N° 2613

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à prendre en compte la cherté de la vie en outre-mer dans le calcul de la retraite des fonctionnaires ultramarins,

 

présentée par

M. Stéphane LENORMAND, M. Max MATHIASIN, M. Olivier SERVA,

députés.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un retraité qui réside dans les Outre‑mer touche en moyenne une pension inférieure à ce que perçoit un retraité qui vit en France hexagonale.

Il en résulte une plus forte précarité de cette tranche de la population. En Guyane, 15 % des retraités sont en situation de grande pauvreté, 11 % à La Réunion et en Guadeloupe, et 9 % en Martinique, contre 1 % dans l’Hexagone ([1]).

Ces données doivent être corrélées à un coût de la vie sur place également supérieur à celui de l’Hexagone : en 2022, les écarts de prix (indices de Fisher) pour les produits alimentaires sont de +42 % entre la Guadeloupe et la France hexagonale, +40 % pour la Martinique, +39 % pour la Guyane, +37 % pour La Réunion et +30 % pour Mayotte ([2]).

L’absence de cotisation des fonctionnaires ultramarins sur le ou les compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires, pour compenser notamment la cherté de la vie, dans le calcul du montant de leur pension de retraite, relève donc d’une véritable anomalie. Pour rappel, cette sur‑rémunération est de l’ordre de 40 % du traitement indiciaire de base aux Antilles‑Guyane ainsi qu’à Mayotte et de 53 % à La Réunion.

Arrivés au stade du départ à la retraite et n’ayant pas cotisé sur ces compléments de rémunération tout le long de leur carrière, nombre d’entre eux vivent un déclassement et s’enlisent dans des situations économiques précaires.

C’est au regard de ce constat que depuis de nombreuses années, est demandée aux Gouvernements successifs, la possibilité de cotiser sur cette sur‑rémunération au cours de la carrière.

Cette mesure aurait déjà pu être adoptée lors de l’examen du projet de loi instituant un régime de retraite universelle en 2020. À ce titre, Mme Annick Girardin, ministre des Outre‑Mer de l’époque, s’était montrée favorable à la mesure. Lors d’une séance de questions au Gouvernement le 28 Janvier 2020, elle a indiqué que « L’intégration de la surrémunération dans le calcul des retraites réduira le phénomène de baisse de pouvoir d’achat lors du départ en retraite pour les fonctionnaires résidant en Outremer ».

Tel que le laissait entendre un courrier envoyé aux parlementaires le 10 janvier 2020, une amorce de travail en ce sens a été menée par le Gouvernement. Il était prévu, selon ce courrier, qu’une partie de cette sur‑rémunération soit donc « soumise à cotisation, à l’instar des autres primes ». « S’agissant des cotisations salariales, elles seront mises en œuvre de manière progressive sur 15 ans, l’employeur prenant à sa charge la différence par rapport à la cotisation totale ». Durant la séance de questions au Gouvernement susvisée, la Ministre précisait que « le plafond de l’assiette de surrémunération sur laquelle [s’appliqueraient] les cotisations [serait] fixé par décret ».

Les députés ultramarins souhaitent donc s’inscrire dans le prolongement des précédentes tentatives.

Ainsi, les députés de Guadeloupe, MM. Olivier Serva et Max Mathiasin, à travers des amendements déposés dans le cadre du PLFSSR 2023 (Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour l’année 2023), ont proposé que les fonctionnaires des trois versants de la fonction publique, exerçant dans l’ensemble des territoires – Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique, Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon – où la sur‑rémunération dite « vie chère » s’applique, puissent cotiser sur cette prime dans le cadre de leurs droits à pension de retraite.

Par ailleurs, les problématiques que rencontrent les fonctionnaires ultramarins bénéficiant de l’ITR (indemnité temporaire de retraite), ne doivent pas être obérées. Mise en place par deux décrets du 10 septembre 1952 et du 24 décembre 1954 pour les fonctionnaires d’État de certains territoires d’Outre‑mer qui pour certains, ont depuis pris leur indépendance, elle concerne aujourd’hui les fonctionnaires de l’État, les militaires et les magistrats de La Réunion, la Nouvelle‑Calédonie, Wallis‑et‑Futuna, la Polynésie française, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et Mayotte. Étrangement, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n’ont jamais été concernées par cette indemnité.

Plus concrètement, elle est destinée à compenser la cherté de la vie dans ces territoires d’Outre‑mer. Cette « surpension » est fixée en pourcentage de la pension reçue et en fonction du territoire concerné : elle s’élevait à 35 % à La Réunion et à Mayotte, à 40 % à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et à 75 % dans les trois collectivités du Pacifique : Nouvelle‑Calédonie, Polynésie française et îles Wallis‑et‑Futuna. 

Cette indemnité est aujourd’hui en voie d’extinction car remise en question par la réforme du 30 décembre 2008 ([3]) qui a acté son extinction progressive, avec deux principes :

– la sauvegarde des avantages acquis : les agents déjà à la retraite conservent à vie le montant de leur ITR, sauf pour les plus grosses pensions pour lesquelles un plafond a été fixé ;

– une progressivité dans la mise en extinction de cette indemnité (dégressivité du plafond), la réforme s’échelonnant jusqu’en 2028.

Pour rappel, cette réforme avait été acceptée par toutes les parties prenantes à condition qu’un système de cotisations sur les primes et indemnités soit mis en place pour améliorer le niveau des retraites.

Ainsi, pour faire face à cette situation le député M. Stéphane Lenormand a proposé dans le cadre des PLFSS 2023 et 2024 (projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et 2024), par voie d’amendement, de stopper la progressivité dans la mise en extinction de cette indemnité et de maintenir le dispositif existant jusqu’à la mise en place d’un système de substitution. Il a demandé par ailleurs d’étendre en urgence ce dispositif aux fonctions publiques hospitalière et territoriale dont les agents pâtissent d’une inflation contextuelle, doublée d’une cherté de la vie intrinsèque aux territoires concernés.

Cependant le Gouvernement n’a pas souhaité revenir sur l’ancien dispositif et a proposé un nouveau mécanisme lors de l’examen du PLF 2024 (projet de loi de finances pour 2024), introduit par un amendement gouvernemental. Ce dernier devait consister à une sur‑cotisation volontaire au régime de retraite additionnelle de la fonction publique, proposée aux fonctionnaires d’État pour remplacer l’ITR.

Néanmoins, compte tenu d’un manque de clarté et de transparence sur l’application de ce dispositif, les députés ultramarins formulent cette proposition de résolution qui tend à envoyer un signal fort aux agents de la fonction publique en Outre‑mer dont les montants des pensions de retraite ne sont pas à la hauteur du contexte économique et ne reflètent pas le niveau de vie acquis durant la carrière.

L’objectif de cette proposition de résolution est avant tout de rappeler au Gouvernement ses engagements passés et de reprendre les discussions autour de la retraite des fonctionnaires ultramarins.

L’article unique invite le Gouvernement à relancer les négociations et les travaux en étroite concertation avec les partenaires sociaux, les élus des collectivités concernées, les employeurs de la fonction publique hospitalière ainsi qu’avec les parlementaires ultramarins.

Voter cette proposition de résolution permettrait ainsi de sortir du blocage actuel, insatisfaisant pour l’ensemble des parties, afin d’aboutir ensemble dans un délai raisonnable à une solution équitable : assurer aux fonctionnaires ultramarins une retraite leur permettant de faire face au niveau de vie sur leur territoire d’Outre‑mer.

 


– 1 –

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 341 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008,

Vu la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024,

Vu le code général de la fonction publique, notamment son article L.741-1,

Vu le rapport d’information déposé par la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale sur le projet de loi instituant un régime de retraite universel le 10 février 2020,

Vu le rapport d’information déposé par la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie dans les Outre-mer le 3 décembre 2020,

Vu le rapport d’information déposé par la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale sur la réforme de l’indemnité temporaire de retraite (ITR) le 23 juillet 2021,

Vu le rapport d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution du 20 juillet 2023,

Considérant que les territoires ultramarins, du fait de leurs spécificités, notamment l’éloignement géographique, le poids de l’histoire dans leur construction et l’étroitesse de leur marché économique, sont placés dans une situation de rupture d’égalité économique, sociale et territoriale avec l’Hexagone,

Considérant que la cherté de la vie, en particulier pour les produits de première nécessité, est d’une grande brutalité pour l’ensemble des citoyens ultramarins,

Considérant que le coût de la vie impacte directement l’ensemble des fonctionnaires retraités des trois fonctions publiques – étatique, hospitalière et territoriale – résidant dans un territoire d’Outre-mer,

Considérant que pour ces fonctionnaires ultramarins retraités, le différentiel de niveau de vie entre leur période d’activité professionnelle et leur retraite conduit à un déclassement économique et social,

Considérant que ce déclassement résulte de l’absence de prise en compte des compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires pour le calcul de la retraite,

Considérant l’absence d’avancées concrètes dans le cadre des discussions tendant à la revalorisation des retraites des fonctionnaires ultramarins et le risque de blocage,

Invite le Gouvernement à initier une grande concertation avec toutes les parties prenantes afin d’étudier l’ensemble des mesures et propositions susceptibles d’améliorer les pensions des fonctionnaires ultramarins pour leur redonner du pouvoir d’achat,

Appelle le Gouvernement à consulter les acteurs de chacun des onze territoires ultramarins afin d’assurer une prise en compte de leurs spécificités,

Propose au Gouvernement de définir un cadre de négociations clair avec des objectifs ciblés relatifs notamment, à la prise en compte, pour le calcul de la retraite des fonctionnaires, des compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans les territoires ultramarins, ainsi qu’au dispositif de substitution de l’indemnité temporaire de retraite,

Incite le Gouvernement à mener une réflexion visant à définir une clef de répartition et à prendre en compte le volontariat dans le financement des mesures issues de ces concertations, 

Souhaite que, dans un délai raisonnable, le Gouvernement et les parties prenantes aboutissent à la mise en place de dispositifs concrets assurant une amélioration réelle et durable du pouvoir d’achat des fonctionnaires ultramarins.

 

 

 

 

 

 

 


([1]) INSEE, La grande pauvreté bien plus fréquente et beaucoup plus intense dans les DOM, INSEE Focus, 11 juillet 2022

([2]) INSEE, En 2022, les prix restent plus élevés dans les DOM qu’en France métropolitaine, en particulier pour les produits alimentaires, Insee Première, 11 Juillet 2023

([3]) Article 137 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.