N° 842

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Véronique RIOTTON, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Gabriel ATTAL,

députées et député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Si la violence suscite l’inquiétude et la réprobation générale, il est néanmoins des actes de violence que notre société tolère plus que d’autres ». Ce terrible constat figurait en préambule de l’exposé des motifs de la proposition de loi du 20 avril 1978, qui allait aboutir à la loi du 19 décembre 1980, posant les bases de la définition actuelle du viol. 50 ans plus tard, et 10 ans après la naissance du mouvement #Metoo, la situation a-t-elle réellement évolué ? La parole des victimes s’amplifie mais qu’en est-il de notre « tolérance » collective aux violences sexuelles ? Quelques semaines après le verdict du procès dit « de Mazan », qui aura été à bien des égards le procès de la culture du viol, il est temps d’agir et de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre les violences sexuelles.

En 2023, la discussion de la directive européenne relative à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux violences domestiques a relancé le débat, en Europe et en France, sur la définition pénale du viol. Elle a opposé deux conceptions, qui ne sont pas exclusives, de la définition du crime de viol – entre une définition fondée principalement sur le non-consentement de la victime, et, comme c’est le cas aujourd’hui en droit pénal français, une définition qui se centrerait davantage sur les faits matériels.

Face aux interrogations provoquées par la discussion de cette directive, une mission d’information parlementaire transpartisane a été créée par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale en décembre 2023. Au terme de plusieurs mois d’auditions et de réflexion, le rapport de la mission a conclu à la pertinence d’une réforme de la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. Le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est pour sa part déclaré favorable, en mars 2024, à introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol en droit français, de même que les gardes des Sceaux, Éric Dupont-Moretti puis Didier Migaud, en mars et en octobre 2024.

Pourquoi la question de la redéfinition pénale du viol et des agressions sexuelles se pose-t-elle aujourd’hui ?

Premièrement, parce que bien que les peines aient été renforcées et en dépit des efforts des professionnels, ni la criminalité sexuelle ni la forme d’impunité qui l’entoure n’ont reculé.

Le viol est un phénomène massif et un crime qui demeure très largement impuni. Les statistiques – bien que trop lacunaires en la matière – sont édifiantes. Selon une enquête de l’Institut national de la santé et la recherche médicale de 2024, près de 30 % des femmes de 18 à 69 ans ont déclaré avoir subi une tentative ou un acte sexuel forcé au cours de leur vie, et pour les hommes, près de 9 %, et ces chiffres sont en hausse ([1]). En 2021, selon les données du ministère de l’Intérieur, près de 250 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles, dont 168 000 viols et tentatives de viol ([2]). 8 victimes sur 10 ne portent pas plainte ([3]). En 2021, 24 % des victimes expliquent avoir renoncé à passer la porte du commissariat parce que « cela n’aurait servi à rien », par peur que leur témoignage ne soit pas pris au sérieux par les forces de l’ordre (16 %) ou car elles voulaient éviter que cela ne se sache (10 %)([4]).  Enfin, s’il y a des condamnations, près de 73 % des plaintes pour violences sexuelles étaient classées sans suite selon les chiffres du ministère de la Justice publiés en 2018 ([5]). La justice ne traite donc que le sommet de l’iceberg.

Deuxièmement, parce qu’en dépit des avancées jurisprudentielles et malgré la bonne volonté de certains professionnels, le droit pénal échoue à remplir sa fonction protectrice. 

Pour mémoire, le viol, dont la définition est issue d’une longue histoire au cours de laquelle la jurisprudence et les avancées sociétales ont toujours précédé les modifications de la loi, s’entend de « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Quant à l’agression sexuelle, il s’agit de « toute atteinte sexuelle commise avec violence contrainte, menace ou surprise ».

Aujourd’hui, la jurisprudence, bien que parfois innovante, ne parvient pas à combler le silence de la loi sur la notion de consentement. L’interprétation large des éléments matériels (violence, contrainte, menace, surprise) par les juges ne permet pas de couvrir un grand nombre de cas – sidération, situations d’emprise et de coercition, stratégies développées par certains agresseurs d’exploitation de la vulnérabilité des victimes. 

Par ailleurs, la caractérisation de l’élément intentionnel étant le plus souvent déduite du recours à une forme de violence, contrainte, menace ou surprise, il en résulte souvent une impossibilité de poursuivre ou de condamner. Quelle que soit la bonne volonté de certains professionnels, d’ailleurs mieux formés aujourd’hui, si le juge du fond qualifie un acte de viol ou d’agression sexuelle sans démontrer l’usage de la violence, la contrainte, la menace, ou la surprise, il prive sa décision de base légale. Pire, le silence de la loi sur le consentement peut être instrumentalisé par les mis en cause et se retourner contre les victimes (« je ne pouvais pas savoir » ; « il ou elle n’a rien dit » ; « il ou elle n’a pas réagi »).

Cette situation a de terribles conséquences pour les victimes de violences sexuelles, tout au long de la procédure judiciaire : de grandes difficultés à porter plainte, certaines victimes ne parvenant pas à se reconnaître dans la définition actuelle du viol ; un nombre anormalement élevé de classements sans suite, notamment faute de caractérisation de l’infraction ; une proportion inquiétante de cas de traumatismes secondaires lors de la procédure judiciaire – non moins de huit affaires jugées en France ont fait l’objet d’une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme, et une concentration disproportionnée de l’appareil judiciaire sur le comportement de la victime.

Troisièmement, parce que pour mieux lutter contre la culture du viol, la loi doit être la plus claire et lisible possible. Le droit pénal ne remplit aujourd’hui qu’imparfaitement sa fonction expressive en matière de viol et d’agressions sexuelles.

La terminologie utilisée aujourd’hui dans le code pénal contribue au maintien d’un stéréotype sociétal sur ce qu’est une « bonne » victime – qui résiste, se débat, est exemplaire dans son comportement, et un « vrai » viol – avec violence et contrainte, par un monstre ou un étranger. Il nourrit aussi des préjugés sur une forme de « présomption de consentement » ou de « disponibilité sexuelle » des victimes – « il y a viol et viol » ; « qui ne dit mot consent ». Pourtant, à la simple lecture de la loi, il devrait être facilement compréhensible que toute personne initiant un contact sexuel devrait s’assurer du consentement libre et éclairé de l’autre, qu’une personne inconsciente ou endormie n’est pas en mesure de consentir à un contact sexuel, que l’absence de réaction n’est pas une forme de consentement ou encore que les situations d’emprise ou de vulnérabilité faussent les conditions de ce consentement. C’est parce qu’il y a consentement libre et éclairé que l’on peut faire la différence entre sexualité et violence. Dans sa fonction expressive, la loi a un rôle à jouer dans les efforts collectifs pour remplacer la culture du viol par une culture du consentement libre, exprimant ainsi des valeurs sociétales d’égalité et de respect. L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle des jeunes générations devrait pouvoir s’appuyer sur un droit plus lisible par nos concitoyens, jeunes et moins jeunes.

Enfin, parce que nos engagements internationaux et l’exemple de nos voisins européens nous invitent à changer de paradigme.

Notre droit doit s’aligner avec nos engagements internationaux et notre diplomatie féministe. La Convention d’Istanbul, ratifiée par la France, fait clairement référence à l’absence de consentement, examiné à la lumière des circonstances environnantes, dans la définition du viol. Dans son rapport d’évaluation de 2019, le GREVIO, organe chargé du suivi de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, a souligné qu’en France, « la définition juridique des infractions sexuelles n’est pas fondée de manière explicite sur le consentement libre et non équivoque de la victime ».

Le GREVIO considère qu’en s’alignant sur la définition de la Convention, la France pallierait les insuffisances qui ressortent de l’évaluation à savoir : « d’un côté, une forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise ; d’un autre côté, l’incapacité desdits éléments probatoires à englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération ». Par ailleurs, 15 pays sur les 27 membres de l’Union européenne ont intégré la notion de consentement dans la définition du viol, avec, pour certains, des résultats probants sur le nombre de condamnations, la protection des victimes et la lutte contre les stéréotypes. Enfin, les Nations-unies ont souligné les lacunes du droit français et la Cour européenne des droits de l’Homme a été saisie des risques de victimisation secondaire et des stéréotypes dangereux qu’il pourrait entretenir (interrogation du comportement et du passé sexuel de la victime ; stéréotypes sur ce que serait un « vrai » viol, commis avec violence notamment, ou encore une « bonne » victime, qui se débat et proteste par exemple).

En d’autres termes, en matière de violences sexuelles, le droit pénal français non seulement n’est pas conforme à nos engagements internationaux, mais il échoue aujourd’hui à remplir les grandes fonctions du droit que sont la répression, la protection et l’expression. Jamais les pouvoirs publics, et en particulier la justice, n’ont été autant interpellés sur les limites de la réponse apportée aux violences sexuelles.

La présente proposition de loi vise à tirer les conséquences de ce constat dans le droit positif. 

En premier lieu, le texte introduit la notion de non-consentement dans la définition pénale des agressions sexuelles. L’absence de consentement est en effet ce qui doit faire la différence entre la sexualité et la violence. Comme illustré lors du procès dit « de Mazan », la notion de consentement est omniprésente dans les débats sociétaux et tout au long des débats judiciaires tout en étant absente du code pénal. Il est proposé de combler ce silence de la loi en introduisant la notion de non-consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles. Pour être efficace et pédagogique, la nouvelle définition du viol doit préciser que le consentement doit être librement accordé, spécifique et qu’il peut être retiré avant ou pendant l’acte à caractère sexuel.

Par ailleurs, les quatre critères de la définition actuelle, c’est-à-dire la référence au recours à la violence, à la menace, à la contrainte et à la surprise, sont conservés, afin de consolider l’acquis jurisprudentiel et de préserver le régime probatoire des agressions sexuelles. La définition proposée intègre la jurisprudence telle qu’elle a été construite par les juges au fil des années. Il ne s’agit pas d’affaiblir ces critères.

Le texte précise, conformément à la Convention d’Istanbul, que le non-consentement est apprécié au regard des circonstances environnantes. Par cette référence, il s’agit d’amener les enquêteurs et les juges à examiner davantage les agissements du mis en cause et d’éviter, comme c’est le cas aujourd’hui, que l’investigation ne soit centrée uniquement sur la victime, entraînant de trop nombreux cas de traumatismes secondaires, ou que la notion de consentement ne se retourne contre elle (stratégies d’exploitation de la vulnérabilité des victimes par certains agresseurs).

L’élément d’intentionnalité pourra ainsi être mieux caractérisé, et les stratégies mises en place pour obtenir le consentement, mieux décelées. L’enquête ne devrait plus porter sur la seule victime, comme c’est le cas aujourd’hui, mais s’attacher à caractériser le faisceau d’indices qui permettra de saisir si le mis en cause a mis en place des mesures raisonnables pour recueillir le consentement de la victime.

Enfin, afin de ne pas tomber dans les « pièges du consentement », un certain nombre de précisions ont été apportées, qui doivent servir de garde-fous. Sont ainsi précisés les cas où le consentement ne saurait être déduit. Les cas où la victime n’est pas en mesure d’exprimer son refus sont pris en compte (sommeil, inconscience, sidération conduisant au silence ou à une absence de résistance). La présente proposition de loi vise également à mieux tenir compte des cas où le mis en cause exploite les vulnérabilités d’une personne, voire même les aggrave, dans une forme de stratégie de l’agresseur très souvent décrite par les victimes et les organisations féministes.

Bien sûr, nul ne prétend que la nouvelle définition proposée, à elle seule, mettra fin aux violences sexuelles. La seule modification de la loi ne peut suffire à répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes, qui sont multifactorielles. Le crime de viol est un phénomène d’ampleur qui s’enracine dans des rapports de genre inégaux et se nourrit d’une culture du viol qu’il faut réfuter et combattre. Par ailleurs, les obstacles demeureront, car le viol est un crime de l’intime qui rend souvent difficile l’administration de la preuve. La honte et le silence y sont souvent associés et le temps joue contre les victimes. Enfin, pour que la réforme porte ses fruits, les moyens mis à disposition des services de l’État, que ce soit les forces de sécurité ou la justice, devront être renforcés, ainsi que les conditions d’accompagnement des victimes tout au long de la procédure judiciaire. Les victimes, les associations qui les accompagnent et les professionnels le disent depuis longtemps, ils doivent être entendus. La réforme du code pénal ne peut nous dispenser d’un effort collectif et global des pouvoirs publics contre les violences sexuelles et la culture du viol. Cette proposition de loi ne prétend pas per se y mettre fin. Ce n’est pas la fin du chemin, car c’est un combat qui se mesure sur des années, voire des générations.

Cependant, c’est une pierre à l’édifice pour passer d’une culture du viol à une culture de l’égalité, changement de paradigme attendu par les victimes, les organisations féministes, les professionnels, et une grande partie de la société.

 

 


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proposition de loi

Article unique

La section 3 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :

1° L’article 222‑22 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots : « non consentie commise sur la personne de l’auteur ou sur la personne d’autrui » ;

b) Après le même premier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Dans la présente section, le consentement suppose que celui‑ci a été donné librement. Il est spécifique et peut être retiré avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. Il ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la personne.

« Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise.

« L’absence de consentement peut être déduite de l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité, temporaire ou permanente, de la personne, ou de la personne vis‑à‑vis de l’auteur. » ;

2° L’article 222‑22‑1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, le mot : « premier » est remplacé par le mot : « troisième » ;

b) Au deuxième alinéa, le mot : « premier » est remplacé par le mot : « troisième » ;

3° Au premier alinéa de l’article 222‑22‑2, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « qui n’y consent pas, notamment » ;

4° L’article 222‑23 est ainsi modifié :

a) Après la première occurrence du mot : « acte », sont insérés les mots : « non consenti » ;

b) Après le mot : « bucco‑génital », sont insérés les mots : « ou tout acte bucco‑anal » ;

c) Après le mot : « auteur », il est inséré le mot : « notamment ».

 

 


([1])  Institut national de la santé et la recherche médicale (Inserm), Contexte des sexualités en France, novembre 2024.

([2])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité », victimation - délinquance et sentiment d’insécurité, décembre 2023.

([3])  Ministère de l’Intérieur, Les violences sexuelles hors cadre familial enregistrées par les services de sécurité en 2023, Interstats n° 33, mars 2024.

([4])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité », victimation - délinquance et sentiment d’insécurité, décembre 2023.

([5])  Ministère de la Justice, Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction, Infostat Justice n° 160, mars 2018.