Compte rendu

Délégation aux droits des enfants

 Audition, ouverte à la presse, de Mme Sarah El Haïry, Haute-commissaire à l’enfance   2

 

 Membres présents ou excusés........................  3

 

 

 

 


Mercredi
18 juin 2025

Séance de 15 heures 15

Compte rendu n° 20

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de Mme Perrine
Goulet,
Présidente


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La séance est ouverte à quinze heures quinze

Présidence de Mme Perrine Goulet, Présidente de la Délégation

 

 

La Délégation aux droits des enfants a auditionné Mme Sarah El Haïry,

haute-commissaire à l’enfance

 

Mme la présidente Perrine Goulet. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui madame Sarah El Haïry, haute-commissaire à l’enfance. Créé en février 2025, le haut-commissariat à l’enfance a pour mission d’intervenir dans différents domaines de la politique de l’enfance dans une logique interministérielle et plus particulièrement sur les thématiques suivantes : la petite enfance et le soutien à la parentalité, la protection de l’enfance et la lutte contre les violences faites aux enfants, la santé et la question de l’adoption. Vous avez esquissé votre feuille de route lors d’une audition devant la commission des affaires sociales du Sénat et dans un entretien au Parisien, vous avez listé trois priorités : lutter contre les politiques discriminant les enfants, faciliter l’adoption et réguler l’utilisation des écrans.

Je souhaiterais dans un premier temps revenir sur votre priorité concernant la lutte contre l’addiction aux écrans des plus jeunes qui perturbe leur santé et nuit à leur réussite scolaire. Le numérique peut créer différents troubles pour les enfants – troubles de l’apprentissage, augmentation de la violence – mais il peut aussi engendrer du cyber harcèlement, de l’isolement, au détriment de leur santé mentale. Notre délégation avait d’ailleurs mené une mission d’information sur l’éducation et le numérique en 2023 et une autre est en cours sur la santé mentale des jeunes, dont le rapport sera rendu d’ici quinze jours.

En 2018, a été actée l’interdiction des portables au sein de l’enceinte scolaire. Or, sept ans après, cette interdiction n’est toujours pas complètement appliquée. Lors de la rentrée 2024, presque 200 collèges se sont portés volontaires pour mettre en place une pause numérique, à charge pour chaque établissement de définir une modalité pratique. Travaillez-vous avec l’éducation nationale et les établissements pour généraliser cette expérimentation prévue à la rentrée 2025 ?

Ce week-end, la ministre a été plus loin en annonçant une interdiction des écrans pour les moins de 3 ans, décision que nous saluons bien entendu. Cependant, il est loisible de se demander comment ce dispositif sera mis en place, quand on voit que la loi sur les violences éducatives ordinaires qui avait été portée par ma collègue Maud Petit n’est toujours pas appliquée alors qu’elle a été votée depuis plus de six ans. Concernant les enfants plus grands, en 2023, notre Assemblée a voté l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans et en 2024, l’obligation du contrôle de l’âge d’accès pour les sites pornographiques.

Force est de constater que malgré tous les rapports, comme ceux de Génération Numérique sur les effets délétères des accès au porno ou aux réseaux sociaux, ces interdictions-obligations ne sont toujours pas respectées. Comment comptez-vous agir pour que ces choix forts réalisés par le Parlement deviennent une réalité ?

Ensuite, je tiens à revenir sur un sujet très alarmant, la protection de l’enfance, qui est traité en silo par des politiques, alors qu’il devrait être un enjeu majeur porté par tous les acteurs, de manière coordonnée. Nous vous avons remis les recommandations formulées par la délégation aux droits des enfants à la suite du cycle d’auditions concernant la protection de l’enfance. Cette politique est hautement interministérielle. Dès lors, dans cette logique, comment comptez-vous travailler avec les différents ministères et collectivités qui doivent assurer leurs compétences obligatoires en matière de protection de l’enfance ?

Enfin, votre fiche de route affiche également comme priorité la question de l’adoption. Lors de votre audition au Sénat, vous avez fait mention de vos travaux en cours concernant l’adoption et la possibilité de formation destinée aux familles adoptantes afin qu’elles obtiennent un agrément d’assistants familiaux plus tôt et plus vite pour accueillir les enfants. J’aimerais que vous éclaircissiez cette proposition car, pour moi, il vaudrait mieux passer par l’accueil durable bénévole que par le métier d’assistant familial, dont les finalités ne sont pas tout à fait les mêmes. Aussi, je souhaiterais comprendre comment vous envisagez ce métier d’assistant familial. Vous indiquez également réfléchir à un élargissement des critères pour l’adoption. Où en sont vos réflexions ? Je rappelle en effet que nous avons légiféré sur ce sujet en 2022.

Madame la haute-commissaire, je vous laisse la parole pour un propos introductif et pour répondre à mes premières interrogations. Nous passerons ensuite aux échanges avec les collègues ici présents.

Mme Sarah El Haïry, haute-commissaire à l’enfance. Je suis très heureuse d’être aujourd’hui auditionnée par votre délégation, d’autant plus que, dès ma nomination, nous avons pu établir rapidement des échanges et repartir de l’ensemble des travaux extrêmement riches et de qualité produits par la délégation aux droits des enfants. Le haut-commissariat à l’enfance a pour objet de répondre à une carence dans nos politiques de protection et de prévention, grâce à la force de l’interministérialité. Aujourd’hui, l’objectif de ce haut-commissariat, né de la volonté du Président de la République, consiste à sortir des silos habituels issus des pratiques « classiques » de l’exécutif gouvernemental.

Il s’agit de penser autrement ces politiques publiques et de les coordonner en étant, d’une certaine manière, le garant que l’enfant figure bien au cœur de ces réflexions. En effet, ces politiques publiques traitent l’enfant de manière dissociée, parfois comme un élève, parfois comme un patient, parfois dans le cadre de la filiation et de la responsabilité parentale. L’objectif et les travaux du haut-commissariat consistent à réunir autour de cette réalité sociale l’ensemble des acteurs, qu’ils soient associatifs, éducatifs ou porteurs de politiques publiques au sein de l’administration territoriale ou centrale.

Dans ces conditions, le haut-commissariat à l’enfance a évidemment dû établir des priorités. L’enfant est ici considéré dans le cadre d’une définition extrêmement simple, celle de l’article 1er de la convention internationale des droits des enfants de 1989, depuis la naissance jusqu’à la majorité. Concrètement, nous traitons autant des sujets de petite enfance, le fameux 0-3 ans que des questions plus spécifiques de l’adolescence. Je pense par exemple au rapport d’Hélène Roques et de Serge Hefez sur le soutien à la parentalité, mais aussi, finalement, à toutes ces étapes clés qui sont les apprentissages des compétences psychosociales ou l’accompagnement. Ces aspects concernent notamment la question de la protection de l’enfance, ou encore le soutien à la parentalité, qui constitue aujourd’hui l’un des outils les plus puissants en termes de prévention et d’accompagnement des enfants eux-mêmes.

Les bases d’une ambition ont été posées en matière de service public de la petite enfance ; les compétences ont été votées grâce à la volonté du législateur. Depuis le 1er janvier 2025, les collectivités disposent de cette responsabilité. Le secteur de l’accueil de la petite enfance est très tendu, de très nombreuses places manquent, la montée en qualité et en compétences est essentielle. Les difficultés sont notamment liées au manque d’attractivité des métiers et des parcours.

Des actions ont été lancées pour y remédier. Je pense en particulier à la validation des acquis de l’expérience (VAE) inversée, à l’accompagnement des formations, mais aussi à la demande des professionnels de reconnaissance de leurs spécificités en termes d’accompagnement de la parentalité et des grandes politiques de prévention. Les travaux que nous menons avec la ministre Vautrin portent plus largement sur la question de l’attractivité des métiers, du « prendre soin ».

Dans quelques semaines, des aides seront versées aux communes pour les accompagner dans cette montée en charge. Certaines communes ont transféré la compétence, mais d’autres conservent un pilotage en direct. Nous travaillons également avec les fédérations à l’écriture de la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG). Se pose en outre la question, en lien avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), d’espaces d’expérimentation, de territoires prioritaires et de la liberté du choix du mode d’accueil (assistante maternelle ou accueil collectif).

Nous observons également avec beaucoup d’intérêt des solutions hybrides en développement, autour des crèches familiales et crèches scolaires, qui tissent un certain nombre de liens extrêmement féconds, concernant l’accueil ou la proximité, en réponse à des besoins très territoriaux, notamment ceux des territoires ruraux.

Madame la présidente, j’ai reçu le Conseil national de l’adoption (CNA) et sa présidente il y a quelques jours à peine en séance plénière, pour travailler sur plusieurs sujets : le rapport sur les pratiques illégales de l’adoption internationale, les nouveaux risques, la procédure de délaissement. Votre délégation a d’ailleurs beaucoup travaillé sur cette dernière procédure, et la question porte moins sur une évolution législative qu’une meilleure pratique professionnelle. Dans ce cadre, le haut-commissariat agit plutôt comme un animateur des différents acteurs autour de la question de l’adoption. Le projet de l’enfant et l’intérêt de l’enfant sont déjà au cœur des pratiques, mais la question consiste à savoir comment cette pratique est en réalité diffusée. Les outils législatifs existent, mais ils doivent être de plus en plus utilisés. Je pense notamment à la mise en œuvre aussi du fichier national des familles adoptantes.

Le Conseil national de l’adoption travaille également sur la question des différents statuts. Plusieurs hypothèses existent, et il ne s’agit pas d’en promouvoir une plus qu’une autre. Une famille adoptante peut-elle être également une famille assistante familiale ? Ceci est possible, des expérimentations ont déjà lieu à ce titre, par exemple dans le département de la Meuse. Néanmoins, elles ne répondent pas à tous les projets et il convient donc d’être extrêmement vigilant ; Mme la présidente Goulet m’avait d’ailleurs très clairement alertée à ce sujet lors d’échanges antérieurs.

Par ailleurs, cette solution ne suffit pas. L’idée consiste à envisager l’ensemble, des possibilités existantes, tel l’accueil durable bénévole, mais aussi les enjeux du tiers digne de confiance et de la sécurité affective dans la durée. Il s’agit en quelque sorte de « remuscler » toutes les possibilités, dans le cadre d’un exercice de pratiques professionnelles et d’accompagnements. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’échanger sur la place des enfants dans le parcours avec des professionnels lors d’un colloque au tribunal de Paris.

En termes méthodologique, le haut-commissariat s’appuie sur les travaux et les expertises existantes, ceux de la délégation aux droits des enfants, des groupes thématiques aujourd’hui du CNA, du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) ou du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). L’enjeu consiste ici à coordonner les actions des différents acteurs et les pratiques professionnelles, puisque les outils législatifs ont désormais bien progressé.

Nous sommes également fréquemment questionnés sur l’accès et le droit aux origines, puisque des parlementaires, en particulier la députée Bannier et la députée Pouzyreff, ont fait état de leur réflexion sur la place des fameux tests ADN, qui ne sont pas aujourd’hui autorisés en France, mais sont objectivement vendus au grand public. Seules les décisions de justice permettent l’utilisation d’un certain nombre de ces tests. J’ai demandé au CNAOP et au CNA de se pencher en détail sur ces nouvelles pratiques, en sachant que le Conseil national d’éthique avait déjà remis un certain nombre d’informations à ce sujet. Aujourd’hui, un certain nombre d’associations d’enfants nés sous X questionnent une loi qui a désormais vingt-cinq ans. Ces questions méritent d’être étudiées en profondeur, tant il n’existe pas de réponse parfaite. Néanmoins, compte tenu de ces nouvelles réalités et de l’évolution législative dans d’autres pays européens, le temps est venu de se reposer la question.

Ensuite, je connais l’importance que votre délégation accorde aux violences faites aux enfants, une urgence permanente. Nous recevons de plus en plus d’alertes, notamment de la part des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) sur des violences exercées contre des enfants plus jeunes, notamment des nourrissons. Pour le moment, je ne dispose pas des chiffres consolidés au niveau national. C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé avec un groupe d’experts, afin de diffuser dès la rentrée un questionnaire permettant d’objectiver cette évolution et de spécifier ces violences, qu’elles soient sexuelles, intrafamiliales, institutionnelles, physiques ou psychologiques. Ce questionnaire sera adressé aux différents interlocuteurs concernés : la justice, les hôpitaux, la protection maternelle et infantile (PMI), la cellule départementale de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (Crip).

Il nous faut poursuivre inlassablement les travaux en termes de prévention. Je pense aux pratiques professionnelles, à l’accompagnement des professionnels qui entourent l’enfant, la détection et le repérage des signaux faibles, mais également la capacité à mieux accueillir la parole des enfants. Dans ce cadre, les enjeux sont structurels, à l’instar du déploiement des Uaped dans l’ensemble des juridictions, un engagement pris et déployé par la ministre Vautrin, dont j’assure le suivi. Je pense également aux structures qui, aujourd’hui, coordonnent le soin médical, psychologique, social et judiciaire, la prise en charge globale de l’accompagnement du 119.

La plateforme du 119 fait en effet face à des problématiques de transformation nécessaires, cadrées par le législateur avec le groupement d’intérêt public (GIP) « France enfance protégée ». À ce titre, une campagne d’information sur le numéro sera reconduite à la rentrée. Se pose également la question de l’évolution des canaux, compte tenu des difficultés actuelles concernant le temps d’attente, la question du rappel, l’identification des enfants, l’utilisation du chat. De même, l’amplitude horaire n’est pas encore suffisante. Les travaux d’amélioration de ce dispositif sont en cours, en particulier sur le pré-accueil, qui constitue l’un des enjeux essentiels.

Un projet de loi porté par la ministre Vautrin est en cours de préparation, afin d’apporter un certain nombre de réponses. Elles concerneront l’autorisation du cumul d’activités pour l’accueil familial, qui doit être renforcé ; le droit au répit, les modalités d’indemnisation, y compris en cas d’accueil durable et bénévole, la reconnaissance du tiers digne de confiance.

Madame la présidente, je souhaite également aborder votre question sur le numérique et ses conséquences. Aujourd’hui, le soutien à la parentalité numérique touche toutes les classes sociales et tous les territoires. Nous finalisons le plan national de soutien à la parentalité, avec les services de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), mais également avec un certain nombre de structures associatives et interministérielles. Il existe une politique de soutien à la parentalité universelle, mais il faut également prendre en compte certaines spécificités, soit du fait de la composition familiale, soit du fait des besoins des enfants. Ce plan national de soutien à la parentalité a vocation à traiter des nouveaux défis, à offrir des repères, des soutiens, des espaces de dialogue avec les parents. Nous travaillons par exemple avec l’École des parents sur les questions de la médiation, des ressources et de la refondation aussi du site « Je protège mon enfant », qui est moins adapté aux nouveaux défis.

Ensuite, les écrans sont de plus en plus présents dans la vie de nos enfants. Ainsi, 70 % des enfants de 8 à 10 ans sont déjà présents sur des réseaux sociaux, alors même que la loi Marcangeli instaure une majorité numérique à 15 ans. Il faut également prendre en compte l’explosion du cyberharcèlement dont les conséquences sont documentées, les mécanismes d’algorithme, les effets de l’usage des écrans sur la santé, la confiance en soi, l’obésité, la sédentarité, les troubles de l’apprentissage, la concentration.

Deux types de réponses peuvent a minima être envisagées. La première concerne l’éducation numérique, sur laquelle votre délégation a particulièrement travaillé. S’agissant des 0-3 ans, la ministre Vautrin a annoncé la publication d’un référentiel qualité sur les lieux d’accueil, qui intègre des fiches actions reprenant des propositions de votre délégation, lesquelles posent évidemment l’interdiction des écrans dans ces espaces. L’élargissement de ce champ permet également d’accompagner les PMI dans leur travail.

S’agissant de la sensibilisation, il faut reconnaître que l’ensemble des parents ne dispose pas aujourd’hui de tous les outils. Les interdictions doivent être associées à des mesures d’accompagnement, d’information, en cohérence avec les messages portés par l’éducation nationale. À ce sujet, la ministre de l’éducation nationale a saisi Isabelle Bourhis et l’Inspection de l’éducation nationale, en vue de la rédaction d’un rapport sur les espaces numériques de travail (ENT), en particulier Pronote.

Il s’agit d’abord de permettre un droit à la déconnexion pour les parents et pour les enfants, par exemple en supprimant les informations réactualisées entre 20 heures le soir et 7 heures le matin. L’idée consiste également à généraliser la pause numérique, c’est-à-dire l’absence de téléphones portables dans l’ensemble des collèges, en fonction naturellement de la réalité et du choix du directeur de l’établissement. Ces actions n’ont de sens que si elles sont partagées dans l’esprit de la continuité éducative, tant par le monde éducatif que par le monde de l’éducation populaire qui travaille déjà sur l’accompagnement et l’éducation numérique.

S’agissant de l’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans et la mise en œuvre effective de la loi votée, les négociations européennes sont portées par la ministre Chappaz dans le cadre du règlement sur les services numériques (DSA). Il existe désormais une coalition avec la nouvelle présidence danoise du Conseil de l’Union européenne. Le rapport de force avec les plateformes est ferme, mais elles n’évolueront pas d’elles-mêmes. En conséquence, la décision sera soit européenne, soit portée par la France.

Néanmoins, grâce aux travaux des dernières années, à l’action des différents ministres du numérique qui se sont succédés, de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), de Docaposte et de 18Connect, nous sommes parvenus à stabiliser l’outil permettant le contrôle de l’identité et de l’âge. Ce point technique a été levé et il existe désormais un projet de portefeuille électronique européen, ou e-Wallet.

Enfin, la question de la place de l’enfant dans l’espace public fait partie des engagements pleins et entiers du haut-commissariat. À ce titre, nous suivrons avec une grande attention les travaux de la Convention citoyenne sur les temps de l’enfant, qui s’ouvre ce week-end au sein du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et qui intègre notamment un collège d’enfants en son sein.

En conclusion, je souligne à nouveau l’existence d’un grand besoin de pluridisciplinarité professionnelle autour de l’enfant. Dans ce cadre, l’interministérialité doit être effective, car les politiques actuelles s’effectuent en silo, par typologie d’administration. Ma mission consiste à placer l’enfant au cœur de ces dispositifs et à réunir l’ensemble des acteurs.

Mme Caroline Parmentier (RN). Madame la haute-commissaire, je m’interroge sur votre capacité à prendre à bras-le-corps la situation de l’enfance en France, qui est dans un état catastrophique, comme toutes les auditions de notre récente mission parlementaire sur la pauvreté infantile, que nous avons menées avec ma collègue Béatrice Piron, l’ont souligné. Nous n’avons ni ministre, ni secrétaire d’État dédié à la cause et à la protection de l’enfance.

Cette carence gouvernementale est d’autant plus criante que se multiplient les drames et les scandales comme ceux de l’aide sociale à l’enfance (ASE), des crèches, de la pauvreté infantile, et tant d’autres défaillances graves. Emmanuel Macron vous a nommée à ce poste après votre défaite aux législatives, mais vous annoncez déjà que vous vous lancez dans la campagne des municipales pour la mairie de Nantes, une très grande métropole, qui nécessitera une campagne intense, alors que l’élection aura lieu dans quelques mois.

Madame la haute-commissaire, compte tenu de l’urgence, pensez-vous que les enfants peuvent attendre ? Quels chantiers allez-vous sérieusement mettre en place en si peu de temps ? Quelle sera la suite ? Vous abandonnerez la mission si vous êtes élue maire, mais vous la garderez si vous êtes battue. Comment croire à votre investissement total alors que la politique de l’enfance traverse une crise sans précédent ?

M. Arnaud Bonnet (EcoS). Madame la haute-commissaire, la dernière fois que nous nous sommes vus, c’était lors de la commission d’enquête sur le dysfonctionnement de l’aide sociale à l’enfance, où vous êtes revenue sur votre action en tant qu’ancienne ministre. Une politique volontariste est absolument nécessaire pour mettre les besoins des enfants au centre de notre société et qu’elle soit accompagnée de moyens conséquents.

Je vous ai écoutée avec attention. Les propositions que vous avez formulées vont dans le bon sens, mais malgré tout, je reste sceptique. En effet, selon moi, une mobilisation de notre société est nécessaire ; mais elle n’a pas été évoquée lors de votre présentation. Pourtant, il s’agit d’un préalable. L’ensemble de notre société doit s’emparer de la situation de l’enfant dans notre pays. Or il existe une cécité collective volontaire face aux violences commises sur les enfants, que l’on retrouve dans l’aide sociale à l’enfance, dans l’éducation nationale, dans tous les domaines où les enfants sont présents dans notre pays.

Au-delà d’annonces auxquelles nous pourrions adhérer, cela nécessite de véritables moyens, dans la mesure où il s’agit d’une priorité. Notre société ne peut pas connaître un avenir souhaitable et désirable si nous n’entendons pas bien davantage les enfants. Nous avons besoin d’une action collective, mais également d’une politique très forte du gouvernement en place dans cette direction.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Depuis plusieurs mois, de nombreux parents alertent sur l’existence de publications sur des plateformes et médias en ligne relayant des propos péjoratifs sur certains prénoms, en particulier, les prénoms Manon et Lola. Grâce à la mobilisation de plusieurs parents et élus, plusieurs sites ont retiré les publications concernées, mais certains d’entre eux résistent toujours à l’enlèvement de ces diffusions. Pour les enfants porteurs de ces prénoms, la lecture de ces contenus négatifs peut générer un mal-être et les exposer au harcèlement scolaire. Quelles mesures avez-vous prises ou pourriez-vous prendre dans ce domaine ?

La deuxième question concerne les mineurs non accompagnés (MNA). La situation demeure inquiétante, à en croire l’avis que vient de rendre la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Les MNA représentent 15 % à 20 % des jeunes pris en charge par l’ASE. Pourtant, nous ne disposons pas de données statistiques fiables permettant de les recenser, ce qui complexifie leur prise en charge. C’est la raison pour laquelle la CNCDH propose de créer un outil qui permettrait d’améliorer le recensement ou encore d’appliquer la présomption de minorité, au même titre que les demandeurs d’asile et conformément aux droits internationaux. Pourriez-vous nous exposer votre point de vue sur le sujet ?

Ma dernière question a pour objet d’attirer votre attention sur la santé mentale des jeunes placés à l’ASE. Le rapport que nous avons réalisé avec Sandrine Rousseau montre que près de 40 % d’entre eux n’ont jamais bénéficié d’un suivi psychologique. Ils souffrent d’un risque accru de troubles psychiques et leur accès aux soins est insuffisant. Il est essentiel de repenser l’accompagnement de ces jeunes, qui passe par une meilleure formation des professionnels, un soutien psychologique et la création de liens stables et sécurisants dans leur parcours. Aujourd’hui, des référents sont placés un peu partout dans les secteurs, mais tous travaillent en silo. À l’inverse, on n’installe pas d’infirmières scolaires qui pourraient permettre le repérage, le diagnostic et l’orientation vers la bonne personne. Comment comptez-vous agir dans ce domaine ?

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Madame la haute-commissaire, depuis votre nomination, vous avez choisi de faire de la lutte contre la tendance « no kids », de la régulation des écrans et des réseaux sociaux les priorités de votre action. Ces sujets sont importants, je vous le concède. Pour autant, pendant ce temps, des millions d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance de la République dorment à la rue, sont ballottés de foyers en hôtel social ou subissent des placements maltraitants dans des structures sous-dotées, parfois même non autorisées. Ainsi, 400 000 enfants sont aujourd’hui en danger, comme le rappelle un collectif d’associations.

La France ne respecte plus les engagements qu’elle a pris en ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant. Pire encore, elle ne respecte pas non plus ses propres lois. La loi Taquet est massivement inappliquée sur le terrain, faute de moyens, de volonté politique ou de contrôle. La défenseure des droits, Claire Hédon, l’a souligné dans sa décision-cadre de 2024.

Les droits fondamentaux des enfants protégés confiés à la République sont régulièrement violés. La commission d’enquête parlementaire sur les défaillances de la protection de l’enfance a dressé un constat accablant : manque de pilotage national, rupture de parcours, recours abusif aux placements à l’hôtel, absence de contrôle, abandon de jeunes majeurs à la sortie des dispositifs.

Face à une telle accumulation de constats, d’alertes et de lois restées lettres mortes, ne craignez-vous pas que votre action donne l’image d’une politique de l’enfance symbolique, médiatique, mais déconnectée vraiment de l’urgence vécue par les enfants les plus vulnérables ? Quand allez-vous faire de leur protection réelle une priorité politique à la hauteur des promesses de la République et de nos engagements internationaux ?

Mme Béatrice Piron (HOR). Dans le cadre de la mission d’information sur la pauvreté infantile que j’ai conduite avec ma collègue Caroline Parmentier, nous avons constaté des difficultés réelles, dont des délais d’inscription et d’affectation scolaire anormalement longs, en particulier pour les enfants hébergés en centre d’hébergement d’urgence ou vivant dans des habitats précaires.

Ces enfants ont pourtant un droit plein et entier à l’instruction garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant et par notre constitution. Mais dans la pratique, ce droit est trop souvent entravé. Même lorsque les familles parviennent à faire enregistrer une demande d’inscription en mairie, ce qui relève déjà parfois du parcours du combattant, l’affectation dans une école peut prendre plusieurs mois. Pendant ce temps, l’enfant reste sans solution scolaire.

Ma première question concerne donc le contrôle et l’effectivité de la scolarisation. Quels leviers comptez-vous mobiliser pour garantir que l’inscription scolaire soit non seulement acceptée, mais aussi effective dans des délais courts, raisonnables ? Avez-vous prévu des actions pour accompagner ou inciter les collectivités à respecter leurs obligations dans ce domaine, ainsi que pour mieux contrôler l’exhaustivité de l’instruction pour tous les enfants ?

D’autre part, dans le cadre de mes travaux au sein du groupe d’études illettrisme et illectronisme, je prévois de me rendre à Mayotte en septembre prochain afin de mieux comprendre les réalités locales et les défis spécifiques auxquels les enfants sont confrontés dans ce département. À cet égard, je tiens à exprimer ma vive inquiétude concernant la scolarisation des enfants à Mayotte. La situation est dramatique : selon Ouest France ou Le Figaro, environ 5 000 enfants seraient actuellement privés d’école depuis plusieurs mois après le passage du cyclone Belal, puis de la tempête Chido.

Ces chiffres ne font qu’aggraver une situation qui, avant ces événements climatiques, était déjà extrêmement préoccupante, sans parler des dizaines de milliers d’enfants scolarisés à mi-temps ou à tiers temps. Or le droit à l’éducation est un droit fondamental de l’enfant, quel que soit son statut administratif, son origine ou son lieu de vie. Ma question sur ce sujet sera donc double, madame la haute-commissaire. Vous êtes-vous rendue à Mayotte récemment ? Prévoyez-vous de le faire ? Pensez-vous intervenir pour garantir à ces milliers d’enfants l’accès à une scolarité effective de qualité ?

Mme Sarah El Haïry. Madame Parmentier, votre question porte en son cœur la polémique. Je suis une élue locale, conseillère municipale, je l’ai toujours été. J’exerce ma mission de haute-commissaire à temps plein et je vous mets au défi de pointer un moment où je n’aurais pas été au rendez-vous des engagements de ma feuille de route. Ma mission quotidienne porte sur la mise en œuvre de la coordination des politiques de l’enfance.

Monsieur Bonnet, vous avez raison d’en appeler à une action collective. En effet, nous sommes aujourd’hui confrontés à des difficultés dans l’accompagnement de toutes les personnes qui interviennent auprès des enfants, c’est-à-dire les familles, les employeurs en soutien à la parentalité, la puissance publique, les collectivités territoriales. Ma tâche consiste à les rassembler et à rappeler à chacun ses responsabilités et ses missions. Cela peut impliquer de provoquer les contrôles nécessaires, de rassembler des éléments d’évaluation, de mener le suivi effectif de la mise en œuvre d’un certain nombre d’engagements, notamment au titre de la loi Taquet.

Il faut faire preuve de volontarisme, pour tous les âges de l’enfance et tous les sujets, depuis la périnatalité jusqu’aux urgences en matière de santé – santé scolaire, santé de ville  et l’accompagnement éducatif. Ces questions se complètent et exigent une mobilisation. La prise de conscience existe, il s’agit désormais que chacun y prenne pleinement sa place et sa part. De mon côté, grâce au soutien complémentaire de la ministre Vautrin, ma mission consiste à faire en sorte que l’ensemble des politiques publiques portées par les administrations soit au rendez-vous de cette urgence dans la mise en œuvre effective des engagements qui ont été pris. Un comité interministériel sur l’enfance sera organisé, permettant à chaque politique publique d’être évaluée grâce à des indicateurs, doublés d’un comité de suivi.

Madame Dubré-Chirat, un certain nombre de signalements ont effectivement été produits concernant des phénomènes de harcèlement dans les cours d’école, en lien avec des prénoms. Cette tendance est inquiétante, et nous suivons de près la situation.

Il n’existe pas de recensement effectif des MNA, les remontées territoriales sont non consolidées. La position de la France a toujours été la même : elle n’opère pas de distinction entre les mineurs, quelle que soit leur situation ; nous leur devons la protection la plus complète.

S’agissant de la santé mentale, la mise en œuvre généralisée des protocoles « Santé protégée » et Pégase doit être au rendez-vous ; j’y serai extrêmement vigilante. Pégase a été expérimenté avec succès dans six départements. À ce sujet, la coordination des praticiens est essentielle et cette réflexion est menée par l’éducation nationale avec les PMI et les lieux où le dispositif « Santé protégée » a pu être expérimenté. De même, la lutte contre le non-recours est incontournable, mais elle doit être complétée par une présence médicale, qui est inégale sur les territoires.

Madame Hamdane, vous avez évoqué les enfants de l’ASE, soit plus de 380 000 enfants, répartis entre des structures, des assistants familiaux, en sachant qu’une partie d’entre-eux est également accompagnée à domicile. Tout le monde partage les constats d’urgence extrêmement clairs dressés par le rapport de la commission d’enquête. J’ai travaillé avec la rapporteure et la présidente, étudié les préconisations. Néanmoins, il est difficile de considérer que tous les 400 000 enfants vont mal. Certaines situations sont dramatiques, des défaillances sont réelles. Pour la première fois, on parle ainsi de défaillance institutionnelle et structurelle. Mais il existe aussi des enfants accueillis chez des assistants familiaux, qui se portent bien.

Il n’en demeure pas moins que l’organisation institutionnelle est questionnée, bousculée. La discussion portée par la ministre Vautrin est d’abord d’ordre financier, avec Départements de France. Parallèlement est conduite une politique de prévention extrêmement ambitieuse, puisqu’elle concerne à la fois l’amont (le soutien à la parentalité et l’accompagnement) et l’aval. La politique de prévention, absolument nécessaire, concerne également la détection, la lutte contre la pauvreté infantile, contre les violences, l’accueil des signalements. L’engagement de la ministre concernant l’aide sociale à l’enfance, est extrêmement clair, comme l’a d’ailleurs souligné l’une de vos collègues, Mme la députée Santiago. Je suis pour ma part au soutien de l’action quotidienne de la ministre Vautrin, en priorité sur les questions de prévention, et dans un second temps, sur la mise en œuvre de la loi Taquet. Aujourd’hui, nous nous efforçons de remobiliser la pratique professionnelle. Les travailleurs sociaux vivent des situations extrêmement compliquées, en matière de conditions de travail, de coordination, de rémunération et de parcours, qui fragilisent l’attractivité de leur métier.

À chaque fois que nous avons connaissance de défaillances, il est impératif d’en avertir le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, de manière systématique. Les contrôles relevant de l’autorité du préfet, il est nécessaire d’émettre de telles alertes et d’enclencher ces procédures. Le décret sur les hôtels doit également être amélioré, dans la mesure où il porte une fragilité sur la question de l’encadrant.

Vous avez souligné mon attachement à la défense du droit des enfants dans l’espace public. De fait, tenir des travaux sur la prévention et la protection de l’enfance n’interdit pas de mener d’autres engagements, qui sont complémentaires. En trois mois, j’ai mené plus de 140 rendez-vous, notamment avec des anciens de l’ASE, ai travaillé avec des départements sur la question de la prévention, mais aussi engagé des procédures sur la préservation du droit des enfants dans l’espace public, en particulier avec l’Unicef, le défenseur des droits des enfants et la défenseure des droits.

Madame Piron, s’agissant de l’affectation scolaire et de la question des inscriptions, je prends note du point d’alerte. Une saisine des ministres Rebsamen et Borne pourra être effectuée. Ensuite, je n’ai pas eu l’occasion d’aller à Mayotte, mais nous avons conduit un travail spécifique avec le ministre Valls, qui est pleinement engagé sur le sujet de l’enfance, au même titre que ses collaborateurs. Les équipes du haut-commissariat seront renforcées par la présence d’un représentant du ministère des outre-mer pour traiter des questions de violences faites aux enfants, de la scolarité ou encore de l’accès aux soins dans ces territoires.

Mme Christine Le Nabour (EPR). Madame la haute-commissaire, en tant que ministre, vous avez porté avec conviction la prévention des violences. Je tiens à saluer votre soutien au programme Lanterne. Initié par l’association Alexis Danan, le programme est une formation destinée aux professionnels de la petite enfance, tels que les éducateurs, les auxiliaires de puériculture, mais aussi celles des gendarmes. Son objectif principal concerne la prévention des violences sexuelles en favorisant les relations égalitaires dès le plus jeune âge.

En deux ans, de nombreux gendarmes ont bénéficié de cette formation, et dans mon département d’Ille-et-Vilaine, 5 400 enfants ont pu en tirer profit grâce au soutien de votre ministère. Malgré la dissolution, vous avez tenu à honorer les engagements pris sous votre mandat et je vous en remercie. Aujourd’hui, des milliers d’enfants dès la maternelle peuvent bénéficier de ce dispositif essentiel pour leur sécurité. Cependant, le chemin reste encore bien long et de nombreux enfants ne bénéficient pas encore de ce programme sur l’ensemble du territoire. Madame la haute-commissaire, comment envisagez-vous de prolonger et d’élargir ce programme pour garantir que tous les enfants, où qu’ils se trouvent, puissent en bénéficier ?

Mme la présidente Perrine Goulet devant s’absenter, la présidence est assurée par Mme Nicole Dubré-Chirat, vice-présidente.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Madame la haute-commissaire, vous disiez tout à l’heure que sur les 400 000 enfants dont nous parlions, certains vont bien. Mais êtes-vous au courant qu’une enfant placée a été assassinée par sa famille d’accueil dans notre pays ? Je le demande parce que depuis ce drame, je ne vous ai pas entendu parler d’elle une seule fois, ni prononcer son nom. Elle s’appelait Ayden, elle avait 7 ans, et elle est morte dans des conditions d’une violence inouïe, en état de dénutrition très avancé, le corps couvert de coups et une partie de son oreille manquante.

Madame, expliquez-moi dans quelle société nous vivons pour que la haute-commissaire à l’enfance que vous êtes ne prononce pas un mot quand une enfant placée se fait massacrer dans notre pays ? Expliquez-moi dans quelle société nous vivons pour que Mme la ministre Vautrin, en charge également de l’enfance, n’ait pas non plus formulé un seul mot pour cet enfant.

En suivant votre compte Twitter, nous avons pu apprendre que le PSG avait gagné, mais pas qu’une enfant placée, sous notre responsabilité, était décédée sous les coups de sa famille d’accueil. Je suis extrêmement en colère, parce que ce n’est pas la première fois. Si vous aviez été ministre de l’intérieur et qu’un policier avait été tué, vous seriez allée directement sur place. Un ministre de la justice aurait agi de même si un magistrat avait été assassiné. Pourquoi n’y a-t-il pas de réaction publique ? Pourquoi la haute-commissaire à l’enfance ne dit rien à ce sujet ?

Vous nous parliez d’engagement complémentaire. Je suis d’accord avec vous pour dire que le mouvement « no kids » est dangereux pour nos sociétés. Mais je ne vois pas d’engagement complémentaire dans vos prises de parole, je ne vous vois pas réagir. Cet enfant ne méritait-il pas une prise de parole de la haute-commissaire à l’enfance ? Aujourd’hui l’urgence consiste effectivement à protéger les enfants qui sont en danger. Or les plus vulnérables sont ceux de la protection de l’enfance. Je suis députée depuis trois ans. Depuis trois ans, j’entends les mêmes discours, les mêmes constats, les mêmes responsables politiques nous dire « On va agir, on va agir, on va agir ». Vous n’agissez pas, vous ne faites rien. Pendant ce temps, des enfants meurent, alors qu’ils sont placés sous notre surveillance, sous notre protection. Cette situation est insupportable ; insupportable pour cette petite fille, mais aussi pour tous les autres qui sont encore en danger, en raison de notre inaction.

Mme Julie Ozenne (EcoS). Madame El Haïry, vous êtes nommée haute-commissaire à l’enfance depuis quatre mois. Or, à ce jour, vous n’avez pris encore aucune mesure, ni effectué aucune annonce en faveur de l’ASE. Vous pouviez pourtant vous appuyer sur les recommandations du rapport de notre commission d’enquête, à laquelle nous avons tous participé ici. Comme vous le savez, les jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance sont particulièrement vulnérables et bien plus exposés à des risques de précarité que le reste de la population.

Il y a six mois, lors de votre audition par cette commission d’enquête, vous avez affirmé que vous étiez convaincue de la capacité des jeunes ayant réussi à s’en sortir, à servir de modèle ou à donner de l’espoir aux autres. Or 16 % des jeunes issus de l’ASE connaissent des situations de sans-abrisme et seuls 1 % d’entre eux accèdent à l’enseignement supérieur contre 53 % pour le reste de la population. Face à ces chiffres édifiants et alarmants, j’ose espérer que vous aurez la décence de convenir avec nous que, pour ces jeunes issus de l’ASE, fragilisés et précarisés par des parcours difficiles, il ne leur suffit pas de vouloir s’en sortir pour y parvenir, malheureusement.

Il est de notre responsabilité et de la responsabilité de l’État de les accompagner au plus près. Madame la haute-commissaire à l’enfance, quels freins avez-vous identifiés à la mise en œuvre de l’accompagnement des jeunes issus de l’ASE et quelles solutions allez-vous mettre en place pour y remédier ?

Mme Sophie Mette (Dem). Madame la haute-commissaire, vous êtes en place depuis quatre mois. De quels moyens humains et financiers disposez-vous pour mener à bien votre mission essentielle ?

Mme Sarah El Haïry. Le déploiement général de la politique de prévention sera absolument essentiel. En réalité, le débat interviendra durant la discussion sur le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Plus les moyens permettant de doter la généralisation de la politique de prévention seront importants, plus le soutien du haut-commissariat sera franc et massif.

Madame Maximi, j’entends la colère dans vos propos, j’entends que mes interventions sur les réseaux sociaux ne vous conviennent pas. Cependant, sachez que l’absence de tweets et de communication publique ne signifie pas que nous sommes restés inactifs. La protection de l’enfance relève de la responsabilité de chacun des acteurs qui disposent de leviers ; je pense notamment aux départements.

Aujourd’hui, les mesures non exécutées à la suite de décisions de justice sont liées au manque de pilotage et de coordination. On ne peut donc pas affirmer que rien n’a été fait.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Quelle est votre action, madame El Haïry ?

Mme Sarah El Haïry. De manière systématique, nous avons vocation à travailler avec Départements de France, avec l’ensemble du collège « protection de l’enfance » des départements de France, qui sont compétents en la matière. Il s’agit de sécuriser le déploiement de « Santé protégée », qui relève de la responsabilité de l’État, de sécuriser la scolarité des enfants de l’ASE qui sont plus déscolarisés que les autres, d’accompagner le soutien à la parentalité et donc de mobiliser les PMI sur la question de la prévention initiale, de faire en sorte que la parole des enfants actuellement à l’ASE ou qui en sortent soit écoutée. Les collectifs et associations pourront vous confirmer que nous travaillons ensemble. De même, je porte en compagnie de la ministre Vautrin la mobilisation de la Banque des territoires et de la Caisse des dépôts pour financer un certain nombre de loyers.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous n’avez pas eu un mot sur la protection de l’enfance, ni dans vos comptes-rendus depuis trois mois, ni sur aucun autre support. C’est un scandale. Des enfants meurent, mais vous ne réagissez pas.

Mme Nicole Dubré-Chirat, présidente. Je vous demande de bien vouloir laisser Mme El Haïry répondre, s’il vous plaît.

Mme Sarah El Haïry. J’essaie de répondre calmement pour apporter un éclairage au débat. La protection de l’enfance et l’ASE en particulier sont aujourd’hui prioritaires et pilotées par la ministre Vautrin en personne.

Je suis, comme vous, désespérée de voir qu’autant d’enfants subissent différentes formes de violence. Nous essayons de lutter et je redis une nouvelle fois que chacun dispose de certains leviers d’action. La mobilisation doit être collective et concerner les collectivités, les départements, les associations, les deux parents.

Si vous attendez juste de moi un fil Twitter, madame la députée, je conviendrais que je ne communique pas sur tout.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Il ne s’agit pas de cela.

Mme Sarah El Haïry. Tel est le sens des propos au début de votre intervention.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Ce n’est pas vrai, vous êtes malhonnête, mais ce n’est pas nouveau.

Mme Nicole Dubré-Chirat, présidente. Restons corrects, s’il vous plaît.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Quand nous sommes confrontés à un mensonge, il faut le dire.

Mme Sarah El Haïry. C’est exactement ce que vous avez dit, madame la députée.

Madame Ozenne, vous m’avez interrogée sur la situation des jeunes majeurs, les freins à leur accompagnement à la sortie de l’ASE. Un des premiers freins relevés concerne l’accès aux documents d’identité. Aujourd’hui, un certain nombre d’enfants n’ont pas de pièces d’identité à jour, ce qui constitue un frein pour leur scolarisation. Nous avons également identifié d’autres freins comme l’accès au logement, la fragilité et le manque de préparation de la sortie à partir de l’âge de 16 ans, l’entretien sur le projet de l’enfant. S’agissant de la sortie strictement dite, il existe une inégalité de traitement en fonction des départements, qui n’entendent pas la protection des jeunes majeurs de la même manière. Un certain nombre d’entre eux proposent un accompagnement soutenu, qui passe par la formation, un accompagnement financier et social. D’autres ne mettent pas encore en place les décrets sur le parrainage ou le mentorat, par exemple.

Dans ce cadre, se posent également les questions du soutien aux associations pour leur permettre de conserver un lien ou d’assurer l’accompagnement au logement. Les travaux sur le statut du jeune majeur sont aujourd’hui portés par le groupe présidé par Mme Dabin et le GIP « France enfance protégée ».

Madame Mette, vous m’avez interrogée sur les moyens du haut-commissariat. Celui-ci est abrité par le ministère de la santé, des solidarités et du travail, sous le portage de la ministre Vautrin. Sept conseillers me sont directement rattachés, chacun étant responsable d’une typologie d’acteurs, par exemple les élus, les associations, les ONG, le monde judiciaire, le monde de la santé. Une conseillère est responsable de la participation et de la parole des enfants. Une inspectrice de l’éducation nationale est également mise à disposition par son ministère ; nous attendons également un collaborateur en provenance du ministère des outre-mer et un autre du ministère de la justice. Ce dispositif nous permettra de renforcer l’approche interministérielle de notre travail et de pleinement mettre en œuvre le décret permettant au haut-commissariat de coordonner ces politiques publiques. Enfin, le ministre des affaires étrangères s’est également engagé à renforcer nos équipes.

Je vis donc au quotidien la mobilisation des ministères et y vois une opportunité de stabilité, afin que les travaux techniques et opérationnels perdurent.

Mme Nicole Dubré-Chirat, présidente. Je vous remercie pour vos interventions. Nous comptons sur vous et serons à vos côtés pour accompagner les actions en faveur de la coordination des différents politiques et acteurs.

 

 

La séance est levée à seize heures trente.

 

Ces débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/BnnCX5

 

 

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Membres présents ou excusées

 

 

Présents. - M. Arnaud Bonnet, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Perrine Goulet, Mme Zahia Hamdane, Mme Christine Le Nabour, Mme Marianne Maximi, Mme Sophie Mette, Mme Julie Ozenne, Mme Caroline Parmentier, Mme Béatrice Piron.

 

Excusées. - Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago.