– 1 –

N° 1271

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête portant sur l’islamophobie,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Idir BOUMERTIT, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un rapport alarmant de l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA), publié jeudi 24 octobre 2024, alertait sur la réalité sociale de l’islamophobie. Plus largement, aux États‑Unis et en Europe, des rapports font état d’une augmentation de 600 % des incidents islamophobes, a déclaré le Haut‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, qui a condamné « la forte augmentation des cas de discours de haine, de violence et de discrimination, à la fois en ligne et hors ligne ». En France, selon ce même rapport, 39 % des personnes interrogées ont dit en être victimes. En Europe, un musulman sur deux dit être victime de discriminations au quotidien.

L’islamophobie est définie par la Commission nationale consultative des droits de l’homme ([1]) (CNCDH) comme étant une « attitude d’hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l’islam ». Il déjà intéressant de noter que cette définition n’est pas la même que celle donnée par les dictionnaires, plus courte et plus simple : « hostilité envers l’islam, les musulmans » (Larousse, Le Petit Robert). Là où, pourtant, le Petit Robert donnait une version bien plus détaillée dans sa version 2007 : « forme particulière de racisme dirigé contre l’islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés maghrébins » ([2]). On peut ainsi noter que la définition retenue impacte directement l’approche des actes et phénomènes qui sont liés à l’islamophobie. Nous considérerons ici que la définition de la CNCDH constitue une base de travail pour la présente résolution. Les phénomènes décrits ici peuvent conduire à la provocation, à l’hostilité et à l’intolérance, qui se manifestent par le biais de menaces, de harcèlement, d’abus et d’intimidation envers des musulmans et des non‑musulmans, à la fois dans le monde en ligne et hors ligne. 

Dans son Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire nous rappelle que le racisme et la déshumanisation des peuples opprimés sont les vestiges d’un passé colonial qui perdurent dans les mentalités contemporaines, éclairant ainsi les mécanismes insidieux de l’islamophobie ambiante en France, où la peur de l’autre trouve ses racines dans une histoire d’exclusion et de domination.

En effet, les actes islamophobes n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Les statistiques du ministère de l’Intérieur et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) de 2020 montrent déjà une augmentation de 52 % des actes islamophobes par rapport à 2019. 

Cette tendance est à la hausse puisque le rapport du Collectif contre l’Islamophobie en Europe (CCIE) recense une augmentation de 57 % entre 2022 et 2023, avec un total de 828 signalements en 2023, contre 527 en 2022.

Ces chiffres se manifestent de manière frappante à travers des actes violents, voire meurtriers, à l’encontre des musulmans, dont on trouve des échos dans la presse, et qui étayent le constat d’une « islamophobie d’atmosphère » permanente. Plus d’une dizaine d’actes ont été recensés entre fin 2023 et début 2024. 

Pour n’en citer que quelques‑uns : 

Le 13 janvier 2024, près de Morlaix ([3]), un lieu de culte musulman a été visé par une tentative d’incendie. Le 16 avril 2024, c’est la mosquée de Cherbourg‑en‑Cotentin ([4]) qui a été ciblée par des tags racistes, une semaine après avoir essuyé un tir de fusil de chasse sur son portail. Le samedi 2 novembre 2024, un marcassin mort a été déposé devant la mosquée de Saint‑Usage ([5]) (Côte‑d’Or).

Dans le Rhône, le 28 mai 2024, la mosquée de la Croix‑Rousse à Lyon ([6]) a été visée par des tags islamophobes, pour la troisième fois en un an. À Corbas ([7]), une famille a vu des tags islamophobes et racistes être inscrits sur les murs de leur domicile familial dans la nuit du 13 au 14 juillet 2024. En Isère ([8]), lundi 7 octobre 2024, Ahmed a découvert une tête de cochon tranchée devant son atelier à Biol. La salle de prière musulmane de Jargeau, près d’Orléans (Loiret), a été ravagée par les flammes dans la nuit du 25 au 26 février 2025. La piste criminelle et le mobile raciste ont été retenus par le parquet d’Orléans. Cet acte de pyromanie fait suite à une série d’autres incidents. Le 7 février dernier, les vitres de la salle de prière avaient été dégradées par des tags à la peinture blanche.

Ces actes viennent s’ajouter à une longue liste, sans oublier les nombreux actes islamophobes non recensés, qui frappent avec violence les musulmans de France. En supplément de ces actes brutaux, l’islamophobie revêt également une dimension genrée. 

Sur les 828 signalements recensés au sein du rapport du CCIE, 675 concernent en effet des femmes soit 81,5 %, et 153 des hommes, soit 18,5 %. En effet, le voile est le signe distinctif qui concentre les attaques de personnalités islamophobes et qui fait subir le plus de discriminations à tous les niveaux : dans l’espace public, au travail, à l’école et même dans le sport. 

De nombreuses études, y compris celles menées par des associations de lutte contre les discriminations comme la LDH, montrent que les femmes musulmanes portant le voile rencontrent des obstacles significatifs lors de leur recherche d’emploi, de logement ou dans l’accès aux services publics. Plusieurs enquêtes ont révélé que les candidatures de femmes portant le voile sont systématiquement rejetées ou ignorées. En 2009, une étude menée par l’Université de Paris‑Dauphine a montré que les femmes portant le voile avaient deux à trois fois moins de chances d’être convoquées à un entretien que celles ne portant pas de voile, malgré des qualifications similaires. 

L’organisation non gouvernementale (ONG) Amnesty international a justement dénoncé ces discriminations particulièrement prononcées sur les femmes et filles musulmanes dans son rapport d’avril 2024. Concernant le sport, « ignorant la recommandation du rapporteur public, le Conseil d’État a jugé que la Fédération française de football pouvait maintenir sa politique discriminatoire interdisant de fait aux joueuses musulmanes portant un couvre‑chef religieux de participer à des matchs en compétition ». Tandis que pour l’interdiction de l’abaya, vêtement non‑religieux, le rapport fait état de « dizaines de jeunes filles musulmanes [qui] s’étaient vu refuser l’accès à leur établissement scolaire, en violation de leurs droits à l’éducation et à la non‑discrimination. »

En parallèle, les sondages sur l’islamophobie en France montrent une inquiétante montée de la méfiance envers l’islam et les musulmans et musulmanes ces dernières années. Selon une étude menée par Ipsos pour le Cevipof en 2021, environ 47 % des Français considèrent que l’islam est « incompatible » avec les valeurs de la société française. Ce chiffre est particulièrement élevé chez les personnes âgées et les catégories socio‑professionnelles les moins diplômées. De plus, une majorité des personnes interrogées estime que les musulmans vivent « trop isolés » de la société et que certaines pratiques liées à l’islam sont vues comme un danger pour la cohésion nationale.

D’où viennent ces inquiétudes ? Le traitement médiatique de l’islam et des musulmans, notamment à travers les chaînes d’information en continu, la presse écrite et les réseaux sociaux, joue un rôle crucial dans la perception du public ([9]) ([10]) ([11]).

« Il y a cette idée que l’Islam serait profondément lié à la violence, il y a cette idée que l’islam serait une menace. Il y a une responsabilité depuis 15 ans des médias dominants français dans la construction de l’islamophobie. » ([12]) déclarait M. Edwy Plenel, alors directeur de Mediapart. Une affirmation que corrobore sa collègue journaliste au Monde des Religions, Mme Virginie Larousse : « C’est absolument dramatique que, dans certains médias traditionnels, on emploie le terme de « musulman modéré ». Comme si tous les autres musulmans étaient des djihadistes en puissance ou des terroristes en puissance ».

À cette ambiance délétère instaurée par quelques médias et quelques éditorialistes dans un premier temps s’est ajouté le discours stigmatisant et permanent de la part de chroniqueurs sur les chaînes d’information en continu. C’est ainsi que les auditeurs français auront pu entendre le chroniqueur et essayiste, ex‑candidat à la présidentielle et anciennement figure emblématique de l’émission ‘On n’est pas couché’ et désormais animateur sur CNews, affirmer qu’ « il va falloir choisir entre être français et être musulman » lors de l’émission « C à vous » diffusée sur France 5, le 2 novembre 2016 ; ou que « L’Islam est une organisation totalitaire » sur CNews. Un autre chroniqueur dira sur cette même chaîne : « L’Islam est antinomique avec la démocratie ». Sur le voile, des propos du même genre ont été tenus : « C’est pas un signe religieux qu’on veut interdire, c’est un signal politique comme on interdit un uniforme SS tout simplement. Pour finir, l’animateur de L’Heure des pros sur CNews, connu pour ses positions controversées, a apporté sa contribution : « Il y a beaucoup d’endroits où le voile est très présent et ça peut choquer, ça peut indisposer ».

D’aucuns sont même en droit de s’interroger sur l’évolution des carrières médiatiques en fonction des propos tenus. L’éditorialiste, qui tient une chronique tous les soirs dans l’émission Quotidien et qui vient de quitter RTL, faisait justement le constat que : « Le racisme à caractère antisémite vous fait quitter la presse de manière définitive. Le racisme à caractère anti‑musulman ou anti‑islam vous assure des promotions dans la presse. On vous donne des émissions, on vous donne des tribunes et on vous confie la direction d’un journal. »

Aussi, la théorie du « choc des civilisations » fonctionne à pleine cadence pour fracturer le peuple français. Cette idéologie dangereuse, portée par l’extrême‑droite, se tourne vers la masse pour apporter des réponses simplistes à des questions pourtant complexes. Elle contamine les esprits et inonde notre pays de discours belliqueux.

Dans ce contexte, certains médias jouent un rôle clé en relayant ces narrations, souvent irrationnelles, qui alimentent les peurs et les stéréotypes. Ils deviennent ainsi des relais zélés de cette rhétorique, transformant la méfiance en actes concrets d’islamophobie, et contribuant à un climat de tension qui divise notre société.

Ce discours ambiant et répété presque quotidiennement finit par avoir des conséquences concrètes puisque nombre de français de culture ou de confession musulmanes ont préféré choisir l’exil plutôt que de continuer à subir des discriminations au quotidien. C’est ce que révèle une étude datant de mai 2024, réalisée par M. Julien Talpin, sociologue, chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), directeur adjoint du Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS) (Lille 2). Ce dernier fait état de ses découvertes dans La France, tu l’aimes mais tu la quittes ([13]), expliquant pourquoi des personnes très diplômées (dont 54 % ont au moins bac +5) se sont retrouvées à fuir la France du fait de son islamophobie ambiante. Les sondés citent justement le climat politique et les propos médiatiques dans leur mal‑être en France et finissent par choisir le Royaume‑Uni, Dubaï ou encore le Canada, où la tolérance religieuse permet aux musulmans de vivre pleinement leur foi. 

Au regard de ces éléments déjà alarmants, il apparaît indispensable de faire toute la lumière sur ce phénomène, son ampleur et les propositions qui permettront de l’endiguer.

 


– 1 –

proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée : 

– d’évaluer l’inaction de la France dans les réponses apportées pour lutter contre l’islamophobie et les phénomènes antimusulmans ;

– d’évaluer le rôle des médias, des réseaux sociaux et des discours politiques dans la construction de stéréotypes négatifs à l’égard de l’islam et de ses pratiquants :

– d’analyser l’impact de ces phénomènes sur la vie quotidienne des musulmans, leur place dans la société française et sur le climat social en général ;

– de proposer des recommandations pour lutter efficacement contre ce phénomène, en termes de prévention, de législation, de sensibilisation et de renforcement des valeurs républicaines.

 

 


([1]) CNCDH · Rapport 2019 sur la lutte contre le racisme - Les Essentiels

([2]) Quatre questions sur l'emploi du terme "islamophobie", qui fait (une nouvelle fois) débat

([3]) https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/morlaix/un-homme-a-tente-d-incendier-une-mosquee-a-morlaix-2905925.html

([4]) https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/morlaix/un-homme-a-tente-d-incendier-une-mosquee-a-morlaix-2905925.html

([5]) https://www.francetvinfo.fr/societe/islamophobie/cote-d-or-un-cadavre-de-marcassin-depose-devant-un-local-associatif-abritant-une-mosquee-a-saint-usage_6874007.html

([6]) https://www.lefigaro.fr/lyon/islamophobie-a-lyon-la-mosquee-de-la-croix-rousse-taguee-pour-la-troisieme-fois-en-un-an-20240528

([7]) https://www.bfmtv.com/lyon/on-n-est-plus-en-securite-des-tags-racistes-et-islamophobes-decouverts-sur-une-maison-de-corbas_AV-202407160791.html

([8]) https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2024/11/07/biol-isere-il-trouve-une-tete-de-cochon-devant-sa-porte-je-suis-le-seul-arabe-du-secteur-je-pense-bien-etre-vise

([9]) Les médias et les Français musulmans : ce ne sont pas des terroristes, mais... - Acrimed

([10]) Les obsessions islamiques du Point (et de Franz-Olivier Giesbert) - Acrimed | Action Critique Médias

([11]) Vidéo. Islamophobie : un « philosophe » invité du Figaro appelle à réguler le nombre de musulmans - L'Humanité

([12]) https://www.youtube.com/watch?v=u9pxCSTFmdk, France 5, Médias le Mag, 14 janvier 2015.

([13]) Exil des musulmans : un gâchis français