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N° 588
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
portant interdiction de la publicité des boissons alcoolisées par les influenceurs sur les réseaux sociaux,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Cyrille ISAAC-SIBILLE, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Erwan BALANANT, Mme Géraldine BANNIER, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Pascale BAY, Mme Béatrice BELLAMY, Mme Anne BERGANTZ, Mme Sylvie BONNET, M. Joël BRUNEAU, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, Mme Josiane CORNELOUP, M. Mickaël COSSON, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Sophie DELORME DURET, M. Jean-Marie FIÉVET, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, M. Moerani FRÉBAULT, M. Thomas GASSILLOUD, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jean-Carles GRELIER, M. Frantz GUMBS, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Sandrine JOSSO, M. Michel LAUZZANA, M. Pascal LECAMP, M. Corentin LE FUR, Mme Pauline LEVASSEUR, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Emmanuel MANDON, M. Laurent MARCANGELI, M. Pierre MARLE, M. Éric MARTINEAU, M. Jean-Paul MATTEI, Mme Sophie METTE, Mme Louise MOREL, M. Yannick NEUDER, M. Karl OLIVE, M. Didier PADEY, M. Jimmy PAHUN, Mme Sophie PANONACLE, M. Frédéric PETIT, Mme Maud PETIT, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Christophe PLASSARD, Mme Josy POUEYTO, M. Richard RAMOS, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Jean-François ROUSSET, M. Thierry SOTHER, M. Nicolas THIERRY, M. Nicolas TURQUOIS, M. Frédéric VALLETOUX, M. Philippe VIGIER, Mme Corinne VIGNON, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Stéphane VIRY, Mme Dominique VOYNET,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La surconsommation d’alcool est un véritable fléau. Elle est responsable de 41 000 décès évitables par an, et constitue la deuxième cause évitable de mortalité par cancer en France, juste après le tabac. Sa régulation est un enjeu majeur de santé publique.
Aujourd’hui, la France se classe parmi les pays les plus consommateurs d’alcool au monde. Selon Santé Publique France, plus d’un cinquième de la population est concerné par une consommation excessive, un problème particulièrement préoccupant chez les jeunes. Certaines pratiquent le « bing drinking » ou « alcoolisation ponctuelle importante », qui consiste à consommer une importante quantité d’alcool sur un temps très court, dans le but d’atteindre l’ivresse. L’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives (OFDT) rapporte qu’un collégien sur dix a déjà connu l’ivresse, tandis que 37 % des jeunes de 17 ans ont bu de manière excessive au moins une fois dans le mois. Ce comportement triple le risque de développer une alcoolodépendance chez les 18‑25 ans.
La publicité joue un rôle déterminant dans la consommation d’alcool. En effet, 23 % des adolescents déclarent avoir été influencés par une publicité d’alcool (OFDT). La présence de ces publicités dans leur quotidien entrave les efforts de prévention menés par les associations de prévention en santé et les familles. De nombreuses instances nationales et internationales, telles que la Cour des comptes et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommandent un encadrement plus strict de ces publicités pour limiter les excès, la restriction de la publicité pour l’alcool étant parmi les mesures les plus « coût‑efficaces » pour réduire les risques, selon l’OMS.
En ce sens, la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme de 1991, dite « loi Évin », tendait à interdire la publicité en faveur de l’alcool sur les supports médiatiques les plus populaires de l’époque auprès du jeune public, comme la télévision et la presse écrite. La loi Evin a également agi sur le contenu des publicités, en le limitant aux caractéristiques objectives de la boisson alcoolique. Ce volet avait pour objectif l’interdiction de toute association entre l’alcool et un imaginaire positif (fête, vacances, sport, amitiés…).
Elle a été efficace en son temps, mais avec l’essor des réseaux sociaux et l’apparition des influenceurs, les jeunes sont de nouveau exposés au marketing de l’alcool. Entre 2021 et 2024, l’association Addictions France a relevé 11 300 contenus promouvant l’alcool sur les plateformes. Ces publicités ont été diffusées par près de 500 influenceurs et plus de 800 marques, principalement des grands groupes de bières et de spiritueux. De fait, 79 % des 15‑21 ans voient des publicités pour de l’alcool toutes les semaines sur les réseaux sociaux, selon une étude de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique. Rappelons que les réseaux sociaux sont accessibles dès 15 ans, et que beaucoup de mineurs mentent sur leur âge pour accéder à ces contenus.
Les marques d’alcool utilisent les réseaux sociaux pour exploiter la proximité des influenceurs avec leurs « abonnés », et les algorithmes, pour mieux cibler les populations et influencer les comportements. Ces pratiques banalisent la consommation d’alcool, souvent présentée sous un jour festif, occultant les risques associés.
Le cadre législatif actuel de la publicité sur les réseaux sociaux, fondé sur l’autorégulation, est insuffisant pour prévenir ces comportements à risque. En matière d’influence, le respect de la loi Évin se heurte au manque de moyens pour poursuivre les collaborations commerciales illégales. L’association Addictions France, chargée de sensibiliser les créateurs de contenus aux contours de la loi, constate que 48 % des 276 influenceurs contactés continuent de promouvoir de l’alcool illégalement. Quant aux dispositifs légaux actuels, tels que la saisine des plateformes et Signal Conso, ils ne permettent pas de contrôler l’entièreté des contenus diffusés et peinent à enrayer la diffusion de publicités illégales. Enfin, les marques et les influenceurs utilisent les « stories » éphémères pour contourner la loi : elles représentent 70 % des publications relevées sur l’alcool en 2023. Or leur caractère éphémère empêche le contrôle et la sanction en cas de non‑respect de la loi.
Face à cette réalité, il est nécessaire d’adapter la loi Évin aux nouvelles pratiques numériques. Les jeunes passent aujourd’hui bien plus de temps sur les réseaux sociaux que devant la télévision, justifiant l’interdiction de la publicité pour l’alcool sur ces plateformes. Une telle mesure limiterait significativement l’exposition des mineurs à la publicité pour l’alcool.
De nombreux travaux parlementaires ont été menés pour réguler la publicité de l’alcool, sur les réseaux sociaux grâce à la députée Karine Lebon, ou à proximité des établissements scolaires et des établissements sensibles, par le député Loïc Prud’homme. Lors de l’examen de la loi visant à encadrer l’influence commerciale et lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (juin 2023), plusieurs amendements ont par ailleurs été défendus pour encadrer cette publicité de l’alcool sur les réseaux sociaux.
Cette proposition de loi soutient l’ensemble de ces travaux, en proposant de renforcer le cadre législatif de la publicité de l’alcool afin de protéger la population, et notamment les jeunes, contre l’influence de ce marketing.
L’article 1er interdit la publicité de l’alcool sur les réseaux sociaux par les influenceurs.
L’article 2 propose une hausse de la sanction en cas de violation de la loi Évin, qui n’est pas assez dissuasive aujourd’hui, en l’alignant sur celle prévue pour les pratiques commerciales trompeuses.
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proposition de loi
Article 1er
Après l’article L. 3323‑2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3323‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3323‑2‑1. – Est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique, telles que définies à l’article 1er de la loi n° 2023‑451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, toute promotion, directe ou indirecte, de marques d’alcool et de boissons alcoolisées.
« Toutefois, cette disposition n’est pas applicable aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique dont le métier est lié à l’industrie des alcools ayant une appellation d’origine protégée ou une appellation d’origine contrôlée et à celles publiant de l’information relative au tourisme vitivinicole ou œnologique. »
Article 2
Le premier alinéa de l’article L. 3351‑7 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° La première phrase est ainsi modifiée :
a) Après la référence : « L. 3323‑2, », est insérée la référence : « L. 3323‑2‑1, » ;
b) Le montant : « 75 000 » est remplacé par le montant : « 300 000 » ;
2° La seconde phrase est ainsi rédigée : « Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés de l’opération illégale, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % du montant des dépenses consacrées à l’opération illégale. »