N° 2683

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à privatiser la Société nationale des chemins de fer français,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Éric CIOTTI,

député.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre 2020 et 2022, l’État a repris 35 milliards d’euros de dettes accumulées par la société nationale des chemins de fer français (SNCF). En 2022, le coût total de la SNCF pour les contribuables a atteint 20 milliards d’euros. Ces sommes conséquentes pourraient tout à fait se justifier pour le contribuable français si celui‑ci bénéficiait en retour d’une qualité de service exceptionnelle.

Hélas, c’est tout l’inverse que les Français constatent avec dépit depuis plusieurs années. Ainsi, entre 1954 et 2021, le nombre de trains en retard, qu’il s’agisse de TGV ou de TER, a été multiplié par trois, d’après une étude publiée en mars 2022 par l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST).

Il faut ajouter à cela la multiplication des grèves, surtout durant les vacances scolaires, qui prennent alors en otage de nombreux voyageurs. Il n’y a pas eu une seule année depuis 1947 qui n’ait été impactée par des grèves de la SNCF, c’est devenu une tradition française dont notre pays se passerait bien. Une grève cet hiver, en pleines vacances scolaire, a ainsi affecté 150 000 voyageurs. En 2022, une grève nationale a conduit à l’annulation d’un train sur deux sur l’axe Nord. En 2021, une grève nationale du 16 au 19 décembre 2021 pendant la période des vacances de fin d’année, a désorganisé le trafic des trains régionaux et celui des TGV des axes Sud‑Est et Nord. De même en 2019 une grève nationale avait largement perturbé le trafic ferroviaire durant tout le mois de décembre, alors qu’en 2018 c’est le mois d’avril et les vacances de Pâques qui ont été perturbées. Les exemples peuvent hélas être multipliés : à chaque année son lot de perturbations dans les transports à l’approche des vacances, sans compter les grèves se produisant également en dehors de celles‑ci.

Les milliards d’euros d’argent public injectés annuellement dans cette société sont d’autant plus insupportables qu’ils viennent aussi alimenter tout un système de privilèges de carrière et de retraite par rapport au droit commun. Ainsi en est‑il par exemple de l’accord sur la fin de carrière à la SNCF signé entre la direction et les quatre syndicats représentatifs le 22 avril dernier. Cet accord piétine les efforts d’économies engagés par la réforme des retraites de 2023, en faisant passer le surcoût du dispositif de départ anticipé de la SNCF de 30 millions à 300 millions d’euros par an.

Les contribuables financent pourtant déjà, par le biais des prélèvements obligatoires, un régime spécial de retraite de la SNCF qui coûte plus de 3 milliards d’euros par an.

Cette situation est d’autant plus scandaleuse que la réforme des retraites de 2023 avait déjà épargné aux cheminots de partir en retraite à 64 ans. En effet, en vertu de la clause dite « du grand‑père », seuls les salariés recrutés depuis l’évolution du statut de la SNCF (2019) ont perdu le bénéfice du régime spécial de retraites. Les autres, c’est‑à‑dire la très grande majorité, l’ont conservé, avec notamment un âge de départ plus précoce, tout en devant peu à peu travailler deux ans de plus.

Face et à ces abus, et parce que la qualité de service n’est pas au rendezvous des sommes investies, nous considérons qu’il n’est aujourd’hui plus légitime que le contribuable français finance cette entreprise, et que celle‑ci doit désormais relever de la gestion privée. Du reste, de telles opérations de privatisations ont déjà été conduites avec succès dans d’autres pays du monde.

L’exemple le plus éclatant reste la privatisation du réseau ferré japonais, réalisée en 1987. La JNR, l’équivalent de la SNCF, société alors lourdement endettée, est privatisée et scindée en sept compagnies. Quarante ans après, le Japon est un modèle en termes de ponctualité ferroviaire avec 98 % des TGV à l’heure.

D’un point de vue constitutionnel, la privatisation est expressément prévue par l’article 34 de la Constitution de 1958 qui énonce que « la loi fixe les règles concernant les nationalisation et transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé ». Cette faculté a d’ailleurs été mise en œuvre à plusieurs reprises dans le passé, dernièrement pour la société aéroports de Paris et pour La Française des jeux.

Si le 9e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce que : « Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », cette disposition ne saurait faire obstacle à la privatisation de la SNCF, qui a aujourd’hui un statut de société anonyme à capitaux publics.

D’abord, la circonstance de l’ouverture à la concurrence des lignes de la SNCF, avec des trajets assurés par exemple par Trenitalia et Renfe, conduit à ce que cette société ne soit plus considérée comme un monopole de fait entraînant sa nécessaire détention par la collectivité. Cette concurrence est d’ailleurs amenée à s’accroître puisque l’ouverture à la concurrence doit s’étaler jusqu’en 2039.

Ensuite, parce que le juge constitutionnel a estimé dans sa décision n° 2019‑1 RIP du 9 mai 2019 que : « Si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas ». Le législateur peut donc tout à fait estimer que cette activité ne relève pas ou plus d’un service public national dont la propriété devrait relever de la collectivité.

Ainsi, l’article premier de la présente proposition de loi prévoit que le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société nationale SNCF est autorisé, et que ce transfert est mis en œuvre par l’Agence des participations de l’État (APE).

L’article 2 ouvre le capital de la société nationale SNCF et de SNCF Voyageurs aux investisseurs privés. La loi n° 2018‑515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire avait mis fin à la forme d’établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial (EPIC) qu’avaient SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités et transformé la société nationale SNCF et ses filiales en groupe public unifié, ces entités sont ainsi devenues des sociétés anonymes à capitaux publics. Pour éviter toute privatisation, la loi du 27 juin 2018 a prévu à l’article L. 2101‑1 du code des transports que : « Le capital de la société nationale SNCF est intégralement détenu par l’État. Ce capital est incessible ». L’article 2 de la présente proposition de loi supprime ces dispositions et permet la privatisation de la société nationale SNCF et de ses différentes filiales, à l’exception de SNCF Réseau, qui demeurerait propriété de l’État.

L’article 3 opère des rédactions de cohérence dans le code des transports consécutives à la privatisation de la société nationale SNCF.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société nationale SNCF est autorisé. Ce transfert est mis en œuvre par l’Agence des participations de l’État.

Article 2

L’article L.2101‑1 du code des transports est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) La première phrase est ainsi modifiée :

– les mots : « nationale à capitaux publics » sont supprimés ;

– la première occurrence du mot : « public » est supprimée ;

b) À la seconde phrase, le mot : « nationale » est supprimé ;

2° Le deuxième alinéa est supprimé ;

3° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :

« La société SNCF détient l’intégralité du capital de la société SNCF Voyageurs mentionnée à l’article L. 2141‑1. Le capital de la société SNCF Réseau mentionnée à l’article L. 2111‑9 est intégralement détenu par l’État. Ce capital est incessible ».

4° Au sixième alinéa, le mot : « public » est supprimé ;

5° Au septième alinéa, le mot : « public » est supprimé.

Article 3

Le code des transports est ainsi modifié :

1° Au I de l’article L. 2101‑2, le mot : « public » est supprimé ;

2° Au second alinéa de l’article L. 2101‑2‑1, les deux occurrences du mot : « public » sont supprimées ;

3° Au I et au II bis de l’article L. 2101‑5, le mot : « public » est supprimé ;

4° Aux premier, deuxième et quatrième alinéa de l’article L. 2102‑1, le mot : « public » est supprimé ;

5° À la première phrase de l’article L. 2102‑9, le mot : « public » est supprimé ;

6° Aux premier et troisième alinéas de l’article L. 2102‑10, le mot : « public » est supprimé ;

7° À la première phrase de l’article L. 2102‑15, le mot : « public » est supprimé ;

8° Au premier alinéa du I de l’article L. 2121‑26, le mot : « public » est supprimé ;

9° Au premier alinéa de l’article L. 2221‑7, le mot : « public » est supprimé.

Article 4

La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.