Compte rendu

Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins

– Désignation de membres du bureau.......................2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint du ministère de la justice, de M. Fabien Neyrat, délégué du secrétariat général pour les outre-mer, et de Mme Claire Liaud, cheffe du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (SADJAV)              2

– Présences en réunion................................17

 


Jeudi
26 juin 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures quarante.

Sous la présidence de M. Frantz Gumbs, président de la commission, la Commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins a désigné M. Jean Hugues Ratenon comme vice-président de la commission.

La commission a ensuite procédé à l’audition de M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint du ministère de la justice, de M. Fabien Neyrat, délégué du secrétariat général pour les outre-mer et de Mme Claire Liaud, cheffe du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes.

M. le président Frantz Gumbs. Notre commission d’enquête a pour objet d’évaluer la mise en œuvre de la politique d’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins et d’identifier précisément ce qui fait encore obstacle à un égal accès de tous nos concitoyens au droit et à la justice.

Dès lors, il nous a paru pertinent d’entendre rapidement le ministère de la justice, notamment son secrétariat général. Celui-ci conduit en effet la politique d’accès au droit et à la justice et coordonne l’action des services du ministère. Il pilote également la politique budgétaire, élabore la stratégie immobilière et assure des fonctions d’expertise en matière numérique – autant d’enjeux qui seront au cœur de nos travaux.

M. Philippe Clergeot est secrétaire général adjoint depuis 2020. M. Fabien Neyrat est le premier titulaire d’une fonction récemment créée au sein du secrétariat général, celle de délégué pour les outre-mer. Quant à Mme Claire Liaud, elle est magistrate et actuellement cheffe du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), des sujets qui sont au cœur de nos préoccupations. Nous reviendrons, je suppose, sur l’aide juridictionnelle et sur les problèmes que son fonctionnement pose dans certains barreaux ultramarins.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Clergeot, M. Fabien Neyrat et Mme Claire Liaud prêtent successivement serment.)

M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint du ministère de la justice. Le secrétariat général contribue au bon fonctionnement des services des trois réseaux du ministère : le réseau judiciaire, le réseau pénitentiaire et celui de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Il assure une fonction support dans les domaines des ressources humaines, du budget, des finances, de l’immobilier et du numérique.

Le secrétariat général compte également des fonctions métiers, relatives notamment à l’accès au droit – au sein du service dirigé par Claire Liaud – et aux statistiques.

À la demande du ministre et de son cabinet, nous sommes aussi amenés à coordonner l’action du ministère ; nous l’avons fait par exemple pour la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ).

La fonction outre-mer est récente pour le secrétariat général : elle était jusqu’à présent assurée par des services spécifiques au sein des réseaux, à l’exception du judiciaire. Pour pouvoir mieux répondre aux besoins spécifiques des différents outre-mer, nous avons estimé qu’il nous fallait mettre en place un dispositif ad hoc. Dans un premier temps, un rapport a été demandé à l’Inspection générale de la justice (IGJ). Réalisé juste avant mon arrivée, en 2019, il proposait que nous ayons, comme en métropole, une délégation du secrétariat général pour les outre-mer.

La secrétaire générale de l’époque, Catherine Pignon, a alors échangé avec l’ensemble des partenaires ainsi qu’avec les chefs de cour des territoires ultramarins. Nous avons considéré que la solution ne consistait pas forcément à reproduire au niveau des outre-mer l’organisation de la métropole. En effet, en créant des délégations interrégionales, nous aurions perturbé les services plus que nous n’aurions apporté quelque chose.

Dans un premier temps, nous avons désigné un délégué – qui a assuré cette fonction juste avant la désignation officielle de Fabien Neyrat en 2023 – et nous avons nommé et envoyé sur place des coordonnateurs : l’un à La Réunion pour la zone de l’océan Indien, un autre pour la Guyane et un troisième, plus récemment, pour la zone des Antilles. Leur mission consistait à identifier les besoins du territoire, dans le but que nous puissions adapter notre réponse. Cela a très bien fonctionné dans l’océan Indien, notamment à Mayotte.

Le retour que nous en faisons est très positif car la réponse que nous apportons est complémentaire de celle des autres réseaux et souvent très concrète. Très bien accepté par les parties prenantes du territoire – chefs de juridiction, représentants des deux autres réseaux –, le coordonnateur a pu mobiliser les compétences de haut niveau du secrétariat général, par exemple dans le domaine de l’immobilier.

Nous considérons néanmoins que la mobilisation est perfectible et que nous avons encore du chemin à parcourir. Notre objectif n’est pas d’avoir une structure bureaucratique mais que celle-ci mobilise les compétences et qu’elle interroge nos propres pratiques : il ne s’agit pas d’apporter une réponse toute faite, qui serait du prêt-à-porter, mais de comprendre le territoire – ce que permet le coordonnateur. Je précise que j’évoque là les fonctions support assurées par le secrétariat général, et non les fonctions spécifiques.

Enfin, le ministre et la direction de son cabinet nous ont demandé de coordonner l’action outre-mer de l’ensemble des directions. Dans cette fonction, nous agissons par exemple pour favoriser l’attractivité, avec des réponses adaptées aux territoires et aux métiers. Nous n’avons pas de difficultés, par exemple, à envoyer outre-mer des surveillants pénitentiaires originaires des départements d’outre-mer (DOM). Compte tenu des événements, l’attractivité de Mayotte est en revanche plus faible que celle de La Réunion.

Encore une fois, nous adaptons notre réponse – c’est le travail effectué par Fabien Neyrat –, en coordination avec la direction générale des outre-mer (DGOM). Celle-ci a trouvé chez nous un interlocuteur avec lequel elle peut travailler. Le directeur général des outre-mer a d’ailleurs décoré la secrétaire générale du ministère de la justice de la médaille d’honneur de l’engagement ultramarin, signe qu’il apprécie de trouver dans notre organisation un point d’entrée – non pas vers des compétences directes, mais vers un acteur de la coordination. Notre coordonnateur en Guyane a par exemple trouvé, avec les armées, les premiers logements destinés au personnel des brigades nouvellement créées.

J’ai le sentiment que la direction prise est la bonne, même s’il reste du chemin à parcourir. Dans le domaine immobilier notamment, une mission visant à adapter notre réponse est en cours. Les petits projets sont gérés par les services immobiliers des services administratifs régionaux (SAR) des cours d’appel ou par les services de l’administration pénitentiaire, tandis que les projets importants sont pris en charge par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij). Les projets intermédiaires le sont aussi théoriquement, dans le cadre d’une convention, mais ce fonctionnement n’est pas totalement satisfaisant.

Là où nous avions jusqu’alors surtout une fonction de coordination, nous allons donc désormais faire nous-mêmes. La future organisation n’est pas encore arrêtée. Notre plus-value, en effet, ce sont les compétences. Or elles sont rares, dans le domaine immobilier : nous ne savons pas si elles seront localisées dans le territoire ou projetées dans le cadre de missions de moyenne durée. La solution, que nous espérons trouver dès 2025 ou 2026, sera sans doute mixte. Sachez en tout cas qu’au-delà des grands projets menés par l’Apij, qui bénéficient de budgets très importants, cette demande très forte des territoires est bien prise en compte.

M. Fabien Neyrat, délégué du secrétariat général pour les outre-mer. Je suis arrivé en poste en 2023, avec deux enjeux importants à l’esprit. Le premier concernait la constitution d’un outil de pilotage, d’un plan d’action, permettant au secrétariat général, aux directions, au cabinet et, au niveau interministériel, à la DGOM, de proposer une vision pluriannuelle et stratégique du ministère de la justice sur l’ensemble des fonctions qui viennent d’être décrites – y compris l’accès au droit et les relations internationales. Ce travail est toujours en cours. Notre plan d’action a une comitologie spécifique, à la fois interdirectionnelle et interservices, qui fonctionne bien. Les points d’arbitrage importants sont présentés au cabinet du ministre dans le cadre d’un comité stratégique.

L’ensemble des acteurs sont ainsi écoutés et nous parvenons, avec ce plan d’action, à une position partagée. Il reste du chemin à faire mais, pour moi, l’enjeu principal était de coordonner l’ensemble de la communauté de travail outre-mer du ministère de la justice et de lui donner une gouvernance. Après presque trois ans, je crois que nous avons atteint cet objectif. Nous disposons d’un outil connu et reconnu qui nous permet de prendre des mesures, de les arrêter ou de les préciser.

Le deuxième enjeu était de déterminer, suite au rapport déjà évoqué, quelle serait l’organisation optimale du secrétariat général pour les outre-mer. Ce que je peux vous indiquer c’est qu’une direction du secrétariat général telle qu’elle existe dans l’Hexagone – deux, trois ou quatre départements, parfois plusieurs cours d’appel, 50 à 100 équivalents temps plein (ETP) avec un délégué à leur tête, et les quatre fonctions supports principales – n’est pas la solution adaptée. Nous perdrions en effet notre temps à nous poser la question du déploiement des moyens et des ETP, et nous ne serions absolument pas en mesure de répondre avec agilité aux problématiques ultramarines, qui sont très évolutives. J’en suis convaincu.

Une telle organisation soulèverait au sein du ministère un autre problème, qui n’est pas à minimiser : celui du pouvoir hiérarchique du délégué. Toute personne ayant une fonction outre-mer devrait en effet lui être rattachée, ce qui serait facteur de désorganisation. Encore une fois, nous perdrions notre temps à régler des questions internes, au détriment de l’action en faveur du territoire ultramarin.

L’organisation actuelle correspond d’ailleurs à l’une des options proposées par le rapport initial, que je trouve beaucoup plus juste : la création d’une mission outre-mer. Aujourd’hui, je me sens effectivement chef de mission outre-mer du ministère de la justice : en central, un délégué anime une communauté de travail et déploie un management de réseau assez fort. Dans les territoires, des coordonnateurs et des agents du secrétariat général – assistants des services, techniciens en informatique – nous font des remontées et développent une intelligence territoriale en circuit court, sans cadre intermédiaire. Nous partageons ensuite ces remontées avec les directions et les services, dans le cadre du plan, et les arbitrages importants passent par le cabinet.

Je trouve que ce type de gouvernance, avec une équipe réduite et transversale, fonctionne très bien. Par rapport aux autres directions et aux postes spécialisés, nous avons l’avantage de bénéficier d’une vision à 360 degrés sur tous les territoires.

Il y a dans les outre-mer six cours d’appel et 5 600 agents en poste. Chaque direction, chaque corps spécifique a ses objectifs de mobilité et parfois ses avantages ; il y a, c’est vrai, un besoin de convergence, mais cela fonctionne très bien.

Ce qui manquait, c’était une vision coordonnée et, surtout, une gouvernance partagée. Il y a maintenant deux mois, la secrétaire générale a signé la charte interministérielle de la mobilité en outre-mer. Lorsque, pour sa mise en œuvre, j’ai réuni un conseiller mobilité et carrière de la direction des services judiciaires et un autre agent de la PJJ, je me suis félicité de constater qu’ils s’informaient l’un l’autre de l’existence de certaines mesures catégorielles mises en place pour les mobilités outre-mer.

La gouvernance que nous avons mise en place a donc une plus-value assez importante et nous permet d’animer une communauté outre-mer. Le rapport avait raison : ce qui manquait, c’était un point d’ancrage pour instituer une comitologie et une gouvernance, dans le but de mettre en accord l’intégralité des missions et des forces vives du secrétariat général du ministère de la justice.

Encore une fois, ce n’est pas une question de moyens mais de volonté et d’ambition. Or même s’il reste du chemin à parcourir, celles-ci sont mises en œuvre et assumées par l’ensemble des acteurs.

M. le président Frantz Gumbs. La question que nous nous posons est assez simple. Considérez-vous que les citoyens d’outre-mer ont un accès à la justice qui est égal à celui des autres Français ? C’est à cette question de fond que nous souhaitons que vous répondiez. Nous voulons identifier les freins éventuels – à moins qu’il n’y en ait pas ? – et déterminer la façon de les lever.

Mme Claire Liaud, cheffe du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes. Magistrat du siège depuis vingt-sept ans, j’ai occupé deux postes de présidente de juridiction, notamment en Corse. Vous m’excuserez de faire ce parallèle, mais la Corse est souvent comparée à l’outre-mer et, en trois ans, j’y ai été confrontée à des questionnements liés à l’histoire, à la sociologie et à la démographie du territoire. Je suis donc particulièrement sensibilisée aux questions que vous vous posez à juste titre sur l’égal accès des citoyens d’outre‑mer à la justice et au droit.

Bien que cela n’apparaisse pas dans l’intitulé du service, les politiques publiques que nous articulons concernent aussi la médiation familiale et les espaces rencontre, services de première importance pour les justiciables de tous les territoires, notamment d’outre-mer.

Les maîtres mots de mon service sont « aller vers » et « dernier kilomètre ». Ils s’illustrent dans notre organisation et dans notre méthodologie.

Le Sadjav rassemble cinquante personnes, hommes et femmes d’horizons divers, dont certains sont originaires des outre-mer et dont les profils professionnels sont variés ; magistrats, administrateurs d’État, attachés d’administration, greffiers, directeurs de greffe, contractuels, juristes. La richesse de ces expériences et de ces regards croisés est essentielle pour l’activité quotidienne du service.

Celui-ci est constitué de bureaux correspondant à chacune des politiques publiques que nous coordonnons. Le bureau de l’aide aux victimes emploie des rédacteurs dédiés à certaines cours d’appel, qui ont ainsi un regard aigu sur la situation. Au sein du bureau de l’aide juridictionnelle, une rédactrice est spécialisée dans les questions d’outre-mer. Enfin, l’une des chargées de mission du bureau de l’accès au droit et de la médiation est originaire de la Guadeloupe.

Les yeux et les oreilles du Sadjav sont les cours d’appel, plus particulièrement les chefs de cour – et encore plus spécifiquement les magistrats délégués à la politique associative et à l’accès au droit. Vous savez certainement que certaines cours d’appel d’outre-mer ont la particularité, que n’ont pas celles du territoire métropolitain, de ne couvrir qu’un seul département et un seul tribunal judiciaire. C’est le cas à Fort-de-France, à Basse-Terre, en Nouvelle-Calédonie, à Cayenne et à Papeete – mais pas à La Réunion. Le regard que portent sur ces territoires les chefs de cour s’en trouve affiné, et d’autant plus pertinent.

Les cours d’appel nous font remonter les demandes budgétaires de terrain dans le cadre d’un calendrier mensualisé qui, pour l’outre-mer, ne souffre pas d’exception par rapport aux autres territoires de la République. Les remontées de ces demandes de subvention nous permettent d’avoir un regard précis sur l’activité des associations – sur lesquelles les politiques publiques d’aide aux victimes, de médiation familiale et d’espaces rencontre ont la particularité de reposer. Si Robert Badinter s’est appuyé sur le milieu associatif pour forger l’aide aux victimes au début des années 1980, c’est parce que les associations sont constituées de personnels qui connaissent précisément les territoires et qui identifient bien les besoins.

Nous examinons avec intérêt et attention l’ensemble des demandes qui nous sont adressées.

L’accès au droit est une très belle politique publique qui, au-delà des justiciables, concerne tous les usagers, tous les citoyens quels que soient leur âge, leur origine, leur milieu social, la langue qu’ils parlent ou leurs difficultés économiques.

Comme l’aide juridictionnelle, l’accès au droit a été déployé grâce à des législations importantes, régulièrement modifiées pour s’adapter à l’évolution des besoins. Depuis la loi de 1991 relative à l’aide juridique, il repose sur une instance appelée le conseil départemental de l’accès au droit (CDAD). Nous comptons 101 de ces conseils départementaux, auxquels s’ajoutent quatre conseils correspondant à quatre territoires d’outre-mer. Leur maillage est donc très fin.

Il est important de préciser que le conseil départemental de l’accès au droit n’est pas un outil judiciaire, mais un outil relevant d’une politique publique. Il est mis en œuvre par des partenaires locaux qui forment un groupement d’intérêt public (GIP), piloté par un conseil d’administration ayant à sa tête le président du tribunal judiciaire de la juridiction concernée. Surtout, la richesse des conseils départementaux d’accès au droit tient à la diversité de leurs membres – je peux en témoigner pour avoir présidé celui de la Haute-Corse. Ils regroupent des partenaires qui agissent au plus près des besoins et des réalités de terrain. Cette synergie locale permet de dérouler un plan d’action, approuvé chaque année en conseil d’administration pour l’année suivante, assorti d’un budget alimenté non seulement par le ministère de la justice, mais aussi par les collectivités locales ; celles-ci ont donc leur mot à dire dans le fonctionnement du CDAD. Les besoins sont exprimés au plus près de l’instance décisionnaire, et les cours d’appel informent le Sadjav des actions envisagées afin qu’il statue sur leur financement.

Bien sûr, nous avons encore du chemin à parcourir, mais je peux affirmer que le maillage de l’accès au droit dans les territoires d’outre-mer est très dense, notamment grâce aux points justice où les avocats des barreaux concernés et les associations assurent des permanences juridiques au plus près des réalités locales.

Nous organisons des réunions avec les magistrats délégués à la politique associative et les conseils départementaux d’accès au droit, ce qui nous donne l’occasion de rencontrer nos référents dans les territoires d’outre-mer – notre dernière rencontre nous a permis d’avoir des échanges très riches avec ces derniers et d’apprécier le dynamisme de ces acteurs de terrain, qui agissent au plus près des besoins des usagers. Parmi les initiatives qui ont vu le jour en outre-mer, citons les pirogues du droit en Guyane, le dispositif d’accès au droit mobile en Martinique ou encore le maillage de points justice en Polynésie, dont la coordinatrice donne de sa personne pour animer l’ensemble des permanences au plus près des citoyens.

Pour ce qui est de l’aide aux victimes, l’ensemble des dispositifs en vigueur sur le territoire métropolitain existent aussi en outre-mer, où ils sont animés par des associations locales, qu’il s’agisse du numéro d’urgence 116 006 ou du numéro unique de l’accès au droit (Nuad). Seule la Polynésie française n’a pas conclu de marché public concernant le téléphone grave danger.

L’aide juridictionnelle est également déployée en outre-mer, et des demandes dématérialisées peuvent être déposées sur le système d’information de l’aide juridictionnelle (Siaj). Notez que la prise en charge des déplacements des avocats présente quelques particularités dans ces territoires.

Le Sadjav est aux côtés du groupe de travail de la délégation outre-mer de la Conférence des bâtonniers de France, présidée par maître Lingibé, avocat originaire de Guyane, qui a démarré ses travaux en février et doit rendre ses conclusions au cours de l’été. Elle procède à de nombreuses auditions pour identifier les trous dans la raquette – pardonnez-moi cette expression un peu triviale – qui demeurent dans les politiques animées par mon service.

M. le président Frantz Gumbs. Permettez-moi de commencer par une observation sémantique. Les Ultramarins que nous sommes ont pris l’usage de nommer « Hexagone » ce que vous appelez « métropole » et de parler de territoires d’outre-mer plutôt que de DOM, car nous ne comptons pas uniquement des départements. Je vous demanderai par ailleurs d’éviter d’employer des acronymes techniques, pour que tout le monde puisse comprendre de quoi nous parlons.

Monsieur Neyrat, votre rôle est comparable à celui des délégués inter-régionaux qui existent dans l’Hexagone. Vous avez indiqué qu’en outre-mer, on trouvait peu ou prou un tribunal judiciaire par département. C’est le cas à la Martinique et en Guadeloupe, tandis qu’il y a deux tribunaux à La Réunion ; je précise toutefois qu’en Guadeloupe, le tribunal judiciaire de Basse-Terre a aussi compétence sur les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Si j’ai bien compris, vous avez des coordonnateurs en Guyane, aux Antilles ainsi qu’à La Réunion pour l’océan Indien. Y en a-t-il dans les territoires du Pacifique ?

M. Philippe Clergeot. Il n’y en a pas pour le moment car nous n’avons pas encore identifié le besoin de recruter un coordonnateur dans ces territoires. Nous leur prêtons néanmoins une attention très forte – nous avons géré la crise en Nouvelle-Calédonie, en particulier avec la secrétaire générale et haute fonctionnaire de défense et de sécurité. Une de nos équipes pilote les crises au niveau ministériel, et nos autorités font des déplacements fréquents dans cette zone.

La question du recrutement d’un coordonnateur reste ouverte, même si les acteurs locaux des trois réseaux ne nous ont pas fait remonter cette demande. Nous ne voulons pas ajouter une strate administrative simplement pour exister ; la tentation de la bureaucratisation n’est pas la nôtre. Nous souhaitons être utiles aux acteurs locaux, pour répondre aux problèmes qu’ils rencontrent.

M. Davy Rimane, rapporteur. D’après vous, l’organisation que vous avez présentée permet-elle de répondre concrètement et véritablement aux besoins des citoyens des territoires d’outre-mer, de sorte qu’ils aient accès au droit de façon digne ? Le cas échéant, quel calendrier d’amélioration envisagez-vous ? De notre point de vue, il y a encore un travail important à accomplir.

M. Philippe Clergeot. Il faut déjà stabiliser l’existant. Nous avons des difficultés à attirer des magistrats et des greffiers dans certains territoires, notamment à Mayotte et dans une moindre mesure en Guyane. Nous devons armer les structures en compétences. Le directeur des services judiciaires, que vous auditionnerez, pourra évoquer les efforts effectués en la matière, en particulier le recrutement de magistrats dits placés, qui permettent parfois de pallier ces difficultés. À cela s’ajoutent les fameuses brigades.

Nous devons par ailleurs combler les trous dans la raquette, pour reprendre l’expression de ma collègue. Dans votre territoire, la réponse réside dans la création d’une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni, dans l’Est guyanais. Ce projet d’ampleur comprendra un tribunal, des services de la PJJ et un établissement pénitentiaire. Sa construction est lancée. L’Apij est chargée de piloter ce projet. L’emplacement de la future cité judiciaire est un peu éloigné du centre, mais ce territoire devrait s’urbaniser de façon sensible d’ici à quelques années. Le directeur de projet, le préfet, le secrétaire général et les élus – notamment la maire de Saint-Laurent-du-Maroni – sont en train de vérifier que tout est prévu pour que la cité puisse fonctionner une fois sortie de terre. Notre première difficulté sera d’avoir des avocats en nombre suffisant, mais nous devons également prévoir des logements pour accueillir les agents qui travailleront dans la cité judiciaire et des écoles pour leurs enfants, ainsi qu’une desserte de bus pour acheminer les justiciables.

Nous avons également un grand projet à Saint-Martin. L’agence publique pour l’immobilier de la justice y œuvre à l’échelle interministérielle. À Mayotte, nous travaillons à la consolidation d’une cité judiciaire et à la construction d’un deuxième établissement pénitentiaire.

Nous renforçons donc notre présence dans les territoires d’outre-mer, tout en veillant à bien armer les structures existantes. Le directeur des services judiciaires pourra l’illustrer plus en détail ; citons par exemple le déplacement de magistrats au plus près des besoins.

Il faut probablement faire encore davantage, mais je laisserai ma collègue évoquer la politique d’accès au droit, qui concerne tous nos concitoyens au-delà des justiciables.

M. le président Frantz Gumbs. Vous avez signalé qu’il existait quatre conseils d’accès au droit pour des territoires autres que des départements. Quels sont-ils ?

Mme Claire Liaud. Ils concernent Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Nouvelle-Calédonie.

La politique publique d’accès au droit n’est pas articulée uniquement par la justice. Elle fournit un support juridique, mais j’insiste sur le fait qu’elle se déploie sur le terrain grâce aux partenaires locaux, en particulier aux collectivités locales et d’agglomération et au barreau concerné, qui est membre de droit du groupement d’intérêt public. Il est très important d’avoir en tête que le conseil départemental de l’accès au droit fonctionne grâce à des partenariats et des financements multiples. Il organise un dialogue constant avec les acteurs du territoire pour recueillir les besoins, élaborer un projet d’action, le budgéter et transmettre les demandes de financement correspondantes au ministère de la justice et à d’autres acteurs.

En ce moment – c’est la période traditionnelle –, les coordonnateurs des CDAD adressent toutes les demandes de financement à leurs différents partenaires et aux membres du conseil d’administration de leur groupement d’intérêt public.

Un GIP fonctionne sur le modèle des apports en société : chacun doit apporter quelque chose, que ce soit sous la forme de subventions ou en nature : les collectivités locales offrent le support des centres communaux d’action sociale (CCAS) et des mairies, ou encore prêtent des locaux pour accueillir les permanences, tandis que les notaires assurent des permanences gratuites.

Les avocats sont rémunérés jusqu’à 3 unités de valeur par permanence. Ils rechignent parfois à en tenir dans des lieux éloignés car ces déplacements empiètent sur le temps qu’ils pourraient consacrer à leur cabinet – or le temps, c’est de l’argent. J’ai constaté le même phénomène en Corse, où certaines zones sont difficilement accessibles. Nous devons réfléchir à la prise en charge de leurs frais de déplacement.

Vous avez le souci de rapprocher la justice autant que possible des besoins et des demandes des citoyens. J’insiste sur le fait que la remontée des besoins est aussi assurée par les acteurs politiques et administratifs locaux. Il est important qu’à nos côtés, chacun prenne sa part dans la politique locale d’accès au droit.

M. Davy Rimane, rapporteur. S’il a été décidé de construire une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni, c’est parce que la population s’est mobilisée en 2017 et l’a demandé. Si des brigades apportent leur renfort à Mayotte et en Guyane tous les six mois, c’est grâce à la mobilisation des avocats qui voyaient les dossiers s’entasser dans certaines juridictions. À chaque fois, ce furent des réponses à des crises. Or nous ne voulons pas que de nouvelles crises se produisent.

Quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour que demain, nos concitoyens d’outre-mer aient accès à la justice de façon simple et digne ?

Vous avez évoqué la construction d’une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni. Un même projet est prévu à Cayenne : les professionnels de la justice le demandaient depuis 2000, et il a fallu vingt-cinq ans pour qu’il se concrétise. Nos territoires doivent toujours se battre pour obtenir le minimum requis.

Nous savons que l’accès à la justice est un problème majeur dans nos territoires. Vous avez identifié des carences, modifié l’organisation et affecté des moyens humains. Au-delà, quelle est la stratégie du ministère de la justice ?

Je précise que la pirogue du droit en Guyane a du mal à tenir car elle manque de financements, de moyens et d’avocats. Elle répondait pourtant à un réel besoin. Au-delà des initiatives locales ponctuelles de ce type, quelles actions prévoyez-vous pour garantir l’accès au droit des populations éloignées de façon pérenne, et non plus au coup par coup ?

M. Philippe Clergeot. La réponse se décline en deux niveaux. Tout d’abord, l’administration travaille sous l’autorité du politique et applique les orientations qui lui sont assignées – en tant que parlementaires, vous êtes vous-mêmes acteurs de l’élaboration du budget. C’est le premier niveau. En la matière, l’administration n’est pas décisionnaire ; ses propositions sont soumises à l’arbitrage du Premier ministre, débattues et votées. C’est le propre de toute démocratie. Notre rôle est donc empreint d’une certaine humilité – tel est le sens des institutions. À titre d’exemple, ce n’est pas l’administration qui a décidé seule de construire une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni pour un montant équivalant à plusieurs centaines de millions d’euros. Cette décision est le fruit de l’intervention des élus, entre autres. Certes, l’administration est aussi force de proposition par la voix des directeurs d’administration centrale.

Se pose par ailleurs la question de la responsabilité de l’administration dans la mise en œuvre des politiques. C’est le second niveau. Si nous avons parlé des coordonnateurs et de la création du poste de délégué, c’est parce que nous avons conscience que nous devons adapter davantage notre action aux spécificités et aux demandes des outre-mer.

Nous devons par exemple anticiper la cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni dans toutes ses dimensions. Vous connaissez mieux que moi les difficultés du territoire, en particulier le manque d’avocats. Nous devons veiller à ce que tout le monde soit là pour que la cité fonctionne bien. Cette mission relève complètement de l’administration ; c’est pourquoi nous travaillons avec le préfet, le sous-préfet et les élus locaux, et avons désigné un directeur de projet. Si nous essuyons un échec, ce sera de la responsabilité de l’administration. Nous adoptons donc une stratégie de l’effectivité : les décisions qui ont été prises par le Parlement ou par l’exécutif sont-elles bien appliquées ? Comme vous le savez, nous rencontrons des difficultés dans le domaine de la construction, plus accentuées encore en outre-mer que dans l’Hexagone. Nous essayons d’y apporter des réponses. Le préfet de la Guyane anime une commission pour faire en sorte que des entreprises locales participent au chantier, avec des travailleurs du territoire.

Je n’établis pas une grande dissociation entre ces deux niveaux, mais elle existe. Pour occuper mes fonctions actuelles depuis cinq ans, pour avoir été directeur des affaires financières au ministère de la transition écologique et pour avoir servi plusieurs ministres, je sais quel est mon champ de proposition, je sais comment les décisions sont prises et je sais que l’administration doit les appliquer. Nous travaillons dans cette interaction. Pour vous donner un exemple, nous faisons régulièrement des demandes en matière d’immobilier – nos collègues responsables des services immobiliers y sont très attachés –, mais les cadrages budgétaires obligent à établir des priorités, en outre-mer comme dans l’Hexagone.

Le chantier de Saint-Laurent-du-Maroni a débuté. L’entreprise a été choisie et les travaux commencent. Des sujets climatiques ayant posé des difficultés supplémentaires, nous avons dû obtenir de nouvelles autorisations, notamment de la part d’autorités environnementales.

Le champ couvert par votre commission d’enquête, que je partage pleinement, soulève aussi la question du rôle des élus locaux. Ils ont notamment pour mission d’identifier les territoires ultramarins où il existe des problèmes et faire remonter ces informations au ministre de la justice.

Notre responsabilité pleine et entière est d’apporter des réponses adaptées et effectives, notamment s’agissant du recrutement de magistrats et de greffiers, et de l’avancée des travaux immobiliers.

Mme Claire Liaud. S’agissant de la pérennité des dispositifs, nous sommes soumis au principe d’annualité budgétaire. Malheureusement, nous n’avons jamais la garantie de bénéficier du même budget que l’année précédente.

Par ailleurs, le fonctionnement budgétaire d’un conseil départemental d’accès au droit, qui est un groupement d’intérêt public, est encadré par une annexe financière pluriannuelle. Elle précise la participation financière de chacun des membres du GIP, ce qui permet d’avoir une visibilité d’au moins trois ans. Chacun d’entre eux – pas seulement le ministère de la justice – s’engage à financer les actions du GIP et adaptera les demandes budgétaires en fonction de celles-ci. Le principe d’annualité budgétaire peut entraîner des ajustements : il permet de financer de nouveaux projets ou priorités qui pourraient apparaître au cours de la période.

Le ministère de la justice assume sa part de financement des actions des conseils départementaux d’accès au droit. Par exemple, nous soutenons fortement le dispositif des pirogues du droit en Guyane, que nous mettons en avant dans le cadre des communications que nous menons au sein de notre réseau.

M. le président Frantz Gumbs. Vous avez dit que les territoires du Pacifique n’avaient pas demandé la présence d’un coordonnateur. Compte tenu de leur situation géographique, notamment celle de la Polynésie, la présence d’un coordonnateur serait utile. Je regrette que vous attendiez que les territoires du Pacifique le réclament pour mieux satisfaire leurs besoins.

J’ai l’impression – mais je me trompe peut-être – que vous compensez l’absence d’évolution structurée du système judiciaire par l’instauration de conseils départementaux d’accès au droit qui, du reste, semblent efficaces et donnent satisfaction.

Par ailleurs, lorsque vous avez parlé du tribunal de Saint-Laurent-du-Maroni, vous avez évoqué le projet de Saint-Martin mené par l’Apij à l’échelle interministérielle. Nous avons également entendu parler de la création d’un tribunal judiciaire pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Pourriez-vous apporter des précisions sur ce point ?

M. Philippe Clergeot. Cette question relève plutôt de la compétence du directeur des services judiciaires, qui sera en mesure d’y répondre.

M. Fabien Neyrat. Nous suivons les territoires du Pacifique. Récemment, nous avons reçu le futur premier président et le futur procureur général. Nous sommes informés des besoins locaux. Nous avons récemment décidé de créer un poste à temps plein d’assistant de service social du personnel, en raison de la crise, et parce que les conventions conclues avec le ministère des armées, arrivant à leur terme, ne permettaient pas de répondre à l’ensemble des besoins de nos personnels.

La coordonnatrice régionale en travail social des outre-mer s’y est rendue depuis Paris. Il est plus compliqué d’établir un recueil de besoins et de les objectiver en l’absence d’un coordonnateur. Cela étant, dans le cadre du plan d’action, nous avons instauré une gouvernance, une comitologie et décliné plusieurs mesures pour les territoires du Pacifique. Il ne faut pas considérer que l’absence de coordonnateur équivaut à une absence d’attention et de prise en compte.

M. Elie Califer (SOC). Nous avons souhaité créer cette commission d’enquête car nous avons la ferme conviction que nos territoires, notamment leur fonctionnement, se heurtent à des difficultés majeures. Nous souhaiterions donc disposer d’éléments qui nous permettraient d’agir, d’interpeller le ministre de la justice, de vous aider, et de nous aider également.

La question de l’accès au droit recouvre des dimensions géographiques, socio-économiques et socioculturelles, ainsi que des enjeux liés aux délais de procédure et aux ressources humaines. Votre audition doit permettre de faire émerger les points de blocage, dans le respect de votre devoir de réserve. Or si nous en restons aux généralités, comment pourrions-nous précisément obtenir ces éléments qui nous permettraient d’interpeller, de manière circonstanciée, ceux qui doivent allouer des moyens ?

Vous avez parlé de la Guyane ainsi que de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. C’est le signe que vous avez bien préparé les auditions, puisque vous saviez pertinemment que le président était Saint-Martinois et le rapporteur, Guyanais. Or les travaux de cette commission portent sur l’ensemble des outre-mer, auxquels appartiennent notamment la Guadeloupe et la Polynésie.

Du reste, je rejoins le président : un glossaire général nous serait utile pour comprendre tous les sigles que vous avez mentionnés.

Quelles actions avez-vous déjà engagées pour affiner les réponses aux problèmes que vous rencontrez et améliorer l’accès au droit ? Je m’adresse notamment à vous, madame la cheffe du Sadjav : vous avez compris que la Corse, où vous avez travaillé, pouvait présenter quelques similitudes avec les outre-mer. Le secrétariat général est-il doté d’une structure spécifique dédiée aux outre-mer, qui permettrait de répondre de manière plus pertinente aux besoins en matière d’accès au droit ?

Nous savons que nous manquons de magistrats, de greffiers, de ressources financières. Ce n’est pas seulement en Guyane que les avocats rechignent à assurer une permanence parce que le défraiement ne serait pas suffisant. Quelles recommandations pourrions-nous formuler pour pouvoir agir à l’avenir ? Comment pourrions-nous les muscler pour résoudre les problèmes d’accès au droit ?

Concernant l’immobilier, nous savons qu’il est nécessaire de respecter le principe d’annualité budgétaire. Mais parfois, ce n’est plus le respect de ce principe qui est en jeu. Par exemple, cela fait au moins vingt ans que les locaux de la Cour d’appel de Basse-Terre sont des Algeco, alors même que le terrain est prêt. Vous devez avoir plus d’informations que moi à ce sujet. Qu’est-ce qui bloque ?

Pourriez-vous préciser les points abordés, dans le respect de votre liberté d’expression ? Cela nous aiderait à comprendre et à répondre à nos concitoyens qui nous sollicitent souvent.

M. Philippe Clergeot. Monsieur le député, je crains de vous décevoir. Dans le cadre de la LOPJ, le budget et les effectifs ont augmenté, certes de manière insuffisante au regard de notre retard, mais de façon importante par rapport aux autres ministères. Comme disait la mère de Napoléon : « Pourvu que ça dure. » Nous souhaitons que les décisions qui seront prises à l’avenir le soient dans le respect des engagements pris.

Il ne suffit pas d’obtenir des créations de postes – ce qui a été fait –, encore faut-il qu’ils soient pourvus. Je vous suggère d’interroger le directeur des services judiciaires, qui vous apportera des réponses plus précises sur les actions concrètes qu’il mène. Par exemple, le fait que les magistrats et les greffiers soient affectés dans les territoires d’outre-mer sans en avoir fait la demande sera pris en compte de manière positive dans le déroulement de leur carrière.

Il existe une question budgétaire. Néanmoins, des postes sont créés et non pas supprimés au sein du ministère. Depuis un certain nombre d’années, les lois votées au Parlement s’inscrivent dans une trajectoire positive, que nous saluons. Selon mes collègues magistrats, ce ne sera jamais suffisant : leurs demandes excèdent les moyens alloués. La question pour nous est de pourvoir les postes créés.

Par ailleurs, la question de l’effectivité relève de l’administration. Par exemple, on peut se demander si les entreprises respecteront les délais pour mener à bien le projet de Saint-Laurent-du-Maroni qui, par ailleurs, est financé.

En matière immobilière, nous rencontrons des difficultés importantes, similaires à celles auxquelles sont confrontées d’autres entreprises dans les outre-mer – surcoûts, difficultés à trouver une main-d’œuvre adaptée, approvisionnement en matériaux. Néanmoins, nous progressons. Par exemple, dans le cadre du projet architectural de Saint-Laurent-du-Maroni, nous achetons du bois de la région. Peu d’entreprises ont répondu à l’appel d’offres en raison de l’implantation du projet dans une zone difficile. Ce qui est difficile est, de fait, cher.

Le retard pris dans le cadre du projet de Basse-Terre peut s’expliquer. S’il est lié à la question budgétaire, ce retard n’est pas imputable à l’administration. En revanche, s’il tient à d’autres causes, il nous appartient de résoudre ces problèmes. Nous nous y employons, et, à ce titre, le ministre nous demande de lui rendre des comptes. En matière immobilière, la question budgétaire est importante.

Nous sommes en pleine négociation budgétaire : je ne connais pas les orientations que donnera le Premier ministre pour le budget de la justice dans le projet de loi de finances pour 2026. J’ai du mal à formuler des recommandations ; je pourrais vous suggérer de nous encourager à poursuivre notre action, car nous sommes sur le bon chemin. L’administration est mobilisée pour répondre aux besoins des territoires, ainsi qu’en atteste notamment la nomination d’un délégué pour les outre-mer au sein du secrétariat général. Cela étant, il reste du chemin à parcourir.

M. Elie Califer (SOC). Il se trouve que M. le président et moi-même avons été enseignants ; nous sommes familiers de l’observation : « Vous êtes sur le bon chemin, poursuivez ». Heureusement que vous êtes sur le bon chemin ! Dites-nous comment nous pouvons vous accompagner. Lorsqu’on enseigne, on accompagne l’élève qui est sur le bon chemin, on ne le laisse pas tomber.

L’objectif de cette commission d’enquête est qu’une meilleure justice soit rendue. Cela suppose des moyens et des ressources ; la question des délais de traitement viendra dans un second temps. Lorsqu’il n’y a pas de moyens, dans quelle mesure une justice de qualité peut-elle être rendue ? Dans notre République, au-delà du principe de fraternité, il y a celui d’égalité. Nous devons répondre à un besoin d’équité afin que le citoyen, une fois la justice rendue, puisse être apaisé – et pour prévenir toute récidive. Nous avons donc souhaité la création de cette commission d’enquête pour savoir ce qui freine et comment accélérer l’accès à la justice.

M. Philippe Clergeot. La coordonnatrice des Antilles est située en Guadeloupe car nous sommes conscients qu’un effort particulier doit y être consenti. Les chefs des cours de Basse-Terre ont exprimé une forte demande s’agissant du projet immobilier que vous avez évoqué. Récemment, la secrétaire générale s’est déplacée dans les Antilles, à Saint-Martin, et en Guyane, à deux reprises. À cette occasion, les chefs des cours ont indiqué qu’il n’était pas nécessaire de nommer un deuxième coordonnateur en Martinique, la cour d’appel disposant déjà d’un SAR, compétent en matière immobilière.

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Madame Liaud, considérez-vous que la justice est rendue de manière équivalente d’un territoire d’outre-mer à l’autre, et en comparaison avec l’Hexagone ?

Mme Claire Liaud. Je suis chargée de l’accès au droit, de l’aide juridictionnelle et de l’aide aux victimes. Les besoins exprimés dans les territoires d’outre-mer sont pris en compte au même titre que ceux exprimés dans l’Hexagone. J’ai indiqué à dessein que, dans mon service, des rédacteurs et des juristes sont dédiés aux questions relatives à l’outre-mer afin d’avoir une connaissance fine des territoires et de servir d’interlocuteurs pour toute demande en la matière. À la suite de la nomination du nouveau premier président de la cour d’appel de Nouméa, nous avons, par exemple, organisé un rendez-vous pour lui donner notre vision des besoins et des particularités du territoire dans lequel il allait exercer.

Malheureusement, je ne suis jamais parvenue à obtenir un poste dans les outre-mer. J’avais candidaté à Nouméa, sans succès. Pour avoir exercé dans plusieurs territoires de l’Hexagone, je sais que chaque citoyen, quel que soit son ancrage économique, historique, sociologique a une forte demande de justice. C’est le cas y compris en Corse, malgré le positionnement de la population vis-à-vis de l’État français, ainsi qu’elle le désigne. C’est en Corse que j’ai vécu la relation la plus sereine avec les justiciables, dont l’attitude dans l’enceinte judiciaire est constructive et particulière, parce que, précisément, ils attendent beaucoup de la justice.

Nous portons une attention maximale aux territoires d’outre-mer. Nous ne sommes pas entrés dans le détail des chiffres à dessein. Il serait contre-productif d’annoncer une éventuelle augmentation du budget et des subventions : cela risquerait d’entraîner une stigmatisation de vos territoires. La démarche du ministère de la justice est mesurée, pesée et réfléchie pour éviter de tomber dans l’excès inverse qui irait à l’encontre des attentes légitimes des citoyens, des justiciables et des usagers de vos territoires.

Grâce aux baromètres sur la confiance des citoyens en la justice dont nous disposons, nous savons que cette confiance est abîmée dans tous les territoires de la République française, pour un certain nombre de raisons. Nous n’avons sans doute pas suffisamment communiqué sur ce que nous faisons, sur nos savoir-faire, nos savoir-être. Depuis quelques mois que je découvre l’administration centrale, j’ai constaté qu’il existait de beaux savoir-faire entièrement dédiés aux préoccupations de l’ensemble des justiciables de la République française. Je souhaite ainsi rendre hommage au travail accompli par le ministère.

Lorsque j’ai commencé à travailler au ministère de la justice, en 1997, son budget était juste derrière celui des anciens combattants. Après trente ans d’exercice professionnel, je prends la mesure de l’augmentation du budget de la justice, grâce à la mobilisation de tous, notamment des parlementaires qui l’ont défendu lors des discussions budgétaires.

M. Davy Rimane, rapporteur. Nous avons besoin d’éléments concrets. Cette commission d’enquête vise à identifier les problèmes et à proposer des solutions pour les résoudre.

Lors de l’examen du dernier projet de loi de programmation et d’orientation du ministère de la justice, la majorité des amendements qui concernaient spécifiquement nos territoires ont été rejetés. Alors que le budget de la justice a augmenté, quelle a été l’évolution des crédits alloués spécifiquement aux outre-mer ? Ont-ils, eux aussi, bénéficié de cette hausse ?

Par ailleurs, lors de l’examen de cette loi, nous avions déposé des amendements visant à revaloriser l’aide juridictionnelle ou à rembourser les défraiements des avocats en tenant compte des réalités locales – déplacements en avion en Polynésie, dans l’archipel guadeloupéen, en Guyane ; trajets en pirogue –, contraintes qui, à ce jour, ne sont pas prises en compte.

Ces deux problèmes ont-ils été identifiés dans le cadre des actions que vous menez ?

M. Philippe Clergeot. Nous répondrons à la première question par écrit.

Mme Claire Liaud. Ces problèmes sont identifiés par mon service mais leur résolution se heurte aux contraintes budgétaires que nous avons évoquées et suppose des initiatives d’ordre législatif.

M. le président Frantz Gumbs. Vous occupez une fonction RH : à ce titre, vous êtes donc responsables de la création des postes, du mouvement des personnels et de la réponse au manque d’attractivité.

Je n’évoquerai pas la création de postes, qui dépend du budget ; vous êtes donc contraints. En revanche, vous avez la main sur le mouvement des personnels – je veux parler ici des huissiers, des éducateurs spécialisés, du personnel pénitentiaire. Certains postes qui ont été créés restent vacants. Comment répondez-vous au défaut d’attractivité de certains postes ?

M. Elie Califer (SOC). Monsieur Neyrat, vous avez dit qu’il fallait adapter les compétences aux besoins des territoires. Pourriez-vous préciser ce point ?

M. Fabien Neyrat. La question de l’attractivité est au cœur du travail que nous avons mené. Chaque fonctionnaire est évalué annuellement. Nous avons récemment fait ajouter, dans l’entretien d’évaluation, la question suivante : « Envisagez-vous une mobilité en outre-mer ? » Nous avons listé les territoires déficitaires qui sont prioritaires. Nous souhaitons identifier un vivier de personnels qui se projettent dans les territoires ultramarins.

Par ailleurs, nous avons mis en place deux sas pour les personnes qui partiront en outre-mer afin de répondre aux besoins d’adaptation et de formation. Il est important que l’administration les accompagne. Premièrement, nous avons conclu un partenariat avec la direction générale des outre-mer qui organise une journée de formation généraliste – tout en étant très précise – sur les territoires ultramarins, présentant les spécificités socio-économiques, institutionnelles, sécuritaires et culturelles. Ce programme s’adresse aux personnes qui partent, à celles qui souhaitent partir et aux agents du ministère qui travaillent sur les questions ultramarines. Cette année, environ soixante-quinze personnes, tous corps et grades confondus, y ont participé.

Deuxièmement, à partir du mois de septembre, nous proposerons un module de formation en ligne, qu’on appelle Mentor, d’une durée de deux heures. En effet, il est impossible de réunir en présentiel tous les agents des nombreux corps spécifiques. Ce module – que nous actualiserons – proposera, pour tous les territoires, un panel de témoignages de magistrats ou de greffiers qui vont partir, qui sont partis ou qui sont récemment rentrés. Il offrira également un certain nombre d’outils pour mieux comprendre le monde professionnel, l’environnement, les spécificités locales, la distinction entre les lois du pays et les lois nationales, qui est parfois subtile et en constante évolution.

Voici les formations proposées par le secrétariat général. En parallèle, toutes les directions accompagnent leurs agents dans l’exercice de leur métier, en prévoyant des modules de formation continue, des réunions annuelles à Paris, l’intervention de formateurs internes dans les territoires.

Parmi les personnes qui souhaitent partir, nombreuses sont celles qui ne franchissent pas le pas pour des raisons pratiques – la famille, les écoles, leur environnement, les enfants, l’emploi du conjoint, le logement. Nous devons répondre à ces préoccupations. L’administration a l’obligation de les accompagner. Grâce à ces modules, l’agent accepte une mobilité en pleine connaissance de cause, il est informé des réalités du territoire, de ses richesses comme de ses contraintes particulières. On lui donne les outils pour optimiser son travail sur place. Voilà notre objectif.

M. le président Frantz Gumbs. Je vous remercie. Si certains éléments vous semblent utiles pour mieux comprendre les difficultés et y apporter des réponses, n’hésitez pas à nous les transmettre. S’il s’avère nécessaire de vous entendre à nouveau, nous n’hésiterions pas à vous convoquer une nouvelle fois.

 

La séance s’achève à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. –  M. Elie Califer, M. Yoann Gillet, M. Frantz Gumbs, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Davy Rimane, M. Joseph Rivière