N° 2608
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à introduire la « clause de l’Européenne la plus favorisée »,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par Mesdames et Messieurs
Fatiha KELOUA HACHI, Boris VALLAUD, Marie‑Noëlle BATTISTEL, Marietta KARAMANLI, Cécile UNTERMAIER, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Roger VICOT,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes », selon l’article 8 du TFUE. La promotion de l’égalité femme‑homme incombe ainsi à l’Union européenne.
De ses textes fondateurs, comme le Traité de Rome en 1957 qui pose le principe d’égalité de rémunération, à sa Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000 qui consacre le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, l’Union européenne a ainsi érigé cette égalité entre les femmes et les hommes comme un principe fondamental. Quant à la Cour de Justice de l’Union européenne, elle la considère, de jurisprudence constante, comme « un droit fondamental de la personne humaine, une mission et un objectif de l’Union européenne ».
Cependant, faute de toucher à des domaines qui relèvent de la compétence propre de l’Union, la politique européenne en faveur des femmes se fonde essentiellement sur du « soft law », c’est‑à‑dire, des recommandations, résolutions, programmes d’action, feuilles de route, dont la mise en œuvre reste facultative. À titre d’exemple, la dernière « Stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes 2020‑2025 » de la Commission européenne, si elle témoigne de son engagement à faire progresser la politique d’égalité entre les femmes et les hommes, n’a engagé aucune disposition contraignante et reste donc inopérante.
Ainsi, une fois les principes posés, la pleine égalité entre les hommes et les femmes reste un objectif lointain. Les progrès sont lents et ne sont pas irréversibles.
Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en 2019 ([1]), les États membres n’obtiennent qu’une note de 67,4 points sur 100 concernant l’indice d’égalité de genre, une note qui ne s’est améliorée que de 5,4 points depuis 2005.
Plus particulièrement dans le domaine du travail, les femmes subissent encore de nombreuses discriminations, tant dans l’accès à l’emploi qu’au niveau des rémunérations, des parcours professionnels, de l’accès aux responsabilités. La différence entre le taux d’emploi des femmes et celui des hommes dans l’Union européenne est de 11,6 %, l’écart de rémunération est de 15,7 %. Pire, l’écart en matière de pension de retraite est de 30,1 %. D’autre part, dans les plus grandes sociétés cotées de l’Union européenne, seuls 7,5 % des présidents de conseil d’administration et 7,7 % des PDG sont des femmes, et les équipes de fondateurs exclusivement masculines reçoivent près de 92 % de l’ensemble des capitaux investis en Europe.
Sur l’équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle, les femmes consacrent en moyenne 22 heures par semaine à des tâches familiales et domestiques contre 9 heures seulement pour les hommes.
Les mêmes discriminations ou disparités se retrouvent aussi au niveau politique où la sous‑représentation des femmes demeure flagrante dans la vie publique : au sein des parlements nationaux des États membres, seulement 32,2 % des députés sont des femmes. Lors des élections européennes de 2019, 39 % des députés étaient des femmes, contre 37 % en 2014.
Même constat en ce qui concerne la violence, elle atteint davantage les femmes sous ses diverses formes et est encore largement répandue dans tous les pays européens : 33 % des femmes dans l’Union européenne ont déjà subi des violences physiques et/ou sexuelles et 55 % ont été victimes de harcèlement sexuel.
Enfin, sous l’influence des mouvements conservateurs, plusieurs pays européens ont connu ces dernières années un recul du droit à l’avortement et plus globalement de la protection des droits sexuels et reproductifs. Même dans les pays dans lesquels il était reconnu depuis les années 50, à l’instar de la Pologne ou de la Hongrie, le droit à l’avortement a pu être restreint.
Ainsi l’égalité entre les femmes et les hommes est loin d’être pleinement réalisée dans les États membres, elle varie considérablement d’un pays à l’autre et de récents changements de législations démontrent que les droits des femmes sont remis en cause au gré des alternances politiques. Face à ce besoin d’une véritable protection juridique, les auteurs de cette proposition de résolution européenne considèrent que chaque femme européenne, quel que soit son lieu de résidence, doit pouvoir bénéficier des droits les plus avancés mis en œuvre par un État membre de l’Union européenne. Chaque femme européenne doit pouvoir bénéficier tant de la politique menée par l’Espagne dans la lutte contre les violences faites aux femmes, qui a instauré, dès 2004, une approche multidisciplinaire de la prévention et du traitement de la violence de genre ; que de la politique menée en Scandinavie sur l’égalité salariale, comme la Suède, qui connaît, depuis 1974, une politique égalitaire de l’enfance, en remplaçant des congés de maternité par des congés parentaux rémunérés et en développant parallèlement le service public de l’enfance qui garantit en pratique une place en crèche pour tous les enfants.
Pour cela, les auteurs de cette proposition de résolution pensent que les institutions européennes doivent adopter un instrument juridique spécifique définissant un statut unique applicable aux femmes dans chaque État membre. Il permettrait de faire respecter les droits fondamentaux des femmes tels que la liberté de disposer de leur corps, mais également la définition de normes effectives pour atteindre les objectifs posés en faveur d’une égalité professionnelle et politique entre les hommes et les femmes.
Ils reprennent les propositions de résolution n° 2261 de. M. Jean‑Marc Ayrault ([2]) et n° 2168 de Mme Marie‑Hélène Amiable ([3]), visant à introduire la « clause de l’Européenne la plus favorisée », toutes deux rejetées par l’Assemblée nationale en février 2010.
Pour rappel, cette « clause de l’Européenne la plus favorisée » est portée par l’association « Choisir la cause des femmes » créée en 1974 par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. Gisèle Halimi la proposait déjà en 1994 lors de sa candidature au Parlement européen. Elle s’inspire du droit commercial : dans les accords internationaux de commerce, il existe une clause dite de la nation la plus favorisée qui consiste à ce qu’un État, lorsqu’il donne des avantages particuliers à un autre état, doit également les donner aux autres états signataires de l’accord commercial. Envisagée afin de mettre en lumière les difficultés inégales des femmes au sein de l’Union européenne, la clause de l’européenne la plus favorisée permettrait ainsi de remédier à une double inégalité, entre les hommes et les femmes, puis entre les Européennes elles‑mêmes.
Concrètement, elle impliquerait qu’une femme française puisse bénéficier des règles de congés parentaux de la Suède avec un congé long, des règles de partage, d’alternance, entre les deux parents et la possibilité de le fractionner jusqu’à l’âge de huit ans, de manière à pouvoir prendre des journées ou demi‑journées selon les besoins de l’enfant (garde de l’enfant pour les demi‑journées sans école, maladie, congés, formalités, etc.). De la même manière qu’une femme polonaise puisse demander l’accès à l’avortement dans les mêmes conditions qu’une femme hollandaise, sans devoir justifier d’un viol ou d’un danger pour sa vie, jusqu’à 18 semaines. En matière d’interruption volontaire de grossesse, cette clause devrait être complétée de l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Depuis plusieurs années, le Conseil de l’Europe s’est emparé du sujet. En 2010 ([4]), il a notamment reconnu l’objectif de « promouvoir les lois les plus avancées en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes en Europe » ([5]) engageant ainsi des travaux de droit comparé pour répertorier les législations les plus avancées en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Il a également créé la Commission pour l’égalité entre les femmes et les hommes (GEC) qui mène des travaux intergouvernementaux dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes. Toutefois, la simple « promotion » et l’ » encouragement » des États restent inopérants faute d’être contraignants.
Aujourd’hui, dans le cadre des élections européennes, la liste du Parti Socialiste et de Place Publique, portée par M. Raphaël Glucksmann, place « la clause de l’Européenne la plus favorisée » au cœur de son programme. Il est temps que l’Europe fasse de cet outil de justice et de progrès, au service des Européennes, une priorité politique.
proposition de résolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale, ;
Vu l’article 88‑4 de la Constitution, ;
Vu l’article 2 du Traité sur l’Union européenne qui établit que l’égalité est une valeur fondatrice de l’Union et commune aux États membres dans une société caractérisée par l’égalité entre les femmes et les hommes, ;
Vu l’article 3 du Traité sur l’Union européenne qui énonce que l’Union promeut l’égalité entre les femmes et les hommes, ;
Vu l’article 8 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui précise que pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, ;
Vu l’article II‑23 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union indiquant que l’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération, ;
Vu l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ;
Vu la Convention du 18 décembre 1979 de l’organisation des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son protocole, ;
Vu le trentième anniversaire en 2025 du programme d’action de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en septembre 1995, au travers duquel les gouvernements se sont engagés à veiller à ce que le souci d’équité entre les sexes imprègne toutes les politiques et tous leurs programmes,
Vu la recommandation 1949 (2010) « Promouvoir les lois les plus avancées en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes en Europe » du Conseil de l’Europe,
Vu la communication du 5 mars 2020 de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes 2020‑2025 » (COM 2020, 152 final),
Vu la ratification par l’Union européenne de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, le 28 janvier 2023,
Considérant que, malgré les instruments juridiques européens et internationaux, il reste encore de nombreuses inégalités entre les hommes et les femmes, dans tous les secteurs de notre société ;
Considérant de surcroît que, si la situation des femmes s’est améliorée dans certains États membres de l’Union européenne, d’autres en revanche connaissent des régressions voire la négation des droits fondamentaux des femmes ;
Considérant que la cause des femmes doit passer par une harmonisation par le haut des législations sur l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que sur le respect de leurs droits, notamment concernant le choix de donner la vie, le droit de la famille, la lutte contre les violences faites aux femmes, la représentation en politique et le travail ;
Considérant que chaque avancée de la condition féminine fait avancer la société toute entière ;
– au niveau national, à présenter devant le Parlement d’ici au 31 décembre 2024 un rapport présentant les dispositions législatives et réglementaires des États membres de l’Union les plus progressistes à l’égard des femmes et les préconisations pour aligner la législation française sur ces dispositions ;
– au niveau européen, à proposer dans le cadre des futures négociations visant à modifier les Traités européens l’introduction d’un instrument législatif spécifique dédié à la « clause de l’Européenne la plus favorisée » permettant une harmonisation vers le haut des droits des femmes en un statut unique.
2° Invite la Commission européenne, dans le cadre des priorités de la prochaine législature 2024‑2029 et en attendant la modification éventuelle des traités européens, à proposer un paquet législatif comprenant à la fois des propositions de directives et de recommandations, selon les domaines de compétence concernés, visant à harmoniser par le haut l’ensemble des droits des femmes dans l’Union européenne.
([1]) Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE): https://eige.europa.eu/gender-equality-index/2019 .
([2]) https://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/13/propositions/pion2261/(index)/resolutions-europe/(archives)/index-resolutions
([3]) https://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/europeenne_plus_favorisee.asp
([4]) Résolution 1780 (2010) ; Recommandation 1949 (2010)
([5]) https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=17933&lang=fr