Ce dont notre pays a réellement besoin, c’est de magistrats et de greffiers supplémentaires, pas d’une nouvelle formalité bureaucratique, d’autant que les victimes sont informées. Et encore le coût ainsi obtenu ne tient-il pas compte du temps perdu par les agents à traiter les envois ni du nombre non négligeable de courriers recommandés qui, dans les faits, ne sont bien souvent même pas réclamés par leurs destinataires.
Soyons honnêtes : pour la majorité des victimes, ce dispositif ne changera pas grand-chose. Celles qui souhaitent suivre leur dossier le peuvent déjà. Soucieux du droit des victimes, nous avons déposé un amendement de bon sens visant à faire de la notification électronique la règle grâce à l’adoption d’un mode de transmission semi-automatisé rapide, traçable et sécurisé, l’envoi recommandé étant l’exception. S’il est voté, nous nous abstiendrons. S’il ne l’est pas, nous voterons contre le texte, pour des raisons d’économies budgétaires.
M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Le texte qui nous est soumis marque une étape importante dans la consolidation du droit des victimes dans notre système judiciaire. Je tiens à saluer les travaux de notre rapporteur.
Face à la hausse constante des classements sans suite – près d’un demi-million de plaintes chaque année –, il est de notre devoir d’apporter une réponse humaine, lisible et respectueuse à celles et ceux qui ont fait l’effort, parfois le sacrifice, de saisir la justice dans des moments toujours difficiles. Derrière chaque affaire classée sans suite, il y a une souffrance, une attente et un espoir placé dans nos institutions. La notification des classements sans suite demeure trop souvent aléatoire, parfois même absente, exposant les victimes à l’incompréhension et à un sentiment d’abandon.
Ce texte vise à y remédier sans complexifier les procédures pour les parquets, en garantissant simplement que chaque victime soit informée de manière traçable, claire et compréhensible. En exigeant une notification obligatoire et adaptée au choix de la victime, en imposant une motivation rédigée en termes simples et accessibles, en assurant enfin la conservation de la preuve de notification au dossier, ce texte répond à une exigence essentielle : celle de restaurer la confiance dans l’action publique en donnant un véritable droit d’information à nos concitoyens. Il ne s’agit pas seulement de formaliser une procédure. Il s’agit de respecter la dignité des victimes, de reconnaître leur parcours et de rendre effective la promesse d’une justice équitable pour toutes et tous, conformément aux engagements européens pris par notre pays.
Ce texte est également pragmatique. Il tient compte des réalités du terrain, de la charge des parquets, des diversités territoriales et des moyens numériques nouveaux. Il incarne une réforme juste, mais sur l’application de laquelle nous pouvons légitimement nous interroger. Les chiffres ont été cités par le rapporteur. Nul besoin d’être mathématicien pour comprendre que cette réforme induit une substantielle augmentation de travail administratif pour les juridictions. Or nous savons toutes et tous à quel point l’administration judiciaire est en tension. Les conséquences de cette réforme pourraient être lourdes.
C’est en ce sens que nous appelons à soutenir ce texte et les objectifs qui s’y attachent tout en tenant compte des conséquences d’application qui peuvent se révéler importantes pour nos juridictions. Nous soutenons la proposition de loi tout en appelant à faire preuve de sagesse lors des travaux relatifs à ses conditions d’application.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Le texte que nous examinons vise à préserver les droits des victimes dont les plaintes sont classées sans suite. De quoi parle-t-on ? Dans quelle situation a-t-on le plus de risques de voir sa plainte classée sans suite, alors même que l’auteur est identifié ? Si l’on est victime de violences systémiques telles que les violences patriarcales et les violences racistes : 51 % des infractions à caractère raciste, 86 % des affaires d’agression sexuelle et 94 % des affaires de viol sont classées sans suite.
Dans l’immense majorité des cas, ces classements sans suite de violences sexuelles ou racistes indiquent pour motif que l’infraction est « insuffisamment caractérisée ». Ce jargon juridique figurant sans explication sur la notification de classement ne signifie pas que l’infraction n’a pas eu lieu, ni qu’on n’a pas retrouvé son auteur, mais simplement qu’on manque de preuves pour juger. Cette définition pourrait, si les victimes en avaient connaissance, les motiver à user des recours qui existent, par exemple en se constituant partie civile pour que l’enquête soit approfondie.
Combien de victimes ne l’ont pas fait parce qu’elles n’ont jamais reçu la notification de classement sans suite, ou l’ont reçue trop tard, ou sans savoir qu’elles avaient des moyens de recours ? Combien de « vies classées sans suite », comme le disent les pancartes des manifestantes ? Combien de victimes se demanderont toute leur vie si elles n’ont pas fait les frais d’un système judiciaire défaillant ? Ce système en embolie, où les piles de dossiers s’accumulent sur les bureaux des magistrats et des greffiers, où les personnels sont insuffisamment formés et en nombre insuffisant, où le classement sans suite devient de façon plus ou moins assumée une façon de désengorger, est complice des violences systémiques qu’il devrait punir.
Les classements sans suite et leurs conditions – délais insoutenables, brutalité des modes de notification, manque d’informations – constituent une nouvelle violence pour les victimes. « Au trauma du viol s’ajoute le trauma judiciaire », témoigne auprès de France 3 une jeune femme dont la plainte pour viol contre son radiologue a été classée sans suite, alors même que la plainte d’une autre femme envers le même auteur pour des faits identiques n’a pas été classée sans suite.
Le trauma judiciaire du classement sans suite s’ajoute à la double peine des violences souvent vécues lors du dépôt de plainte. Dans une enquête du collectif NousToutes, 66 % des victimes de violences sexistes et sexuelles font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre – culpabilisation, moqueries, sexisme, propos discriminants. « Tu aurais pu crier, gémir, le mordre, le pousser avec les bras avant qu’il ne mette ton sexe dans la bouche ; là, tu fais ». Quelle honte que ce propos d’un policier à une mineure victime de viol !
Pour cette affaire et pour deux autres affaires de violences sexuelles sur mineur, la Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner la France. D’autres plaintes à la CEDH sont en cours d’instruction, dénonçant cette victimisation secondaire, comme celle de Clara Achour, qui l’explique ainsi : « La violence lors des procédures a été pire que celle du viol, car elle venait d’institutions censées protéger les victimes. Il ne s’agit plus de faire condamner un violeur, mais ce système judiciaire qui maltraite les victimes. »
Dans ces conditions, comment s’étonner que moins de 10 % des femmes victimes de viol ou d’agression sexuelle portent plainte ? Comment oser demander encore aux personnes qui ont subi des agissements sexistes ou racistes de déposer plainte avec un tel risque de subir de nouvelles violences en le faisant, ou au moins que leur plainte soit classée sans suite, sans même comprendre pourquoi ?
Ce texte va dans le bon sens, car il garantit mieux le droit des victimes à être correctement informées du classement de leur plainte. Il doit même aller plus loin en prévoyant que les victimes soient informées très clairement de leurs voies de recours. Le groupe La France insoumise a déposé un amendement en ce sens. J’espère que vous l’adopterez.
Mais je vous alerte solennellement : adopter des textes tels que la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, la proposition de résolution visant à mettre fin à la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires pour violences sexuelles et la présente proposition de loi ne servira absolument à rien tant qu’il n’y aura pas les moyens.
Des moyens, nous en avions voté à l’automne dernier, lors de l’examen du budget, notamment 2 143 postes de magistrats et 463 millions d’euros pour que les femmes soient mieux accueillies en commissariat. Le budget Bayrou non seulement les a annulés, mais a imposé une nouvelle cure d’austérité, en supprimant par exemple 5 000 postes de police judiciaire. La satisfaction de voir une grande partie d’entre vous voter ce texte sera fortement teintée d’amertume et de colère, les mêmes ayant accepté et acceptant toujours le 49.3.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Chaque minute, une plainte est classée sans suite en France. Cela représente 650 000 plaintes classées sans suite par an, soit plus d’une sur six parmi les 3 millions de plaintes enregistrées.
Procéder à un dépôt de plainte n’est pas un geste anodin. C’est très souvent la première porte d’entrée d’un justiciable dans le système judiciaire. C’est une démarche porteuse de sens, qui peut susciter un espoir, le souhait d’une réparation, d’une reconnaissance. Elle peut amener à solliciter un avocat, et par là même à engager des frais, parce qu’on estime être lésé et attaqué, parce qu’on estime être une victime.
Déposer plainte, c’est aussi interpeller la justice pour qu’elle nous regarde, s’intéresse à notre histoire et dise, au nom de la société tout entière, le droit. Déposer plainte, c’est vouloir que la justice passe. Il est donc essentiel que cette démarche réponde à l’attente de celui ou de celle qui l’entame, pour que chaque citoyen soit traité avec justice et équité.
Le texte que nous examinons vise plusieurs objectifs qui partagent un but commun : rendre la justice intelligible et accessible pour tout un chacun. J’insisterai sur trois de ses aspects.
Le premier aspect est la réalité de la plainte pour la victime. L’une des premières dispositions du texte rend obligatoire la remise d’une copie de la plainte au déposant ou à la déposante. En tant que militante féministe et en tant que témoin de nombreux récits de femmes qui, après un passage à la gendarmerie ou au commissariat, dans la confusion de l’agression, ne sont plus sûres de ce qu’elles ont rapporté et exprimé, parfois même d’avoir déposé une plainte ou une simple main courante, et face aux 94 % des plaintes pour viol ou agression sexuelle classées sans suite chaque année, j’espère que cette disposition permettra d’asseoir plus fermement les premières étapes des procédures.
Deuxième aspect : la communication de la justice envers les justiciables. Que se passe-t-il une fois qu’un justiciable quitte le commissariat ou la gendarmerie après un dépôt de plainte ? Les situations sont variables. Le dépôt de plainte peut être le départ d’un processus d’indemnisation en cas de vol de voiture ou au domicile. Il satisfait alors à l’attente de réparation et n’est qu’une étape dans un processus bien rodé. Selon les juridictions, le justiciable peut être informé de différentes façons des suites données à sa plainte. Les différences de traitement observées selon les juridictions ne doivent pas simplement nous interroger ; elles doivent être corrigées. C’est ce que propose ce texte.
Le dépôt de plainte peut aussi être le point de départ d’une attente longue, voire interminable. Je ne peux m’empêcher d’évoquer le cas de cette victime du violeur de la Sambre qui, bien des années après avoir été violée, découvre de manière fortuite, lors d’une rencontre avec une journaliste qui enquête sur ces viols, que sa plainte a été classée sans suite, et ce depuis longtemps, sans qu’elle en ait été informée. En pareil cas, c’est un espoir de réparation nourri pendant de nombreuses années qui s’éteint.
Une victime ignorante du classement sans suite de sa plainte peut se retrouver dans l’impossibilité de défendre ses droits dans les délais impartis, notamment pour exercer un recours ou déposer plainte avec constitution de partie civile dans le respect des prescriptions légales. C’est le droit à un procès équitable qui est mis en péril. Or – nos engagements internationaux nous le rappellent – tous les justiciables ont le droit à un procès équitable.
Ce principe est défini au premier paragraphe de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En instaurant la collecte systématique du choix par le justiciable, dès le dépôt de la plainte, d’un mode de communication entre le justiciable et la justice, nous devrions mettre un terme à ces situations terribles.
Troisième aspect, enfin : l’accessibilité de la justice pour tous les justiciables. L’article 40-2 du code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République informe les plaignants du classement sans suite en leur expliquant les raisons juridiques ou d’opportunité de cette décision.
L’exposé des motifs du texte le précise : pour bon nombre de Français qui en ont été destinataires, les courriers d’information concernant la suite donnée à une plainte ne sont pas assez clairs. Les mots employés sont parfois peu accessibles et compréhensibles ; le courrier peut sembler opaque et contradictoire. Selon les tournures de phrases…
M. le président Florent Boudié. Merci, chère collègue.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). En 2023, sur 4,4 millions d’affaires pénales traitées par les parquets, 3,3 millions ont été classées sans suite, soit près de 75 % d’entre elles. Dans ces conditions, de nombreuses victimes se sentent abandonnées par la justice, ce qui nourrit le ressentiment et la défiance envers l’autorité judiciaire. Elles sont souvent insuffisamment accompagnées, si bien qu’elles ne comprennent pas les décisions de classement sans suite et n’identifient pas les voies alternatives de reconnaissance et de réparation qui leur sont ouvertes en dépit du classement sans suite de leur plainte. Ce défaut d’accompagnement est parfois aggravé par un manque d’information sur les suites données à leur plainte, ce qui renforce leur sentiment d’injustice.
Au groupe Écologiste et social, nous accueillons favorablement l’inscription à l’ordre du jour de ce texte, qui permet de corriger quelques problèmes en généralisant la remise d’une copie du procès-verbal de dépôt de plainte à la victime, en permettant que le procès-verbal de dépôt mentionne le choix de la victime de la modalité de communication de l’information, ce qui consacre son droit à être informée des suites données à sa plainte, et en disposant que la motivation de la décision de classement sans suite est exprimée en des termes simples et accessibles. Le classement sans suite ne peut rester une impasse opaque pour les victimes. Il constitue un moment particulièrement sensible du parcours judiciaire, qui peut être vécu comme un abandon.
Si chacun et chacune peut comprendre qu’il est parfois nécessaire de classer sans suite, encore faut-il qu’il dispose des informations permettant de le comprendre. Si l’on n’est pas d’accord avec une décision, comprendre sa motivation permet de désamorcer et de réduire certaines tensions. Par exemple, nous concernant, l’irrecevabilité de certains amendements n’est pas motivée ; nul n’ignore qu’il y a régulièrement des contestations et beaucoup de frustration à ce sujet. Le groupe Écologiste et social aurait par exemple voulu défendre une mesure d’information de la victime sur les mécanismes de justice restaurative, l’idée que les victimes ont besoin d’être accompagnées, informées et replacées au cœur du processus, même si l’infraction ne peut être poursuivie, et la nécessité de faciliter le recours aux associations d’aide aux victimes, qui doivent être reconnues comme des actrices essentielles de la justice – mais nos amendements ont été jugés irrecevables.
Nous estimons que l’adoption de la présente proposition de loi sera une avancée, mais qu’il est hypocrite de prétendre améliorer la réponse judiciaire sans poser la question des moyens, d’autant que la justice a subi de nouvelles annulations de crédits il y a quelques jours, à hauteur de 140 millions, quelques mois après l’adoption – je ne dis pas le vote, il y a eu le 49.3 – du budget, ce qui permet de douter de la sincérité budgétaire de nos débats et des budgets que nous adoptons.
Si tant de plaintes sont classées, c’est aussi, voire d’abord, parce que les parquets sont saturés, les services d’enquête débordés et les associations d’aide aux victimes sous-financées. Nous sommes profondément lassés que ce gouvernement promette de nouveaux outils et de nouvelles structures judiciaires le lundi et ronge discrètement les moyens de la justice le mardi, obérant les annonces de la veille.
Le groupe Écologiste et social garde une ligne claire. Nous défendons plus de moyens pour la justice et une justice qui ne se limite pas à la punition mais qui restaure, répare et reconnaît. Cela suppose de sortir d’une logique un peu primaire selon laquelle la reconnaissance et la réparation des victimes passent d’abord par la sanction d’un auteur, ce qui implique qu’en l’absence de ce dernier, il n’y a pas lieu de réparer et d’accompagner.
M. Olivier Marleix (DR). Nous avons tous constaté, dans nos permanences, que le classement sans suite, qui prend trop souvent la forme d’une absence totale d’information ou de réponse de la justice, mine la confiance de nos concitoyens dans l’institution judiciaire et plus largement dans nos institutions. Le classement sans suite est un sujet central dans notre démocratie, car tout pouvoir appelle une responsabilité.
Si le pouvoir donné au procureur de la République de poursuivre ou de ne pas poursuivre est juridiquement une forme de pouvoir discrétionnaire, il n’est pas un pouvoir arbitraire. Le justiciable, auteur de la plainte, a le droit, comme le prévoit la loi, d’être informé du classement de sa plainte et de ses raisons.
Or trop souvent, le plaignant n’a pas d’information du tout, ou une information partielle obtenue oralement auprès d’un service d’enquête. Fréquemment, aucune motivation n’est indiquée. Si tel est le cas, elle prend la forme d’une formule totalement convenue telle que « L’enquête n’a pas permis d’établir la matérialité de l’infraction » ou « L’enquête n’a pas permis d’identifier l’auteur de l’infraction ». Faute d’information, la victime risque d’être privée de ses voies de recours telles que le recours au parquet général pour contester la décision de classement sans suite, la citation directe et le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile.
Demander davantage à une justice déjà embolisée est une gageure. Il est toutefois permis d’espérer que, si le ministère de la Justice arrive enfin à relever cet immense défi qu’est l’usage du numérique – d’autres grands ministères y sont parvenus –, tout cela soit plus facile et plus réalisable. Conscients avec Sénèque que ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne devons pas oser, les membres du groupe Droite républicaine soutiendront la proposition de loi.
M. Éric Martineau (Dem). La proposition de loi qui nous est soumise prévoit des mesures visant à protéger davantage les droits des victimes dont les plaintes sont classées sans suite. Chaque année, environ 500 000 Français sont dans cette situation, due notamment à des problèmes d’identification de l’auteur, à une infraction non constituée, à une insuffisance de preuves ou de charges à l’encontre de l’auteur. Le classement sans suite peut donner aux victimes un sentiment d’injustice et d’abandon, ainsi que l’impression que leur parole n’est pas prise en compte ou qu’elles ne sont pas protégées comme elles devraient l’être.
En l’état actuel du droit, si le procureur décide de classer une affaire sans suite, il est tenu d’en informer la victime en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunité motivant cette décision. Toutefois, la notification de classement sans suite varie selon les juridictions, de sorte que certaines victimes n’en ont pas connaissance à temps, ce qui peut empêcher l’engagement d’actions en cas de prescription. Par ailleurs, la motivation du classement correspond à un jargon juridique peu intelligible pour les victimes, ce qui renforce le sentiment d’éloignement du système judiciaire.
Le texte prévoit que le procès-verbal du dépôt de plainte mentionne spécifiquement le choix par la victime du moyen préféré pour lui notifier les suites de la procédure. Il peut s’agir de la voie téléphonique, de la voie numérique à l’adresse communiquée ou par lettre recommandée avec accusé de réception. Le procureur de la République pourra également recourir à une association d’aide aux victimes pour aviser la personne concernée de la décision. Par ailleurs, le code de procédure pénale est modifié afin que le classement sans suite soit motivé en des termes simples et accessibles, tout en prévoyant que les éléments justifiant l’accomplissement des formalités soient versés au dossier de procédure dans un souci de traçabilité accrue.
Le groupe Les Démocrates est soucieux de l’effectivité du dialogue qui doit exister entre l’institution judiciaire et les victimes. Il s’agit d’un gage important contre la défiance que peuvent éprouver les justiciables à l’égard de cette institution. Il importe d’assurer une meilleure lisibilité des procédures judiciaires et de renforcer la communication auprès de nos concitoyens s’agissant de l’action de la justice.
La justice, pour être efficace, doit être comprise et ne pas se faire sans celle ou celui qui reçoit une décision de justice. Il importe également de protéger la bonne information du justiciable, en s’assurant qu’il a pu prendre connaissance des motivations de la décision rendue, donc qu’il dispose des éléments nécessaires pour comprendre le traitement de son affaire.
La proposition de loi nous semble aller dans le bon sens pour assurer ces impératifs. Le groupe Les Démocrates la votera.
M. Jean Moulliere (HOR). En 2023, 4 millions de plaintes ont été déposées dans notre pays. Ce sont autant de situations individuelles lourdes qui conduisent les victimes à se rendre au commissariat pour demander le concours de l’État afin de rétablir la justice. Or 37 % de ces 4 millions de plaintes ont été classées sans suite par le parquet, pour différents motifs. Ces motifs sont légitimes puisqu’ils sont prévus par le code de procédure pénale, qui dispose que le procureur de la République peut choisir « de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient ». Il n’est donc pas question de remettre en cause le classement sans suite, mais plutôt de garantir la bonne information des plaignants des suites données à leur plainte.
En effet, un classement sans suite est souvent peu compréhensible pour le plaignant au regard de la situation complexe qui l’a conduit à porter plainte. Dans ce contexte, il revient à l’État d’accompagner le plaignant en lui notifiant en bonne et due forme la décision du procureur de la République, ainsi qu’en lui expliquant clairement, en des termes intelligibles, les raisons juridiques ou d’opportunité qui justifient une telle décision.
Or force est de constater que la pratique judiciaire est parfois aléatoire. Les plaignants sont en effet informés des suites données à leur plainte par téléphone, par un courrier simple ou encore oralement, au commissariat. Trop rares sont les victimes qui reçoivent l’avis du procureur de la République par courrier recommandé avec accusé de réception ou par tout autre moyen de notification effectif.
Ce mode d’information parfois aléatoire des plaignants, ainsi que les termes complexes en lesquels la justification est exposée, portent atteinte à la bonne compréhension de la décision. Il arrive en effet que certains plaignants n’aient pas connaissance de ce classement sans suite dans les délais utiles à leur défense au regard des délais de prescription, ce qui affecte la lisibilité de la justice et son sentiment d’efficacité.
Au regard de ces constats, un meilleur encadrement des modalités d’information des plaignants dans le code de procédure pénale semble nécessaire. Le texte, qui rend obligatoire la motivation de ce classement sans suite en des termes simples et accessibles, répond à cette nécessité. Le groupe Horizons et apparentés le votera donc.
M. Paul Molac (LIOT). En 2022, 625 000 auteurs d’infractions pénales ont été considérés comme ne pouvant être poursuivis, entraînant un classement sans suite. Ces décisions de classement prennent de l’ampleur et si elles peuvent être justifiées pour des raisons de droit ou de fait, il n’en demeure pas moins qu’elles sont vécues comme des injustices par nos concitoyens. Lorsqu’en plus s’ajoute à cette décision un manque d’information, une notification hasardeuse ou une motivation inintelligible voire insuffisante, le sentiment d’injustice peut se transformer en sentiment de défiance vis-à-vis de l’autorité judiciaire.
Notre groupe rejoint le constat du rapporteur : les notifications des décisions de classement sans suite ne sont pas harmonisées d’un territoire à l’autre, en particulier dans les outre-mer. Nos concitoyens ne disposent donc pas des mêmes garanties dans le traitement de leur plainte pénale : selon le territoire, les notifications peuvent être faites oralement, par simple courrier ou par téléphone. Il arrive même que des victimes ne soient pas avisées. Lorsque la décision est notifiée et que ses raisons ne sont pas intelligibles pour la victime, il n’y a plus de justice. Le droit doit être compris, c’est un de ses fondements.
Ce texte s’attaque à une difficulté du quotidien pour beaucoup de nos concitoyens en apportant des modifications pertinentes sans révolutionner notre procédure pénale.
L’article 2 permet ainsi à la victime de choisir librement le mode de communication des informations relatives à sa plainte. Cette garantie de bon sens permet de simplifier et de fluidifier les échanges avec la victime. Surtout, elle sécurise juridiquement la décision de classement. L’illectronisme est une réalité. Un certain nombre de nos concitoyens n’ont pas d’ordinateur et ne peuvent pas recevoir les notifications par mail. Notre groupe insiste sur la nécessité de rappeler à la victime, lors de la notification du classement sans suite, les possibilités de recours et leurs délais.
L’article 2 prévoit également que la décision de classement soit intelligible et exprimée dans des termes simples. Notre groupe soutient cette garantie supplémentaire pour la victime. Il est impératif que le motif de classement soit suffisamment étayé et exprimé avec clarté pour éviter d’accentuer le sentiment d’injustice. Il faut bien avouer que le jargon juridique est parfois incompréhensible par le commun des mortels.
Au-delà de ces avancées, notre groupe lance une alerte sur deux sujets.
Le premier concerne le taux de classement sans suite des affaires de violences sexuelles, qui s’élève à près de 90 %. Ce chiffre est inacceptable. Il n’est pas possible de prévoir des garanties spécifiques dans la loi, mais nous souhaitons que le garde des sceaux alerte par directive les procureurs sur la nécessité d’assurer un traitement particulier de ces victimes.
Deuxième point : les cas de refus de plainte. L’article 15-3 du code de procédure pénale précise que les officiers et agents de police judiciaire ont l’obligation de recevoir les plaintes au pénal. Il est donc inacceptable que certaines victimes se voient encore refuser le dépôt de leur plainte. Refuser une plainte, c’est refuser l’accès à la justice, ce qui constitue une faute qui engage la responsabilité de l’État. En outre, ces refus sont souvent accompagnés d’une minimisation des faits, voire d’une remise en cause de la victime elle-même. Il faut en finir avec ces pratiques, qui sont contraires au principe d’accès au service public de la justice.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Sept sur dix : ce n’est pas la note de notre système judiciaire mais la proportion de plaintes classées sans suite chaque année. Elle monte à 94 % en matière de viol. Dans la majorité des cas, le classement est motivé par l’impossibilité d’identifier l’auteur, mais parfois aussi par l’absence d’infraction ou par l’insuffisance de charges. Déposer plainte, c’est un peu comme prendre un train un jour de grève ou, comme on dirait chez moi, comme prendre le car dans les Hauts quand la pluie y tombe : on sait qu’on va devoir attendre et on n’est jamais sûr d’arriver à destination. Les délais sont si longs et l’issue si incertaine que nombreux sont celles et ceux qui renoncent.
Pour les victimes qui osent franchir les portes du commissariat, commence alors un long parcours du combattant, qui, dans la majorité des cas, se soldera par un classement sans suite. Certes, il existe des procédures – plainte avec constitution de partie civile, citation directe – pour que la justice poursuive son œuvre malgré un classement sans suite, mais la plupart des victimes n’ont pas une licence de droit et, trop souvent, elles ne sont informées ni du classement sans suite ni de leurs droits. Certaines ont la chance de recevoir une lettre ou un coup de téléphone, dont elles ne saisissent d’ailleurs pas toujours les implications, mais la plupart attendent, s’impatientent et se désolent avant de se résigner. Elles ont alors le sentiment que la justice les a oubliées et personne ne peut les en blâmer.
Une solution existe : une information claire, écrite et systématique des victimes en cas de classement sans suite. C’est ce que notre collègue Jiovanny William – qui, lui, ne s’est pas résigné – propose avec ce texte. Grâce à un travail transpartisan entamé lors de la précédente législature, il arrive enfin dans notre commission.
Ceux qui s’y opposent invoquent le faible nombre de magistrats au parquet et le manque de greffiers et dénoncent la charge de travail supplémentaire. Je fais toutefois confiance à notre système judiciaire pour automatiser et mettre en place des outils qui rendront leur travail un peu plus simple.
Dans tous les cas, gérer la pénurie est la charge de ceux et de celles qui l’ont créée, gouvernement après gouvernement, quelle que soit leur couleur politique. Notre système judiciaire est le résultat de plusieurs années d’abandon. Le rôle du législateur est de protéger les victimes et d’être ambitieux pour le système judiciaire. Notre groupe y est profondément attaché et votera en faveur du texte.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La proposition de loi repose sur une intention noble, mais nous exprimons notre scepticisme face à l’écart abyssal qui sépare cet affichage de la réalité du terrain. Renforcer l’information des victimes et leur proposer un accompagnement psychologique ou social : qui pourrait, en théorie, s’y opposer ?
Mais en pratique, comment ne pas voir que les services censés concrétiser ces ambitions sont exsangues ? Que dire de cette victime de violences conjugales qui, après avoir trouvé le courage de pousser la porte d’un commissariat, doit patienter des heures dans un couloir faute d’interlocuteur disponible ? Que dire de cette policière de terrain, déjà écrasée par ses missions, à qui l’on demande désormais d’offrir un suivi humain et détaillé sans formation adaptée ni renfort suffisant ? Mieux informer et mieux accompagner, oui, mais sans moyen nouveau, c’est un édifice construit sur du sable.
Surtout, ce texte reste muet sur l’essentiel : la réponse pénale. Il ne suffit pas de mieux expliquer aux victimes pourquoi leur plainte est classée. Il faut juger, condamner et protéger. Tant que les parquets crouleront sous les dossiers, tant que les magistrats manqueront d’effectifs et de temps, les mots resteront impuissants face au drame.
Le groupe UDR le redit avec force : ce n’est pas d’un vernis d’intention que la justice a besoin, c’est d’une refondation sérieuse. Seul un investissement massif permettra de donner aux victimes non seulement des explications, mais la justice qu’elles attendent.
M. Jiovanny William, rapporteur. J’invite ceux qui ont parlé de mesurette ou de mesure bureaucratique à regarder la réalité du terrain : beaucoup de victimes ne reçoivent pas de notification du classement sans suite. L’autre réalité, c’est que l’absence de notification du classement sans suite génère déjà une surcharge de travail puisque la victime risque d’écrire plusieurs fois au parquet ou de se rendre au commissariat pour s’enquérir de son dossier, et se voir informée, plusieurs mois après, qu’il a été classé et que les délais de recours sont passés.
Le texte prévoit que le plaignant doit indiquer le moyen de communication de sa préférence – ce qui est également important pour l’officier de police judiciaire qui pourra ainsi s’assurer que le plaignant sera effectivement informé –, mais laisse au procureur de la République le choix d’y procéder par « tout moyen approprié ». Nous ne révolutionnons donc pas le droit. Prévoir une notification par mail de principe ne tiendrait pas compte de la situation de certains territoires ou de l’illectronisme touchant certains de nos concitoyens.
Cette proposition de loi est le résultat d’un effort transpartisan et d’un constat partagé. Les difficultés d’ordre financier et le manque de moyens humains ne signifient pas que nous ne pouvons pas avancer. Ce texte est une première pierre, qui sera suivie d’autres, notamment pour améliorer les moyens. Lors des auditions, j’ai pu constater que les syndicats de policiers et les gendarmes sont d’accord pour avancer, notamment sur la généralisation de la remise d’une copie du procès-verbal de la plainte.
Notre rôle de législateur est de faire la loi pour tout le territoire national, sans penser à un territoire particulier tout en cherchant à rétablir l’équilibre entre ceux où les choses se passent bien et ceux où elles se passent moins bien. C’est le but de cette proposition de loi.
M. le président Florent Boudié. Je rappelle qu’un texte est qualifié de transpartisan à la suite d’un vote en conférence des présidents. Pour le présent texte, ce vote, qui a rassemblé largement toutes les sensibilités, a eu lieu le 1er avril.
Article 1er (article 804 du code de procédure pénale) : Coordinations outre-mer
Amendement CL29 de M. Jiovanny William
M. Jiovanny William, rapporteur. Amendement rédactionnel visant à prendre en compte la modification du titre de la proposition de loi pour laquelle j’ai déposé un amendement distinct.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 (art. 15-3, 15-3-1 et 40-2 du code de procédure pénale) : Précision des modalités de communication à la victime des suites données à la procédure et renforcement de la motivation de l’avis de classement sans suite
Amendement CL15 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Il vise à ajouter à la liste des obligations d’information qui sont à la charge des officiers de police judiciaire (OPJ) lorsqu’ils reçoivent une plainte l’explication orale et claire des possibilités dont dispose un plaignant dans le cas d’un classement sans suite, que de nombreux de nos concitoyens ignorent.
M. Jiovanny William, rapporteur. L’article 10-2 du code de procédure pénale prévoit déjà l’obligation d’informer la victime dès le stade du dépôt de plainte de l’ensemble de ses droits, dont la faculté « de se constituer partie civile soit dans le cadre d’une mise en mouvement de l’action publique par le parquet, soit par la voie d’une citation directe de l’auteur des faits devant la juridiction compétente ou d’une plainte portée devant le juge d’instruction ». Le formulaire de notification des droits de la victime énonce les conditions d’exercice de ces droits. La précision que vous souhaitez introduire n’est donc pas utile.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL23 de Mme Sophie-Laurence Roy
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Afin de limiter les dépenses, nous proposons que soit systématisée la notification du classement sans suite par voie électronique.
M. Jiovanny William, rapporteur. Avis défavorable. La victime doit pouvoir choisir le moyen le plus approprié à sa situation personnelle pour recevoir l’avis donné sur les suites de la procédure. C’est tout le sens de cette proposition de loi.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous cherchons ici à améliorer la prise en charge des victimes pour leur éviter le calvaire d’une longue attente avant un classement sans suite, qui peut être notifié de façon brutale. Vous préférez parler d’économies budgétaires. Si c’est là votre préoccupation, censurez plutôt le gouvernement et obtenez des crédits pour la justice… On mesure bien tout ce qui nous sépare du Rassemblement national. C’est une honte !
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Pensez aux personnes âgées pour qui le téléphone n’est pas un prolongement de la main, aux personnes qui ne savent pas utiliser l’outil informatique, à celles qui souffrent d’illectronisme, voire d’illettrisme – elles sont 100 000 à La Réunion –, à celles qui ne disposent pas, notamment outre-mer, d’une connexion à internet ou encore à celles qui n’ont pas d’ordinateur chez elles. À en croire votre amendement, elles seraient des justiciables de seconde zone et ne pourraient recevoir d’informations sur leur plainte. Un courrier postal peut toujours être porté au domicile et lu avec l’aide d’un tiers ; un mail, en revanche, a toutes les chances de ne jamais être ouvert.
M. Paul Molac (LIOT). Les personnes victimes d’illectronisme sont les plus faibles d’entre nous. Elles peuvent déjà avoir du mal à faire enregistrer leur plainte, ne leur imposons donc pas de double peine.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La dématérialisation est un problème structurant dans l’accès aux services publics, pour ceux de nos concitoyens qui sont le plus éloignés de l’informatique bien sûr, mais aussi pour ceux qui la maîtrisent, car, notamment pour l’accompagnement des victimes, il faut des humains. Cet amendement est donc un contresens au regard des attentes de nos concitoyens.
Mme Pascale Bordes (RN). Nous sommes au XXIe siècle et tout est dématérialisé, y compris les actes de la vie courante. Les personnes âgées déclarent leurs impôts sur internet ou, à défaut, se rendent au centre des impôts. Systématiser l’envoi d’un courrier recommandé me semble contraire à l’esprit du temps.
Par ailleurs, je me demande si vous avez bien lu notre amendement : il précise que l’information peut se faire « par tout autre moyen » si la personne ne dispose pas d’adresse électronique ou maîtrise mal les outils informatiques.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL30 de M. Jiovanny William et CL25 de Mme Céline Thiébault-Martinez et amendement CL22 de Mme Sophie Blanc (discussion commune)
M. Jiovanny William, rapporteur. Les auditions ont confirmé que les avocats des victimes n’étaient pas toujours informés de la décision de classement sans suite. Cet amendement permet d’y remédier afin que les victimes puissent bénéficier de conseils appropriés, notamment sur les voies de recours.
Mme Sophie Blanc (RN). L’amendement propose que le procureur informe directement l’avocat d’une victime de sa décision de classement sans suite afin qu’il puisse alerter la victime sur les voies de recours. Il renforce ainsi le respect du contradictoire et le droit à un procès équitable.
M. Jiovanny William, rapporteur. Avis défavorable à l’amendement CL22. Il est en effet moins-disant que mon amendement, car il ne prend pas en compte l’hypothèse où la victime a pris un avocat après le dépôt de sa plainte.
M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Nous comprenons l’intérêt et la légitimité de votre amendement, mais il pose des questions opérationnelles d’alourdissement de la procédure. Il serait souhaitable de les évaluer avant la séance.
La commission adopte les amendements identiques. En conséquence, l’amendement CL22 tombe.
Amendement CL1 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement propose de substituer aux mots « simples et accessibles » les mots « intelligibles et contextualisés ».
Le mot « intelligible » renvoie à un principe constitutionnel, la notion d’intelligibilité de la norme, dont la portée et l’interprétation sont bien arrêtées. Il couvre les notions de simplicité et d’accessibilité. L’adjectif « simple », en revanche, peut avoir une dimension infantilisante.
Le mot « contextualisé » est de nature à inciter à une explication personnalisée de la décision de classement sans suite.
M. Jiovanny William, rapporteur. Je préfère maintenir la rédaction actuelle, qui respecte le parallélisme des formes avec le code de procédure pénale où figurent déjà ces termes.
M. Olivier Marleix (DR). La notification de classement sans suite est souvent formulée de façon convenue. Or, afin d’éviter le sentiment que la décision du procureur est arbitraire ou qu’il a négligé la plainte, il est important que celui-ci montre au plaignant qu’une enquête a eu lieu. Je souhaite que nous travaillions en ce sens avant la séance.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). À première vue, on pourrait penser que l’amendement consiste à remplacer des mots simples par des mots compliqués, mais l’intelligibilité a une valeur constitutionnelle et le mot « simple » peut avoir une connotation infantilisante. Nous soutenons donc l’amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL31 de M. Jiovanny William, CL21 de Mme Sophie Blanc, CL26 de Mme Céline Thiébault-Martinez et CL5 de Mme Gabrielle Cathala
M. Jiovanny William, rapporteur. Lors des auditions, les représentants des avocats ont indiqué que les victimes n’étaient pas suffisamment informées sur les voies de recours dont elles disposent pour contester les décisions de classement sans suite. Cet amendement propose donc que l’avis de classement sans suite mentionne les modalités de recours.
Mme Sophie Blanc (RN). Faute d’informations claires, les victimes découvrent après coup qu’elles avaient la possibilité de former un recours en cas de classement sans suite sont trop souvent laissées seules face à une justice qu’elles perçoivent comme lointaine, obscure et parfois même injuste. Nous proposons donc qu’elles soient systématiquement informées des recours et alternatives dont elles disposent, afin de renforcer la confiance dans l’institution judiciaire. Aucune victime ne doit se sentir ignorée ; l’informer, c’est reconnaître son droit fondamental à la réparation.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement vise à préciser les voies de recours possibles dans la notification de classement sans suite.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Les victimes chanceuses qui reçoivent une notification de la décision de classement sans suite la perçoivent souvent comme une fin de non-recevoir. Nous proposons donc que cette notification informe clairement la victime de ses droits de recours et des délais pour les exercer.
M. Jiovanny William, rapporteur. Mon amendement CL31 a l’avantage d’être plus précis que les autres. Il renvoie en effet à l’article 40-3 du code de procédure pénale, relatif aux modalités de recours, et reprend la terminologie utilisée à l’article R. 2-27 du même code pour les plaintes adressées par voie électronique et télécommunication audiovisuelle.
L’amendement CL21 utilise le terme « alternatives », qui ne renvoie à aucune définition juridique. Quant au CL5, il laisse entendre qu’une simple notification verbale des voies de recours serait suffisante. Or il me semble que celles-ci ne doivent pas être mentionnées lors de la notification de l’avis de classement sans suite mais figurer dans l’avis lui-même. Pour l’ensemble de ces raisons, je vous invite à retirer vos amendements et émettrai, à défaut, un avis défavorable.
L’amendement CL26 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL31.
En conséquence, les amendements CL21 et CL5 tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL32 de M. Jiovanny William, rapporteur.
Amendement CL27 de Mme Céline Thiébault-Martinez
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cet amendement, proposé par le CNB, vise à remplacer l’expression « l’accomplissement de ces formalités », qui paraît peu adaptée en matière de procédure.
M. Jiovanny William, rapporteur. Une fois n’est pas coutume, je ne partage pas l’avis du CNB. Le code de procédure pénale utilise en effet à plusieurs reprises cette expression alors que le terme « notification », que vous proposez en remplacement, ne figure pas à l’article 40-2 de ce code. Pour des raisons légistiques, j’émets donc un avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL6 de Mme Sarah Legrain
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous souhaitons que soit conservée une preuve de la bonne réception par la victime de la notification de la décision de classement sans suite. C’est important car si la victime ne la reçoit pas – parce que l’adresse électronique n’était pas la bonne, ou parce qu’elle ne l’a pas consultée –, elle risque de perdre toute possibilité de recours en cas de dépassement des délais.
M. Jiovanny William, rapporteur. Cet objectif est déjà atteint, le texte prévoyant que « [l]e procureur de la République verse au dossier de la procédure les éléments justifiant de l’accomplissement de ces formalités. » Votre amendement soulèverait en outre des difficultés opérationnelles : il n’est pas toujours possible d’avoir la preuve de la réception de l’avis, notamment si la victime choisit de le recevoir par voie électronique ou par lettre simple. À défaut de son retrait, j’émettrai donc un avis défavorable à cet amendement.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Apporter la preuve de l’envoi d’une notification, ce n’est pas la même chose que conserver la preuve qu’elle a été reçue. La Poste et certains opérateurs de messagerie électronique proposent des accusés de réception, et nous pouvons aussi faire preuve d’inventivité. En tout cas, il faut qu’un document prouve la bonne réception de la notification par la victime. Ce qu’il faut éviter, ce sont les notifications qui, s’étant perdues dans les limbes, accroissent le malheur des victimes.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). En effet, l’absence de réception d’un avis de classement sans suite peut conduire à la prescription du délai de recours. En l’absence de recommandé, un procès-verbal signé par l’officier de police judiciaire (OPJ), qui est assermenté, devrait suffire comme preuve de l’envoi.
M. Jiovanny William, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, mais votre proposition alourdirait la charge qui pèse déjà sur l’OPJ, alors que c’est au procureur de la République qu’il appartient d’effectuer les formalités. Elle entrerait en outre en contradiction avec la liberté dont dispose le plaignant de choisir le moyen de communication par lequel il est avisé – par exemple, une lettre simple.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL11 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous proposons d’inscrire dans la loi la possibilité, pour le plaignant, de choisir la langue dans laquelle il souhaite recevoir la notification d’un éventuel classement sans suite de sa plainte. Des dispositions similaires existent déjà : un interprète peut être présent par exemple lorsqu’une personne dont le français n’est pas la langue maternelle est placée en garde à vue. Ce nouveau droit serait très utile, au regard notamment du nombre de personnes étrangères parmi les plaignants.
M. Jiovanny William, rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait. L’article D. 594-13 du code de procédure pénale prévoit ainsi l’obligation, pour le procureur de la République, de traduire les décisions de classement sans suite lorsque la victime ne parle pas ou ne comprend pas la langue française. J’émets une demande de retrait.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Cette disposition relève d’un décret et pourrait donc être modifiée facilement. Je préférerais qu’elle soit inscrite dans la loi.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement CL19 de Mme Gabrielle Cathala
M. Jiovanny William, rapporteur. J’émets un avis défavorable à cet amendement, dont je comprends néanmoins l’objectif : il faut effectivement se battre pour obtenir davantage de moyens.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL20 de Mme Sarah Legrain
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous demandons la remise d’un rapport sur les classements sans suite des plaintes relatives aux discriminations fondées sur l’origine, l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Nous sommes convaincus que ces classements ne sont pas toujours liés à l’absence de preuve mais plutôt à un manque de formation des personnels de police et de justice sur ces sujets. On ne peut pas se satisfaire de leur nombre.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements CL9 de Mme Gabrielle Cathala et CL10 de Mme Sarah Legrain (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous demandons la remise d’un rapport sur la formation initiale et continue des policiers et des gendarmes, notamment s’agissant de la prise en charge des femmes victimes de violences. Les amendements que nous avions adoptés à ce sujet en commission, lors de l’examen du budget, ont en effet été balayés par le recours au 49.3. Si la formation initiale s’est améliorée, elle reste trop courte. Quant à la formation continue, elle n’est pas obligatoire pour les policiers et gendarmes déjà en exercice.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous demandons également un rapport sur la formation des officiers de police judiciaire concernant les infractions, crimes et délits commis en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, réelle ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée. Ce rapport devra examiner les mécanismes permettant un traitement adéquat et respectueux des victimes de ce type d’infractions. Selon le ministère de l’Intérieur, 4 % seulement des victimes d’une atteinte à caractère raciste ont déposé plainte en 2023. De surcroît, 51 % de ces plaintes ont été classées sans suite. Le contexte actuel le démontre : il existe un continuum d’infractions allant des propos racistes aux pires actes. Il faut absolument que toutes les plaintes fassent l’objet d’investigations et, pour cela, que les personnels bénéficient d’une formation initiale et continue, notamment pour mieux accompagner les victimes.
M. Jiovanny William, rapporteur. Il y a là un vrai sujet mais il me semble que c’est plutôt dans le cadre de nos pouvoirs d’évaluation et de contrôle, au travers par exemple de missions d’information, que nous pourrons analyser la situation et faire des propositions. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 3 : Gage de recevabilité financière
La commission adopte l’article 3 non modifié.
Titre
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL33 de M. Jiovanny William, rapporteur.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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La réunion est suspendue de dix heures trente-cinq à onze heures.
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Puis, la Commission examine, en deuxième lecture, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière, (n° 157) (M. Eric Pauget, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. Nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi, modifiée par le Sénat, créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière. Elle avait été déposée le 17 novembre 2023 par notre ancienne collègue Anne Brugnera et neuf autres députés issus de nombreux groupes. Nous avions adopté le texte en première lecture en janvier 2024. Le Sénat l’a ensuite adopté avec modifications en mars 2024 et nous l’examinerons en deuxième lecture en séance la semaine prochaine.
M. Éric Pauget, rapporteur. Ce texte, qui me tient particulièrement à cœur, a été conçu de manière transpartisane : je l’ai en effet écrit avec Anne Brugnera et nous l’avons déposé avec plusieurs cosignataires, notamment Hervé Saulignac. Les associations de terrain, que nous avons régulièrement rencontrées et auditionnées, ont été motrices dans l’élaboration de ce dispositif juridique.
Nous avons examiné ce texte en première lecture en janvier 2024 et il a été adopté en séance à l’unanimité des suffrages exprimés. Il me semble que nous avons alors fait œuvre utile, tous ensemble, en montrant que le Parlement était capable de dépasser les clivages entre les sensibilités politiques pour répondre aux attentes de notre société.
Le Sénat s’est ensuite saisi de cette proposition de loi, qu’il a adoptée en mars 2024. Nos collègues sénateurs ont très largement adhéré à l’esprit du texte même s’ils ont apporté quelques modifications, notamment sur la structure de l’article 1er, qui ne me semblent pas tout à fait adaptées. Quoi qu’il en soit, le texte a fait consensus à la chambre haute également.
Dans la foulée de cette adoption, notre assemblée s’apprêtait à conduire la deuxième lecture en juin dernier, avant que n’intervienne la dissolution. Nous sommes aujourd’hui réunis pour reprendre ce cheminement parlementaire.
Je voudrais insister sur le fait que, lors de nos auditions, toutes les associations ont affirmé que la terminologie d’homicide involontaire était insupportable pour les familles des victimes. Pour reprendre les termes du chef étoilé Yannick Alléno, qui a perdu son fils dans de telles circonstances, elle est « insupportable, injuste et injustifiée ». Leur revendication a été entendue par les autorités puisque le comité interministériel de la sécurité routière (CISR) a formulé une recommandation visant à créer une qualification d’homicide routier. Avec ce texte, nous nous inscrivons dans la continuité de cette réflexion et répondons à une préoccupation légitime des associations et de la société tout entière.
Je tiens à dire qu’il ne s’agit pas là d’une mesure purement symbolique : d’une part, parce qu’en droit la sémantique n’a rien d’un symbole mais doit être précise ; d’autre part, parce que cette évolution des qualifications pénales s’accompagne dans le texte d’autres mesures très concrètes.
Je vous proposerai plusieurs amendements tendant à revenir à l’écriture que nous avions adoptée en janvier 2024 et qui avait fait l’unanimité sur nos bancs. Si je ne pense pas qu’il faille modifier tout ce qu’a fait le Sénat – ce n’est d’ailleurs pas ce que je vous propose – , il me semble particulièrement important de revenir à la rédaction de l’article 1er telle qu’adoptée par notre Assemblée. Elle me semble en effet plus claire et plus forte sur le plan juridique, permettant la création de nouvelles infractions pénales indépendantes et autonomes. Cette autonomie des infractions est nécessaire pour garantir la force du dispositif. Cette écriture nous permettra de mieux tenir compte de la réalité de ces accidents de la route qui, certes, ont des conséquences involontaires mais qui sont causés dans des circonstances résultant d’actes délibérés.
Le sujet de la violence routière nous mobilise toutes et tous. Dans nos circonscriptions, nous voyons trop souvent des drames qui emportent des vies, parfois très jeunes, et qui endeuillent des familles. Chaque année, près de 3 500 personnes perdent ainsi la vie dans notre pays, dont 40 % dans des accidents dus à l’alcool ou à la drogue. Je suis convaincu que nous devons mieux nommer et mieux caractériser juridiquement la violence et la gravité de ces faits. Nous le devons non seulement aux familles de victimes, comme l’a dit le garde des sceaux dans notre hémicycle en janvier 2024, mais aussi à notre justice et à nos magistrats : mieux nommer les faits permettra de mieux les juger.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Philippe Schreck (RN). On devine que, lorsque l’on apprend la perte ou la mutilation d’un enfant ou d’une sœur, victime de ce que l’on pense d’abord être un accident de la circulation, le monde n’est plus que peine et douleur – peine et douleur qui demeureront longtemps, souvent pour toujours, mais s’accompagneront peu à peu d’une certaine sidération lorsqu’il apparaîtra que l’auteur était alcoolisé, avait consommé des stupéfiants, conduisait sans permis, avait refusé d’obtempérer ou s’était enfui sans porter secours et assistance à sa victime. Enfin, la révolte et la colère apparaîtront à l’occasion du traitement judiciaire du dossier, lorsqu’on affirmera à la famille de la victime, à ses proches et à ses parents, que l’homicide, l’action ayant induit le décès ou les graves blessures, avait un caractère non intentionnel. Pour vivre de telles situations dans le cadre de mon activité professionnelle, je sais que le « C’est pas de chance » et le « Je n’ai pas voulu faire de mal » sont devenus inacceptables et inaudibles pour les victimes.
C’est tout l’intérêt du délit autonome d’homicide routier que notre assemblée avait voté ; le Sénat nous le renvoie dans une rédaction différente – j’allais dire alambiquée –, qui pourrait laisser à penser que nous ne traitons que d’une circonstance aggravante de plus alors que notre choix était de créer un délit à part entière.
Nous avons convenu que dans certaines circonstances, il doit y avoir juridiquement la place pour une qualification intermédiaire entre le « vouloir tuer » et le « tuer sans le vouloir ». Je le répète : il n’est plus possible de dire aux familles dont l’enfant est resté gisant de longues minutes sur un trottoir, après la fuite d’un conducteur alcoolisé ou sous stupéfiants, que cela relève d’un fait non intentionnel. Si le décès ou les blessures graves ne constituent pas un fait volontaire, les circonstances dans lesquelles s’est placé volontairement l’auteur de l’infraction en sont pleinement constitutives. Un traitement pénal autonome doit être réservé à ces situations individuelles dramatiques.
Loin d’être un glissement sémantique, la création de l’infraction d’homicide routier est une évolution nécessaire du droit pénal à laquelle notre groupe souscrit. Elle répond à une demande légitime et forte des victimes.
Je voulais proposer un amendement de réécriture que j’ai retiré au profit du vôtre, monsieur le rapporteur, qui est quasiment identique. Nous partageons le même objectif : revenir au texte que notre assemblée avait voté, car il envoie un signal fort. Novateur sur le plan juridique, il peut constituer un instrument utile pour tous les intervenants dans le traitement pénal de ces drames. Notre groupe est donc favorable au texte tel qu’il pourrait être réécrit.
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR). Avant toute chose, je souhaite saluer le travail rigoureux et déterminé de notre ancienne collègue Anne Brugnera sur ce texte, ainsi qu’évidemment celui du rapporteur Éric Pauget. Leur investissement, leur écoute des associations de victimes et leur volonté de faire avancer cette cause ont grandement contribué à la qualité du texte que nous examinons et que mon groupe soutiendra.
Je veux également souligner le consensus qui s’est dégagé lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, preuve que sur un sujet aussi grave que la sécurité routière, nous savons nous rassembler et agir dans l’intérêt général.
Pourquoi cette réforme est-elle nécessaire ? Pourquoi la création d’un délit autonome d’homicide routier représente-t-elle une avancée majeure, notamment pour les victimes et leurs familles ? Jusqu’à présent, lorsqu’un conducteur sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, sans permis ou commettant un grand excès de vitesse, causait la mort ou des blessures graves, il était poursuivi pour homicide involontaire ou blessures involontaires. Cette qualification était vécue comme une injustice par de nombreuses familles de victimes. Peut-on vraiment parler d’accident quand la prise de risque est aussi manifeste, quand le danger est délibérément accepté par le conducteur ?
La création d’un délit autonome d’homicide routier répond à une attente forte de reconnaissance. Elle permet de distinguer clairement les accidents des comportements délibérément dangereux. Ce n’est pas simplement une évolution sémantique, c’est une avancée symbolique et juridique qui change le regard de la société sur ces drames : la mort ou les blessures causées par des comportements irresponsables ne relèvent plus de la simple fatalité mais d’une faute qui doit être reconnue et sanctionnée comme telle.
Pour les victimes et leurs proches, cette nouvelle qualification porte un message fort. Elle leur apporte une reconnaissance essentielle, longtemps attendue. Les mots ont un poids, surtout en droit. Ils traduisent la gravité des faits et la considération que la société porte à la souffrance des victimes. Le terme « involontaire » était souvent ressenti comme une négation de la réalité vécue, une injustice supplémentaire après la perte d’un être cher.
Au-delà de la reconnaissance symbolique, ce texte apporte aussi des réponses concrètes. Il élargit la liste des circonstances aggravantes et prévoit des peines complémentaires adaptées telles que l’annulation du permis de conduire ou la confiscation du véhicule. Il donne ainsi aux magistrats de nouveaux outils pour sanctionner plus justement les comportements les plus dangereux.
Ce texte n’effacera jamais la douleur des familles touchées par la violence routière mais il leur apporte une reconnaissance, une forme de justice et un engagement collectif à ne plus banaliser ces drames. Ce texte dit aux familles que leur douleur est entendue, que leur combat est légitime. Il affirme que la société ne tolère plus que la route soit le théâtre de comportements impunis.
Au nom du groupe EPR, je réaffirme notre soutien à cette réforme. Nous saluons l’esprit de responsabilité et de consensus qui a prévalu lors de son adoption en première lecture et nous soutenons les amendements de rétablissement proposés par le rapporteur. Pour les victimes, pour leurs familles, pour une société plus juste et plus sûre, nous devons aller au bout de cette ambition.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’intention première de ce texte est d’apporter une forme d’apaisement, si tant est que cela soit possible, aux familles touchées par un accident routier et particulièrement démunies face à un tel malheur. Cette intention ne peut évidemment qu’emporter notre adhésion. En 2024, 3 190 personnes sont mortes dans un accident de la route en France métropolitaine. C’est absolument inacceptable et cela représente un gâchis considérable. Les principales victimes sont les jeunes gens entre 18 et 24 ans, qui représentent 9 % de l’ensemble de la population mais 23 % des tués.
Nous osons pourtant dire, non pas avec froideur mais avec rigueur, que le code pénal n’est pas fait pour répondre au malheur : il est fait pour indiquer ce que la société considère comme acceptable ou comme inacceptable. C’est ainsi.
Au-delà de ce constat, le problème est la confusion introduite par le Sénat. Un acte est intentionnel ou il ne l’est pas. Or, dans la rédaction qu’il propose, on ne sait plus très bien ce qu’il en est. Cela rend très difficile la qualification des actes, d’autant plus avec la notion d’homicide par mise en danger d’autrui. Il nous paraît que la notion de caractère aggravant est suffisante. Lorsque l’on roule avec de l’alcool dans le sang ou en ayant consommé des produits stupéfiants, il est évident que l’on met en danger les autres.
C’est surtout l’efficacité des mesures qui compte – ce qui explique l’attitude des associations de victimes face à cette PPL, qui ne reprend d’ailleurs qu’une seule des trente-huit propositions – et pas la plus heureuse – avancées par le CISR.
Nous aurions préféré que des mesures de prévention claires soient d’abord mises en œuvre. Pour de nombreuses raisons liées notamment à leur âge, les jeunes gens ne mesurent pas toujours l’impact chimique sur le cerveau de l’alcool et d’autres substances qui les empêchent de conduire normalement un véhicule.
Autre problème : l’aménagement des routes. 60 % des décès consécutifs à un accident routier ont lieu hors agglomération. Il faut donner aux conseils départementaux les moyens d’aménager les routes et de réduire ainsi l’accidentologie. Encore une fois, le nombre de morts que nous enregistrons n’est pas acceptable dans un pays comme le nôtre et, pour s’attaquer au cœur du problème, c’est là-dessus qu’il faut agir. Or, avec le gouvernement Bayrou, ce sont 7 milliards d’euros en moins pour les collectivités. L’apprentissage de la conduite doit être pensé différemment et se faire gratuitement dès 16 ans, avec un accompagnement qui permette de réduire l’accidentologie.
Plutôt que de nous faire des procès inacceptables – comme l’a fait entre autres le ministre de l’intérieur hier –, permettez-nous d’aborder les choses sous un angle un peu différent. De surcroît, la création de l’homicide routier est gratuite : sans doute est-ce ce qui motive le gouvernement, et d’autres. Quant à nous, nous ne sommes pas d’accord et souhaiterions que des moyens soient mobilisés.
M. Hervé Saulignac (SOC). Dans un pays qui a enregistré l’année dernière plus de 3 000 morts sur les routes, ce que nous dirons et ferons sur ce sujet sensible sera suivi avec la plus grande attention. Nous sommes attendus par les victimes qui ont survécu et par les familles, les camarades, les collègues qui ont perdu un proche dans des conditions toujours tragiques. Pour leur répondre, nous ne disposons que des mots de la loi. C’est peu, c’est même parfois dérisoire face à leur peine, mais c’est notre rôle.
Pour paraphraser Camus, mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. En droit pénal, mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur des victimes. En effet, les survivants d’un accident et les proches des victimes ne peuvent admettre la qualification d’homicide ou de blessures involontaires lorsque celui qui a tué s’est installé au volant alcoolisé ou sous l’emprise de stupéfiants, ou lorsqu’il a roulé à des vitesses parfois délirantes. « Homicide involontaire », pour des chauffards qui détruisent des familles, c’est en effet mal nommer les choses et presque passer sous silence la gravité de la faute commise par un conducteur dont le comportement a entraîné la mort. Ce n’est pas qu’une incompréhension de la subtilité du droit. C’est un réel désaccord sur la dimension de l’homicide certes involontaire mais précédé d’un comportement qui, lui, est volontaire lorsqu’un conducteur met directement en danger la vie d’autrui.
Après quarante ans de prévention, il n’y a plus rien d’involontaire dans les conduites à risque. Elles sont connues de tous, leurs conséquences ne sont ignorées de personne, et la responsabilité des conducteurs est complète. En sortant du droit commun des homicides involontaires les quelque 400 victimes annuelles que le destin a placées sur la trajectoire d’un chauffard, la loi gagne en précision. Et quand la loi a les mots justes, elle emporte l’adhésion.
Au-delà de la sémantique, ce texte introduit une nouvelle gradation dans le droit. Il distingue plus finement les situations et refuse la confusion qui règne encore entre le conducteur le plus raisonnable, dont le véhicule peut néanmoins devenir mortel, et le conducteur le plus irresponsable, qui prend le volant sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants. Dans aucune de ces situations il n’y a d’intention de donner la mort, certes, mais dans l’une des deux, la mise en danger résulte bien d’une décision volontaire.
Près de la moitié des accidents mortels s’expliquent par des comportements inacceptables, que la qualification d’homicide involontaire traduit mal. Il n’y a pas d’un côté la réalité du droit, froide et implacable, et de l’autre la réalité humaine, subtile et sensible. Le discours des victimes ne peut pas être balayé comme étant déraisonnable et rempli d’émotions. Ce texte doit répondre à la déraison de ceux qui mettent en danger la vie d’autrui – auxquels la qualification de fait involontaire n’envoie pas le bon message – et répondre aux attentes des proches des victimes qui ne se remettent jamais d’avoir entendu la justice de leur pays qualifier l’assassin de leur enfant de meurtrier involontaire.
Nous connaissons la critique évidente qu’attire ce type de propositions de loi : le procès en loi d’affichage. La vérité, c’est que les qualifications d’homicide routier et d’homicide par mise en danger d’autrui ne changeront pas les chiffres de la sécurité routière ; personne ne se fait d’illusion de ce point de vue. Mais ils changeront la donne dans les procès à venir puisque la justice aura désormais les mots pour distinguer et graduer sa réponse selon les circonstances. Ce texte a été largement corrigé par le Sénat – et nous pourrions encore aller plus loin – mais il vise un objectif que nous partageons : nous le soutiendrons donc.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Elle s’appelait Alexia, elle avait 4 ans. Sa maman s’appelait Sylvie, elle avait 26 ans. Elles sont mortes alors qu’elles rentraient fêter Noël en famille, percutées par un homme ivre au volant. Seul le bébé Jonathan, dans la voiture, a eu la vie sauve ; il a grandi seul avec son papa Stéphane, plein de courage. C’était il y a de longues années maintenant, mais la douleur de la famille reste intacte. Combien de vies si précieuses détruites ? Combien de familles brisées à perpétuité ?
En 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur les routes françaises. Parmi elles, 1 374 – soit près de 40 % – ont été tuées dans un accident impliquant un conducteur sous influence de l’alcool ou de stupéfiants. Ce pourcentage monte à 60 % si l’on ajoute, parmi les causes, la vitesse excessive et inadaptée. Autrement dit, la majorité des décès sur la route ont pour cause un comportement délictuel, dangereux et prohibé par la loi. Dans ces conditions, comment supporter d’entendre que l’homme qui a tué Fanny, une étudiante en médecine de 27 ans, en la fauchant à 100 kilomètres à l’heure sur un passage piéton à Aix-en-Provence, a commis un acte involontaire ? C’est non seulement inexact mais aussi insupportable pour la famille, attachée au respect de la mémoire de la victime. En effet, mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde : il n’y a rien de plus exact dans ces cas-là.
Il est plus que temps d’y remédier, non seulement par respect pour les familles et les victimes mais aussi parce que bien nommer et qualifier ces actes dans notre code pénal, c’est se donner les moyens de mieux les juger et de mieux les prévenir. J’ai été effarée de constater qu’alors que la majorité des décès sur la route sont consécutifs à des comportements prohibés par la loi, 90 % des condamnations aboutissent à des peines avec sursis. Il est temps de donner les moyens à la justice de répondre à ce qui s’apparente à une forme de légèreté judiciaire totalement inadaptée à la lutte contre ce fléau.
Cette proposition de loi vise à créer dans notre code pénal l’infraction autonome et indépendante d’homicide routier et de blessure routière, qui serait sortie de la qualification d’involontaire sans pour autant être reclassée comme volontaire. De fait, si le comportement dangereux initial et délictuel de certains conducteurs est volontaire, dans l’immense majorité des cas, il ne s’accompagne pas de l’intention de donner la mort. Quant aux accidents survenus en l’absence de circonstance aggravante, la qualification d’atteinte involontaire resterait de mise.
Je remercie le rapporteur d’avoir mené ce combat, avec le soutien actif de toutes les associations de défense des victimes de la violence routière. Le Sénat a modifié le cœur de cette proposition de loi. Il nous appartient d’en rétablir l’esprit. De fait, un individu qui prend le volant après une consommation abusive d’alcool ou de stupéfiants ou roule à une vitesse excessive enfreint sciemment la loi. Il sait que ses actes sont interdits parce que dangereux. Ainsi, même si les conséquences de l'infraction sont non intentionnelles, l’infraction ne peut être rattachée aux infractions purement involontaires.
La responsabilité individuelle doit être replacée au centre de notre politique de prévention routière, notamment dans son volet judiciaire. Une voiture peut devenir une arme par destination. La notion de responsabilité de la personne, au cœur du texte, est antinomique de celle d’acte involontaire.
C’est notre différence fondamentale avec les députés de La France insoumise, qui déresponsabilisent ceux qui prennent le volant sous l’effet de substances, en arguant qu’ils ne connaissent pas leurs effets sur leur cerveau. Il est tout simplement interdit de conduire sous l’effet de stupéfiants ou d’alcool.
Notre rôle est de protéger nos concitoyens, parfois d’eux-mêmes. Avec le présent texte, nous nous donnons une partie des moyens pour le faire. Le groupe Droite républicaine votera le texte tel que modifié par les amendements du rapporteur, avec la gravité et le respect que nous devons aux victimes d’homicides routiers et à leurs familles.
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous dénonçons souvent les propositions de loi déposées en réaction à un fait divers, sans le recul nécessaire à l’élaboration du droit. Mais les morts sur la route ne sont pas réductibles à l’accident provoqué par Pierre Palmade évoqué par ma collègue. Elles constituent un problème global, récurrent dans la société française.
Depuis des années, les familles de victimes demandent un geste symbolique : supprimer la qualification « involontaire » quand la mort de la victime fait suite à un excès de vitesse, à la consommation d’alcool et ainsi de suite. Le présent texte soulagera en ce sens les familles, sans toutefois changer grand-chose au droit. Il ne fera pas réellement peur aux chauffards, qui causent la majorité des morts et des accidents sur la route. Il ne rendra pas leurs proches aux familles, ni ne permettra de limiter les morts, puisqu’il ne prévoit pas de prévention.
Après avoir baissé pendant des années grâce à des politiques ambitieuses, le nombre de morts sur la route en France stagne. Nous avons le devoir d’agir. Les chiffres sont clairs : ceux qui tuent le plus sur la route, ce sont les hommes qui roulent trop vite – près de 30 % des accidents mortels – et ceux qui sont alcoolisés.
Monsieur le rapporteur, des hommes politiques de votre bord, comme Édouard Philippe, ont tenté de porter les limitations de vitesse de 90 kilomètres par heure à 80 kilomètres par heure. Or, c’est votre bord politique qui, dans chaque collectivité où il est représenté, a rejeté cette mesure, comme si une réduction de 10 kilomètres par heure était catastrophique. La palme va au Rassemblement national qui, dans un communiqué de presse, a dénoncé la « comptabilité morbide qui chiffre nos vies en kilomètres heure ». Mais oui, malheureusement, des vies sont perdues à cause de quelques kilomètres par heure !
Les contrôles permettent également d’empêcher les conducteurs de rouler trop vite, saouls ou dangereusement. Au Rassemblement national, vous dénoncez beaucoup les morts sur les routes, mais c’est vous qui luttez contre les radars, qui dénoncez la pompe à finances de l’État que constitueraient les amendes routières. Vous empêchez ainsi de sauver des vies. Il faudrait sortir de l’hypocrisie et adopter des solutions qui empêchent des décès et des handicaps à vie. Ce serait le début d’une réaction digne par rapport aux familles des victimes.
Alors que la France était très en avance dans les classements européens concernant le nombre de morts sur la route, elle a perdu sept places ces dernières années, faute de parvenir à diminuer le nombre de morts sur la route.
La version initiale de ce texte a été améliorée. Toutefois, il faudrait encore discuter de certaines définitions. Notre vote dépendra de l’issue de nos échanges.
Mme Blandine Brocard (Dem). J’ai une pensée forte pour les familles brisées, mutilées par les drames de la route qui auraient bien souvent pu être évités. Ce ne sont pas des accidents. Ces familles n’attendent pas des mots, mais des actes face au drame absolu qu’elles subissent. Elles demandent une chose simple depuis des années : que la justice reconnaisse la gravité de ce qu’elles ont vécu en n’évoquant plus un homicide involontaire quand la mort a été causée par une conduite sous alcool ou sous stupéfiants consommés volontairement.
Nommer, c’est reconnaître. C’est l’essence même du droit et c’est pour cela que cette proposition de loi transpartisane est si importante. Elle crée enfin une infraction indépendante et autonome d’homicide routier. Elle fait entrer dans notre droit la réalité de ces violences et la souffrance dévastatrice pour celles et ceux qui les subissent.
Nous avons enrichi ce texte, après avoir écouté les récits, les colères, les silences lourds de ceux qui restent après l’impensable. C’est cela qui a guidé le travail de l’Assemblée en première lecture. Nous avons voulu aller plus loin, en reconnaissant que la vitesse excessive, l’alcool, les stupéfiants ne sont pas de simples circonstances, mais de véritables choix qui tuent. La justice doit pouvoir dire cela clairement et agir sans faiblesse, en suspendant, en retirant des permis, en immobilisant les véhicules, en refusant qu’un conducteur puisse reprendre le volant. Nous avions proposé la création d’un module de prévention de la récidive, pour permettre une prise de conscience. Nous regrettons que la mesure ait été supprimée au Sénat car protéger, c’est aussi prévenir. D’autres avancées nécessaires ont été maintenues, tels que l’examen médical obligatoire, la confiscation du véhicule, ou encore un délai minimal de cinq ans avant de pouvoir repasser son permis après un homicide routier. Ce sont des mesures de responsabilité.
Ce texte n’est pas un simple ajustement juridique. Il répond à une injustice ressentie profondément par des familles qui ne peuvent pas comprendre comment des morts si violentes peuvent encore être traitées comme involontaires, presque comme des banalités judiciaires. Le groupe Modem votera en faveur de ce texte, qui répond à une attente forte de nos concitoyens et met des mots justes sur des drames immenses.
M. Jean Moulliere (HOR). En 2023, 3 398 personnes ont perdu la vie sur les routes de France hexagonale et d’outre-mer. Si ce bilan est en baisse de 4,3 % par rapport à 2022 et témoigne des efforts continus déployés par l’ensemble des acteurs pour améliorer la sécurité routière, chaque vie perdue sur nos routes est de trop. Ces accidents sont des tragédies aussi bien pour les familles et les proches des victimes que pour la collectivité. Nous ne pouvons nous résoudre à ce triste bilan qui place la France parmi les mauvais élèves au niveau européen, avec un taux de 49 décès pour 1 million d’habitants. Agir, avec des mesures fortes en faveur de la réduction de ces drames humains est donc de notre responsabilité collective.
Le présent texte est le fruit d’un travail transpartisan commencé sous la XVIe législature avec Anne Brugnera, et auquel le groupe Horizons°&°indépendants a participé. Notre groupe salue le consensus quant à la nécessité de revoir la qualification pénale des accidents de la route ayant des conséquences graves et durables pour les victimes. Un constat est partagé par les groupes parlementaires cosignataires de cette proposition de loi : la qualification d’homicide involontaire ou de blessure involontaire à la suite d’un accident de la route provoqué par un conducteur sous l’emprise de stupéfiants ou dont le permis a été annulé est inadaptée. Elle est légitimement mal vécue par les victimes et les familles de victimes.
En effet, l’auteur, même s’il n’avait pas l’intention de commettre d’infraction, a consciemment mis en danger la vie d’autrui en prenant le volant alors même qu’il n’était pas apte à le faire. La création de l’homicide routier et des blessures routières est d’abord symbolique, mais les symboles sont importants. Les peines encourues par les auteurs de ces délits resteront inchangées mais la qualification pénale est modifiée. Cette proposition de loi aboutit ainsi à un équilibre subtil et de rigueur.
Nous nous réjouissons que le Sénat l’ait adoptée, mais nous regrettons la complexification inutile du droit pénal introduite à l’article 1er, avec la création d’une infraction autonome « d’homicide par mise en danger d’autrui ». En outre, le texte rend la frontière entre les infractions non intentionnelles et les infractions volontaires poreuse. La qualification de l’infraction, soumise au magistrat, deviendrait trop complexe dans cette rédaction.
Notre groupe votera en faveur de ce texte.
M. Paul Molac (LIOT). Depuis des années, les victimes de la route, leurs familles et les associations de sécurité routière alertent sur la qualification pénale d’homicide involontaire. Lorsque l’on perd un proche dans un drame causé par un conducteur qui a volontairement pris un risque en consommant de la drogue ou de l’alcool voire les deux, il n’est plus acceptable d’évoquer un acte involontaire. Cela revient à nier la responsabilité du conducteur. Un slogan d’autrefois l’exprimait clairement : boire ou conduire, il faut choisir.
Notre groupe accueille favorablement la création d’une infraction d’homicide routier. Le nombre de morts – plus de 3 000 par an – sur la route ne baisse plus, et plus de 16 000 blessés graves, qui seront handicapés à vie, ne pourront plus vivre comme avant.
Certains conducteurs cumulent les facteurs de risque – drogue, excès de vitesse, alcool. La suppression du terme « involontaire » nous paraît équilibrée. Elle permettra aux conducteurs de prendre conscience de leur choix quand ils adoptent un comportement à risque, pour qu’ils en assument les conséquences. Pour les familles, le terme « involontaire » était insupportable.
Les sénateurs ont préféré placer la nouvelle infraction dans le champ des atteintes à la personne humaine « par mise en danger ». Le fait de causer la mort par la « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité » constituerait un « homicide routier par mise en danger. » Ce n’est pas très clair et cela ne répond pas aux attentes des associations de victimes.
La version adoptée en première lecture à l’Assemblée nous paraît plus pertinente. Elle a au moins le mérite de garantir le caractère autonome de l’infraction. Même s’il est tentant d’adopter une version du texte conforme à celle du Sénat, il faut revoir ce texte. Notre groupe réaffirme également la nécessité d’une politique plus globale face à la délinquance routière. La réponse de l’État doit être triple : prévenir, éduquer et mieux réprimer.
En juillet 2023, le CISR avait présenté trente-huit mesures. Certaines doivent encore trouver une application, notamment en matière d’éducation et de prévention. En attendant, nous voterons pour ce texte.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Ce texte a fait du chemin. En première lecture, j’avais été particulièrement dure concernant le projet de changer les mots pour faire plaisir aux associations, sans autre conséquence juridique ni moyens supplémentaires.
J’entends que certains mots ajoutent de la douleur là où elle est déjà forte et que les termes « homicide involontaire », quand on a perdu un proche dans ces conditions, peuvent causer un profond sentiment d’injustice, quand on sait que même si le conducteur n’a pas voulu causer la mort, il a choisi de prendre le volant après avoir consommé de l’alcool ou des drogues et d’enfreindre le code de la route.
En revanche, on ne fait pas la loi pour les associations de victimes, même si c’est difficile à entendre. Nous faisons la loi pour qu’elle soit appliquée par les magistrats et les professionnels de la justice. Or, notre droit prévoit deux catégories d’infraction : intentionnelles ou non.
Vous changerez les mots ; vous modifierez également les peines prévues. Or, la formulation actuellement retenue n’est pas satisfaisante et fait courir un risque juridique. Elle devra être retravaillée, si nous voulons éviter que ceux qui appliqueront le droit soient perdus, entre ce qui relève de l’intentionnel et du non intentionnel, si nous voulons permettre des condamnations justes.
De fait, on ne peut juger de la même manière un conducteur qui a causé un décès après avoir choisi de boire ou d’enfreindre une limitation de vitesse, et un autre qui a causé un décès à cause d’un malaise qui lui a fait perdre le contrôle de son véhicule. Dans ce dernier cas, l’homicide, qu’on le veuille ou non, est involontaire – ni le malaise, ni l’accident, ni le décès n’ont été voulus. Or, dans sa version actuelle, le texte semble faire un amalgame entre tous les auteurs d’accidents, les traiter de la même manière. Faisons attention aux mots, pour maintenir la distinction entre ces différents cas dans la loi et dans les jugements.
Je serai plus mesurée qu’en première lecture. Néanmoins, en l’état actuel du texte, nous nous abstiendrons.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Le groupe UDR apportera son entier soutien à cette proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière, à la condition que la version adoptée par l’Assemblée soit rétablie. Certains orateurs précédents ont qualifié la version du Sénat d’alambiquée, de confuse, de floue.
Trop souvent, des vies sont fauchées sur les routes par des conducteurs qui, par l’alcool, la drogue ou la distraction – nous n’avons pas évoqué de malaise – transforment leur véhicule en une arme mortelle. Trop souvent, les familles endeuillées entendent, au terme d’années de procédures, que leur parent est mort dans un accident, alors qu’elles savent qu’il s’agit d’une faute lourde et d’une transgression inexcusable.
Monsieur le rapporteur, vous nous invitez à une révolution juridique, en mettant l’accent sur les conséquences des actes plutôt que sur l’intention, conformément à une demande légitime des victimes et de leur famille. L’introduction de l’homicide routier et des blessures routières dans le code pénal constitue incontestablement une reconnaissance de leurs souffrances.
Ce texte annonce une avancée décisive : nous cessons de minimiser ces drames. Conduire sous l’empire d’alcool, de stupéfiants, écraser un piéton en consultant son téléphone ne relève pas de la fatalité mais de la responsabilité. C’est également peut-être un début de révolution concernant le droit des victimes dans la procédure pénale, qui doit être renforcé. Je pense notamment à la possibilité d’associer la victime au débat devant le juge d’application des peines. L’affaire Palmade est emblématique, par son retentissement médiatique, et parce qu’elle a révélé l’incapacité du système judiciaire à reconnaître un statut actif à la victime dans l’exécution de la peine.
Nous pourrions proposer d’autres mesures pour améliorer le statut de la victime. Nous pourrions lui attribuer un droit d’appel, l’associer aux débats devant la cour d’appel sur la peine pénale, même s’il n'y a pas eu d’appel sur les intérêts civils. En tout cas, le code de procédure pénale devrait évoluer concernant la place des victimes en matière d’application des peines.
Les peines plancher prévues, le durcissement des sanctions, l’adaptation du droit aux dangers modernes comme les rodéos urbains ou l’usage compulsif du portable nous apparaissent comme des réponses fortes à l’exigence de justice et de prévention que nous devons défendre.
Une fois que ce texte aura été modifié, nous vous appellerons à le voter avec conviction car protéger nos routes, c’est protéger les victimes.
M. Éric Pauget, rapporteur. La question est grave, lourde et touche tout le territoire français. Nous connaissons tous, dans nos circonscriptions, des cas de blessures très graves ou d’homicide. Je remarque un large consensus parmi les onze groupes présents, dont je me réjouis. Il confirme la position adoptée par notre assemblée en janvier 2024, qui était le fruit du travail mené avec Anne Brugnera.
Ce texte n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes de sécurité routière, madame Martin. C’est une pierre à l’édifice, qui reprend l’une des recommandations du CISR. Il est sans doute vrai que des moyens supplémentaires sont nécessaires, y compris pour la prévention, mais ce texte n’en est pas moins important.
Madame Regol, je regrette que vous essayiez de politiser le sujet, contrairement à l’optique que nous avions choisie avec Anne Brugnera. Sur un tel sujet de société, il n’y a pas de droite ou de gauche.
Mme Sandra Regol (EcoS). Et la limitation de vitesse ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Ce n’est pas l’objet du texte. Vous pourrez commenter les propositions du comité interministériel.
Nous proposons une évolution assez novatrice du droit. J’ai évoqué une révolution juridique, car nous revenons sur le caractère binaire du droit. Depuis des décennies, il s’est structuré autour de l'opposition entre homicide volontaire et involontaire. L’infraction indépendante et autonome que nous proposons de créer, qui fera l’objet d’un nouveau chapitre du code pénal, n’est ni volontaire ni involontaire. Il s’agit d’un acte volontaire ayant conduit à un décès, malgré l’absence d’intention de donner la mort. Ce sujet a fait débat parmi les juristes. Notre droit doit-il rester figé ? Je ne pense pas. Nous devons être capables de modernité.
Ne pas vouloir reconnaître l’élément volontaire revient à nier, à diluer la responsabilité du mis en cause, avec une incidence sur l’enquête, l’instruction et le procès. Cela banalise et affaiblit la portée des événements. En qualifiant mieux les actes juridiquement, nous redonnerons du sens à ce qui s’est produit.
Nous avons travaillé avec des associations de victimes ; nous aiderons ainsi les magistrats à mieux qualifier les actes et à mieux les juger.
Le texte issu des travaux du Sénat ne me semble pas satisfaisant. Il complexifie l’article 1er , mais surtout, il supprime l’infraction indépendante et autonome dont nous avions voté la création et qui devait être inscrite dans un nouveau chapitre du code pénal. Il raccroche les délits créés aux sections du code pénal consacrées aux atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité physique. Le Sénat dilue ainsi la portée de notre vote audacieux de l’an dernier. Je proposerai donc un amendement de réécriture de l’article 1er qui reprendra intégralement la version que nous avions adoptée. C’est attendu par les associations de victimes et par la société tout entière. La déléguée interministérielle à la sécurité routière l’a réaffirmé il y a quelques mois : notre société et notre droit sont mûrs pour que l’on se dote de ce nouvel outil.
Article 1er (art. 221‑6, 221‑6‑1, 221‑6‑1‑1 [nouveau], 221‑6‑1‑2 [nouveau], 221‑7, 222‑19, 222‑19‑1, 222‑20, 222‑20‑1, 222‑20‑3 [nouveau], 222‑20‑4 [nouveau], 222‑20‑5 [nouveau], 222‑20‑6 [nouveau], 222‑21, 221‑8, 221‑11, 222‑44 et 222‑44‑2 [nouveau] du code pénal) : Création des infractions d’homicide et blessures routiers
Amendement de suppression CL1 de Mme Élisa Martin
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Il faut supprimer cet article, car il deviendra plus difficile pour les magistrats de qualifier les actes, sans contribuer à la lutte contre les violences routières – signalons au passage que la route la plus meurtrière en France est celle où les camions sont les plus nombreux.
Les familles victimes de ces accidents horribles se demandent comment en réduire concrètement le nombre, pour tenter de donner un sens à leur malheur. Les questions ne sont donc pas seulement juridiques : un grand pays comme la France peut-il accepter que le nombre de morts sur ses routes ne diminue pas ? En 1986, 7 000 personnes sont mortes sur les routes ; aujourd’hui, nous en sommes encore à plus de la moitié.
M. Éric Pauget, rapporteur. Moi non plus, je ne suis pas satisfait par la rédaction du Sénat. Toutefois, je suis défavorable à votre amendement de suppression, car son adoption empêcherait celle du mien, qui tend à rétablir l’article tel que nous avions adopté l’an dernier.
M. Philippe Schreck (RN). L’extrême gauche veut supprimer l’homicide routier, issu d’un vote sur lequel elle s’était abstenue en janvier 2024. Les auteurs de l’amendement évoquent successivement « des dispositions gratuites », « un glissement sémantique », « l’instrumentalisation du code pénal », l’inutilité du texte. Ils entretiennent en fait une incompréhensible complaisance pour le refus d’obtempérer et les rodéos. La conduite sous stupéfiants ne vous dérange pas, car vous êtes favorables à la légalisation des stupéfiants. La conduite sans permis ne vous dérange pas non plus, car le permis est une règle. En forçant le trait, un jour, vous nous proposerez l’abrogation du code pénal, afin qu’il n’y ait plus de délit ni d’infraction et qu’il ne reste que la prévention.
Allez dire à une mère qui marche derrière le cercueil de son fils tué par un récidiviste de la conduite sans permis et sous coke que cette loi est un glissement sémantique ! Allez lui dire que ce texte n'est que de la communication, alors que la dernière communication qui lui a été faite est l’avis de décès et d’obsèques de son fils ! Tout cela est indigne. Nous ne voulons pas une société d’irresponsables. Nous voterons donc contre cet amendement de suppression.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Certains propos dépassent les pensées. Monsieur Schreck, modérez vos propos. Vous ne connaissez rien des députés qui composent notre groupe. Certains sont aussi des victimes de la route. Je vous appelle à la décence pour la suite des débats.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL 40 de M. Éric Pauget et sous-amendements CL46 et CL47 de M. Pierre Meurin
M. Éric Pauget, rapporteur. Je vous propose de rétablir l’article 1er, tel qu’adopté l’an dernier en séance publique, afin de créer une infraction indépendante et autonome dans un chapitre dédié. C’est le cœur du texte. La version de l’article 1er adoptée par le Sénat en affaiblit la portée, en substituant à ce chapitre une section, dans la continuité de celles dédiées aux atteintes involontaires.
De plus, le Sénat a supprimé certaines circonstances aggravantes et des peines complémentaires. J’ai entendu les remarques de Philippe Schreck, d’Émilie Bonnivard et d’Emmanuelle Hoffman sur la circonstance aggravante liée à l’utilisation du téléphone. L’amendement fait référence à cette question, mais nous pourrons, le cas échéant, retravailler cette question avec les services de l’Assemblée dans la perspective de l’examen en séance publique.
M. Pierre Meurin (RN). Ces deux sous-amendements visent à substituer à la notion de consommation « volontaire » de substances psychoactive celle de consommation « manifeste ». En effet, les avocats que j’ai interrogés en tant que président du groupe d’études Sécurité routière m’ont expliqué qu’il risque d’être trop compliqué de prouver le caractère volontaire de la consommation. L’usage du mot « manifeste » simplifierait le travail des enquêteurs. Le confirmez-vous ? Je suis prêt à retirer mes sous-amendements, afin que nous puissions adopter cette proposition de loi à l’unanimité. J’en profite pour vous remercier pour votre travail, monsieur le rapporteur.
M. Éric Pauget, rapporteur. Si nous supprimons le mot « volontaire », nous retirons la pierre angulaire de notre projet, qui consiste à qualifier de manière spécifique une action volontaire ayant conduit à une infraction avec des conséquences involontaires.
En outre, si nous supprimons le mot « volontaire », comment traiterons-nous la spécificité du cas d’une personne droguée contre sa volonté – avec la drogue du violeur, par exemple –, et qui, après avoir pris le volant, a un accident ?
M. Pierre Meurin (RN). Vous m’avez convaincu. Je retire mes sous‑amendements.
Les signataires de l’amendement de suppression défendu à l’instant indiquent, dans leur exposé sommaire, que « le code pénal n’est pas voué à être modifié au gré de l’émotion de l'opinion publique ». Pourtant, la gauche fait un commerce permanent des émotions, comme l’ont montré les manifestations de dimanche dernier contre l’islamophobie. Vous n’aimez l’émotion que quand elle vous arrange, que vous pouvez la récupérer dans une perspective électoraliste ou pour légaliser la drogue. Vous êtes parfaitement incohérents.
Mme Sandra Regol (EcoS). M. Meurin n’a pas pensé aux conséquences qu’aurait la substitution du mot « manifestement » au mot « volontairement ». Elle aggraverait encore la situation des femmes victimes de la drogue du violeur. L’impact de ces mesures pour les femmes ne compte pas beaucoup pour vous.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Je précise que dans certaines circonstances, l’usage du téléphone en voiture peut être vital. En outre, après des décennies de prévention, nos concitoyens ont pleinement intégré l’interdit de la conduite alcoolisée, mais la question de l’usage du téléphone en voiture est différente, car elle fait l’objet d’une certaine hypocrisie. En effet, le kit mains libres permet de téléphoner au volant alors même que c’est interdit, et que les assurances refusent la prise en charge des dommages si le conducteur utilisait un tel kit au moment de l’accident. Nous n’avons pas suffisamment clarifié les choses pour nos concitoyens, notamment concernant l’utilisation d’un tel kit. Cela les place en grande difficulté.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Ce n’est pas parce que nous nous opposons à la surpénalisation de ces comportements que nous souhaitons les autoriser. C’est comme si nous accusions le Rassemblement national de vouloir légaliser le détournement de fonds public au motif que certains de ses membres en ont été reconnus coupables.
La conduite à risque comprend la conduite sous l’emprise de stupéfiants ou d’alcool, mais également sous l’empire de médicaments psychotropes – dont les Français comptent parmi les plus grands consommateurs au monde. Les boîtes d’anxiolytiques mettent par exemple en garde contre le danger de la conduite sous l’influence de tels médicaments qui altèrent la concentration, et les réflexes. Or, en cas d’accident, il revient au juge de juger les automobilistes qui conduisent sous l’effet de ces substances.
Le biais qui tord cette proposition de loi est de ne pas laisser au juge la possibilité d’évaluer lui-même le caractère intentionnel des faits et la responsabilité de celui ou de celle qui est à l’origine de l’accident.
Par ailleurs, la fatigue, qui est un élément très aggravant en ce qu’elle perturbe la perception et les réflexes, n’est pas prise en compte. Vous vous concentrez sur l’alcool et les substances psychotropes. Le texte qui nous est proposé pourrait être élargi.
La commission adopte l’amendement et l’article 1er est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements suivants tombent.
Article 1er bis A (nouveau) (art. 502, 512 et 513 du code de procédure pénale) : Information des parties civiles
La commission adopte l’article 1er bis A non modifié.
Article 1er ter (art. 222‑44 du code pénal) : Allongement de la durée maximale de l’annulation ou de la suspension du permis de conduire encourue en tant que peines complémentaires pour les atteintes volontaires
Amendement de suppression CL2 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Le plus important pour atteindre l’objectif de la proposition de loi, c’est la prévention, notamment à l’école. Il ne s’agit pas d’une lubie d’un membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation : l’école étant obligatoire, elle est l’outil institutionnel le plus efficace pour toucher l’ensemble de nos concitoyens et de nos concitoyennes.
Notre collègue Molac a évoqué les messages de prévention au sujet de l’alcool au volant, notamment le fameux « boire ou conduire, il faut choisir », qui date de 1977. Ce message a été remplacé en 1984 par « un verre, ça va, deux verres, bonjour les dégâts » – en tout cas c’est ce qu’on a retenu, alors qu’il était question de trois verres, en réalité.
L’école est aux avant-postes pour faire évoluer la société, notamment en ce qui concerne les produits consommés et les attitudes qui doivent permettre d’éviter les accidents meurtriers. L’éducation en la matière doit se faire dès le plus jeune âge, et notre groupe préconise par ailleurs l’accès au permis de conduire pour tous les jeunes de 18 à 25 ans, d’une façon largement subventionnée ou même avec une prise en charge intégrale par la puissance publique. Qu’il s’agisse de la conduite ou d’autres questions, nous considérons que les actes éducatifs doivent être privilégiés.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. Cet article, dont nous avons débattu en première lecture, permettra de rendre cohérentes les peines actuellement prévues. La durée de la peine complémentaire d’annulation ou de suspension du permis de conduire est, en l’état du droit, plus importante pour les atteintes involontaires que pour celles volontaires. Nous devons corriger cette incohérence.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL41 de M. Éric Pauget et CL8 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
M. Éric Pauget, rapporteur. Je vous propose, comme à l’article 1er, de revenir à la rédaction que nous avions adoptée en première lecture. Nous avions porté à dix ans la durée maximale de la période pendant laquelle le permis de conduire peut être suspendu en cas d’atteinte volontaire à l’intégrité physique. Nous traiterons ainsi le point abordé par l’amendement de M. Schreck.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ce texte, qui nous est présenté comme symbolique et qui viserait à atténuer la peine des victimes et des familles, change en réalité la nature des peines au sens du code pénal. Comme d’habitude, vous ne cherchez pas à répondre en faisant de la prévention, au sens large du terme – des évolutions concernant l’aménagement des routes et la place des camions pourraient notamment jouer un rôle déterminant. Vous proposez un alignement et une même surenchère sur le plan pénal.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis heureux de vous entendre dire que le texte n’a pas seulement une portée symbolique ou sémantique. Il comporte en effet des mesures qui permettront de raffermir la réponse apportée par la justice.
L’amendement CL8 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL41.
Elle adopte l’article 1er ter modifié.
Article 1er quater (supprimé) (art. L. 421‑2 [nouveau], L. 755‑1, L. 765‑1 et L. 775‑1 du code pénitentiaire) : Prévention de la récidive des violences routières et des conduites addictives dans le cadre du parcours de réinsertion des personnes détenues condamnées en raison d’un homicide ou de blessures routiers
Amendement CL42 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir un article important de la proposition de loi, qui a pour objet de prévenir la récidive des violences routières en cas de consommation de stupéfiants, facteur significatif en matière d’accidents de la route.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Cet article porte sur des décisions qui peuvent déjà être prises par les magistrats : en pareil cas, ils peuvent retirer le permis de conduire, ce qui est bien normal, et les personnes concernées ne pourront le repasser ou le récupérer qu’à un certain nombre de conditions.
On ne parle jamais des addictions, en particulier à l’alcool – car le jaja, ça y va ! –, ce qui finit par être problématique. Le slogan « un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts » a même été adopté à l’instigation du lobby des producteurs de vin.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 1er quater est ainsi rétabli.
Article 1er quinquies (art. L. 121‑6, L. 121‑7 [nouveau], L. 143‑1, L. 412‑1 et L. 413‑1 du code de la route) : Délictualisation de l’infraction de dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h
Amendement CL43 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Je vous propose de supprimer plusieurs dispositions du présent article, qui sont un peu redondantes avec des dispositions déjà adoptées à l’article précédent et posent, en outre, un problème d’articulation puisque cela n’est pas articulé avec la peine d’amende. Sur le fond, c’est une bonne idée de prévoir un stage obligatoire de sensibilisation pour prévenir la récidive : c’est l’esprit de ce que nous venons de faire à l’article 1er quater.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL3 de Mme Élisa Martin
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous considérons, une fois encore, qu’il faut laisser la justice instruire ces cas comme il se doit dans un État de droit, notamment dans le respect du principe du contradictoire. Par ailleurs, le véhicule est en règle générale immobilisé quand on a commis des actes de cette nature. Vous faites de la surenchère pénale.
À défaut de chercher à faire de la prévention de manière structurelle, soit on se place sur le plan pénal, soit on adopte des dispositions plus « symboliques ». Or, dans ce domaine comme dans d’autres, l’aggravation des peines ne réglera rien : cela n’empêchera pas un seul accident.
M. Éric Pauget, rapporteur. Une fois de plus, vous voyez bien que cette proposition de loi n’est pas seulement cosmétique ou symbolique : elle prévoit des mesures beaucoup plus fermes.
Avis défavorable à cet amendement qui supprimerait quasiment le présent article. Quand quelqu’un dépasse de 50 kilomètres à l’heure la vitesse autorisée, la délictualisation est normale. C’est ce que nous avions décidé en première lecture.
Mme Sandra Regol (EcoS). J’ai du mal à voir ce qu’apporterait une telle délictualisation. Alors que l’objectif est de faire suffisamment peur pour éviter la récidive, nous perdrions la progressivité actuelle. Je vous rejoins s’agissant de la nécessité de réprimer très durement un dépassement de 50 kilomètres à l’heure de la vitesse autorisée, mais ne pourrait‑on pas réfléchir au cumul d’une amende, de la confiscation du véhicule et du retrait du permis de conduire afin de s’assurer que les personnes concernées ne mettent plus en danger la vie des autres ? La question de la délictualisation est totalement absconse pour les trois quarts des gens.
M. Éric Pauget, rapporteur. Nous en avons débattu en première lecture, à l’initiative d’Anne Brugnera. L’idée est simple : il s’agit de pas attendre la récidive, afin d’exercer un effet dissuasif, pour qualifier de délit un dépassement de 50 kilomètres à l’heure de la vitesse maximale autorisée. Sur une route départementale où la vitesse est limitée à 90 kilomètres à l’heure, cela signifie rouler à plus de 140 kilomètres à l’heure. En cas de récidive, le juge pourra appliquer des peines plus fortes, comme le droit le permet pour tous les cas de récidive, mais nous devons d’emblée envoyer un signal.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 1er quinquies modifié.
Article 2 (art. 1018 A du code général des impôts, 131‑22, 132‑16‑2, 222‑44 et 434‑10 du code pénal, 398‑1 et 706‑176 du code de procédure pénale, L. 123‑2, L. 224‑14 et L. 232‑3 du code de la route, L. 4271‑4 du code des transports, L. 4741‑2 et L. 4741‑11 du code du travail et L. 1114‑2 du code de la santé publique) : Coordinations découlant des dispositions de l’article 1er
Amendement de suppression CL4 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Il serait bon de ne pas prêter à notre collègue Élisa Martin des propos qu’elle n’a pas tenus lors de la discussion générale. Nous n’avons jamais considéré que cette proposition de loi était cosmétique. En revanche, nous regrettons qu’elle obéisse à une opinion – nous ne disons pas qu’il ne faut pas en tenir compte mais que l’opinion ne doit pas tout gouverner.
Il ne nous paraît pas opportun que le législateur rende la justice : elle appartient aux juges, conformément au principe de la séparation des pouvoirs. Nous n’accepterions pas, de la même façon, que la justice fasse la loi à la place des députés. La surenchère pénale que vous pratiquez tend à déposséder, d’une certaine façon, le juge de sa propre appréciation de ces meurtres – c’est le terme que vous employez, les uns et les autres – en fonction des circonstances, sans que vos propositions apportent grand-chose aux victimes, que nous avons auditionnées. La peine qu’elles éprouvent a un caractère intime et ne relève pas de la loi, mais je ne laisserai personne dire que nous ne nous en préoccupons pas. Il y a parmi nous des collègues qui ont été confrontés à de tels malheurs. Il faudrait, pour la sérénité de nos débats, faire preuve de hauteur de vue.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’article 2 est un article de coordination avec les autres dispositions. Le supprimer priverait le texte de cohérence juridique. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL44 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement, toujours de coordination, fait suite à des ajouts du Sénat.
La commission adopte l’amendement et l’article 2 est ainsi rédigé.
Article 3 (art. L. 232‑4 [nouveau] du code de la route) : Examen médical obligatoire pour tout conducteur impliqué dans un accident de la route ayant causé un homicide routier ou des blessures routières avec une ITT supérieure à trois mois
Amendement de suppression CL5 de Mme Élisa Martin
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Cet article ne nous paraît pas à la mesure des situations que vivent les victimes ni raisonnable car il tend à faire financer la médecine légale par les auteurs des faits. Dans ce cas, pourquoi ne pas aller jusqu’à imaginer qu’un meurtrier finance lui-même l’autopsie de sa victime ? M. Darmanin voudrait déjà que les prisonniers participent au financement de leur propre incarcération. Certaines choses doivent relever d’un financement public et il existe d’autres façons de sanctionner ceux qui se sont rendus responsables de ce type d’accidents.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. Votre amendement supprimerait intégralement la réalisation d’examens médicaux pour vérifier si une personne est apte à conduire après avoir causé un accident grave. C’est une mesure de bon sens, qui avait été introduite en première lecture par notre ancienne collègue du groupe Modem Élodie Jacquier-Laforge.
M. Fabien Di Filippo (DR). Permettez-moi de souligner les contradictions dans lesquelles s’empêtrent les collègues de La France insoumise. L’idéologie, c’est très bien mais elle peut provoquer certains accidents quand elle se heurte au réel. Nos collègues se défendent d’avoir dit que la proposition de loi était purement cosmétique, mais l’exposé des motifs de cet amendement montre bien qu’ils la réduisent à cette dimension.
Par ailleurs, ils font de la prévention et de l’éducation leur cheval de bataille, mais quand quelqu’un est impliqué dans un accident de cette gravité, qui a parfois une dimension toxicologique, un examen médical doit être fait dans de bonnes conditions, à la charge de la personne concernée et non de la société. Cela peut être l’occasion de relever des addictions et des pathologies qui conduiront fatalement la même personne, à un moment, à la récidive. Nous sommes souvent confrontés dans nos fonctions à des gens qui viennent nous voir parce qu’ils ont perdu leur permis, et pas une seule fois ou deux : or, ils n’entrent jamais dans un parcours de soins. Il faut que ces personnes aient conscience de leurs actes, qu’elles se prennent en charge et qu’elles fassent la démarche d’entrer dans un parcours de soins.
S’il n’existe pas de problème de ce côté, la question sera écartée mais une telle démarche permet parfois de se rendre compte qu’il existe un terreau en matière d’addictions, qui met en danger la vie de bien d’autres personnes par la suite.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Nous entendons la remarque que vous avez faite, monsieur le rapporteur, et nous retirons donc l’amendement. Nous pourrons en redéposer un autre en séance pour traiter la question soulevée par Élisa Martin, c’est-à-dire la prise en charge par les auteurs des accidents.
L’amendement est retiré.
Amendement CL45 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement de coordination vise à tirer les conséquences des modifications apportées à l’article 1er.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL29 de M. Pierre Meurin
M. Pierre Meurin (RN). Cet amendement un peu technique tend à assouplir le délai dans lequel le conducteur doit se soumettre à un examen médical. Son état de santé ou les possibilités de rendez-vous ne permettent pas forcément de respecter un délai de soixante‑douze heures. Cette évolution ne posera aucune difficulté car le permis de conduire restera suspendu tant que l’examen médical n’aura pas été réalisé.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je comprends et même je partage votre intention, mais la notion de délai raisonnable pose un problème. Est-ce, en droit, une semaine, un mois ou un an ? Je vous propose de réécrire cet amendement : vous pourriez peut-être demander que l’examen soit réalisé dans les soixante-douze heures suivant le moment où l’état de santé de la personne le permet, ce qui cadrerait un peu les choses. En l’état, demande de retrait.
M. Pierre Meurin (RN). Je vais en effet retirer l’amendement. Je n’étais pas tout à fait l’aise avec l’expression « délai raisonnable » et vous venez d’apporter la solution au problème.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 3 modifié.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
M. le président Florent Boudié. Merci, monsieur le rapporteur, pour votre persévérance. J’ai une pensée pour une jeune fille de quatorze dont la vie a été fauchée à quelques kilomètres de mon domicile l’été dernier.
Information relative à la Commission
La Commission a désigné Mme Naïma Moutchou, rapporteure sur la proposition de résolution européenne visant à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions à l’environnement (n° 913).
La séance est levée à 12 heures 30.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, M. Rodrigo Arenas, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Fabien Di Filippo, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, Mme Émeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, Mme Sarah Legrain, M. Roland Lescure, M. René Lioret, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann, M. Jiovanny William
Excusés. - M. Yoann Gillet, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Naïma Moutchou, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne
Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Meurin, Mme Sophie-Laurence Roy