N° 1893

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er octobre 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

relative aux allocations chômage des travailleurs frontaliers,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Isabelle RAUCH,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le chômage des travailleurs frontaliers soulève depuis plusieurs années des problématiques juridiques, budgétaires et administratives majeures au sein de l’Union européenne. Conformément à l’article 65 du règlement (CE) n° 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, un travailleur frontalier au chômage est pris en charge par son État de résidence, même si les cotisations afférentes à l’assurance chômage ont été intégralement versées dans un autre État membre. Ce principe, hérité d’un contexte marqué par des flux de main‑d’œuvre moins massifs, n’est plus adapté aux réalités de l’emploi transfrontalier.

En effet, la montée en puissance des mobilités professionnelles entre pays européens et l’attractivité de certains bassins d’emploi – notamment le Luxembourg et la Suisse – ont conduit à une augmentation continue du nombre de travailleurs frontaliers. En 2023, on comptait ainsi 77 000 allocataires indemnisés en France avec un droit frontalier, soit une hausse de 50 % par rapport à 2011. Cette situation produit un déséquilibre budgétaire significatif : depuis 2011, la France a supporté une charge nette de 9 milliards d’euros au titre de l’indemnisation des chômeurs frontaliers, en raison d’un mécanisme de remboursement entre États largement déficitaire.

Les allocataires frontaliers sont, en moyenne, mieux indemnisés que l’ensemble des allocataires, ce qui s’explique par le niveau des salaires plus élevé dans les pays frontaliers, notamment en Suisse. En 2023, les allocataires frontaliers ayant travaillé en Suisse perçoivent en moyenne 2 670 euros par mois, contre 1 265 euros pour l’ensemble des allocataires indemnisés par le régime d’assurance chômage français. Ces écarts de montants, bien que justifiés par les carrières et les salaires perçus à l’étranger, accentuent d’autant plus la charge financière supportée par l’État de résidence, sans lien avec les cotisations effectivement perçues.

Ce régime crée également une rupture du lien entre lieu d’activité et législation applicable. Il engendre une insécurité juridique pour les travailleurs aux carrières mixtes, dont les droits varient selon des critères parfois peu lisibles. Le système repose sur un principe d’indemnisation par l’État de résidence, indépendamment des cotisations effectivement versées, alors même que les droits sociaux devraient logiquement s’ouvrir dans le pays où l’activité est exercée. Ce décalage nuit à la cohérence des politiques publiques nationales et européennes et fragilise la légitimité des systèmes de sécurité sociale. Cette même logique s’applique également au financement des prestations liées à la dépendance, notamment l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), dont la charge incombe à l’État de résidence, y compris pour des assurés ayant cotisé dans un autre État membre. Ce désalignement contribue à accentuer les déséquilibres budgétaires dans les espaces transfrontaliers.

Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause les droits des travailleurs frontaliers, qui respectent les règles en vigueur. Il s’agit, au contraire, de garantir un traitement équitable, transparent et soutenable de leur situation. Un rééquilibrage est donc indispensable afin que la charge financière incombe à l’État ayant perçu les cotisations, dès lors que le travailleur y a exercé une activité salariée pendant une durée minimale (proposée ici à 12 mois). Ce modèle permettrait d’assurer une meilleure proportionnalité entre effort contributif et indemnisation.

Depuis 2016, la Commission européenne ainsi que de nombreux États membres ont engagé des réflexions visant à réformer les règlements (CE) n° 883/2004 et 987/2009 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, notamment en ce qui concerne l’indemnisation du chômage des travailleurs frontaliers. Si plusieurs propositions ont été formulées, leur adoption a été freinée par des divergences entre États membres. La relance récente de ces travaux qu’a portée la Présidence du Conseil de l’Union européenne, assurée par la Pologne, au cours du semestre précédent n’a pas permis de faire progresser ces réformes attendues de longue date. Dans ce contexte, la présente résolution entend rappeler la nécessité d’une évolution du cadre juridique européen.

Dès lors, plusieurs axes d’action doivent être envisagés :

Premièrement, la modification de l’article 65 du règlement (CE) n° 883/2004 est nécessaire afin de faire évoluer le principe de compétence vers celui du dernier État d’activité, en remplacement du principe automatique d’indemnisation par l’État de résidence. Cette réforme structurelle permettrait de mieux faire coïncider les droits ouverts avec la réalité professionnelle des allocataires.

Deuxièmement, le mécanisme de compensation interétatique actuellement prévu par la législation européenne doit être renforcé et rendu plus rigoureux dans sa mise en œuvre, afin d’assurer un remboursement effectif et équitable entre États membres. Ce mécanisme serait conservé, uniquement, pour les situations de carrières mixtes, et deviendrait sans objet dans les cas de prise en charge complète de l’indemnisation par le dernier État d’activité, conformément au nouveau principe proposé. Il en irait de même pour les prestations sociales spécifiques, telles que les aides à la dépendance, afin d’assurer une cohérence globale dans la répartition des charges entre États membres.

Troisièmement, il convient d’harmoniser le mode de calcul du salaire de référence pour les travailleurs ayant exercé dans plusieurs États membres, en intégrant l’ensemble des rémunérations perçues sur les périodes considérées. Cela assurerait une indemnisation cohérente avec le parcours professionnel des assurés.

Enfin, il apparaît essentiel de renforcer la coopération administrative, notamment par la révision des formulaires U1 et U2 et la numérisation des échanges entre services compétents, afin de fluidifier les démarches et d’assurer une continuité effective des droits.

L’ensemble de ces mesures vise à moderniser un régime aujourd’hui source de tensions budgétaires, de complexité administrative et de disparités entre les contributions versées et les prestations financées. En garantissant une meilleure articulation entre cotisations et prestations, la présente proposition s’inscrit dans l’objectif d’une Europe plus intégrée, plus lisible, et plus équitable pour ses citoyens les plus mobiles.

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la coordination des systèmes de sécurité sociale,

Vu le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004,

Vu les articles 45 et 48 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union,

Vu la décision n° U2 du 12 juin 2009 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale relative à la portée de l’article 65 du règlement (CE) n° 883/2004,

Vu la proposition de règlement COM(2016) 815 final modifiant le règlement (CE) nº 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) nº 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº 883/2004,

Vu la décision n° 76/2011 du Comité mixte de l’Espace économique européen intégrant les règlements (CE) n° 883/2004 et n° 987/2009 à l’accord sur l’Espace économique européen,

Vu l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, et ses annexes relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale,

Considérant qu’un travailleur frontalier désigne toute personne exerçant une activité salariée ou non salariée dans un État membre et résidant dans un autre État membre, dans lequel elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine, en application du règlement (CE) n° 883/2004 précité ;

Considérant que les règles d’indemnisation du chômage des travailleurs frontaliers reposent actuellement sur le principe de l’État de résidence, quel que soit le pays d’emploi, en application de l’article 65 du règlement (CE) n° 883/2004 précité ;

Considérant que les règles actuelles d’indemnisation du chômage et de prise en charge des prestations sociales, notamment celles liées à la dépendance, fondées sur le principe de l’État de résidence, engendrent des incohérences, des disparités contributives, une rupture du lien entre lieu d’activité et législation applicable, ainsi que des risques d’opportunisme entre États membres ;

Considérant que cette situation crée une insécurité juridique et sociale pour les travailleurs aux carrières mixtes, complexifie les démarches administratives, génère des désalignements budgétaires où l’État payeur n’est pas celui ayant encaissé les cotisations, et soulève des enjeux similaires concernant le financement des prestations liées à la dépendance, telles que l’allocation personnalisée d’autonomie, dans le cas des assurés ayant exercé une activité dans plusieurs États membres ;

Considérant la nécessité de garantir une équité entre les États membres en assurant une répartition juste de la charge financière de l’indemnisation chômage et des allocations liées à la dépendance, ainsi que de renforcer la continuité des droits pour les travailleurs ayant des carrières mixtes dans plusieurs pays de l’Union européenne ;

Estime indispensable de réformer les règles européennes d’indemnisation chômage des travailleurs frontaliers afin de rétablir une proportionnalité entre cotisations versées et prestations perçues ;

Estime nécessaire que le principe d’indemnisation par l’État de résidence soit remplacé, lorsque le travailleur a exercé son activité pendant au moins douze mois continus dans un autre État membre, par une indemnisation à la charge du dernier État d’activité ;

Invite la Commission européenne à proposer une révision de l’article 65 du règlement (CE) n° 883/2004 en ce sens, afin d’assurer une meilleure cohérence entre lieu de cotisation et charge d’indemnisation, et d’éviter les déséquilibres structurels observés depuis plus d’une décennie ;

Invite à renforcer le mécanisme de compensation budgétaire existant entre États membres, en le rendant plus rigoureux et équitable dans ses modalités de calcul et de remboursement, afin qu’il couvre de manière ciblée les situations où l’assuré a exercé des activités salariées dans au moins deux États au cours d’une période récente ainsi que les prestations sociales spécifiques telles que les aides à la dépendance ;

Considère que dans les situations où l’indemnisation chômage serait désormais à la charge exclusive du dernier État d’activité, ce mécanisme deviendrait sans objet ;

Invite à harmoniser le calcul du salaire de référence pour les travailleurs ayant eu des carrières transnationales, en tenant compte des salaires perçus dans les derniers États d’activité afin d’assurer un niveau d’indemnisation représentatif ;

Invite à renforcer la coopération administrative entre institutions nationales, notamment en mettant à jour, en clarifiant et en harmonisant les formulaires PD U1 et PD U2, afin de garantir la continuité effective des droits, de simplifier les démarches des assurés et d’accélérer le traitement par les institutions compétentes ;

Souhaite que l’Union européenne modernise son cadre juridique de coordination des systèmes de sécurité sociale, afin de garantir une protection plus efficace, plus équitable et mieux adaptée à la réalité du marché du travail transfrontalier.