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N° 619
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à mettre en place un cadre européen sur les relations contractuelles des centrales d’achats de la grande distribution avec les producteurs,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Henri ALFANDARI, Mme Isabelle RAUCH, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, M. François JOLIVET, M. Thierry BENOIT, Mme Lise MAGNIER, Mme Béatrice PIRON, M. Jean-Michel BRARD, M. Jean MOULLIERE, M. Jean-François PORTARRIEU, M. David GUERIN, M. Xavier ROSEREN, M. Vincent THIÉBAUT, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, M. Frédéric VALLETOUX, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, M. Richard RAMOS, Mme Delphine LINGEMANN, M. Didier PADEY, M. Paul MOLAC, M. Salvatore CASTIGLIONE, M. Laurent MAZAURY, M. Daniel LABARONNE, Mme Danièle CARTERON, Mme Aurore BERGÉ, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, M. Christophe MARION, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Julie DELPECH, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Josiane CORNELOUP, M. Jean-Luc BOURGEAUX,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les centrales d’achat européennes, créées pour mutualiser les achats de plusieurs enseignes de grande distribution, jouent un rôle stratégique dans le secteur de l’alimentation en Europe. Ces structures permettent aux distributeurs de négocier des prix avantageux auprès des fournisseurs et de faire bénéficier leurs clients de produits à prix réduits. En théorie, cette concentration d’achat pourrait bénéficier aux consommateurs, mais, en réalité, les effets sont complexes et parfois contre‑productifs pour les producteurs. En 2022, une étude de l’Institut des politiques publiques a montré que les économies réalisées par les distributeurs ne sont pas nécessairement répercutées aux consommateurs, et peuvent même engendrer une diminution substantielle du profit des producteurs, affectant négativement la variété des produits offerts.
Les centrales d’achat ont généré des tensions importantes dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. D’une part, elles amplifient la pression exercée sur les producteurs pour baisser leurs prix, même lorsque les coûts de production augmentent. Cette situation constitue un risque pour la sécurité alimentaire européenne et la résilience des territoires ruraux. Les petites exploitations, pourtant essentielles pour un écosystème agricole durable et diversifié, sont souvent les premières affectées, tandis que les grands acteurs industriels, bien que mieux protégés, subissent aussi les effets des pressions tarifaires.
En France, cette situation a suscité des réactions marquées de la part des agriculteurs et des associations agricoles qui dénoncent un déséquilibre grandissant dans les négociations commerciales. En 2019, le inistère de l’économie a demandé à l’entité Eurelec Trading, cofondée par Leclerc, de s’acquitter d’une amende de 117,3 millions d’euros pour avoir imposé des baisses de prix en s’appuyant sur des règles plus flexibles en Belgique. Dans cette affaire, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans un arrêt du 22 décembre 2022, a mis fin à la procédure, considérant que les juridictions françaises sont allées au‑delà de leurs prérogatives telles que définies dans le « Bruxelles Ibis ». Cette décision témoigne d’un débat juridique sur le droit applicable aux centrales d’achat.
Face à ces enjeux, la France a récemment proposé d’étendre les mesures de protection des agriculteurs au niveau européen avec un « Egalim européen ». Cette initiative viserait à établir des règles communes pour encadrer les relations entre centrales d’achat et producteurs et éviter le contournement de la législation nationale par le biais d’alliances commerciales européennes. Le cadre juridique de l’Union européenne permet actuellement aux distributeurs d’optimiser leurs achats dans les pays où les contraintes législatives sont plus légères, ce qui désavantage les producteurs dans les pays comme la France, où la loi Egalim III s’applique aux produits nationaux depuis le 1er mars 2024.
Pour équilibrer les relations commerciales au sein de l’Union européenne, cette résolution propose plusieurs mesures, dont l’imposition d’une taxe sur les centrales d’achat multinationales, inspirée de l’imposition de 15 % qui concerne déjà les grandes entreprises opérant au niveau européen. Par ailleurs, un renforcement des contrôles sur les pratiques anticoncurrentielles et un encadrement plus strict des alliances commerciales internationales sont envisagés, visant à accroître la transparence des marges de la grande distribution.
La mise en place d’un cadre législatif européen est nécessaire pour renforcer la résilience de l’agriculture dans l’Union européenne. Les règles communes proposées par cette résolution s’alignent sur les objectifs de durabilité et de sécurité alimentaire en protégeant les producteurs des potentiels effets déstabilisants des pratiques des centrales d’achat. Cette approche globale permettrait de garantir des relations commerciales plus équitables, tout en préservant la diversité et la compétitivité de l’agriculture européenne.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le Traité sur l’Union européenne, notamment les articles 4 et 5,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment les articles 101 et 102,
Vu le règlement (UE) 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu l’arrêt du 22 décembre 2022 de la Cour de justice de l’Union européenne,
Vu le règlement (UE) 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017,
Vu la directive (UE) 2019/633 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire,
Vu la communication (COM/2020/381 final) de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement,
Considérant que la loi n° 2023‑221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « Egalim 3 », entrée en vigueur en France au 1er mars 2024, s’applique sur tous les produits distribués en France ;
Considérant que le recours aux centrales d’achats européennes permet aux grandes enseignes de contourner la loi française en réalisant des économies d’échelle par l’achat au prix de gros dans d’autres pays de l’Union européenne en bénéficiant de législations plus souples ;
Considérant que le recours croissant de la grande distribution aux centrales d’achats européennes permet d’imposer des conditions contractuelles aux producteurs qui affaiblissent leur capacité de négociation, et affecte la juste rémunération des premiers acteurs de la chaîne alimentaire ;
Considérant la demande française de février 2024 émanant du Président de la République et du commissaire chargé du marché intérieur de mettre en place un « Egalim européen » pour garantir une rémunération des agriculteurs au juste prix ;
Considérant que l’agriculture européenne fait face à des défis croissants liés aux coûts de production, aux normes sanitaires, et aux impératifs de transition écologique, qui imposent des charges financières supplémentaires aux producteurs sans compensation suffisante en termes de prix de vente, lesquels sont souvent négociés à la baisse par les centrales d’achats de la grande distribution ;
Considérant la nécessité de préserver un tissu agricole européen diversifié et d’éviter la disparition des petites exploitations, facteur essentiel de sécurité alimentaire et de résilience économique dans de nombreuses régions européennes ;
Considérant que les grands exploitants, coopératives et industries, malgré leur taille, sont eux‑mêmes confrontés à ce déséquilibre des négociations ;
1. Invite la Commission européenne à intégrer dans sa réflexion sur les ressources propres de l’Union européenne une mise à contribution des centrales d’achats multinationales, à l’image du taux d’imposition de 15 % qui s’applique aux groupes nationaux et internationaux ayant une société mère ou une filiale installée dans l’Unioneuropéenne ;
2. Appelle la Commission européenne à renforcer son contrôle des pratiques anticoncurrentielles issues de la concentration des centrales d’achat, et à proposer une révision de la directive (UE) 2019/633 afin d’accroitre la transparence dans les relations contractuelles entre les centrales d’achat et les producteurs ;
3. Invite la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil à mettre en place un cadre législatif commun renforçant le pouvoir de négociation des producteurs dans leurs relations contractuelles avec les centrales d’achat, notamment en promouvant la transparence des marges de ces dernières ;
4. Encourage les États membres à se coordonner pour renforcer la régulation des centrales d’achats au niveau national, en se donnant des outils de surveillance appropriés, ainsi qu’en garantissant un droit de recours pour les producteurs et les petits fournisseurs en cas de pratiques commerciales déloyales ou abusives.