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N° 490

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 octobre 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Antoine LÉAUMENT, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’abstention est un problème majeur dans une démocratie représentative. En France, si les élections législatives anticipées de 2024 ont connu un record de participation, 33,29 % de citoyens inscrits sur les listes électorales ne sont pas allés voter au premier tour, soit 16,4 millions de personnes. C’est une fois et demi de plus que le nombre de voix obtenues par le Rassemblement national (9,4 millions) ou le Nouveau Front Populaire (9 millions). Or, cette abstention est socialement située : ceux qui participent le moins aux élections sont les citoyens les plus jeunes et les plus pauvres. Une forme de nouveau suffrage censitaire qui ne dit pas son nom semble donc s’être mise en place. 

Si le choix de se déplacer aux urnes ou non appartient en dernier lieu à l’individu, les dysfonctionnements matériels et organisationnels nourrissent le phénomène d’abstention. Or, aujourd’hui, les enjeux de mal‑inscription et de non‑inscription sur les listes électorales, les radiations abusives ou encore les défaillances concernant le matériel électoral semblent être des moteurs de la non-participation aux élections.

1. La malinscription et les radiations font progresser l’abstention

La mal inscription regroupe la catégorie de citoyens inscrits sur les listes électorales mais à une adresse différente de leur résidence principale. Les raisons de cette mal‑inscription sont multiples et peuvent être volontaires – résidence secondaire, étude dans une autre ville, etc. – ou involontaires – défaillance administrative, notamment depuis la mise en place du Registre électoral unique. Quelle que soit la raison de cette mal‑inscription, elle est le fruit d’une modalité particulière d’inscription sur les listes électorales. Comme le rappellent Mme Céline Braconnier et M. Jean‑Yves Dormagen « Le système électoral français, l’un des plus contraignants du monde, aggrave les inégalités de participation. Comme aux ÉtatsUnis, la procédure d’inscription sur les listes constitue en effet un puissant facteur d’autoexclusion : elle nécessite une démarche spécifique (dont seuls sont exemptés les jeunes de 18 ans), alors que, dans la plupart des démocraties, elle est automatique ; il faut la renouveler après chaque déménagement, s’inscrire l’année précédant le scrutin, etc. Tout cela pénalise les populations les plus mobiles et génère un phénomène de « malinscription ». D’autre part, le délai d’inscription, bien qu’ayant été réduit en 2016, paraît dissuasif, alors même que les études montrent que le choix des citoyens se fait dans le dernier mois avant l’élection.

En 2022, l’Insee établissait que 7,7 millions d’électeurs l’étaient dans une commune différente de leur lieu de résidence principale, soit 16,5 % des électeurs. La mal‑inscription concerne, en majorité, les moins de 30 ans et notamment les 18‑25 ans qui représentent 39 % des mal‑inscrits. Ces chiffres inquiètent. Si la mal‑inscription n’est pas le seul facteur de l’abstention, elle en est un facteur aggravant, « surtout dans des élections qui mobilisent moins, comme les européennes ». En effet, la mal‑inscription et la non‑inscription concernent les catégories de population qui se déplacent le moins aux élections et pour lesquelles se déplacer pour voter dans la ville où l’on est effectivement inscrit peut représenter une dépense trop importante pour être effectuée. 

Notre groupe parlementaire a alerté le Gouvernement à ce sujet en février 2024 en amont des élections européennes, dans un communiqué qui est hélas resté lettre morte. Nous avons par ailleurs proposé un véritable plan de lutte contre la mal‑inscription, avec une série de propositions pour lutter contre ce fléau. Ce plan a été remis à la secrétaire d’État à la citoyenneté le 21 mars 2024. Aucune suite ne lui a été donnée par l’exécutif. 

Ces données doivent être couplées avec celles concernant les non‑inscrits. Ces derniers ne sont pas comptabilisés en ce qui concerne l’abstention, car celle‑ci est fondée sur le nombre d’inscrits. Il y aurait selon l’Insee 2,9 millions de citoyens non‑inscrits sur les listes électorales. Ce chiffre est colossal, il représente plus du double du nombre de voix obtenu par le parti Les Républicains aux élections législatives de 2024. La non‑inscription est multifactorielle et est souvent le fruit d’un éloignement chronique des urnes et de nombreux déménagements ayant entraîné une radiation des listes. Cependant, il est possible de noter l’absence, d’élections en élections, de campagne d’inscription sur les listes et d’information sur ces problématiques cruciales.

De plus, plusieurs cas de radiation sans motif des listes électorales ont été révélés durant les élections européennes. Ces dysfonctionnements administratifs sont extrêmement graves à cette échelle. Par exemple, ce sont près de 7 500 isérois qui se sont retrouvés radiés des listes électorales ou encore 5 543 électeurs de la ville d’Evry‑Courcouronnes en mars 2024, laissant peu de temps aux personnes concernées d’initier une procédure d’annulation de la radiation. À Vaulx‑en‑Velin, parmi les 372 personnes radiées, seules 102 ont finalement pu voter après un passage devant le tribunal.

2. Des défaillances majeures dans l’information des électeurs

Les défaillances dans les livraisons de plis électoraux posent de sérieux problèmes quant au bon fonctionnement de la propagande électorale, nécessaire au respect du pluralisme. Ces dysfonctionnements sont monnaie courante depuis plusieurs années, et pour certains sont dus à des choix politiques d’externalisation de l’organisation administrative de cette distribution. 

Lors des élections régionales et départementales de juin 2021, de nombreux cas de défaillances dans la distribution électorale ont été révélés. La découverte dans plusieurs départements de plis électoraux abandonnés par les personnels de la société Adrexo, alors en charge de la distribution de ces plis, ont poussé le Sénat et l’Assemblée nationale à produire un rapport relatif aux dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pendant les élections de juin 2021. Le rapport de l’Assemblée nationale révèle à ce titre que le taux de non‑distribution des plis pour le second tour des élections de juin 2021 s’élevait à 27 % pour les élections départementales et 42 % pour les élections régionales, dans les zones gérées par le distributeur Adrexo. Face à ce constat, le ministère de l’Intérieur s’était de nouveau tourné vers la Poste. Le retour à la Poste, service public historique, est ici bienvenu et force est de constater des améliorations significatives sur l’envoi des plis. 

Par ailleurs, lors des élections européennes de juin 2024 et les élections législatives de juillet 2024 certaines communes, et notamment les plus petites, ne disposaient pas de panneaux d’affichage en nombre suffisant pour afficher l’ensemble des 38 listes devant les bureaux de vote. À ce titre, la disparition lente et régulière des panneaux d’affichage communaux est inquiétante. Il s’agirait ici aussi d’évaluer les normes qui régissent l’obligation de disposer de panneaux d’affichage public et leur application. 

Concernant, les élections législatives de 2022 et 2024, plusieurs faits de dysfonctionnement ont été révélés. Des problèmes de plis incomplets, ou encore de plis appartenant à une autre circonscription, ont eu lieu par exemple dans le département de l’Hérault pour le premier tour des élections législatives. 

La lumière doit être faite sur ces dysfonctionnements réguliers, ainsi que sur les difficultés matérielles des communes, notamment les plus petites, à absorber les nécessités du bon déroulé des élections. Il s’agirait ainsi d’établir les besoins et d’accompagner les communes afin que la propagande électorale puisse se déployer normalement et en toute égalité sur le territoire.

3. Des dysfonctionnements sont constatés dans le vote même

Au‑delà de la distribution des professions de foi et de l’acheminement du matériel électoral, le matériel n’est parfois pas utilisé correctement dans les bureaux de vote. Certains bulletins ne sont pas présentés sur les tables, ou sont en nombre insuffisant et ne sont donc pas proposés pendant un certain temps. Par exemple, aucun bulletin de la liste conduite par Manon Aubry n’était dans un premier temps disposé sur la table à Domont. 

Surtout, lors des élections législatives, un ensemble de dysfonctionnements du vote électronique pour les Français de l’étranger a été constaté. En raison d’un « fort afflux » selon les autorités, le site via lequel les Français de l’étranger peuvent voter a été bloqué pendant plusieurs heures. Notre démocratie doit pouvoir compter sur un processus de vote fiable et équitable pour tous les citoyens.

4. Le manque d’information et d’accessibilité des bureaux de votes décourage les électeurs

Les élections législatives de 2024 ont largement pesé sur les communes, et notamment les plus petites. Les délais extrêmement courts de la campagne qui faisaient déjà suite aux élections européennes ont pressurisé certaines communes qui ne disposaient pas de suffisamment d’agents pour organiser le scrutin dans de saines conditions. Il s’agirait à nouveau de mettre en lumière les besoins des communes pour mener à terme les élections dans leur ressort.

De plus, les dernières élections ont aussi révélé un problème majeur dans le recrutement des assesseurs. C’est un problème de fond récurrent et certaines communes ont d’ailleurs réduit leur nombre de bureaux de vote en prévision du manque d’assesseurs, comme la ville de Toulouse. À Bron, les bureaux de vote fermaient à 18 heures pendant les législatives contre 19 heures lors des élections précédentes. D’autres villes auraient même eu recours à la compensation financière des assesseurs pour inciter les citoyens à se mobiliser, alors que le Code électoral proscrit cette pratique dans un souci d’indépendance des assesseurs. 

La fermeture de bureaux, le décalage des horaires de fermeture ou même la compensation financière ne sont pas des solutions satisfaisantes à long terme. La commission d’enquête aura pour charge de mettre au jour les raisons du manque de mobilisation citoyenne pour tenir les bureaux de vote, qui est constatée depuis plusieurs années, ainsi que les manquements en matière d’informations sur les lieux de vote et de proposer des pistes pour remédier aux problèmes premièrement identifiés. 

5. Les sondages et leur diffusion médiatique perturbent la sincérité du scrutin

Les dernières élections législatives ont prouvé, s’il y en avait encore besoin, le manque de fiabilité des sondages électoraux. Ainsi, alors que tous les sondages donnaient le Rassemblement national gagnant de l’élection, celui‑ci est arrivé en troisième position, et tandis qu’alors qu’aucun sondage ne prévoyait la victoire du Nouveau Front Populaire, celui‑ci est arrivé en tête. Or, la publication régulière de sondages non conformes à la réalité électorale tend à orienter les comportements électoraux sur des bases illégitimes. Certains électeurs peuvent ainsi adopter des stratégies de « vote utile » et choisir une liste ou un candidat non pas selon son programme ou sa proximité politique, mais selon ses « chances de gagner ». Les sondages participent par ailleurs à donner l’impression que le scrutin est joué d’avance ; ils peuvent donc démobiliser des pans entiers de l’électorat, et nuisent par conséquent à la bonne tenue des élections démocratiques.

La commission d’enquête s’intéressera donc aux défaillances des instituts de sondage et proposera des solutions pour encadrer leur rôle lors des campagnes électorales afin d’éviter qu’ils ne les influencent ou ne les perturbent.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée de d’enquête de trente membres, chargée d’évaluer l’organisation des élections en France, notamment sur les points suivants : 

1° Évaluer le phénomène de mal‑inscription, de non‑inscription et de radiations abusives afin de proposer des solutions permettant d’y remédier ;

2° Examiner les différentes politiques publiques concernant l’organisation de la propagande électorale et du déroulé de la campagne officielle sur le territoire ;

3° Déterminer les causes des dysfonctionnements constatés dans les bureaux de vote et systèmes de vote électronique ;

4° Identifier les raisons à l’origine des difficultés d’accès aux bureaux de vote et de tenue de ces bureaux et proposer des solutions pour y remédier ;

5° Éclairer les facteurs d’erreurs dans les sondages et proposer une réglementation de leur usage pour assurer la sincérité des scrutins.