N° 750

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à supprimer les sanctions pénales liées à l’usage simple de stupéfiants,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Danièle OBONO, M. Ugo BERNALICIS, M. Éric COQUEREL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Romain ESKENAZI, M. Damien GIRARD, Mme Julie OZENNE,

députées et députés.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La politique française en matière de drogues est aujourd’hui encadrée par des dispositifs qui trouvent leur fondement dans la loi n° 70‑1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses. Ce régime de prohibition regroupe notamment les infractions suivantes :

– l’incrimination du transport, de la détention, de l’offre, de la cession, de l’acquisition et de l’emploi illicites de stupéfiants passible de 10 ans d’emprisonnement et 7 500 000 euros d’amende (article 222‑37 du code pénal) ;

– l’incrimination de la présentation de l’usage de stupéfiants sous un jour favorable passible de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article L. 3421‑4 du code de la santé publique) ;

– l’incrimination de l’usage passible de 1 an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende (article L. 3421‑1 du code de la santé publique).

Ce dispositif répressif atteint aujourd’hui ses limites. Extrêmement coûteux – financièrement mais également en termes de ressources humaines – pour la police et la justice, il a démontré son inefficacité à enrayer la consommation de drogues dans notre pays. 

La présente proposition de loi porte ainsi sur les deux derniers points abordés ci‑dessus : elle vise la suppression de la pénalisation de l’usage simple de stupéfiants afin de remettre la dimension de santé publique au cœur de la politique en matière d’usage simple de stupéfiants (le trafic de stupéfiants n’étant pas l’objet de la présente proposition). Il ne s’agit évidemment pas de prétendre que la consommation de drogues serait sans risque, bien au contraire puisque celle‑ci serait appréhendée plus efficacement et de façon holistique sous l’angle de la santé publique.

Notre conviction est renforcée à l’aune des politiques publiques conduites par des pays européens qui font prévaloir un pilotage de la politique des drogues confié aux ministères de la Santé et de la solidarité et non plus sur le seul ministère de l’intérieur.

Ainsi, depuis le début des années 2000, le Portugal a conduit une politique de décriminalisation des usages de stupéfiants et, dans le même temps, a porté une véritable politique de réduction des risques et de prévention confiée au ministère de la santé s’appuyant sur le Service d’intervention sur les comportements addictifs et la dépendance (SICAD). C’est le SICAD qui réunit régulièrement des représentants de onze autres ministères (enfance, éducation, logement, travail, intérieur, économie, etc.) pour travailler sur la politique des drogues. Les usagers de stupéfiants peuvent passer devant une commission pour la dissuasion de la toxicodépendance (CDT), organe déconcentré du SICAD sur tout le territoire portugais. Cette commission est chargée de promouvoir la réduction de la consommation de substances psychoactives, et la prévention des comportements addictifs et la réduction des addictions. 

Cette politique a réduit de 100 000 à 30 000 le nombre de consommateurs et consommatrices d’héroïne en vingt ans, comme le montre un rapport de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives en 2021. Non seulement la consommation de drogues n’a pas augmenté, mais elle a diminué : aujourd’hui, moins de 10 % des jeunes portugais et portugaises (15‑34 ans) sont usagers de drogues illicites et le nombre d’héroïnomanes a été divisé par deux. En termes de santé publique également : le taux de décès liés à l’usage de drogues a chuté au Portugal – il est cinq fois plus faible que la moyenne de l’Union européenne – et le taux de nouvelles infections au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a été divisé par 18 en 11 ans. Enfin, le nombre de détenus incarcérés pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) a été divisé par près de 2,5, décongestionnant le système carcéral portugais.

Cette organisation de la politique des drogues démontre qu’une suppression de la pénalisation de l’usage simple de stupéfiants doit être accompagnée d’une politique de prévention et d’accompagnement des usages, coordonnée par le ministère de la santé et de la prévention. Concernant la politique de prévention pour les usagers et usagères de stupéfiants, deux objectifs sont prioritaires : l’intervention préventive précoce et la réduction des risques, avec un contrôle d’interdiction de la publicité notamment sur internet, et une budgétisation des campagnes d’information.

Le financement de cette politique de prévention devra continuer à être intégré dans le Fonds national de lutte contre les addictions, assuré par les budgets du Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), du ministère de la Santé, celui de l’éducation et le budget de la Sécurité sociale par l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Un contrôle des fonds devra être assuré par l’Agence régionale de santé. 

Un tel financement s’appuyant sur des structures existantes permettra donc de renforcer le service public de prévention des usages, et de la « Santé des addictions » de Santé publique France. La politique de prévention concernant la demande a pour objectif de retarder l’âge des premiers usages. Cette politique de prévention et son financement ont notamment été développés dans une proposition de loi transpartisane relative à la lutte contre le commerce illégal de drogues, déposée en mai 2021.

Notre pays se distingue à la fois par son dispositif pénal très répressif et par une consommation de drogues supérieure à ses voisins. La France est en effet le premier pays d’Europe à consommer du cannabis : près de la moitié (44,8 %) des Français·es de 15 à 64 ans en ont déjà expérimenté. De la même façon, la consommation de cocaïne connaît une progression continue en France et fait partie des plus élevées en Europe : 5,6 % des adultes en avaient déjà expérimenté en 2017 contre 1,8 % en 2000. Et cela, en dépit des moyens sécuritaires particulièrement importants que notre pays déploie : aujourd’hui, en France, un·e usager·ère de cannabis est interpellé·e près de toutes les 4 minutes. 

Cette volonté affichée d’une répression accrue et d’une accélération du traitement judiciaire du simple usage de stupéfiants a atteint son paroxysme avec l’extension de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) au simple délit d’usage de stupéfiants. Une telle « déjudiciarisation », faite au détriment de droits fondamentaux tels que l’opportunité des poursuites, le droit d’accès au juge, les droits de la défense ou encore l’individualisation des peines, repose sur une croyance erronée selon laquelle distribuer de manière systématique et massive des AFD permettrait, d’une part, de dissuader les millions de consommateurs et consommatrices de cannabis, sans compter les centaines de milliers concernant les autres drogues, et d’autre part, déstabiliserait le marché tenu par la criminalité organisée. 

Cette hypothèse, appuyée de « succès » médiatisés, ne cache pas la réalité du marché, à savoir une croissance continue de la production et de la consommation de l’ensemble des drogues depuis deux décennies. De plus, cette politique de fermeté conduit à un accroissement des pratiques discriminatoires par la police, comme l’a encore dénoncé la Défenseure des droits en octobre 2023.

Outre son inefficacité sur la consommation, la politique de répression met en danger la santé des populations et les expose à de plus grands risques. En effet, la pénalisation de l’usage de drogues entrave la mise en place de mesures de réduction des risques et des dommages, avec des conséquences socio‑sanitaires dramatiques. C’est notamment le cas lorsqu’un risque grave – telle qu’une surdose – a lieu, nécessitant l’intervention de secours en urgence. Mais c’est également le cas pour les consommateurs et consommatrices en situation d’addiction pour lesquels la loi est un frein majeur à la prise de contact avec les professionnels de santé susceptibles de les aider. Et l’exclusion inhérente à la politique actuelle ne s’arrête pas là puisque ce sont les populations déjà discriminées qui sont les plus touchées par la répression. 

En termes de discrimination sociale d’abord : les personnes en situation de grande précarité (gagnant moins de 300 euros par mois) ont 3,3 fois plus de risque que la moyenne de faire de la prison ferme pour infraction à la législation sur les stupéfiants. En termes de discrimination raciale aussi : les personnes racisées sont surreprésentées parmi les mis en cause pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS), les interpellations et arrestations se focalisant de manière disproportionnée sur les jeunes hommes racisés.

In fine, bien loin de la protection, la sanction pénale est synonyme de discrimination, d’injustice et d’inégalités sociales de santé. Des instances nationales (Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)) et internationales (Organisation des Nations unies (ONU) depuis 2016, comité des ministres de l’Union européenne en décembre 2022, Conseil de l’Europe) ont ainsi critiqué la situation et demandé à plusieurs reprises à l’État français de développer une politique en matière de stupéfiants selon une approche fondée sur les droits humains.

Mais cette politique a également un autre type de coût : celui sur les finances publiques. Et il est particulièrement élevé : en 2018, 1,08 milliards ont été dépensés uniquement par la gendarmerie, la police et les douanes dans la lutte contre les drogues. Et cet investissement financier va crescendo : en 2023, ce sont 1,72 milliards qui sont dédiés à la répression uniquement. Les chiffres sont clairs : l’action répressive représente un gaspillage phénoménal des fonds publics, en ce qu’elle n’empêche pas la consommation de drogues et met en danger la santé et la sécurité des populations – particulièrement les plus vulnérables. Cette analyse largement partagée a été défendue de manière transpartisane et en particulier récemment dans la proposition de loi relative à la légalisation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis sous le contrôle de l’État, de novembre 2021. 

Le coût financier est aggravé par les conséquences néfastes de la politique répressive sur nos services de police et de la justice, qui sont engorgés par des affaires de simple consommation de drogues. À titre d’exemple, parmi les 287 000 interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) en 2022, 90 % concernaient uniquement l’usage simple. La surmobilisation de la justice est tout autant importante : le nombre de condamnations a plus que doublé entre 2004 et 2018 (passant de 34 000 à 76 804).

Dépénaliser les consommations de stupéfiants permettrait ainsi de dégager du temps à la police et la justice pour d’autres missions bien plus importantes pour l’intérêt général. Ce recentrage de leur temps et de leur énergie serait également une solution efficace à la perte de confiance et la défiance de la population française vis‑à‑vis de ses institutions policières et judiciaires.

Des moyens plus importants et davantage spécialisés pourront être mis à la disposition des services de police et judiciaire, grâce à la dépénalisation des usages simples qui permettra le redéploiement de ressources vers la lutte contre la grande criminalité du narcotrafic. Avec cette réorientation des moyens, les effectifs pourront se consacrer plus spécifiquement aux systèmes de blanchiments complexes et aux méthodes d’importations illicites constamment renouvelées afin d’atteindre plus efficacement les organisations criminelles et leurs réseaux. 

Les moyens consacrés à la police d’investigation seront renforcés, par l’augmentation des effectifs d’officiers de police judiciaire dont le nombre est souvent déficitaire en particulier dans les départements subissant le plus le trafic de drogue. Il en sera de même pour les effectifs des services de la police judiciaire spécialisés sur le sujet. Ces brigades devront être sous la responsabilité d’un magistrat.

Reprenant le travail fait par le Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD), groupement inter‑associatif, le texte qui vous est soumis constitue une rupture dans la politique suivie par la France depuis 50 ans. En effet, depuis la loi de 1970, le volet répressif de la politique française des drogues n’a eu de cesse d’être renforcé sans que les pouvoirs publics n’aient procédé à l’évaluation de son efficacité. Le Parlement a pourtant pour prérogative constitutionnelle de contrôler l’action du gouvernement, d’évaluer les politiques publiques et de garantir l’efficacité de la dépense publique, au premier euro. A contrario, les coûts sociaux et sanitaires de l’approche répressive pour les finances publiques ont été mis en lumière par de nombreuses études. En effet, des organisations de la société civile et des universitaires du monde entier reconnaissent la nécessité de supprimer les sanctions pour l’usage et la possession de petites quantités de drogues (ie. celles destinées à l’usage personnel). 

De multiples instances internationales (ONUSIDA, Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Office des Nations unies contre les drogues et le crime, Haut‑Commissariat des Nations unies aux droits humains) se sont accordées pour recommander la dépénalisation de l’usage de drogues, et les Nations unies et l’Organisation mondiale de la santé elles‑mêmes ont lancé en 2017 un appel à l’abrogation des lois répressives portant sur l’usage de drogues. L’Organisation internationale de contrôle des stupéfiants s’accorde sur le fait que la suppression des sanctions pénales pour usage est conforme aux conventions internationales sur les stupéfiants. Certains gouvernements ont déjà fait le choix de suivre ces recommandations : Espagne, Portugal, Mexique, Allemagne, République tchèque, Suisse… Les résultats positifs d’une telle démarche sont nombreux.

L’opinion publique n’est que trop bien consciente de l’ensemble de ces constats : en France, 2 personnes sur 3 jugent inefficaces les politiques répressives actuelles. Les Français·es savent aussi que la place de la santé est en réalité largement mise à l’arrière‑plan par les pouvoirs publics : les trois quarts de la population jugent que l’État ne met pas en place suffisamment d’outils et de campagnes de prévention. La population française est plus que prête au changement de la politique des drogues : elle est dans l’attente de cette dernière.

Les articles 1 à 5 de cette proposition de loi visent donc à supprimer les dispositions du code de la santé publique qui permettent actuellement une répression pénale pour un usage simple de produits stupéfiants, mais maintiennent les sanctions pour les usages problématiques ou dangereux. Ceci afin de recentrer la politique française des drogues sur les questions de santé et de sécurité. 

Les articles 6 à 8 quant à eux, modifient des dispositions diverses de plusieurs codes afin d’intégrer les modifications précitées de l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique.

 


– 1 –

proposition de loi

Chapitre I

Modifications du code de la santé publique

Article 1er

L’article L. 3421‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° La première phrase du deuxième alinéa est ainsi modifiée :

a) Au début, les mots : « Si l’infraction est commise » sont remplacés par les mots : « L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants » ;

b) À la fin, les mots : « , les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende » sont remplacés par les mots : « est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende » ;

3° Le dernier alinéa est supprimé.

Article 2

L’article L. 3421‑4 du code de la santé publique est ainsi modifié : 

1° Au premier alinéa, les mots : « au délit prévu par l’article L. 3421‑1 ou » sont supprimés ; 

2° Le deuxième alinéa est supprimé. 

Article 3

L’article L. 3421‑5 du code de la santé publique est ainsi modifié : 

1° Au premier alinéa, les mots : « au second alinéa de » sont remplacés par le mot : « à » ;

2° Au 1°, les mots : « du second alinéa » sont supprimés ;

3° À la première phrase de l’avant‑dernier alinéa, les mots : « au second alinéa de » sont remplacés par le mot : « à ».

Article 4

Au premier alinéa de l’article L. 3421‑7 du code de la santé publique, les mots : « au second alinéa de l’article L. 3421‑1 et à l’article L. 3421‑6 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 3421‑1 et L. 3421‑6 ».

Article 5

Au premier alinéa de l’article L. 3422‑1 du code de la santé publique, les mots : « à l’article L. 3421‑1 et » sont supprimés.

Chapitre II

Dispositions diverses

Article 6

L’article 41‑2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le 15° est complété par les mots : « lorsque l’intéressé a commis l’infraction prévue à l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique ; » ;

2° Au 17°, les mots : « fait usage de stupéfiants » sont remplacés par les mots : « a commis l’infraction prévue à l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique ».

Article 7

Au premier alinéa de l’article L. 6232‑15 du code des transports, les mots : « du deuxième alinéa » sont supprimés.

Article 8

Au 8° du I de l’article L. 212‑9 du code du sport, la référence : « L. 3421‑1, » est supprimée.