Compte rendu

Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins

– Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Mazzocchin, président de l’association pour l’accès au droit et l’aide aux victimes (Adavi 988), de M. Gilles Vernier, président de l’association UFC Que choisir de Nouvelle-Calédonie, et de M. Thierry Xozame, président de l’association Case Juridique Kanak (ACJK)              2

– Présences en réunion................................10

 


Lundi
6 octobre 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 33

session 2025-2026

Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le président Frantz Gumbs. Nous avons souhaité consacrer cette matinée à la Nouvelle-Calédonie, en recevant les représentants d’associations qui, étant pour certaines partenaires du Conseil de l’accès au droit (CAD), sont en première ligne dans la politique d’accès au droit et à la justice.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Jean-Pierre Mazzocchin, Gilles Vernier et Thierry Xozame prêtent successivement serment.)

M. Jean-Pierre Mazzocchin, président de l’association pour l’accès au droit et l’aide aux victimes (Adavi 988). Créée en 1989, l’Adavi 988 est une association régie par la loi de 1901 qui compte huit salariés, dont quatre juristes, une accueillante, une responsable administrative et financière, récemment recrutée, ainsi que deux assistantes sociales qui exercent dans le cadre de la gendarmerie nationale. Elle fait également appel aux services de deux prestataires : un cabinet juridique indépendant, qui intervient dans le cadre du bureau d’aide aux victimes (BAV) de la section détachée de Koné du tribunal de première instance de Nouméa et une psychologue clinicienne, qui intervient auprès du BAV de Nouméa et du siège de l’Adavi, vingt-deux heures par mois. Elle est gérée par un conseil d’administration de huit administrateurs, dont la plupart sont, comme moi, impliqués dans l’association depuis 2012.

Ses missions couvrent deux domaines en particulier, l’accès au droit et l’aide aux victimes, et l’ensemble du territoire. L’association apporte une information juridique sur les droits et les procédures et accompagne les victimes d’un préjudice physique, matériel ou moral résultant d’une infraction pénale tout au long de la procédure judiciaire, depuis le dépôt de plainte, la constitution du dossier en qualité de partie civile, la demande d’aide juridictionnelle ou la préparation des audiences, jusqu’à l’indemnisation par la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi) ou le service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction (Sarvi). Elle propose également aux demandeurs un accompagnement psychologique, sous la forme d’une écoute, d’un soutien et d’une orientation dans les démarches.

Les activités de l’association sont principalement financées par l’État français, grâce au soutien du haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie – à travers le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) – et du ministère de la justice, par le biais du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav) dont le financement est assuré par la cour d’appel de Nouméa. Plus modestement, l’Adavi reçoit également des fonds du Conseil de l’accès au droit, du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, de la province Sud, des villes du Mont-Dore et de Nouméa, ainsi que de quelques communes éparpillées sur l’ensemble du territoire.

M. Gilles Vernier, président de l’association UFC-Que choisir de Nouvelle-Calédonie. Présente en Nouvelle-Calédonie depuis 1970, l’association UFC-Que choisir regroupe 700 adhérents environ et une vingtaine de bénévoles. Sept personnes sont chargées de l’accueil des usagers et répondent, sur place, par téléphone ou par mail, aux problèmes de la vie courante qu’ils rencontrent et aux litiges qui les opposent aux mondes du commerce, des assurances ou des banques en particulier – et Dieu sait si nous avons des problèmes en la matière !

Contrairement à l’Adavi, notre association ne comprend pas de professionnels du droit, son rôle étant avant tout de conseiller les demandeurs sur la marche à suivre, afin de leur éviter de commettre des erreurs ; nous les dirigeons d’ailleurs parfois vers l’Adavi.

Également régie par la loi de 1901, son conseil d’administration est composé de dix membres. L’association fonctionne grâce aux subventions qu’elle reçoit du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et aux cotisations de ses adhérents, ainsi que, comme l’Adavi, à quelques contributions des provinces et des mairies. Néanmoins, depuis le covid, les associations ont de plus en plus de difficultés à obtenir des aides et sont fortement affectées par les problèmes financiers.

M. Thierry Xozame, président de l’association Case juridique kanak (ACJK). Je rejoins mes collègues s’agissant des difficultés financières que rencontre le milieu associatif. L’association Case juridique kanak est plus récente, puisqu’elle a été fondée en 2011. Elle travaille en particulier dans le domaine du droit coutumier kanak, puisque coexistent en Nouvelle-Calédonie le statut civil coutumier et le statut de droit commun.

Plus que l’accès au droit, notre mission principale est de promouvoir le droit coutumier kanak – qui reste sibyllin pour certains, car il implique une connaissance des chefferies, etc. –, de développer ses aspects multidimensionnels sur le plan culturel et de former des juristes – j’ai participé à la Nuit du droit, qui s’est tenue le 2 octobre dernier à l’université de la Nouvelle-Calédonie, en présence, d’ailleurs, de collègues de l’Adavi. Selon le dernier recensement de l’Insee, la population de la Nouvelle-Calédonie s’établit à 269 000 habitants – en légère baisse –, dont plus d’un tiers est de statut civil coutumier, dans des terres coutumières. Ce statut constitue donc un enjeu fondamental de la communauté de destin en Nouvelle-Calédonie.

En tant que juristes disposant d’une formation générale de droit commun, nous sommes saisis par la population de questions telles que la dissolution du mariage coutumier, l’adoption, la donation, etc. Nous sommes pour la plupart bénévoles – je suis, pour ma part, salarié du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie – et recevons peu de subventions. Nous travaillons dans le cadre de conventions signées, par exemple, avec le CIDFE (centre d’information-droits des femmes et égalité) de la province Sud, ou avec la province Nord, pour tous les points d’accès au droit, que ce soit à Houaïlou, à Canala, à Poindimié ou à Pouébo. Lorsque l’association a été créée en 2011, elle avait aussi signé des conventions avec la province des îles Loyauté. Contrairement à l’Adavi, nous ne couvrons pas la totalité du territoire. Nous orientons les personnes qui nous sollicitent en vue d’obtenir des conseils et de régler leurs litiges vers les structures d’accès au droit et les avocats – mais nous n’agissons pas à leur place, même si nous pouvons aider les demandeurs pour certains actes juridiques.

Pour être précis, nous recevons beaucoup moins de subventions depuis le 13 mai dernier, en raison de la situation institutionnelle et politique de la Nouvelle-Calédonie, ce qui ne nous empêche pas de continuer à agir auprès de ceux qui en ont besoin – nous ne manquons pas de foi ! Nous ne disposons même plus de local, mais sommes joignables à une adresse mail générique, qui nous permet de donner suite aux demandes.

M. le président Frantz Gumbs. Notre commission d’enquête s’est donné pour mission d’évaluer les difficultés éventuelles d’accès à la justice et au droit. Pourriez-vous, monsieur Mazzocchin, préciser l’ampleur de votre action et présenter la typologie du public accueilli : origine sociale, ethnique, localisation géographique ?

M. Jean-Pierre Mazzocchin. Nous recevons entre 3 500 et 3 800 personnes par an et menons environ 4 300 entretiens. Pour ce faire, nous disposons d’une équipe de juristes professionnels de haut niveau et, comparativement à l’association Case juridique kanak, nous recevons des subventions relativement importantes, puisqu’elles s’élèvent à 59 millions de francs Pacifique (CFP), soit 495 000 euros par an. Le problème, c’est qu’elles sont versées très tardivement dans l’année et que le premier semestre, en l’absence de fonds de roulement, reste difficile à gérer sur le plan financier – heureusement, nous sommes soutenus par la banque.

Sur le plan sociologique, nous recevons une majorité de femmes. Je vous communiquerai notre rapport d’activité, qui dresse un bilan intermédiaire au 30 juin 2025 et dans lequel figurent toutes les statistiques. À cette date, nous avions réalisé 519 entretiens, auxquels il convient d’ajouter 81 entretiens de suivi – lorsqu’une même personne est reçue plusieurs fois.

Les demandes concernent principalement des questions qui relèvent du droit familial, du droit du travail, des droits de succession et des problèmes relatifs au logement. Les personnes sont issues de différentes tranches d’âge : 21 % ont entre 26 et 35 ans, 30 % entre 36 et 45 ans, 22 % entre 46 et 55 ans, 16 % entre 56 et 65 ans et 11 % plus de 65 ans.

Les demandeurs sont principalement originaires de Nouméa et des villes avoisinantes : 50 % viennent de Nouméa, 12 % de Païta, 11 % de Dumbéa et 20 % de la commune du Mont-Dore. Ensuite, 2 % sont issus du reste de la province Sud ; 3 % de la province Nord et 2 % des îles Loyauté. L’origine géographique de notre public se concentre donc principalement dans la province Sud qui nous finance, contrairement à la province Nord.

L’association tient des permanences dans les locaux où elle a son siège – elle a déménagé récemment afin de réduire la voilure, pour des raisons budgétaires –, ainsi qu’au Mont-Dore où elle reçoit chaque semaine et dans la mairie annexe de Plum, située à une trentaine de kilomètres de Nouméa, une fois par mois. Elle assure également des permanences à Païta, à Dumbéa, à Bourail et, depuis 2025, à Thio.

Les usagers sont orientés vers l’Adavi soit par des relations personnelles, soit par les services judiciaires, les services sociaux, la police ou la gendarmerie – en cas de dépôt de plainte figurent sur le récépissé l’adresse de l’association, ainsi que quelques conseils pour la contacter. Nous sommes également connus grâce à la publicité que nous faisons et aux médias.

Je vous ai livré les chiffres du premier semestre 2025, mais nous avons également produit un rapport pour le troisième trimestre, que je vous transmettrai.

En résumé, nous suivons la fréquentation et la typologie du public au jour le jour, et nous établissons des statistiques destinées à nos financeurs et à nos partenaires puisque nous sommes, si j’ose dire, le partenaire privilégié de la justice en Nouvelle-Calédonie.

M. le président Frantz Gumbs. En France, nous sommes réticents à évoquer l’ethnicité, mais il me semble qu’il convient de le faire en l’occurrence. En effet, votre public vit principalement à Nouméa ou à moins de 50 kilomètres de cette ville : y a-t-il un lien entre cette concentration géographique et la prédominance d’une ethnie par rapport à l’autre ?

Le traitement de la situation des étrangers, présents irrégulièrement ou régulièrement sur le territoire néocalédonien, fait-il l’objet de discussions ?

M. Jean-Pierre Mazzocchin. Nous recevons des ressortissants étrangers, lesquels ne présentent, à ma connaissance, pas de problème.

Notre public est certes concentré autour de Nouméa, mais Thio et Bourail se situent respectivement à 150 et à 170 kilomètres de la capitale. À notre siège, nous recevons de nombreux usagers de la province Nord et de celle des îles Loyauté. Nous assurons épisodiquement un service par téléphone.

En Nouvelle-Calédonie, les violences faites aux femmes sont nombreuses et dramatiques. Je préside l’Adavi depuis 2015 : lorsque j’ai pris mes fonctions, les femmes craignaient de déposer plainte. Je ne suis pas un grand spécialiste de la coutume, mais il me semble que le clan et la tribu y occupent une grande importance : ils pouvaient dissuader traditionnellement les victimes de se rapprocher de la police, de la gendarmerie et de la justice. Une évolution est fort heureusement en train de se produire dans ce domaine et de plus en plus de femmes nous sollicitent.

M. le président Frantz Gumbs. Monsieur Vernier, quelle est l’étendue de votre champ d’activité ?

M. Gilles Vernier. Nous avons environ 1 500 contacts annuels. Environ deux tiers d’entre eux se déroulent dans nos bureaux et les autres se font par téléphone.

Dans le domaine de l’accès au droit, nous retenons une centaine de dossiers dans l’année. Ceux-ci portent sur le logement, les services marchands et les relations entre particuliers. Les trois provinces nous accordent des subventions, mais seule celle du Nord l’a fait cette année, celles du Sud et des îles Loyauté ayant cessé de nous soutenir. Les mairies de Nouméa et de Païta ne nous ont pas donné de subventions cette année, au contraire de celles du Mont-Dore et de Dumbéa. Ces changements sont incompréhensibles car nous recevons des gens habitant toutes ces collectivités : les mairies savent que certains de leurs habitants nous contactent et que nous leur rendons un service utile. Certaines communes de la province Nord, comme Canala, nous versent un peu d’argent.

Depuis quelques années, de plus en plus d’habitants des îles nous rendent visite. Ils profitent de leur séjour de quelques jours sur la Grande Terre pour nous rencontrer et tenter de résoudre leurs problèmes, par exemple avec un loueur de voitures. Ce sont surtout des couples qui nous sollicitent ; il n’y a pas de distinction d’âge puisque nous voyons aussi des jeunes.

Les Calédoniens ne vont en général pas chercher les lettres recommandées. Une procédure se met alors en route, laquelle peut plonger les habitants dans des situations délicates en cas d’absence de réponse à une injonction ou de dépassement d’un délai fixé par un assureur. Ils font parfois l’objet de saisies ou doivent engager des dépenses supplémentaires.

Nous recevons quatre ou cinq étrangers par an, principalement des Néo-Zélandais ou des Australiens qui ont effectué des achats en Nouvelle-Calédonie et qui pensent avoir été floués. Certains dénoncent le bail d’une location saisonnière, qu’ils jugent incorrecte par rapport à la législation de leur pays.

M. le président Frantz Gumbs. De fortes différences culturelles et linguistiques existent en Nouvelle-Calédonie : les divers publics bénéficient-ils tous d’un accès au droit de même qualité ?

M. Gilles Vernier. Cette hétérogénéité peut avoir une influence : le commun des mortels n’est déjà pas très familier du vocabulaire juridique, mais les habitants des tribus ou de la province Nord le sont encore moins. Nous sommes là, comme l’Adavi, pour leur expliquer les méandres des termes judiciaires. Ils sont réceptifs et expriment un besoin de comprendre. Il n’y a pas de barrière politique ni sociale et c’est le bouche-à-oreille qui les incite à venir nous voir. Nous les aidons dans leurs procédures administratives, par exemple pour traiter les lettres recommandées qu’ils reçoivent. On peut toujours faire mieux, mais il me semble que nos efforts de vulgarisation sont efficaces.

L’appréhension des questions du quotidien diffère fortement entre les trois provinces. Dans les provinces Nord et des îles Loyauté, les habitants vivent davantage en circuit fermé, alors que ceux de la province Sud évoluent plutôt dans la grande ville où les relations sont plus impersonnelles.

M. le président Frantz Gumbs. Monsieur Xozame, je vous pose la même question sur la typologie de votre public. À quels besoins de la population répondez-vous ?

M. Thierry Xozame. Nous travaillons avec des personnes régies par le statut civil coutumier kanak.

Nous vivons grâce aux cotisations de nos membres, mais nous avons reçu, lors de certaines années fastes, 1 million de francs CFP, soit 8 385 euros, ou 600 000 francs CFP, soit 5 031 euros, d’aides pour couvrir principalement des frais de déplacement.

Nos premières permanences juridiques, qui datent de 2012, se sont tenues dans la province des îles Loyauté. Nous avons accueilli des femmes victimes de violences dans des centres médicaux. La situation en Nouvelle-Calédonie et dans les territoires d’outre-mer est mauvaise dans ce domaine. Nous agissons, à la suite des Grenelle hexagonaux, pour la promotion des femmes, notamment lors des journées internationales qui leur sont dédiées. Des femmes sont venues nous voir pour nous demander d’ouvrir des points d’accès au droit à Ouvéa, Maré, Lifou et Tiga. Ces zones pâtissent d’une double insularité. Ensuite, nous nous sommes installés dans l’est de la province Nord, à Canala et Houaïlou, mais aussi à Poindimié : ce sont des endroits difficiles, dans lesquels nous avons ouvert des permanences sur la condition féminine, en partenariat avec la province Nord. C’est pour soutenir les femmes que les points d’accès au droit ont été ouverts.

Nous agissons pour résoudre des problèmes, parfois entremêlés, de dissolution de mariage, d’adoption et de violence, mais également des litiges fonciers. Ces derniers sont importants en Nouvelle-Calédonie et peuvent rapidement déraper sur fond d’instabilité du droit coutumier. Dans ces domaines, la vulgarisation des procédures est essentielle. Une mission à la condition féminine de la province Sud a également été créée : nous y avons participé jusqu’à l’année dernière, mais nous avons dû cesser notre collaboration par manque de subventions.

Nous sommes surtout sollicités par des femmes âgées de 21 à 50 ans pour l’accès au droit. Nous voyons entre cinquante et soixante personnes chaque année : comme vous le voyez, les chiffres restent très modestes et bien loin de ceux de l’Adavi. Notre association manque de ressources pour traiter davantage de demandes : nous ne comptons aucun juriste professionnel dans nos rangs, nous sommes simplement des bénévoles passionnés par le droit et enclins à vulgariser les normes coutumières, comme celles de droit commun, auprès des Néo-Calédoniens. La population européenne vit sous le statut de droit commun, de même que certains Kanaks. Dans les années de faible fréquentation, il nous arrive de ne recevoir qu’une vingtaine de personnes.

Les violences conjugales et psychologiques sont très répandues. On fait également appel à nous en cas de séparation. Dans la province Sud, un point d’accès au droit est ouvert tous les mardis, de onze heures trente à treize heures. La province a installé des points d’accès au droit commun, animés par une juriste, et d’autres d’accès au droit coutumier. Lors de la Nuit du droit, à l’université de Nouvelle-Calédonie, de nombreux étudiants sont venus nous interroger sur le droit coutumier kanak, lequel est un droit oral qui repose sur des actes coutumiers et que font vivre des assesseurs coutumiers, en première instance comme en appel. La connaissance de ce droit et la formation des juristes et des magistrats sont des enjeux importants. Nous avons présenté l’activité de notre association dans l’accès au droit, principalement coutumier.

M. le président Frantz Gumbs. Le droit coutumier est-il reconnu par le droit national ? Quelles sont les relations entre les praticiens du droit coutumier et ceux du droit commun ?

M. Thierry Xozame. Plus d’un tiers de la population est régi par le droit coutumier et cette proportion progresse. L’article 75 de la Constitution reconnaît le droit coutumier ; autrefois, ce droit était qualifié de « particulier », mais il faut croire que nous sommes moins particuliers qu’avant.

La reconnaissance officielle comprend quatre volets. Elle touche d’abord à l’organisation sociale coutumière : les chefferies, les clans et les aires coutumières. Elle concerne ensuite les institutions coutumières de la Nouvelle-Calédonie : nous sommes là à l’interface du droit républicain, qui repose sur des institutions, et du droit coutumier, qui se fonde sur des pratiques traditionnelles, en l’occurrence l’existence d’un conseil coutumier dans chacune des huit aires coutumières, que l’on peut assimiler, pour l’Hexagone, aux départements. À côté des conseils, existe un sénat coutumier, dont le président vient d’être élu à la suite d’un renouvellement.

Contrairement à la Polynésie, les lois du pays ont valeur législative. Lors de l’adoption de ces lois, le sénat coutumier rend un avis sur l’identité kanak, par exemple sur les actes de succession. Les lois du pays touchant au domaine coutumier sont essentielles, ne serait-ce que pour donner un cadre aux personnes vivant sous le statut coutumier. Plus les outils de régulation de la société kanake sont nombreux, mieux celle-ci se porte. Le pluralisme juridique, formé des droits coutumier et commun, est fondamental. Le droit coutumier contribue à la richesse juridique calédonienne, même si ce laboratoire doit parfois composer avec de délicates subtilités : fort heureusement, les instances judiciaires interprètent ce droit officiellement reconnu.

Il faut multiplier les points d’accès au droit coutumier, à l’instar de l’action de l’Adavi, afin de couvrir l’ensemble des aires coutumières. Il convient également de travailler plus étroitement avec la justice.

Nous agissons en partenariat avec les associations, comme SOS Écoute ou Femmes victimes de violence. Le gouvernement néo-calédonien et l’État ont accompli un travail remarquable pour développer ces structures d’aide.

M. le président Frantz Gumbs. Participez-vous au fonctionnement de la justice ?

M. Thierry Xozame. Nous nous contentons de notre humble niveau d’intervention : nous tentons de faciliter l’accès au droit et de vulgariser le droit coutumier, notamment avec la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières (DGRAC) du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. La vulgarisation de ce droit n’est pas achevée et il convient notamment de développer son enseignement. La prise de décision passe par la connaissance et il serait opportun d’en imprégner l’éducation nationale dans notre territoire.

Il y a également lieu de réviser l’ordonnance de 1982 portant sur les assesseurs coutumiers, qui disposent d’une voix délibérative en première instance et en appel, afin de s’assurer de la formation des juges du droit coutumier. L’objectif est de rendre ce dernier plus efficace et pertinent sans le décorréler de l’aspect culturel kanak, qui est fondamental et complexe car les us et les coutumes divergent selon les aires coutumières. En 2014, j’ai participé à l’élaboration de la Charte du peuple kanak, socle commun des valeurs et principes fondamentaux de la civilisation kanak : positive, constructive mais également critiquable à certains égards, elle présente l’avantage de poser des principes écrits de droit coutumier sur lesquels la société kanake peut s’adosser pour rendre visibles, dans toute la Nouvelle-Calédonie, le savoir et les règles qui la régissent. Cet aspect est fondamental pour renforcer la communauté de destin néo-calédonienne. En outre, une telle approche permet d’anticiper les enjeux fonciers et les conflits de demain en informant les gens de leurs droits.

M. le président Frantz Gumbs. Monsieur le président de l’Adavi, quelle est votre appréciation du droit coutumier ? Est-il utile ? Efficace ? En perte de vitesse ? Faut-il se préoccuper de sa situation ?

M. Jean-Pierre Mazzocchin. L’Adavi est amenée à traiter de cas régis par le droit coutumier, lequel est très important.

Les difficultés rencontrées par les habitants dans l’accès au droit sont structurelles et exacerbées par une double insularité et par la diversité culturelle. L’éloignement géographique entrave l’accès au droit. Il s’agit du principal obstacle, car il n’est pas aisé de rejoindre, depuis Maré, Lifou ou l’île des Pins, Nouméa, où se concentrent l’ensemble des services judiciaires : le coût de ces déplacements est prohibitif, d’autant qu’ils induisent des pertes d’activité professionnelle. Devant ces contraintes, nombreux sont ceux qui renoncent à lancer ou à poursuivre une procédure. En outre, des barrières linguistiques et culturelles se dressent devant les citoyens : on recense environ quarante langues et dialectes kanaks. Les populations mélanésiennes rencontrent des difficultés à comprendre la terminologie juridique française.

Nous devons également faire face à la fracture numérique. En effet, de nombreuses zones sont privées d’internet. Le coût de ce dernier est très élevé et la qualité des connexions très mauvaise.

Le professionnalisme des équipes en place dans les juridictions n’est pas en cause, en revanche, les structures et l’organisation sont inadaptées. Prenons l’exemple des heures d’ouverture du tribunal : elles sont comprises entre huit et seize heures, soit le moment où les gens sont au travail. La configuration des locaux du tribunal de première instance de Nouméa empêche l’anonymat des justiciables et la confidentialité des échanges, auxquels l’Adavi attache une grande importance, notamment pour les victimes de viol et de violences : le tribunal ne compte aucune salle d’attente séparée et sécurisée. Lorsque nous allons dans les îles, à Thio ou à Bourail, il n’y a pas de locaux dédiés à nos entretiens : ceux-ci se déroulent dans des salles mises à disposition par les communes, dans lesquelles aucune confidentialité n’est garantie.

Le service d’accueil unique du justiciable (Sauj) dispense un accueil qui peut être perçu comme trop technique : l’Adavi tente de remédier à cette faiblesse.

Le statut civil coutumier, qui relève d’une loi organique, est un cadre indispensable. Il constitue un élément constitutif de l’identité néo-calédonienne. La coutume joue un rôle essentiel dans la médiation familiale et la résolution des conflits. Voilà pourquoi il faut non seulement la préserver mais la promouvoir. La coutume est souvent sollicitée pour atténuer les peines, mais elle n’est pas assez utilisée comme outil de réparation et de prévention des litiges, en amont de toute procédure pénale.

M. le président Frantz Gumbs. Nous vous remercions tous les trois d’avoir répondu à nos questions. N’hésitez pas à nous transmettre tout élément supplémentaire que vous jugerez utile à notre réflexion : nous vous remercions par avance de vos contributions.

La séance s’achève à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présent. – M. Frantz Gumbs

Excusé. – M. Yoann Gillet