Compte rendu

Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
 

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Barbier, président du conseil départemental de l’Isère, accompagné de Mme Séverine Battin, directrice générale des services, et M. Édouard Joussellin, directeur de cabinet du président               2

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Coralie Dénoues, présidente du conseil départemental des Deux-Sèvres, accompagnée de M. Hervé Cochetel, directeur général des services du conseil départemental, et Mme Sophie Carbonne, directrice générale adjointe aux solidarités              14

– Présences en réunion................................24

 


Jeudi
23 janvier 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 19

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Laure Miller, Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Barbier, président du conseil départemental de l’Isère, accompagné de Mme Séverine Battin, directrice générale des services, et M. Édouard Joussellin, directeur de cabinet du président.

Mme la présidente Laure Miller. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance.

Nous avons souhaité auditionner un certain nombre d’exécutifs départementaux, compte tenu de leur rôle essentiel dans la mise en œuvre de l’aide sociale à l’enfance. Après avoir auditionné un département hier, nous poursuivons ce matin avec le département de l’Isère. Je remercie donc M. Jean-Pierre Barbier, président du conseil départemental de l’Isère, Mme Séverine Battin, directrice générale des services, et M. Édouard Joussellin, directeur de cabinet du président, d’être parmi nous aujourd’hui.

Cette audition vous permettra de présenter les difficultés particulières auxquelles votre département doit faire face dans la mise en œuvre de la protection de l’enfance. Lors de son audition devant notre commission le 26 novembre dernier, la Défenseure des droits a cité l’Isère parmi les départements sur lesquels elle s’était saisie. Vous pourrez donc nous exposer ce qui, selon vous, explique cette saisine.

Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Pierre Barbier, Mme Séverine Battin et M. Édouard Joussellin prêtent serment.)

M. Jean-Pierre Barbier, président du conseil départemental de l’Isère. En préambule, je tiens à vous témoigner du plaisir que j’éprouve à être devant vous aujourd’hui pour évoquer les difficultés, mais également les solutions en matière de politique publique de protection de l’enfance. La mission de votre commission, qui consiste à éclairer les raisons des manquements de ces politiques, est à la fois essentielle – si elle permet de dégager des solutions –, mais également complexe car elle nécessite de maîtriser l’histoire de la protection de l’enfance, son évolution, le rôle de chacun de ses acteurs, ainsi que les textes législatifs.

Cette mission est difficile car vous êtes conduits à entendre des témoignages durs et poignants, qui rappellent de manière salutaire que derrière les budgets et les statistiques, il est question de vies humaines. Il s’agit également d’un quotidien auquel nous devons faire face, avec nos travailleurs sociaux sans nous laisser submerger par nos émotions car nous devons prendre des décisions qui sont susceptibles de changer le cours de la vie de ces jeunes et de leurs parents.

Cette mission est fondamentale, car la manière dont notre société protège les enfants est révélatrice de l’importance que nous accordons à ceux qui comptent parmi les plus vulnérables, et qui représentent également notre avenir. Il s’agit d’une belle mission, à laquelle je suis heureux d’apporter ma contribution, avec beaucoup d’humilité. En effet personne ne détient seul la vérité dans le domaine de la protection de l’enfance, mais j’espère que mon expérience de président de département depuis 2015 me permettra d’apporter des éléments utiles aux travaux de votre commission.

La protection de l’enfance constitue une compétence première des départements. À titre personnel, j’y suis très attaché et j’estime qu’elle doit rester une compétence régalienne de cet échelon, tant je suis convaincu de la nécessité d’innovation et de proximité. Je partage cette conviction avec ma directrice générale des services, Mme Séverine Battin, qui connaît parfaitement le sujet, compte tenu de son parcours professionnel. Les enfants relevant de la protection de l’enfance me sont personnellement confiés, en ma qualité de président, et je mesure pleinement la responsabilité de ce rôle.

La protection de l’enfance constitue une mission en constante évolution, qui sollicite de grandes capacités d’adaptation et de réactivité. De nouvelles problématiques ont en effet émergé ces dernières années. Je pense d’abord au changement du profil des enfants accueillis, qui souffrent de plus en plus régulièrement de troubles psychologiques ou psychiatriques, dans un contexte national de pénurie des professionnels de santé et de fermetures de places en instituts médico-éducatifs (IME). Ensuite, il faut relever la fragilisation des opérateurs de la protection de l’enfance, moins bien armés pour assurer leur mission dans la mesure où les métiers de l’accompagnement perdent en attractivité et souffrent d’une image parfois déplorable. Enfin, il convient de souligner l’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés (MNA), qui a nécessité une adaptation de nos capacités d’accueil, car j’ai toujours considéré qu’ils faisaient pleinement partie des enfants à accueillir.

J’ai rapidement compris qu’il nous fallait repenser localement la protection de l’enfance pour mener une politique publique plus efficiente et donc meilleure pour les enfants. Il a fallu notamment modifier certaines mentalités : avant mon entrée en fonction, la suppression de 300 places en structures d’accueil était prévue et 200 avaient déjà été supprimées, au prétexte que ce sont celles qui coûtent le plus cher. J’ai immédiatement mis un terme à cette vision purement comptable, mais j’ai également décidé, dès 2017, de mettre en place des états généraux de la protection de l’enfance en Isère, réunissant tous les acteurs de cet écosystème complexe afin de développer le dialogue entre les multiples intervenants : agents du département, assistants familiaux, travailleurs sociaux, structures d’accueil, mais aussi les services de l’État, l’Éducation nationale, l’Agence régionale de santé (ARS), les professionnels de santé, la justice, sans oublier les jeunes eux-mêmes et leurs familles.

Parmi les premières décisions que j’ai prises, j’ai choisi de créer une cellule d’inspection, pour contrôler les établissements qui accueillent les enfants que nous leur confions, et qui assure cette mission en étroite collaboration avec l’ARS, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDEETS). Peu de départements avaient agi de la sorte à l’époque. Il a fallu expliquer à nos partenaires qu’il ne s’agissait pas de défiance à leur égard mais simplement d’une mesure de bon sens, dans l’intérêt des enfants. Dès 2017, nous avons rapproché les services départementaux relatifs à l’éducation et à la jeunesse des services de la protection de l’enfance, pour bien signifier que le département de l’Isère n’établissait pas de différence entre tous les enfants.

Avant d’évoquer quelques exemples d’actions mises en œuvre en Isère, je tiens à évoquer le cadre légal, puisque le rapport de votre commission d’enquête formulera probablement des propositions de nature législative. La loi est évidemment nécessaire, pour s’assurer que les enfants bénéficient des mêmes droits dans tous les départements. Il s’agissait par exemple de l’un des objectifs de la loi Taquet, que nous respections avant même son adoption. Je pense également à la loi relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration, dite loi 3DS, qui a permis l’intégration des directeurs des foyers départementaux dans la fonction publique territoriale, au lieu de la fonction publique hospitalière. Cette loi présente ainsi le mérite d’offrir aux départements une plus grande capacité d’action.

Mais les lois doivent également permettre, et même encourager, la capacité d’innovation et d’expérimentation des départements au plus près des réalités du terrain et des familles. À ce titre, la recentralisation m’apparaît comme un faux débat. D’abord, cette recentralisation ne garantirait absolument pas l’amélioration de ce qui ne fonctionne pas, tout en mettant en danger ce qui fonctionne bien. Ensuite, personne ne peut croire que l’État a aujourd’hui les moyens de recréer les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) d’antan, qui de toute façon n’étaient guère idéales.

Afin d’étayer mes propos, je tiens à évoquer succinctement des actions qui démontrent l’avantage d’une protection de l’enfance décentralisée, plus proche du terrain et donc plus concrète, en évoquant quelques exemples de réalisations en Isère. En matière de foncier, nous travaillons sur une politique d’investissement ambitieuse. Plus de 26 millions d’euros ont été consacrés à la transformation de l’offre d’accueil d’urgence des établissements publics de protection de l’enfance, sous une maîtrise d’ouvrage départementale. Des acquisitions foncières sont encore en cours pour la construction d’un foyer d’urgence dans le nord Isère afin de fournir des conditions d’accueil dignes.

Ensuite, les modes opératoires innovants en prévention (MOIP) répondent à un de nos axes de travail principal qui est la prévention primaire. Pour éviter que les situations n’empirent, il faut agir vite, dès les premiers signes de difficulté ressentis au sein d’une famille. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité expérimenter depuis 2023 ces MOIP. Nos services, qu’il s’agisse de la protection maternelle et infantile (PMI), de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou de l’accompagnement social, travaillent en commun. Ils se rendent au sein des familles pour repérer les situations fragiles et accompagner les parents et les enfants sur l’ensemble de leurs problématiques, en amont de toute mesure administrative ou judiciaire.

Nous avons ainsi créé trente-six postes pour un budget de 1,8 million d’euros et nous nous sommes attachés à recruter des profils professionnels variés. Il s’agit là d’une brique de plus à nos actions de prévention, car les premiers retours de nos agents et des jeunes rencontrés montrent que grâce à un accompagnement rapide, complet et fréquent, des jeunes ne rentrent pas dans nos dispositifs. Nous avons impulsé auprès des travailleurs sociaux la possibilité d’expérimenter différentes façons d’accompagner les familles, à travers notamment la médiation familiale et les conférences familiales. Nous évitons donc, autant que possible, la judiciarisation d’une situation.

L’accompagnement et la reconnaissance des professionnels constituent par ailleurs un véritable enjeu. Nous valorisons les assistants familiaux, que je rencontre régulièrement. Nous avons été précurseurs de la loi Taquet en valorisant le SMIC au premier enfant pour les assistants familiaux, entre autres mesures de soutien financier, décision qui a ensuite été reprise au niveau national. La rémunération n’est certes pas le seul élément de motivation mais elle contribue à la reconnaissance d’un travail difficile.

Nous soutenons les assistants familiaux dans leurs missions. Dans chacun des treize territoires du département, ils sont encadrés par un chef de service de l’accueil familial dédié afin de les accompagner et de coordonner le travail avec leurs référents ASE. Nous les avons également dotés d’ordinateurs portables afin qu’ils puissent transmettre les éléments de suivi concernant le quotidien des enfants et réaliser leurs écrits professionnels.

Nous soutenons également leur formation continue. Un plan de formation ambitieux est proposé aux professionnels, notamment par la structuration d’un réseau de formateurs internes. Nous y abordons les thèmes essentiels tels que le référentiel des informations préoccupantes, l’autisme, les violences conjugales et intrafamiliales, mais également le statut de l’enfant confié.

La prise en compte de la parole des enfants est également un de nos axes de travail majeurs. Nous avons remis la parole de l’enfant au cœur de nos préoccupations, notamment avec la création du comité des jeunes de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance (OPDE), avec lequel j’entretiens des échanges réguliers. La parole des enfants confiés est essentielle et nous l’écoutons avec attention. J’emploie le terme « confiés » et non « placés » à dessein, car ces jeunes veulent que l’on prenne soin d’eux plutôt que d’être « rangés » quelque part, avant d’être oubliés.

Tel est l’état d’esprit avec lequel nous agissons en Isère. Ainsi, les enfants sont libres d’aborder tous les sujets et de nous retranscrire avec honnêteté leurs expériences, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, lors des séances plénières de l’ODPE, où ils sont accompagnés par l’association Les Francas, mais aussi lors de mes rencontres avec eux. Nous travaillons à mettre en œuvre leurs recommandations, comme cela a été le cas lorsque nous avons décidé de transformer une maison d’enfants à caractère social (MECS) de cinquante-quatre places en cinq maisonnées à taille plus humaine. Leurs expériences positives dans des lieux de vie plus petits et plus proches de la taille d’un foyer familial nous ont poussés à tenter cette expérimentation.

Nous avons ainsi lancé une réflexion sur nos modèles d’établissements. Nous avons initié un rôle nouveau pour les internats en collèges, avec la démarche « Internat, pourquoi pas ? ». Nous avons également mis en œuvre une étude sur la situation de la protection de l’enfance en Isère, en partenariat avec la Fondation Université Grenoble Alpes. Dans cette étude, des professionnels des structures, des enfants confiés et d’anciens enfants confiés ont pu témoigner et alimenter notre réflexion sur les évolutions des dispositifs de protection de l’enfance.

Par ailleurs, nous travaillons en étroite relation avec la justice, acteur majeur de la protection de l’enfance. Nous avons instauré des rencontres régulières avec le procureur de la République, la présidente du tribunal judiciaire, les magistrats des différents tribunaux isérois ainsi que la protection judiciaire de la jeunesse. Les services se rencontrent également, notamment pour discuter des mesures en attente et des raisons de certains blocages, grâce à des tableaux de bord partagés qui sont analysés de manière conjointe afin d’établir un véritable suivi de la situation de chaque enfant. Cette synergie étroite nous a d’ailleurs permis de recevoir un prix pour notre action commune de formation des professionnels au repérage des violences sexuelles subies par les mineurs confiés.

En conclusion, même si votre commission se concentre sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, j’espère qu’elle n’oubliera pas de mentionner les initiatives positives dans la synthèse de ses travaux, car elles sont porteuses de solutions. Je sais également que vos préconisations pourront inspirer d’autres départements. Ainsi, lors de mes rencontres avec les jeunes, les sujets négatifs n’occupent que 5 % des temps d’échange. Cependant, nous devons continuer à travailler sur les manquements constatés. Lorsque j’échange avec eux, ces jeunes m’indiquent que les rapports négatifs sur la protection de l’enfance contribuent à les stigmatiser. J’espère que les travaux de la commission, en lien avec les actions de l’ensemble des acteurs, contribueront à apporter des solutions.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Ma première question reprend celle de Mme la présidente : pour quelles raisons la Défenseure des droits s’est-elle selon vous autosaisie concernant votre département, de même qu’elle l’a fait pour d’autres ?

Ensuite, les manquements des politiques publiques concernent l’ensemble de l’écosystème. Nous avons commencé nos travaux au mois d’avril, avant la dissolution, en nous concentrant sur un certain nombre d’éléments, dont le quotidien des enfants, la manière dont ils sont accueillis, mais aussi dont ils partent. Certains jeunes adultes indiquent par exemple qu’ils ont parfois dû partir de manière indigne, avec un sac-poubelle pour seul bagage. Cela signifie que leur départ n’a pas été organisé, ni prévu.

La même problématique se pose pour la prise en charge des plus petits, qui sont très souvent confrontés à des difficultés scolaires, comme en témoignent les statistiques. Ces enfants confiés ne vivent pas des semaines semblables à celles des autres enfants, puisqu’elles sont entrecoupées de rendez-vous, par exemple médicaux, qui sont organisés en pleine journée et les empêchent donc de suivre une scolarité normale. Cet exemple illustre les problèmes auxquels ils doivent faire face lors de leur prise en charge.

Cette prise en charge est en outre affectée par le manque de professionnels dans le secteur, puisqu’il manque aujourd’hui 30 000 postes. De nombreux groupements, dont l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS), soulignent la désaffection dont souffrent les métiers du lien et du soin, qui ne suscitent pas suffisamment de vocations. À ce titre, je suis persuadée que la formation initiale n’est pas d’un niveau suffisant.

J’ai échangé avec des assistantes familiales de votre département, qui m’ont fait part d’un exemple assez éclairant. Il concerne une petite fille arrivée à l’âge de quelques mois dans les services et qui est aujourd’hui âgée de cinq ans. Celle-ci aurait pu être adoptable si son statut avait pu être traité par la justice, via les services de la protection de l’enfance. Malheureusement, le délaissement parental, pourtant patent, n’a pas pu être déclaré car le turnover des professionnels qui s’occupent d’elle est trop élevé, empêchant un suivi régulier de l’enfant par un même référent, et donc la création d’un lien.

Ensuite, quel est le nombre de doubles mesures de type ASE-PJJ, voire triples mesures ASE-PJJ-MDPH – maison départementale pour les personnes handicapées – en Isère ? Disposez‑vous d’un référentiel de la qualité de prise en charge ? De fait, la prise en charge diffère d’un département à un autre. Quelle est votre opinion sur la manière dont les enfants sont accueillis dans les associations ? Combien d’enfants accueillez-vous au sein de votre structure de service public – pouponnières ou centres d’accueil des enfants en urgence ? Combien d’associations sont-elles habilitées ? Ces associations sont-elles établies en Isère depuis très longtemps, notamment avant la décentralisation ? Je rappelle en effet que les conventions sont renouvelées tous les quinze ans.

M. Jean-Pierre Barbier. Nous avons reçu un courrier de saisine de la Défenseure des droits en date de 2023, qui fait référence dans son introduction à des manquements ou des dysfonctionnements de manière très généraliste, sans jamais les citer. Elle évoque ensuite deux situations dramatiques vécues dans le département en 2017, deux décès ayant donné lieu à des enquêtes et à des jugements. Le département n’a pas été inquiété dans les deux cas. Nous avons naturellement répondu point par point aux demandes de la Défenseure des droits, qui nous a adressé en retour de nouvelles questions.

Ensuite, pouvez-vous fournir plus de détails sur cette petite fille de cinq ans qui n’aurait pas été adoptée en raison d’un trop important turnover chez les référents ? S’agit-il d’un cas soulevé par le conseil de famille ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Non.

M. Jean-Pierre Barbier. Il existe un exemple du même type, qui a donné lieu à des plaintes. Dans ce cas précis, il apparaît que la situation n’est pas due à un turnover de nos travailleurs sociaux mais à la difficulté d’appréciation du dossier. En effet, les décisions judiciaires d’abandon de parentalité qui permettent à l’enfant de changer de statut et de devenir adoptable peuvent prendre du temps, en raison de la complexité des dossiers.

Mme Séverine Battin, directrice générale des services du conseil départemental de l’Isère. L’autosaisine de la Défenseure des droits est notamment liée à un cas dramatique que nous avons connu en 2017. Un placement avait été effectué concernant un nourrisson qui avait subi des fractures de la part de ses parents. Lors du suivi de la mesure d’assistance éducative, le placement a fait l’objet d’une mainlevée, avec un retour progressif de l’enfant dans sa famille. En l’espèce, il existait une mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE), une action éducative en milieu ouvert (AEMO) et un suivi renforcé du couple de parents par la PMI et l’action sociale. En dépit de ce suivi renforcé, ce bébé de quinze mois est décédé sous les coups de ses parents lors d’un week-end. À la suite de ce drame, nous avons réalisé un audit de process pour améliorer la coordination entre les acteurs, y compris la justice.

Au-delà, nous avons mis en place une commission d’évaluation de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC), de manière systématique, pour traiter des statuts des enfants confiés. Nous réalisons également des formations à destination de l’ensemble des travailleurs sociaux pour souligner que le statut de l’enfant confié fait partie d’une mesure de protection. Enfin, il faut rappeler que ces situations, éminemment humaines, ne sont pas toujours faciles à évaluer pour les équipes, notamment en raison de l’ambivalence des parents, mais aussi parfois de celle des enfants, sur l’enclenchement de la procédure de délaissement qui peut pourtant permettre à l’enfant d’avoir un autre avenir.

M. Jean-Pierre Barbier. Il est exact que le quotidien de ces enfants est compliqué, notamment en raison de leur suivi médical. L’Isère étant un département très vaste, les assistants familiaux doivent parcourir de nombreux kilomètres en voiture pour conduire des enfants placés à leurs différents rendez-vous médicaux.

Au titre du quotidien des enfants, je souhaite également mentionner les visites médiatisées, que les magistrats semblent favoriser fortement dans notre département. Cette procédure, qui implique un fort investissement de la part des professionnels, perturbe un certain nombre d’enfants qui ont le sentiment qu’on leur impose ces démarches dont fréquemment ils ne veulent pas. Ensuite, nous sommes également confrontés à une désertification médicale. À Bourgoin-Jallieu, l’hôpital a par exemple fermé son service de psychiatrie, alors même que les enfants que nous accueillons sont de plus en plus affectés par des troubles psychologiques.

S’agissant des chiffres, on dénombrait 340 000 enfants de moins de vingt et un ans en 2023 dans notre département, soit 26 % de la population. La même année, il y avait 5 030 informations préoccupantes, en augmentation de 23 % par rapport à 2022, concernant 4 706 enfants et 2 743 familles. Au total, 6 622 mineurs et majeurs sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, dont 5 916 mineurs et 709 majeurs. Les mesures sont réparties entre 36 % de mesures de protection administrative et 64 % de mesures judiciaires. Nous voulons croire que le travail de prévention mené par le département et les services de l’ASE permet d’éviter le plus possible la machine judiciaire, qui est parfois lourde.

Sur ces 6 622 mineurs et majeurs, 3 498 sont accompagnés à domicile, avec 825 aides éducatives à domicile, 817 sont suivis par des techniciens de l’intervention sociale et familiale et 2 089 sont en AEMO. Ensuite, 245 sont en placement direct, 2 144 sont confiés judiciairement à l’ASE et 843 sont accueillis administrativement ; 834 sont en familles d’accueil, 846 en MECS, 590 en hébergements semi-autonomes ou autonomes et 682 jeunes bénéficient d’autres types de placement que nous nous efforçons de développer, comme le tiers digne de confiance ou le tiers bénévole.

Mme Séverine Battin. Nous ne disposons pas des chiffres concernant les doubles mesures PJJ-ASE, et encore moins concernant les MDPH, car les logiciels ne proposent pas les interfaces qui nous permettraient d’obtenir ces informations.

S’agissant du quotidien des enfants, je tiens à insister à mon tour sur les visites médiatisées qui sont de plus en plus morcelées, en semaine. Ce phénomène contribue à perturber le quotidien des enfants et des assistantes familiales. Nous souffrons à ce propos de difficultés dans le recrutement de ces assistantes, ce qui implique vraisemblablement que nous revoyions nos modèles.

M. Jean-Pierre Barbier. Concernant les sorties de l’ASE, 90 % des jeunes sont accompagnés en contrat jeune majeur, 76 % ont signé un contrat jeune majeur, 50 % disposent d’une ressource financière de manière autonome, 95 % d’un logement autonome. Par ailleurs, 79 % sont inscrits dans un parcours professionnel ou scolaire, ce taux s’élevant à 97 % pour les MNA. Nous nous efforçons d’autonomiser les jeunes pour faire en sorte qu’à dix-huit ans, ils disposent le plus possible de leur autonomie. Dans le détail, ils sont en semi-autonomie, avec des aides de suivi renforcé. Certaines aides peuvent également être assorties d’allocations financières jusqu’à vingt et un ans pour leur permettre de financer les transports et certains de leurs frais.

Un autre accompagnement spécifique concerne les MNA. En effet, un MNA qui devient majeur et qui ne dispose pas de titre de séjour ne peut pas trouver de logement, ni de travail. En conséquence, six mois avant la majorité, nous travaillons avec la préfecture pour faire en sorte qu’un MNA dispose de papiers à ses dix-huit ans.

Mme Séverine Battin. M. Barbier a indiqué que 90 % des jeunes sont accompagnés en contrat jeune majeur. Il convient également de citer le dispositif de l’accueil provisoire jeune majeur (APJM). Nous réalisons aussi des entretiens de retour pour des jeunes qui ne veulent pas de contrat jeune majeur et qui peuvent revenir dans les structures.

Par ailleurs, il existe dans notre département un grand nombre d’associations actives depuis plusieurs dizaines d’années, correspondant à une quarantaine d’habilitations. Parmi celles-ci, quelques-unes, les plus anciennes représentent environ 80 % de l’activité. Je pense notamment à La Sauvegarde, au Comité dauphinois d’action socio-éducative (CODASE), ou à l’Œuvre de Saint Joseph.

M. Jean-Pierre Barbier. Nous vous transmettrons les détails par écrit.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je souhaite évoquer un fait inédit survenu dans votre département, la démission d’une vingtaine de membres du conseil de famille, qui est placé sous la responsabilité du département. Ces vingt membres, représentants d’associations de défense des enfants, médecins ou juristes, ont agi de la sorte pour dénoncer de graves dysfonctionnements non seulement dans cette instance, mais également dans la protection de l’enfance en Isère. Ils considèrent ainsi que « les droits des enfants placés ne sont pas respectés ».

Marie-José Simon Ghediri, médecin pédiatre, membre du conseil de famille démissionnaire tient les propos suivants : « On ne se réunit qu’une fois par an pour voir comment évolue l’enfant. Il nous manque très souvent des informations pour pouvoir juger et l’aider en faisant les choix les plus adaptés à ses besoins. » Les membres du conseil de famille regrettent d’apprendre le changement brutal de famille d’accueil d’un enfant sans qu’ils ne puissent s’exprimer à ce sujet.

La présidente de l’ADEPAPE Repair38 indique que « nous devions siéger au conseil, mais ils nous en bloquent l’accès », alors même que leur présence est obligatoire. Elle ajoute : « Qui peut mieux faire entendre et défendre la parole des enfants placés que d’anciens enfants placés ? » Dans le même ordre d’idée, Nicole Finas-Fillon, de l’association Enfance & Familles d’Adoption (EFA) de l’Isère, indique avoir beaucoup réfléchi avant de présenter sa démission, consciente que cette action peut être bloquante pour l’organisation des prochains conseils de famille. Elle a finalement choisi de prendre ce risque, car selon elle, « il est nécessaire de faire évoluer les choses et de repartir sur de bonnes bases ».

Avant d’écouter votre réponse, j’aimerais formuler une demande officielle auprès de la présidente et de la rapporteure de notre commission : je souhaiterais que nous recevions le préfet de l’Isère et les membres démissionnaires de ce conseil de famille. En effet, ce dysfonctionnement grave en Isère peut sans doute nous éclairer sur d’autres dysfonctionnements de conseils de famille.

M. Jean-Pierre Barbier. Vous faites part d’alertes sur des « dysfonctionnements graves ». J’observe qu’à chaque fois que nous demandons des détails, aucune réponse ne nous est fournie. Je préside le département de l’Isère depuis dix ans. À aucun moment la responsabilité du département ou ma responsabilité personnelle n’ont été engagées.

Le conseil de famille, qui concerne les pupilles de l’État, est présidé par le département mais cette instance dépend de l’État. S’il me semble donc pertinent de vouloir auditionner Mme la préfète de l’Isère, il m’apparaît assez exagéré de vouloir rejeter l’entièreté de la responsabilité du dysfonctionnement du conseil de famille sur le département de l’Isère.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). En l’espèce, les démissionnaires déplorent l’absence de transmission d’informations.

Mme Séverine Battin. Quatre-vingt-trois enfants pupilles vivent dans le département de l’Isère, où deux conseils de famille sont établis. Cette instance est placée sous l’autorité de la préfète, qui est responsable des désignations. Il est rare que ces conseils de famille fassent l’objet de polémiques ; en tant que responsable de l’administration, je le regrette. Je précise que les élus du conseil départemental chargés de ces politiques travaillent pour améliorer les procédures de transmissions des informations au conseil de famille, afin de lui fournir les documents les plus exhaustifs possibles et de lui permettre de se positionner de manière éclairée.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). J’éprouve des difficultés à comprendre les réponses formulées par M. Barbier. Quel serait l’intérêt des membres démissionnaires à susciter des polémiques ?

M. Jean-Pierre Barbier. Il existe peut-être au sein du conseil de famille des dysfonctionnements ayant entraîné ces démissions. En revanche, ces dysfonctionnements ne sont pas nécessairement le fait du département. Les faits qui nous sont reprochés, relayés par un article de presse, ne sont pas précis. À ce jour, je ne dispose d’aucune information selon laquelle les personnes que vous avez évoquées ont contacté les services du département pour demander une explication.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Nous ne sommes pas un tribunal, nous n’accusons personne. Simplement, nous avons vocation à éclairer la représentation parlementaire sur des dysfonctionnements. À votre avis, quelle est la nature des dysfonctionnements dénoncés ?

M. Jean-Pierre Barbier. L’article de presse mentionné est paru il y a quelques jours. J’ai parfaitement conscience d’être sous serment et réaffirme ne pas avoir été informé précédemment de ces dysfonctionnements, présentés comme graves et lourds, au sein de la protection de l’enfance du département de l’Isère. En l’espèce, cela concerne le conseil de famille, qui traite de quatre-vingt-quatre pupilles de l’État. Je ne nie pas l’importance de ce dernier, mais il n’est pas possible de généraliser ces critiques au suivi des 6 000 enfants assuré par notre département. Je refuse ce raccourci.

Mme Séverine Battin. J’ajoute que les élus chargés de cette politique au conseil départemental, les services de la préfecture et de la direction départementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités se sont rencontrés lundi dernier pour évoquer les pistes d’amélioration concernant le conseil de famille. En réalité, neuf personnes sur les vingt membres du conseil ont démissionné. Il est exact que certains rapports sont parfois transmis tardivement au conseil de famille, raison pour laquelle des efforts sont menés pour améliorer cette transmission d’informations.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). En préambule, je souligne à l’intention de Mme la présidente de la commission d’enquête et de Mme la rapporteure qu’il est assez singulier d’auditionner les départements dont la Défenseure des droits a pu s’autosaisir avant même la parution du rapport de cette dernière. J’aurais préféré que nous procédions de manière inverse.

Ensuite, il nous est répondu qu’il n’existe pas de dysfonctionnements graves, mais j’aurais souhaité savoir de quoi nous parlons. Par exemple, des ruptures de parcours ou des enchaînements de familles d’accueil d’urgence constituent selon moi des dysfonctionnements graves, qui ont fait l’objet de témoignages récents dans votre département. Je précise que de tels dysfonctionnements interviennent également dans d’autres départements.

Vous avez évoqué la déjudiciarisation et la prévention. À ce titre, je m’interroge sur votre décision, prise en 2023, qui a consisté à réduire le soutien à la parentalité en faisant passer ce budget de 700 000 euros à 395 000 euros, à la suite de quoi certaines structures d’accueil parents-enfants ou des relais petite enfance ont vu leurs financements diminuer.

J’ai bien noté que vous n’étiez pas favorable à une recentralisation de la protection de l’enfance. En revanche, j’ai connaissance de vos propos concernant les MNA, pour lesquels vous souhaitez, comme d’autres départements, une telle recentralisation.

M. Jean-Pierre Barbier. Non, c’est inexact.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Cette information nous a pourtant été transmise lors de la préparation de cette audition, mais vous aurez tout loisir d’y répondre. Quoi qu’il en soit, il me semble très dangereux de distinguer les mineurs non accompagnés des autres enfants.

Vous nous dites ignorer les raisons de l’autosaisine de la Défenseure des droits. Il me semble qu’elle est liée à une séquence concernant les mesures non exécutées dans les différents départements, quelle que soit leur coloration politique. Disposez-vous de chiffres précis sur les mesures non exécutées, qu’il s’agisse d’AEMO, d’aide éducative à domicile (AED) ou de MJIE ?

Par ailleurs, monsieur le président, votre discours sur les visites médiatisées m’apparaît assez inquiétant. Il s’agit de décisions de justice, qui s’appuient sur des textes de loi. L’aide sociale à l’enfance est garante du parcours de l’enfant et a notamment pour compétence de faire remonter aux juges des enfants les éventuelles souffrances que ces visites suscitent chez les enfants placés.

M. Jean-Pierre Barbier. Vous avez raison : la protection de l’enfance n’est ni de droite ni de gauche. Très récemment, une campagne législative partielle a eu lieu en Isère, au cours de laquelle une ancienne ministre, Mme Rossignol, a pu déclarer que « la protection de l’enfance, c’est de gauche » quand la droite défendrait le patriarcat hérité du XIXe siècle. Ceci est bien caricatural. Je note malgré tout qu’elle a reconnu au président de droite que je suis « un peu d’humanité », et je l’en remercie. Je revendique haut et fort le fait d’être de droite et de mener une politique de protection de l’enfance dont je n’ai pas à rougir.

Je ne nie pas les difficultés de la protection de l’enfance, ni les dysfonctionnements de celle-ci en Isère. Simplement, puisque nous sommes mis en cause sur des dysfonctionnements « graves », je demande que de plus amples détails nous soient fournis pour étayer cette accusation.

Lorsque la Défenseure des droits s’est autosaisie sur le département de l’Isère, elle n’a pas mentionné dans son courrier une interpellation concernant des dysfonctionnements graves systémiques. Je récuse l’existence de dysfonctionnements lourds généralisés à l’échelle de notre département. Nous faisons face à des difficultés, comme tous les départements, dans la mesure où l’on traite d’une matière humaine, de compétences complexes impliquant des intervenants multiples. Il existe effectivement des ruptures et un turnover élevé au niveau des travailleurs sociaux.

La vie des collectivités est aussi caractérisée par de tels événements. Dans le cadre de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance, il m’est arrivé de rencontrer un enfant qui a connu dix-sept éducateurs lors de son parcours au sein de la protection de l’enfance. Un tel cheminement ne peut qu’interroger, mais il ne s’agit pas d’une généralité. Je suis toujours gêné par la tendance consistant à généraliser à partir de cas particuliers, particulièrement dans ce domaine. Nous nous efforçons de gérer ces cas particuliers, qui nous aident à progresser tous les jours, en y consacrant les moyens nécessaires.

Vous avez évoqué la séquence des mesures non exécutées, qui était effectivement concomitante de la saisine de la Défenseure des droits. Il ne me semble pas qu’elle nous ait questionnés à ce propos : il s’agit plutôt d’une coïncidence, mais je vous rejoins pour considérer que cela constitue un dysfonctionnement grave. En 2023, 500 mesures étaient en attente, car nous confiions ces mesures d’accompagnement à domicile à des associations et nous les financions en totalité. Or seulement 70 % de la prestation ont été exécutés. Quand je m’en suis aperçu, j’ai réinternalisé les mesures, en créant à cette occasion trente-six postes. Cette réinternalisation a suscité des tensions avec nos partenaires associatifs puisque j’ai dû simultanément diminuer leurs budgets. Aujourd’hui, cinquante-neuf placements sont non effectués, soit 1,8 % des placements concernant au total 3 300 enfants. De même, 123 mesures sont en attente sur un total de 2 100 mesures, soit 6 %.

À ce sujet, je souligne que nous rencontrons des difficultés de placement pour des enfants atteints de troubles psychiatriques. Idéalement, il faudrait que le juge puisse ordonner des placements en hôpital psychiatrique ou en IME. Malheureusement, les places manquent. Nous avons connu un cas particulier où un enfant de dix-sept ans du département du Rhône a été placé au centre hospitalier Le Vinatier, un hôpital psychiatrique. L’hôpital a ensuite fait jouer son droit de retrait devant la justice, qui lui a donné raison. L’enfant a donc été renvoyé dans les services de protection de l’enfance dans le Rhône, avant qu’il ne déménage dans l’Isère. Ce gamin a vécu un calvaire, parce que nous n’avions pas les moyens de l’encadrer.

En résumé, chaque fois que nous rencontrons des difficultés d’application des mesures, cela tient au fait que nous ne trouvons pas de solution adéquate pour l’enfant.

Mme Séverine Battin. En complément, je précise que nous avons réalisé un appel à projets pour la création de 1 000 places réparties de la manière suivante : 500 places dans le nord et 500 autres places dans le sud du département. Par ailleurs, nous devons prendre en charge des enfants de plus en plus jeunes. Nous avons donc créé seize places à la pouponnière. En termes d’équivalents temps plein (ETP), cela correspond à quarante-cinq postes supplémentaires.

Nous ne remettons pas en cause les visites médiatisées, que nos équipes effectuent par ailleurs. En revanche, de plus en plus d’ordonnances mettent en place des visites médiatisées très courtes, qui peuvent s’avérer compliquées pour les enfants, notamment dans un territoire de montagne comme le nôtre. Il est particulièrement nécessaire de maintenir un lien entre un enfant de trois mois ou six mois et ses parents, plusieurs fois par semaine.

Enfin, nous avons toujours considéré les enfants de la même manière, qu’ils soient MNA ou non. Les MNA âgés de plus de seize ans présentent des besoins particuliers en matière d’apprentissage de la langue ou de formation. En conséquence, nous avons créé deux services d’accueil et d’orientation pour les accueillir, établir un temps d’observation, réaliser des bilans de santé et construire des projets avec eux. Cette solution n’est pas idéale mais elle a le mérite d’exister. Nous proposons donc une prise en charge globale, que nous avons structurée au fil du temps. En 2018, 2 000 mineurs non accompagnés sont arrivés sur notre territoire. Nous avons été pris au dépourvu au début, mais désormais nous sommes en mesure de les accueillir dignement à travers une prise en charge spécifique.

M. Jean-Pierre Barbier. Je tiens à le dire clairement : la protection de l’enfance constitue selon moi une compétence régalienne des départements. En conséquence, je n’ai jamais revendiqué que les MNA soient pris en charge par l’État. En revanche, il faudrait parvenir à disposer de modes d’accompagnement des MNA de manière plus adaptée à leur situation. Malheureusement, lorsque nous tenons ce discours, il nous arrive d’être stigmatisés. Il nous est reproché de ne pas vouloir nous occuper de ces jeunes, ce qui est absolument faux.

Nous avons mis en place un service d’accueil et d’orientation (SAO) spécifique pour les MNA. Pendant trois mois, nous menons un bilan de santé, un bilan social et un bilan éducatif, préalablement à la prise en charge. Parmi les 90 % de contrats jeune majeur figurent naturellement des MNA. Il n’existe absolument aucune différence : un enfant doit être traité de la même manière quelle que soit sa situation.

Je souhaite également lever tout quiproquo concernant les visites médiatisées, que je ne remets nullement en cause. Simplement, je souligne la nécessité de prendre en compte la parole de l’enfant, et vous savez que les procédures en la matière ne sont pas aussi simples. L’éducateur produit un rapport qui est transmis au juge, lequel l’étudie avant de prendre sa décision. Cette procédure prend du temps, parfois au détriment de l’enfant, ce que nous pouvons tous regretter bien évidemment. Mes propos ne constituent aucunement une mise en accusation de la justice.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous avez indiqué que vous n’établissiez pas de distinction avec les MNA. Cependant, nous observons tous des différences concernant des prix de journée pour l’accueil des MNA et nous déplorons le manque d’accompagnement dont ils font l’objet, au quotidien. Il est question de « mise en autonomie », mais ces propos masquent la réalité d’un moindre accompagnement. De fait, les services d’accompagnement des MNA sont aujourd’hui spécifiques dans de très nombreux départements ; ils sont distincts de ceux qui sont en charge des mineurs dits nationaux dans les foyers.

En outre, certains MNA ont été victimes de violences sexuelles lors de leur parcours migratoire, nécessitant un besoin d’accompagnement encore plus renforcé. Or nous constatons que de nombreux départements réalisent des économies dans leur accompagnement des MNA. Plusieurs départements de droite ont ainsi annoncé qu’ils ne prendraient plus en charge des mineurs non accompagnés dans le cadre de la protection de l’enfance et se sont prononcés en faveur de la recentralisation. Malheureusement, ces propos n’ont suscité aucune réaction de la part des membres du Gouvernement, ni de la part des préfectures. Il s’agit là d’un véritable scandale au regard des textes de loi et de la Convention internationale des droits de l’enfant.

De la même manière, Départements de France, qui vous représente, assume des propos qui me semblent dangereux au sujet de la protection de tous les enfants, quel que soit leur lieu d’origine.

M. Jean-Pierre Barbier. Madame la députée, je vous demande simplement de ne pas généraliser. Le département de l’Isère a adopté une position que je vous ai décrite au préalable. Le SAO s’occupe de ces mineurs non accompagnés pendant trois mois et effectue un bilan global en matière de santé et d’éducation. Il s’attache également à traiter les violences sexuelles dont ils ont pu éventuellement faire l’objet. Ces actions nous permettent de les orienter et de les accompagner.

Il est nécessaire de sortir de cette dialectique budgétaire dans laquelle on prétend traiter les sujets en y consacrant beaucoup d’argent. Je crois savoir que les finances de l’État ne sont pas des plus florissantes et que 40 % des économies qui seront demandées porteront sur les départements. En conséquence, chaque euro dépensé devra l’être de manière efficace. Mme Battin a rappelé que lorsque les MNA sont arrivés en masse en 2018, nous avons pris les mesures qui s’imposaient. Même si cela ne concerne pas spécifiquement les MNA, le département de l’Isère a créé 1 000 places d’accueil, pour un budget de 24 millions d’euros. On peut toujours faire plus, on peut sûrement faire mieux, et nous demandons à être accompagnés. Soyez convaincus que nous agissons avec beaucoup de cœur et de volonté.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Les pouponnières du département font-elles partie de celles qui sont en sureffectif en France ? Je m’interroge aussi sur le travail du quotidien, autour du développement de l’enfant et de ses besoins fondamentaux. Avez-vous pris cette question à bras-le-corps ? Dans son rapport, la commission fera des préconisations et des propositions qui ne seront pas seulement d’ordre législatif. De fait, la loi ne suffit pas à elle seule à changer la situation de la protection de l’enfance. Je précise que si ces deux aspects nécessitent une réponse plus longue de votre part, je vous invite à me la faire parvenir par écrit. Nous restons disponibles sur ce sujet, qui me semble très important.

M. Jean-Pierre Barbier. S’agissant de la pouponnière, la structure associative comporte vingt places, avec un taux d’encadrement de 2,05. Je rappelle en outre que nous avons créé quarante-cinq ETP. Les enfants de trois ans à six ans sont accueillis en famille d’accueil et dans des structures habilitées. L’établissement public départemental Le Charmeyran accueille trente enfants âgés de zéro à trois ans et six enfants de trois à six ans. Nous avons également créé des structures d’accueil avec des places d’urgence pour des enfants de trois à huit ans et des enfants de trois à dix ans. En effet, nous nous sommes rendu compte que certains enfants âgés de quatre ans et cinq ans restaient à la pouponnière faute de places disponibles ailleurs. Nous avons donc préféré créer des structures pour des enfants un peu plus grands plutôt que de créer des places de pouponnière. De cette manière, nous parvenons à mieux gérer la situation.

Mme Séverine Battin. J’ajoute que le modèle dont nous avons parlé précédemment concerne des petites unités familiales, c’est-à-dire des unités de six à huit enfants.

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La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Coralie Dénoues, présidente du conseil départemental des Deux-Sèvres, accompagnée de M. Hervé Cochetel, directeur général des services du conseil départemental, et Mme Sophie Carbonne, directrice générale adjointe aux solidarités.

Mme la présidente Laure Miller. Mes chers collègues, nous accueillons à présent Mme Coralie Dénoues, présidente du conseil départemental des Deux-Sèvres, accompagnée de M. Hervé Cochetel, directeur général des services du conseil départemental, et de Mme Sophie Carbonne, directrice générale adjointe aux solidarités.

Nous avons souhaité pouvoir auditionner un certain nombre d’exécutifs départementaux, compte tenu de leur rôle essentiel dans la mise en œuvre de l’aide sociale à l’enfance. Cette audition vous permettra de présenter les difficultés particulières auxquelles votre département fait face dans la mise en œuvre de la protection de l’enfance.

Je rappelle que l’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Coralie Dénoues, Mme Sophie Carbonne et M. Hervé Cochetel prêtent serment.)

Mme Coralie Dénoues, présidente du conseil départemental des Deux-Sèvres. Nous sommes ici ce matin pour répondre à toutes vos questions sur la politique de prévention et de protection de l’enfance. Je préside le département des Deux-Sèvres depuis 2021, un territoire rural de 385 000 habitants marqué par un fort contraste social entre d’une part Niort, la ville-centre et quatrième place financière française, et d’autre part des territoires ruraux pauvres, notamment en ce qui concerne le niveau scolaire : l’accès aux études supérieures y est bien inférieur à la moyenne nationale, notamment en raison de problèmes de mobilité.

Dès ma prise de fonction, j’ai souhaité ériger la jeunesse au rang de priorité de mon action. Je suis convaincue que pour traiter les maux de notre société, nous devons les traiter à la base, c’est-à-dire dès l’enfance. Nous nous sommes donc engagés dans un plan Collège et avons mis en place des dispositifs dans les domaines de l’environnement et de l’épanouissement des jeunes à travers le sport, la culture, la citoyenneté et, bien évidemment, la politique de prévention et de protection de l’enfance.

À titre d’anecdote, quand je suis arrivée, j’ai demandé la liste des enfants confiés et les structures dans lesquelles ils étaient accompagnés. Je ne l’ai obtenue qu’au bout de trois semaines et, plusieurs mois plus tard, j’ai su qu’elle comportait des erreurs. Il a donc été nécessaire de mener une grande réorganisation, qui a été facilitée par l’arrivée d’une nouvelle direction générale, avec M. Hervé Cochetel et Mme Sophie Carbonne ici présents, mais également une directrice enfance famille. Lorsque l’équipe a été constituée en 2022, nous avons entamé une grande refondation de nos politiques de prévention et de protection de l’enfance.

Aujourd’hui, dans notre département, environ 1 500 enfants sont suivis et 1 104 enfants sont protégés. Nous avons également mis en place 49 contrats jeune majeur et nous accueillons 164 mineurs non accompagnés (MNA), dont 85 contrats jeune majeur. Entre 2021 et 2024, notre budget pour la prévention et la protection de l’enfance a progressé de 40 %, en dépit des difficultés budgétaires que tous les départements connaissent. Je tiens d’ailleurs à saluer la majorité départementale, qui a accepté de faire de cette action une politique prioritaire, naturellement au détriment d’autres politiques. Cette action s’est notamment traduite par la création de 115 postes sur les 120 postes créés par le département depuis 2021.

La feuille de mission de la nouvelle équipe comportait trois objectifs qui me tenaient à cœur. Le premier visait à ne pas accueillir un seul enfant à l’hôtel, sauf naturellement les MNA primo-arrivants. Je précise que la loi Taquet n’avait pas encore été votée. Ensuite, je souhaitais que les enfants soient protégés dans des structures situées soit dans le département des Deux-Sèvres, soit dans les départements limitrophes. En effet, je suis convaincue que la proximité géographique entraîne la proximité de l’accompagnement. À l’exception de quatre cas spécifiques qui bénéficient d’un accompagnement psychologique particulier, l’ensemble des enfants sont aujourd’hui accueillis dans de telles structures. Le troisième objectif visait à ne pas avoir de liste d’attente – ou de la réduire au maximum – pour les placements judiciaires. À l’heure actuelle, dans les Deux-Sèvres, aucun enfant en danger imminent ne figure sur liste d’attente ; ils sont placés. Les quatorze enfants aujourd’hui sur liste d’attente ne sont pas en danger imminent. J’ajoute qu’aucun enfant ne figurait sur cette liste il y a quelques mois, mais la fin d’année 2024 a été marquée par un très fort accroissement du nombre d’enfants confiés à la protection de l’enfance.

Notre politique est donc particulièrement volontariste, mais nous n’agissons naturellement pas seuls au sein de cet écosystème : nous avons besoin de la justice, de l’Éducation nationale, de l’État et de nos équipes de la protection maternelle et infantile (PMI) et de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Nous menons actuellement une réorganisation du pôle des solidarités pour créer un pôle enfance unique rassemblant la PMI et l’ASE, dont les cultures sont différentes. Ce travail est en cours depuis bientôt un et an et demi.

Nous avons priorisé l’amélioration du parcours de l’enfant au sein du département, pour trouver la mesure la plus adaptée à l’enfant dès le début et lui offrir la meilleure des stabilités. Il s’agit là du fil rouge de nos politiques et nous avons travaillé à un parcours autonomie, notamment avec les résidences Habitat jeunes, le dispositif d’accompagnement personnalisé en milieu naturel (APMN) et les résidences intergénérationnelles. L’année dernière, nous avons également professionnalisé notre partenariat avec les maisons d’enfants à caractère social (MECS), en signant un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM), dans la mesure où nous estimons que nous devons avoir la même prestation pour le même prix. Tel est le cas aujourd’hui : toutes nos MECS proposent le même tarif, pour la même prestation.

Nous avons aussi privilégié l’accueil familial et n’avons pas établi de pouponnière sociale dans le département des Deux-Sèvres : les enfants accueillis dès la naissance sont placés chez des assistantes familiales. Ces dernières bénéficient aujourd’hui d’une cellule d’accompagnement, que nous avons mise en place afin qu’elles ne soient plus isolées. En effet, même si l’on me dit qu’il n’existe pas d’attachement de l’enfant, je crois quand même au cadre rassurant des assistantes familiales, à la tendresse et à la bienveillance qu’elles prodiguent et qui contribuent à l’épanouissement de l’enfant. Il importe de ne pas déshumaniser leur travail, pour le bénéfice des enfants que nous accompagnons.

L’enjeu de l’attractivité du métier d’assistante familiale est évident, notamment en raison d’une pyramide des âges particulièrement défavorable. Ainsi, il n’existe aucune limitation dans le recrutement des assistantes familiales en Deux-Sèvres. Même si nous disposons d’un solde positif de quarante assistantes familiales entre 2021 et 2024, nous devons nous préparer à une vague de départs. En conséquence, nous essayons de sensibiliser de nouveaux publics. À titre d’exemple, nous avons signé l’année dernière une convention avec un syndicat agricole pour sensibiliser les femmes d’agriculteurs au métier d’assistante familiale.

Nous avons également conforté nos propres services, notamment la maison départementale de l’enfance (MDE), avec un dispositif d’urgence et d’accompagnement diversifié (DUAD). Cette cellule agit immédiatement dès qu’une information préoccupante (IP) se fait jour et oriente également les placements et les différentes mesures. Elle protège enfin l’enfant an cas d’ordonnance de placement provisoire (OPP). Notre DUAD constitue ainsi un véritable appui de notre politique.

Il est essentiel pour nous d’accorder la même considération et le même traitement aux mineurs non accompagnés (MNA) qu’aux autres enfants. Les MNA bénéficient donc des mêmes mesures que les autres enfants de l’ASE. À titre d’exemple, un MNA de moins de quinze ans est pris en charge par un assistant familial. Entre quinze et dix-huit ans, selon leur degré d’autonomie, soit ils logent dans une résidence Habitat jeunes ou dans une résidence intergénérationnelle, soit ils font l’objet d’une mesure APMN. Je précise que les résidences intergénérationnelles constituent une spécificité des Deux-Sèvres que nous avons mise en place il y a maintenant un an. Nous avons rassemblé des résidents de résidences seniors avec des mineurs non accompagnés autour d’un projet de vie commun. Ce dispositif permet à la fois de redynamiser les plus anciens et mieux acculturer ces jeunes MNA, qui évoluent dans un cadre serein et surtout bienveillant. Nous sommes particulièrement fiers de ce dispositif, qui fonctionne très bien. Nous avons désormais ouvert trois résidences intergénérationnelles dans les Deux-Sèvres.

Notre volontarisme est à la hauteur des difficultés que nous devons surmonter. Tout n’est certes pas parfait, mais nous souhaitons véritablement procéder à des améliorations. En deux ans, nous avons déjà bien progressé mais nous sommes confrontés à des obstacles, dont je tiens à vous faire part. Nous nous heurtons tout d’abord à la carence de pédopsychiatres, qui ne sont que quatre sur l’ensemble de notre département, pour 385 000 habitants. Ces professionnels sont pourtant indispensables dans les parcours de l’enfant. Je déplore donc la défaillance de l’État dans ce domaine. Aujourd’hui, 26 % des enfants relevant de l’ASE sont en situation de handicap, ce qui correspond à la moyenne nationale, mais nous manquons de 130 places notifiées par la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) : 73 places en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) et une cinquantaine de places en service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD).

Ensuite, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont complètement débordés, en dépit de leur engagement. En tant que département, nous sommes obligés de gérer des enfants qui relèvent de la PJJ et non de la protection de l’enfance. Nous souhaiterions par ailleurs qu’il n’y ait plus de saisonnalité dans les informations préoccupantes émises par l’Éducation nationale, mais également pouvoir établir des liens plus étroits pour les situations de décrochage scolaire. Enfin, l’attractivité de tous les métiers, de l’éducateur au cadre en passant par l’assistante familiale, n’est pas assez valorisée. Même si notre vocation consiste bien à réaliser des missions au service de la collectivité, je tiens à rappeler que nos agents sont engagés en permanence.

En conclusion, je tiens à souligner que le département des Deux-Sèvres a fait de la protection de l’enfance une priorité. Nous le devons aux enfants et à notre mission de service public. Cependant, nous ne pourrons y parvenir seuls et nous avons besoin de nos partenaires. À ce titre, nous souhaiterions que la prévention et la protection de l’enfance soient érigées en grande cause nationale.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. M. Éric Woerth a rendu au mois de juin un rapport dans lequel il formulait un certain nombre de propositions dans le domaine de la protection de l’enfance. Dans le cadre du débat national, la question de la recentralisation est fréquemment évoquée. Selon les départements, les professionnels et les différentes organisations de cet écosystème, les avis peuvent diverger. Lorsque vous avez pris vos fonctions en 2021, vous avez constaté des dysfonctionnements dans cette politique publique, avant de mettre en place un certain nombre d’actions. Je rappelle que la protection de l’enfance n’est ni de droite ni de gauche. Les enfants doivent bénéficier d’une forme de continuité dans la politique publique, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Quelle est votre opinion concernant une éventuelle recentralisation ?

Avec combien de structures partenaires travaillez-vous ? Historiquement, les enfants sont en effet plutôt confiés à des associations – je pense notamment aux pouponnières. De combien de places disposez-vous pour accueillir les enfants confiés à la suite d’ordonnances de placement provisoire ? Combien d’associations sont-elles habilitées par votre département ? Ces associations sont-elles établies dans les Deux-Sèvres depuis longtemps, notamment avant la décentralisation ? Je rappelle que les conventions sont renouvelées tous les quinze ans et que le bâti peut être frappé d’obsolescence. En outre, certains enfants se voient imposer de vivre en collectivité alors que nous savons que les petites unités de vie sont plus adaptées à leur accueil.

Vous avez souligné à juste titre le caractère inadapté des préconisations qui postulent l’absence d’attachement de l’enfant. Si des professionnels ou des cadres formulent encore de tels propos, ils constituent des dangers pour les enfants et doivent impérativement suivre des formations adaptées. Les lois de 2016 et de 2022 visent précisément à construire les parcours les plus sécurisants possibles pour les enfants, afin que des liens d’attachement puissent se nouer.

Notre commission d’enquête a été ainsi invitée à se pencher sur la situation du lieu de vie et d’accueil Le Petit Logis, situé à Villefollet dans les Deux-Sèvres. Cet établissement, ouvert en 2006, a été fermé administrativement en avril 2024 sur décision du département des Deux-Sèvres en raison de possibles faits de maltraitance et de violence psychologique sur des enfants. Cette décision a été confirmée en septembre dernier par le tribunal administratif de Poitiers. Deux sœurs âgées de quinze et dix-huit ans ont ainsi été séparées de leur petit frère de dix ans. Les deux jeunes filles ont été placées dans un gîte relais en Dordogne et leur frère dans une famille d’accueil du sud Deux-Sèvres, au motif qu’aucune famille d’accueil ne pouvait accueillir les trois enfants. La personne qui m’a adressé le courrier précise que la séparation a été extrêmement douloureuse, ce que nous pouvons forcément comprendre. Selon les informations qui ont été portées à la connaissance de la personne qui m’a sollicitée, le lieu de vie a rouvert en octobre dernier, les signalements qui avaient provoqué sa fermeture administrative temporaire ayant été classés sans suite. Cependant, d’après elle, le département des Deux-Sèvres ne veut pas à ce jour confier d’enfants de l’aide sociale à cette structure.

Plus généralement, le problème concerne la séparation de cette fratrie, qui vivait ensemble auparavant. D’un côté, l’alerte commandait de protéger les enfants, mais simultanément la fratrie a été séparée. D’une part on répond à une urgence et à une inquiétude, mais d’autre part on place les enfants dans une très grande souffrance en les séparant, le plus petit des trois ne vivant pas dans le même département que ses sœurs. En outre, nous savons qu’il est difficile de réunir des enfants quand une fratrie est séparée.

Aujourd’hui, la législation a évolué. À une époque, il était facilement envisageable de séparer les fratries. Désormais, le principe de non-séparation des fratries lors d’un placement a été posé et réaffirmé. Parmi les sujets auxquels je suis particulièrement attachée figure la qualité de l’accueil des enfants, tant sur les conditions d’accueil, le bâti, la manière dont ils vivent en collectif que sur le sens de notre accompagnement et la capacité d’éviter les ruptures. Malheureusement, certains parcours d’enfants demeurent douloureux et nombre d’entre eux peuvent connaître une quinzaine de placements ou subir des ruptures de parcours très récentes.

Lors de l’audition que nous avons menée hier, des responsables des organisations syndicales représentatives du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif ont évoqué le cas d’un enfant de quatre ans qui a connu dix-sept placements. Un tel parcours est naturellement inacceptable et nous devons trouver une manière de mieux accompagner ces enfants. Avez-vous une idée précise de ces ruptures ? Menez-vous un travail en équipe pour trouver des solutions et permettre aux enfants de connaître des parcours plus simples, moins marqués par des ruptures incessantes ? Disposez-vous d’une telle visibilité ?

Par ailleurs, puisque les problématiques concernent fréquemment la prise en charge des enfants, menez-vous des réunions de travail pluridisciplinaires avec les différents acteurs, y compris l’agence régionale de santé (ARS) ? Comment abordez-vous ces sujets, qui constituent aussi le cœur de la protection de l’enfance ?

Vous avez évoqué le nombre total d’enfants pris en charge par le département, mais pourriez-vous nous donner le détail pour la tranche d’âge entre zéro et cinq ans, ainsi que pour les plus âgés ? Ces éléments me semblent particulièrement importants, puisque nous savons qu’agir le plus rapidement possible est essentiel pour le développement de l’enfant, de même qu’établir un parcours sécurisant et sécurisé.

Enfin, avez-vous des doubles mesures PJJ-ASE ? Vous avez en effet souligné que vous accueilliez des enfants qui relèvent de la protection judiciaire de la jeunesse et non de la protection de l’enfance. En 2011, quand la PJJ a cessé de prendre en charge le volet éducatif, la protection de l’enfance a dû s’occuper d’enfants qui n’étaient pas préalablement au cœur de son activité. Ce changement a déstabilisé l’ensemble des équipes intervenant dans le champ social.

Aujourd’hui, la protection de l’enfance accueille globalement tous les enfants, parfois dans le cadre de doubles mesures. De nombreux travailleurs sociaux, dont certains ont une ancienneté plus établie, font part de leur étonnement à l’égard de jeunes qui leur semblent plus relever de la PJJ que de l’aide sociale à l’enfance. De fait, les professionnels ne sont peut-être pas suffisamment outillés pour pouvoir accueillir ces publics, dont le cumul des difficultés peut contribuer à fragiliser des structures.

Mme Coralie Dénoues. Vous m’avez d’abord interrogée sur la recentralisation de la protection de l’enfance et la continuité politique. Il me semble qu’au sein des institutions politiques françaises, les départements témoignent d’une continuité et d’une stabilité qui font parfois défaut à un autre échelon. Une collectivité reste certes une entité politique, mais j’ai confiance dans la continuité de l’administration de nos collectivités. Lorsqu’une politique se déroule bien, que la loi et les process sont respectés, je ne vois pas pourquoi la recentralisation serait nécessaire. Pour ma part, j’estime que j’achèverai mon mandat en laissant une situation claire et nette et il n’y a aucune raison que notre action ne soit pas poursuivie par l’administration et nos équipes.

Il s’agit d’un service qui devrait être équitable pour n’importe quel enfant, n’importe où en France. Comme je l’ai indiqué précédemment, dans les Deux-Sèvres, un MNA est traité de la même manière qu’un national, ce qui n’est malheureusement pas le cas dans tous les départements. Mais la politique handicap enfance de l’État n’est pas pratiquée de la même manière selon les départements. Par exemple, le département des Deux-Sèvres touche 14 373 euros par enfant handicapé quand celui de la Creuse, situé dans la même région, touche 33 834 euros par enfant handicapé. Dès lors, la politique nationale n’établit pas l’équité entre les territoires.

Votre deuxième question concerne les différentes structures que nous accompagnons. Globalement, nous travaillons avec les mêmes partenaires depuis longtemps, aucun grand changement n’est intervenu. Nous avons récemment intégré une maison d’enfants à caractère social supplémentaire sur un appel à projets, car nous ne disposions pas de réponse localement.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Savez-vous depuis combien de temps le département travaille avec ces partenaires historiques ?

Mme Coralie Dénoues. Non, mais il s’agit d’associations locales avec lesquelles le département travaille depuis de longues années. Je souligne qu’une des MECS, La Salamandre, est spécialisée dans l’accueil de fratries.

Ensuite, sur 1 104 enfants placés, 1 020 le sont au titre de décisions judiciaires, et 84 au titre de décisions administratives. Nous accueillons 330 enfants en action éducative en milieu ouvert (AEMO) et 142 en AEMO intensive. Il existe trente-cinq doubles mesures PJJ-ASE et nous nous occupons de 249 MNA.

À la maison départementale de l’enfance, dont le DUAD est un service, nous disposons de trente-cinq places d’internat, dont dix en service accueil modulable (SAM), notre service mère-enfant et parental. En effet, nous expérimentons l’accueil d’un couple parental au sein de notre service. Nous proposons quatre-vingt-seize places d’accueil familial au sein de notre MDE et assurons trente-trois suivis par le DUAD. Puisqu’il s’agit d’un dispositif d’urgence, il n’existe pas de plafond de places. Les assistantes familiales sont au nombre de 273, pour 615 enfants. Nous proposons vingt-quatre lieux de vie et d’accueil (LVA), dans lesquels nous accueillons quatre-vingt-trois enfants.

M. Hervé Cochetel, directeur général des services du conseil départemental des Deux-Sèvres. Je précise que nous avons autorisé des LVA qui accueillent des enfants d’autres départements.

Mme Coralie Dénoues. Le taux d’occupation des LVA s’établit à 47 %. Dans les cinq MECS du département, nous accueillons 257 enfants. Leur taux d’occupation est élevé, puisque les places sont occupées par des Deux-Sévriens à hauteur de 85 %.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Quelles sont les tranches d’âge des enfants accueillis dans les MECS ?

Mme Coralie Dénoues. Les enfants qui y sont accueillis ont au moins six ans. En deçà de cet âge, nous proposons uniquement un accueil familial.

Mme Sophie Carbonne, directrice générale adjointe aux solidarités au conseil départemental des Deux-Sèvres. Les perspectives de placement en internat ne sont évoquées qu’à partir de dix ou onze ans. De manière générale, nous privilégions l’accueil familial. Lorsque des ruptures interviennent en accueil familial, d’autres perspectives sont effectivement envisagées, dans le cadre d’un accueil collectif.

Mme Coralie Dénoues. Nous disposons de cinq associations d’accueil pour les MNA. Vous m’avez également interrogée sur la représentation de nos enfants. À ce titre, il convient de relever que dans 45 % des cas, les premiers placements des enfants interviennent avant leurs six ans. Les autres chiffres sont les suivants : 8 % pour les zéro-trois ans et 14 % pour les trois‑six ans.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. À l’échelle nationale, nous manquons de données concernant les enfants qui sont accueillis au sein des structures départementales, ainsi que sur le suivi des familles et les problématiques spécifiques. Vous nous avez fourni quelques points de repère concernant votre territoire, qui vous permettent de mener des politiques publiques. Pour autant, notre commission d’enquête constate que les données des départements sont parfois incomplètes. De notre côté, nous nous attachons à en savoir plus sur ces enfants, leur parcours et leur suivi. L’objectif consiste bien à améliorer nos politiques publiques, y compris à travers des projections sur les besoins de places par tranche d’âge, qui n’existent pas à ce jour.

À partir des données dont vous disposez et du travail que vous accomplissez, en savez-vous plus sur ces enfants et les raisons de leur placement ? Plus largement, quelles sont les différentes pistes que vous avez identifiées à l’échelle de votre territoire ?

Mme Coralie Dénoues. Nous ne disposons pas de chiffres précis sur l’origine de ces enfants. En tant que responsables des solidarités, même si nous ne disposons pas de mesures précises, nous observons empiriquement que certains noms reviennent au titre des bénéficiaires de différentes politiques de solidarité, comme le revenu de solidarité active (RSA), les politiques du handicap ou celles de la protection de l’enfance. En revanche, les remontées d’informations préoccupantes nous permettent de constater que 20 % des enfants ne sont pas suivis par nos services sociaux.

Mme Sophie Carbonne. Nous menons actuellement un travail pour cerner le motif principal de placement, qui est souvent résumé sous le vocable « carences éducatives ». Nous arrivons parfaitement à identifier les pourcentages par tranche d’âge lorsqu’il s’agit de maltraitances, de violences conjugales, de violences physiques ou de violences sexuelles. En revanche, les carences éducatives doivent faire l’objet d’analyses plus approfondies pour obtenir de plus amples détails concernant cette qualification.

Néanmoins, de manière tendancielle, nous discernons deux sujets préoccupants. Le premier concerne les parents en situation de handicap, pour lesquels l’accompagnement sur notre territoire est complexe. Nous devons placer des enfants, car les compétences parentales sont défaillantes en raison du handicap dont les parents souffrent. Il s’agit là d’un sujet extrêmement compliqué : la possibilité d’obtenir une amélioration des compétences parentales pour envisager un retour de l’enfant à domicile est beaucoup plus restreinte. Des expérimentations sont en cours, mais l’offre que nous pouvons fournir à ces parents afin de leur permettre d’exercer leur droit à la parentalité demeure assez floue.

Le deuxième sujet préoccupant concerne la carence de l’offre à destination des enfants en situation de handicap, qui crée effectivement une passerelle vers la protection de l’enfance. Dans certains cas, l’absence de prise en charge de l’enfant dès son plus jeune âge amplifie les troubles du comportement et nous nous retrouvons face à des parents complètement démunis. Ces derniers ne sachant plus que faire malgré leur bonne volonté, le relais est pris par la protection de l’enfance. Le département des Deux-Sèvres intervient alors au titre du placement administratif – il y a quatre-vingt-quatre placements administratifs dans le département –, au-delà des mesures d’aide éducative à domicile (AED).

Ces placements administratifs sont réalisés en coordination avec les magistrats, dès lors que les parents adhèrent à cette possibilité. Il n’en demeure pas moins que l’absence d’offre et d’accompagnement pour les enfants en situation de handicap renforce la complexité de la prise en charge par les professionnels. Nous sommes démunis face à ces situations, en dépit de la bonne volonté des parents, qui se retrouvent finalement dans des situations d’épuisement. Nous agissons de notre mieux, mais, en l’absence d’offre médico-sociale, nous atteignons ici les limites de nos possibilités.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. La plupart des enfants auxquels vous faites ici référence sont-ils atteints de troubles du comportement ou de troubles autistiques ? Nous manquons de données dans ce domaine à l’échelle nationale. Cependant, en tant que conseillère départementale du Val-de-Marne, j’ai été pendant près de douze ans vice-présidente chargée de la protection de l’enfance et de la jeunesse. J’ai ainsi pu observer qu’une grande partie des familles qui étaient en situation d’épuisement et se tournaient vers la protection de l’enfance étaient des parents d’enfants atteints de troubles autistiques ou du comportement plutôt que d’enfants affectés par des handicaps physiques. Certains de ces troubles du comportement ou autistiques graves n’avaient pas été décelés.

Face à l’absence de réponses, ces familles finissaient par craquer et étaient contraintes de se résoudre à un placement en protection de l’enfance, ce qui constitue un drame absolu. En effet, idéalement, ces enfants ne devraient pas être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ; ils relèvent du soin. Notre commission d’enquête doit se saisir de ces aspects, qui témoignent d’une carence de l’État aboutissant à des situations inacceptables pour les enfants et les familles concernées.

Êtes-vous confrontés à de telles situations ? Pouvez-vous nous fournir plus de détails à ce propos ?

Mme Coralie Dénoues. Une codification est en cours au sein de la maison départementale pour les personnes handicapées. Selon les premières données dont nous disposons concernant les enfants en situation de handicap, 47 % d’entre eux sont affectés par des déficiences du psychisme, 26 % par des déficiences intellectuelles et cognitives, 18 % par des déficiences du langage et de la parole et 4 % par des déficiences motrices. Les enfants qui nous sont confiés souffrent pour 26 % d’entre eux de handicap, ce chiffre s’élevant à 31 % pour nos contrats jeune majeur. Nous observons donc bien une surreprésentation.

Vous avez posé des questions sur les lieux de vie et d’accueil, en mentionnant le cas du Petit Logis, à Villefollet. Je connais très bien ce dossier, sur lequel je me suis particulièrement engagée. Étant sous serment, les propos que je m’apprête à tenir seront pour la première fois publiquement énoncés. Jusqu’à présent, par respect pour les enfants et malgré de nombreux articles de presse sur le lieu de vie, je m’étais refusée à m’exprimer sur le sujet. Mais puisque des élus de la République m’invitent à me prononcer, je vais vous répondre bien volontiers.

Ce lieu de vie et d’accueil agréé par le département ne présentait aucun souci jusqu’au mois de février 2024, période à laquelle nous avons reçu quatre informations préoccupantes, dont un appel anonyme, une note d’inquiétude émanant du département de la Loire-Atlantique, une information des services du département d’Indre-et-Loire et une fiche de recueil d’information préoccupante (FRIP) de la part de nos services de l’ASE. Face à cette multiplication d’IP, nous avons décidé de suspendre ce lieu d’accueil. Il s’agit là d’un principe de prudence que nous appliquons, comme nous pouvons le faire également pour des assistantes familiales.

Malgré les arrêtés de fermeture provisoire, la responsable de ce lieu de vie et d’accueil a refusé que nos agents puissent récupérer les enfants, accompagnés d’amis et de familles. Cet épisode a été émaillé de nombreuses violences verbales, sous le regard des enfants. En conséquence, nous avons été contraints de demander l’intervention des forces de l’ordre. À cette occasion, nous avons pu récupérer les enfants, mais pas leurs effets personnels, ni à ce moment-là ni plus tard.

En revanche, le déplacement d’un des enfants dans un gîte en Dordogne a constitué une erreur, que l’agent responsable de cette décision, prise un dimanche, a d’ailleurs reconnue. Je précise que ce déplacement n’a duré que vingt-quatre heures et que les enfants sont aujourd’hui dans les Deux-Sèvres. Parmi ces enfants, deux sont mineurs et une autre a refusé notre contrat jeune majeur. Des fugues sont intervenues, empêchant d’installer les enfants et de les sécuriser dans notre leur nouveau lieu d’accueil familial, et affectant leur scolarité.

Une enquête s’est déroulée entretemps, car des enfants recevaient des sollicitations harcelantes. Après la décision de justice que j’ai respectée, la suspension a été levée. Mais, par respect pour les enfants et pour le travail de nos agents, je me refuse de travailler avec des personnes qui ont fait preuve d’un tel comportement, ce qui relève de mon droit. J’estime en effet que de tels encadrants, responsables d’enfants protégés, doivent s’astreindre à un devoir de discrétion. J’assume pleinement cette décision, dans l’intérêt des enfants, en dépit de la perte de places d’accueil qu’elle implique.

Je reprends le fil de vos questions pour aborder à présent la PJJ et l’évolution des enfants que nous accompagnons. Nous observons qu’en raison des défaillances dans le parcours de soins ou dans le parcours du handicap, certains des enfants deviennent finalement agresseurs eux-mêmes. En tant que responsables de la protection de l’enfance, il ne nous est pas possible de réunir dans un même lieu des agressés et des agresseurs. Dans un des cas dont j’ai été informée, les gendarmes étaient contraints d’être présents chaque semaine au niveau de l’accueil familial.

Nos agents, nos professionnels de l’enfance, ne sont pas forcément formés pour faire face à de telles situations de la part d’enfants qui, en raison de troubles d’hétéroagressivité et de troubles sévères du comportement, en viennent malgré eux à créer des troubles à l’ordre public, lesquels relèvent en effet de la PJJ.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je souhaite approfondir brièvement cet aspect relatif à la PJJ. Êtes-vous concernée par l’accueil de jeunes orientés vers la protection de l’enfance qui auraient commis des actes de violence sexuelle à l’encontre d’autres enfants ? Cet aspect est en effet assez fréquemment évoqué dans les territoires. De fait, accueillir dans un même lieu collectif des victimes et des auteurs présumés d’infractions sexuelles, sur lesquelles la justice ne s’est pas encore prononcée, constitue une problématique particulièrement prégnante. Si tel est le cas, disposez-vous d’un partenariat spécifique avec la PJJ ? Vos actions sont-elles discutées et coordonnées ?

Mme Coralie Dénoues. Nous sommes effectivement concernés par de tels cas, qui portent sur toutes formes d’agressions, y compris des agressions sexuelles. Nous menons actuellement un travail pour conforter un partenariat, pour le moment informel, avec la direction de la PJJ. L’objectif consiste bien évidemment à éviter de réunir agressés et agresseurs dans un même lieu de vie et d’accueil.

Par ailleurs, je tiens à dissiper des stigmatisations dont les mineurs non accompagnés font régulièrement l’objet. Parmi l’ensemble des MNA que nous accueillons, seulement deux font aujourd’hui l’objet d’une procédure judiciaire, en lien avec les émeutes de l’année dernière. Il me semble important de le rappeler : nous n’avons pas de soucis particuliers avec les MNA.

 

La séance s’achève à midi trente.

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Membres présents ou excusés

Présents.  M. Arnaud Bonnet, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago