N° 576
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à introduire une dose de capitalisation dans le système de retraite,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Christelle D’INTORNI, M. Charles ALLONCLE, M. Bernard CHAIX, M. Marc CHAVENT, M. Olivier FAYSSAT, M. Bartolomé LENOIR, Mme Hanane MANSOURI, M. Maxime MICHELET,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans son rapport annuel rendu public le 13 juin 2024, le Conseil d’orientation des retraites (Cor) estime qu’en 2024, le déficit du régime de retraite s’élèvera 5,8 milliards d’euros soit 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) et qu’il s’aggravera très fortement jusqu’en 2070 date limite des prévisions. Ainsi, la réforme des retraites de 2023, entérinée par la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, s’avère insuffisante ou inadaptée pour sauvegarder l’équilibre de notre système de retraite.
Comme l’indique le Cor des « ajustements » sont à effectuer pour équilibrer le système en modifiant l’un des trois leviers : l’âge de départ à la retraite, une hausse des cotisations ou une baisse des pensions. Une nouvelle réforme paramétrique après celles de 1993, 2003, 2010, 2014 et 2023. Une nouvelle course pour rattraper l’évolution démographique d’une pyramide des âges de plus en plus défavorable. Une nouvelle tentative pour sauver un système de retraite refondé en 1945 en répartition dans une France d’après‑guerre à la natalité florissante. La réalité démographique est implacable : de 6 actifs pour un retraité en 1945, le ratio est aujourd’hui de 1,7 et continuera de baisser dans les années à venir pour atteindre 1,4 malgré la réforme de 2023.
Ainsi, le système de retraites par répartition qui repose sur le versement des cotisations des actifs pour financer directement les pensions des retraités engendre de véritables inquiétudes en raison du vieillissement de la population et de la baisse de la natalité. Au‑delà de ces considérations démographiques, le système de retraite par répartition présente aussi des limites en termes de rendement en comparaison d’un investissement par capitalisation.
Les inquiétudes sur la pérennité et les limites du système de retraite par répartition nous conduisent à engager une réflexion sur la mise en place d’une dose de capitalisation pour les salariés et les indépendants du secteur privé dans le but de garantir le financement de notre système de retraite et d’en assurer l’efficience.
À rebours des idées préconçues, le système de retraite par capitalisation est introduit par la gauche lors du vote de la loi de 1910 qui instaure les retraites ouvrières et paysannes. Dans la controverse qui oppose les partisans de la répartition et ceux de la capitalisation, Jean Jaurès défend la capitalisation. Il écrit dans l’Humanité que « la capitalisation (…) en soi est parfaitement acceptable et peut même, bien maniée par un prolétariat organisé et clairvoyant, servir très substantiellement la classe ouvrière » ([1]).
Aujourd’hui, des mécanismes de capitalisation collective existent en France, tel le régime de retraite additionnel de la fonction publique (RAFP) créé par la réforme des retraites de 2003. Géré de façon paritaire par un établissement public, ce régime est obligatoire pour les fonctionnaires depuis 2005 et leur assure une retraite complémentaire. Il couvre 4,5 millions de bénéficiaires cotisants et dispose d’un actif de 43,3 milliards d’euros appelé à monter en puissance pour arriver à 100 milliards d’euros à maturité. La gestion du RAFP lui a permis d’obtenir un taux de rendement annuel de son portefeuille d’actifs de 4,2 % de 2006 à début 2024 ([2]).
D’autres français bénéficient aussi d’un régime de retraite par capitalisation. C’est le cas des pharmaciens et directeurs de laboratoire médical, qui avec la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) ont introduit en 2009 une capitalisation collective qui finance aujourd’hui 50 % de leurs retraites. C’est aussi le cas des agents titulaires de la Banque de France recrutés avant le 1er septembre 2023. Malheureusement l’État a décidé d’obliger la Banque de France à fermer son régime de retraite qui pourtant dégageaient des excédents significatifs prélevés par l’État avec par exemple 1,8 milliards d’euros reversés à l’État au titre des années 2020 et 2021 ([3]).
Enfin, le Sénat a développé une capitalisation collective pour financer les retraites de ses fonctionnaires et des sénateurs. Fin 2022, le Sénat avait capitalisé 1,6 milliards d’euros sur les marchés financiers avec un taux de rendement de 4,1 % par an depuis 15 ans. Les gains liés à la capitalisation représentent 55 % des pensions versées au profit des anciens personnels et sénateurs entre 2008 et 2022 ce qui a permis d’économiser 657 millions d’euros d’argent public. L’Institut économique Molinari a calculé que grâce à la capitalisation les retraites du Sénat sont trois fois moins coûteuses que celles des députés et deux fois moins que celles des fonctionnaires civils de l’État. Ainsi, si l’État avait provisionné ses retraites comme le Sénat, il aurait placé 920 milliards d’euros dans un fonds souverain pour financer les retraites de ses agents et il aurait économisé 8 % de ses charges nettes sur les 15 dernières années soit 29 milliards d’euros par an ([4]).
Un grand nombre de pays ont choisi de développer des mécanismes de capitalisation au sein de leur système public de retraite ou par l’intermédiaire de fonds de pensions privés. Le plus emblématique est le Gouvernment Pension Fund‑Global, le fonds de pension souverain de la Norvège. Avec 1 530 milliards d’euros d’actifs au 30 juin 2024, il pèse environ trois fois le PIB norvégien. En 2019, les fonds de pensions australiens avaient accumulé selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 141 % du PIB au titre du seul secteur privé avec une rentabilité moyenne de 4,4 % par an sur les dix dernières années. En France, les actifs détenus par les régimes en capitalisation représentent seulement 50,5 milliards d’euros soit 1,5 % du PIB fin 2023 ([5]).
L’absence de fonds de pension d’envergure dans notre pays, nous pénalise dans le financement des retraites où ils pourraient compléter efficacement le système par répartition mais aussi pour le développement économique en investissant à long terme les sommes collectées pour les retraites.
Cette proposition de loi prévoit l’instauration d’un régime de retraite complémentaire par capitalisation collective pour les salariés du privé sur le modèle du régime de retraite additionnelle de la fonction publique (Ainsi, chaque salarié du privé aura un compte personnel, alimenté tous les mois par des cotisations patronales (2 % du salaire brut) et salariales (2 % du salaire brut). Au moment du départ à la retraite, le retraite, le retraité bénéficiera d’une rente garantie à vie. Il récupérera les versements faits en son nom bonifiés par les gains liés aux placements.
Ce nouveau régime complémentaire sera géré par un établissement public hébergé au sein de l’AGIRC‑ARRCO afin de bénéficier d’une gouvernance paritaire au sein d’une caisse de retraite reconnue. En effet, confier directement la gestion de ce nouveau fonds de pension aux partenaires sociaux et aux futurs bénéficiaires constitue une garantie de bonne gestion et un garde‑fou pour se prémunir d’éventuelles tentatives de l’État pour récupérer les fonds afin de les affecter à d’autres destinations.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Après le chapitre bis du titre III du livre I du code de la sécurité sociale, il est inséré un chapitre 5 ter ainsi rédigé :
« Chapitre 5 ter
« Fonds de retraite à capitalisation collective des salariés du privé
« Art. L. 135‑16. – I. – Il est institué un régime de retraite additionnel obligatoire par capitalisation collective et par points pour les salariés du privé destiné à permettre l’acquisition de droits à la retraite.
« II. – Les cotisations sont réparties à parts égales entre les employeurs et les salariés et fixées à 4 % de la rémunération telle que définie à l’article L. 136‑1‑1.
« III. – Chaque cotisant est détenteur d’un compte de droits individuel en points, alimentés par les cotisations faites en son nom. Le nombre de points attribué chaque année est égal au rapport entre les cotisations versées et la valeur d’acquisition du point fixée pour l’année considérée.
« IV. – L’ouverture des droits des bénéficiaires est subordonnée à la condition qu’ils aient atteint l’âge mentionné à l’article L. 161‑17‑2 et aient été admis à la retraite. La retraite additionnelle mise en paiement par le régime mentionné au I est servie en rente. Toutefois, pour les bénéficiaires ayant acquis un nombre de points inférieur à un seuil déterminé par décret en Conseil d’État, elle est servie en capital.
« Art. L. 135‑17. – I. – Il est créé un établissement public de l’État à caractère administratif dénommé Fonds de retraite à capitalisation collective des salariés du privé , placé sous la tutelle de l’État. Cet établissement est hébergé au sein d’une fédération d’institutions de retraite complémentaire désignée par décret en Conseil d’État.
« II. – L’établissement public dénommé Fonds de retraite à capitalisation collective des salariés du privé a pour mission principale de gérer les cotisations retraites qui lui sont affectées afin de les bonifier en vue de leur versement aux bénéficiaires.
« III. – Le conseil d’administration procède chaque année à l’évaluation des engagements, afin de déterminer le montant de la réserve à constituer pour leur couverture. Il fixe également chaque année la valeur d’acquisition du point.
« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.
Article 2
La présente loi entre en vigueur à compter du 1er juillet 2025.
Article 3
I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) L’Humanité du 1er janvier 1910, cité dans le rapport de l’Institut économique Molinari sur les retraites, décembre 2019.
([2]) RAFP Rapport annuel 2023.
([3]) Rapport annuel de la Banque de France 2022, cité par l’Institut Molinari.
([4]) Provisionner pour économiser sans rogner les retraites : l’exemple du Sénat – Institut Molinari juin 2023.
([5]) Rapport annuel du COR -Juin 2024 – page 96.