Compte rendu
Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des avocats et agréés :
- Me Stéphane Artano, ancien sénateur, agréé près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon
- Me Patrick Tabet, avocat au Barreau de Paris et près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon
- Me Corinne Lledo, huissier de justice
- Me Virginie Camus-Brechat, notaire
- Me Cathy Pansier, et Me Sten Brechat, agréés près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon 2
– Présences en réunion................................10
Lundi
6 octobre 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 37
session 2025-2026
Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission
— 1 —
La séance est ouverte à seize heures trente.
M. le président Frantz Gumbs. Le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon présente une particularité : le dispositif dit des agréés, qui vise à pallier l’absence de barreau local. Les intervenants que nous accueillons en visioconférence pourront nous en parler et évoquer plus largement l’accès des justiciables au droit, ainsi que les éventuelles difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs activités professionnelles.
Cette table ronde est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Me Stéphane Artano, Me Patrick Tabet, Me Virginie Camus-Brechat, Me Corinne Lledo, Me Cathy Pansier et Me Sten Brechat prêtent successivement serment.)
Maître Artano, je précise que vous êtes ancien président de la délégation sénatoriale aux outre-mer : le travail que nous réalisons ici n’a donc pas de secret pour vous.
Me Stéphane Artano, ancien sénateur, agréé près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à l’accès au droit en outre-mer. Lorsque j’étais membre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, j’ai eu l’occasion d’échanger sur ce sujet avec Patrick Lingibé, ancien bâtonnier de Guyane. Je me réjouis que l’Assemblée nationale s’en saisisse dans le cadre d’une commission d’enquête, disposant de pouvoirs d’investigation étendus.
De mon point de vue, le dispositif particulier en place dans l’archipel permet l’accès des justiciables à un système judiciaire efficace et efficient – nous pourrons discuter des éventuelles améliorations qui pourraient y être apportées.
M. le président Frantz Gumbs. Madame Camus-Bréchat, pouvez-vous nous présenter votre activité ? Les professionnels du droit sont-ils nombreux à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Me Virginie Camus-Brechat, notaire. Je suis le seul notaire dans l’archipel ; j’ai une collaboratrice diplômée notaire. Lorsque mon office a été créé en 2017, il n’y avait plus de notaire depuis 1945 : la personne que j’ai remplacée avait un statut particulier de greffier-notaire, fonctionnaire du tribunal. Je suis rattachée à la chambre de la Guyane et de la Martinique. Cela me permet d’échanger régulièrement avec mes confrères d’outre-mer, lors des assemblées générales ou des inspections ; pour moi, c’est une richesse. Je ne rencontre pas de difficultés particulières. Du fait de la taille de l’archipel, l’accès à l’office notarial est très facile.
M. le président Frantz Gumbs. Avant votre installation en 2017, il n’y avait donc pas de notaire à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Me Virginie Camus-Brechat. Effectivement : il y avait un greffier-notaire. Étant originaire de métropole, je ne connaissais pas les spécificités locales en matière de droit fiscal et d’urbanisme, notamment. J’ai eu la chance qu’il me transmette ses connaissances et d’avoir quant à moi un statut plus en adéquation avec celui qui existe en métropole.
M. le président Frantz Gumbs. Ce greffier-notaire est-il encore en exercice ?
Me Virginie Camus-Brechat. Non, il a pris sa retraite quelques mois avant mon arrivée.
M. le président Frantz Gumbs. Maître Tabet, vous êtes avocat au barreau de Paris et près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon. Comment vos interventions s’y déroulent-elles ?
Me Patrick Tabet, avocat au barreau de Paris et près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon. J’ai un cabinet dans l’archipel depuis trente-deux ans. Une personne y est présente toute l’année ; quant à moi, j’y vais quatre à cinq fois par an pour une semaine afin de plaider un certain nombre de dossiers.
Je considère que la justice fonctionne bien à Saint-Pierre : elle y est rapide, ce qui constitue un avantage pour les justiciables, et s’exerce en proximité. Il faut donc conserver cette juridiction sur l’archipel.
M. le président Frantz Gumbs. Y a-t-il d’autres avocats exerçant près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon sans être domiciliés dans l’archipel ?
Me Patrick Tabet. Non, je suis le seul à y disposer d’un bureau et à y exercer en qualité d’avocat. Mais il y a aussi deux titulaires du diplôme d’avocat exerçant sous le statut d’agréé.
M. le président Frantz Gumbs. Maître Corinne Lledo, êtes-vous installée à Saint-Pierre-et-Miquelon ou ailleurs ?
Me Corinne Lledo, huissier de justice. Je suis à Saint-Pierre-et-Miquelon. À l’origine, je n’étais pas huissier mais gendarme. Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai pu en tant que réserviste de la gendarmerie, dans le cadre de l’ordonnance de 1945, exercer les fonctions d’huissier. Depuis que j’ai prêté serment le 27 février 2025, je remplace le précédent huissier, M. Chupeau, parti à la retraite. J’exerce la fonction d’huissier dans toute sa complexité.
M. le président Frantz Gumbs. Vous êtes, vous aussi, un « exemplaire unique », n’est-ce pas ?
Me Corinne Lledo. Oui, je le confirme !
M. le président Frantz Gumbs. Le dispositif des agréés est spécifique à Saint-Pierre-et-Miquelon et très particulier. Maître Cathy Pansier et maître Sten Brechat, pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Me Cathy Pansier, agréée près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je suis agréée près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis 2008 ; auparavant, j’étais avocate au barreau de Paris. Mon activité dans l’archipel me conduit à intervenir dans des contentieux variés, notamment civils et commerciaux. Je suis généraliste, à l’instar des autres agréés, mais je n’interviens pas en matière pénale – et suis la seule à présenter cette particularité.
J’ai ainsi une vision transversale du fonctionnement des juridictions. Comme maître Tabet, je fais un constat qui peut surprendre, par contraste avec les autres territoires ultramarins : la justice fonctionne globalement bien à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les délais d’audiencement comme de décision sont très raisonnables ; les juridictions sont composées de magistrats polyvalents et compétents ; il me semble que les justiciables obtiennent des réponses rapides et adaptées à leurs demandes.
Des points spécifiques, qui justifient certainement notre audition, méritent cependant d’être soulignés. En matière pénale, les contraintes liées à la visioconférence créent des difficultés pour les justiciables. Quant à la situation des agréés, visiblement, elle interpelle. Pour moi, leur statut est pleinement justifié et adapté au territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon : il permet une représentation des justiciables par des professionnels, conforme à l’exigence d’accès au droit. Sans cela, la situation serait très compliquée.
Me Sten Brechat, agréé près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon. Titulaire d’un DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) de droit des affaires et d’un DEA (diplôme d’études approfondies) de droit comparé, j’ai été recruté en tant qu’agréé près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon conformément à l’arrêté gubernatorial du 27 janvier 1945 : le tribunal supérieur d’appel et le procureur ont procédé à un contrôle de mes connaissances sur les textes juridiques français, mais aussi sur les textes spécifiques au territoire – en matière de droit fiscal et de droit immobilier, notamment. Je souligne l’importance de cette procédure de recrutement, spécifique à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Comme mes confrères, je considère que la justice y fonctionne très bien. Lorsque j’ai commencé mon activité, en mars 2018, il n’y avait que trois agréés pour intervenir en matière pénale, lors des audiences et des gardes à vue notamment ; cela posait de très nombreuses difficultés dans les cas d’infractions en réunion. La situation s’est considérablement améliorée : nous sommes sept agréés dont trois avocats. L’activité d’agréé étant en tout point similaire à celle d’avocat, il n’y a aucune difficulté en la matière.
M. le président Frantz Gumbs. En tant qu’agréé, vous ne pouvez cependant pas exercer ailleurs qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Me Sten Brechat. En effet.
M. le président Frantz Gumbs. Tous les agréés de Saint-Pierre-et-Miquelon ont-ils suivi une formation juridique ? Est-ce vérifié de façon systématique ?
Me Sten Brechat. À ma connaissance, oui.
M. le président Frantz Gumbs. Les tribunaux sont situés à Saint-Pierre. Selon vous, maître Artano, tous les justiciables – y compris ceux de Miquelon-Langlade – ont-ils un accès facile au droit et à la justice, quelle que soit leur condition sociale ? J’ai bien noté, cela dit, que la situation de l’archipel sur le plan de la délinquance n’était pas particulièrement défavorable.
Me Stéphane Artano. En tant que praticien du droit, j’estime moi aussi que l’accès à la justice à Saint-Pierre-et-Miquelon est aisé. Il me semble que les populations respectives de Saint-Pierre et de Miquelon ont un égal accès au droit. L’organisation des agréés ainsi que les magistrats ont créé en 2025 des consultations gratuites auxquelles il a été demandé que les justiciables de Miquelon puissent participer par visioconférence.
M. le président Frantz Gumbs. Les agréés sont-ils en nombre suffisant pour répondre aux besoins de la population ?
Me Stéphane Artano. Oui, notamment pour éviter les conflits d’intérêts potentiels qui pourraient se produire si nous devions, par exemple, intervenir sur le dossier d’un client que nous avons déjà défendu par ailleurs. Maître Tabet, implanté depuis plus de trente ans, est un cas particulier ; il est très présent dans le territoire. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas connaissance de difficultés qu’auraient rencontrées des justiciables pour accéder à un agréé. En pratique, la situation me semble plutôt satisfaisante, même si ce point de vue pourra être complété par celui des magistrats.
M. le président Frantz Gumbs. Trouve-t-on facilement des volontaires pour devenir agréé, si nécessaire ?
Me Sten Brechat. En matière juridique, les ressources humaines sont assez limitées dans notre territoire. Je rejoins Me Artano : il y a suffisamment d’agréés pour prendre en charge le volume d’affaires. J’ajoute que, si nous étions beaucoup plus nombreux, la viabilité de notre activité s’en trouverait mise à mal : rappelons qu’il n’y a que 5 000 habitants.
M. le président Frantz Gumbs. Si les agréés étaient trop nombreux, le nombre d’affaires ne suffirait pas à nourrir tout le monde !
Me Sten Brechat. Tout à fait.
M. le président Frantz Gumbs. Les agréés bénéficient-ils des mêmes dispositions que les avocats en matière de rémunération ? Existe-t-il le même dispositif d’aide juridictionnelle que dans les autres territoires de la République ?
Me Sten Brechat. Les agréés de Saint-Pierre-et-Miquelon pratiquent généralement des honoraires relativement faibles compte tenu du niveau social de la population. Du fait de l’éloignement de l’archipel, les avocats parisiens pratiquent des honoraires plus élevés ; ils ont, de surcroît, de plus en plus de mal à venir dans l’archipel.
M. le président Frantz Gumbs. Vous pratiquez donc des honoraires plutôt bas comparativement au reste du territoire.
Me Sten Brechat. Oui.
M. le président Frantz Gumbs. Il existe à Saint-Pierre-et-Miquelon un autre dispositif très particulier, celui des assesseurs citoyens assistant le juge. Vous qui exercez aussi bien à Paris que dans l’archipel, maître Tabet, quel regard portez-vous dessus ?
Me Patrick Tabet. Ce dispositif me semble indispensable : il permet au président du tribunal supérieur d’appel de ne pas prendre ses décisions tout seul mais accompagné de deux personnes. À ma connaissance, les citoyens assesseurs sont bien perçus par la population.
Votre question m’amène à évoquer un autre sujet : en première instance, le magistrat statue à juge unique, y compris en matière pénale, alors que des sanctions très lourdes d’emprisonnement ferme peuvent être prononcées. Il y a là une différence entre l’Hexagone et Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. le président Frantz Gumbs. Vous exercez, madame Lledo, la fonction d’huissier de justice – dont le nom a d’ailleurs changé. Sachant que vous êtes seule à l’exercer, que se passe-t-il si vous devez vous absenter du territoire ?
Me Corinne Lledo. Si je dois m’absenter, on peut faire appel aux gendarmes : lorsqu’il n’y avait plus d’huissier de justice dans l’archipel, un gendarme de Saint-Pierre et un autre de Miquelon en avaient tenu lieu. Ils ne peuvent toutefois exercer l’ensemble des fonctions d’huissier, du fait de la complexité de ces dernières et parce qu’ils sont gendarmes avant tout.
Le fait que, pendant plusieurs années, les fonctions aient été assurées par des non-professionnels pose un problème : même si j’ai repris les archives de mon prédécesseur, je manque d’un fonds documentaire. Je dois constamment consulter les textes sur Légifrance et m’astreindre à vérifier que rien n’a changé. Je commence à prendre mes marques, mais cela me demande un important travail de fond.
M. le président Frantz Gumbs. C’est peut-être à la fois l’avantage et l’inconvénient d’être seule.
Madame Camus-Brechat, vous êtes également seule à exercer vos fonctions. Votre activité est-elle intense ? Que se passe-t-il en votre absence ?
Me Virginie Camus-Brechat. Le rythme de l’activité notariale de cette communauté d’un peu plus de 5 000 habitants est semblable à celui qui a cours en métropole.
Lorsque je suis en déplacement professionnel ou en congé, le traitement des dossiers est organisé en amont et mes clients sont prévenus. De plus, même en congé, je reste joignable par e-mail ou par téléphone.
M. le président Frantz Gumbs. De précédentes auditions ont fait ressortir la prégnance de contentieux en matière foncière dans d’autres territoires d’outre-mer. Qu’en est-il à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Me Virginie Camus-Brechat. La question nous avait été posée lors de l’élaboration de la loi dite Letchimy. Nous ne sommes pas concernés par les problèmes d’indivision, à une ou deux exceptions près.
M. le président Frantz Gumbs. Considérez-vous certains publics comme vulnérables ? Des personnes qui ne voudraient ou ne pourraient pas bénéficier de vos services, ou qui se méfieraient ?
Me Virginie Camus-Brechat. Non. À Saint-Pierre-et-Miquelon, en raison de la proximité, le monde de la justice ne suscite aucune méfiance. Je n’ai pas identifié de public vulnérable ou défiant : au contraire, on pousse la porte du notaire comme on va à la boulangerie.
M. le président Frantz Gumbs. Vous dites être facilement joignable lorsque vous êtes absente. Qu’en est-il des autres professionnels ici présents ?
Maître Tabet, les dispositifs numériques sont-ils faciles à utiliser à Saint-Pierre-et-Miquelon ? Vous facilitent-ils la tâche ?
Me Patrick Tabet. Ces dispositifs sont faciles à utiliser, mais permettez-moi de revenir à un sujet qui me tient à cœur : l’égal accès au droit et à la justice – qui est l’objet de votre commission – en matière pénale.
Mon activité sur l’archipel est principalement celle d’un pénaliste. Je suis attaché au droit de la défense, au droit à un procès équitable et au droit de toute personne suspectée d’avoir commis une infraction de choisir librement son avocat.
Je ne fais pas de distinction entre avocats et agréés : j’ai toujours considéré les agréés comme des confrères, produisant un travail de qualité.
Le nombre d’agréés dans l’archipel est suffisant, mais sur les sept avocats et agréés disposant d’un cabinet ouvert toute l’année, seuls trois travaillent à temps plein en matière pénale pour les 5 000 habitants de l’archipel – Me Cathy Pansier n’intervenant pas en cette matière. Me Sten Brechat, un autre agréé et moi-même travaillons pour l’essentiel dans l’Hexagone ; nous ne sommes présents qu’une partie du temps.
Dans ce contexte, la difficulté à laquelle se heurtent les justiciables de Saint-Pierre-et-Miquelon est l’absence de libre choix de leur avocat. En effet, l’article 706-71 du code de procédure pénale autorise le recours à la visioconférence uniquement pour les avocats présents aux côtés de leurs clients ou des magistrats. Par conséquent, si Me Sten Brechat et moi-même sommes désignés alors que nous sommes en métropole, nous sommes obligés de refuser.
Les justiciables de Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont donc pas le libre choix de leur avocat, qu’ils soient gardés à vue, présentés à un juge des libertés et de la détention ou en comparution immédiate. Je considère que cette situation constitue une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il serait facile de remédier à ce problème en modifiant cet article du code de procédure pénale. S’il a sa raison d’être en métropole, ce n’est pas le cas concernant notre archipel : le moindre déplacement de l’une à l’autre demande trois ou quatre jours, sans parler de son coût pour le justiciable, qui, bien souvent, ne peut l’assumer.
M. le président Frantz Gumbs. J’entends votre plaidoyer auprès du législateur. En tout cas, votre remarque figurera en bonne place dans notre rapport – si les circonstances nous permettent de le présenter.
Me Patrick Tabet. Je vous en remercie.
M. le président Frantz Gumbs. M. Artano, vous êtes saint-pierrais et vous avez été sénateur de ce territoire. Nous avons évoqué les dispositions propres au système judiciaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont certaines remontent à 1945. Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’en faire évoluer certaines ? Je pense essentiellement aux agréés et aux citoyens assesseurs, ainsi qu’au juge unique.
Me Stéphane Artano. J’ai toujours été circonspect face à la tendance de l’administration et du législateur – et je l’ai été – à changer ce qui fonctionne. Le dispositif des agréés donne satisfaction ; si tel n’était pas le cas, des voix se seraient déjà élevées pour en demander la modification.
Le système des assesseurs, consistant à donner la possibilité à des citoyens sélectionnés d’assister les magistrats professionnels, notamment au tribunal supérieur d’appel, me semble très pertinent. Il contribue à rapprocher les citoyens d’une justice parfois un peu éloignée d’eux ; sur un petit territoire comme le nôtre, je considère que c’est une chance.
Une attention particulière est portée à la prévention des risques de conflits d’intérêts, qu’ils soient sectoriels ou personnels. Le président du tribunal supérieur est particulièrement vigilant quant au nombre d’assesseurs lui permettant de siéger de façon collégiale dans de bonnes conditions pour les justiciables de Saint-Pierre-et-Miquelon. À mon sens, rien ne motive une quelconque modification du système des agréés.
Le dispositif des citoyens assesseurs fonctionne également très bien et je n’ai jamais entendu de justiciables de l’archipel émettre de plainte à ce sujet. Il est pour moi l’expression la plus forte d’une justice de proximité.
Enfin, nous avons la chance, dans cette juridiction, de disposer de quatre magistrats professionnels qui exercent l’intégralité des fonctions judiciaires pour lesquelles ils ont été nommés. Par le passé, il a manqué un ou deux magistrats, ce qui a compliqué le travail de ceux qui étaient présents. Désormais, le nombre de magistrats permet un fonctionnement tout à fait satisfaisant pour un territoire situé à 5 000 kilomètres de l’Hexagone.
M. le président Frantz Gumbs. À la différence de celle des agréés, la durée d’exercice de la fonction de citoyens assesseurs est limitée à deux ans. Les candidats sont-ils suffisamment nombreux pour garantir le bon fonctionnement du système ?
Me Cathy Pansier. Je partage l’avis de mon confrère Stéphane Artano : le système des citoyens assesseurs, qui est tout à fait accepté localement, est une bonne chose. Depuis que le président du tribunal supérieur d’appel a pris ses fonctions à Saint-Pierre, les assesseurs n’ont jamais été aussi nombreux et leur renouvellement n’a posé aucune difficulté ; ils prêtent serment, ce qui confère une solennité à leur engagement. Ils sont une dizaine, ce qui est plus que suffisant pour l’archipel ; ce nombre leur permet de se mettre en retrait en cas de conflit d’intérêts, ce qui contribue à renforcer la confiance des justiciables. Parce qu’il permet une collégialité, ce système est indispensable.
Comme Me Artano, je considère que le statut d’agréé est parfaitement adapté au territoire. Je ne vois pas pourquoi on remettrait en cause ce système sans lequel Saint-Pierre-et-Miquelon ne bénéficierait pas de la continuité du service judiciaire. Contrairement à ce que j’ai pu lire dans le compte rendu de certains débats de l’Assemblée nationale, il ne s’agit pas de citoyens défenseurs improvisés, formés à la marge, mais de professionnels formés et encadrés.
Me Tabet l’a indiqué : il ne fait pas de différence entre les avocats et les agréés. Je suis avocate de formation et, honnêtement, je ne vois pas non plus de différence en matière de compétences. Les agréés offrent aux justiciables une représentation de qualité : non seulement ils maîtrisent la législation nationale, mais ils ont une connaissance précise des spécificités locales.
M. le président Frantz Gumbs. Je vous remercie d’avoir évoqué les compétences des agréés, dont la dénomination peut laisser penser qu’ils ne disposent pas des mêmes que les avocats.
Nous avons bien pris note de la demande, formulée par Me Artano et par vous-même, de ne pas revenir sur ce système. Est-elle partagée par les autres participants ?
Devons-nous conclure que l’ensemble de cet écosystème judiciaire fonctionne au bénéfice des justiciables et qu’il ne faut rien modifier ? N’y a-t-il aucune marge d’amélioration ? Dans le cas contraire, que pourrions-nous améliorer ?
Me Cathy Pansier. Le seul problème identifié est celui que Me Tabet a exposé de façon très complète : l’impossibilité pour les avocats de recourir à la visioconférence en matière pénale. Elle limite l’accès des justiciables à une défense complète, puisque seuls deux défenseurs intervenant en matière pénale sont présents toute l’année dans l’archipel.
Me Corinne Lledo. Serait-il possible d’organiser le rattachement de la fonction d’huissier de Saint-Pierre-et-Miquelon à une chambre départementale des commissaires de justice, afin de me donner accès à de la documentation ? Cela permettrait également de sécuriser les actes de procédure et le professionnel qui officie à ma place en mon absence.
M. le président Frantz Gumbs. Nous prenons note de cette demande, qui pourrait concerner une chambre des commissaires de justice de Martinique ou de Guadeloupe.
Me Patrick Tabet. Les gendarmes ont été formés au problème des violences intraconjugales, ce dont nous nous réjouissons, mais il serait souhaitable de créer un lieu d’accueil et d’écoute pour les victimes de ces violences.
M. le président Frantz Gumbs. Je remarque qu’aucun d’entre vous n’a évoqué de besoin particulier en matière de lieu de détention.
Me Sten Brechat. Il y a certainement des améliorations à apporter en matière carcérale : ainsi, il manque du personnel pour effectuer la fouille des femmes et la prison présente des inconvénients du point de vue procédural.
M. le président Frantz Gumbs. Nous avons bien pris note du principal problème, relatif à l’impossibilité de plaider en visioconférence en matière pénale. Le système judiciaire de Saint-Pierre-et-Miquelon ne semble pas présenter d’autre dysfonctionnement.
Je vous remercie de vos contributions et je vous invite à nous communiquer tous les éléments que vous jugeriez utiles à nos travaux.
La séance s’achève à dix-sept heures vingt-cinq.
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Présent. – M. Frantz Gumbs, M. Joseph Rivière
Excusé. – M. Yoann Gillet