Compte rendu
Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Billant, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, M. Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissariat, et de Mme Anaïs Aït Mansour, directrice de cabinet 2
– Présences en réunion.................................9
Jeudi
9 octobre 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 41
session 2025-2026
Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission
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La séance est ouverte à dix heures cinq.
M. le président Frantz Gumbs. Monsieur le haut-commissaire, vous êtes en poste en Nouvelle-Calédonie depuis le 2 mai 2025. Vous connaissez bien les outre-mer, puisque vous avez été auparavant préfet de la Guadeloupe puis de La Réunion, et cette audition sera peut-être l’occasion de faire une comparaison dans le temps et dans l’espace entre ces différents territoires.
Vous êtes entendu aux côtés de M. Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissariat, et de Mme Anaïs Aït Mansour, directrice de cabinet.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jacques Billant, M. Stanislas Alfonsi et Mme Anaïs Aït Mansour prêtent successivement serment.)
M. Jacques Billant, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. En tant que haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, et fort de mon expérience passée comme préfet de la Guadeloupe et de La Réunion, je mesure combien il est nécessaire d’éclairer les difficultés rencontrées par les justiciables ultramarins pour accéder à une justice pleinement adaptée à leurs besoins et pour mieux identifier les réponses spécifiques qu’exige chaque territoire ultramarin.
Cette question revêt une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie, où l’accès à la justice est conditionné par deux réalités structurantes. D’une part, une géographie insulaire, vaste et éclatée qui rend indispensable l’organisation d’une justice de proximité – à ce titre, le tribunal de première instance de Nouméa est complété par deux sections détachées à Koné, dans la province Nord, et à Lifou, dans les îles Loyauté, tandis que des audiences foraines sont régulièrement tenues à Maré et à Ouvéa. D’autre part, la place centrale de la coutume dans la société calédonienne, institutionnalisée par l’accord de Nouméa et matérialisée par l’existence d’un droit civil coutumier et d’assesseurs coutumiers qui permettent d’assurer un dialogue constructif entre les justiciables de statut coutumier et l’autorité judiciaire.
Malgré ces adaptations, le territoire traverse de fortes difficultés économiques, sociales et politiques qui se sont exacerbées depuis les événements de mai 2024. Ces tensions se traduisent par la recrudescence de la délinquance d’appropriation et par l’aggravation marquée des violences intrafamiliales, qui sont en hausse de plus de 20 % sur un an. Les besoins des justiciables calédoniens les plus vulnérables, comme les femmes et les mineurs, s’en trouvent amplifiés. L’accompagnement de tous les citoyens, l’adaptabilité du service public et l’aide aux victimes sont autant de leviers indispensables pour restaurer la confiance et garantir l’effectivité des droits de chaque justiciable.
Je tiens à partager avec vous trois fragilités principales qui méritent d’être soulignées.
Premièrement, des progrès notables en matière d’accès au droit et d’aide aux victimes ont été accomplis avec la création du conseil de l’accès au droit en 2023 et l’inauguration en avril 2025 d’une unité médico-judiciaire de proximité (UMJP) au sein du centre hospitalier territorial de Nouméa. Néanmoins, la multiplicité des acteurs liée au partage de compétences entre l’État et la collectivité de Nouvelle-Calédonie – notamment en matière de santé, de protection de l’enfance et de la jeunesse –, le déficit de coordination et la concentration des moyens dans le Grand Nouméa – les villes de Nouméa, Dumbéa, Païta et Le Mont-Dore concentrent 75 % de la population –, limitent l’efficacité de ces dispositifs, notamment pour les habitants de la province Nord et des îles Loyauté.
La deuxième fragilité tient au fait que la protection de l’enfance, une compétence relevant du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, fait face à des carences structurelles et préoccupantes. La direction de la protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse (DPJEJ) souffre d’un manque d’effectifs, de difficultés de recrutement et de moyens matériels insuffisants. La situation a été aggravée par la dégradation de plusieurs foyers éducatifs lors de la crise de mai 2024. La Défenseure des droits avait saisi l’ancien président de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, à ce sujet en 2024.
La troisième problématique que je souhaite porter à votre attention est celle de la réinsertion et de la lutte contre la récidive. Des initiatives innovantes existent, à l’instar des stages de responsabilisation pour les auteurs de violences intrafamiliales, mais elles sont limitées au regard de l’ampleur des besoins. La lutte contre la délinquance et les dispositifs d’accompagnement à la réinsertion pâtissent de l’absence de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), qui ne sont pas opérationnels dans toutes les communes. Je m’attache, avec le procureur, à les redynamiser, et nous assistons en personne à tous ceux qui se réunissent. Parmi les conseils provinciaux de prévention de la délinquance, seul celui de la province Sud est dynamique et producteur d’effets. Il existe aussi un plan territorial de prévention de la délinquance à l’échelle gouvernementale, qui fera l’objet d’une réunion au mois d’octobre. Dans ce cadre, il est particulièrement difficile d’assurer un portage efficace des politiques publiques.
M. le président Frantz Gumbs. Monsieur le secrétaire général, compte tenu de l’ancienneté de votre présence sur le territoire, quelles observations pouvez-vous faire concernant l’évolution de la situation depuis deux ans ? Quels sont ses effets sur le fonctionnement des services judiciaires ?
M. Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissariat. Le territoire se trouvait dans une situation compliquée sur le plan économique avant même l’insurrection déclenchée le 13 mai 2024. La Nouvelle-Calédonie vit selon des règles qui lui sont propres et qui ont été consacrées par des dispositions constitutionnelles. Une grande partie des compétences sont détenues par les collectivités du territoire, notamment en matière fiscale, tant du point de vue des revenus des collectivités que de la manière dont elles assument le train de vie des administrations dont elles ont la charge.
Avant l’insurrection, la situation économique n’était déjà pas brillante et les collectivités étaient en difficulté en raison d’une conjonction de facteurs depuis plusieurs années : la crise du nickel, celle de la covid-19, l’éloignement et le choix fait par les politiques calédoniens de modérer la pression fiscale. Ces difficultés ont été très fortement accrues avec l’insurrection, qui a causé un effondrement de la production et fait baisser le produit intérieur brut de 13 à 14 % – environ 12 %, si l’on tient compte de l’inflation –, une chute que l’on observe habituellement dans les territoires confrontés à une véritable guerre. Une part importante de la population salariée a été touchée ; environ 700 entreprises ont été détruites ou fortement abîmées et 1 300 autres entreprises ont subi les effets de la diminution de l’activité. Environ 12 000 emplois salariés ont été détruits sur les 95 000 que comptait le territoire avant l’insurrection.
Cette situation économique a des conséquences dès à présent et en aura dans les années à venir. La chute de la production locale, donc du produit fiscal, aggrave les difficultés des collectivités et pèse sur leur capacité à faire face à leurs obligations. L’État a réagi de manière vigoureuse en apportant des aides massives – subventions, avances remboursables, prêts – qui ont permis à la Nouvelle-Calédonie de garder la tête hors de l’eau depuis 2024. Néanmoins, les effets produits par la baisse de la production se ressentiront dans les recettes à venir. La Nouvelle-Calédonie a déjà des difficultés à clôturer son budget de 2025 et à établir un budget pour 2026.
Il faut garder en tête que la construction budgétaire et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie est telle que toutes les collectivités sont dépendantes de la bonne santé de la collectivité principale ; l’argent est ensuite diffusé dans les provinces et les communes via le budget de répartition et le budget de dérogation. Si la Nouvelle-Calédonie au sens territorial du terme va mal, les autres collectivités et les opérateurs du territoire, parmi lesquels l’opérateur énergétique historique et celui qui assure la couverture sociale – santé, retraite et vieillesse –, vont mal. La situation sociale est donc très fortement dégradée. Dans ce contexte, les réformes qui avaient été repoussées de longue date sont encore plus difficiles à adopter.
M. le président Frantz Gumbs. A-t-on constaté une évolution significative en matière d’accès à la justice et de délinquance ?
M. Stanislas Alfonsi. Il y a une délinquance d’appropriation, des cambriolages que je qualifierais de subsistance, que l’on constatait moins auparavant. Les violences intrafamiliales ont probablement augmenté. En revanche, il n’y a pas d’explosion de la délinquance liée à une crise sociale. Les émeutes de la faim que l’on nous avait annoncées ne se sont pas produites, fort heureusement.
Je n’ai personnellement pas l’impression que l’accès au droit se soit détérioré, en dépit de la forte pression qui pèse sur la justice, dont l’activité a fortement augmenté à la suite des événements de l’an passé. Il n’y a pas d’effondrement de l’accès au droit ni de retard massif dans le traitement des procédures judiciaires. Les cours fonctionnent, les effectifs sont là, les chefs de cour sont présents et nous n’avons pas constaté de vacances longues lorsque les magistrats doivent être remplacés.
M. le président Frantz Gumbs. Monsieur le haut-commissaire, vous avez évoqué l’importance de la géographie et la place centrale de la coutume. On peut imaginer qu’il existe de grandes différences entre le Grand Nouméa, qui concentre 75 % de la population, et le reste du territoire. Y a-t-il des différences, d’un endroit du territoire à l’autre, concernant la prééminence des pratiques coutumières ? Quelle est la relation entre les services de l’État et l’organisation qui relève de la coutume ?
M. Jacques Billant. Dans un territoire vaste et marqué, notamment dans la province des îles Loyauté, par une double insularité, l’accessibilité des services publics est une question de première importance pour les citoyens, comme elle l’est d’ailleurs dans de nombreux territoires d’Hexagone et d’outre-mer. J’ai vécu cette réalité avec force en Guadeloupe et à La Réunion.
La Nouvelle-Calédonie bénéficie globalement d’infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires de bon niveau, comparables à celles que j’ai pu observer en Guadeloupe ou à La Réunion. Cette qualité est essentielle ; c’est la première chose que l’on remarque lorsqu’on arrive dans un territoire ultramarin.
Ce bon niveau général ne saurait toutefois cacher de nombreuses disparités à l’échelle du territoire. Les infrastructures de taille importante – de santé, d’éducation – sont pour la plupart localisées dans les communes du Grand Nouméa, qui constitue le principal pôle d’emploi et concentre effectivement une très grande part de la population. Dans le nord de l’île de Grande Terre, par exemple, plusieurs centres médicaux ont dû se regrouper, faute de professionnels disponibles, alors même que l’organisation de ces centres avait été conçue pour permettre une répartition équitable dans l’ensemble de la province Nord et assurer le service de proximité auquel aspirent nos concitoyens. Les hôpitaux de Koumac et de Poindimié, situés respectivement dans le nord-ouest et le nord-est du territoire, n’assurent plus qu’une permanence de jour en semaine, sans service d’urgences, faute de personnel.
Des services à caractère essentiel font défaut, dans l’intérieur comme dans les îles. Si la couverture en eau s’est améliorée, une partie de la population n’a toujours pas accès à l’eau courante. Le même constat vaut pour l’électricité et les télécommunications – téléphonie fixe, téléphonie mobile ou internet.
Les services publics ne sont donc pas totalement accessibles à tous, ne serait-ce que parce que, parmi les personnes enclavées géographiquement, certaines sont âgées ou handicapées. Sur un territoire si vaste et si faiblement peuplé – à peine 265 000 habitants –, on ne peut pas viser une forte densité de services. C’est la raison pour laquelle le transport constitue un enjeu particulièrement important pour les collectivités : il a un rôle stratégique à jouer pour permettre au plus grand nombre d’effectuer les démarches administratives et d’accéder à différents services, comme l’enseignement et la santé, mais aussi aux commerces et, bien sûr, à l’emploi. Le développement d’un service de transports en commun fiable, accessible à tous et attractif est une clef du désenclavement réel des populations. Or, depuis les émeutes de mai 2024, cette offre s’est détériorée : seules dix des trente et une lignes desservant l’agglomération de Nouméa ont rouvert, avec moins d’arrêts desservis, une fréquence réduite et des tarifs plus élevés. Tout cela génère des problèmes d’accès aux services publics. Certains existaient avant la crise, mais ils se sont largement renforcés depuis et tous ne sont pas résolus, tant s’en faut, même si chacun s’y attache.
Quant aux autorités coutumières, leurs interactions avec les autorités représentées par les magistrats et moi-même sont à la fois anciennes, régulières et essentielles. Les assesseurs coutumiers, présents depuis 1982 dans les juridictions civiles aux côtés des magistrats, jouent un rôle clef dans la reconnaissance et l’application du droit coutumier. La loi organique du 19 mars 1999 adoptée à la suite de l’accord de Nouméa est venue consolider la place de la coutume au sein de l’organisation institutionnelle du territoire en instaurant, parallèlement au statut civil de droit commun, un statut civil coutumier. Elle a aussi créé deux institutions, avec lesquelles les services de l’État entretiennent des contacts réguliers et un dialogue constant : les conseils coutumiers, dans chacune des huit aires coutumières du territoire, et le sénat coutumier, que nous incluons dans de nombreuses réunions et associons à la mise en œuvre de nombreuses politiques publiques.
À l’heure où la confiance dans les institutions est parfois fragilisée, ces autorités coutumières sont un relais indispensable de légitimité et de pédagogie. Leur implication constitue un levier essentiel pour rapprocher la justice des citoyens et surtout pour renforcer l’adhésion de tous aux principes de l’État de droit. En matière de lutte contre la récidive et d’aide à la réinsertion, par exemple, sachez que les travaux d’intérêt général (TIG) peuvent être exécutés au sein des institutions coutumières depuis 2019. Huit conventions ont été signées en ce sens avec le sénat coutumier et sept aires coutumières. Bien qu’ils ne soient pas encore majoritaires, les TIG tendent donc à être renforcés, notamment sous l’action du service pénitentiaire d’insertion et de probation, le Spip.
Il faut aussi noter le rôle déterminant de la coutume dans la résolution de certains conflits relevant du droit commun : elle est un élément essentiel dans la structuration de la société kanake, laquelle représente près de 40 % de la population. Cette société est organisée autour du clan, regroupement familial élargi fondé sur un ancêtre commun, et de la tribu, qui rassemble plusieurs clans au sein d’un même espace géographique. Chaque clan est placé sous l’autorité d’un chef de clan, tandis que chaque tribu est dirigée par un grand chef, qui fait figure d’autorité pour l’ensemble de la communauté.
La coutume kanake est marquée de rites, appelés gestes, qui sont des moments cérémoniels structurant la vie en communauté. Il existe notamment des coutumes du pardon assorties d’un véritable pouvoir de résolution des conflits interclaniques ou intertribaux, ces derniers étant considérés comme définitivement clos une fois le geste effectué. Si ces pratiques contribuent indéniablement à la pacification sociale et à la cohésion communautaires, elles peuvent aussi soulever des difficultés, car ces règlements coutumiers peuvent intervenir en dehors du champ de l’autorité judiciaire, à laquelle les faits ne sont pas toujours signalés. Dans les cas de violences intrafamiliales, la coutume du pardon peut ainsi inciter les victimes à ne pas déposer plainte, par crainte de rompre l’équilibre social ou familial.
Les autorités coutumières tribales peuvent aussi édicter des décisions indépendamment de l’autorité judiciaire. Prises à l’initiative du grand chef après consultation des chefs de clan, ces décisions peuvent notamment conduire à l’expulsion d’un clan ou d’une tribu du lieu où ils sont implantés. Elles entraînent alors le départ forcé des intéressés, parfois dans des délais très brefs, et s’accompagnent de la destruction symbolique, par le feu, des biens abandonnés, ce qui traduit le caractère définitif de l’exclusion. Ces expulsions surviennent une à deux fois par an en moyenne. La plus récente s’est déroulée le 9 juillet 2025 au sein de la tribu de Yambé, dans la commune de Pouébo, au nord de la Nouvelle-Calédonie. Concernant cinq familles, elle s’est déroulée dans un climat apaisé, à l’issue d’un conseil coutumier et d’un repas communautaire. En revanche, la précédente, qui a eu lieu le 10 juin 2025 à Touho, avait donné lieu à d’importants troubles à l’ordre public : vingt-deux familles avaient été expulsées à la suite de violences dirigées contre un guérisseur et les forces de l’ordre avaient dû intervenir pour prévenir des débordements graves. Les habitations, les véhicules et les effets personnels des familles expulsées avaient alors été entièrement incendiés, conformément au rituel coutumier.
Peut-être ma directrice de cabinet, qui suit de très près ces questions et dispose de davantage de recul que moi, pourra-t-elle illustrer plus avant mon propos.
Mme Anaïs Aït Mansour, directrice de cabinet du haut-commissaire. Les interactions avec le monde coutumier concernent surtout la zone gendarmerie : la vie coutumière a plutôt cours en dehors de Nouméa, qui se trouve en zone police.
Nos interlocuteurs coutumiers, notamment les grands chefs, sont des partenaires précieux pour permettre aux victimes d’accéder à la justice, résoudre des conflits et intervenir en cas de troubles. Les expulsions sont pleinement intégrées à la coutume kanak, à tel point que certaines des tribus se sont reconstituées à partir de clans expulsés plusieurs décennies plus tôt. Il y a bien une interaction entre la force publique et le droit républicains, et ce droit coutumier avec lequel nous nous efforçons de coopérer tant bien que mal et dans les meilleures conditions possibles.
La création des assesseurs coutumiers par l’ordonnance du 15 octobre 1982 constitue une des expressions les plus parlantes de l’intégration de la coutume au sein des institutions de la République et mérite d’être développée. La présence des assesseurs coutumiers traduit véritablement la nécessaire adaptation de la justice républicaine aux fondements culturels de la Nouvelle-Calédonie, puisque des personnes relevant du droit civil coutumier peuvent ainsi voir leurs conflits résolus par des magistrats de droit civil et un assesseur coutumier. Elle permet aussi une meilleure compréhension mutuelle entre le droit positif codifié et celui de la coutume, qui est fondé sur la mémoire, le lien social et surtout la parole, car le droit coutumier n’est jamais écrit. Le sénat coutumier adopte certes quelques textes, mais rien n’explique véritablement quelles sont les règles à suivre.
Si ces interactions entre droit civil positif et droit coutumier sont un atout, le dispositif des assesseurs présente néanmoins trois écueils.
Le premier concerne le processus de recrutement : les critères de nomination sont fixés par l’ordonnance de 1982, mais les choix doivent aussi être validés au niveau des clans, des familles, du district et de l’aire coutumière avant transmission au procureur général, ce qui crée un circuit parallèle assez long.
Ensuite, on ne compte pas de femmes parmi les assesseurs coutumiers : leur désignation dépend des décisions des clans, qui ne sont pas toujours favorables à ce que les femmes prennent la parole ou siègent. Certains soulignent des difficultés culturelles à intégrer les femmes et les jeunes, que la tradition ne place pas naturellement dans des fonctions publiques.
Enfin, il n’existe pas vraiment de formation des assesseurs coutumiers, même s’ils sont pris en compte par le sénat coutumier.
M. Jacques Billant. Il faut saluer les travaux conjoints engagés par le sénat coutumier et le tribunal de première instance de Nouméa en vue de moderniser le rôle et les conditions d’intervention des assesseurs coutumiers. Cette démarche nous paraît essentielle pour renforcer la cohérence du système judiciaire tout en préservant la légitimité et la richesse du droit coutumier en Nouvelle-Calédonie. Elle constitue un levier de confiance indispensable à l’adhésion des justiciables de statut coutumier à la justice contemporaine, dans le respect des valeurs de la République et des traditions calédoniennes.
Voilà ce que nous pouvions dire de cette organisation qui, à ma connaissance, n’existe nulle part ailleurs.
M. le président Frantz Gumbs. Avez-vous vocation à contester les décisions prises en vertu du droit coutumier, telles que les expulsions ?
M. Jacques Billant. Dès lors que ces décisions ne sont pas écrites, leur contestation par l’autorité administrative est complexe. Pour autant, des enquêtes sont en cours et les responsables coutumiers ayant ordonné des expulsions peuvent être traduits devant la justice. Des plaintes ont d’ailleurs été déposées auprès du parquet de Nouméa et un chef a récemment été condamné pour avoir ordonné des expulsions ayant donné lieu à des violences et à des destructions de biens. Sans disposer d’un droit de regard à proprement parler, nous suivons ces décisions de très près. Le tribunal de première instance, le parquet général, le haut-commissariat et les forces opérationnelles – principalement les gendarmes – s’efforcent d’organiser au mieux cette interaction entre les autorités administratives et judiciaires et les réalités coutumières.
Peut-être le secrétaire général pourrait-il partager l’expérience qu’il a acquise sur ces questions depuis deux ans et demi.
M. le président Frantz Gumbs. Le temps nous contraint malheureusement à conclure cette audition. Nous sommes néanmoins preneurs de toute contribution écrite qui vous semblerait utile, notamment concernant le rôle du haut-commissariat, représentant de l’État, dans une organisation telle que le conseil de l’accès au droit. Nous ne manquerons pas, de notre côté, de vous transmettre nos éventuelles questions additionnelles.
Merci infiniment pour vos contributions.
La séance s’achève à dix heures cinquante-cinq.
Présents. – M. Frantz Gumbs, M. Davy Rimane