N° 1900
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à l’instauration d’une Journée nationale des Traditions,
présentée par
M. Charles ALLONCLE, M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. Christophe BENTZ, Mme Véronique BESSE, M. Matthieu BLOCH, Mme Manon BOUQUIN, M. Eddy CASTERMAN, M. Bernard CHAIX, M. Marc CHAVENT, M. Sébastien CHENU, Mme Josiane CORNELOUP, M. Frédéric FALCON, Mme Stéphanie GALZY, M. Antoine GOLLIOT, Mme Laure LAVALETTE, Mme Nadine LECHON, M. Bartolomé LENOIR, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, Mme Michèle MARTINEZ, M. Nicolas MEIZONNET, M. Maxime MICHELET, Mme Christelle MINARD, M. Thibaut MONNIER, M. Serge MULLER, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Anne SICARD, M. Emmanuel TACHÉ, M. Vincent TRÉBUCHET,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France s’uniformise. Elle semble parfois n’être déjà qu’une partie du monde global, alors qu’à Paris, Séoul ou New York, on porte les mêmes vêtements, on lit les mêmes bandes dessinées venues d’Asie, on écoute les mêmes artistes anglophones, on déjeune dans les mêmes enseignes standardisées.
Ce phénomène n’est pas nouveau, ni nécessairement négatif : il est la simple traduction de 70 ans de rapprochement post‑guerre et d’accélération des échanges commerciaux. Mais à mesure que l’uniformisation s’installe, une autre réalité s’efface : celle de nos traditions vivantes, de nos expressions culturelles régionales, qui façonnent l’âme de la France, et avec elle tout ce qui fait son authenticité. Ainsi, selon une enquête InfoPro menée en novembre 2024, près de 30 % des fêtes traditionnelles de notre pays ont disparu en seulement 4 ans.
Cette réalité, particulièrement alarmante, témoigne une véritable hémorragie culturelle à l’œuvre : chaque année, ce sont des centaines d’événements, parfois pluriséculaires, qui disparaissent du calendrier local. Derrière ce recul statistique, ce ne sont pas seulement des moments de convivialité, mais des pans de notre récit commun, propices à créer des repères collectifs, qui s’éteignent sans bruit.
Car si la France est une nation de tradition jacobine, sa singularité culturelle s’est forgée sur une mosaïque d’identités régionales : de gestes transmis, de fêtes populaires, de savoir‑faire ancestraux. Dès qu’on s’éloigne des grandes métropoles, cette richesse se donne à voir et à vivre : courses camarguaises et abrivados dans le Sud, fest‑noz en Bretagne, fêtes Johanniques à Orléans, fête du Hareng roi à Étaples‑sur‑mer, bénédiction des calissons à Aix‑en‑Provence, chants corses, costumes alsaciens, processions religieuses, pelote basque, fanfares de nos villages, autant de manifestations vibrantes d’un patrimoine immatériel en pleine vitalité.
C’est sans compter une richesse culinaire inégalée : depuis les treize desserts provençaux, au piment d’Espelette, en passant par la variété inépuisable des fromages et des vins. Ainsi, de Sancerre à Roquefort, de Saint‑Émilion à Salers, de Chablis à Coulommiers, chaque petit bout de France cultive jalousement une identité particulière, et participe pour autant pleinement à la grandeur de notre nation.
Plus encore, ces identités solidement enracinées forment souvent, à elles seules, la matrice de tout un territoire, tant elles imprègnent chaque aspect de la vie locale. En Camargue, comme dans l’Hérault, le Gard, les Bouches‑du‑Rhône ou le Vaucluse, des centaines de villes et de villages, fièrement dressés autour de leurs manades, demeurent indissociables des traditions bouvines, qui déterminent le calendrier de la temporada, cette période de l’année pendant laquelle les rues résonnent du fracas des pavés et de la clameur des arènes.
La menace que fait peser le désengagement des assureurs sur les manadiers – ces éleveurs de taureaux qui incarnent l’âme de la bouvine – démontre par ailleurs combien ces traditions sont essentielles au maintien du tissu local : leur disparition emporterait des conséquences aussi bien culturelles que sociales, en privant des centaines de communes du lien charnel qui les unit.
Pourtant, ce patrimoine vivant ne bénéficie pas d’un soutien à la hauteur de son importance. Trop souvent, ces traditions sont cantonnées à une vitrine touristique, réduites à des anecdotes pittoresques. Nous les réservons aux visiteurs, comme si elles ne nous appartenaient plus. La culture française, dans ce qu’elle a de plus enracinée et de plus partagée, a cessé d’être un mode de vie collectif. Elle est devenue une ressource économique, au service du tourisme de masse, davantage qu’un facteur de cohésion de la nation.
En faisant le pari du tourisme de masse, nos gouvernants d’hier ont parié sur ce que personne ne pourra jamais nous voler : notre patrimoine historique, nos châteaux, cathédrales et musées, qui attirent le monde à domicile. La Journée du patrimoine, succès incontestable, célèbre avec brio notre héritage monumental. Mais qu’en est‑il de notre patrimoine vivant, celui qui s’exporte à l’international, lui qui est le signe par essence que notre culture ne s’écrit pas au passé mais au présent ? Qu’en est‑il de cette culture populaire, de ces pratiques, de ces rituels, à même de structurer la vie locale, de transmettre une mémoire collective, en donnant à chaque Français la possibilité de s’enraciner au sein d’une identité singulière ?
Dans certaines régions, ces traditions se maintiennent grâce à une forte identité territoriale, comme en Corse, en Bretagne ou au Pays basque. Pourtant, reléguées au rang de contre‑culture faute de soutien national d’ampleur, elles deviennent le meilleur argument des autonomistes, qui poussent au contraste avec la lente désagrégation du tissu culturel national. En effet, si l’effacement de nos traditions populaires doit beaucoup à l’évolution de nos modes de vie, on ne peut éluder l’absence de considération et d’accompagnement global de l’État, qui tend à considérer les traditions régionales comme des fragmentations de la République, quand bien même elles constituent le ciment précieux de son unité.
Par ailleurs, s’il est un drame culturel, la persistance d’un tel décrochage annonce également de lourdes répercussions économiques pour nos territoires. Ainsi les événements festifs et culturels peuvent représenter, selon les régions, entre 2 et 10 % du PIB régional, tandis que chaque euro investi dans une fête locale génère entre 2 et 5 euros en retombées (hôtellerie, restauration, commerces, transport, artisanat local). Ils ont des répercussions significatives sur l’emploi et le tourisme, étant à l’origine de 5 à 15 % de l’emploi saisonnier ainsi que de 20 % à 50 % de visiteurs extérieurs. En outre, alors que 20 % des collectivités organisatrices de fêtes se disent aujourd’hui pessimistes concernant leur pérennité, faire cesser cette lente spirale de l’effacement culturel apparaît aujourd’hui comme un objectif vital.
C’est pourquoi, cette proposition de résolution vise à instaurer une Journée nationale des traditions, dédiée à la célébration de notre patrimoine immatériel. Une journée pour mettre à l’honneur les musiques, les danses, les costumes, les rites, les recettes, les savoir‑faire et les langues qui font la richesse de nos régions. Une journée pour transmettre, pour apprendre, pour se reconnaître dans un récit commun qui s’écrit au présent.
D’autres pays ont fait ce choix : le Japon, le 3 novembre, célèbre la culture et l’art ; la Suède, le 4 août, invite chacun à revêtir son costume traditionnel ; en Norvège, le 17 mai n’est pas seulement la fête nationale, c’est une exaltation des traditions locales ; en Afrique du Sud, le Heritage Day, le 24 septembre, rend hommage à la diversité culturelle et linguistique du pays. En France, il pourrait s’agir du 15 octobre, soit environ trois semaines après les Journées du Patrimoine, et quelques jours avant les vacances de la Toussaint, une période dont le rythme des commémorations s’avère particulièrement léger. Le choix d’une date fixe permettrait que cette dernière tombe selon les années tantôt sur un jour ouvrable, propice à sa célébration dans nos écoles, tantôt sur une fin de semaine, propice à une célébration familiale ou municipale.
Lors de cette journée, des manifestations pourraient être organisées dans les lieux de culture, comme les bibliothèques et les musées, ou sur les places publiques. Des initiatives à visée éducative auraient également leur place dans les écoles, collèges et lycées, afin de répondre à ce besoin de transmission. Enfin, nos antennes diplomatiques à l’étranger pourraient accueillir des événements dédiés, pour partager ce savoir‑vivre au plus grand nombre.
La France ne manque pas de traditions. Ce qui lui manque, c’est une occasion de les célébrer, ensemble, dans toute la diversité des terroirs qu’elles représentent. À l’instar de la Fête de la musique, qui parvient à rassembler chaque année des millions de Français dans les rues depuis 1982, cette Journée des Traditions pourrait devenir un événement populaire et fédérateur, capable de réconcilier notre mémoire et notre modernité.
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proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du 17 octobre 2003,
Considérant la richesse et la diversité des traditions de nos régions, qu’elles soient linguistiques, culinaires, artisanales, musicales, vestimentaires, agricoles, festives ou rituelles, qui façonnent l’identité singulière de la France, tant dans sa dimension continentale qu’ultramarine ;
Considérant le rôle fondamental de ces traditions pour la cohésion de notre nation, la préservation de notre héritage culturel et le développement touristique de nos territoires,
Considérant l’importance de la transmission intergénérationnelle de ces savoir‑faire, savoir‑être et pratiques culturelles, menacés par l’uniformisation des modes de vie ;
Considérant l’engouement de nombreux citoyens mobilisés dans nos territoires pour affirmer leur identité régionale, et au contraire, la difficulté d’autres terroirs à enraciner leur identité particulière faute d’initiative d’ampleur de soutien à nos traditions ;
Considérant que nos traditions vivantes sont rarement mises à l’honneur, conduisant en à perdre l’usage, et que notre mémoire vivante mérite d’être entretenue ;
Considérant que de nombreux pays ont institué des journées ou semaines dédiées à la valorisation de leur patrimoine immatériel, et qu’une telle démarche renforcerait le rayonnement culturel de la France ;
Invite le Gouvernement à envisager l’instauration d’une Journée nationale des traditions, célébrée chaque année à une date symbolique à déterminer, telle que le 15 octobre, au cours de laquelle chaque territoire serait invité à mettre en valeur ses traditions, via des manifestations culturelles publiques et des initiatives dans les écoles et lieux de culture ;,
Invite le ministère de l’Éducation nationale à intégrer cette journée dans les programmes pédagogiques afin de favoriser la transmission de ce patrimoine auprès des jeunes générations ;
Invite le ministère de la Culture, en lien avec les collectivités territoriales, les associations locales et les institutions patrimoniales, à inscrire cette journée au calendrier officiel du ministère de la Culture, et à accompagner sa mise en œuvre par un soutien logistique, une communication dédiée, et d’autres moyens adaptés à son plein déploiement à l’échelle nationale, à l’image des dispositifs existants dans le cadre de la Fête de la Musique.