N° 1665

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’intoxication de la population française au cadmium et les pistes concrètes de politiques publiques permettant de nous en protéger,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Clémentine AUTAIN,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 6 juin 2025, un article du Monde dévoilait l’alerte des médecins au sujet du cadmium, un cancérogène présent dans les engrais phosphatés, qui contaminerait massivement les Français, et en particulier les enfants, à travers la consommation de céréales, pain, ou pâtes. Le sujet a été qualifié de « bombe sanitaire » ou encore « fléau de santé publique » par la Conférence nationale des unions régionales des professionnels de santé‑médecins libéraux dans un courrier adressé le lundi 2 juin au Premier ministre.

Ce métal lourd, classé cancérogène de groupe 1 (certain) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), s’accumule dans l’organisme (os, foie, reins), et peut contribuer à l’apparition de nombreuses pathologies, parmi lesquelles de l’ostéoporose, des troubles de la reproduction et certains cancers (poumons, reins, foie). En particulier, les professionnels de santé alertent sur les cancers du pancréas, dont la prévalence en forte hausse est associée à l’exposition au cadmium. Avec un taux de 9,4 cas pour 100 000 habitants en 2022, la France est le quatrième pays au monde dans le classement de la prévalence de cette maladie.

La source principale de contamination provient de l’alimentation, où l’on retrouve le cadmium à des taux importants dans les féculents (céréales, pommes de terre, pâtes, farine, mollusques…).

La France constitue une exception funeste en la matière : l’imprégnation moyenne du cadmium dans l’organisme, mesurée en μg de cadmium par gramme de créatinine dans les urines, est de 0,28 μg/g chez les enfants, soit quatre fois plus qu’en Allemagne et quinze fois plus qu’au Danemark.

En outre, cette tendance est en nette augmentation : alors que la limite recommandée par l’ANSES en 2019 était de 0,5 μg/g (pour un adulte non‑fumeur), Santé publique France a établi que l’imprégnation moyenne du cadmium dans les organismes des Français.es avait presque doublé entre 2006 et 2016, passant de 0,29 μg/g à 0,57 μg/g.

La législation sanitaire française fixe la dose journalière tolérable à 0,35 μg de cadmium par kilogramme de masse corporelle, soit 3,5 fois plus qu’aux États‑Unis. Un simple calcul permet de montrer que cette recommandation, bien que plus souple que dans d’autres pays, n’est pourtant pas respectée. Prenons le cas d’un enfant de 3 ans, pesant 14 kilos. La dose journalière tolérable est de 4,9 μg. Sachant que l’on retrouve du cadmium à hauteur de 19 μg par kilo dans les céréales, 11 dans les pâtes et 21 dans les pommes de terre, l’enfant aura ingéré :

– 0,5 μg de cadmium au petit déjeuner (25 g de céréales avec une concentration de 19 μg/kg)

– 2,1 μg de cadmium au déjeuner (100g de pommes de terre avec une concentration de 21 μg/kg)

– 1 μg de cadmium au goûter (barre de céréales de 50g avec une concentration de 19 μg/kg)

– 1,1 μg de cadmium au dîner (100g de pâtes avec une concentration de 11 μg/kg)

Soit au total 4,7 μg, en ne considérant que les féculents ! En ajoutant le reste du régime alimentaire (légumes, viandes, laitage…), nul doute que cette quantité atteint les 4,9 μg de cadmium, dose maximale recommandée pour cet enfant.

Ces denrées à base de blé et d’amidon composent aujourd’hui une part importante du régime alimentaire des Françaises et Français, notamment issu.es des classes populaires, qui ne peuvent pas se permettre d’acheter des produits frais, de moins en moins accessibles financièrement, et sont contraints de se reporter sur des aliments à haute valeur calorique, notamment les féculents.

La cause de cette contamination des aliments courants est bien connue : il s’agit de l’épandage d’engrais phosphatés, issus de roches sédimentaires (phosphorites) où le cadmium est très présent au sein des éléments traces. L’Union européenne, ne disposant que de très peu de gisements (la plupart étant localisés en Finlande), importe 85 % des engrais utilisés sur son territoire. Ceux‑ci sont principalement en provenance du Maroc (1,8 millions de tonnes), de Russie (1,6 millions de tonnes) et d’Algérie (0,7). Or, selon l’origine géologique des gisements, les phosphorites peuvent être chargées en cadmium dans des teneurs significativement différentes, allant de 20 mg par kilogramme de superphosphore pour les engrais phosphatés russes, à 60 mg par kilogramme pour les engrais marocains.

Tandis que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) préconise un abaissement du seuil maximal de teneur en cadmium au sein des superphosphores, la Commission Européenne a également statué en ce sens, fixant un objectif d’une réduction à 40 mg/kg sur 8 ans puis à 20 mg/kg d’ici 2034. Certains pays appliquent déjà cette limite, mais la France n’a pas suivi. Selon l’Anses, abaisser ce seuil à 20 mg/kg ne sera toutefois pas suffisant, compte tenu des dizaines d’années nécessaires pour que le niveau de contamination des sols commence à baisser.

Ces perspectives sont encourageantes pour limiter l’accumulation du cadmium dans les sols et résoudre un problème de santé publique particulièrement préoccupant. Néanmoins, ces contraintes réglementaires peuvent faire craindre un risque de dépendance à un monopole russe, la Russie étant le seul marché ouvert à l’exportation d’engrais phosphatés dont les concentrations permettent de satisfaire la réglementation. Dans un contexte où les tensions géopolitiques accrues et les perspectives d’une guerre aux portes de l’Europe s’amoncellent, le risque d’une dépendance au marché russe, pouvant de surcroît générer une flambée des prix, doit être savamment étudiée.

Ainsi, c’est tout l’usage massif d’engrais phosphatés qui doit être remis en question. Notre dépendance aux engrais dans le cadre d’un modèle agricole intensif en grande partie destiné à l’élevage animal doit être interrogé, et des alternatives doivent à l’inverse être plus sérieusement considérées et valorisées.

C’est dans ce cadre que l’Assemblée Nationale doit se saisir du sujet via la création d’une mission d’information.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’auditionner des experts du monde médical, scientifique, de l’agriculture et de la géopolitique des ressources afin :

D’évaluer l’ampleur de la contamination, ses causes et les risques pesant sur diverses catégories de la population ;

D’accélérer les politiques de dépistage de contamination au cadmium et des pathologies associées ;

D’examiner les freins au développement des pratiques alimentaires réduisant les risques d'exposition au cadmium, et notamment le manque de soutien aux produits issus de l'agriculture biologique ;

D’analyser les dépendances à l’utilisation massif d’engrais phosphatés dans notre système de production agricole et en étudier les alternatives, ainsi que les mesures préventives et d’accompagnement des agriculteurs au changement de pratiques agricoles.