Compte rendu
Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :
- Mme Angélina Tofili, présidente de l’association d’aide aux victimes « Lea ki Aluga, Osez »
- M. Petelo Hanisi, assesseur titulaire près le tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna
- Mme Germaine Filimohahau, assesseure titulaire près le tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna
- Mme Olga Gaveau, présidente de l’association des citoyens-défenseurs de Wallis-et-Futuna, et Mme Stéphanie Vigier, trésorière 2
– Présences en réunion................................11
Lundi
29 septembre 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 29
session 2024-2025
Présidence de
M. Davy Rimane,
Rapporteur de la commission
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La séance est ouverte à onze heures cinq.
M. Davy Rimane, président. Nous entamons notre deuxième matinée consacrée à la situation des Wallisiens et Futuniens. Nous accueillons notamment des assesseurs titulaires près le tribunal de première instance, qui sont des citoyens volontaires, nommés par le ministère de la justice pour assister les juges des enfants dans l’exercice de leurs missions, mais aussi, à Wallis-et-Futuna, le tribunal correctionnel. Les citoyens-défenseurs forment quant à eux une autre particularité judiciaire de ce territoire ; ils sont choisis par le président du tribunal de première instance pour assurer la défense des citoyens en matière pénale, faute d’avocats sur le territoire.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Angélina Tofili, M. Petelo Hanisi et Mme Germaine Filimohahau, Mme Olga Gaveau et Mme Stéphanie Vigier prêtent successivement serment.)
Mme Angélina Tofili, présidente de l’association Lea ki Aluga, Osez. Je suis accompagnée de Patricia Jacquin et Julix Malau, respectivement vice-présidente et secrétaire de l’association. Notre association a été créée en juin 2013, avec comme principal objectif de lutter contre toutes les formes de violences – envers les femmes, les hommes et les enfants. Nous menons principalement des actions de sensibilisation, de prévention et d’accompagnement de proximité pour les victimes.
Nous avons un local d’écoute – E Api Te Fafine – où nous accueillons les victimes ; puis, selon ce que nous avons entendu d’elles, nous leur proposons un accompagnement.
Nous menons notre action de sensibilisation lors de journées phare, comme celles dédiées à la protection de l’enfant ou celle du 25 novembre, consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous intervenons aussi en milieu scolaire, lorsque l’institution le demande ou en cas de besoin.
Nous assurons également des tâches administratives et nous intervenons sur le plan juridique, en collaboration étroite avec la justice, afin d’accompagner nos victimes de la plainte au jugement.
Enfin, nous sommes souvent nommés administrateurs ad hoc dans des situations concernant des enfants mineurs.
Nous recevons des aides de l’Assemblée territoriale, de la justice, des consulats australiens et néo-zélandais, occasionnellement du ministère des outre-mer – en cas d’appels à projet spécifiques –, ainsi que de la délégation des droits de la femme et de l’égalité (DDF). Nous candidatons également, lorsque nous le pouvons, au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Par ailleurs, nous avons pu installer notre structure d’accueil pour les victimes grâce au plan de relance, en 2021.
Nos statistiques annuelles montrent une hausse du nombre de victimes ; sans doute est-ce lié au fait que les signalements augmentent grâce aux actions de sensibilisation qui sont menées.
Mme Stéphanie Vigier, trésorière de l’association des citoyens-défenseurs de Wallis-et-Futuna. Nous comptons quatre citoyens-défenseurs actifs – trois à Wallis et un à Futuna – et deux inactifs – l’une en raison d’une formation en métropole, l’autre pour raisons personnelles. Les citoyens-défenseurs existent depuis les années 1990, voire un peu avant ; notre association a été créée en 2022.
Nous intervenons dans les auditions de gendarmerie – principalement les gardes à vue – et celles de mineurs. À plusieurs reprises durant l’année, nos actions ont porté sur d’autres domaines et d’autres champs que le pénal.
Le dispositif des citoyens-défenseurs sur le territoire est régi par l’ordonnance n° 92-1147 du 12 octobre 1992. Nous sommes agréés pour exercer les attributions dévolues à un avocat, sans toutefois être des avocats. Nous n’avons ni le même niveau d’étude, ni les mêmes diplômes, ni les mêmes fonctions, ni les mêmes attributions que les avocats.
Le code de procédure pénale détermine les attributions que nous sommes agréés à exercer : donner des conseils aux parties, les aider et les accompagner dans le cadre de gardes à vue. Cette dernière action est rémunérée par la justice ; aucune autre ne l’est.
L’association dispose de fonds propres – nos cotisations ; le FIPD nous a attribué des fonds cette année et l’année dernière, en lien avec des missions spécifiques.
M. Petelo Hanisi, assesseur titulaire près le tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna. Je suis assesseur auprès du tribunal correctionnel. J’exerce mes fonctions depuis trois ans. Je suis habituellement convoqué par le tribunal une ou deux fois par an, mais je ne l’ai pas été cette année.
Mme Germaine Filimohahau, assesseure titulaire près le tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna. Je suis assesseure auprès du tribunal correctionnel et du tribunal pour enfants. J’exerce ces deux fonctions depuis au moins trois ans. Si nous siégeons avec trois magistrats de profession et sommes donc minoritaires, nos voix sont entendues en fin de processus – au moment du délibéré. Au vu de la faible superficie de notre territoire, une qualité est requise pour exercer ce type de fonctions : l’impartialité.
Mme Olga Gaveau, présidente de l’association des citoyens-défenseurs de Wallis-et-Futuna. Je suis juriste à l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna et citoyen-défenseur depuis 2020.
M. Davy Rimane, président. Avez-vous reçu une formation pour exercer vos fonctions – je pense en particulier aux citoyens-défenseurs ? Disposez-vous d’un accompagnement ?
D’une manière générale, quels sont les points particuliers sur lesquels vous souhaitez appeler notre attention ?
Mme Olga Gaveau. J’ai pour ma part effectué un cursus juridique, mais en droit administratif. Nous nous formons sur le tas car nous ne recevons aucune formation du tribunal, que nous réclamons pourtant. Avec l’ancienne équipe – l’ancienne procureure et l’ancien juge André Angibaud –, nous avons créé un protocole pour les formations en Nouvelle-Calédonie, sans toutefois que ce dernier n’ait été validé. Nous aimerions à cet égard que la nouvelle équipe du tribunal – notamment son président, Christian Mour – nous appuie auprès des nouveaux magistrats en fonction en Nouvelle-Calédonie.
Mme Stéphanie Vigier. Mes études en droit ont été moins poussées que celles d’Olga Gaveau, et il s’agissait de droit commercial et international. N’ayant pas étudié le droit pénal, je n’étais pas du tout préparée à la fonction de citoyen-défenseur. J’ai bénéficié d’un tutorat de trois mois avec Mme Gaveau et de quelques jours avec Valetino Polelei, également citoyen-défenseur. Si le greffe du tribunal nous accompagne parfois, nous devons nous débrouiller par nous-mêmes pour trouver les informations et constituer nos dossiers ; dans le cadre des gardes à vue, nous sommes livrés à nous-mêmes avec le justiciable.
Nous demandons des formations depuis plus de deux ans, qu’elles aient lieu à Wallis-et-Futuna ou ailleurs. L’association a contacté des magistrats et des avocats à cet effet, pour obtenir des devis, tout en recherchant des fonds.
Mme Germaine Filimohahau. Je l’ai dit, nous intervenons en fin de parcours. Nous avons vocation à éclairer les magistrats professionnels sur le contexte et les spécificités propres à notre territoire. Ce qui est certain, c’est que les Wallisiens et les Futuniens méritent d’avoir une vraie justice, avec de vrais avocats ayant une connaissance fine des procédures. Les procédures sont importantes car beaucoup de choses sont en jeu. Si les citoyens-défenseurs se débattent comme ils peuvent pendant les procès, les citoyens quels qu’ils soient méritent d’être défendus au mieux.
M. Petelo Hanisi. Il y a trois ou quatre ans, le tribunal correctionnel était composé du président et des deux assesseurs non professionnels que nous sommes. Depuis deux ou trois ans, nous sommes également accompagnés lors des procès par deux assesseurs professionnels de Nouméa. Ces fonctions sont difficiles et nécessitent une bonne compréhension du milieu local.
Mme Angélina Tofili. Nous avons effectué un travail d’autoformation, faute de disposer de compétences pointues pour accompagner au mieux nos victimes. En 2023, nous avons bénéficié d’une subvention du consulat australien : nous avons fait venir une juriste qui nous a formés au droit. Cette formation – trop courte et condensée – n’a pas permis de nous conférer une réactivité suffisante, mais elle a constitué une bonne base.
Nous avons été nommées administrateurs ad hoc sans formation et sans connaissances particulières. Là encore, nous avons dû avoir recours à l’autoformation et à des recherches personnelles.
Concernant les victimes, malgré des avancées – droits des femmes ; information ; présence de femmes à des postes importants, comme la conseillère présidente de la commission de la condition féminine, représentant la Communauté du Pacifique –, une majorité de femmes a un accès limité à l’information et au droit de la cité. Ces femmes ignorent les droits fondamentaux en matière de santé reproductive, de travail, de droit civil ou d’accès à la justice. Pour pallier cette lacune, il faudrait renforcer leur capacité d’accès au droit, avec des informations clefs, accessibles et gratuites, pour une meilleure compréhension.
Même si les femmes en situation précaire sont particulièrement touchées, aucun milieu n’est favorisé : la problématique de l’accès au droit touche tout le monde, car elle ne se pose qu’en cas de conflit. Comme l’a dit Mme Filimohahau, les ressources locales sont les citoyens-défenseurs : ils doivent monter en compétences, en étant formés, pour mieux accompagner les victimes.
Lorsque la gendarmerie se charge des affaires, elle gère non seulement les victimes mais aussi les agresseurs, pour lesquels les citoyens-défenseurs sont pris d’assaut – la priorité n’est pas donnée aux victimes. Or, ils ne sont pas nombreux. Nous accompagnons donc les victimes, en ayant recours à un cabinet d’avocats pour nous aider sur le plan juridique. Cela a toutefois un coût, que nous ne pouvons assumer en continu.
M. Davy Rimane, président. Une demande de précision : vous avez indiqué avoir reçu une subvention de l’Australie ?
Mme Angélina Tofili. Oui, nous sollicitons beaucoup de partenaires pour obtenir des subventions. Elles sont destinées à nous aider dans nos missions d’accompagnement, à nous former et à nous faire monter en compétences dans la gestion et le fonctionnement de notre association.
M. Davy Rimane, président. Les pays voisins vous accompagnent : c’est déjà ça…
Mme Angélina Tofili. Il est dommage que cela incombe aux pays voisins.
M. Davy Rimane, président. Nous sommes d’accord sur ce point.
M. Mikaele Seo (EPR). Permettez-moi de commencer par saluer nos interlocuteurs de Wallis et de Futuna. (L’orateur s’exprime brièvement en wallisien.) Je félicite l’association d’aide aux victimes Lea ki Aluga, Osez, les citoyens-défenseurs et les assesseurs pour leur action, d’autant qu’elle est le plus souvent bénévole.
Actuellement, il n’y a pas d’aide juridictionnelle à Wallis-et-Futuna, faute de barreau local. Mon équipe travaille toutefois avec le ministère de la justice à un amendement qui permettra de créer une telle aide sur place et de satisfaire vos différentes doléances. Monsieur le président, vous m’avez déjà annoncé que vous le voteriez.
Nous demanderons de nouveau des moyens pour la formation des assesseurs et des citoyens-défenseurs. Nous avons en outre demandé l’ouverture de postes d’éducateurs pour mineurs et de foyers d’accueil, qui aideront l’association Osez dans ses missions. L’amendement y fera référence. Soyez rassurés, nous travaillons tous ensemble à améliorer la justice à Wallis-et-Futuna. Dès mon retour sur place, je rencontrerai le président du tribunal local.
Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir fait de Wallis-et-Futuna une priorité. Ce territoire trop souvent oublié, qui est à trois heures de vol de la Nouvelle-Calédonie, accuse un important retard par rapport aux autres territoires ultramarins.
M. Davy Rimane, président. Lorsque j’ai lancé la présente commission d’enquête, je savais déjà que Wallis-et-Futuna avait un statut particulier, puisque le pouvoir exécutif y est exercé par un représentant de l’État. Toutefois, avant ma visite à Wallis – je n’ai pas eu le temps de me rendre à Futuna – j’étais très loin d’imaginer combien la situation locale en matière d’accès à la justice et au droit était choquante.
Monsieur Seo, l’amendement que vous préparez avec le ministère de la justice – que je suis en effet prêt à voter – permettra-t-il de couvrir toutes les demandes ? Outre la création d’une aide juridictionnelle, il faudrait un accompagnement, des formations pour les assesseurs et les citoyens-défenseurs. Ces bénévoles prennent des initiatives pour pallier l’absence d’avocats et les dysfonctionnements graves de la justice sur le territoire. C’est beaucoup leur demander et cela pose problème.
Quant à l’association d’aide aux victimes Osez, elle dépend des subventions de pays voisins ! C’est lunaire.
Mme Angélina Tofili. Faute d’aide juridictionnelle, nous recourons à un cabinet d’avocats néo-calédonien pour défendre les femmes victimes de violences – que les violences soient intrafamiliales ou non. Normalement, pour un tel public, les services d’un avocat doivent être gratuits. Serait-ce possible à Wallis-et-Futuna ?
M. Davy Rimane, président. L’aide juridictionnelle ne s’applique pas dans ce territoire, faute de barreau. L’amendement évoqué par M. Seo devrait permettre de prendre en charge le transport et l’hébergement des avocats d’autres barreaux, afin de remédier au problème.
Mme Germaine Filimohahau. Nous travaillons avec humilité aux côtés des trois magistrats de Wallis-et-Futuna. Nous n’avons aucune formation, mais nous voulons rendre la justice de manière impartiale. Certains de nos délibérés sont assez longs, parce que nous défendons notre avis jusqu’au bout.
Pendant longtemps, les assesseurs ont été la risée de la population, car nous avions la réputation de ne pas servir à grand-chose. Dans ce petit territoire, où les préjugés sont nombreux, il m’a semblé qu’en choisissant d’être assesseure, je contribuais à la justice. Les justiciables, qu’ils soient récidivistes ou non, ont du mal à se défendre, or leur vie pourrait être gâchée par un jugement défavorable.
Alors que, pendant longtemps, la coutume locale a permis de régler les conflits en dehors du tribunal, ce n’est plus le cas. Les habitants font appel à l’institution judiciaire, mais seuls les citoyens-défenseurs sont disponibles pour les aider, alors qu’ils n’ont qu’une formation élémentaire.
Nous manquons en outre de structures, notamment pour suivre les enfants. Une psychologue travaille à l’agence de santé de Wallis-et-Futuna, mais elle doit pouvoir prendre des congés. Alors que la situation n’est pas évidente, nous devons rendre des décisions aux côtés des magistrats.
La population de Wallis-et-Futuna mérite de bénéficier des mêmes droits que les autres Français. J’espère que l’absence de barreau local ne fera pas obstacle à la création d’une aide juridictionnelle, car la situation actuelle a une incidence concrète pour certains jeunes et certaines familles. Il faut évidemment soutenir l’amendement évoqué par M. Seo, pour garantir une justice équitable.
Mme Olga Gaveau. L’ordonnance du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle-Calédonie et dans les îles de Wallis et Futuna restreint le champ d’action des citoyens-défenseurs aux affaires pénales – nous intervenons notamment en garde à vue et lors des auditions de mineurs par la justice.
Toutefois, avec la complicité du tribunal, notre champ d’intervention a été élargi aux affaires civiles. Nous sommes par exemple mandataires pour des divorces, alors que, comme nous le répétons au tribunal, ce n’est pas notre fonction.
Nous sommes trois citoyens-défenseurs à Wallis ; un à Futuna. Même si nous n’avons pas la formation nécessaire, nous refusons de laisser de côté nos compatriotes. Nous nous entraidons.
Nous ne sommes pas payés, même pour nos interventions dans le champ pénal. En effet, alors qu’il est prévu que nos fiches d’intervention soient signées à la gendarmerie, nous ne disposons toujours pas d’attestation adaptée à Wallis-et-Futuna, malgré nos demandes récurrentes.
Quand ils sont entendus par les gendarmes ou auditionnés par la justice, les justiciables peuvent choisir entre un avocat ou un citoyen-défenseur. Le fait de résider de manière permanente sur le territoire et de parler la même langue que les justiciables nous rend plus rassurants que les avocats. En outre, nous répondons à toutes les demandes. Les Wallisiens et Futuniens nous font confiance. Nous ne demandons donc pas d’exercer le métier d’avocat, mais que nos fonctions soient maintenues.
Il faut en outre que les Wallisiens et les Futuniens soient entendus et accèdent à la même justice que les autres Français. Cela demande des moyens. Une maison de justice permettrait aux justiciables de se renseigner sur le droit. Actuellement, ils sont abandonnés.
Mme Stéphanie Vigier. En tant que citoyens-défenseurs, en plus de devoir être impartiaux, honnêtes et respectueux, nous devons nous montrer flexibles et respecter la confidentialité des affaires, y compris dans un cadre privé. Notre dévouement doit être exemplaire.
Si nous refusons d’assumer les missions que nous confie le tribunal, cela peut créer des problèmes et faire boule de neige. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être présents en garde à vue, car cela ne fonctionne pas.
Il est déjà arrivé qu’aucun des trois citoyens-défenseurs de Wallis ne puisse se rendre à l’audition d’un mineur et qu’il n’y ait pas non plus d’avocat pour nous suppléer. Autre dysfonctionnement : quand un avocat est présent à Wallis, il arrive qu’il refuse d’assister aux gardes à vue ou aux auditions de mineurs, ou qu’il accepte mais en considérant que ce n’est pas son rôle.
Il nous a été demandé en fin d’année dernière et au début de cette année d’intervenir pour des mandats d’amener. Pour ma part, alors que je ne savais même pas ce que c’était, je n’ai été prévenue que la veille de l’intervention. Une formation ne permettrait pas de couvrir tout ce qui nous a été demandé cette année ou l’an dernier.
Si le nombre des interventions des citoyens-défenseurs auprès de personnes audiencées au tribunal est stable, celui de nos interventions en gendarmerie augmente de manière quasi exponentielle, d’après nos statistiques. En 2024 et 2025, un peu plus de 40 % de nos interventions en gendarmerie ont concerné les mineurs.
M. Davy Rimane, président. Les assesseurs et les citoyens-défenseurs maîtrisent le wallisien, mais l’institution judiciaire prend-elle en compte la barrière de la langue pour les justiciables ? Les victimes et les accusés bénéficient-ils d’interprètes ?
Mme Stéphanie Vigier. Oui, la langue fait barrière et la présence d’un interprète est primordiale. Or un seul interprète agréé exerce sur le territoire. C’est donc parfois la même personne qui traduit les propos de la victime et ceux du mis en cause, en gendarmerie, au tribunal et tout au long de l’affaire. Ce n’est pas suffisant.
Mme Angélina Tofili. Oui, nous déplorons que la victime et l’agresseur partagent parfois le même interprète. En outre, l’interprète de Wallis ne saisit pas toujours les nuances culturelles, si bien que sa traduction est parfois incomplète ou imprécise. Ainsi, les justiciables qui ne maîtrisent pas le lexique de la procédure sont parfois très désavantagés.
Parfois, la gendarmerie – mais non le tribunal – sollicite les membres de notre association pour des traductions, car nous sommes des partenaires. Il faudrait plusieurs interprètes et des formations.
Mme Germaine Filimohahau. Je prendrai un exemple parmi tant d’autres pour vous montrer l’importance de l’interprétation. Alors qu’un magistrat demandait à un jeune accusé incarcéré au Camp-Est en Nouvelle-Calédonie s’il avait gardé un lien avec sa famille, s’il lui écrivait, celui-ci a répondu qu’il ne le faisait pas, parce que la prison ne lui permettait pas d’écrire des courriers dans sa langue et qu’il parlait mal le français. L’interprète a traduit sa réponse en un simple « Non, monsieur le président », qui a donné l’impression que le jeune homme préférait se marginaliser. Nous assesseurs, qui comprenons la langue, avons heureusement la possibilité de réajuster les choses en délibéré mais cela ne résout pas toutes les difficultés.
M. Davy Rimane, président. Estimez-vous que les administrés de Wallis-et-Futuna gardent confiance en la justice ou non ?
Mme Angélina Tofili. La manière de résoudre les conflits dans notre culture est différente de celle que promeut le système judiciaire français. Les médiations, qui peuvent être communautaires, familiales ou religieuses, sont préférées au formalisme des procédures judiciaires.
Par ailleurs, notre société est très clanique : le clan prime l’individu. Or le système judiciaire occidental est bâti sur un principe individualiste. Nous essayons de faire au mieux avec nos victimes pour qu’elles acceptent d’intégrer ce système et de renoncer à l’esprit communautaire ou clanique. Cependant, c’est difficile et nous avons souvent du mal à aller jusqu’à la plainte. Le chemin est long. Nous essayons de les accompagner jusqu’au bout de la procédure.
M. Petelo Hanisi. Assez souvent, en cas d’homicide accidentel ou involontaire, la famille de l’auteur des faits se rassemble, prépare des dons et va demander pardon à la famille de la victime. La plupart du temps, cette demande est acceptée. Or, dans le verdict du procès, elle n’est ni prise en compte ni même mentionnée, pas plus que les dons. Comment y remédier ?
M. Davy Rimane, président. Mikaele Seo l’a fait remarquer la semaine dernière au président du tribunal de première instance de Mata’Utu et au procureur de la République.
Mme Germaine Filimohahau. J’ai pu voir que cette démarche était prise en compte dans le cadre de l’indemnisation des victimes et que les dons reçus faisaient l’objet d’une estimation.
M. Davy Rimane, président. C’est bien le cas pour les procédures civiles mais pas pour les procédures pénales.
Mme Stéphanie Vigier. La coutume est en effet prise en compte dans la partie sur les intérêts civils. Mais aucune mention écrite n’en est faite dans le délibéré ni le jugement.
Mme Olga Gaveau. Le justiciable wallisien et futunien sait quand il a commis une infraction mais il ne sait pas où se renseigner. Quand un gendarme se présente chez lui ou qu’il est convoqué pour être auditionné, il s’en étonne. C’est à nous, citoyens-défenseurs, de lui expliquer, quand on le reçoit en audition, qu’il est là parce qu’il a commis une infraction aux yeux de la loi française, si je puis dire, et que c’est puni. Nous rencontrons deux publics : celui qui fait aussitôt barrage et en appelle au système coutumier et celui qui veut aller devant la justice française mais qui a honte et souhaite se faire représenter. Alors que nous ne sommes pas supposés plaider devant les tribunaux, nous plaidons pourtant. L’année dernière, je suis ainsi intervenue en assises, à Wallis-et-Futuna, sans aucune formation pénale, avec un avocat du barreau de Nouvelle-Calédonie.
Si l’infraction est grave, les auteurs savent très bien qu’ils iront jusqu’à l’emprisonnement. Mais si l’infraction n’appartient pas à la culture judiciaire locale, comme ils n’ont aucune connaissance de la justice française, ils ont l’impression que se présenter au tribunal c’est déjà partir en prison. Une telle méconnaissance de leurs droits est-elle un effet du manque de moyens et de structures locales ? Tant qu’il ne lui est rien arrivé, le Wallisien-et-Futunien n’a pas du tout conscience de l’existence du système judiciaire français.
Avec la montée de la petite délinquance, de nouvelles infractions apparaissent : la captation et la diffusion de contenus pornographiques, par exemple. Ces gamins n’ont pas conscience d’être en faute, pas plus que leurs parents en réalité. Quand on leur apprend qu’ils doivent être punis, ils sont d’accord pour aller devant la justice française sauf qu’ils en ont honte et qu’ils ne savent pas quoi faire. Ils se renseignent un peu partout mais, même si nous leur conseillons d’aller au secrétariat du tribunal, ils n’oseront jamais le faire. C’est le déshonneur pour une famille de voir l’un de ses membres au tribunal. Ça laisse penser qu’il a commis tel ou tel crime et qu’il va aller en prison. Tout Wallis-et-Futuna est au courant.
Mme Angélina Tofili. Ce qui empêche aussi les victimes de se manifester, c’est souvent leur dépendance économique vis-à-vis de leur partenaire, ainsi que la crainte de représailles. Il peut également y avoir une dépendance émotionnelle et psychologique. La peur les empêche de témoigner auprès des gendarmes et de demander de l’aide. Dans notre culture, le regard de l’autre a une grande importance. À cause de la promiscuité, on préfère se taire plutôt que de jeter le déshonneur sur un clan ou une famille.
M. Davy Rimane, président. J’éprouve une profonde admiration et un profond respect pour tout ce que vous faites. L’organisation que vous nous décrivez est surréaliste et indigne d’un territoire de la République. Je suis abasourdi ! Ce n’est pas possible que ça continue ainsi. Je suis effaré de voir ce à quoi vous êtes confrontés au quotidien. Déjà que ce n’est pas idéal dans les autres territoires dits d’outre-mer, mais alors là, je dis non.
M. Mikaele Seo (EPR). Je partage tout ce qui a été dit. Le fonctionnement de la justice à Wallis-et-Futuna n’est pas le même qu’en Nouvelle-Calédonie ou ailleurs. Je souhaite encourager tous les acteurs bénévoles ici présents à ne pas baisser les bras. Ils œuvrent pour le bien de nos concitoyens. À Paris, avec l’aide du président de la délégation aux outre-mer et des ministères, nous allons travailler pour améliorer la justice à Wallis-et-Futuna.
Je me demande si disposer d’une structure d’appel faciliterait les choses. À l’heure actuelle, il faut aller en Nouvelle-Calédonie pour faire appel. Par ailleurs, nous nous battons depuis un an pour obtenir des formations qui nous sont refusées par Nouméa. Nous allons saisir le ministère de la justice de ce problème.
M. Davy Rimane, président. Notre rapport sera publié au début du mois de décembre. Vous pouvez compter sur ma détermination pour mettre un coup d’accélérateur afin de régler certaines situations.
Mme Olga Gaveau. J’ai oublié de vous préciser que nous avions également une autre fonction à Wallis-et-Futuna. Quand les crimes sont commis par des femmes, devinez vers qui se tournent le procureur et la gendarmerie pour les héberger et les protéger des risques de représailles ? Vers les citoyens-défenseurs ! À deux reprises, il a fallu que Mme Vigier et moi-même trouvions un endroit pour accueillir ces femmes. Les faits ayant été commis un jeudi, le geste coutumier n’avait pas pu s’accomplir avant le week-end et nous avons dû les héberger. Comme l’association Osez le fait pour les victimes, nous leur avons fourni des vêtements, des produits d’hygiène. L’année dernière, nous avons eu la chance que le ministère de l’intérieur nous octroie une aide de 3 000 euros. Pendant tout le week-end, nous avons trimballé l’auteure dans nos véhicules respectifs pour lui trouver un logement, en attendant que le geste coutumier se fasse. Nous sommes deux Wallisiennes-et-Futuniennes, nous ne pouvons pas refuser.
M. Mikaele Seo (EPR). Nous avons un projet de structures d’accueil locales pour répondre à ce genre de situations. L’association Osez est également en difficulté. Elle a voulu collaborer avec la Nouvelle-Calédonie mais les structures de Nouméa sont déjà surchargées.
Mme Germaine Filimohahau. Il y a quelques années, un ministre passé à Wallis-et-Futuna avait déclaré que l’hôpital de Futuna était une honte pour la France. Aujourd’hui, vous avez le tableau de la justice. J’espère que nous aurons contribué à faire bouger les pions et qu’ils avanceront favorablement pour la population locale. Même si vous ne pourrez pas achever ce chantier monstrueux d’un coup, chaque pierre a le mérite d’exister. Je remercie les députés de nous avoir écoutés et les intervenants d’avoir tenu des propos sincères.
M. Davy Rimane, président. Je vous remercie tous. Notre rapport sera le plus exhaustif possible, afin de refléter au mieux la réalité dont vous nous avez fait part. Ce sera aux parlementaires de ces territoires de faire bouger les lignes définitivement. La situation n’a que trop duré. Vous citiez un ministre, madame Filimohahau ; je citerai François Mitterrand qui, en visite en Guyane dans les années 1980, avait déclaré qu’il n’était plus question de lancer la fusée Ariane sur fond de bidonvilles. Or il n’y en a jamais eu autant qu’aujourd’hui. Les ministres passent, les présidents aussi ; notre quotidien, lui, ne change malheureusement pas. Je vous redis toute mon admiration pour votre engagement et votre détermination à œuvrer malgré des conditions inadmissibles.
La séance s’achève à douze heures trente.
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Présents. – M. Davy Rimane, M. Joseph Rivière, M. Mikaele Seo
Excusé. – M. Yoann Gillet