N° 1960

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à réformer les bourses sur critères sociaux et lutter contre la précarité étudiante,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Soumya BOUROUAHA, M. Édouard BÉNARD, M. Julien BRUGEROLLES, M. Jean-Victor CASTOR, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Nicolas SANSU, M. Emmanuel TJIBAOU,

députées et députés.


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Depuis plusieurs décennies, la condition étudiante en France se caractérise par une précarité profonde et persistante que la crise sanitaire de la Covid-19 a brutalement mise en lumière. Les récentes enquêtes de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), de la DREES ou encore les travaux récents du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques à l’Assemblée nationale convergent vers un même constat : la vie étudiante reste marquée par des fragilités matérielles, sociales et économiques importantes.

Le coût de la vie étudiante explose. Selon l’UNEF, il a augmenté de près de 30 % depuis 2010, avec une hausse de +8,8 % pour la seule rentrée 2023. Les dépenses contraintes – logement, transports, alimentation – absorbent désormais plus de 70 % du budget étudiant.

Près d’un étudiant sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. L’aide parentale représente en moyenne plus de 40 % de leurs ressources, accentuant les inégalités selon l’origine sociale. La décohabitation constitue un facteur majeur de vulnérabilité : 40 % des étudiants qui quittent le domicile familial sont en situation de pauvreté monétaire. Beaucoup doivent recourir à un emploi salarié pour financer leurs études, au risque d’en compromettre la réussite, tandis que les phénomènes de renoncement aux soins ou à l’alimentation se multiplient.

Les bourses sur critères sociaux (BCS), dont bénéficient aujourd’hui environ 677 271 étudiantes et étudiants, constituent le principal outil public de soutien direct à la vie étudiante. Elles jouent un rôle décisif pour l’accès, la poursuite d’études et la réussite des étudiants. Mais un constat s’impose aujourd’hui le système actuel ne répond plus aux besoins. Il ne permet ni de lutter efficacement contre la précarité, ni d’assurer une réelle égalité des chances.

Cette faiblesse est d’abord le résultat d’un système qui n’a pas su évoluer avec les réalités sociales et économiques. L’un des aspects les plus révélateurs en est l’absence d’un mécanisme automatique de revalorisation des barèmes et des montants des bourses. Longtemps, le barème a été révisé chaque année : entre 1998 et 2011, il a été revalorisé à chaque rentrée universitaire, garantissant la stabilité du nombre de bénéficiaires. Mais cette pratique a cessé : depuis 2013, en dehors de la création des échelons 0 bis et 7, le barème est resté quasiment inchangé pendant dix ans. La réforme de 2023, avec une revalorisation de 6 % des plafonds de ressources et une augmentation de 37 € mensuels des montants de bourses versés pour l’ensemble des échelons, n’a constitué qu’un rattrapage partiel, alors que le SMIC augmentait de 15 % entre 2011 et 2021.

L’absence d’indexation entraîne un effet mécanique : des milliers d’étudiants ont ainsi perdu leur droit à la bourse simplement parce que les revenus familiaux franchissaient les plafonds sans que leur situation réelle n’ait changé. D’autres ont été rétrogradés dans les échelons inférieurs, voyant le montant de leur aide diminuer.

L’absence de revalorisation ne se traduit pas seulement par une perte de pouvoir d’achat : elle provoque une éviction mécanique. Le nombre de boursiers, qui dépassait 712 000 en 2016, est ainsi tombé à 677 271 en 2023-2024, soit près de 70 000 bénéficiaires en moins alors même que la population étudiante augmentait. Cette exclusion s’accompagne de la perte de droits connexes essentiels – exonération des frais d’inscription et de contribution à la vie étudiante, exclusion de la restauration universitaire à tarif social – qui alourdit encore le coût des études pour les familles concernées.

 

De surcroit, les bourses sur critères sociaux ne sont versées que sur dix mois, calquées sur l’année scolaire de septembre à juin. Pourtant, les charges afférentes à la vie étudiante ne s’interrompent pas durant la période d’été. Durant ces deux mois, nombre d’étudiants continuent à payer leur loyer, à changer de logement, à s’acheter des manuels ou du matériel informatique, tout cela afin d’étudier dans les meilleures conditions. Contraints par ces deux mois sans bourse, les étudiants sont nombreux à occuper des emplois d’été qui n’ont aucun lien avec leurs études pour continuer à subvenir à leurs besoins. Ainsi, l’annualisation des bourses sur critères sociaux est une mesure d’urgence pour répondre à cette période où les étudiants sont toujours en formation en études supérieures mais ne sont pas aidés malgré la continuité de leurs charges.

La présente proposition de loi répond à ces situations par une réforme ciblée, simple et rapide à mettre en œuvre. Il ne s’agit pas d’une refonte globale du système – dont la nécessité est largement reconnue – mais de mesures d’urgence, capables d’avoir des effets immédiats et concrets : préserver la valeur réelle des bourses, stopper l’exclusion silencieuse de milliers d’étudiants, garantir à celles et ceux qui en ont besoin l’accès effectif à leurs droits et ouvrir les droits à la bourse sur toute une année universitaire.

Cette réforme corrigerait par ailleurs une anomalie devenue difficilement justifiable. Les bourses étudiantes sont aujourd’hui la seule grande prestation sociale dont le montant n’est pas automatiquement ajusté à l’évolution des prix. Leur stabilité dépend de décisions ponctuelles, arbitraires, budgétaires et parfois espacées de plusieurs années. L’instauration d’un mécanisme d’indexation permettrait de mettre fin à cette exception injustifiée.

Ainsi, l’article premier vise à introduire au sein du Code de l’Éducation le principe de l’indexation des taux et des barèmes des bourses sur critères sociaux ainsi que celui de l’annualisation sur douze mois de son versement.

L’article deux de cette proposition de loi constitue le gage financier. Ce gage n’a pas vocation à s’appliquer. Si le Gouvernement partage l’ambition de ce texte, il lui appartiendra de le lever et d’inscrire les moyens nécessaires dans la prochaine loi de finances.

Pour toutes ces raisons, il vous est proposé d’adopter la présente proposition de loi.

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proposition de loi

Article 1er

Après le premier alinéa de l’article L. 821‑1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’objectif redistributif mentionné au premier alinéa est principalement assuré par le système de bourses sur critères sociaux. Les barèmes et les taux de la bourse sont indexés sur l’évolution de l’indice national des prix à la consommation institué comme référence par voie réglementaire. Cette aide est versée en douze mensualités. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

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