– 1 –

N° 1208

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un arrêt de travail indemnisé et à un aménagement en télétravail pour menstruations incapacitantes,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Mickaël BOULOUX, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Boris VALLAUD, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM,

députés et députées.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis quelques années, la santé des femmes est de mieux en mieux prise en compte dans le droit du travail. Ainsi, en vertu d’un amendement à la loi n° 2016‑1088 du 8 août 2016 « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels », la période d’interdiction de rupture d’un contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité a été prolongée, passant de quatre à dix semaines. Cette mesure est inscrite dans le code du travail à l’alinéa 1 de l’article L. 1125‑4‑1 : « Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les dix semaines suivant la naissance de son enfant. »

Dans le prolongement de la protection des droits des femmes en matière de droit du travail, la loi n° 2023‑567 du 7 juillet 2023 « visant à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche » prévoit diverses mesures protectrices des salariées – travailleuses salariées, artisanes, commerçantes ou professionnelles libérales. Le texte prévoit ainsi, à compter du 1er janvier 2024, qu’en cas de constat d’une incapacité de travail faisant suite à une interruption spontanée de grossesse ayant lieu avant la 22ᵉ semaine d’aménorrhée, l’indemnité journalière versée par la sécurité sociale est accordée sans délai, c’est‑à‑dire sans délai de carence, à la différence d’un arrêt maladie classique. Par ailleurs, le texte de loi prévoit aussi une interdiction de licenciement de la salariée concernée durant les dix semaines suivant la fausse couche survenue entre la 14ᵉ et la 21ᵉ semaine de grossesse incluse.

Qu’il s’agisse de la loi de 2016 ou de celle de 2023, ces deux textes partent d’une prise en compte nécessaire de la santé des femmes dans le milieu professionnel, sachant que les femmes sont les plus touchées par des interruptions de carrière liées à leur grossesse et à leur maternité. De fait, en 2018, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) relevait ainsi que 1,9 million de femmes étaient inactives en France (contre 800 000 hommes), dont 35 % pour des raisons familiales, ce pourcentage n’étant que de 4 % pour les hommes.

Au‑delà des événements limités dans le temps ou exceptionnels que sont les états de grossesse, les congés maternités ou les fausses couches, il importe que le législateur agisse pour que la santé des femmes au quotidien soit réellement prise en compte dans leur vie professionnelle. Le droit du travail doit permettre aux femmes de poursuivre leur carrière professionnelle dans les mêmes conditions de sérénité que les hommes, sachant qu’elles représentent plus de la moitié de la population active en France. Outre les différences – en leur défaveur – de salaires, dans leur position au sein des entreprises ou dans les évolutions de carrières qu’elles subissent, il importe que le droit du travail soit davantage protecteur à l’égard des femmes en prenant véritablement en compte la santé féminine au travail.

Certains groupements ou entreprises – et non des moindres – ont déjà engagé des actions concrètes en la matière. Ainsi, la Fédération Syntec, en collaboration avec les organisations syndicales, a marqué un tournant sociétal en signant un accord inédit au sein de la branche. Cet accord, entré en vigueur le 1ᵉʳ mai 2023, a permis la délivrance d’une autorisation d’absence exceptionnelle de deux jours aux femmes et à leur conjoint ou conjointe suite à une interruption spontanée de grossesse avant la 22ᵉ semaine d’aménorrhée, cet arrêt de travail, accordé sur présentation d’un certificat médical dans les 15 jours suivant l’événement, n’étant pas déductible des congés et n’entraînant pas de réduction de salaire. De même, depuis l’été 2023 et avant même l’adoption et la mise en application de la loi du 7 juillet 2023, le groupe Carrefour a mis en place un dispositif spécial permettant aux collaboratrices de bénéficier de jours d’arrêts adaptés en fonction de leurs pathologies, telles que les fausses couches, la procréation médicalement assistée (PMA) ou encore l’endométriose.

À l’instar du groupe Carrefour, de plus en plus d’employeurs ont fait le choix de prendre en charge l’arrêt menstruel de certaines de leurs salariées via l’octroi de jours de congés payés supplémentaires et en facilités de télétravail. C’est le cas notamment du séminaire sur les Coopératives de l'économie sociale et solidaire (SCOOP) à Montpellier, « La Collective », de l’entreprise Marédoc (dans l’Hérault), de la société toulousaine Louis Design ou encore de l’éditeur parisien Critizr, qui ont été auditionnés sous la 16e législature par les deux principaux auteurs de la présente proposition de loi. De même, le Parti socialiste, dont M. Mickaël Bouloux et Mme Fatiha Keloua‑Hachi sont membres, assure cette prise en charge, ainsi que plusieurs collectivités territoriales comme la ville de Saint‑Ouen, le département de la Seine‑Saint‑Denis, la métropole de Lyon, la municipalité d’Abbeville, la région Nouvelle aquitaine, le Grand ouest toulousain, le Grand Poitiers ou encore Rennes Métropole.

Cependant, l’État, via les préfectures, a récemment exigé de mettre fin aux expérimentations d’arrêts menstruels mis en place par certaines collectivités sous forme d’autorisations spéciales d’absence (ASA), au motif qu’elles ne reposeraient sur aucun fondement juridique.

Aussi, alors que les auteurs de la présente proposition de loi avaient déjà déposé en 2023 et 2024 deux textes similaires, il importe désormais que la France reconnaisse pleinement l’absence des salariées en raison des menstruations douloureuses, d’autant que cette mesure existe déjà en Espagne. Notre voisin transpyrénéen est en effet devenu le premier pays européen à légiférer en ce sens après l’adoption, le 16 février 2023 un projet de loi pour créer un arrêt menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses.

La loi espagnole permet dorénavant un « arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes » liées, par exemple, « à des pathologies comme l’endométriose ». Cet arrêt sera « reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire » de travail. Le texte précise par ailleurs que l’enjeu est d’«  accorder à cette situation pathologique une réponse adaptée afin d’éliminer tout biais négatif [pour les femmes] dans le monde du travail ». Enfin, l’arrêt de travail, qui devra être accordé par un médecin et qui sera financé par la Sécurité sociale, n’a pas de limitation dans sa durée.

D’autres pays avant l’Espagne avaient déjà ouvert la voie à une législation permettant aux femmes de s’absenter de leur travail en raison de leurs règles. C’est ainsi le cas du Japon et de la Corée du Sud, où cet arrêt est très majoritairement sans solde, ou encore de l’Indonésie, de Taïwan et de la Zambie, qui prévoient pour leur part le paiement d’arrêts menstruels.

En conséquence, la présente proposition de loi vise à faire entrer l’arrêt menstruel dans notre code du travail et à lever le tabou autour des cycles menstruels et de leurs conséquences physiques et mentales. Les effets indésirables des règles douloureuses (dysménorrhée) sont bien connus et particulièrement handicapants : douleurs abdominopelviennes, crampes, spasmes, fatigue, diarrhées, maux de tête, vertiges, nausées et vomissements notamment.

Pour certaines femmes, touchées par des pathologies liées aux cycles menstruels telles que l’endométriose, ces symptômes peuvent être aggravés et ainsi devenir d’autant plus handicapants dans leur vie professionnelle. Selon le ministère de la santé, 2,5 millions de femmes seraient touchées par l’endométriose soit 10 % des femmes menstruées.

Pour se voir délivrer une ordonnance valable un an et ouvrant droit à des jours d’arrêt menstruel, les personnes souffrant de menstruations incapacitantes devront se rendre chez un médecin ou une sage‑femme. Ce rendez‑vous annuel doit permettre de mieux diagnostiquer les maladies liées aux menstruations. Aujourd’hui, il faut en moyenne sept ans pour qu’une femme victime d’endométriose soit correctement diagnostiquée ([1]). Cette proposition de loi vise donc également à réduire le retard de diagnostic des personnes victimes de menstruations incapacitantes.

L’inscription d’un arrêt menstruel dans le code du travail s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont la chambre sociale a reconnu, dans un arrêt du 12 juillet 2017, qu’un accord collectif peut bénéficier aux seules salariées de sexe féminin, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes.

L’article 1er prévoit la possibilité, pour un médecin ou une sage‑femme, de prescrire un arrêt maladie de treize jours maximum valable un an, pour une durée ne pouvant pas excéder deux jours par mois, pour les personnes souffrant de menstruations incapacitantes. Il fixe également les conditions d’une prise en charge, par l’assurance maladie, de l’arrêt maladie en cas de menstruations incapacitantes, sans jour de carence. Cet article 1er prévoit enfin que l’agent public n’aura pas de jour de carence lorsqu’il s’absentera en cas de menstruations incapacitantes.

L’article 2 inscrit dans le code du travail les mesures liées à l’instauration d’un arrêt menstruel en cas de menstruations incapacitantes sur justificatif médical mais sans préavis. Il laisse la possibilité aux entreprises d’accorder sous la forme d’un arrêt à sa charge une meilleure prise en charge via une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche. Il prévoit également que les agents publics bénéficient d’autorisations spéciales d’absence liées à l’arrêt menstruel sans que ces absences soient considérées comme des congés annuels et dans les conditions médicales prévues à l’article 1er de la présente proposition de loi.

L’article 3 prévoit, aussi bien dans le secteur privé que public, le recours au télétravail pour motif de menstruations incapacitantes. Cette possibilité ne se substitue pas au droit à l’arrêt pour menstruations incapacitantes.

L’article 4, enfin, gage la proposition de loi.

 

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après le chapitre 9 du titre VI du livre Ier, il est inséré un chapitre 9 bis ainsi rédigé :

« Chapitre 9 bis

« Prise en charge des personnes souffrant de menstruations incapacitantes

« Art. L. 16914. – Le médecin ou la sage‑femme qui constate qu’une assurée souffre de menstruations incapacitantes établit une prescription d’arrêt de travail de treize jours, valable pendant un an, autorisant l’assurée à interrompre le travail pour une durée ne pouvant excéder deux jours par mois. » ;

2° L’article L. 321‑1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’assurance maladie assure également le versement d’indemnités journalières lorsque l’assurée interrompt le travail après y avoir été autorisée dans les conditions fixées à l’article L. 169‑14 du présent code. » ;

3° Après l’article L. 323‑1‑1, il est inséré un article L. 323‑1‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 323‑1‑11. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 323‑1, en cas d’incapacité de travail résultant de menstruations incapacitantes, l’indemnité journalière est accordée sans délai. » ;

4° Après l’article L. 323‑4, il est inséré un article L. 323‑4‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 323‑4‑1 A.  Par dérogation à l’article L. 323‑4, l’indemnité journalière versée dans le cas visé à l’article L. 323‑1‑1‑1 est égale à la totalité des revenus d’activité antérieurs soumis à cotisations à la date de l’interruption du travail, retenus dans la limite d’un plafond et ramenés à une valeur journalière.

II. – Le II de l’article 115 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est complété par un 8° ainsi rédigé :

« 8° À l’arrêt menstruel mentionné à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale. »

Article 2

I. – Après la section 3 du chapitre VI du titre II du livre II de la première partie du code du travail, est insérée une section 3 bis ainsi rédigée :

« Section 3 bis

« Arrêt menstruel

« Art. L. 1226221. – La salariée a droit, sur justification mais sans préavis, à un arrêt menstruel dans les conditions fixées à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale. La durée de cet arrêt ne peut être imputée sur celle du congé payé annuel.

« Art. L. 122622‑2. – En cas de différend, le refus de l’employeur peut être directement contesté par la salariée, visé à l’article L. 1226‑22‑1, devant le conseil de prud’hommes, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

« Art. L. 122622‑3. – Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peuvent prévoir d’accorder un arrêt menstruel à la salariée souffrant de menstruations incapacitantes pouvant être pris en supplément des jours indemnisés en application de l’article L. 321‑1 du code de la sécurité sociale. Les jours d’arrêt ainsi accordés sont à la charge de l’employeur.

II. – La section 1 du chapitre II du titre II du livre VIII du code général de la fonction publique est complétée par un article L. 822‑5‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 82251. – Les agents publics bénéficient d’un arrêt menstruel dans les conditions fixées à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale. »

Article 3

I. – Après la première phrase du premier alinéa de l’article L. 430‑1 du code général de la fonction publique, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le recours au télétravail est accordé à l’agent public atteint de menstruations incapacitantes, telles que mentionnées à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale, qui en fait la demande. »

II. – Le II de l’article L. 1222‑9 du code du travail est complété par un 8° ainsi rédigé :

« 8° Les modalités de recours au télétravail pour les travailleurs dont les menstruations incapacitantes telles que mentionnées à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale et qui en font la demande. »

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 


([1])  Source : ministère de la santé et de la prévention, données consultables sur ce lien : https://www.sante.fr/endometriose/le-diagnostic-souvent-tardif-de-lendometriose