N° 2708
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
relative aux politiques de santé environnementale mises en place dans les Antilles françaises au travers de la lutte contre les pollutions au chlordécone et aux sargasses,
présentée par
M. Nicolas SANSU, M. Marcellin NADEAU, M. Jiovanny WILLIAM, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Sébastien JUMEL, Mme Emeline K/BIDI, M. Tematai LE GAYIC, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Fabien ROUSSEL, M. Jean-Marc TELLIER, M. Christian BAPTISTE, M. Mickaël BOULOUX, M. Éric COQUEREL, Mme Catherine COUTURIER, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, M. Olivier FAURE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Johnny HAJJAR, M. Arnaud LE GALL, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Max MATHIASIN, Mme Marianne MAXIMI, M. Paul MOLAC, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Claude RAUX, Mme Claudia ROUAUX, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Ersilia SOUDAIS, M. Matthias TAVEL, M. Léo WALTER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 29 mai 2023, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a examiné les conclusions du rapport présenté par M. Nicolas Sansu portant sur l’évaluation de deux dispositifs financés par le programme 162 des interventions territoriales de l’État (PITE) de la mission budgétaire Cohésion des territoires : le plan Chlordécone IV (action 08) et le plan Sargasses 2 (action 13).
Le chlordécone est un pesticide qui fut utilisé de 1972 à 1993, de manière dérogatoire, pour lutter contre le charançon dans les plantations de bananes en Martinique et en Guadeloupe. Appliqués souvent à mains nues, ces épandages ont conduit, du fait de la toxicité de la molécule, à la contamination de nombreux travailleurs agricoles. Outre la contamination des travailleurs, les propriétés particulières de la molécule, qui lui permettent de rester fixée plusieurs dizaines d’années, conduisent à une pollution pérenne des sols, puis des eaux de surface, souterraines et proche côtières. Cette pollution se transmet ensuite aux animaux (bétail, crustacés, poissons) ainsi qu’à certains fruits et légumes (en particulier les légumes racinaires), conduisant par le biais de l’alimentation à la contamination d’une partie importante de la population.
Les sargasses sont une algue brune qui depuis 2011 s’échoue sur une partie du littoral de la Martinique et de la Guadeloupe. D’abord ponctuels, les épisodes d’échouement se sont intensifiés ces dernières années en étant plus récurrents et surtout plus importants en volume. Outre la pollution visuelle et les problèmes d’accès aux plages et aux ports pour les professionnels, la putréfaction des algues échouées est la source d’émission de gaz, dont l’hydrogène sulfuré (H2S) qui s’avère particulièrement désagréable à l’odorat mais également particulièrement toxique pour l’organisme. Les sargasses contenant également de fortes concentrations en arsenic et, parfois, en chlordécone, leur détérioration peut également conduire à une pollution des sols et des eaux.
Si ces deux pollutions peuvent sembler n’avoir pour seul point commun que leur localisation géographique, les similitudes sont en fait plus nombreuses. Concernant les causes d’abord, il est acquis que les deux phénomènes résultent de l’action directe ou indirecte de l’homme (pour le développement des sargasses, le changement climatique est identifié comme un facteur d’amplification).
Les deux phénomènes soulèvent également un enjeu de santé environnementale majeur pour les deux territoires. Si le fait générateur concernant la pollution au chlordécone est désormais éteint, la pollution des sols et des eaux devrait persister pendant plusieurs dizaines d’années, voire plusieurs siècles. Quant aux sargasses, malgré la mise en place de dispositifs visant à empêcher les échouements, ces derniers devraient continuer à se produire et à dégager des gaz nocifs pour la population. Dans les deux cas, le problème de santé environnementale emporte avec lui des enjeux économiques, environnementaux et sociaux auxquels la puissance publique doit répondre.
Ces réponses, c’est l’objet des deux plans précédemment cités : le plan Chlordécone IV établi pour la période 2021-2027 et le plan Sargasses 2 établi pour la période 2022-2025. Si chacun des dispositifs présente des limites propres, deux difficultés communes peuvent être mises en évidence : d’une part, les difficultés de coordination avec les pouvoirs publics locaux et, d’autre part, une mauvaise perception et une faible appropriation des mesures par la population.
Pour être comprises, ces deux difficultés doivent être mises en lien avec un contexte postcolonial toujours très présent, duquel découle une incompréhension, voire une défiance entre les habitants et les élus de ces territoires et l’État. Ce contexte se traduit par la persistance de structures issues de l’économie coloniale (monoculture bananière, forte concentration des terres agricoles, monopoles économiques), l’absence de concertation et de différenciation de certaines politiques publiques qui s’avèrent dès lors en inadéquation avec les usages et les modes de vie locaux et, enfin, l’absence de réparation de l’État pour les deux îles à la suite de la contamination au chlordécone, vécue par certains comme un empoisonnement, un sentiment renforcé à la suite du non-lieu prononcé par la justice.
Analyser l’efficacité des dispositifs mis en place et tenter de les améliorer ne pourra se faire qu’à l’aune de ce contexte particulier. Les évolutions purement techniques qui peuvent s’avérer nécessaires ne seront malgré tout pas suffisantes si elles n’intègrent pas ce contexte de tension sociale et les évolutions plus globales qu’il induit en matière de santé environnementale.
C’est la raison pour laquelle la présente proposition de résolution suggère au Gouvernement d’instituer un Observatoire antillais de la santé environnementale pour coordonner la surveillance, la recherche, et la gestion des crises liées au chlordécone et aux sargasses. Cet observatoire servira de plateforme pour rassembler les données, promouvoir des études scientifiques, et élaborer des stratégies préventives en matière de santé environnementale, renforçant ainsi la réponse aux enjeux sanitaires et environnementaux de ces territoires.
Le plan Chlordécone IV : Des politiques de prévention et de traitement freinées par leur inadéquation aux réalités locales et par l’absence de réparation de l’État
Apprendre à vivre avec le chlordécone en limitant les risques d’exposition environnementale de la population antillaise
Le plan chlordécone établi pour la période 2021-2027 est le quatrième plan visant à lutter contre les effets de la pollution diffuse au chlordécone. Le niveau de mobilisation (140 millions d’euros), comparé au premier plan mis en place en 2008 (20 millions d’euros), traduit une évolution dans le degré de prise de conscience par l’État de la gravité de la pollution et de la nécessité d’agir.
Face à la persistance de la pollution des sols et des eaux et à l’absence de procédés scientifiques efficaces à grande échelle pour l’annihiler, le dispositif s’est aujourd’hui recentré sur le « vivre avec, sans risque », avec des actions visant à accroître l’information disponible, à limiter les risques d’exposition de la population et à renforcer le développement de la recherche scientifique. Le plan se décline essentiellement par la mise en place de prélèvements visant à identifier le niveau de contamination au chlordécone dans le sang, dans les sols, dans l’alimentation ou encore dans l’eau potable.
Pour ce qui concerne la population générale, chaque habitant a ainsi d’ores et déjà la possibilité d’effectuer un test de chlordéconémie gratuitement, avec ordonnance en Guadeloupe et sans en Martinique. Les potentielles sources de contaminations sont ensuite testées par les contrôles sur les denrées alimentaires vendues et l’eau potable. Malgré des taux de conformité élevés (97,6 % en moyenne pour les deux îles), le fort développement dans ces territoires de circuits économiques informels (potager, marchands ambulants), plus faiblement contrôlés, pourrait laisser présager des taux de conformité effectifs moins bons. De la même manière, si les taux de conformité de l’eau potable sont proches de 100 %, les eaux de surfaces ou sources de « bord de route » restent très contaminées alors même qu’elles sont utilisées par les populations ou pour l’irrigation.
Pour ce qui concerne les particuliers ayant recours à des productions domestiques, des analyses de sols sont elles aussi possibles gratuitement. Le programme « Jardins familiaux » (JAFA) accompagne chaque foyer dans la mise en place de son potager pour sélectionner les produits les moins risqués compte tenu de la pollution des sols. Ces tests de sol sont également disponibles pour les agricultures volontaires, permettant ainsi de développer progressivement une cartographie de la contamination des sols. De la même manière, des programmes d’accompagnement existent pour les éleveurs avec des dispositifs de décontamination des bovins (grâce à des changements de pâturage ou l’utilisation de plateformes hors-sol durant la fin de vie). Il convient néanmoins de noter que les délais de résultats de certains tests restent particulièrement longs, en raison de l’absence criante de capacités analytiques locales suffisantes.
L’ensemble de ces mesures de prévention visent ainsi à limiter les risques d’exposition par l’environnement et les risques sanitaires pour la population. Malgré un succès réel auprès des participants, ces dispositifs restent toutefois peu connus et finalement assez peu utilisés, ce qui peut faire douter sur leur faisabilité et leur efficacité à plus grande échelle.
Dans ce contexte, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à opérer un ensemble d’évolutions concernant les dispositifs du plan Chlordécone IV, notamment une amplification des contrôles sanitaires des circuits informels de distribution alimentaire, une harmonisation et une simplification des procédures de réalisation et de remboursement des tests de dosage de chlordéconémie, une intensification des analyses et de la cartographie des sols en augmentant le nombre de prélèvements annuels, ainsi qu’une amélioration des capacités analytiques locales nécessaires à la réalisation de l’ensemble de ces tests.
Elle invite également le Gouvernement à intensifier le financement et les efforts de recherche sur les effets du chlordécone en soutenant les projets axés sur la modélisation de la diffusion de la pollution, sur l’impact sanitaire, notamment pour les pathologies féminines et les travailleurs agricoles, ainsi que sur le développement de méthodes de remédiation applicables en conditions réelles et l’étude des produits de dégradation du chlordécone.
Elle suggère enfin de renforcer la médiation scientifique et d’améliorer la diffusion de l’information sur le chlordécone et ses impacts auprès du grand public et des professionnels de santé en Guadeloupe et en Martinique, en utilisant des moyens de communication adaptés à la perception locale du sujet et en s’appuyant sur des tiers de confiance comme les professionnels de santé, les élus locaux et les acteurs associatifs.
Compléter le caractère purement préventif des plans par la mise en place d’une véritable politique de réparation et d’indemnisation
La faible appropriation de l’information par la population locale est l’une des principales critiques qu’on peut opposer au plan actuel qui souffre d’un manque de notoriété mais aussi, parfois, d’une certaine défiance vers la parole institutionnelle. Si les moyens de communication et la place centrale de l’État dans ceux-ci doivent sans doute être revus, force est de constater que toute mesure visant à lutter contre le chlordécone restera inaudible tant que les questions centrales concernant la responsabilité et la réparation ne seront pas traitées politiquement. La responsabilité, c’est d’abord celle d’un modèle de domination coloniale qui a conduit à la monoculture et à l’utilisation abusive d’un pesticide. La réparation, c’est répondre à la quête de justice pour l’ensemble des victimes de cette pollution. Aujourd’hui, ces deux sujets obligent la République, car chacun sait qu’un tel scandale dans l’hexagone aurait été géré bien autrement et avec célérité.
Dans ce cadre, il ressort que le dispositif actuel d’indemnisation des victimes du chlordécone, mis en œuvre dans le cadre du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), s’avère totalement inopérant. Au 18 mars 2024, soit après plus de trois ans de fonctionnement, 174 dossiers ont été reçus par le FIVP pour les départements de Martinique et de Guadeloupe et seulement 66 rentes sont aujourd’hui versées. Pour les Caisses générales de sécurité sociale (CGSS) de Martinique et de Guadeloupe, le montant moyen d’une rente versée à un bénéficiaire est respectivement de 4 350 euros et de 2 989 euros par an. Au total, l’indemnisation au titre du FIVP pour les bénéficiaires de rentes en Martinique et en Guadeloupe s’élève en mars 2024 à 197 477 euros par an.
Ce très faible recours s’explique par le fait que le champ d’application de l’indemnisation est restreint aux seuls exploitants agricoles et salariés ayant effectué l’épandage du chlordécone ainsi que leurs enfants ayant été exposés durant la période de parentalité, ce qui exclut l’ensemble des victimes environnementales. Cette faiblesse s’explique également par la complexité dans la constitution des dossiers (problématique concernant les travailleurs non déclarés) malgré le soutien apporté par plusieurs associations d’aide aux victimes sur les deux territoires.
Face à cet échec, il semble aujourd’hui essentiel de revoir en profondeur la procédure d’indemnisation et de créer un fonds d’indemnisation (sur le modèle du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA), géré par un établissement public indépendant et offrant une réparation intégrale pour toutes les victimes de maladies liées à une exposition au chlordécone, qu’elles soient professionnelles ou environnementales, ainsi que pour l’ensemble de leurs ayants droit.
Par ailleurs, la question de la réparation ne doit pas effacer la question de la responsabilité. Pour beaucoup d’habitants, la décision de non-lieu définitif du 5 janvier 2023, après seize années de procédure, a été vécue comme un déni de justice. Face à la difficulté pointée par les juges de rapporter la preuve des faits dénoncés 15 ou 20 ans après leurs perpétuations, la question d’une modification des modalités d’application de la prescription dès lors que l’infraction poursuivie résulte d’une pollution des sols, de l’air ou de l’eau semble devoir être posée pour l’avenir.
Ainsi, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à créer un fonds d’indemnisation spécifique géré par un établissement public indépendant, en partie financé par une augmentation de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques et la création d’une contribution spécifique sur le chiffre d’affaires des grands producteurs de bananes, et offrant une réparation intégrale pour toutes les victimes de maladies liées au chlordécone, qu’elles soient professionnelles ou environnementales, ainsi que pour l’ensemble de leurs ayants droit.
Le plan sargasses 2 : une sous-mobilisation des moyens et une coordination difficile malgré l’ampleur du phénomène et le risque sanitaire majeur
Accentuer la mobilisation de l’État et améliorer la coordination entre les acteurs pour faire face efficacement au phénomène
Depuis 2011, la Guadeloupe et la Martinique font face à des échouements de sargasses principalement situés sur la côte atlantique de ces îles. Si les premiers échouements pouvaient sembler isolés, les récents épisodes ont démontré une amplification du phénomène, tant au niveau de la fréquence que du volume. Le plan Sargasses 2, qui regroupe l’ensemble des mesures visant à faire face aux sargasses, tire les conséquences de la pérennisation du phénomène par la mise en place d’une réponse opérationnelle durable. Il mobilise près de 36 millions d’euros sur la période 2022-2025 et s’articule autour de trois axes :
– un axe préventif visant à assurer une prévision des échouements par Météo France et à renforcer la surveillance sanitaire par la mise en place d’un réseau de capteurs fixes ;
– un axe opérationnel concernant la collecte des algues en proche côtier (barrages flottants), le ramassage à la main ou par le biais de dispositifs mécanisés, le stockage et l’éventuelle valorisation des sargasses lorsque les algues sont échouées ;
– un axe de recherche portant sur la compréhension du phénomène, les pollutions engendrées, les conséquences pour la santé de la population exposée et les modalités de valorisation.
De manière globale, s’il est indéniable que l’ensemble des axes du plan font l’objet d’une montée en puissance, celle-ci semble malgré tout insuffisante aux vues de l’ampleur et de l’intensification du phénomène.
Concernant les réponses opérationnelles, celles-ci progressent mais restent insuffisantes. Les opérations de collectes en mer s’appuient sur un système de barrages flottants qui permet de bloquer les algues en proche côtier, de les ramasser sur un bateau collecteur (appelé « Sargator »), de les transférer sur une barge de stockage qui les immerge ensuite en mer (opération de clapage). Pour le ramassage au sol, celui-ci s’opère par des outils mécaniques ou manuellement. Pour l’heure, le niveau d’investissement réalisé reste très inférieur aux besoins constatés sur le terrain pour assurer une réponse opérationnelle suffisante en cas d’afflux de sargasses similaire à celui constaté en 2018.
Il est à mettre en lien avec le coût de ces investissements, puisqu’un seul « sargator » vaut environ 500 000 euros, un mètre de linéaire de barrage 250 euros, et une cribleuse à sargasses à 65 000 euros. Ainsi, à titre d’exemple, l’installation de 7 kilomètres de barrage sur le territoire d’une commune, combiné à l’acquisition de 2 « sargators » et de 4 engins de collecte à terre, peut déjà conduire à un besoin en investissement de l’ordre de 3 millions d’euros, auxquels il faut ajouter les coûts de fonctionnement et d’entretien. Preuve que les crédits actuels s’avèrent insuffisants, les deux préfectures mobilisent aujourd’hui pour faire face aux besoins leurs dotations de droit commun, tel que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), au détriment des projets de droit commun portés par les autres collectivités territoriales.
De la même manière, le niveau de connaissance sur le sujet, bien qu’en progression, reste limité, tout particulièrement pour ce qui concerne les effets sanitaires des échouements. S’il est acquis que la putréfaction de l’algue produit de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac, la composition précise du gaz dégagé n’a toujours pas été identifiée. Dès lors, la connaissance précise des conséquences sanitaires sur les personnes exposées reste limitée.
Ce tâtonnement est aussi visible concernant la gouvernance du plan en lien avec les différentes collectivités territoriales impliquées. En Guadeloupe, un groupement d’intérêt public (GIP) a été créé pour regrouper dans la gouvernance l’État et l’ensemble des acteurs locaux impliqués. Pour autant, la gestion opérationnelle étant effectuée par les communes, un syndicat mixte ouvert (SMO) devrait être mis en place pour devenir le bras armé opérationnel du GIP. En Martinique, un GIP est en cours de finalisation et deviendra l’opérateur unique mais seuls l’État, la collectivité de Martinique et les trois EPCI feront partie de la gouvernance opérationnelle du GIP, excluant les communes qui sont pourtant l’échelon opérationnel des politiques mises en place.
Dans ce contexte, il semble essentiel de définitivement sortir de la phase de gestion de crise des dispositifs pour enfin déboucher sur une phase pleinement opérationnelle, à la hauteur des enjeux et des besoins constatés sur le terrain. Pour cela, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à accroître significativement les financements mobilisés pour la gestion des sargasses en Martinique et Guadeloupe, non seulement pour l’acquisition de matériel spécialisé, mais également pour les coûts de fonctionnement et de maintenance à la charge des communes. Ce financement supplémentaire pourrait s’appuyer sur la mise en place d’une taxe additionnelle sur la taxe de séjour.
Elle invite également à rationaliser et uniformiser les structures de gouvernance pour la gestion des sargasses en Martinique et en Guadeloupe, afin de réduire la complexité administrative, d’améliorer l’efficacité de la réponse aux échouements de sargasses et d’intégrer toutes les parties prenantes, en particulier les communes.
Elle invite enfin à intensifier la recherche sur la composition des gaz émanant de la décomposition des sargasses et sur les effets sanitaires de l’exposition chronique aux émanations de sulfure d’hydrogène et autres gaz issus de la décomposition des sargasses.
Élargir impérativement les actions du plan pour couvrir l’ensemble des risques sanitaires, environnementaux et matériels
Les conséquences des échouements de sargasses en ce qui concerne la santé environnementale appellent des mesures pour couvrir l’ensemble des risques sanitaires, environnementaux et matériels.
En matière de collecte des sargasses, il existe aujourd’hui un enjeu de sécurité pour les travailleurs effectuant la collecte manuelle des algues en putréfaction sur le littoral dans la mesure où ces opérations exposent les travailleurs à des substances toxiques. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) recommande ainsi de limiter l’exposition des travailleurs par le port de détecteurs et le port d’équipements de protection individuelle. Pour autant, force est de constater que le protocole qui intègre des gants, des bottes et des demi-masques filtrants anti-gaz, ou encore une cagoule à ventilation assistée, semble difficilement applicable au regarde de l’aspect physique des tâches et les conditions climatiques applicables. Dans une logique similaire, les recommandations à destination de la population générale pour prévenir les risques d’exposition aux gaz s’avèrent inadaptées aux réalités locales, invitant la population à se mettre à l’abri ou à utiliser des purificateurs d’air.
Outre ces risques sanitaires pour la population et les travailleurs, l’échouement des sargasses présente des risques environnementaux particulièrement forts au niveau des sites de stockages. Au nombre de 8 en Martinique et de 17 en Guadeloupe, ils sont situés principalement en arrière-plage, souvent à même le sol et sans traitement particulier. De plus, en l’absence de dispositifs de valorisation efficace et pérenne, la capacité de stockage des sites s’avère insuffisante et conduit parfois à des stockages sauvages.
De telles conditions posent un problème de pollution majeure pour les sols, mais aussi pour les eaux, notamment en raison de la forte concentration en arsenic du lixiviat issu des sargasses. Il semble donc plus que jamais indispensable de répondre aux enjeux techniques, financiers et environnementaux pour le stockage des algues collectées en augmentant sa capacité et en créant un encadrement juridique adapté aux contraintes locales et aux risques environnementaux identifiés. Il semble aussi essentiel de clarifier le débat juridique concernant le statut de l’algue afin d’identifier juridiquement les responsabilités de chacun des acteurs.
Enfin, au-delà des conséquences sur la santé et l’environnement, l’exposition aux gaz de putréfaction entraîne une dégradation des biens contenant des métaux, notamment le matériel électrique, électroménager et les toitures des maisons. Il existe en effet un lien de causalité scientifiquement établi entre les sargasses et la corrosion des métaux, du fait notamment de l’émission d’hydrogène sulfuré. La dégradation de ces biens à un coût financier significatif pour les populations, auquel il faut ajouter la dévalorisation significative des biens immobiliers, du fait des nuisances dues aux sargasses. L’arrêt du 15 juin 2022 de la Cour de cassation dispose d’ailleurs que les algues sargasses peuvent être considérées comme un vice caché extérieur au bien vendu. Face à des enjeux financiers importants, il semble nécessaire d’explorer l’ensemble des pistes juridiques et assurantielles permettant de couvrir les personnes exposées.
Pour toutes ces raisons, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à mener une réflexion sur la définition d’un cadre juridique et financier pour indemniser les victimes des dommages matériels causés par les sargasses, y compris la corrosion des métaux des appareils électroniques et électroménagers, et la dépréciation des biens immobiliers.
Elle suggère également au Gouvernement d’examiner la faisabilité de l’adaptation aux conditions réelles sur le terrain des mesures de protection des travailleurs impliqués dans la collecte des sargasses mais également de la population générale. Elle estime enfin nécessaire d’accroître les capacités et d’améliorer les conditions de stockage des sargasses.
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proposition de DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu les articles 46, 54 et 57 de la loi organique modifiée n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances,
Vu les travaux de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques le 29 mai 2024,
Considérant la pollution persistante et étendue des sols, des eaux et des produits alimentaires en Martinique et en Guadeloupe, résultant de l’utilisation du chlordécone de 1972 à 1993, et la toxicité durable de cette substance pour l’environnement et la santé humaine ;
Considérant l’échouement récurrent et massif des algues sargasses sur les côtes martiniquaises et guadeloupéennes depuis 2011, entraînant des nuisances environnementales, sanitaires et économiques majeures, ainsi qu’un risque de pollution des sols en arsenic ;
Considérant l’impact de ces deux pollutions sur les travailleurs agricoles, les professionnels de la pêche et du tourisme, les travailleurs chargés de la collecte des sargasses et la population générale des deux îles, avec des risques accrus de maladies chroniques et de troubles de santé liés à l’exposition au chlordécone ou aux émissions de gaz toxiques résultant de la putréfaction des sargasses ;
Considérant les plans Chlordécone IV (2021‑2027) et Sargasses 2 (2022‑2025) mis en place par l’État pour répondre aux crises environnementales et sanitaires, mais dont l’efficacité est limitée par une faible appropriation des mesures par la population et un sentiment de défiance et d’incompréhension envers l’État ;
Considérant les lacunes dans le dispositif d’indemnisation des victimes du chlordécone, limité aux seuls exploitants agricoles, excluant ainsi de nombreuses victimes environnementales et s’avérant inopérant en ce qui concerne le nombre de bénéficiaires et les montants versés ;
Considérant les insuffisances des moyens matériels et de coordination dans la gestion des échouements de sargasses et le besoin d’améliorer la gouvernance et l’implication des communes dans ces dispositifs ;
Considérant la nécessité d’une approche globale et intégrée des politiques de santé environnementale, incluant des évolutions techniques, des efforts accrus de communication et de médiation scientifique, et la mise en place d’un Observatoire antillais de la santé environnementale pour coordonner la surveillance, la recherche, et la gestion des crises liées au chlordécone et aux sargasses ;
1. Invite le Gouvernement à instituer un Observatoire antillais de la santé environnementale pour coordonner la surveillance, la recherche, et la gestion des crises liées au chlordécone et aux sargasses ;
2. Invite le Gouvernement à mettre en place un fonds d’indemnisation spécifique géré par un établissement public indépendant, en partie financé par une augmentation de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques et la création d’une contribution spécifique sur le chiffre d’affaires des grands producteurs de bananes, et offrant une réparation intégrale pour toutes les victimes de maladies liées au chlordécone, qu’elles soient professionnelles ou environnementales, ainsi que pour l’ensemble de leurs ayants droit ;
3. Suggère au Gouvernement de renforcer certaines mesures mises en place dans le cadre du plan Chlordécone IV 2021‑2027 avec une amplification des contrôles sanitaires des circuits informels de distribution alimentaire, une harmonisation et une simplification des procédures de réalisation et de remboursement des tests de dosage de chlordéconémie, une intensification des analyses et de la cartographie des sols en augmentant le nombre de prélèvements annuels, ainsi qu’une amélioration des capacités analytiques locales nécessaires à la réalisation des tests ;
4. Souhaite que le Gouvernement intensifie le financement et les efforts de recherche sur les effets du chlordécone en soutenant les projets axés sur la modélisation de diffusion de la pollution, sur l’impact sanitaire, notamment pour les pathologies féminines et les travailleurs agricoles, ainsi que sur le développement de méthodes de remédiation applicables en conditions réelles et l’étude des produits de dégradation du chlordécone ;
5. Estime nécessaire de renforcer la médiation scientifique et d’améliorer la diffusion de l’information sur le chlordécone et ses impacts auprès du grand public et des professionnels de santé en Guadeloupe et en Martinique, en utilisant des moyens de communication adaptés à la réalité locale et en s’appuyant sur des tiers de confiance comme les professionnels de santé, les élus locaux, et les acteurs associatifs ;
6. Souhaite que le Gouvernement augmente de manière significative les financements mobilisés pour faire face aux dépenses de fonctionnement et d’investissement pour la gestion des sargasses en Martinique et en Guadeloupe, en introduisant une taxe additionnelle sur la taxe de séjour, spécifiquement dédiée à la lutte contre les sargasses ;
7. Invite le Gouvernement à mener une réflexion sur la définition d’un cadre juridique et financier pour indemniser les victimes des dommages matériels causés par les sargasses, y compris la corrosion des métaux sur les appareils électroniques et électroménagers, et la dépréciation des biens immobiliers ;
8. Estime nécessaire d’améliorer d’urgence la stratégie et les pratiques de stockage des sargasses pour répondre aux défis sanitaires et environnementaux posés, avec des aménagements adéquats pour prévenir la contamination des sols et des eaux souterraines en arsenic et avec un encadrement juridique adapté aux contraintes locales et aux risques environnementaux identifiés ;
9. Estime nécessaire de rationaliser et d’uniformiser les structures de gouvernance mises en place pour la gestion des sargasses en Martinique et en Guadeloupe, en incluant impérativement dans la gouvernance l’échelon communal ;
10. Suggère au Gouvernement d’examiner la faisabilité de l’adaptation aux conditions réelles sur le terrain des mesures de protection des travailleurs impliqués dans la collecte des sargasses et de la population exposée, tout en intensifiant la recherche sur la composition des gaz émanant de la décomposition des sargasses et sur les effets sanitaires pour la population d’une exposition chronique ;
11. Invite le Gouvernement à modifier le statut juridique des algues sargasses pour mieux définir les responsabilités dans leur gestion entre les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et l’État.