– 1 –

N° 1429 rectifié

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mai 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête analysant les causes des féminicides et homicides résultant de violences intra familiales en vue de favoriser leur prévention et de réduire leur nombre,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Béatrice ROULLAUD, M. Théo BERNHARDT, M. Sébastien CHENU, M. Thierry FRAPPÉ, M. Jonathan GERY, M. Alexis JOLLY, M. Robert LE BOURGEOIS, M. David MAGNIER, Mme Lisette POLLET, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Thierry TESSON, M. Lionel TIVOLI, M. Frédéric WEBER, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Sandra DELANNOY, M. Alexandre DUFOSSET, M. Emmanuel FOUQUART, Mme Monique GRISETI, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Caroline PARMENTIER, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, M. Romain TONUSSI, Mme Sophie BLANC, M. Aurélien DUTREMBLE, Mme Stéphanie GALZY, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Pierre MEURIN, M. Kévin PFEFFER, M. Joseph RIVIÈRE, M. René LIORET, Mme Catherine RIMBERT, M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, M. Emmanuel BLAIRY, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Marc CHAVENT, M. Matthieu MARCHIO,

députés.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 25 mars dernier s’est ouvert devant la Cour d’assises de la Gironde, à Bordeaux, le procès de Mounir Boutaa accusé d’avoir, le 4 mai 2021, assassiné Chahinez Daoud, son épouse qui avait enclenché une procédure de divorce.

Ce jour‑là, en pleine rue, il tira une balle dans chacune des cuisses de la jeune femme, l’aspergea d’essence, sortit un briquet et enflamma son corps. Chahinez Daoud, 31 ans, mère de trois enfants, mourra brûlée vive. Un féminicide qui, par son atrocité et son lot de défaillances judiciaires et policières, a marqué la France entière. L’agresseur a été reconnu coupable et condamné à la prison à perpétuité assortie d’une mesure de sûreté de 22 ans.

Plus près de nous ce 23 mars 2025, à Limeyrat près de Périgueux, une femme de 38 ans et sa fille de 13 ans furent poignardées à mort par l’ex‑compagnon de la victime.

Deux jours avant, le 21 mars 2025, Manon, 29 ans et mère de deux enfants de 4 et 19 mois, fût tuée à coups de couteau par son mari à Bruay‑sur‑l’Escaut.

En France, une femme meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint ou de son exconjoint.

Le constat est implacable en 2023 : 139 décès (hors suicides des auteurs) causés par des violences au sein du couple, dont 9 mineurs ! ([1])

6 500 enfants covictimes de violences au sein du couple, identifiés par le 119 ! ([2])

Les femmes représentent plus de 81 % des victimes d’homicides conjugaux (1).

Depuis plus de dix ans, le chiffre des féminicides oscille entre 115 et 150 par année, un chiffre plutôt stable qui baisse faiblement par rapport à 2013, tandis que celui des tentatives de féminicides et d’homicides au sein du couple a augmenté de façon vertigineuse, 23 % en un an, soit 451 victimes de tentatives de meurtres et assassinats en 2023 qui s’ajoutent aux féminicides ! ([3])

Quant aux violences au sein du couple commises par les partenaires ou ex‑partenaires, elles ont augmenté en 2023 de 10 % par rapport à 2022, proche du taux d’évolution annuel moyen constaté depuis 2019 (soit 13 %). Le Pas‑de‑Calais, la Réunion, le Nord, la Somme et la Seine‑Saint‑Denis figurent parmi les départements qui affichent les plus forts taux de victimes enregistrés pour 1 000 habitantes ([4])

Parmi les dispositifs qui ont été mis en place pour enrayer ces chiffres :

 l’ordonnance de protection (OP) issue de la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 créant un titre XIV dans le code civil « Des mesures de protection des victimes de violence » ;

Cette loi révolutionnaire a eu l’immense vertu de permettre à une femme violentée de saisir un juge dans les six jours de sa requête afin qu’il soit immédiatement statué sur l’urgence de sa situation et des mesures provisoires de protection qu’il conviendrait de prendre, telles que l’éloignement du conjoint violent, l’interdiction de rentrer en contact etc… Ces dispositions sont visées aux articles 515‑9 à 515‑13 du code civil et aux articles 1136‑3 à 1136‑23 du code de procédure civile.

– la création en 2014 du bracelet grave danger ;

– celle du bracelet antirapprochement en 2019 (article 515‑11‑1 du code civil - loi n° 2019‑1480 du 28 décembre 2019).

 la création du numéro 3919, ligne d’écoute pour les femmes victimes de violences, joignable 24 heures sur 24 depuis le 28 juin 2021.

 la levée du secret médical, désormais possible sans le consentement du patient majeur par les professionnels de santé si les violences au sein du couple mettent la vie de la victime en danger immédiat et que celle‑ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise de l’auteur des violences (article 226‑14 du code pénal – loi 2020‑936 du 30 /07/2020).

Pourtant les drames continuent de se produire, environ tous les trois jours.

Malgré les efforts entrepris, malgré les condamnations pour violences au sein du couple en hausse de 8,7 % par rapport à 2022 ([5]), des défaillances persistent dans notre système de protection policière, judiciaire ou étatique.

En amont, il faut d’abord évoquer la difficulté pour les femmes de porter plainte et de voir celleci déboucher sur une décision judiciaire.

Bien que des protocoles aient été mis en place et que des efforts aient été faits pour la formation des officiers de police judicaire et de gendarmerie sur la réception des femmes victimes, il est encore trop souvent proposé aux plaignantes de déposer une main courante plutôt qu’une plainte (qui seule déclenche les poursuites) quand elles n’ont pas de preuves.

Sur les 32I 000 femmes qui ont déclaré en 2023 subir des violences au sein du couple, seules 15 % d’entre elles ont porté plainte. Ce pourcentage tombe à 6 % pour les victimes de violences sexuelles (au sein du couple et hors du couple) ([6])

Les femmes qui subissent des violences, comme le raconte si bien Mme Morgane Seliman dans son ouvrage « Il m’a volé ma vie », craignent pour leur vie, à raison, car les conjoints violents menacent de les tuer dès qu’ils les sentent capables de déposer plainte et certains mettent leurs menaces à exécution.

Lorsque des plaintes sont enfin déposées, 40 % sont classées sans suite. (5)

34 % des femmes victimes qui n’ont pas fait de démarches auprès des forces de sécurité ont expliqué leur choix par un manque de confiance ou une méfiance face à l’efficacité des procédures.

Cet aspect doit évidemment être pris en compte et amélioré, sans doute en modifiant l’article 15‑3 du code de procédure pénale pour préciser qu’une main courante ne peut être prise en lieu et place d’une plainte, mais également pour permettre une déclaration de plainte en ligne sécurisée, depuis son ordinateur personnel ou depuis un lieu dédié à la protection des victimes de violences, car cela éviterait au conjoint violent de suivre sa femme (ou son mari) jusqu’au commissariat ou poste de gendarmerie. Cela permettrait d’agir en toute discrétion.

Certaines sources évoquent en 2019, un taux de 80 % de classement sans suite. ([7])

Mais pour conjurer les chiffres et réduire le pourcentage des victimes de violences intra familiales, il faudra travailler plus en amont et œuvrer pour une meilleure prévention.

Cela passe nécessairement par le devoir de se poser les bonnes questions.

Il est essentiel d’aborder la question du profil des auteurs de féminicides (et homicides) et d’analyser la réponse apportée par l’État à ces profils.

La détection du climat de violence doit alerter et ne pas rester sans réponse.

D’après l’Observatoire national des violences faites aux femmes (**) « les féminicides ne constituent pas des actes isolés et s’inscrivent dans un cycle de violences antérieures.

« Près de 4 femmes victimes de féminicide au sein du couple sur 10 (39 %) étaient victimes de violences antérieures, soit 37 sur 96 en 2023.

« Sur ces 37 femmes ayant subi des violences antérieures, 30 avaient signalé ces faits aux forces de sécurité intérieure, avec un dépôt de plainte pour 90 % de ces dernières !

« Seules 5 victimes bénéficiaient d’un dispositif de protection (un contrôle judiciaire et 4 ordonnances de protection).

« Dans 7 cas sur 10 le ou les mobiles identifié(s)… est révélateur d’une volonté d’emprise et de contrôle de l’auteur sur la victime ». ([8])

Le profil psychologique de l’auteur de féminicide doit être repéré.

Les auteurs de féminicides appartiennent à toutes les classes sociales, toutes les tranches d’âge. Malgré la diversité des situations, ils présentent néanmoins certaines similitudes psychologiques.

Au commencement d’un féminicide, un schéma revient de façon récurrente dans ces couples : celui de la prise de contrôle radicale d’un homme sur sa conjointe, un homme qui fait tout pour la maintenir sous sa coupe. La victime se retrouve captive dans une relation qui la détruit.

Les personnes sous emprise ne savent plus quand et comment réagir. Elles sont détruites psychologiquement et se retrouvent sans autonomie financière, ne sachant pas où aller.

Les travaux du groupe d’étude interparlementaire sur les violences faites aux femmes, de la XVIe législature sous la présidence de Mme Alexandra Martin, ont démontré la nécessité d’accentuer l’effort financier pour traiter « l’après plainte » et pour reloger, souvent dans l’anonymat, les victimes de violences conjugales et leurs enfants.

La séparation : un élément déclencheur du féminicide

Ce phénomène d’emprise peut durer des années jusqu’à ce que la femme puisse enfin avoir les ressources mentales de décider d’y mettre fin et de reprendre sa liberté. Parfois hélas à ses risques et périls. C’est ainsi la séparation ou la menace de séparation qui provoque la plupart du temps le passage à l’acte, souvent très violent : pour les auteurs de féminicides, la rupture est vécue comme une dépossession à ce point insupportable qu’ils préfèrent tuer leur compagne plutôt que de la voir échapper à leur contrôle. Et dans le pire des cas (cela est arrivé) ce sont les enfants que le conjoint dépossédé tue pour atteindre « sa » femme.

Ces crimes sont le plus souvent l’aboutissement d’une mécanique qui aurait pu, et aurait dû, être identifiée pour pouvoir être, si possible, désamorcée. Il y a urgence d’agir en amont de ces crimes.

L’éducation peutelle influer sur la conduite envers les femmes ?

Il faudra nécessairement s’interroger sur l’environnement familial, social, culturel de l’auteur, la façon dont il a été éduqué. Est‑ce que telle ou telle éducation, qui ne ferait pas aux femmes la place qu’elles doivent avoir en France au XXIe siècle, serait de nature à entraîner un comportement déviant et violent ?

Il faut comprendre et analyser les faits qui vont pousser une personne plutôt qu’une autre à passer l’acte. Est‑ce que l’éducation dès le plus jeune âge, a un rapport avec des actes de violences commis à l’âge adulte ? Ou est‑ce la dureté (ou la violence) avec laquelle l’enfant a lui‑même été élevé qui peut le conduire plus tard à se monter violent ?

Le profil de l’auteur devra être finement analysé pour espérer pouvoir en tirer quelques enseignements.

La consommation d’alcool et de stupéfiants est présente dans un féminicide sur trois.

La consommation excessive d’alcool, comme celle de stupéfiants et de médicaments psychotropes, que ce soit pendant les années de violence qui précèdent le meurtre ou le jour du passage à l’acte, demeure un élément récurrent, ainsi qu’un signal d’alerte, de ce type d’homicide.

Dans une optique de prévention, la présence cumulée de la consommation de stupéfiants, d’alcoolisme chronique et de la violence conjugale physique doit attirer l’attention dans l’évaluation du risque d’homicide conjugal.

Derrière chaque histoire de meurtre conjugal, on constate en effet que les violences, psychologiques ou physiques, étaient présentes depuis longtemps comme autant de signes avant‑coureurs.

Il est crucial de prendre au sérieux les craintes de la victime ou de son entourage et de réagir avec force avant que le pire ne se produise.

Nombre de féminicides pourraient sans doute être évités si les signaux d’alerte étaient mieux détectés.

Un tiers des victimes avaient signalé aux autorités des violences conjugales avant de mourir, mais on l’a vu, au moins 40 % de ces plaintes sont classées sans suite.

La détection précoce des signaux d’alerte est capitale pour pouvoir efficacement protéger les femmes et les enfants.

Face à ce constat alarmant, il est impératif d’établir une commission d’enquête parlementaire.

Cette commission aura pour mission d’évaluer les mesures mises en œuvre dans la lutte contre les féminicides, de recenser les défaillances ayant permis le passage à l’acte, d’analyser le profil des auteurs et d’établir au vu de ces éléments, des préconisations afin de mieux prévenir les féminicides pour en réduire le nombre.

 


– 1 –

proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’évaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre dans la lutte contre les violences familiales, de recenser les défaillances ayant permis le passage à l’acte, d’analyser le profil des auteurs et de d’établir au vu de ces éléments, des préconisations afin de mieux prévenir les féminicides et homicides commis dans le cadre de violences intra familiales et d’en réduire le nombre.

Elle doit notamment, et sans que la liste soit exhaustive, évaluer le risque d’homicide conjugal, faire un recensement des signaux d’alerte, faire un recensement des conduites qui ont précédé le passage à l’acte de l’agresseur, dresser un état de l’ensemble des violences antérieures au passage à l’acte, lister les destinataires de violences, tels que le conjoint, l’enfant, l’entourage, l’animal, indiquer et décrire les violences avec de précédents partenaires, établir les profils et caractéristiques des meurtriers et assassins ayant agi contre leur conjoint, partenaire ou ex-conjoint et ex-partenaires et contre leurs enfants, regarder pour chacun de ces auteurs, le contexte familial, culturel, sociologique, l’éducation reçue dans l’enfance.

Elle doit aussi remédier aux défaillances qui ont pu exister, recenser les défaillances qui ont permis le passage à l’acte, et relever s’il y a lieu les insuffisances du système judiciaire, de la gendarmerie et de la police, en se penchant spécifiquement sur les obstacles au dépôt de plaintes, les cas où la victime a été renvoyée sans avoir pu déposer plainte ou en ayant seulement déposé une main courante, les raisons des classements sans suite, l’évaluation des condamnations, l’exécution et la non exécution des condamnations, le suivi des auteurs de violences, les possibilités offertes à la victime pour fuir, se reloger, trouver des solutions urgentes, voire pérennes, décrire le financement actuel alloué pour la lutte contre les violences intra familiales en précisant l’affectation des différents budgets, relever les insuffisances quant au moyens humains et financier pour mettre en œuvre une protection adéquate, estimer le budget qu’il serait nécessaire de prévoir pour prémunir les féminicides et homicides de violences intra familiales et pour assurer pour une meilleure prise en charge des victimes de violences intra familiales, analyser les échecs ayant conduit à une récidive des auteurs.

Elle doit donc, à cette fin, auditionner des auteurs de violences intra familiales et ceux qui ont tenté de tuer leur conjoint, des victimes, des associations de victimes, des ministres et secrétaires d’État en exercice ou non, des élus, des professionnels, tels que des magistrats, policiers, gendarmes, éducateurs, médecins, psychiatres, directeurs d’établissements, ainsi que de façon générale toute personne qui peut apporter une réponse aux questions posées par la commission d’enquête.

Au vu de ces éléments, elle doit faire des préconisations en vue d’assurer une meilleure prévention du passage à l’acte et en vue de réduire le nombre de féminicides ou de meurtres et assassinats commis dans le cadre des violences intra familiales.

 

 


([1]) Statistiques de l’Observatoire national des violences faites aux femmes – Lettre de novembre 2024 mise à jour le 22 janvier 2025

([2]) Source : Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple entre 2013 et 2023 - Délégation aux victimes, Ministère de l’Intérieur)- (Lettre novembre 2024 Observatoire National des violences faites aux femmes)

([3]) Source : Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple entre 2013 et 2023 - Délégation aux victimes, Ministère de l’Intérieur)- (Lettre novembre 2024 Observatoire National des violences faites aux femmes)

([4]) Statistiques 6 novembre 2024 issues du SSMI (service statistique au sein du ministère de l’Intérieur, en charge de la sécurité intérieure, rattaché à la fois à la police et à la gendarmerie. Il compose avec l'Insee et 15 autres services statistiques ministériels le service statistique public coordonné par l’Insee).

([5]) Observatoire national des violences faites aux femmes – Lettre de novembre 2024 mise à jour le 22/01/2025

([6]) Lettre de l’Observatoire national de violences faites aux femmes N°19 mars 2024

([7]) Rapport de l'Inspection Générale de la Justice (IGJ) et rendu public en novembre 2019

([8]) Lettre de l’Observatoire national de violences faites aux femmes N°19 mars 2024