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N° 521
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à former les jeunes aux premiers secours en santé mentale,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Joël AVIRAGNET, Mme Chantal JOURDAN, M. Boris VALLAUD, Mme Océane GODARD, Mme Céline HERVIEU, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, M. François HOLLANDE, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’état de la santé mentale des Françaises et Français s’est gravement détérioré depuis plusieurs années, et cette situation s’est encore aggravée depuis la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid‑19.
En effet, 25 % de la population française s’est sentie déprimée durant plusieurs semaines au moins en 2023, un chiffre qui atteint 31 % chez les plus jeunes générations ([1]). En 2022, 17 % de la population française présentait un état dépressif, soit 7 points de plus que la période précédant l’épidémie de covid‑19 ([2]). Un dernier chiffre doit nous alerter : près d’une personne sur dix a envisagé de se suicider ou de s’automutiler en 2022 ([3]).
Ce constat est particulièrement inquiétant chez les jeunes, chez qui la prévalence des troubles psychiques a considérablement augmenté ces dernières années, également suite à la crise sanitaire. En 2023, quatre étudiants sur dix (41 %) présentaient des symptômes dépressifs modérés à sévères, contre deux étudiants sur dix avant l’épidémie du covid‑19 ([4]). En 2022, près de 9,5 % des jeunes de 17 ans présentaient des symptômes anxiodépressifs sévères - un chiffre qui a plus que doublé depuis 2017 ([5]). Parmi les jeunes adultes de 18 à 24 ans, 20,8 % ont vécu un épisode dépressif au cours de l’année 2021 ([6]). Les jeunes femmes sont particulièrement touchées : 9,4 % des femmes de 18 à 24 ans ont eu des pensées suicidaires en 2021, et 12,8 % ont déclaré avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie ([7]). Le suicide est la deuxième cause de décès chez 15‑24 ans ([8]).
Le harcèlement est un phénomène qui croît particulièrement chez les jeunes générations, et qui est fortement alimenté par les réseaux sociaux. Selon une enquête réalisée par le ministère de l’éducation nationale publiée en novembre 2023, 4 % des lycéens, soit près de 100 000 jeunes, sont victimes de violences verbales, physiques ou psychologiques. De plus, 20 % des jeunes déclarent avoir déjà été confrontés à une situation de cyber‑harcèlement ([9]). En parallèle, la phobie scolaire est un trouble qui toucherait entre 1 et 2 % des élèves, de la maternelle au lycée ([10]). Il se présente comme un trouble non négligeable participant à la détérioration de la santé mentale des jeunes.
Par ailleurs, les troubles addictifs chez les adolescents sont préoccupants. En 2023, 7,4 % des jeunes de 17 ans sont considérés comme des usagers problématiques ou dépendants de cannabis et environ 8,4 % ont une consommation régulière d’alcool ([11]). Les troubles addictifs liés aux drogues dures sont en augmentation, particulièrement pour des substances comme la cocaïne et la MDMA (ecstasy) ([12]).
Pour autant, les personnes vivant avec des troubles psychiques, peu importe leur gravité, font face à des difficultés majeures d’accès aux soins.
Selon le rapport 2021 de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), il manque plus de 1 000 pédopsychiatres sur le territoire français. Ce manque de professionnels entraîne des délais d’attente pouvant atteindre plusieurs mois pour obtenir une consultation spécialisée. Le rapport de 2023 de la Cour des comptes ([13]) souligne le manque de places disponibles dans les structures spécialisées, comme les centres médico‑psychologiques (CMP), contribuant à l’engorgement des services et des délais de prise en charge très longs.
En plus de ces problématiques de prise en charge, les personnes souffrant de troubles psychiques évoluent dans un environnement avec une stigmatisation sociale encore très présente et avec une méconnaissance importante des questions de santé mentale, des troubles existants, et des professionnels ou structures vers qui se tourner. Tout cela renforce l’isolement et complique l’accès aux soins.
Or comme le soulève l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une personne sur trois a été, est ou sera atteinte par une maladie mentale au cours de sa vie ([14]). Il s’agit de la première cause mondiale de handicap acquis selon l’Organisation mondiale de la santé ce qui représente une réduction d’espérance de vie de 20 ans ([15]).
La santé mentale est aussi la première cause d’années de vie perdues et « coûterait » approximativement 4 % du produit intérieur brut selon l’OCDE ([16]). En France, ce coût s’élèverait à 163 milliards d’euros ([17]).
Dès lors, toutes ces données soulignent l’urgence impérieuse à agir pour donner aux jeunes la capacité de reconnaître et de répondre aux premiers signes de détresse psychique, tant pour eux‑mêmes que pour leurs pairs et leurs proches.
Alors que le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale d’octobre 2024 ([18]), a annoncé sa volonté de faire de la santé mentale la « grande cause » de l’année 2025, les députés du groupe Socialistes et apparentés présentent cette proposition de loi comme une première réponse d’urgence face à la détresse croissante des jeunes en matière de santé mentale. Cela était déjà la philosophie de la proposition de loi travaillée de façon transpartisane visant à prendre des mesures d’urgence pour la santé mentale ([19]).
Il est évident qu’un plan d’action à plus grande échelle est nécessaire pour traiter la santé mentale de manière globale et durable, et pour structurer une véritable politique publique dans ce domaine. Notre vision à ce sujet a été détaillé dans une note parue à la Fondation Jean Jaurès ([20]). Nous y proposons une transformation de la philosophie de notre système de santé mentale qui part des besoins des patients pour construire des parcours de prise en charge adaptés, associant des équipes pluri‑professionnelles, s’appuyant en priorité sur l’ambulatoire. Ce travail s’est traduit dans une proposition de loi « 10 grandes mesures pour la santé mentale »([21]).
Cette présente proposition de loi se concentre, elle, sur l’aspect préventif, de sensibilisation et de destigmatisation auprès des jeunes.
L’objectif est de permettre aux personnes formées d’accueillir la parole d’une personne en difficulté, de créer un espace sûr pour qu’elle puisse exprimer son mal‑être, et de la diriger vers les structures adaptées pour obtenir de l’aide professionnelle. L’idée de ce dispositif est de former les adolescents et jeunes adultes à l’assistance en santé mentale en se positionnant comme une interface entre l’individu et le professionnel en santé mentale.
À cet égard, les formations aux premiers secours en santé mentale déployées en France ont montré leur efficacité pour réduire la stigmatisation autour des troubles de santé mentale et améliorer l’accès aux soins. En effet, la formation aux premiers secours en santé mentale permet d’apprendre à identifier les symptômes des troubles psychiques, écouter sans jugement, et orienter vers des professionnels compétents. Par exemple, Premiers secours en santé mentale (PSSM) France, fondé par Santé mentale France, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) et l’Institut national de formation de l'infirmier et du personnel psychiatriques (INFIPP), a créé plusieurs modules de formation dont deux qui nous semblent particulièrement intéressants pour être déployés à plus grande échelle auprès des jeunes : le PSSM Standard qui vise à former tout public à partir de 18 ans, par une formation de 14 jours répartis en 2 jours ou 4 demi‑journées ; le PSSM Ados qui vise à former les personnes âgées de 11 à 18 ans, par une formation de trois séances de 70 minutes (encore en phase d’expérimentation et opérationnel à partir de 2025).
Ce type de formation s’inscrit dans une démarche de démocratisation des connaissances sur la santé mentale, de sensibilisation et d’accompagnement vers le soin.
Dans ce contexte, l’article 1er de la présente proposition de loi vise à créer un « Pass Premiers secours en santé mentale ». Ce dispositif, inspiré du Pass culture ou du Pass sport dans son fonctionnement, se traduirait par un accès gratuit à une formation aux premiers secours en santé mentale pour les personnes âgées de 16 à 25 ans. Cela prend la forme d’une prise en charge par l’État sans avance de frais du coût de la formation, dans la limite d’un plafond fixé par décret au bénéfice des organismes de formation, qui seraient spécifiquement accrédités pour cette mission.
L’article 2 prévoit une campagne nationale de sensibilisation , afin de promouvoir ce « Pass Premiers secours en santé mentale » et plus largement contribuer à la déstigmatisation des troubles psychiques.
L’article 3 constitue un gage financier pour l’État et la sécurité sociale.
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proposition de loi
Article 1er
Le titre VII du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
Chapitre IV
« Accès à la formation
aux premiers secours en santé mentale
« Art. L. 1174‑1. – Il est institué un dispositif nommé « Pass Premiers secours en santé mentale ». Ce dispositif est une aide permettant de prendre en charge intégralement les frais de formation aux premiers secours en santé mentale dispensée par des organismes agréés par l’État. Cette aide prend la forme d’une prise en charge avec avance de frais par l’État et la branche mentionnée au 1° de l’article L. 200‑2 du code de la sécurité sociale du coût de la formation au bénéfice des organismes de formation, dans la limite d’un plafond fixé par décret.
« Le bénéfice du « Pass Premiers secours en santé mentale » est ouvert de droit, sans condition de ressources, aux personnes remplissant les conditions suivantes :
« 1° Être âgées de seize à vingt‑cinq ans ;
« 2° Être ressortissant de l’un des États membres de l’Union européenne ou de l’un des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou ressortissant de pays tiers résidant légalement sur le territoire français depuis plus d’un an ;
« 3° Résider habituellement en France métropolitaine, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint‑Barthélemy, à Saint‑Martin, à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ou dans les îles de Wallis et Futuna.
« Le bénéfice du « Pass Premiers secours en santé mentale » est notifié aux personnes éligibles atteignant l’âge de seize ans. Il est attribué à son bénéficiaire à titre personnel et ne peut faire l’objet d’aucune cession.
« Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret ».
Article 2
Est créée une campagne nationale de sensibilisation à la santé mentale, visant spécifiquement les personnes âgées de seize à vingt‑cinq ans. Cette campagne inclut des actions de communication à l’échelle nationale et locale, rappelant notamment la gratuité des formations aux premiers secours en santé mentale. Elle est pilotée par le ministère de la santé et de la prévention et la branche mentionnée au 1° de l’article L. 200‑2 du code de la sécurité sociale.
Les modalités de cette campagne sont définies par décret pris après avis des organisations représentatives des professionnels et des usagers.
Article 3
I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) Enquête Ipsos, 2024.
([2]) Enquête Santé publique France, 2022.
([3]) Ibid.
([4]) Étude Centre de recherche sur la santé des populations de Bordeaux (INSERM), 2024
([5]) Enquête Escapad, 2017 et 2022, OFDT.
([6]) Baromètre santé, 2021.
([7]) Ibid.
([8]) Santé publique France, 2017.
([9]) Étude 2021 Caisse d’Epargne et l’Association e‑Enfance/3018, association reconnue d’utilité publique.
([10]) INSERM, Le Magazine, n° 55, 2 janvier 2023, « Phobie scolaire : Effet de mode ou réalité profonde ? ».
([11]) Étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives sur les niveaux d’usage des drogues illicites en France pour l’année 2023.
([12]) Ibid.
([13]) Rapport de la Cour des comptes, Mars 2023 https ://www.ccomptes.fr/system/files/2023‑03/20230321‑pedopsychiatrie.pdf
([14] OCDE, Panorama de la santé 2023 : https ://www.oecd‑ilibrary.org/social‑issues‑migration‑health/panorama‑de‑la‑sante‑2023_c57891f3‑fr
([15]) OMS, Rapport annuel sur la santé mentale 2022 : https ://www.who.int/fr/publications/i/item/9789240050860
([16] ) Les deux tiers de ces coûts sont attribués à la perte de productivité du travail.
([17]) Organisation mondiale de la santé, « The cost of mental health : Where do we stand in France ? », 2023.
([18] ) Compte‑rendu de la séance du mardi 1 octobre, URL : https ://www.assemblee‑nationale.fr/dyn/17/comptes‑rendus/seance/session‑ordinaire‑de‑2024‑2025/seance‑du‑mardi‑01‑octobre‑2024
([19] Proposition de loi n° 2586, URL : https ://www.assemblee‑nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2586_proposition‑loi
([20]) Fondation Jean Jaurès, « Santé mentale : dix grandes mesures pour une grande cause nationale », URL : https ://www.jean‑jaures.org/publication/sante‑mentale‑dix‑grandes‑mesures‑pour‑une‑grande‑cause‑nationale/
([21]) Proposition de loi n° 1772, URL : https ://www.assemblee‑nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1772_proposition‑loi.pdf
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM.