Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen de la proposition de loi visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité (n° 1415) (Mme Brigitte Barèges, rapporteure) 2
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à renforcer les prérogatives des officiers de l’état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés (n° 1008) (M. Éric Michoux, rapporteur) 16
– Suite de l’examen de la proposition de loi visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité (n° 1415) (Mme Brigitte Barèges, rapporteure) 34
– Examen de la proposition de loi visant à instaurer une participation des détenus aux frais d’incarcération (n° 1409) (M. Éric Michoux, rapporteur) 35
– Informations relatives à la Commission................ 55
Lundi
16 juin 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 79
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
président
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La séance est ouverte à 15 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission examine la proposition de loi visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité (n° 1415) (Mme Brigitte Barèges, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. Nous examinons aujourd’hui les quatre propositions de loi relevant de notre commission inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe UDR le 26 juin, en commençant par celle déposée par M. Éric Ciotti et les membres de son groupe le 13 mai dernier.
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. Le droit à l’éligibilité est une conquête fondamentale du citoyen, indissociable de l’affirmation de notre régime républicain. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 établit ainsi que « tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Notre histoire républicaine s’est construite sur un assouplissement progressif des conditions de l’éligibilité, jusqu’à ce que l’ordonnance de 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France, après la Libération, dispose que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
L’article L. 44 du code électoral, lui, prévoit que « tout Français et toute Française ayant la qualité d’électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».
Des restrictions s’appliquent en effet au droit à l’éligibilité.
D’après l’article 131-26 du code pénal, le juge peut ainsi prononcer une peine complémentaire d’inéligibilité. Le législateur a d’ailleurs cherché à systématiser le prononcé de ces peines. Ainsi, les lois du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 », et du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique ont rendu la peine d’inéligibilité obligatoire pour de nombreuses infractions. Sont concernés les atteintes à la probité mais aussi les faits de violences volontaires et d’agressions sexuelles, les discriminations ou les actes de terrorisme. Le périmètre est donc très large.
Avant 2017 et l’entrée en vigueur de ces lois, on recensait seulement trente à quarante condamnations de ce type par an, pour des actes de terrorisme ou d’escroquerie. Depuis, nous sommes passés de 1 765 condamnations en 2017 à 13 545 en 2023. En 2024, sur 20 000 peines d’inéligibilité prononcées, à peine 1 000 l’ont été avec exécution provisoire. La peine d’inéligibilité obligatoire ne concerne qu’un tiers des cas prévus par la loi, dont 68 % dans le cadre de condamnations pour coups mortels. La part de l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité prononcées à l’encontre d’élus ou de prétendants à un mandat est très faible, de l’ordre de 5 à 10 % par an. Peut-être conviendrait-il, à l’occasion d’un prochain texte de loi, de s’interroger sur le périmètre de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité.
Les conséquences de ces peines d’inéligibilité sont majeures, à commencer évidemment par l’interdiction de se présenter à une élection.
Cette peine ne vaut en outre pas uniquement pour l’avenir : le code électoral prévoit en effet que les titulaires de mandats locaux condamnés à l’inéligibilité sont automatiquement déchus de leur mandat par le préfet, ce dernier ayant une compétence liée et étant de ce fait tenu par la décision du juge pénal. Cela vaut également pour les parlementaires nationaux, pour lesquels la déchéance du mandat est constatée par le Conseil constitutionnel, à la requête du bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, du garde des sceaux ou, en cas de condamnation postérieure à l’élection, du ministère public.
Ces conséquences ne valent toutefois pas uniquement pour des décisions judiciaires devenues définitives et passées en force de chose jugée. En effet, l’article 471 du code de procédure pénale prévoit la possibilité, pour le juge, de prononcer l’exécution par provision de la peine d’inéligibilité, c’est-à-dire l’exécution provisoire, en dérogation au principe traditionnel du droit pénal selon lequel le recours a un caractère suspensif.
Modalité ancienne d’exécution des peines avant toute condamnation définitive, l’exécution provisoire a été progressivement étendue. Ainsi, la loi du 10 juin 1983 a autorisé le juge à exécuter par provision les peines de substitution à l’emprisonnement. Le nouveau code pénal, entré en vigueur en 1994, a étendu cette possibilité aux peines privatives du droit d’éligibilité « par ricochet », selon les termes de Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
L’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité signifie que la personne concernée devient immédiatement inéligible, avant toute condamnation définitive. Elle entraîne également, en vertu d’une jurisprudence du Conseil d’État, la déchéance du mandat d’élu local, dans les mêmes conditions que pour une condamnation définitive. On observe là une différence de traitement par rapport aux parlementaires, puisque le Conseil constitutionnel considère que seule une décision devenue définitive peut entraîner la déchéance du mandat de parlementaire.
Ces conséquences majeures de l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité semblent avoir été mal appréciées et peu débattues par le législateur. Ainsi, les travaux parlementaires sur les lois de 2016 et 2017, qui ont systématisé les peines d’éligibilité, ne font à aucun moment mention de la possibilité d’une exécution provisoire. Comme l’a souligné M. Jean-Éric Schoettl dans une contribution à mes travaux : « Le Parlement n’a pas voulu expressis verbis que le juge pénal puisse prononcer l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité. Cette faculté n’a été conférée au juge que par ricochet, du fait d’une disposition transversale du code de procédure pénale. »
Mon groupe et moi-même considérons que l’exécution provisoire constitue une atteinte disproportionnée à plusieurs principes fondamentaux du droit pénal.
Elle porte tout d’abord atteinte au droit à un recours effectif, dans la mesure où l’exécution provisoire n’est susceptible d’aucun recours spécifique alors même qu’elle peut entraîner des conséquences irréparables pour les personnes condamnées. S’agissant d’une décision non définitive, susceptible par définition d’être remise en cause ultérieurement par le juge d’appel, cette atteinte au droit au recours apparaît disproportionnée. Cela est d’autant plus regrettable qu’un tel recours existe en matière de dommages et intérêts, à la fois devant le tribunal correctionnel et la cour d’assises.
Permettez-moi, pour vous permettre de mesurer les conséquences très concrètes de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, d’évoquer mon cas personnel. En février 2021, j’ai été condamnée à une telle peine en première instance, avec exécution provisoire. Du jour au lendemain, la ville et l’agglomération que je dirigeais ont perdu leur gouvernance et ont vu leurs projets et leurs chantiers paralysés pendant onze mois, soit un sixième de la durée totale du mandat municipal. J’ai évidemment perdu l’opportunité de me présenter aux élections départementales et régionales de 2021, sans même parler de la perte des revenus liés à mes mandats. En décembre de la même année, j’ai été relaxée par la cour d’appel. Le préjudice subi est toutefois irrémédiable.
Au-delà de mon cas personnel, cette pratique représente une atteinte irréparable à la vie démocratique. Les peines d’inéligibilité se distinguent en cela fondamentalement des autres peines complémentaires entraînant privation de droits.
Le deuxième argument s’opposant à l’exécution provisoire de telles peines est qu’elle constitue une atteinte à la présomption d’innocence dans la mesure où elle confère une force exécutoire normalement réservée à une décision définitive établissant la culpabilité. Cela ne peut qu’influencer la liberté de choix de l’électeur consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon laquelle le peuple doit pouvoir choisir librement ses représentants.
Cette exigence a été rappelée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 mars dernier faisant suite à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un élu mahorais. Le Conseil souligne à cette occasion que le juge, lorsqu’il décide de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, doit exercer un double contrôle de proportionnalité « sur l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la liberté de l’électeur ».
Or l’appréciation de cette atteinte à la liberté de l’électeur ne peut reposer que sur des critères politiques, qu’il s’agisse des prochaines échéances électorales, de leur importance relative pour la personne concernée ou de ses chances de réussite au regard des derniers sondages. Ces critères ne relèvent pas de l’office traditionnel du juge pénal : certains magistrats, procureurs généraux, entendus lors des auditions ont d’ailleurs fait état de leur gêne à motiver la proportionnalité de telles atteintes.
En conférant un tel pouvoir au juge pénal, nous le faisons sortir de son office de garant de la liberté individuelle pour en faire un arbitre de la vie démocratique. Cela représente une véritable atteinte au principe de séparation des pouvoirs consacré dans notre Constitution. Comme le relève M. Schoettl, « confier à un juge […] la mission de faire advenir la vertu en politique et ce de façon prétorienne […], c’est faire courir un immense risque à la démocratie ».
Il convient enfin de souligner que les magistrats entendus lors des auditions ont tous confirmé qu’ils ne voyaient aucun obstacle juridique à la suppression de l’exécution provisoire et que cette réforme aurait un impact limité, puisque seules 5 à 10 % des affaires seraient concernées. La Cour européenne des droits de l’homme n’a par ailleurs identifié aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel à cette suppression.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes. Compte tenu du nombre important de textes à examiner, le bureau de la commission a décidé, avec l’accord du groupe UDR, de limiter la durée des interventions à deux minutes.
M. Bryan Masson (RN). Cette proposition de loi corrige une anomalie juridique lourde de conséquences démocratiques : l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité avant même l’issue d’un éventuel appel. Cette situation permet de fait d’écarter un citoyen de la vie publique, alors même que la décision le condamnant n’est pas définitive. Cela va à l’encontre de la présomption d’innocence et dévoie le principe du double degré de juridiction.
Mme la rapporteure a elle-même subi concrètement l’injustice à laquelle elle propose de mettre fin. Alors maire de Montauban, elle a été sévèrement condamnée en première instance, en 2021, à une peine d’inéligibilité avec effet immédiat, perdant ainsi ses mandats de maire et de conseillère départementale, avant d’être relaxée en appel le 14 décembre 2021.
La démocratie repose sur la légitimité électorale, mais aussi sur l’équité procédurale. En permettant qu’une peine complémentaire aussi grave que l’inéligibilité prenne effet immédiatement, notre droit crée une distorsion du jeu électoral, une forme de bannissement politique anticipé. En excluant toute exécution provisoire de ces peines, cette proposition de loi rétablit l’équilibre entre la nécessaire répression des fautes et la protection des droits fondamentaux.
Pour ces raisons et parce que nous refusons que des décisions susceptibles d’appel puissent priver nos concitoyens du droit d’être candidat à une élection et empêcher les Français de voter pour le président ou la présidente de la République de leur choix, le groupe Rassemblement national votera en faveur de ce texte.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Être élu de la République n’est pas un privilège mais une responsabilité, un contrat d’honneur passé avec les Français. Lorsque l’on est chargé de faire la loi, on se doit de l’incarner, de la respecter scrupuleusement et de s’y soumettre avec rigueur.
Éric Ciotti et son groupe nous présentent pourtant un texte dont l’intention est limpide : placer certains élus au-dessus des lois. Nous savons que cette proposition de loi n’en est pas vraiment une, qu’elle constitue plutôt une déclaration d’amitié, voire d’allégeance, taillée sur mesure pour son amie Marine Le Pen, condamnée dans l’affaire des assistants parlementaires européens. Ironie du sort, celle qui dénonçait les faiblesses des sanctions, réclamant en 2013 l’inéligibilité à vie pour les élus condamnés, s’offusque désormais de leur application immédiate.
Ce n’est toutefois pas la justice qui empêche un élu de se présenter, mais ses propres actes. L’exécution provisoire de la peine n’est pas une faille du droit, mais une digue éthique et une question de principe : nul ne peut prétendre se présenter devant les Français alors qu’il a trahi leur confiance.
La loi « Sapin 2 » de 2016 et la loi de moralisation de la vie publique de 2017 sont nées en réponse à l’électrochoc causé par des scandales politico-financiers retentissants. Elles indiquent une chose simple : lorsqu’un élu est condamné pour atteinte à la probité, il doit être déclaré inéligible et cette inéligibilité s’appliquer immédiatement, sans délai, sans passe-droit, au risque dans le cas contraire de fragiliser nos institutions. Cette mesure a été débattue et adoptée dans notre hémicycle, puis validée par le Conseil constitutionnel. Elle respecte toutes les garanties de l’État de droit.
Cette proposition de loi nous rappelle que l’extrême droite aime parler d’ordre, de morale et d’exemplarité, mais choisit l’exception et préfère l’impunité quand ses propres responsables sont concernés.
Le groupe Ensemble pour la République votera donc résolument contre ce texte.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). « L’arme de l’inéligibilité devrait être utilisée avec beaucoup plus de rigueur », écrivait Mme Le Pen en 2012.
« Je salue une décision de justice qui sonne comme la fin d’un monde, la fin d’un vieux système », se réjouissait en 2023 Franck Allisio, député du Rassemblement national, à propos de l’inéligibilité avec exécution provisoire prononcée à l’encontre du maire de Toulon Hubert Falco, ouvrant la voie à sa collègue RN Laure Lavalette pour les élections municipales.
Mais cela, c’était avant que les magistrats, ne faisant qu’appliquer la loi, ne condamnent Mme Le Pen à une peine similaire, pour le détournement massif de fonds publics. Depuis, le RN parle de « démocratie française exécutée », d’une « intrusion dans le jeu électoral qui laissera une tache indélébile dans l’histoire de notre démocratie », sans parler de ses militants qui menacent physiquement les magistrats.
Cette condamnation, fondée sur des faits amplement caractérisés, aurait pour seul but d’empêcher Mme Le Pen de se présenter à la présidentielle. La justice, trop laxiste, fustigée chaque jour par l’extrême droite, devient tout à coup trop sévère lorsqu’elle s’applique au camp de Mme Le Pen et à ses intérêts électoraux.
Heureusement pour elle, son valet, M. Ciotti, nous propose de venir à sa rescousse avec sa proposition de loi « Marine Le Pen » qui exclut l’interdiction du droit de vote et l’inéligibilité du régime de l’exécution provisoire, le tout pour que Mme Le Pen bénéficie d’un texte plus favorable lors de son jugement en appel l’année prochaine.
Si ce texte avait proposé la création d’un recours contre l’exécution provisoire pour tous les justiciables, le débat aurait été plus intéressant ; mais vouloir mettre en place un régime d’exception pour faire de Mme Le Pen une citoyenne au-dessus des autres est inacceptable.
L’exécution provisoire est une pratique courante, que les justiciables condamnés par notre justice prétendument laxiste connaissent bien. Les tribunaux y recourent chaque jour massivement, pour les confiscations judiciaires, les suspensions de permis de conduire, pour 87 % des personnes jugées en comparution immédiate directement incarcérées à la fin de leur audience ou encore pour des interdictions professionnelles qui privent les condamnés de la possibilité de continuer à sévir dans le cadre de leur métier, même lorsqu’ils font appel. Cette possibilité est surtout utilisée pour les violents conjugaux condamnés à des peines d’interdiction de contact et de paraître au domicile de leur victime. Qui s’opposerait à l’exécution provisoire pour un conjoint ou un père violents, pour un policier ou un professionnel de santé harceleurs sexuels ou pour des employeurs et agents publics corrompus ? Personne.
Il n’est pas question pour nous de cautionner les basses manœuvres de M. Ciotti. L’extrême droite a les mains sales ; qu’elle reste tête basse.
M. Hervé Saulignac (SOC). En devenant législateur, je n’imaginais pas être un jour conduit à examiner une proposition de loi instaurant un privilège pénal pour des élus poursuivis pour des faits graves, et encore moins qu’une telle mesure émanerait de l’extrême droite ou de la droite extrême. Les mêmes qui dénonçaient il y a peu « ceux qui piquent dans la caisse » voudraient que les juges ne puissent plus prononcer d’exécution provisoire à leur encontre.
Force est de constater que, lorsque la loi s’applique à vous, vous dénoncez une justice politique, organisez des manifestations aux Invalides et déposez une proposition de loi à l’Assemblée pour tenter de vous protéger.
Nous avons reçu la charge de faire la loi. C’est un honneur et une grande responsabilité. Nous devons en faire bon usage au service des Français. Vous souhaitez quant à vous en faire bon usage au service de Marine Le Pen. Chacun appréciera.
En l’espèce, les magistrats n’ont pas décidé d’une exécution provisoire de la peine par caprice ou soif de punir. Tout, dans le code de procédure pénale, le code pénal et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, prévoit cette exécution provisoire, a fortiori pour une prévenue qui conteste non seulement les faits qui lui sont reprochés, mais aussi la compétence matérielle du tribunal.
Vous dites souvent que les Français veulent de la fermeté, de la probité, de l’efficacité. C’est tout l’objet de l’exécution provisoire que d’empêcher que les voies d’appel ne soient utilisées comme manœuvres dilatoires et que l’élection intervenant dans l’intervalle ne soit mise à profit pour récidiver. Par cette proposition de loi vous indiquez que, si vous le pouviez, vous utiliseriez la loi pour servir vos intérêts judiciaires et électoraux. Vous franchissez ainsi un palier dans la menace que vous représentez pour notre État de droit. Naturellement, le groupe Socialistes s’y opposera fermement.
M. Olivier Marleix (DR). Je souhaite en préambule rappeler l’attachement de notre groupe à ce que les atteintes à la probité, en particulier de la part des élus, soient sévèrement réprimées. Le respect de la probité est la condition sine qua non de la confiance dans la vie publique et politique. Or, je le rappelle, la condamnation dont il a été question est due à un détournement de fonds publics.
La proposition de loi appelle toutefois une véritable réflexion. Si l’exécution provisoire est une pratique relativement banale et fréquente dans notre droit pénal, et plutôt en matière criminelle que délictuelle – quoique –, la question de l’inéligibilité pose le problème particulier de l’absence de réparation possible. Le corollaire de l’exécution provisoire en première instance est que, si le jugement en appel infirme la décision initiale du tribunal, le justiciable a droit, aux termes de l’article 149 du code de procédure pénale, à une réparation financière payée par l’État. Or, pour le cas dont nous parlons, il n’existe aucune réparation possible. Comment réparer le fait qu’une personne qui aurait pu être élue présidente de la République ne puisse pas l’être faute d’avoir pu se présenter aux suffrages des Français ? Il serait plus équilibré d’attendre un jugement définitif en appel pour prononcer une peine d’inéligibilité avec toute la rigueur requise. Il ne devrait pas y avoir d’exécution provisoire sans réparation possible. C’est la ligne que suivra notre groupe.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Alors que nous examinons cette proposition de loi, nous fêterons demain l’anniversaire de l’annonce, par le parquet de Nice, de l’ouverture d’une enquête pour détournement de fonds publics contre Éric Ciotti.
Nous ne sommes toutefois pas dupes : ce n’est pas pour servir son cas personnel que cette proposition de loi a été déposée, mais surtout pour faire échec à la décision de justice qui a condamné Marine Le Pen à quatre ans d’emprisonnement et cinq ans d’inéligibilité pour un détournement de fonds publics de quelque 4 millions d’euros.
Une nouvelle fois, l’extrême droite, qui trouve la justice trop laxiste quand elle concerne le peuple, surtout s’il est arabe ou noir, la trouve au contraire trop dure lorsqu’elle les concerne, eux et leurs amis qui viennent de voler des millions d’euros d’argent public. Ils ne demandent pas la fin de l’exécution provisoire de manière générale, mais uniquement pour les peines d’inéligibilité, et pour eux seuls, ce qui montre bien qu’il s’agit en réalité de débattre d’un passe-droit pour permettre à des élus condamnés pour corruption de continuer à détourner l’argent public des Français et des Françaises, comme si de rien n’était, malgré les condamnations.
Bien évidemment, nous nous opposerons fermement à cette proposition de loi, car nous ne voulons pas une justice à la carte qui protège les puissants, mais une justice indépendante et impartiale, qui protège la société contre les puissants.
Pour conclure, faisant fi de tout sectarisme, je citerai Mme Le Pen : « Quand je réclame éthique et morale, je me l’applique à moi-même. Quand allons-nous tirer les leçons et mettre effectivement en place l’inéligibilité à vie pour tous ceux qui ont été condamnés pour des faits commis à l’occasion de leur mandat ? »
Il serait temps que l’extrême droite, pour une fois, mette en cohérence ses discours et ses actes.
Mme Maud Petit (Dem). Le texte que nous examinons n’a rien d’anodin. Il vise à rendre inapplicable l’exécution provisoire des peines portant privation du droit de vote ou du droit d’éligibilité. Quoi qu’on en dise, son unique objectif est de permettre à Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle de 2027, alors même qu’une décision de justice vient d’être prononcée à son encontre. Je le dis avec d’autant plus de gravité que nous avons assisté, à l’occasion de cette décision, à un déferlement d’attaques contre l’institution judiciaire. Nous ne l’acceptons pas.
Le texte a néanmoins le mérite d’ouvrir un débat important pour notre démocratie.
D’un point de vue philosophique, peut-on accepter sans méconnaître la présomption d’innocence que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité s’applique avant épuisement de toute voie de recours ? Cette interrogation a du sens, mais elle est dévoyée par les auteurs de la proposition. Leur réponse consiste à proposer une loi d’amnistie puisque la loi pénale plus douce a des effets rétroactifs.
Adopter ce texte serait un très mauvais signal envoyé aux Français, alors même qu’ils attendent plus de fermeté de la justice et expriment une défiance à l’égard des politiques. Pas moins de 64 % de nos compatriotes sont opposés à la suppression de l’exécution provisoire pour un élu condamné en première instance. Ils estimeraient que ce texte est fait par le législateur, pour le législateur.
En effet, le dispositif proposé concerne seulement l’inéligibilité. Or l’exécution provisoire est en réalité appliquée tous les jours par les tribunaux. Dans certains cas, il s’agit d’empêcher de violenter des enfants ; dans d’autres, de rendre visite pour la dernière fois à un proche mourant. Il ne doit pas y avoir d’exception dans la loi.
L’histoire récente a montré qu’il n’est jamais bon de légiférer sous la pression d’un événement ayant défrayé la chronique. Ainsi, la loi « Sapin 2 », adoptée après l’affaire Cahuzac, n’a pas été suffisamment réfléchie.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates votera contre ce texte.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Comme cela vient d’être dit, ce texte n’a rien d’anodin.
Premièrement, le champ de la peine d’interdiction des droits civiques, civils et de famille prévue à l’article 131-26 du code pénal est plus large que celui formé par les peines d’interdiction du droit de vote et d’inéligibilité visées par la proposition de loi. Selon cette dernière, les autres peines d’interdiction prévues par ledit article – à savoir le droit d’exercer une fonction juridictionnelle, de représenter ou d’assister une partie devant la justice, ou encore le droit d’être tuteur ou curateur – pourraient continuer à faire l’objet d’une exécution provisoire. On peut être en désaccord avec l’exécution provisoire, notamment, parce qu’elle n’est pas susceptible de recours. Mais, dès lors, pourquoi ne pas la supprimer pour l’ensemble des peines visées à l’article 131-26 ?
Il est indéniable que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, qui peut conduire le juge à démettre un élu en cours de mandat – et ce sans possibilité de recours –, a des conséquences démocratiques notoires. Il conviendrait de faire preuve de davantage de transparence en affichant plus clairement le but de cette proposition.
Deuxièmement, la loi, expression de la raison, est générale et impersonnelle. Or il est indéniable que la proposition de loi vise une affaire judiciaire en cours et aurait un effet sur celle-ci, en raison du principe d’application immédiate des lois pénales plus douces.
Le groupe Horizons & indépendants s’interroge donc sur la conformité du texte à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, laquelle dispose que « la loi est l’expression de la volonté générale ». Est-ce une loi d’amnistie ou d’autoamnistie ?
En conséquence, notre groupe votera contre cette proposition de loi.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Pour l’UDR, les peines très sévères sont destinées à tout le monde, sauf aux copains d’extrême droite. Pour l’UDR, il faudrait des peines planchers pour le peuple et des passe-droits pour les copains. Et, alors qu’il faudrait faire payer les détenus, la bourgeoisie de Saint-Cloud pourrait détourner de l’argent public tranquillement. Voilà, en résumé, l’état d’esprit de ce texte.
Vous ne vous contentez pas de revenir sur une mesure qui, à plusieurs reprises, a permis d’éloigner de la vie politique des personnes qui n’avaient pas respecté le droit et qui auraient pu continuer à ne pas le faire. Une fois de plus, vous souhaitez rejeter la responsabilité sur la justice – ce qui est aussi une manière de refuser d’assumer la vôtre lorsque vous êtes condamnés.
Lorsque vous scandiez que le problème de la police, c’est la justice, vous ne visiez pas seulement un prétendu laxisme de la justice. C’est l’ensemble de l’État de droit que vous voulez faire tanguer.
L’exécution provisoire permet de pallier la lenteur de notre système judiciaire, en évitant que des individus condamnés en première instance pour des faits graves utilisent la procédure d’appel à des fins purement dilatoires. L’exécution provisoire existe dans d’autres domaines et pour d’autres infractions. Elle est la règle en matière civile depuis 2019 et, en droit pénal, elle peut être prononcée pour des peines de prison ou des interdictions professionnelles. Rien ne justifie que les élus bénéficient d’un traitement plus favorable que les citoyens ordinaires.
Par ailleurs, prévoir qu’une juridiction de première instance ne saurait prononcer une exécution provisoire lorsqu’il s’agit de peines d’interdiction de vote et d’inéligibilité revient à ramener leurs jugements au rang de simple avertissement. Tel n’est pas leur objet.
Vous attisez la méfiance envers notre justice et notre système judiciaire pour satisfaire vos intérêts et ceux de vos alliés politiques. Vous allez aussi augmenter la méfiance envers les élus. Sans surprise, l’extrême droite fait de l’extrême droite. Nous voterons donc contre cette proposition de loi.
M. Éric Michoux (UDR). Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, les conséquences de l’exécution provisoire sont lourdes lorsqu’elle porte sur l’éligibilité. C’est pourquoi une réforme s’impose. Mme la rapporteure a elle-même été victime de cette exécution provisoire et elle sait de quoi il parle.
La mesure proposée protège les mandats et les élus. Elle évite des situations ubuesques où certains candidats ne peuvent pas se présenter à une élection en raison d’une exécution provisoire, alors même que la décision de première instance peut ensuite être infirmée en appel. Comme l’actualité des derniers mois l’a montré, l’exécution provisoire devient un outil davantage politique que judiciaire.
Le dispositif proposé sacralise la présomption d’innocence. Si les élus ne sont pas au-dessus des lois, ils ne sont pas non plus en dessous d’elles. Par ailleurs, l’application provisoire de l’inéligibilité signifie également que l’élu local est déchu de son mandat avant même que la condamnation soit devenue définitive.
Au-delà de la sphère parisienne, cette proposition s’adresse aussi et surtout aux élus locaux, régionaux, départementaux – dont évidemment les maires. Ces derniers sont les sentinelles de notre démocratie, et l’exécution provisoire de l’inéligibilité représente pour eux une véritable épée de Damoclès.
Alors que les prochaines élections municipales approchent, comment ne pas avoir une pensée pour tous ces maires et ces futurs maires, ces élus qui sont dégoûtés et qui abandonnent leur mandat ? Les maires sont les interlocuteurs directs de nos concitoyens. Ils sont chaque jour en prise directe avec la réalité. Comme le disait le président du Sénat, ils sont à portée de baffe.
La loi doit mieux protéger leur mandat ainsi que leur engagement. Nous faisons face à une véritable crise des vocations, qui se manifeste à tous les échelons de notre démocratie. Ce phénomène est particulièrement marquant s’agissant des mandats locaux. Il est urgent de redonner confiance aux élus et de conforter leur mandat.
Chers collègues, je vous invite à abandonner ce théâtre politicien et à soutenir cette proposition sincère et issue du terrain.
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. Il est utile de rappeler que nous ne parlons que de l’exécution provisoire. Il n’est pas question de revenir sur les lois, qui ont durci à juste titre les peines inéligibilité, et de façon très large.
Premièrement, le texte ne vise pas seulement les élus. Il concerne toutes les personnes qui peuvent faire l’objet des peines prévues par l’article 131-26 du code pénal, c’est-à-dire celles qui sont reconnues coupables de violences volontaires, d’agression sexuelle, de discrimination, d’escroquerie, d’abus de confiance, d’actes de terrorisme, de concussion, de corruption active et passive, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt mais aussi d’atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession. Il concerne également les personnes coupables de certaines entraves à la justice, de faux et d’usage de faux, d’inscription sur une liste électorale sous un faux nom ou une fausse qualité, d’atteinte aux opérations électorales, de soustraction frauduleuse au paiement de l’impôt, d’atteinte à la transparence des marchés financiers, de certaines infractions liées à la gestion de sociétés à responsabilité limitée, de violation des règles relatives au financement ou au déroulement des campagnes électorales, de violation des obligations déclaratives vis-à-vis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et de participation à une association de malfaiteurs.
Certains disent à tort que la proposition de loi est faite pour les élus. Pas du tout. Il est clair qu’elle concerne l’ensemble des infractions susceptibles de faire l’objet d’une peine complémentaire, désormais obligatoire, d’inéligibilité.
Deuxièmement, je pense comme vous que les élus doivent être des modèles de probité. Je ne remets absolument pas en question les deux lois Sapin, dont l’une est due à l’affaire Cahuzac. Je comprends que certains pensent à une personnalité en particulier, mais essayons de faire œuvre de législateur. Nous sommes élus pour écrire la loi.
Le 27 décembre 2024, le Conseil d’État a considéré que le législateur « ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit […] que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
Le Conseil constitutionnel a quant à lui estimé, le 28 mars 2025, que « sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que [l’exécution provisoire] est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
Enfin, s’agissant de l’affaire concernant M. Hubert Falco, la Cour de cassation a confirmé le 28 mai dernier la peine de cinq ans d’inéligibilité prononcée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Mais elle a annulé l’exécution provisoire dont les juges du fond avaient assorti cette peine.
L’ensemble des plus hautes instances juridictionnelles ainsi que les plus éminents juristes, comme Jean-Éric Schoettl, estiment que cette exécution provisoire est une aberration contraire aux grands principes du droit pénal. Parmi ceux-ci figurent le double degré de juridiction et le respect de la présomption d’innocence jusqu’à ce que la condamnation soit définitive. L’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité peut occasionner un préjudice irrémédiable dans le cas où elle est annulée par la cour d’appel. Nous devons avoir tout cela à l’esprit. Essayons de nous abstraire des arrière-pensées politiciennes pour nous concentrer sur la philosophie juridique de ce texte.
Je suis avocate et je sais qu’en matière civile l’exécution provisoire permet très souvent d’accélérer l’exécution de décisions qui ne posent pas de problème ; mais elle n’en reste pas moins une exception en droit pénal. Son application à des peines d’inéligibilité n’avait d’ailleurs pas été envisagée lors des débats sur les lois Sapin : elle résulte plutôt de la combinaison d’articles. La Cour de cassation elle-même a estimé que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation. En effet, une telle décision peut avoir des conséquences irréparables dans le cas où elle est ensuite infirmée par la cour d’appel.
Article unique (art. 131-26 du code pénal) : Inapplicabilité de l’exécution provisoire pour les peines d’interdiction du droit de vote et d’éligibilité
Amendements de suppression CL1 de M. Hervé Saulignac, CL4 de M. Emmanuel Duplessy et CL8 de Mme Émeline K/Bidi
M. Hervé Saulignac (SOC). J’ai écouté attentivement les arguments avancés pour justifier cette proposition. Si les plus hautes juridictions ont parfois émis des avis, les Français en ont aussi – et ils sont souvent diamétralement opposés. Vous nous expliquez que les conséquences de l’exécution provisoire sont lourdes. Mais ce sont les détournements de fonds à hauteur de plusieurs millions qui pèsent dans l’esprit des Français. Ils ne comprendraient pas que nous épargnions l’exécution provisoire à des élus, alors mêmes que ceux-ci font preuve d’un déni complet et ne mesurent pas la gravité des faits dont ils sont responsables.
Dans votre argumentaire, vous avez été jusqu’à convoquer la crise des vocations des élus locaux. Elle ne résulte pas des risques d’exécution provisoire de décisions de justice, mais bien du comportement de certains élus, lequel ne donne pas envie d’appartenir à la trop grande famille, hélas, des élus de la République qui se vautrent dans des actes délictuels qu’ils ont pourtant toujours dénoncés.
Nous pensons donc que cette proposition de loi et son article unique méritent de finir à la place qu’ils méritent, c’est-à-dire à la poubelle.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). À quoi sert l’exécution provisoire ? À prévenir de nouvelles atteintes à la probité. Pourquoi les juges ont-ils jugé pertinent d’assortir la peine de Marine Le Pen d’une exécution provisoire ? Parce que le détournement de fonds publics est devenu un véritable sport national à l’extrême droite. Chaque semaine, une nouvelle affaire concernant le RN, l’UDR et leurs alliés est rendue publique.
Tantôt c’est Éric Ciotti, qui magouille dans les Alpes-Maritimes pour faire payer ses frais et le salaire de ses collaborateurs par le département ; puis c’est Bardella, qui tente de faire rémunérer son directeur de cabinet au parti par le Parlement européen, alors qu’il n’y met jamais les pieds ; de nouveau c’est Éric Ciotti, qui a fait hospitaliser sa mère pendant dix-huit ans dans un service de soins réservé à des séjours de courte durée – coût estimé pour la sécurité sociale : 500 000 euros. Nouveau scandale avec Andréa Kotarac, qui se faisait payer par le Parlement européen alors qu’il était le porte-parole de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022. Et je ne cite que quelques exemples, parce que la liste complète est trop longue pour le temps qui m’est imparti.
L’extrême droite propose une loi d’exception pour protéger son clan et ses privilèges. Quand elle est encadrée, l’exécution provisoire répond à une exigence d’équilibre entre les libertés fondamentales et les intérêts de la société. Elle est décidée par un juge au terme d’un débat contradictoire, en tenant compte des droits de la défense. Modifier ce dispositif pour favoriser les puissants reviendrait à entériner une justice à deux vitesses.
Le premier pas qui permet d’éviter la récidive consiste à comprendre que l’on a fauté. Pendant des mois, le Rassemblement national a expliqué qu’il n’avait pas détourné 4,5 millions mais seulement fait une erreur comptable. Ce déni montre qu’il existe un risque de récidive, ce qui justifie l’inéligibilité.
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité ne porte pas atteinte à un droit fondamental. Au contraire, elle a été instaurée car elle constitue un outil de protection de l’ordre public et de l’intégrité électorale. L’éligibilité n’est pas un droit inconditionnel et absolu, de même que l’exercice du droit de vote suppose notamment de ne pas être privé de ses droits civiques.
Cette proposition du groupe UDR va à rebours des évolutions opérées ces dernières années, car elle repose sur la conception selon laquelle les élus ne seraient pas des justiciables comme les autres. Vous proposez un retour en arrière. Alors que nous vivons une période de très grande défiance à l’égard des élus, votre texte ne ferait que l’aggraver.
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. Encore une fois, l’exécution provisoire n’est pas une peine. La peine définitive finira par être prononcée et exécutée. L’exécution provisoire, elle, intervient pendant dans une période transitoire qui peut durer quelques mois, entre la décision de première instance et celle prise en appel. Or vous voulez faire de l’exécution provisoire une peine principale. Cela ne correspond pas à la volonté du législateur.
L’objectif de ce texte est donc de souligner que l’exécution provisoire constitue une atteinte disproportionnée au droit à l’éligibilité, à la présomption d’innocence, au droit à un recours effectif et à la liberté de l’électeur de choisir ses représentants – même si l’objet du texte, je le répète, n’est pas limité aux élus. Ces principes ont tout autant valeur constitutionnelle que la préservation de l’ordre public.
L’exposé sommaire de l’amendement CL1 évoque Mme Le Pen. Je me permets de rappeler que votre rapporteure a été la première victime de la violence de l’exécution provisoire. C’est donc d’expérience que je peux témoigner des excès de ce dispositif.
Chaque année, environ un millier de peines d’inéligibilité sont assorties d’une exécution provisoire. Je n’ai malheureusement pas pu trouver de données sur la part de celles qui étaient remises en cause à l’occasion d’un recours. Mais les travaux que nous avons menés en amont de l’examen révèlent la gêne de certains magistrats face à la responsabilité qui leur a été confiée par le droit actuel.
Le Conseil constitutionnel les appelle à apprécier la proportionnalité de l’atteinte au mandat et à la liberté de l’électeur causée par l’exécution provisoire – et non par la condamnation définitive. Je vous invite donc, une fois encore, à bien faire la distinction entre ces deux sanctions. Or les critères de motivation de telles décisions sont loin d’être évidents pour un juge pénal et ne correspondent pas à son office traditionnel. Faut-il prendre en compte l’importance des échéances électorales ou bien les chances de réussite de la personne en cause, par exemple au vu des sondages ? Est-ce le rôle du juge d’apprécier cela ? Telle est la véritable question qui est posée.
Nous voulons être jugés équitablement. Contrairement à ce qui a pu être dit, il ne s’agit pas d’instaurer une loi d’exception ou une justice de classe.
Une décision définitive d’inéligibilité a des conséquences lourdes, mais celles-ci ne doivent pas être le fait de l’exécution provisoire.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Avec cette proposition de loi, nos collègues du Rassemblement national et de l’UDR disent vouloir réparer une anomalie juridique.
Mais l’anomalie est en réalité démocratique : des députés ceints de l’écharpe tricolore nous expliquent qu’ils veulent se placer au-dessus de la loi et font des petits arrangements entre amis pour mettre la démocratie au pas.
J’entends parfaitement la distinction entre peine définitive et exécution provisoire, madame la rapporteure. Si l’exécution provisoire a été décidée, c’est en raison d’un risque avéré de récidive. D’ailleurs, dès le prononcé du jugement, les représentants du Rassemblement national n’ont cessé de répéter sur tous les plateaux de télévision que leur parti et Marine Le Pen avaient fait bonne utilisation des fonds du Parlement européen alors qu’il s’agit d’un détournement de fonds publics.
Vous proposez une loi d’exception et elle ne fait pas de vous de vrais patriotes.
Mme Maud Petit (Dem). Le groupe Dem s’abstiendra afin que les débats puissent se poursuivre.
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. J’espère, madame Thevenot, que nous sommes tous des patriotes au sein de cette assemblée et que vos propos ont dépassé votre pensée.
Ne faisons pas l’exégèse du jugement rendu contre Mme Le Pen. Essayons d’écrire un texte général, qui évitera peut-être des décisions aux conséquences très lourdes dans d’autres dossiers. Le prévenu doit bénéficier d’une présomption d’innocence intacte à toutes les étapes de la procédure.
Je ne parle évidemment pas du cas où il est dangereux ou de celui où existe un risque de fuite, de destruction de preuves ou de pression sur les témoins – critères qui permettent un mandat de dépôt. Dans le même ordre d’idées, on conçoit bien que l’exécution provisoire peut être justifiée en matière de délits routiers, la confiscation du permis de conduire d’un chauffard étant une mesure conservatoire destinée à prévenir un danger imminent.
Mais on ne peut pas dresser un parallèle avec ce type d’infractions pour justifier l’exécution pénale d’une inéligibilité. Cela n’a rien à voir. Nombre d’intervenants ont reconnu qu’il s’agissait d’une peine en soi, afin de punir avant même que la cour d’appel statue. Il est exact que les magistrats doivent justifier l’exécution provisoire par une décision spécialement motivée par la gravité de l’infraction. Mais il s’agit de fait d’une peine pour laquelle le recours n’a pas d’effet suspensif, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de notre procédure pénale.
J’insiste donc sur la nécessité de supprimer l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, ce qui, encore une fois, ne remet pas en question les lois « Sapin », lesquelles s’appliqueront dans toute leur rigueur en cas de condamnation définitive.
La commission adopte les amendements.
Après l’article unique.
Amendement CL9 de M. Bruno Bilde
M. Bruno Bilde (RN). La peine complémentaire d’inéligibilité est susceptible de priver la personne concernée de la possibilité de se porter candidate à une élection et, le cas échéant, d’être élue. Elle concerne ainsi tant le droit qu’a tout citoyen français de se présenter à une élection que la liberté de l’électeur d’élire le candidat de son choix.
Compte tenu de ces enjeux, le Conseil constitutionnel a dernièrement décidé de subordonner le prononcé par le juge de la privation du droit d’éligibilité à une appréciation préalable du caractère proportionné de l’atteinte qui en résulte pour l’exercice d’un mandat comme pour la préservation de la liberté de l’électeur.
Pourtant, aucun recours n’existe actuellement contre la décision du juge du fond, alors qu’elle est susceptible d’être réformée ou cassée. Dans une telle hypothèse, pendant toute la durée de l’instance d’appel ou de l’instance de cassation, la personne concernée se voit dans l’impossibilité de se porter candidate à une élection, tandis que les électeurs sont privés de la possibilité de l’élire, alors même qu’elle bénéficie pleinement de la présomption innocence.
Si la décision est par la suite invalidée, le dommage individuel et collectif qui en résulte est définitif et irréparable.
Pour cette raison, il convient d’introduire une voie de recours autonome, sur le modèle de celle existant en matière civile, afin de permettre un réexamen rapide de la mesure d’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. Cet amendement dessine une piste intéressante, soutenue par la Conférence nationale des procureurs généraux, que nous avons auditionnée. Il s’agirait de prévoir une voie de recours spécifique, sous la forme d’un référé auprès du premier président de la cour d’appel ou de la Cour de cassation, permettant d’apprécier si les conséquences de l’exécution provisoire sont manifestement excessives. Contrairement à ce qui a été dit, en effet, le débat n’a souvent pas lieu en première instance, où l’exécution provisoire est pourtant prononcée. La mesure proposée apparaît d’autant plus légitime qu’une telle voie de recours existe en matière civile pour le versement des dommages-intérêts. Je présenterai un amendement en ce sens lors de l’examen du texte en séance publique. Avis favorable.
M. Hervé de Lépinau (RN). Cet amendement de repli nous donne l’occasion de corriger une particularité du code de procédure pénale qui déroge au principe de la présomption d’innocence, puisqu’il n’existe pas formellement de voie de recours pour suspendre certaines mesures d’un jugement rendu en première instance. Pour les praticiens des prétoires du judiciaire, et plus particulièrement du pénal, c’est une incongruité car l’inéligibilité est une peine accessoire, et non pas principale. Généralement, en matière pénale, la peine principale est une amende et/ou une peine de prison. Il est possible, pour l’amende, de procéder à des consignations en présentant des garanties et, pour les peines privatives de liberté, de saisir le premier président de la cour d’appel, qui statue sur une demande d’élargissement. Pourquoi priverait-on de ces recours les peines complémentaires – qui ne se limitent pas à l’inéligibilité, car cela peut aussi concerner, par exemple, le permis de chasse, avec le retrait d’une arme qui aurait éventuellement participé à la commission des faits ? Devant ces nombreux cas, que nos concitoyens connaissent bien, ce serait vraiment faire œuvre de justice que de faire en sorte que la présomption d’innocence, reconnue plusieurs fois par le Conseil constitutionnel, soit totalement préservée par l’introduction d’une voie de recours de suspension, laquelle ne préjuge pas du fond. Saisissons cette occasion d’inscrire une avancée dans le code de procédure pénale.
Mme Maud Petit (Dem). L’amendement propose peut-être une très bonne solution sur le fond, mais je suis profondément gênée, sur la forme, par le fait que Mme Marine Le Pen et M. Julien Odoul, qui sont directement concernés par une récente décision de justice de cette nature, figurent parmi ses cosignataires. Il aurait mieux valu qu’ils ne le cosignent pas. Je ne le voterai donc pas.
La commission rejette l’amendement.
La réunion est suspendue de seize heures cinq à seize heures quinze.
*
* *
Puis, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à renforcer les prérogatives des officiers de l’état civil et du ministère public pour lutter contre les mariages simulés ou arrangés (n° 1008) (M. Éric Michoux, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. Le groupe UDR a choisi d’inscrire une proposition de loi déposée par le sénateur Stéphane Demilly le 11 décembre 2023 et adoptée par le Sénat le 20 février 2025.
M. Éric Michoux, rapporteur. « Bon sens républicain », « œuvre utile pour protéger les maires », « nécessaire clarification », « proposition de loi simple et logique » : voilà quelques-unes des déclarations accueillant la proposition de loi que nous examinons, déclarations que j’ai entendues lors des auditions que j’ai menées auprès des représentants de maires, notamment l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et l’Association des maires ruraux de France (AMRF).
Je les ai également recueillies auprès de M. Stéphane Wilmotte, maire UDI de la ville d’Hautmont, dans le Nord, au courage duquel je tiens à rendre hommage. Ce maire a en effet été attaqué en justice et a subi pressions et menaces multiples pour n’avoir fait que son devoir en refusant de marier un imam salafiste algérien, dont la mosquée avait été fermée pour apologie du terrorisme et qui était sous le coup d’un arrêté d’expulsion du territoire français.
La proposition de loi a précisément pour but de mettre fin à une situation « ubuesque », selon le mot même du président de la République. En tant qu’élus, nous en connaissons malheureusement tous, de ces situations où le maire est contraint de procéder à un mariage qu’il sait pertinemment être frauduleux et destiné exclusivement à régulariser le séjour de l’époux étranger – des situations où le premier magistrat de la commune est contraint de se rendre complice d’un détournement de la loi orchestré par l’époux étranger.
J’en prendrai un seul exemple : ces derniers mois, dans ma circonscription, à Montpont-en-Bresse, une maire a été obligée de marier Danielle, de santé fragile après un AVC, avec Fadi, un Tunisien avec lequel elle a une différence d’âge de quarante-deux ans, qui fait l’objet d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui n’a pas de logement ni de travail et qui a fait la connaissance de Danielle sur Facebook, où il l’a immédiatement demandée en mariage. Cette maire a tout simplement été abandonnée par les pouvoirs publics. J’aurais également pu évoquer le cas de Robert Ménard, à Béziers, ou celui, encore plus récent, de Mme la maire LR de Bourg-lès-Valence, Marlène Mourier.
Contraindre les maires à célébrer de tels mariages revient à décrédibiliser les institutions, à démoraliser les élus de terrain et à nourrir la défiance des citoyens à l’égard de la puissance publique. Légitimement, en effet, nos concitoyens ne comprennent pas comment il est possible que le maire, garant de l’ordre républicain dans sa commune, doive marier des personnes qui sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français. Ces situations démoralisent les maires qui y sont confrontés, qui hésitent souvent à se représenter lorsqu’ils deviennent les complices involontaires d’un tel détournement de la loi. Ce n’est pas moi qui fais ce constat, mais les représentants des associations de maires eux-mêmes.
La proposition de loi du sénateur Stéphane Demilly, du groupe Union centriste, vise à remédier à cette situation pour protéger nos maires. Lors de son dépôt, elle contenait un article unique dont l’objet est simple : interdire aux personnes de nationalité étrangère qui se trouvent en situation irrégulière sur notre territoire de contracter un mariage. Son objectif est tout aussi simple : mettre fin au détournement du mariage comme outil de régularisation et protéger nos maires.
Lors de son examen au Sénat, la proposition de loi a été enrichie de deux dispositions bienvenues : d’une part, obliger l’époux étranger à transmettre à l’officier de l’état civil tout élément lui permettant d’apprécier sa situation au regard de son droit au séjour ; d’autre part, renforcer les prérogatives du procureur de la République, notamment en allongeant d’un à deux mois le délai de l’enquête pour prouver l’absence d’intention matrimoniale des époux.
Cette proposition de loi est transpartisane : déposée par un sénateur centriste, elle est soutenue par le ministre de la Justice et a été largement adoptée par le Sénat. J’espère que nos débats seront apaisés et constructifs, à la hauteur de l’enjeu soulevé par ce texte, car nos maires, qui sont en première ligne, le méritent.
M. Hervé de Lépinau (RN). La finalité d’une loi est d’être applicable et appliquée. À ce titre, les lois ne sauraient se contredire entre elles ni accorder à ceux qui les enfreignent les mêmes droits qu’à ceux qui les observent. En France, lorsqu’un étranger épouse une personne française, il peut bénéficier de facilités de séjour et obtenir la nationalité française au bout de quatre à cinq ans, selon les cas. Ce droit est aujourd’hui exploité à des fins migratoires par certains individus ne respectant pas nos lois, avec le soutien d’associations telles que la Cimade, l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour (Ardhis) ou Les Amoureux au ban public. De nombreuses personnes étrangères détournent ainsi la formalité du mariage pour se maintenir sur le territoire national.
Bien que ce phénomène reste difficile à quantifier précisément, les chiffres du ministère de la Justice indiquent un doublement du nombre des enquêtes pour mariage frauduleux entre 2017 et 2022, en très grande majorité lié à des suspicions de mariage dits blancs ou gris. En première ligne, les maires sont de plus en plus nombreux à devoir célébrer des mariages impliquant des étrangers en situation irrégulière, sous peine d’être poursuivis pour discrimination ou empêchement illégal d’appliquer la loi au sens des articles 432-1 et 432-7 du code pénal. Le maire de Béziers risque ainsi jusqu’à cinq ans de prison et une peine d’inéligibilité pour avoir refusé de marier un Algérien sous OQTF, pourtant signalé par ce même maire aux services de l’État, qui n’ont pas procédé à son expulsion.
Le Rassemblement national donne l’alerte depuis de nombreuses années en dénonçant cette situation kafkaïenne. En 2023, nous avions déposé, avec mes collègues Hélène Laporte et Christophe Bentz, une proposition de loi visant à lutter contre les mariages impliquant des étrangers en situation irrégulière. Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit parfaitement dans cette logique. Nous soutiendrons donc son adoption rapide afin de protéger les maires qui refusent de participer au dévoiement du mariage et de mettre un terme définitif à cette pompe aspirante de l’immigration irrégulière.
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR). Le texte que nous examinons, issu de l’initiative du groupe Union centriste au Sénat, répond à une préoccupation réelle et largement partagée sur nos territoires : la difficulté que rencontrent de nombreux maires confrontés à des mariages impliquant des personnes en situation irrégulière et, parfois, à des soupçons de mariage simulé ou arrangé. Ce débat, relancé par des actualités récentes et la mobilisation d’élus locaux, traduit l’attente forte de nos concitoyens, mais aussi le désarroi de nombreux maires. Il n’est pas acceptable que ceux-ci se sentent abandonnés par le système lorsqu’ils souhaitent exercer leur vigilance.
Il était donc légitime que le Parlement se saisisse de cette question. Nous devons en effet garantir à la fois la protection de nos administrés, donner aux officiers d’état civil les moyens de détecter des situations problématiques et répondre à la demande d’accompagnement exprimée par les élus locaux. C’est dans cet esprit que nous saluons les avancées apportées par les articles 1er A et 1er B, qui permettent d’introduire davantage de souplesse et de discernement dans l’appréciation des situations. Ces mesures sont de nature à mieux protéger les personnes se trouvant en situation de vulnérabilité, tout en évitant de porter atteinte à la liberté matrimoniale, à laquelle nos concitoyens sont attachés. Certaines femmes sont encore contraintes d’accepter des mariages simulés ou arrangés.
En revanche, l’article 1er pose un problème majeur de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 20 novembre 2003, que « le respect de la liberté du mariage […] s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage l’intéressé ». Maintenir cet article exposerait donc la proposition de loi à une censure certaine. Sa suppression est donc, pour notre groupe, une condition indispensable à tout soutien au texte. Nous sommes favorables à des mesures qui protègent, mais nous refusons toute atteinte disproportionnée à la liberté matrimoniale. C’est ce juste équilibre que nous défendrons tout au long de l’examen de ce texte.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Avec ce texte, vous nous prouvez encore une fois que, malheureusement, les obsessions identitaires des droites, désormais unies dans leur diversité pour s’en prendre aux étrangers, n’ont plus de limites : après l’ignoble suppression du droit du sol à Mayotte présentée par le groupe de Laurent Wauquiez, ses anciens amis ciottistes et nouveaux alliés de Marine Le Pen s’attaquent désormais à ce qu’il y a de plus sacré : l’amour et le droit de former une famille.
De fait, cette loi dit qu’une personne, parce qu’elle est sans papiers à un moment donné – ce à quoi il peut y avoir de nombreuses bonnes raisons, comme le fait que les préfectures ne donnent pas les rendez-vous où ces papiers pourraient être délivrés –, serait indigne d’aimer et de fonder une famille, indigne d’un droit aussi élémentaire que celui de se marier. On savait, au moins depuis le mariage pour tous, que la droite ne respecte plus l’institution du mariage, mais vous passez maintenant un cap dans l’ignominie. Cette proposition transforme nos maires en agents de tri humain. Elle fait de l’état civil un poste-frontière, elle rompt avec l’universalité de la République – cette République qui ne classe pas les gens selon leur statut, mais qui les reconnaît tous comme égaux en dignité.
Ne soyons pas dupes : sous prétexte de lutter contre les mariages frauduleux – 406 seulement ont été signalés par le parquet en 2022, sur plus de 250 000 unions célébrées chaque année –, c’est l’amour qu’on suspecte. Les dispositions permettant de relever à deux mois renouvelables le sursis à la célébration du mariage sont particulièrement inquiétantes. Les étrangers sont déjà soumis à un contrôle très approfondi de leur vie intime dès lors qu’ils projettent de se marier avec une personne française : avec des visites à domicile, des auditions et des questions intrusives, leur vie est passée au peigne fin. Avec un tel texte, ces contrôles seront renforcés et étendus, et l’intrusion de l’administration dans la vie intime de nos concitoyens sera sans limites. On fait donc peser une suspicion généralisée sur les couples mixtes, sur les étrangers – or, chers collègues, pour sa robe, la mariée n’est pas obligée de choisir du blanc.
Ce texte est répugnant. Au nom de la liberté d’aimer, de la dignité humaine et de la République une et indivisible, le groupe La France Insoumise – Nouveau Front populaire s’y opposera de toutes ses forces.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cette proposition de loi est une nouvelle dérive de la droite et de l’extrême droite, qui ont, cette fois, décidé de s’attaquer au mariage et, avec lui, à nos principes républicains et constitutionnels. Ce texte veut supprimer la possibilité pour les étrangers en situation irrégulière de se marier, ce qui est parfaitement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et à nos engagements internationaux. C’est, aussi, parfaitement inutile, le mariage n’empêchant pas plus le préfet de prononcer une OQTF qu’il ne permet à un étranger d’obtenir un titre de séjour ou d’acquérir la nationalité française dans l’immédiat.
Le texte veut également renforcer les contrôles sur les mariages frauduleux, mais c’est également inutile, car notre arsenal juridique permet déjà de lutter contre les mariages simulés ou arrangés. Lorsqu’un maire a un doute, il doit saisir le procureur de la République, à qui il revient de décider, après enquête, si le mariage doit avoir lieu. C’est précisément la procédure qui a été suivie, voilà quelques semaines, à Bourg-lès-Valence, dans la Drôme, et qui a conduit le procureur à valider une union. La maire a néanmoins décidé d’aller à l’encontre de la décision du procureur, donc de se placer dans l’illégalité. C’est une faute
Cette proposition de loi n’est donc qu’un énième faux-semblant. Sous prétexte de vouloir protéger les maires, vous remettez en cause une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle. Sous prétexte de renforcer la lutte contre les mariages frauduleux, vous généralisez le soupçon contre certains couples en fonction de leur origine, de leur statut ou de leur situation sociale. Ce qui est en jeu n’est pas seulement le droit au mariage, mais aussi notre conception d’une République qui ne tolère pas l’instrumentalisation de l’état civil pour servir des postures politiques ou des réflexes identitaires, une République qui ne réécrit pas le droit au fil des peurs et des fantasmes. C’est pourquoi nous nous opposerons fermement à ce texte.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Ces derniers mois, plusieurs affaires ont mis en lumière l’absurdité et la schizophrénie de notre droit actuel. L’article 63 du code civil confie au maire la responsabilité de vérifier la réalité du consentement des futurs époux, afin d’empêcher les mariages forcés ou les mariages blancs ou gris, pratique frauduleuse destinée à régulariser par un faux mariage des personnes en situation irrégulière. Dans le même temps, les maires n’ont aucun levier, en cas de doute sérieux, pour suspendre ou refuser une union frauduleuse. Pire, ils peuvent même s’exposer à des sanctions judiciaires alors qu’ils n’ont fait qu’appliquer l’esprit de la loi avec discernement et intégrité. C’est totalement ubuesque. Cette situation aberrante crée une défiance légitime quant à la nécessaire cohérence de notre droit, une défiance envers notre justice et la colère des maires confrontés à des injonctions paradoxales et contraints, sous peine de sanctions, de valider des unions qu’ils savent illégales.
Cette proposition de loi du sénateur Demilly vise à mettre un terme à cette fragilité intrinsèque de notre droit en donnant réellement à nos maires et à notre justice les moyens de mieux identifier et contrôler, et d’éviter les détournements du mariage – droit fondamental qu’il ne s’agit pas de remettre en cause – à des fins de régularisation illégale. Elle vise également à interdire le mariage d’une personne sous OQTF.
Le préalable à une union dont le consentement est sincère devrait être, dans la majorité des cas, la régularité du séjour. Tout risque de recours abusif au mariage à des fins de régularisation serait ainsi tari.
J’indique à nos collègues opposés à ce texte qu’une tribune a été signée par des centaines de maires de sensibilités politiques très différentes, qui ne portent pas de jugement de valeur mais souhaitent simplement avoir les moyens d’appliquer notre droit. Vous leur dites aujourd’hui qu’ils doivent continuer à subir cette situation ubuesque s’ils exercent leur mandat avec probité. Il s’agit tout simplement de mettre en conformité notre arsenal législatif, de protéger nos maires et de faire respecter notre droit sans aucun jugement de valeur.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Nous allons examiner un texte aussi inutile que dangereux, qui propose de faire de la nationalité ou du titre de séjour une condition préalable au mariage – autrement dit, d’interdire le mariage aux personnes étrangères en situation irrégulière. C’est inconstitutionnel, discriminatoire et déjà retoqué à plusieurs reprises. Alors que le Conseil constitutionnel a déclaré que la liberté de se marier était une liberté fondamentale, ce texte revient par la fenêtre en donnant aux maires un pouvoir d’obstruction dont certains n’hésiteront pas à faire un outil de discrimination. Il y a ceux qui ont voulu le mariage pour tous et ceux qui, aujourd’hui, veulent le mariage contre certains.
J’ai grandi à Bègles, dont le maire, Noël Mamère, a désobéi pour unir deux hommes alors que c’était encore interdit. Ce faisant, il a fait grandir la République. Aujourd’hui, ceux-là mêmes qui l’accusaient alors proposent de restreindre ce droit, cette liberté.
Ce texte est xénophobe et liberticide. Il ne protège rien ni ne répond à aucune urgence. Il stigmatise et insinue que certains amours valent moins que d’autres. Rappelons que le mariage ne permet ni une régularisation automatique ni une protection contre l’expulsion. L’arsenal juridique pour lutter contre les mariages frauduleux existe déjà. Ce texte ne vise qu’à flatter vos réflexes identitaires et racistes, à semer la suspicion et à diviser. C’est une offensive contre la France diverse, ouverte et républicaine.
Si vous n’avez pas encore renoncé à votre colonne vertébrale républicaine, ne laissez pas inscrire dans la loi le soupçon d’aimer. Ce n’est pas une ligne du code civil que vous allez modifier, mais une ligne rouge que vous allez franchir.
Collègues centristes, l’histoire se souviendra de votre vote d’aujourd’hui.
M. Éric Martineau (Dem). La liberté matrimoniale est une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, reconnue à tous ceux qui résident sur le territoire national, quelle que soit leur situation, et elle est dissociée du droit au séjour. Le code civil prévoit quatre limites à la liberté de mariage et il est en effet possible d’empêcher la célébration d’un mariage si un faisceau d’indices précis et concordants laisse présumer que l’intention des futurs époux est étrangère à l’union matrimoniale, mais la situation irrégulière de l’un des conjoints au regard du droit de séjour ne constitue pas, à elle seule, un motif suffisant pour prétendre à une nullité du mariage ou s’opposer à sa célébration. Cette jurisprudence est régulièrement réitérée par le Conseil constitutionnel depuis vingt ans.
Au-delà de ce constat, cependant, cette proposition de loi soulève un problème bien réel. Nous savons que les maires peuvent se retrouver dans l’embarras face à une situation dont ils ont le sentiment qu’elle s’apparente à un mariage arrangé ou simulé sans pouvoir s’opposer à la célébration du mariage sous peine de se voir infliger une peine de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, voire une peine d’inéligibilité. Il y a une question, peut-être même un paradoxe, entre l’interdiction de contracter un mariage dans le but d’obtenir un titre de séjour ou la nationalité française et l’impossibilité pour le maire de s’opposer à la célébration d’un mariage qui présente un tel risque. C’est pourquoi notre groupe est ouvert à une évolution de la loi pour mieux lutter contre les mariages simulés ou arrangés.
Rappelons tout de même que le mariage, s’il peut faciliter certaines démarches, ne donne pas un droit au séjour aux étrangers en situation irrégulière. Nous percevons les ambitions électoralistes d’un tel texte à l’approche des élections municipales, mais nous ne voulons pas mentir à nos concitoyens en leur faisant croire que nous pouvons aussi facilement régler cette situation – lutter contre les mariages arrangés ou simulés et mieux protéger les maires. Notre groupe reste fidèle à ses principes visant à garantir la constitutionnalité des textes que nous votons. En l’état, la proposition de loi porte une atteinte excessive à la liberté de mariage et le groupe Les Démocrates ne peut pas soutenir ce texte.
M. Jean Moulliere (HOR). En juin 2023 Stéphane Wilmotte, maire d’Hautmont, dans le Nord, fait le choix judicieux de ne pas célébrer le mariage d’une Française et d’un ressortissant algérien faisant l’objet d’une OQTF. En effet, ce ressortissant, président d’une mosquée de la ville, était considéré comme dangereux par les autorités et sa mosquée avait d’ailleurs été fermée pour apologie du terrorisme. C’était là une décision de bon sens de la part du maire, en première ligne pour lutter contre le développement d’un islam radical dans sa commune. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le leader salafiste a décidé de déposer plainte et de traîner Stéphane Wilmotte devant la justice. Nous vivons chez les fous !
Force est de constater que les maires, lorsqu’ils prononcent le mariage, sont parfois confrontés à des situations ubuesques. Cette expérience douloureuse, qui s’est accompagnée de menaces de mort pour le maire d’Hautmont, doit nous faire réfléchir collectivement. Dans ces situations, nos concitoyens se demandent où est passé le bon sens. Nos maires craignent légitimement de faire l’objet de poursuites judiciaires, alors qu’ils avaient pour seul objectif de faire respecter la loi. Nous souscrivons à ces préoccupations : comment comprendre qu’une union soit célébrée alors qu’une obligation de quitter le territoire a été notifiée à un individu dangereux pour la société et le vivre ensemble ? L’État demande à ses maires de célébrer le mariage de personnes qu’il cherche lui-même à éloigner : il y a là une contradiction manifeste.
Dans ce contexte, le groupe Horizons et indépendants estime opportun de faire évoluer notre droit afin d’apporter du bon sens et de protéger nos maires. Tout en soutenant l’esprit de cette proposition de loi, nous notons toutefois que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce sujet, désormais bien établie, semble rendre inconstitutionnelles ses dispositions, malgré les efforts de rédaction du Sénat. Nous travaillons donc, en vue de la séance publique, à une réécriture du dispositif afin de tendre vers davantage de constitutionnalité.
Mme Elsa Faucillon (GDR). La grand-messe réactionnaire de l’UDR se poursuit donc, avec une interdiction du mariage aux personnes en situation irrégulière. Décidément, l’extrême droite ne peut souffrir l’idée de formuler une seule proposition politique sans discriminer, sans ségréguer ni instiller le poison de la haine et de la division dans notre République. En fait, pour eux, l’étranger ne doit plus se soigner ni travailler, il ne peut pas circuler, il doit rester dans l’ombre et donner sa force de travail en silence. Vous proposez maintenant qu’on lui refuse le mariage dès lors qu’il est en situation irrégulière, alors même que, depuis plusieurs années, les services préfectoraux créent eux-mêmes de l’irrégularité à l’occasion du renouvellement des titres de séjour.
Outre qu’elle est indigne, cette mesure n’intéresse aucunement les Français. Les démêlés judiciaires de Robert Ménard ou de Mme Barèges sont un non-événement pour une grande majorité des citoyens. J’en profite d’ailleurs pour dire ma solidarité à Éva et à Mustapha, de Béziers, qui ont été humiliés le jour qui aurait dû être le plus beau de leur vie et qui sont encore séparés à cause d’un coup de com politique.
Cette proposition de loi vise à priver les personnes en situation irrégulière de la liberté de se marier. Pourtant, le séjour illégal n’est ni un délit ni un crime. L’autrice et le rapporteur de ce texte laissent entendre que tous les mariages entre des personnes irrégulièrement présentes sur le territoire et des Français sont des mariages blancs, arrangés ou, pire encore, de personnes dangereuses qui mettraient en péril les habitants des communes concernées. On est là au cœur des théories racistes qui font de l’étranger quelqu’un de fourbe, d’insincère : c’est une façon de déshumaniser les personnes et d’imposer l’idée que l’amour de certains vaut mieux que celui d’autres gens. Ces mesures sont contraires à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous voterons évidemment contre ce texte tout à fait abject.
Mme Brigitte Barèges (UDR). La proposition de loi déposée au Sénat et inscrite par notre groupe dans sa journée réservée est une initiative qui répond à une attente forte et légitime non seulement des élus locaux mais aussi des citoyens, qui nous ont élus pour garantir le respect de la loi sur tout le territoire national. Les maires, premiers représentants de l’État dans les communes, se trouvent souvent dans des situations difficiles qui les contraignent d’agir contre leur conscience et leur devoir, comme l’a montré le cas de M. Stéphane Wilmotte, maire d’Hautmont. Je peux aussi témoigner de ma propre expérience : il m’est arrivé, en vingt ans de mandat, d’avoir de gros doutes quand je mariais des personnes en situation irrégulière, qui parlaient, par exemple, deux langues différentes et ne se comprenaient pas – je pourrais vous citer énormément d’exemples. Malheureusement, les procureurs ne répondent pas toujours dans les délais, de sorte que nous sommes contraints de procéder aux mariages.
Cette proposition de loi vise à mettre fin à un détournement manifeste du mariage à des fins de régularisation au mépris de l’esprit et de la lettre de la loi. Il est essentiel de protéger les maires. Le problème des collègues qui nous font face est qu’ils n’ont jamais exercé de mandat local. Ils ne connaissent donc pas la situation et sont en permanence dans l’angélisme. Nous sommes obligés d’être complices, involontairement, des pratiques que je viens d’évoquer et nous subissons des pressions injustes et des menaces parce que nous voulons exercer nos fonctions avec intégrité.
Au-delà de sa dimension proprement juridique, ce texte apporte une réponse politique forte aux attentes des élus locaux, qui réclament des outils clairs et efficaces pour exercer leur mandat dans la sérénité. Il est urgent de leur redonner confiance, de renforcer leur rôle et de leur assurer une protection réelle face à des dérives qui fragilisent leur autorité et, par ricochet, la confiance des citoyens dans nos institutions.
M. le président Florent Boudié. M. Schreck a demandé à s’exprimer à propos du comptage des votes lors de l’examen de la précédente proposition de loi.
M. Philippe Schreck (RN). Un pur problème de comptage se pose, ce qui peut arriver : nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les difficultés et l’inconfort causés par cette salle. Les amendements de suppression de l’article unique du texte précédent ont obtenu dix-neuf voix pour et dix-huit voix contre, mais il apparaît en réalité que dix-neuf collègues ont voté contre ces amendements : outre les quinze voix du groupe Rassemblement national, il y avait deux voix du groupe UDR et deux du groupe Les Républicains. Cette erreur de comptage a eu une conséquence : les amendements de suppression n’auraient pas dû être adoptés et la discussion du texte aurait donc dû se poursuivre. Le bureau de la commission doit se saisir de la situation : il est important de corriger cette erreur.
M. le président Florent Boudié. Je vous propose en effet que les membres du bureau de la commission se réunissent à l’issue de l’examen de la présente proposition de loi. Nous allons regarder d’ici là le nombre de collègues présents au moment du vote et nous aviserons ensuite, seul le bureau pouvant prendre une décision à ce sujet. Si une erreur a été commise, elle était en tout cas involontaire.
M. Éric Michoux, rapporteur. Globalement, deux familles d’idées s’opposent. Celle de M. Aurélien Taché et d’autres collègues de sa mouvance politique voit dans cette proposition de loi une volonté raciste ou anti-matrimoniale. Le texte, comme l’ont très bien dit Mme Bonnivard et M. Moulliere, a au contraire pour but de protéger les maires. Il ne s’agit pas de chercher à savoir qui éprouve des sentiments. J’ai évoqué tout à l’heure un cas qui s’est présenté dans ma circonscription : les époux avaient plus de quarante ans de différence d’âge – je ne sais pas quelle technique leur aurait permis de mettre en route une famille –, ne pouvaient pas signer et avaient même oublié leurs alliances. On pourrait divaguer sur une telle question, mais ce n’est pas ce que fait cette proposition de loi. Elle vise, je le redis, à aider les maires. Il a été question de décision historique : c’est tout à fait vrai. Les maires attendent l’adoption de ce texte, auxquels sont favorables 75 % des Français et même 95 % de ceux de droite, au sens large du terme.
Article 1er A (art. 63 du code civil) : Information de l’officier de l’état civil permettant d’apprécier la régularité du séjour des futurs époux sur le territoire français
Amendements de suppression CL1 de M. Paul Christophle, CL12 de Mme Elsa Faucillon, CL15 de M. Aurélien Taché et CL19 de Mme Léa Balage El Mariky
M. Paul Christophle (SOC). Cette proposition de loi tend à supprimer complètement la possibilité pour les personnes en situation irrégulière de se marier. Au fond, nous sommes d’accord : les mariages arrangés sont un détournement d’une institution, et nous nous opposons à tous les détournements d’institution. Seulement, en dehors des questions constitutionnelles, ce qui sous-tend cet article est complètement faux : le mariage, en lui-même, n’empêche nullement les préfets de prononcer une OQTF et ne donne pas droit à une régularisation ni à l’obtention automatique ou immédiate de la nationalité française. C’est pourquoi nous demandons de supprimer cette disposition.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le Conseil constitutionnel a considéré dans une décision de 2003 que la liberté du mariage était une composante de la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 et a estimé que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger ne pouvait faire obstacle à son mariage. Or vous voulez empêcher tout mariage d’une personne en situation irrégulière avec une personne de nationalité française – c’est donc la liberté des deux que vous voulez entraver.
Des règles relatives au contrôle de la validité des mariages existent, et elles sont censées s’appliquer à tous les couples, quelle que soit la nationalité des futurs conjoints. Pourtant, les réformes menées depuis 2003 pour renforcer les contrôles sur les mariages soupçonnés d’être dépourvus de véritable intention matrimoniale visent en particulier les couples franco-étrangers. Il y a, je le redis, une suspicion généralisée, qui ne cesse de se renforcer, comme l’a montré l’adoption de la loi « séparatisme ». La volonté de certains couples de se marier se transforme ainsi en une course d’obstacles. De telles mesures sont non seulement discriminantes mais aussi humiliantes pour beaucoup de couples, qui aspirent simplement à se marier dans notre République.
M. François Piquemal (LFI-NFP). Merci de m’accueillir dans votre commission. Je ne sais pas s’il en est ainsi tous les après-midi, mais ces textes proposés par l’extrême droite ne manquent pas de sel. La précédente proposition de loi tendait à faire en sorte que les politiques accusés de corruption ne soient pas rendus inéligibles et celle-ci vise à empêcher les gens en situation irrégulière de se marier avec un conjoint en situation régulière. L’extrême droite a visiblement un problème aussi bien avec l’honnêteté qu’avec l’amour.
De quoi est-il question ? De 0,01 % des mariages. Selon les chiffres disponibles, parmi les 240 000 mariages qui ont eu lieu en 2022, à peine une trentaine ont été considérés comme issus d’un arrangement. Contrairement à ce qui est dit, ce texte est donc très loin des problématiques des maires. Croyez-vous franchement que leur problème est de savoir s’ils auront le bon document qui prouve que les personnes souhaitant se marier sont consentantes ? C’est plutôt leur charge de travail, le manque de moyens matériels et humains, le fait qu’ils ont à gérer tout un tas de difficultés parce que le gouvernement fait des coupes budgétaires. Il ne faut pas se moquer du monde !
J’ai entendu dire que les citoyens attendaient ce texte. Mais ce qu’ils souhaitent, c’est surtout un peu plus de probité et d’intégrité de la part des élus – la précédente proposition de loi constitue donc un contresens – et des réponses à des questions centrales dans leur vie, comme la santé, l’emploi et l’éducation. À part à contribuer à la course à l’échalote de la xénophobie, je ne vois pas à quoi sert la proposition de loi. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Monsieur le rapporteur, vous avez dit que cette proposition de loi visait à protéger les élus, mais elle ne le fera en rien. Par ailleurs, je ne connais pas beaucoup de maires condamnés pour avoir autorisé un mariage, même de personnes en situation irrégulière ; c’est le contraire qui se produit. Le parquet a obligé, notamment, le maire de Bourg-lès-Valence à marier comme il se doit un couple désireux d’exprimer ainsi son amour, de vivre ensemble celui-ci et de le sceller par une cérémonie. En réalité, vous ne protégez pas du tout les maires dans cette affaire : vous vous immiscez dans le sentiment humain le plus profond et le plus sincère qui soit, l’amour d’une personne pour une autre, afin de l’empêcher pour la seule raison que vous ne désirez pas voir des étrangers vivre en France de façon épanouie.
Vous avez bien tort d’agir ainsi : si vous accueilliez les personnes venues en France dans la clandestinité puisqu’elles fuient leur pays, au lieu de les parquer dans des endroits impossibles, si vous leur permettiez de travailler au lieu de les en empêcher, si vous les laissiez vivre leurs histoires d’amour au lieu de les rendre impossibles, non seulement vous honoreriez un peu mieux le serment républicain qui nous lie depuis des siècles, mais vous contribueriez sans doute à ce qu’il y ait moins de désordre dans la société. En allant aussi loin dans la suspicion que vous faites planer sur les étrangers, jusqu’à trouver leur amour suspect, vous salissez une certaine idée de la République et de la politique du lien.
M. Éric Michoux, rapporteur. Permettez-moi de rappeler l’objectif de cet article, issu d’un amendement du rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. Stéphane Le Rudulier, adopté avec un avis favorable du gouvernement. Il s’agit de permettre à un officier d’état civil de disposer d’informations pour apprécier la régularité du séjour du futur époux étranger. Les maires ne disposent pas de ces informations. Elles ne sont pas exigées par les textes et surtout les maires ne peuvent pas les demander aux futurs époux étrangers . Selon la jurisprudence, ils ne peuvent pas non plus les rechercher en consultant les services de l’État. Le résultat est qu’un maire peut se retrouver à marier, parfois sans le savoir, une personne qui fait l’objet d’une OQTF.
Cela n’est pas acceptable car la situation irrégulière d’un des futurs époux peut évidemment être un indice sérieux d’un défaut d’intention matrimoniale, donc de la nullité du mariage. Priver le maire d’une information sur la régularité du séjour, c’est le priver de la capacité de remplir correctement son rôle de prévention des mariages frauduleux. Grâce à cet article, soit le maire aura la preuve de la régularité du séjour du futur époux étranger et sera donc rassuré sur ce point, soit il n’en aura pas la preuve et l’absence de justification de la situation régulière pourra fonder, avec d’autres indices, la saisine du procureur de la République. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, la jurisprudence du Conseil constitutionnel l’autorise parfaitement. Je renvoie ceux qui en douteraient au considérant 95 de la décision du 20 novembre 2003 : « Le caractère irrégulier du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rapproché d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est envisagé dans un but autre que l’union matrimoniale. »
Pour l’ensemble de ces raisons, l’obligation de transmettre tout élément permettant d’apprécier la régularité du séjour des futurs époux étrangers sur le territoire national est particulièrement opportune. Avis défavorable aux amendements de suppression.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Le rapporteur nous dit que les maires n’ont pas les moyens d’agir et Mme Barèges que nous n’avons peut-être pas célébré de mariages. Or j’ai été adjointe au maire du 18e arrondissement de Paris, où de nombreux mariages sont célébrés chaque jour. Ce que nous devons faire en tant qu’officiers d’état civil, c’est de vérifier que le consentement est libre et éclairé.
Par ailleurs, des éléments discriminatoires ont été introduits dans la loi : lorsque les époux sont étrangers, un entretien avec le maire ou un de ses adjoints est obligatoire, afin de détecter d’éventuelles intentions frauduleuses. Cela permet déjà de lutter contre ces situations.
Ne nous y trompons pas : cette proposition de loi ne vise pas à protéger les maires mais à discriminer des gens et à rendre leur vie impossible. Si vous avez un conjoint, un époux ou une épouse, l’aimeriez-vous moins, ne souhaiteriez-vous pas être ensemble s’il ou elle perdait son emploi ou se heurtait à une difficulté avec l’administration ? Bien sûr que non, et pourtant ces deux situations conduisent automatiquement à une production massive d’OQTF.
Si vous aviez un peu plus de relations en dehors de votre milieu, souvent fermé, si vous connaissiez des personnes étrangères, qui ont vécu en situation irrégulière ou sont issues d’un mariage mixte, vous comprendriez la violence que constituent déjà les entretiens actuels et les visites à domicile, durant lesquelles on vérifie si les slips sont bien dans la machine à laver et les brosses à dents dans le même pot. Voilà ce que font les agents de l’État pour vérifier si les gens s’aiment !
Nous sommes en train d’abîmer notre République avec cette proposition de loi. Chers collègues centristes, vous courez après le Rassemblement national. Vous feriez mieux de vous arrêter deux secondes pour vous regarder dans la glace.
M. Éric Michoux, rapporteur. Vous avez marié des gens. Grand bien vous fasse ! J’ai été maire pendant plus de vingt ans. Il s’agit de protéger les maires, qui sont exposés à des situations très anxiogènes. Libre à vous de voter contre cette proposition de loi quasiment transpartisane, que l’Association des maires de France et l’Association des maires ruraux de France soutiennent à fond, mais nous devrions protéger les maires – bientôt il n’y en aura plus.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l’article 1er A non modifié.
Article 1er B (art. 175-2 du code civil) : Renforcement des prérogatives du procureur de la République en cas de saisine par l’officier de l’état civil sur la validité d’un mariage
Amendements de suppression CL2 de M. Paul Christophle, CL13 de Mme Elsa Faucillon, CL16 de M. François Piquemal et CL21 de Mme Léa Balage El Mariky
M. Paul Christophle (SOC). Cet article concerne la procédure qui peut être déclenchée, à la demande du maire, par le procureur de la République afin de réaliser une enquête. Le Sénat a souhaité modifier les délais en la matière et faire en sorte que le silence du procureur de la République ne vaille plus acceptation du mariage mais sursis à sa célébration. Il faudrait vraiment que le législateur limite autant que possible les cas dans lesquels le silence de l’administration vaut refus ou sursis à procéder : si elle est surchargée et ne répond pas aux demandes qui lui sont faites, des droits fondamentaux et des libertés peuvent se trouver rognés.
Par ailleurs, il ne s’agit pas d’enquêtes portant sur des organisations de narcotrafiquants mais sur deux personnes qui veulent se marier. Je ne suis donc pas sûr qu’on ait besoin de délais aussi longs pour établir les faits.
Enfin, je rappelle qu’un maire qui ne suivrait pas la décision prise par le procureur de la République – lequel, au terme de l’enquête, n’aurait vu aucune raison de s’opposer au mariage – se placerait dans l’illégalité. Dans ce domaine, en effet, le maire n’a pas de pouvoir d’appréciation : il est officier d’état civil et doit procéder au mariage. S’il s’y oppose, il risque cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous souhaitons supprimer cet article qui créerait des entraves supplémentaires pour des gens qui veulent simplement marquer, par leur mariage, leur union et leur amour. Certains d’entre vous ont souligné lors de la discussion générale que toutes ces dispositions étaient contraires à des exigences constitutionnelles. Or les mêmes ont parfois voté pour l’article précédent. Nous sommes des législateurs, et nous siégeons au sein de la commission des lois. On ne peut pas se livrer à des petits marchandages assez insidieux et pervers par lesquels on brade l’ensemble de nos valeurs pour maintenir au pouvoir des gens qui, grâce à des alliances, font du mal au pays. Vous continuez à glisser – je m’adresse bien sûr au bloc central – en généralisant les discriminations, les humiliations subies par les personnes étrangères. Les députés macronistes votent tranquillement en ce sens, peut-être dans l’espoir d’être sauvés par le Conseil constitutionnel, ce qui n’est pas très honorable.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Le procureur de la République peut déjà demander de surseoir à un mariage lorsqu’il estime que c’est nécessaire. Cet article établirait en la matière un délai totalement inédit. J’imagine pourtant que certains collègues se sont déjà mariés : ils savent donc ce que signifient la programmation d’un mariage et le moment dans la vie, le bonheur, que celui-ci doit représenter. Étendre la durée du sursis à la célébration du mariage serait tout simplement indigne. Vous ne cessez de nous dire, chers collègues, que vous voulez protéger les maires, mais alors pourquoi voulez-vous ajouter à leurs missions celle consistant à contrôler la régularité du séjour ? Laissez l’État et la justice faire leur travail. Enfin, quand j’entends dire que ce texte est d’abord tourné vers les maires plutôt que vers les Français, je me dis que nous ne légiférons pas pour les mêmes raisons. Nous proposons de supprimer l’article 1er B et nous espérons sincèrement que ce texte indigne sera rejeté dans son ensemble.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Je vais tâcher de démontrer, une fois de plus, que cette proposition de loi est inutile. Le cadre légal actuel permet déjà au parquet de décider de surseoir à la célébration d’un mariage pendant un mois renouvelable une fois, soit deux mois, pour mener une enquête. C’est amplement suffisant dès lors que la saisine de l’officier d’état civil repose sur des indices sérieux de fraude : celle-ci peut déjà être manifeste dans de tels cas de figure. Augmenter d’un mois la durée du sursis au mariage reviendrait à alourdir inutilement la procédure. Vous ne traiterez pas la question de la lutte contre les mariages frauduleux, mais vous ajouterez un outil qui servira d’obstacle systématique à la liberté de se marier. Je finis, franchement, par être dégoûtée : votre vision de la nation est celle du sang ; vous souhaitez non seulement que des personnes ne puissent pas se marier, mais aussi et surtout que leurs enfants ne puissent pas être français et ne soient donc pas en mesure de vous concurrencer un jour dans vos circonscriptions, qu’ils pourraient gagner.
M. Éric Michoux, rapporteur. Lorsque le procureur décide de faire procéder à une enquête, c’est parce qu’il estime que les indices sérieux d’absence de validité du mariage avancés par l’officier de l’état civil sont susceptibles d’être probants. Ce n’est donc pas une décision arbitraire, qui pourrait viser n’importe quel projet de mariage.
Cependant, les délais actuels pour mener une telle enquête sont très courts : un mois, renouvelable une fois par décision motivée. Or certaines enquêtes peuvent être très complexes à mener et nécessitent davantage de temps, surtout au regard de la charge de travail des procureurs.
C’est la raison pour laquelle l’article 1er B porte un tel délai à deux mois, renouvelable une fois. Naturellement, pour les affaires les moins complexes, le procureur pourra clore son enquête sans aller jusqu’au terme de ce nouveau délai de deux mois.
Actuellement, si le procureur de la République ne répond pas dans le délai de quinze jours de sa saisine, il est tenu de laisser procéder au mariage. Or cette règle n’est pas satisfaisante, car cela revient à laisser célébrer des mariages sur lesquels pèsent de forts soupçons de fraude, et ce uniquement parce que le procureur n’a pas eu le temps de répondre au maire.
C’est la raison pour laquelle l’article 1er B inverse le principe : si le procureur n’a pas eu le temps de répondre au maire dans les quinze jours de sa saisine, il est réputé prononcer un sursis de deux mois qui lui permettra de diligenter une enquête. Naturellement, le procureur pourra procéder à la célébration du mariage avant l’expiration du délai de deux mois, s’il estime finalement qu’une telle enquête n’est pas nécessaire. C’est la deuxième innovation de cet article.
Au bout du compte, ces mesures de renforcement des prérogatives du procureur de la République permettront à celui-ci d’approfondir les enquêtes et donc de mieux prévenir les mariages frauduleux. Avis défavorable sur les amendements de suppression.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je me permets d’insister. Comme l’a fait remarquer Léa Balage El Mariky, le droit en vigueur permet déjà de surseoir à statuer à la célébration de mariages sur lesquels plane un doute, afin d’ouvrir une enquête.
François Piquemal a rappelé que ces mariages ne représentaient que 0,01 % des mariages célébrés. Je me demande donc pourquoi vous mobilisez vos propres députés dans le cadre d’une niche parlementaire – ce n’est pas rien, une niche parlementaire – pour si peu de cas qu’on peut, par ailleurs, régler. Je crois profondément que votre proposition de loi alimente des instincts racistes.
À partir du moment où on est conscient que ce n’est pas un véritable fléau, que les actes délictueux peuvent être déjà sanctionnés dans un cadre parfaitement légal, alors on peut passer à l’examen d’autres propositions de loi, peut-être plus importantes pour le pays.
Votre vision de la France est triste, terne, au fond très grise et presque morbide. L’amour est rendu hors-la-loi simplement parce que vous doutez de la sincérité de l’engagement d’une des deux parties, au prétexte que ses papiers ne sont pas en règle. Or, la France, c’est un pays de mémoires immigrées, dont la multitude fait notre richesse. Grâce à cette multitude, notre pays peut s’enorgueillir d’être l’un de ceux où les mariages mixtes sont les plus nombreux.
De nombreux mariages mixtes apparaîtraient actuellement sur vos radars alors même qu’ils devraient être considérés comme légaux. S’ils deviennent illégaux du fait de la situation irrégulière d’un des deux candidats au bonheur, c’est parce que toutes les dispositions que vous avez soutenues ces dernières années ont conduit à étendre le champ des personnes en situation irrégulière et ont rendu leur situation intenable et inhumaine.
M. Hervé de Lépinau (RN). Entre les menaces et les intimidations de l’extrême gauche, j’essaie de déceler quelques arguments. Celui du racisme revient sans arrêt.
J’invite les collègues de l’extrême gauche à faire un peu de droit comparé. Examinez la manière dont la question de la nationalité est traitée en Algérie, en Tunisie, au Maroc, dans les pays d’Afrique subsaharienne, en Asie, en Iran.
Puisque vous voyez du racisme partout je me permets d’évoquer ces pays auxquels vous êtes très attachés, courtisant la clientèle électorale qui en est issue. Par rapport à eux, la France est très libérale.
M. François Piquemal (LFI-NFP). L’extrême droite cultive une vision de la France très au rabais. Vos points de comparaison montrent d’ailleurs que, pour vous, moins il y a de libertés publiques, mieux c’est.
Plus jeune, je vivais en colocation avec un jeune couple dont une des personnes était en situation irrégulière. Ils étaient amoureux, ils voulaient se marier. Une dizaine de contrôles – longs entretiens, contrôle de chacune des pièces – ont été effectués à notre domicile pour vérifier s’ils étaient bien ensemble. Vous souhaiteriez que nos agents s’introduisent dans le lit des gens pour vérifier s’ils s’aiment vraiment. En gros, vous souhaitez faire du mariage un parcours de « Koh Lanta ».
Le fait que vous insinuiez que les personnes seraient insincères du fait de leur situation irrégulière est profondément raciste. En revanche, vous ne vous demandez pas si un politicien corrompu – il y en a au Rassemblement national – pourrait se marier sachant qu’il a déjà trompé des millions de personnes et qu’il pourrait berner son conjoint. Ne vous cachez pas derrière votre petit doigt : cette loi est raciste et, en réalité, vous l’assumez.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL23 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cet amendement de rédaction globale vise à supprimer les atteintes que ce texte porte à la liberté fondamentale de se marier, tout en encadrant strictement le pouvoir de saisine par les maires du procureur de la République.
Certains maires, que vous présentez comme les victimes d’un système, assument ouvertement de refuser de célébrer ces mariages pour des raisons racistes. Avec cette proposition de loi, vous leur offrez un outil de discrimination supplémentaire et non pas un outil de protection. C’est véritablement de cela qu’il s’agit. Certains, plus discrets, l’utiliseront sans s’en faire l’écho sur les plateaux de télévision.
C’est inacceptable dans une République où les maires ont pour mission de garantir l’égalité de toutes et tous devant la loi. Le droit est clair : on ne peut s’opposer à un mariage au seul motif qu’une des personnes est en situation irrégulière. Or c’est ce que vous essayez de faire. Cet amendement de réécriture globale permettra de corriger le tir qui menace directement notre République.
M. Éric Michoux, rapporteur. Avis défavorable.
Sur le fait que la situation irrégulière de l’époux ne saurait constituer un indice de fraude, je ne reviendrai pas sur la situation à laquelle font face de trop nombreux maires, forcés de marier des époux qui n’ont rien à faire sur le territoire français et qui instrumentalisent l’institution du mariage à la seule fin d’obtenir un titre de séjour.
Quant à la possibilité de contester la saisine du procureur de la République par l’officier de l’état civil, elle est inutile car ce qui porte préjudice aux futurs époux, ce n’est pas la saisine en tant que telle, mais plutôt la décision de sursis ou d’opposition du procureur. Or ces deux décisions peuvent d’ores et déjà être contestées devant le tribunal judiciaire dans des délais très courts – dix jours.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Dès lors que vous vous êtes détaché de votre argumentaire, vous avez exprimé le fond de votre pensée, qui correspond à l’objet de cette proposition de loi et révèle la raison pour laquelle vous l’avez inscrite dans cette niche : empêcher des personnes qui sont soumises à une obligation de quitter le territoire de se marier.
Une personne peut faire l’objet d’une OQTF uniquement parce qu’elle a perdu son boulot ou parce que l’administration ne lui a pas fixé un rendez-vous à temps pour le renouvellement de son titre de séjour. Des centaines de personnes qui sont dans cette situation prennent rendez-vous dans nos permanences. Je suis convaincue que vous recevez tout autant de demandes dans la vôtre – cela dit, je ne suis pas certaine qu’elles viennent toquer à la permanence d’un élu du Rassemblement national : elles ne sont pas folles.
En réalité, ces personnes sont parfaitement intégrées, elles vivent en France depuis de nombreuses années, elles ont une vie sociale et familiale. Elles souhaitent simplement avoir une vie amoureuse en France. Avec ce texte, vous les empêcherez de la poursuivre. Vous auriez pu aller jusqu’au bout de votre démarche, en interdisant la conclusion des pacs – pactes civils de solidarité – ou même la vie conjugale. Heureusement, vous vous êtes arrêtés là – peut-être pour garder d’autres mesures en réserve pour 2027. Nous vous en empêcherons.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL22 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Cet amendement d’appel républicain à destination du bloc central vise à supprimer la disposition instaurant un sursis automatique de deux mois en cas d’absence de décision du procureur de la République, saisi par l’officier d’état civil.
Cet amendement inverse la logique. En république, le principe est la liberté de mariage. L’intervention de l’État ne se justifie que pour prévenir les fraudes, non pour bloquer un mariage par défaut car le parquet tarderait à répondre, ainsi que vous le proposez. J’espère que les collègues du bloc central y seront sensibles.
M. Éric Michoux, rapporteur. Avis défavorable. Cette disposition permet de mettre un terme à la situation dans laquelle on laisse célébrer des mariages signalés par le maire, donc potentiellement frauduleux, uniquement parce que le procureur de la République, probablement débordé de travail, n’a pas eu le temps de réagir dans le délai de quinze jours de sa saisine.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Pour justifier une telle disposition, il aurait fallu nous fournir des statistiques relatives aux mariages frauduleux constatés et condamnés au regard du nombre de saisines. Or vous en avez été incapable. Cela veut bien dire que votre proposition de loi ne vise pas à empêcher la célébration des mariages frauduleux mais bien celle de l’ensemble des mariages.
M. Éric Michoux, rapporteur. Vous parlez d’amour depuis tout à l’heure. En 2023, environ 700 personnes ont été mises en cause sur le fondement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui répriment pénalement les mariages frauduleux,ce qui est beaucoup. Voilà les statistiques que vous réclamez.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL24 de Mme Léa Balage El Mariky
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Amis macronistes, voici la dernière occasion de vous réveiller. Par cet amendement de repli, nous proposons de supprimer l’allongement de la durée du sursis à la célébration du mariage, qui passerait d’un à deux mois renouvelables. La célébration pourrait ainsi être bloquée durant quatre mois.
Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas précisé le nombre de signalements ou de mariages frauduleux. Vous ne disposez pas de cette statistique car elle n’existe pas ; elle est infinitésimale. Vous allez emmerder – je me permets d’utiliser ce terme vu toutes les horreurs qu’on entend depuis tout à l’heure – les gens pour rien et jeter le soupçon sur l’ensemble des personnes étrangères qui souhaitent se marier.
Enfin, avec cette proposition de loi, vous ne protégerez pas les élus qui célèbrent les mariages ; vous les mettrez plutôt sous pression. Les personnes qui sont dans leur bon droit et qui souhaitent se marier attendront légitimement beaucoup de leurs élus – notamment, qu’ils ne saisissent pas le procureur. Vous verrez : dans un ou deux ans, les élus locaux vous demanderont de revenir sur cette proposition, si tant est que le Conseil constitutionnel ne la censure pas.
M. Éric Michoux, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons exposées précédemment. L’allongement de ce délai est nécessaire pour permettre au procureur d’approfondir certaines enquêtes qui peuvent être complexes.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’allongement de la durée risque d’aggraver la situation d’une personne qui fait l’objet d’une OQTF, bien qu’elle soit bien intégrée ; c’est ce que nous essayons, en vain, de vous expliquer.
Une personne peut faire l’objet d’une OQTF à la suite de la perte de son travail ou du non-renouvellement à temps de son titre de séjour. En allongeant le délai d’instruction, vous allongez la période de précarité administrative. Vous devriez y réfléchir à deux fois. Je ne m’adresse pas au rapporteur, qui semble convaincu par l’idée de faire la chasse aux étrangers, mais à celles et ceux qui croient flatter un électorat et se donnent un air responsable, tout en assumant de courir après de pareilles horreurs législatives. Votre texte, c’est le musée des horreurs.
L’image que vous voulez donner du pays ne sent pas bon. Après tout, comme il existe peu de cas, admettez que si votre proposition était adoptée, elle aurait peu d’incidence. Nous aurions donc satisfait les fantasmes sadiques de ceux qui, par névrose politique, courent après les étrangers qu’ils suspectent d’être tous en situation irrégulière.
Pensez aussi que d’autres écoutent nos débats. Les parlementaires qui passent leur temps à chercher une parcelle d’insincérité dans le moindre recoin de l’âme des individus ne donnent vraiment pas une belle image de notre pays.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 1er B non modifié.
Article 1er (art. 143-1 du code civil [nouveau]) : Interdiction pour une personne séjournant de façon irrégulière sur le territoire national de contracter un mariage
Amendements de suppression CL3 de M. Paul Christophle, CL14 de Mme Elsa Faucillon, CL17 de M. Aurélien Taché et CL20 de Mme Léa Balage El Mariky
M. Paul Christophle (SOC). Les arguments que nous développons sur les personnes étrangères ou en situation irrégulière ont visiblement peu d’effet sur vous, monsieur le rapporteur. Pourtant, chaque fois qu’on attaque les droits des étrangers, on réduit ceux des Français. Cela se vérifie dans ce texte : en empêchant un étranger en situation irrégulière de se marier, vous privez un Français d’exercer son propre droit. Je ne sais si vous l’aviez remarqué, mais votre proposition de loi revient à limiter l’accès à un droit fondamental – le mariage – pour les Français aussi.
Le présent article, qui fait obstacle au mariage des étrangers en situation irrégulière, est, soit dit en passant, inconstitutionnel. À tout le moins, vous auriez dû déposer une proposition de loi constitutionnelle. Savez-vous que le procureur de la République peut demander l’annulation d’un mariage lorsqu’il l’estime irrégulier, et ce dans un délai de trente ans ? Considérez-vous ce délai insuffisant pour l’administration ?
M. François Piquemal (LFI-NFP). Ce texte fait écho à notre histoire. Je suis député de Toulouse, ville dans laquelle se trouve un quartier appelé le Mirail, où se situe un grand château. Ce château est né du mariage blanc entre Louis et Jeanne. Louis rencontra Jeanne alors qu’il était marié. À l’époque, au XVIIIe siècle, il fallait faire attention aux conventions : il trouva donc un mari à Jeanne, Guillaume, à qui Louis promit un château en échange de ce mariage blanc. C’est pourquoi, en plein cœur du Mirail, se trouve le château du Barry. Il s’agissait de l’histoire de Jeanne du Barry et de Louis XV ; on peut donc dire qu’il existe une tradition française du mariage arrangé.
Heureusement, la Révolution française est passée par là et a consacré des droits individuels. Selon le Conseil constitutionnel, « le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé ». Le consentement libre et éclairé des personnes est ainsi pris en compte ; on considère que les personnes sont suffisamment émancipées pour choisir la personne avec laquelle elles partageront leur vie.
Vous voulez revenir sur ce principe, en vous en prenant aux personnes en situation irrégulière pour cacher votre racisme, flatter l’extrême droite et alimenter la course à la xénophobie. Voilà votre vrai visage. Mais nous le savions déjà.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). D’autres personnes illustres n’auraient pas eu le droit de se marier si cette proposition avait été appliquée entre 1945 et 1950 – pensez au père de Nicolas Sarkozy, qui était apatride.
En réalité, vous êtes en train d’abîmer l’histoire de France, celle à venir, celle que vos petits-enfants étudieront dans leurs livres d’histoire ou sur leur tablette. Vous êtes en train non seulement d’appauvrir la Franche, riche de sa diversité et de son histoire migratoire, mais également de fragiliser les familles. Nous les rencontrons, nous connaissons leurs parcours parfois chaotiques, nous savons qu’on peut se retrouver sous OQTF parce que le patron n’a pas prolongé le contrat ou parce que l’administration n’a pas renouvelé le titre de séjour.
L’article 1er porte le sceau de votre infamie. Le code civil est un beau livre, celui de l’émancipation, de la liberté. Il nous a permis de sortir d’une France catholique qui imposait aux femmes leurs droits et leurs devoirs. Chers amis du bloc central, si vous votez cet article, vous abîmerez le code civil.
M. Éric Michoux, rapporteur. Encore une fois, il s’agit de mettre fin à une situation parfaitement ubuesque, qui discrédite les institutions, démoralise les élus de terrain et nourrit la défiance des citoyens à l’égard de la puissance publique.
S’agissant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2003, chacun son rôle, chacun ses responsabilités : nous sommes le législateur, nous proposons des lois, le Conseil constitutionnel contrôle leur constitutionnalité. Je suis opposé à une forme d’autocensure du législateur qui s’interdirait de trouver des solutions à un problème majeur rencontré par les maires car il craindrait a priori de se faire censurer par le Conseil constitutionnel.
D’autant que cette décision date de 2003 : depuis, la situation a bien changé, avec une explosion du nombre de situations irrégulières sur notre territoire. À titre d’exemple, le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale de l’État (AME) a augmenté de 40 % depuis 2015, et le nombre d’OQTF délivrées est passé de 79 000 en 2015 à 129 000 en 2024, selon les chiffres transmis par la direction générale des étrangers en France.
Je vous répondrai donc que si cette loi est adoptée, c’est au Conseil constitutionnel de prendre ses responsabilités.
Enfin, de nombreux pays européens, y compris dirigés par des gouvernements de gauche, prévoient déjà une telle mesure, en subordonnant le mariage d’un époux à la régularité de son séjour. C’est le cas par exemple au Danemark, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou encore en Suisse. Avis défavorable sur ces amendements.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Ni l’histoire de France, ni les principes républicains ne convainquent le rapporteur et ceux qui soutiennent la proposition de loi. Les situations personnelles et les histoires que nous relatons n’ont pas l’air de vous toucher plus que cela. L’idée que vous délivriez un message allant à l’encontre de l’intérêt même de la France, qui a montré son humanisme profond et son refus de l’obsession xénophobe qui parcourt le monde, non plus.
Reste alors peut-être un message de charité chrétienne pour vous convaincre : souvenez-vous que les sans-papiers les plus célèbres de l’histoire s’appelaient Jésus, Marie et Joseph, et qu’ils ont fui l’Égypte.
M. Olivier Marleix (DR). Jésus, Marie et Joseph n’ont pas fui l’Égypte. Des cours de remise à niveau seraient nécessaires pour certains de nos collègues.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l’article 1er non modifié.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi non modifiée.
M. le président Florent Boudié. Je convoque immédiatement une réunion du bureau à propos du décompte des voix sur le vote des amendements de suppression de l’article unique de la proposition de loi visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité. Je suspends donc nos travaux.
La réunion est suspendue de dix-sept heures quarante à dix-huit heures quinze.
M. le président Florent Boudié. Le bureau de la commission s’est réuni. J’ai constaté qu’il y avait eu une erreur de comptage lors de la mise aux voix des amendements de suppression CL1, CL4 et CL8. Avec une égalité des voix, dix-neuf pour et dix-neuf contre, la commission a en fait rejeté ces amendements.
Je préfère faire devant vous acte de transparence. Dans mon état d’esprit, il est plus correct de procéder ainsi, pour la bonne tenue de nos travaux.
Le bureau a décidé, dans ces conditions, que nous reprendrions l’examen du texte.
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Puis la Commission poursuit l’examen la proposition de loi visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité (n° 1415) (Mme Brigitte Barèges, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. Par décision du bureau, les amendements CL1, CL4 et CL8 ayant été formellement rejetés, nous poursuivons l’examen des amendements à l’article unique.
Article unique (suite) (art. 131-26 du code pénal) : Inapplicabilité de l’exécution provisoire pour les peines d’interdiction du droit de vote et d’éligibilité
Amendement CL5 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Cet amendement vise à élargir les conséquences de la peine d’inéligibilité. Si le texte est adopté, cette peine ne pourra être prononcée qu’après une condamnation définitive : nous ne prenons donc pas un grand risque à l’étendre.
Aujourd’hui, l’inéligibilité n’empêche pas d’être nommé à un poste dans un cabinet ministériel ou une autorité administrative. Or les cas de corruption alimentent la défiance envers le personnel politique et les pratiques de recasage, parce qu’elles détournent l’inéligibilité, écœurent nos concitoyens – sans compter qu’elles soulèvent la question de la probité de ceux ainsi amenés à occuper de très hautes fonctions au sein de l’État.
L’amendement tend donc à ce qu’une personne inéligible ne puisse faire partie d’un cabinet ministériel, des collaborateurs du président de la République, du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat ni d’une des agences et autorités indépendantes où la probité est essentielle.
Quitte à restreindre les cas d’inéligibilité, autant lui donner un peu plus de portée – de façon légitime et proportionnée.
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. Vous proposez d’étendre l’interdiction d’exercer notamment à certaines fonctions listées par la loi relative à la transparence de la vie publique. La précision est inutile, puisque toutes les professions visées sont déjà concernées. De plus, l’emploi du « notamment » fait que cette précision ne délimite pas juridiquement le champ de l’incapacité. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Elle rejette l’article unique.
En conséquence, les amendements CL7 et CL3 de M. Emmanuel Duplessy tombent.
L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.
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Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à instaurer une participation des détenus aux frais d’incarcération (n° 1409) (M. Éric Michoux, rapporteur).
M. Éric Michoux, rapporteur. La présente proposition de loi soulève des questions essentielles de justice, de cohésion sociétale et d’acceptation sociale ; elle touche à la responsabilité individuelle et à la gestion des fonds publics.
Avant toute chose, permettez-moi d’évoquer une réalité budgétaire : selon une estimation de l’administration pénitentiaire, l’incarcération d’une personne coûte en moyenne 130 euros par jour. Alors que nos finances publiques sont particulièrement tendues, nous dépensons plus de 10 millions d’euros par jour pour héberger les personnes détenues.
Ce chiffre n’est pas anecdotique. Il traduit l’engagement de notre République à faire respecter l’autorité de la loi et à garantir la sécurité des honnêtes citoyens. Mais il révèle aussi un déséquilibre croissant entre l’effort budgétaire consenti par la société et la responsabilité qu’assument les personnes incarcérées. Ce coût de 10 millions par jour, ce sont les contribuables qui le supportent. J’en suis convaincu, cette situation mérite réflexion.
À l’heure où nous avons tant besoin de moyens pour améliorer et développer nos prisons, ne pourrions-nous pas mieux employer un tel budget ? À l’heure où le pouvoir d’achat de nombre de nos concitoyens est si limité, est-il acceptable que ce soient les honnêtes gens qui paient pour loger et nourrir les voyous ?
La peine de prison ne doit pas exempter de toute forme de responsabilité économique. Cela contribue à infantiliser les personnes condamnées : logées et nourries sans rien avoir à débourser, elles perdent un peu plus le sens des réalités et de la notion de pacte social.
Par ce texte, nous tâchons de satisfaire à une exigence de justice sociale. Il n’est pas juste que des personnes condamnées échappent à toute forme de contribution alors que des citoyens modestes et respectueux des lois voient chaque année une part importante de leurs impôts consacrée au système pénitentiaire. L’égalité devant la charge publique impose que chacun contribue selon ses moyens – c’est un principe constitutionnel.
Nous proposons donc que les personnes détenues contribuent aux frais de leur incarcération, dans la mesure de leurs moyens.
Il s’agit non d’instaurer une peine supplémentaire, mais d’introduire une logique de participation pour encourager l’autonomie, la responsabilité et une forme de réparation symbolique vis-à-vis de la société tout entière.
Cette mesure n’est pas sans précédent : de 1975 à 2003, notre pays prévoyait une participation aux frais d’entretien, consistant en un prélèvement sur les revenus des détenus qui travaillaient en détention. Elle a été supprimée parce qu’elle était propre à les dissuader de travailler.
Pour ne pas répéter cette erreur, nous proposons ici de calculer la contribution aux frais d’incarcération sur la base de toutes les ressources disponibles de la personne détenue : ses rémunérations perçues dans le cadre du travail en détention, ses revenus extérieurs et le cas échéant son patrimoine.
Ce dispositif n’est pas non plus sans exemple à l’étranger. D’autres pays, comme les États-Unis, le Danemark, la Suisse et la Belgique, font payer des frais d’entretien, sous une forme ou sous une autre.
D’ailleurs, la mesure que nous proposons est tout à fait conforme aux principes du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Je le répète, il s’agit non d’alourdir la peine, mais de faire appréhender la dimension économique de l’acte judiciaire et de renforcer la logique de responsabilisation individuelle. Notre objectif n’est pas d’imposer une charge indue. Nous voulons instaurer un mécanisme juste et progressif, de sorte que chaque personne détenue prenne sa part des conséquences concrètes de son acte et commence ainsi à s’amender et à se racheter vis-à-vis de la société tout entière.
Il ne faut donc pas se méprendre : ce texte est motivé non par une logique punitive, mais par une volonté d’équilibre.
La prison ne doit pas être un simple lieu de privation de liberté ; elle doit appeler la personne condamnée à réfléchir aux conséquences de ses actes, y compris matérielles, donc à leur coût pour la société. Nous introduisons ainsi une conscience économique de la peine, rappelant que la justice a un coût.
Participer, même modestement, aux frais de sa détention, c’est prendre conscience que l’incarcération n’est pas sans coût pour la société ; c’est assumer ses actes et ses responsabilités.
Responsabiliser l’individu participe à le faire entrer dans un parcours de réinsertion au cours duquel il redevient acteur de sa trajectoire pénale, y compris sur le plan financier. La responsabilité, la dignité et l’effort doivent être les piliers d’une politique carcérale moderne.
Quelle que soit la somme ainsi recouvrée, l’élément financier n’est pas central : la mesure est en grande partie symbolique, et c’est justement sa force. Les symboles ont un rôle essentiel dans notre contrat social. Ils rendent visibles les valeurs que nous choisissons de défendre. Celle qui nous intéresse est simple : la société n’est pas un guichet anonyme, elle est une communauté de droits et de devoirs au sein de laquelle chacun doit assumer ses responsabilités. Nous obéissons ainsi au principe d’équité ; or, l’équité veut aussi que chacun contribue selon ses moyens à supporter les charges qu’il occasionne.
Je suis bien conscient que cette proposition de loi peut susciter des interrogations, voire des inquiétudes, mais il me semble qu’elle s’impose aujourd’hui comme une évidence et que la plupart de nos concitoyens l’appellent de leurs vœux. Elle apportera une réponse pragmatique, mesurée, humaine et équilibrée à un problème trop longtemps ignoré.
Elle n’est ni un rejet, ni un jugement. Elle est une invitation à penser un système carcéral plus juste, plus responsable et plus adapté aux contraintes budgétaires qui frappent notre pays et que les personnes détenues ne peuvent être les seules à ignorer.
J’espère que nous parviendrons à faire preuve de pragmatisme et à sortir des postures afin d’adopter ce texte, avant d’en débattre la semaine prochaine en séance publique.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Stéphane Rambaud (RN). Chaque jour, un détenu coûte en moyenne 128 euros à la nation. Une seule personne condamnée pour avoir enfreint la loi coûte donc près de 50 000 euros par an. Cette moyenne cache des écarts abyssaux : jusqu’à 500 euros par jour pour un mineur détenu dans un centre éducatif fermé – c’est plus de 15 000 euros par mois, l’équivalent de 10 smics, pour un seul individu. Le 1er avril 2025, la France comptait 81 600 détenus, ce qui représente 4 milliards par an.
Pendant ce temps, nos hôpitaux sont en tension ; nos écoles manquent de moyens ; des millions de Français n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois. Nos compatriotes travaillent, cotisent, subissent l’inflation, pendant que l’État dépense des millions d’euros de leur argent pour entretenir ceux qui ont commis des crimes et des délits.
Est-il juste, moral, acceptable qu’un détenu ne participe en rien aux frais colossaux qu’entraîne sa propre incarcération ? Est-il juste que le contribuable – toujours lui – paie l’addition pendant que certains délinquants en prison se filment sur TikTok avec des montres de luxe, des liasses de billets et des téléphones dernier cri ?
Ce texte ne contient rien d’extravagant. Il ne s’agit pas de bafouer les droits des détenus ni de revenir au bagne, il s’agit de revenir au bon sens. En l’adoptant, nous enverrons un message clair : la prison n’est pas un hôtel trois étoiles. Quand on transgresse la loi, on assume, y compris financièrement.
M. Guillaume Kasbarian (EPR). L’examen de ce texte intervient dans un contexte budgétaire tendu. Avec près de 84 000 détenus le 1er mai, la population carcérale a plus que doublé depuis les années 1980. En quinze ans, le budget de l’administration pénitentiaire a lui aussi doublé, passant de 2,7 milliards d’euros en 2010 à 5,2 en 2025. Le coût moyen d’une journée de détention est estimé entre 105 et 127 euros.
Face à ces chiffres, la question de la participation des personnes détenues est légitime. Elle n’est pas nouvelle : un dispositif de cette nature a existé de 1975 à 2003, avant d’être supprimé parce qu’inéquitable – il ne concernait que les détenus qui travaillaient.
En réalité, nos voisins européens n’ont jamais réussi à rendre une telle mesure effective. Le texte que nous examinons n’est pas plus adapté ni réaliste. Il ne précise ni les seuils, ni les montants, ni les mécanismes d’évaluation des ressources – toutes les modalités d’application sont renvoyées à un décret en Conseil d’État. Mais toute la faisabilité du dispositif dépend justement de ces paramètres : c’est sur eux que devrait porter le débat parlementaire. Ne rien en dire, c’est renvoyer la question à plus tard pour mieux éviter d’en débattre maintenant. Ce n’est pas faire la loi, c’est faire un symbole – pour reprendre votre terme, monsieur le rapporteur.
Seule une minorité de détenus travaillent, pour une rémunération très faible. On ne peut percevoir ce que les détenus n’ont pas. Les précédentes tentatives l’ont montré : un tel dispositif mobilise beaucoup de moyens pour un rendement quasi-nul. À chaque fois, le coût du recouvrement dépasse les recettes attendues.
Nous ne rejetons pas par principe toute participation, bien au contraire, mais il faut qu’elle soit précisément définie et compatible avec la réinsertion. Le travail en détention ou l’ajustement de certains tarifs peuvent être des solutions alternatives. Le débat est ouvert, à condition qu’il porte sur un dispositif précis et opérationnel.
Pour ces raisons, les membres du groupe Ensemble pour la République ne soutiendront pas cette proposition de loi.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Cent dix euros par jour et par détenu, c’est tout de même très cher pour fabriquer de la récidive.
Dans un rapport paru en octobre 2023, la Cour des comptes évalue le coût de la surpopulation carcérale à 4 milliards par an. En 2025, la densité atteint 200 % de la capacité de fonctionnement dans vingt-trois établissements ou quartiers, ce qui rend les conditions de détention infectes.
Cette indignité rejaillit en cascade sur les conditions de travail des agents pénitentiaires et des travailleurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Je salue d’ailleurs la nouvelle journée de mobilisation qu’ils organisent demain pour s’opposer à la contre-révolution pénale du sinistre Darmanin.
La prison coûte trop cher, je vous rejoins sur ce point. Le 1er mai 2025, la densité carcérale, tous établissements confondus, atteignait 133,7 % – 164 % dans les maisons d’arrêt. Manifestement, on enferme trop ; le bon sens voudrait qu’on enferme moins. Mais quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Au lieu de remettre en cause votre populisme pénal absurde, vous vous y complaisez en proposant de faire payer les dizaines de milliers de personnes qui croupissent dans ces lieux infernaux.
Les prisons brisent des vies : celles des personnes incarcérées et celles de leurs proches qui les assistent en préservant tant bien que mal un lien familial distendu par l’enfermement. On continue d’entasser trois ou quatre personnes dans des cellules de 9 mètres carrés vingt-deux heures sur vingt-quatre, sur des matelas posés à même le sol. Les équipements sont aussi délabrés que les services sociaux et d’insertion sont sinistrés. Les rats et les cafards pullulent dans une crasse innommable, qui vaut à l’État d’être régulièrement condamné. Chers collègues, à combien évaluez-vous le service proposé ?
Épinglée en 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses prisons indignes, la France a dû verser en moyenne 15 500 euros par détenu requérant. Près de 80 000 détenus sont confrontés à des conditions analogues, ce qui représenterait environ 1,25 milliard d’euros de dédommagement.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Une proposition de loi similaire avait été déposée en 2021 par notre collègue Éric Pauget, député des Alpes-Maritimes, et le débat sur l’opportunité de faire participer les détenus qui le peuvent aux frais d’incarcération est rouvert, puisque le ministre d’État Gérald Darmanin a récemment déclaré vouloir appliquer un dispositif de cette nature. Une voie peut se dessiner.
Selon le ministère de la Justice, un détenu coûte 128 euros par jour, soit près de 50 000 euros par an. Le total de 4 milliards annuels est exclusivement financé par le contribuable, alors même – c’est cela qui est choquant – que certains détenus disposent des moyens financiers, parfois issus d’activités illicites, de participer aux frais. Pourquoi se priver de leur contribution ?
L’idée est de responsabiliser les détenus en considération du bien public, du contrat social, auquel concourt le financement collectif des établissements pénitentiaires. Nous défendrons un amendement permettant de suivre l’utilisation des moyens recouvrés, qui pourraient abonder les crédits alloués à la construction de nouveaux établissements et l’amélioration des conditions de détention, aujourd’hui difficiles.
La participation financière serait proportionnée aux ressources et au patrimoine du détenu. Cette mesure a déjà été appliquée au Danemark et aux Pays-Bas, afin de responsabiliser davantage les personnes concernées.
Je défendrai également un amendement relatif au financement du kit qui est fourni aux détenus à leur entrée.
Mme Marietta Karamanli (SOC). La proposition s’affiche équitable. Ses défenseurs avancent que les détenus sont les premiers responsables de leur incarcération et qu’ils doivent, à ce titre, contribuer à la financer. Ils omettent cependant quelques faits cruels.
Les dernières statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, publiées en 2023, montrent que la densité carcérale en France est une des plus élevées – sur quarante‑six États. Le 1er février 2025, les prisons françaises comptaient près de 82 000 détenus pour 62 000 places seulement, soit 1,3 détenu par place. En maison d’arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de jugement, ce chiffre monte à 1,5. Le texte d’ailleurs n’évoque pas la détention provisoire, non plus que le cas d’un quantum de peine inférieur au temps d’incarcération.
En outre, la surpopulation s’accompagne de plus en plus souvent de conditions de détention médiocres, voire mauvaises. L’exposé des motifs du texte se risque à une comparaison avec d’autres États, notamment les Pays-Bas, mais la situation n’y est pas comparable. Les prisons néerlandaises sont moins pleines de moitié depuis vingt ans, les peines de prison sont plus courtes, les juges privilégient la réinsertion et le placement sous surveillance électronique, devenu courant, et la petite et moyenne délinquance est en baisse.
Pour soutenir les agents de l’administration pénitentiaire, comme l’ont évoqué certains membres du gouvernement, il faut déployer une politique d’État, non retirer aux personnes le peu qu’elles peuvent posséder.
Les membres du groupe Socialistes, opposés à cette mesure, défendront la suppression de l’article unique. S’il est adopté, ils proposeront des modifications substantielles en vue de la séance.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). La dernière trouvaille de M. Ciotti et de ses amis est d’exhumer une disposition qui avait déjà été jugée inadaptée par nos prédécesseurs en 2003 : la participation des détenus aux frais d’incarcération, comme si on se payait l’hôtel ou des vacances au Club Med. Pour peu qu’on veuille réellement la voir, la réalité carcérale est pourtant tout autre : plus de 81 000 personnes incarcérées pour seulement 62 000 places, un taux d’occupation supérieur à 200 % dans certains établissements, des cellules vétustes, la vermine, les pannes de chauffage, l’échauffement l’été, le manque d’intimité, un espace vital inférieur à 3 mètres carrés. Voilà la vie quotidienne des milliers de personnes incarcérées. Dans l’imaginaire d’Éric Ciotti, la prison rime avec le farniente – sans doute ne discute-t-il qu’avec des personnes condamnées placées sous bracelet électronique, car pour les détenus, la prison rime surtout avec les punaises, la promiscuité et le désespoir.
Cette situation a conduit la France à être condamnée par la CEDH, y compris à plusieurs reprises pour traitements inhumains et dégradants. Face à cela, on nous propose une taxe sur la misère justifiée par quelques vidéos isolées de détenus sur les réseaux sociaux. La caricature a remplacé l’analyse. L’exception sert une fois encore de prétexte à généraliser.
La population carcérale n’a pas explosé par accident. C’est le produit d’un empilement de textes répressifs, le fruit d’une politique pénale construite par le réflexe sécuritaire : multiplication des délits, peines planchers, extension et banalisation des comparutions immédiates – votre imagination n’est pas en reste en la matière. Après avoir saturé les cellules, vous voilà prêts à vider les poches des détenus. Il y a désormais une cohérence : enfermer plus et mal, aider moins. Vous avez une certaine vision sadique de la peine.
Ce texte ne réglera rien. Il ne réparera ni les murs ni les hommes. Il n’améliorera ni la réinsertion ni la sécurité. C’est pourquoi nous nous y opposerons avec la plus grande fermeté.
M. Éric Martineau (Dem). L’idée de faire participer les détenus à leurs frais d’incarcération peut sembler séduisante, mais il s’agit en réalité d’une solution contre‑productive et injuste. La participation aux frais de détention a été supprimée en 2003, notamment pour son aspect précarisant. Les auteurs de la présente proposition de loi veulent la réintroduire en l’appliquant à tous les détenus, qu’ils soient condamnés ou placés en détention provisoire, ainsi qu’aux mineurs – dans ce cas, elle serait versée par leurs responsables légaux. Elle serait proportionnelle aux ressources et au patrimoine des personnes détenues, selon un barème fixé en Conseil d’État.
La mesure est peu claire en l’état, et le fait de donner au pouvoir réglementaire le soin d’en déterminer les modalités crée un risque d’incompétence négative. Pour le moment, on ne sait rien des montants concernés, des seuils, de la répartition entre revenus et patrimoine, des exceptions.
En outre, ce texte méconnaît les réalités de la vie carcérale : les détenus sont majoritairement en situation de précarité, marginalisés, souvent sans emploi stable ni soutien familial. Exiger d’eux une contribution financière, même modeste, reviendrait à alourdir leur dette envers la société sans leur offrir les moyens de la rembourser. Une telle mesure condamne davantage à la récidive qu’elle ne favorise la réinsertion.
Cette proposition de loi méconnaît également le principe selon lequel l’État ne peut pas faire financer les missions qui lui incombent par des personnes privées. La condamnation à de la prison ferme implique de loger et de nourrir les détenus, ces deux aspects étant indissociables. Il est tout de même curieux d’assimiler ainsi la prison à un établissement hôtelier où la nuitée aurait un coût.
Enfin, ce texte met en danger le principe d’égalité sur le terrain en raison d’un inégal accès au travail. Un détenu ne pouvant pas travailler verrait son patrimoine réduit pour financer cette participation. Et s’il n’en a pas, comment fait-on ? Une telle logique creuse les inégalités, rompt l’égalité devant la loi et transforme la prison en service payant, comme si la liberté devenait une marchandise.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates ne votera pas pour ce texte.
M. Jean Moulliere (HOR). La question d’une contribution financière des personnes détenues mérite d’être posée, mais pas sans rappeler quelques éléments clés. Une telle contribution a déjà existé, mais elle a été supprimée en 2003 car elle coûtait plus cher à recouvrer qu’elle ne rapportait et privait les victimes d’indemnisations en fléchant les fonds vers le budget de l’État. Aujourd’hui, la situation carcérale est alarmante : au 1er mai, plus de 83 000 personnes étaient incarcérées pour à peine 62 500 places disponibles, soit un taux d’occupation de 133 %. Enfin, la réalité sociale des détenus ne peut être ignorée. Une grande partie d’entre eux vivent dans une grande précarité : 22 % disposent de moins de 50 euros par mois. Ils doivent malgré tout rembourser des dettes, subvenir à leurs obligations familiales et préparer leur réinsertion. Ces constats conduisent le groupe Horizons & indépendants à interroger l’objectif de la présente proposition de loi.
Sur la forme, la formulation est à parfaire. La contribution proposée se distingue de celle qui existait avant 2003 et dont on pouvait comprendre la légitimité. Il est prévu que les personnes détenues – ou leurs responsables légaux s’il s’agit de mineurs – versent une participation financière pour contribuer aux frais de leur détention. Il est précisé que le montant de cette participation est proportionnel à leurs ressources et à leur patrimoine, selon un barème fixé par décret en Conseil d’État. Notre groupe estime que la contribution supprimée en 2003 était plus compréhensible, dans la mesure où elle n’était payée que par les détenus qui avaient l’occasion de travailler. En outre, la fixation du barème par décret semble inadaptée puisque relevant du domaine de la loi.
En l’état, nous nous abstiendrons.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la CEDH en omettant de dire qu’elle a condamné la France à plusieurs reprises pour des conditions indignes de détention. Avez-vous prévu, pour l’examen du texte en séance, des amendements pour instaurer une réduction pour punaises de lit, une autre pour cafards, une troisième pour matelas au sol ? Soyons sérieux ! Dans l’exposé des motifs, vous invoquez la morale pour justifier l’introduction de ces frais d’incarcération. Combien avez-vous fait de visites d’établissement pénitentiaire pour vous rendre compte de leur état d’insalubrité et d’indignité, pour les détenus mais aussi pour les personnels pénitentiaires ? Aux Pays-Bas, que vous citez en exemple, il y a douze agents pénitentiaires pour un détenu alors qu’en France ce ratio est de douze pour soixante !
À la faveur de votre niche, si vous vouliez améliorer la réinsertion des détenus et la situation dans les prisons, vous auriez pu proposer un quota d’encadrement plutôt que cette mesure démagogique qui n’aura aucun effet sérieux, y compris en termes économiques. Si vous vouliez faire des économies, il existe des peines alternatives moins coûteuses et plus efficaces pour la réinsertion. Il y a vraiment beaucoup d’autres choses à faire pour la prison.
Il ne faudrait d’ailleurs pas faire comme si les détenus ne payaient rien : ils paient déjà des frais et, en plus, sont surtaxés sur les appels téléphoniques et les produits d’hygiène et alimentaires supplémentaires, qui leur sont vendus à des prix plus élevés que dans les supermarchés à l’extérieur.
Évidemment nous voterons contre ce texte.
Mme Brigitte Barèges (UDR). La proposition de loi de notre groupe, qui s’inscrit dans une démarche de responsabilisation individuelle, prend tout son sens dans le contexte budgétaire particulièrement dégradé que traverse notre pays. Comme l’a rappelé mon collègue rapporteur, la France connaît une dégradation continue de ses comptes, marquée par un déficit et une dette qui atteignent des niveaux historiques. Dans ce contexte, chaque euro dépensé doit être justifié et chaque effort partagé.
L’incarcération d’une personne coûtant en moyenne 130 euros par jour à la collectivité, la facture totale quotidienne s’élève à plus de 10 millions d’euros. Ce sont les contribuables français, déjà lourdement mis à l’épreuve, qui supportent l’intégralité de cette charge. Cette réalité, qui pèse sur le budget de la nation, suscite une incompréhension croissante parmi nos concitoyens. Il ne s’agit pas ici de nier le droit à la dignité ou à la réinsertion des personnes détenues, mais de rappeler que la solidarité nationale a ses limites, surtout lorsque tant de Français peinent à boucler leurs fins de mois et voient chaque année une part croissante de leurs revenus absorbée par l’impôt.
La proposition de loi, que nous soutenons, vise à rétablir un équilibre. Il est juste que les personnes détenues, dans la mesure de leurs moyens, participent même modestement aux frais qu’elles engendrent pour la société. Il ne s’agit pas d’instaurer une peine supplémentaire, mais d’introduire une logique de contribution conforme à l’exigence constitutionnelle d’égalité devant la charge publique. L’instauration d’une contribution des détenus aux frais d’incarcération s’inscrit dans la continuité d’un dispositif existant et reposant également sur le principe de la responsabilité individuelle : le travail en détention. Depuis plusieurs décennies, les personnes détenues peuvent exercer une activité rémunérée en prison, ce qui leur permet de percevoir un salaire.
Au-delà de sa dimension financière, la mesure revêt une portée symbolique majeure. Elle rappelle que la société n’est pas un guichet anonyme, mais une communauté de droits et de devoirs. Elle adresse un message clair : chacun doit assumer sa part de responsabilités, y compris lorsqu’il s’agit de réparer une faute envers la société. Nous veillerons bien sûr à ce que son application soit progressive, juste et respectueuse.
Article unique (art. L. 212-10 [nouveau] du code pénitentiaire) : Participation des détenus aux frais de leur détention
Amendements de suppression CL1 de Mme Colette Capdevielle, CL3 de Mme Elsa Faucillon, CL7 de Mme Andrée Taurinya et CL12 de M. Pouria Amirshahi
Mme Marietta Karamanli (SOC). Il est un peu regrettable que M. le rapporteur n’ait même pas pris la peine de répondre aux interventions des représentants des groupes.
En défense de cet amendement de suppression, je rappelle que la précédente contribution, supprimée par le président Chirac en 2003, avait été décrite comme un système à bout de souffle. La contribution était prélevée sur les revenus que les détenus tiraient de leur travail en détention, sachant que seulement 30 % d’entre eux y ont accès. Ne pensez-vous pas, d’ailleurs, qu’une telle mesure risque de les dissuader de vouloir effectuer un travail ?
La perspective d’une telle contribution a provoqué cette réaction étonnée de l’ancien garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti : « Qu’est-ce qu’on va faire payer à certains détenus ? Les rats qui courent dans les coursives ? Dans les cellules ? Les matelas qui sont au sol ? » Je vous invite aussi à lire le communiqué de l’Observatoire international des prisons, repris dans l’exposé des motifs de notre amendement. Il faut absolument supprimer cet article.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Beaucoup de détenus qui aimeraient travailler sont sur liste d’attente. Ils aimeraient pouvoir mieux contribuer, y compris à l’indemnisation des victimes, mais ils attendent parfois pendant des mois avant de pouvoir accéder au travail. Parmi les détenus, il y en a aussi beaucoup qui sont qualifiés d’indigents – c’est le terme retenu, que je n’aime guère – car ils disposent de moins de 50 ou 60 euros par mois. Plus de la moitié des personnes incarcérées sont sans emploi avant leur entrée en prison. Vous ciblez donc les plus pauvres des plus pauvres. Vous parlez de mesure de justice sociale alors que vous allez demander de l’argent à des personnes qui en ont très peu et qui se trouvent dans des conditions vraiment très dégradantes. Selon les Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, publiés par l’administration pénitentiaire, deux contextes conjoncturels favorisent la croissance du nombre de personnes détenues : les crises économiques, et les périodes où prédomine le thème de l’insécurité dans l’actualité médiatique.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Alors que l’on veut nous faire croire que les prisons sont des hôtels trois étoiles, j’aimerais faire quelques rappels. La France a été condamnée à plusieurs reprises par la CEDH pour les conditions indignes de nos prisons, ce qui devrait faire réfléchir. Un rapport d’enquête publié par Emmaüs-France et le Secours catholique en 2022 a montré que la prison appauvrit les personnes qui passent entre ses murs : si 45 % des personnes interrogées estimaient être en situation de pauvreté avant leur incarcération, cette proportion s’élevait à 70 % au cours de la détention. Près d’un quart de la population carcérale dispose de moins de 60 euros par mois. Les détenus doivent contribuer à l’amélioration de leur quotidien – avec des locations de réfrigérateur ou de téléviseur, par exemple, qui coûtent respectivement 7,50 et 14,15 euros par mois. Il faut pourtant s’occuper, quand on reste vingt-deux heures sur vingt-quatre dans une cellule, sachant que le travail n’est pas donné à tous ! Et lorsqu’ils travaillent, les détenus sont payés entre 300 et 400 euros par mois pour un temps plein, ce qui est absolument scandaleux.
Nous nous opposons fermement à cette proposition de loi démagogique, fondée sur l’idée que la prison serait le Club Med. Dans votre propos liminaire, monsieur le rapporteur, vous avez précisé que la mesure était juste et équilibrée, que les détenus paieraient en fonction de leurs moyens. Je ne comprends pas pourquoi vous ne vous intéressez pas davantage à ces questions de justice sociale : pourquoi n’avez-vous pas voté pour le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), pour la taxe Zucman ? En effet, tout le monde doit pouvoir contribuer selon ses moyens.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je tiens à insister sur la condamnation à deux reprises de la France par la CEDH.
Une fois de plus, vous confirmez votre vision doloriste de la peine, la confondant avec le châtiment. Dans ma précédente intervention, j’ai parlé d’une certaine vision sadique de la peine. Le fait d’enfoncer un peu plus des détenus dans la précarité financière va-t-il régler en quoi que ce soit le niveau de l’insécurité, ou leurs possibilités de réinsertion ? Vous n’allez rien régler, mais vous allez affecter les familles qui sont innocentes du délit potentiellement commis par la personne détenue. Vous partez de présupposés très dogmatiques et assez violents socialement pour aboutir à ce qui n’est en rien une politique pénale.
Sur le fond, si vous voulez régler la question des conditions de détention, allez regarder ailleurs, puisque vous êtes dans la comparaison. Au Royaume-Uni, par exemple, la pratique de la régulation carcérale n’est pas inintéressante. Pour la dépénalisation de certaines infractions, il serait utile d’envisager notamment le développement des alternatives à l’incarcération, la réduction du recours à la détention provisoire ou la suppression des comparutions immédiates. Nous ne sommes pas les seuls à prôner de telles mesures, des experts de la question pénale le font, comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, le Conseil économique, social et environnemental, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et j’en passe. De grâce, essayez d’écouter un peu les voix de la sagesse et de la raison.
M. Éric Michoux, rapporteur. Mon avis sera évidemment défavorable à ces amendements de suppression. Je ne suis pas étonné que la gauche et l’extrême gauche s’opposent à cette mesure de bon sens, mais je vais tout de même tenter d’apporter quelques éléments de précision.
Premier élément invoqué : l’indigence et la pauvreté en détention. Mais le dispositif proposé prend en compte les ressources des détenus pour définir le niveau de leur participation financière. Il est parfaitement faux d’affirmer le contraire. Il faut être bien naïf pour penser que tous les détenus sont pauvres. Certains d’entre eux disposent de moyens très importants, qu’ils entretiennent parfois en poursuivant leurs activités illégales depuis l’intérieur des murs de la prison. Il faut impérativement remédier à cela.
Deuxième élément : la désincitation au travail, raison pour laquelle l’ancien prélèvement pour frais d’entretien a été supprimé en 2003. Comme il ne touchait que les revenus des détenus travaillant, il était source d’inégalité entre les personnes détenues et facteur de désincitation au travail. Mais dans le présent texte, le prélèvement peut être effectué non seulement sur les revenus issus du travail en détention, mais aussi sur d’autres revenus tels que les rentes ou les pensions, ou encore sur l’ensemble du patrimoine immobilier et financier. Cette approche globale permet d’éviter les effets de bord de l’ancien dispositif.
Troisième et dernier élément : les conditions de détention, qui, vous avez raison, ne sont pas satisfaisantes dans certaines prisons, notamment les maisons d’arrêt. C’est pour cela qu’il faut construire de nouveaux établissements, comme nous le proposons. Cela ne doit pas nous empêcher d’introduire la mesure proposée par ce texte, qui permettra une meilleure équité devant les charges publiques et une responsabilisation des personnes détenues.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Il y a quelques jours, nous avons examiné la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. À cette occasion, Ugo Bernalicis a mis l’accent sur l’un des mécanismes poussant à cette délinquance : les chefs des trafiquants font des personnes qu’ils intègrent dans leur réseau – des jeunes en général – leurs obligés, par le biais d’un système de créances. Une fois la dette contractée, il est facile de les obliger à travailler pour le réseau. En quelque sorte, ce texte va ajouter un nouveau créancier à ceux qui existent dans les milieux délinquants. Les détenus auront à s’acquitter de dettes qui les pousseront, à leur sortie de prison, à devoir encore trouver des expédients pour rembourser non plus les têtes de réseau ou les chefs des criminels, mais l’État. Il est étonnant que l’État vienne s’ajouter à la liste des créanciers qui poussent au crime.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL19 de Mme Émilie Bonnivard
Mme Émilie Bonnivard (DR). L’idée de cet amendement m’est venue après des échanges avec les surveillants du centre pénitentiaire d’Aiton en Savoie. Lors de son incarcération, toute personne détenue se voit remettre un kit arrivant qui comprend des articles de première nécessité. Cette dotation, prise en charge par l’administration pénitentiaire, vise à garantir la dignité du détenu dès son arrivée.
Les surveillants m’ont indiqué que certains détenus abîment volontairement les éléments de ce kit, obligeant l’administration pénitentiaire à les renouveler de façon régulière. Cela choque beaucoup les surveillants. Si nous ne faisons pas payer aux détenus des frais d’incarcération, faisons-les au moins participer au financement de ce kit, qui comprend notamment une couverture et leur permet de vivre dans leur cellule. Ce serait une bonne chose pour les responsabiliser et les inciter à prendre soin du matériel pénitentiaire.
M. Éric Michoux, rapporteur. Je partage votre position : nous devons faire preuve de fermeté face à toute dégradation commise en détention, que ce soit dans les cellules ou sur le matériel fourni. Mais vous proposez une rédaction globale qui vient écraser le reste de la proposition de loi. Bien que je sois favorable à votre idée, je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable sur votre amendement. Je vous invite à le retravailler d’ici à la séance pour venir compléter ce texte et non le remplacer.
L’amendement est retiré.
Amendements CL2 de Mme Sandra Delannoy, CL11 de M. Stéphane Rambaud, CL20 de M. Éric Michoux et CL15 de Mme Émilie Bonnivard (discussion commune)
Mme Pascale Bordes (RN). Dans notre pays, qui est une démocratie, il peut arriver que des magistrats de première instance se trompent, qu’une cour d’appel réforme, que la Cour de cassation casse et renvoie. Afin d’éviter des conséquences qui pourraient être graves, l’amendement CL2 propose de réserver cette participation aux frais de détention aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation définitive.
Pour revenir au principe même de cette participation, certains arguments soulevés à l’appui des amendements de suppression m’étonnent. Il est clairement précisé que le montant de la participation est proportionnel aux ressources de la personne détenue et à son patrimoine, selon un barème. Ceux qui n’ont pas de ressources ou de patrimoine ne paieront donc pas. Vous nous reprochez d’avoir des présupposés dogmatiques, mais je vous renvoie le compliment : vous partez du principe que tous les détenus sont en situation d’insolvabilité, ce qui est totalement faux. Ceux qui sont emprisonnés pour trafic de stupéfiants, en particulier, ont un certain patrimoine et des revenus, certes occultes, qui leur permettent de payer une participation.
Quant aux anciens gardes des sceaux, je les renvoie à leurs propres turpitudes. Si le taux de surpopulation carcérale est ce qu’il est, c’est précisément parce que des prisons n’ont pas été construites. Qu’ils commencent par balayer devant leur porte.
M. Stéphane Rambaud (RN). Mon amendement tend à préciser que les personnes condamnées à une peine privative de liberté sont tenues de participer aux frais engendrés par leur incarcération. Il ne s’agit pas d’une contribution symbolique ou généralisée pour toute forme de condamnation, mais bien d’un principe de responsabilité qui s’applique à ceux qui purgent une peine ferme. Dès qu’un tribunal a infligé une peine de prison, il est légitime que le condamné participe au coût que cette peine représente pour la collectivité. Cette précision permet d’écarter toute interprétation excessive qui viserait à étendre cette obligation à d’autres profils de condamnés sans incarcération effective.
M. Éric Michoux, rapporteur. Par l’amendement CL20, je vous propose de limiter ce dispositif aux seules personnes détenues condamnées, et donc d’en exclure explicitement les personnes placées en détention provisoire. S’il ne me semble pas impossible en théorie de faire contribuer aussi ces dernières, les modalités de remboursement des personnes relaxées compliqueraient trop le dispositif dans la pratique.
À la différence des amendements CL2 et CL11, j’emploie le terme « condamnées », qui correspond mieux au code pénitentiaire. Et je suis défavorable à l’exclusion des mineurs de ce dispositif, comme le propose l’amendement CL15. Je ne vois pas pourquoi les familles de mineurs délinquants ne paieraient pas cette contribution, particulièrement dans un contexte d’accroissement de la violence et de la délinquance des mineurs. Je demande donc le retrait de ces trois amendements au bénéfice du mien.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Un exemple très simple illustre l’inhumanité de cette proposition de loi : celui d’un employé ou d’un ouvrier gagnant 25 000 euros net par an, qui écoperait d’une année de détention pour avoir roulé en état d’ivresse ou sans permis. Comment paierait-il ses frais d’incarcération, après avoir perdu son travail à l’extérieur, sachant que le travail des personnes détenues n’est rémunéré qu’à 3,5 euros de l’heure ? Il se retrouverait avec une dette de 50 000 euros à sa sortie de prison !
Mme Maud Petit (Dem). Je ne pense pas, monsieur le rapporteur, que vous ayez vu la série Adolescence, diffusée sur Netflix. N’oublions pas que les parents ne sont pas systématiquement responsables des actes atroces commis par leur enfant. Certains en sont traumatisés à vie, détruits, parfois stigmatisés alors qu’ils n’ont rien fait. Il serait un peu dur de leur demander de payer en plus les frais d’incarcération de leur enfant.
Les amendements CL2, CL11 et CL15 sont retirés.
La commission adopte l’amendement CL20.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL21 de M. Éric Michoux, rapporteur.
Amendement CL9 de M. Stéphane Rambaud
M. Stéphane Rambaud (RN). Il vise à supprimer la mention selon laquelle la participation des détenus aux frais de leur détention est proportionnelle à leurs ressources et à leur patrimoine, selon un barème. Cette approche peut sembler équitable en théorie mais elle est irréaliste en pratique : elle supposerait un examen individualisé de la situation financière de chaque détenu, qui alourdirait considérablement la procédure tout en multipliant les risques d’erreur, de contentieux et d’inégalité de traitement. Nous proposons plus simplement qu’un décret en Conseil d’État fixe les modalités de la participation.
M. Éric Michoux, rapporteur. Il ne s’agit pas de faire du cas par cas mais de fixer, par le biais d’un décret en Conseil d’État, un barème en fonction duquel sera déterminée la contribution des détenus. Cela me semble nécessaire pour tenir compte de la réalité des situations, notamment de celle des personnes indigentes. Avis défavorable.
M. Guillaume Kasbarian (EPR). Le Rassemblement national constate lui-même la complexité de mise en œuvre du texte et son inefficacité, fût-il amendé. Cela confirme que cette disposition est symbolique et qu’une participation des détenus à leurs frais d’incarcération – à laquelle nous ne sommes pas opposés – ne peut pas se faire au travers d’un article de trois lignes renvoyant à un décret.
M. Éric Michoux, rapporteur. C’est la deuxième fois que vous dites que le texte ne vous convient pas, monsieur Kasbarian, mais que proposez-vous ?
L’amendement est retiré.
Amendement CL14 de Mme Émilie Bonnivard
Mme Émilie Bonnivard (DR). Cet amendement vise à garantir l’effectivité de la contribution en étendant le prélèvement à tout type de ressources mobilisables, notamment au patrimoine détenu ou dissimulé par certains condamnés. Il s’inspire de la proposition de loi d’Éric Pauget, qui prévoyait un prélèvement sur le produit du travail, sur les revenus et sur le patrimoine saisi.
M. Éric Michoux, rapporteur. Il me semble pertinent de préciser la façon dont la contribution aux frais d’incarcération s’articule avec les éventuelles saisies réalisées sur les biens du détenu lors de la procédure pénale. Avis favorable.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Je le répète : 70 % des détenus se trouvent en situation de très grande précarité. Je ne vois pas ce que l’on va pouvoir prélever ! Reste à souhaiter que des cols blancs ayant détourné des fonds soient incarcérés – eux, je comprendrais que l’on saisisse leurs biens…
L’auteur de cet amendement purement démagogique n’a manifestement aucune connaissance de la population carcérale.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Cela signifie tout de même que 30 % des détenus ne sont pas en situation de très grande précarité, n’est-ce pas ? Que l’on ne demande rien à des personnes qui ont accumulé un patrimoine de façon totalement illégale sur le dos de nos concitoyens, cela me choque. Vous, vous les protégez. Nous ne ciblons absolument pas les 70 % d’indigents, alors vous défendez qui ? Nous assumons de faire participer ces 30 % aux frais d’incarcération, voire d’utiliser leur contribution pour financer des travaux dans nos établissements pénitentiaires. Vous faites une caricature systématique, vous utilisez toujours les mêmes arguments, c’est épuisant, c’est du niveau du café du commerce ! On ciblera ces 30 % si on en a envie.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Si l’amendement mentionnait un seuil de revenus, ou ne visait que les biens acquis de manière illégale, pourquoi pas ? Mais il ne fait nulle mention des 30 % ni rien de tel : par défaut, la participation pourra donc être prélevée sur le produit de la vente d’un canapé ou d’un téléviseur. Il faut s’y opposer.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL18 de Mme Émilie Bonnivard
Mme Émilie Bonnivard (DR). Il s’agit, pour éviter les échecs ou retards dans le recouvrement, de mobiliser la compétence technique de la direction générale des finances publiques. Celle-ci dispose en effet des outils et des fichiers nécessaires à l’évaluation des patrimoines et à l’exécution des créances.
M. Éric Michoux, rapporteur. De l’audition que j’ai menée de la direction du budget, il ressort qu’il existe déjà des circuits de recouvrement gérés par Bercy, avec lesquels le nouveau dispositif s’articulera. Votre amendement est donc satisfait. Il n’est pas nécessaire, en outre, de préciser dans la loi le rôle du ministère des Finances à cet égard, car cela relève du niveau réglementaire. Pour ces deux raisons, je vous invite à retirer votre amendement.
L’amendement est retiré.
Amendement CL8 de Mme Andrée Taurinya
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Même si 30 % des détenus ne se trouvent pas en grande précarité, ils ne sont pas non plus en situation de grande richesse. Je propose donc que ceux qui ne seraient pas en mesure de payer la contribution que vous leur demandez pour leur hébergement trois étoiles soient expulsés. Comme n’importe quel locataire qui ne paye pas son loyer, ils devraient faire l’objet d’une libération sous contrainte dans les conditions fixées à l’article 720 du code de procédure pénale.
M. Éric Michoux, rapporteur. Cet amendement est à la fois ironique et méprisant vis-à-vis des détenus. Vous suggérez de les expulser alors que vous vous battez toute l’année contre les expulsions ! Permettez-moi de vous dire que vous n’êtes pas très sérieuse, madame. Votre amendement absurde montre bien que la gauche, et l’extrême gauche en particulier, ne prend pas ce débat au sérieux. Les personnes détenues ne pourront pas refuser le prélèvement, de la même façon qu’elles ne peuvent refuser d’être prélevées pour l’indemnisation des victimes. Avis défavorable.
M. Guillaume Kasbarian (EPR). Je note un progrès : c’est la première fois en huit ans que j’entends La France insoumise défendre l’expulsion des locataires qui ne payent pas leur loyer !
M. Jordan Guitton (RN). Je remercie le rapporteur pour son travail. Nous voterons évidemment contre cet amendement. Nous avons vu des absurdités de la part de La France insoumise, mais je n’aurais jamais imaginé celle-ci ! Cet amendement démontre la dangerosité de sa doctrine. Je rappelle néanmoins à nos collègues macronistes que c’est grâce à eux que les députés de La France insoumise ont été élus et qu’ils peuvent déposer ce genre d’amendement. Bravo.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). J’aimerais que notre débat reste serein. J’aurais pu vous dire que votre proposition de loi était grotesque, monsieur le rapporteur, mais je ne l’ai pas fait : ne me dites pas quant à vous que je ne suis pas sérieuse ! J’essaye de me mettre à votre niveau, c’est tout.
Nous nous battons toute l’année pour trouver l’argent là où il est, chez les riches. Vous, vous essayez de contraindre les plus pauvres à payer ce qu’ils ne peuvent pas. Pour essayer de rattraper les choses, je me suis dit que, comme certains ici votent pour les expulsions locatives, ils allaient voter cet amendement. Mais non, vous ne le ferez pas, comme vous vous êtes toujours opposé à voter le retour de l’ISF ou la taxe Zucman ! Par contre, pour faire payer des prisonniers qui sont dans une précarité innommable et qui vivent dans des endroits que personne d’entre vous n’est allé visiter vraiment, tout le monde est là !
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL22 de M. Éric Michoux et CL10 de M. Stéphane Rambaud
M. Éric Michoux, rapporteur. Il s’agit de supprimer l’une des dispositions de l’article L. 412-20 du code pénitentiaire, en vertu de laquelle « le produit du travail des personnes détenues ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire. » Elle est en effet incompatible avec la présente proposition de loi.
M. Stéphane Rambaud (RN). Un détenu qui travaille en prison peut percevoir une rémunération sans que soit exigée de lui aucune participation à ses frais d’entretien : c’est une anomalie, une disposition ni juste, ni soutenable. En vertu du principe de contribution aux charges publiques, il est parfaitement légitime que le produit du travail en détention participe au moins partiellement aux frais que l’incarcération génère pour la collectivité. Nous proposons là simplement de rétablir une mesure qui a existé jusqu’en 2003.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Cette mesure aura un effet complètement contre‑productif : les détenus seront moins nombreux à travailler, c’est tout ! Et cela au détriment de la réinsertion. Si les revenus du travail en prison ne peuvent être prélevés, c’est pour inciter les détenus à vouloir travailler, en se disant qu’ils pourront cantiner et adoucir un peu la dureté de leur incarcération. Si leur travail sert à autre chose, ils n’y auront plus d’intérêt.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le travail en prison doit être favorisé car il a aussi une fonction de réinsertion. Aujourd’hui il est mal rémunéré et il n’y a pas d’emplois pour tout le monde : cherchons à améliorer la situation, plutôt que d’aller vers du travail gratuit ou forcé ! On perdrait tout le sens du travail et on favoriserait l’oisiveté. Il faut rejeter ces amendements.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Je suis assez d’accord avec ce qui vient d’être dit : tout le monde ne peut pas travailler en prison, et un prélèvement pourrait avoir un effet dissuasif. Mais, pour faire le même type de parallèle que Mme Taurinya, j’indique à nos collègues qu’il en va de même dans la vraie vie : des prélèvements trop importants sur les salaires désincitent nos concitoyens à travailler ! Je les invite donc à alléger les charges sur les entreprises afin d’augmenter les salaires.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Ce ne sont pas des charges mais des cotisations sociales, qui vous permettent d’aller à l’hôpital, qui offrent à vos enfants un enseignement de qualité et grâce auxquelles la justice et la police peuvent fonctionner.
Les détenus qui travaillent sont très mal payés – 300 à 400 euros par mois pour un temps plein. Si de surcroît les revenus qu’ils en tirent sont prélevés, ils risquent d’arrêter, ce qui aura un impact direct sur l’acquittement des dommages et intérêts dus aux victimes. Tout le monde sera perdant !
La commission adopte les amendements.
Amendement CL17 de Mme Émilie Bonnivard
Mme Émilie Bonnivard (DR). Nous demandons que le gouvernement remette au Parlement un rapport annuel évaluant la mise en œuvre du dispositif, par exemple en termes de montants et d’effectivité, afin que l’on puisse l’ajuster si nécessaire.
M. Éric Michoux, rapporteur. Il me semble pertinent de prévoir une évaluation régulière du dispositif. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article unique modifié.
Titre
Amendements CL6 et CL5 de Mme Andrée Taurinya (discussion commune)
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Avec le premier amendement, nous proposons de rebaptiser ce texte « proposition de loi visant à fragiliser les politiques de lutte contre la récidive en extorquant les personnes détenues et leur famille d’une partie des maigres ressources dont elles disposent ».
D’après l’Observatoire international des prisons, une personne sans domicile a huit fois plus de risques d’être condamnée à une peine de prison ferme que tout un chacun. Et une enquête publiée par Emmaüs France et le Secours catholique montre que 70 % des détenus sont en situation de grande précarité. Je ne vois pas comment vous pourrez gagner de l’argent en prélevant leurs revenus ! On pourrait en revanche donner plus de moyens au parquet national financier pour qu’il fasse son travail et qu’il enferme tous ceux qui détournent de l’argent.
Avec le second amendement, nous suggérons un autre titre : « proposition de loi visant à obliger les personnes détenues à payer pour les conditions de détention indignes engendrées par une surpopulation carcérale record ».
En effet, les détenus ne vivent ni au Club Med, ni dans des hôtels trois étoiles. Même si vous vous êtes rendus dans des prisons, très peu d’entre vous ont dû visiter des cellules. Si vous l’aviez fait, vous auriez vu des gens dormir sur des matelas à même le sol, envahis par les rats et les punaises de lit, et vous n’auriez pas pu voter cette proposition de loi !
M. Éric Michoux, rapporteur. Nous allons sur le terrain. Je ne sais pas où vous avez passé le réveillon du Nouvel an, mais moi, j’étais à la prison de Sennecey-le-Grand avec les détenus et les matons. Avis défavorable.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Je vous redis, monsieur le rapporteur, que je goutte très peu vos prises de parole méprisantes à mon égard. Sachez que je me suis emparée de la situation de la maison d’arrêt de La Talaudière. J’y suis allée quatre fois, dont deux à l’occasion de jours fériés. Et je suis allée jusqu’au Conseil d’État pour témoigner, à sa demande, de la condition indigne des détenus.
La commission rejette successivement les amendements.
L’ensemble de la proposition de loi est adopté.
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Proposition de loi visant à instaurer des peines planchers pour les crimes et délits commis contre les membres de la force publique et les pompiers (n° 1410) (Mme Brigitte Barèges, rapporteure)
Mme Brigitte Barèges, rapporteure. Les trop nombreux drames survenus, encore récemment, en raison de la multiplication des violences commises dans notre société ont conduit nos concitoyens à une exaspération légitime face à l’inaction de notre gouvernement.
La première des réponses est « que là où dans la loi sont inscrites des peines maximales, on puisse inscrire aussi des peines minimales », a indiqué François Bayrou, premier ministre, devant notre assemblée lors des questions au gouvernement, le 3 juin. Ces mots, nous l’espérons, sont le signe d’une prise de conscience : celle de la nécessité d’agir pour affermir la réponse pénale.
Malheureusement, cette prise de conscience est bien trop tardive, alors qu’on ne peut que déplorer, chaque année, l’augmentation du nombre des infractions commises sur notre territoire.
Pour remédier concrètement à cette situation, la présente proposition de loi rétablit des peines planchers concernant les crimes et délits commis contre nos forces de l’ordre, dépositaires de l’autorité publique. Parce que ces atteintes dont sont victimes nos personnels en uniforme sont des atteintes à la République, elles méritent d’être sévèrement sanctionnées. Or notre système juridique actuel est loin de favoriser la fermeté de la réponse pénale.
En effet, notre code pénal ne fixe que des plafonds de peine, sans prévoir de minimum. Dans les faits, cela conduit à une totale déconnexion entre la peine encourue et celle effectivement prononcée. Les travaux du professeur Arnaud Philippe, chercheur ayant participé à l’étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) sur les peines planchers en 2024, ont démontré que les personnes ne sont condamnées en moyenne qu’à 8 % du maximum de la peine encourue. Un tel écart n’est pas acceptable. Il contribue à nourrir la crise de confiance envers la justice, mais aussi à affaiblir considérablement le sens de la peine.
Je rappelle qu’aux termes de l’article 130-1 du code pénal, les finalités de la peine sont plurielles : assurer la protection de la société, prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l’équilibre social. Pour cela, la peine doit sanctionner l’auteur de l’infraction et favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. Et pour être véritablement dissuasive, la peine prononcée ne doit pas être totalement décorrélée de la peine maximale prévue par le législateur. C’est pourtant ce qu’on observe pour la très grande majorité des condamnations.
Comme vous le savez, nous avons déjà introduit des peines planchers dans notre droit, entre 2007 et 2014. Je prendrai un instant pour dresser un bilan objectif de cette expérience, car j’anticipe les arguments qui me seront opposés sur leur absence prétendue d’effets sur la récidive. Je me fonderai sur les travaux les plus récents de l’IPP, datant de mars 2024.
D’abord, il est avéré que l’instauration des peines planchers a eu un effet tangible sur la fermeté de la réponse pénale : elles ont contribué à l’accroissement de la durée moyenne des peines d’emprisonnement prononcées. Pour les personnes condamnées en état de récidive légale, le quantum moyen de la peine prononcée a progressé de six mois, soit une augmentation de 63 %.
Ensuite, ce dispositif a eu un effet dissuasif sur son public cible, à savoir les récidivistes. En effet, l’étude de l’IPP montre que les personnes plus sévèrement condamnées en application d’une peine plancher ont moins récidivé sur des infractions pour lesquelles des seuils minimaux d’emprisonnement étaient justement prévus. L’Institut souligne ainsi un effet d’« apprentissage » de la réforme, qui a eu pour effet de dissuader les personnes condamnées de commettre un nouveau délit puni d’une peine plancher.
Plus intéressant encore, les cocondamnés d’une personne ayant subi une peine plancher, qui ont assisté au procès, ont également eu tendance à moins récidiver. Cela démontre bien l’effet dissuasif de la sévérité de la peine minimale, non seulement sur la personne condamnée, mais également à l’égard de l’ensemble des délinquants.
Cependant, cette réforme ne ciblait qu’un nombre très restreint de personnes condamnées. En effet, les anciennes peines planchers avaient essentiellement vocation à s’appliquer aux personnes condamnées en état de récidive légale. Même si elles ont été étendues en 2011 aux primo-délinquants, cette extension a été limitée à certaines infractions réduites. Sur cette population cible, l’étude de l’IPP indique qu’il a bien été observé une « diminution de certains types de comportements délinquants », mais limitée aux potentielles récidives de récidivistes.
C’est donc la preuve que ce ne sont pas les peines planchers elles-mêmes qui sont inefficaces en matière de prévention de la récidive, mais que c’est le mauvais calibrage de la réforme, trop ciblée sur les récidivistes, qui a eu pour effet de limiter son effet dissuasif.
Le nouveau dispositif qui vous est présenté tire les leçons de cette expérience passée. Il introduit des peines minimales pour tous les crimes et délits punis de trois ans d’emprisonnement lorsqu’ils ont été commis contre nos forces de l’ordre – policiers, gendarmes, agents des douanes, agents pénitentiaires, gardes champêtres – et les sapeurs-pompiers. Ces peines minimales s’appliqueront dès la première infraction commise, car il n’y a aucune raison que de telles atteintes ne soient sévèrement sanctionnées qu’en cas de récidive légale. Pour respecter les exigences constitutionnelles et le principe d’individualisation des peines, la juridiction pourra, par décision spécialement motivée, déroger à ces peines minimales, dans certaines conditions.
Ce nouveau dispositif est donc équilibré. Sur le plan juridique, il ne soulève aucune difficulté, ce que les personnes auditionnées ont confirmé. Sur le plan opérationnel, l’introduction de telles peines minimales répond à une impérieuse nécessité : celle de restaurer la fermeté de la sanction pénale et de rétablir les fonctions punitive et dissuasive de la peine.
Je terminerai en rappelant que selon un récent sondage, 82 % des Français sont favorables au rétablissement des peines planchers. Ce n’est pas la première fois que notre assemblée examine des initiatives parlementaires visant à les réintroduire. Pourtant, elles ont toutes été rejetées ou retirées et aucun débat raisonnable et objectif n’a pu avoir lieu sur le sujet majeur de la fermeté de la réponse pénale. Il est urgent que le législateur s’en empare et réponde à l’attente légitime des Français. C’est l’objet de cette proposition de loi de M. Éric Ciotti et des membres du groupe UDR dont j’ai l’honneur d’être rapporteure.
Le débat sur les peines planchers a trop souvent cédé la place à l’anathème et aux postures purement idéologiques. Après tant d’occasions manquées et la succession de propositions de loi, issues de différents groupes politiques, visant à redonner du sens à la peine par l’intermédiaire des peines minimales, j’espère que l’examen du présent texte sera constructif et à la hauteur des enjeux auxquels notre justice est confrontée.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Michaël Taverne (RN). Cette proposition de loi répond à une attente forte de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui assurent notre sécurité au péril de leur vie. Elle est également souhaitée par la majorité des Français puisque, selon un récent sondage, 87 % d’entre eux sont favorables à des peines de prison automatiques pour les agresseurs de policiers. Parmi ces 87 % figure le garde des sceaux, Gérald Darmanin, selon qui « quand on touche à un policier, cela ne peut pas être moins de trois mois de prison ». Et d’ajouter : « Les propositions que j’ai formulées » – en copiant bien sûr le programme du Rassemblement national – « se vérifient dans l’urgence. Il faut les adopter très vite. Le premier ministre y a apporté son soutien. » Collègues macronistes, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
Ce texte plein de bon sens est une proposition de longue date du Rassemblement national. Il faut un sursaut pénal : s’en prendre à ceux qui nous protègent est une ligne rouge. À ce titre, nous avions proposé lors de notre dernière niche parlementaire un dispositif similaire, qui prévoyait l’abrogation de l’article 464-2 du code de procédure pénale et un retour aux peines d’emprisonnement, y compris de courte durée. Il faut endiguer le sentiment d’impunité.
Les infractions commises lors de la finale de la Ligue des champions démontrent une nouvelle fois la violence décomplexée exercée contre nos agents de la force publique et nos sapeurs-pompiers. Pendant que certains les insultent du matin au soir et ont plus de compassion pour les voyous que pour les victimes, des parlementaires responsables veulent instaurer des dispositifs pour protéger nos anges gardiens. Sinon, qui le fera ?
Dorénavant, la règle est simple : si vous vous en prenez physiquement à un représentant des forces de l’ordre, vous dormez en prison. Les sauvages qui s’en prennent aux policiers, aux gendarmes, aux pompiers, aux policiers municipaux, aux agents pénitentiaires, aux militaires de l’opération Sentinelle et aux douaniers doivent être écartés de la société et condamnés à une peine de privation de liberté.
Quand nous abordons le rétablissement des peines planchers, certains nous disent que ce n’est pas efficace, que cela ne marche pas, que c’est une proposition démago. Pourtant, aucune étude ne le démontre, ainsi que l’a indiqué Mme la rapporteure. Comment peuvent-ils se satisfaire de la situation que nous connaissons ? Je rappelle qu’Emmanuel Macron, lors de son premier quinquennat, a dit aux forces de l’ordre que « les Français ne supportent plus l’impuissance publique » ni les violences dont les forces de l’ordre font l’objet. Nous, nous sommes prêts.
M. Guillaume Kasbarian (EPR). Il y a un peu plus d’un an, l’attaque ciblée d’un fourgon pénitentiaire coûtait la vie à deux agents dans l’exercice dans leur mission. Comme tant d’autres, ce drame a rappelé que ceux qui nous protègent sont trop souvent pris pour cible, exposés à une violence désormais banalisée et désinhibée. Dans ce contexte, le garde des sceaux a récemment annoncé une révolution pénale. Nous en partageons pleinement l’ambition : celle d’une justice plus réactive, ferme, lisible et respectueuse de ceux qui s’engagent chaque jour au service de la République.
Cependant, le présent texte, qui reprend une disposition expérimentée entre 2007 et 2014, ne répond pas à cet objectif. L’efficacité des peines planchers est contestable, tandis que leur logique, rigide et fondée sur l’automaticité des peines dès la première infraction, fait juste illusion : le dispositif affiche la sévérité sans garantir l’efficacité.
Depuis 2017, nous avons agi pour muscler la réponse pénale : budget de la justice revalorisé, sanctions mieux exécutées, loi du 24 janvier 2022 en réponse aux violences faites aux forces de l’ordre. Jamais nous n’avons dissocié sévérité et efficacité. Ce texte, lui, confond automaticité et autorité. Nous défendons des peines minimales, mais proportionnées à la gravité des faits. La fermeté est utile quand elle est ciblée et exécutable.
Soyons clairs, lorsqu’un crime ou délit grave est commis contre ceux qui nous protègent, la peine doit être immédiate et dissuasive ; c’est une exigence de justice et de respect pour ceux qui servent chaque jour notre pays. Mais cela ne signifie pas que tout acte doive conduire automatiquement à l’incarcération. Dans le cas de délits de moindre gravité, et uniquement dans ces cas-là, des sanctions alternatives comme le placement sous bracelet électronique, les travaux d’intérêt général ou de lourdes amendes peuvent s’appliquer si elles sont réellement prononcées et exécutées.
Nous le répétons : aucune atteinte à l’intégrité physique ou morale de nos forces de sécurité et de secours et plus généralement des agents de la République ne doit rester sans réponse. Chacun doit purger sa peine de manière proportionnée, mais avec la certitude de la sanction. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République ne soutiendra pas cette proposition de loi.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Punir, fort, toujours plus fréquemment et toujours plus longtemps : telle semble être la devise qui guide chacune de vos propositions de loi. Cette obsession démagogue vous empêche d’analyser les situations et de proposer des mesures véritablement utiles. Votre but n’est pas la diminution de la violence, pas plus que la réinsertion ni le travail sur la récidive : non, votre philosophie est une justice vengeresse pure et dure. Voilà ce qui guide chacune de vos lois, plus répressives les unes que les autres.
Toutes les études scientifiques démontrent pourtant que l’incarcération est criminogène et désocialisante. C’est dans un contexte d’inflation carcérale inédite que vous voulez rétablir les peines planchers, pourtant supprimées au regard de leur inefficacité. C’est dans un contexte de surpopulation carcérale, avec détenus et professionnels à bout de souffle, au bord de l’implosion, que vous proposez une telle loi, déconnectée des urgences et à l’opposé de ce qui est absolument nécessaire : la régulation carcérale, pour mettre fin à ces conditions de détention insoutenables qui ne créent que souffrance, récidive et violence à l’intérieur des murs comme dans la société – tout ce que vous prétendez combattre !
Mais vous ne dupez personne. Seules la douleur et la vengeance semblent animer l’intégralité des textes que nous examinons depuis le début de l’après-midi. Vous voulez réinstaurer les peines planchers pour les crimes et délits commis envers les gendarmes, les policiers, les militaires de la sécurité civile, les sapeurs-pompiers, les agents des douanes, les agents de l’administration pénitentiaire, les policiers municipaux et les gardes champêtres. Pour cela vous proposez de rétablir l’article 132-18-1 du code pénal, supprimé en 2014. Cela vous exempte, ainsi que le gouvernement, de votre véritable responsabilité dans la dégradation des conditions de travail de celles et ceux qui assurent la sécurité de nos concitoyens. Revalorisation salariale, diminution de l’âge de la retraite, déflation carcérale : voilà ce qu’attendent nos professionnels de la sécurité.
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La séance est levée à 20 heures.
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Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
M. Olivier Marleix, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (n° 1148) ;
M. Pouria Amirshahi, rapporteur en remplacement de Mme Léa Balage El Mariky, sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste (n° 1524).
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Bruno Bilde, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Manon Bouquin, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Pierre Cazeneuve, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Marc de Fleurian, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Kasbarian, M. Antoine Léaument, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Bryan Masson, M. Ludovic Mendes, M. Éric Michoux, M. Jean Moulliere, Mme Maud Petit, M. François Piquemal, Mme Lisette Pollet, M. Julien Rancoule, M. Charles Rodwell, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, M. Aurélien Taché, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, Mme Prisca Thevenot, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Ian Boucard, Mme Colette Capdevielle, Mme Émeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou, M. Jiovanny William
Assistaient également à la réunion. - Mme Sandrine Josso, M. Hervé de Lépinau, M. Emmanuel Mandon