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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mai 2019.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI pour une interdiction effective de la pêche électrique (n° 1809)
PAR M. Erwan BALANANT
Député
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Voir le numéro : 1809.
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SOMMAIRE
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Pages
A. Une technique de pêche violente menaÇant l’environnement
1. Une méthode de pêche extrêmement controversée
2. De nombreux effets néfastes
a. Une technique particulièrement violente
b. Une menace pour tout l’écosystème marin
c. Une méthode de pêche non sélective
d. Une technique qui contribue à la surpêche
e. La pêche électrique fournit aux consommateurs des poissons de moindre qualité
B. La pËche électrique : une menace pour la pêche traditionnelle et artisanale.
A. L’interdiction de la pêche électrique sera effective dans l’union européenne en 2021
2. La nécessité d’une interdiction législative
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Article unique (article L. 922-4 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime)
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
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La pêche électrique incarne aujourd’hui la prédation sans discernement de l’homme sur son environnement. Scandale écologique, scandale social, scandale pour le consommateur, elle constitue une méthode de pêche d’une violence inouïe, qui ravage des écosystèmes entiers et contribue à la surpêche. La nécessité d’interdire une telle pratique – comme cela avait été fait par un règlement européen, dès 1998, avant qu’une malheureuse exception ne soit introduite en 2007 – ne fait plus débat : un règlement européen qui devrait être prochainement adopté fixe cette interdiction au 1er juillet 2021. Fort heureusement, une disposition de l’annexe V à ce règlement permet d’anticiper cette date, offrant aux États membres qui le souhaitent la possibilité d’interdire immédiatement cette technique de pêche dans leurs eaux territoriales. Tel est précisément l’objet de la présente proposition de loi « pour une interdiction effective de la pêche électrique » déposée le 27 mars 2019 par votre rapporteur.
Le scandale écologique que constitue la pêche électrique se traduit aujourd’hui, dans la plupart des pays du monde, y compris certains États réputés peu soucieux de préserver l’environnement, par l’interdiction de pratiquer ce type de pêche dans leurs eaux ([1]). Les éléments scientifiques à notre disposition, plaident également pour l’interdiction de cette méthode, bien qu’une grande partie de la recherche provienne des Pays‑Bas – principal pays pratiquant, dans l’Union européenne, la pêche électrique – et soit d’une qualité médiocre.
Néanmoins, la pêche électrique n’est pas seulement destructrice de l’environnement : ses conséquences économiques et sociales sont également très lourdes. Au cours des auditions qu’il a menées, votre rapporteur a entendu les représentants des fileyeurs des Hauts-de-France et de la petite pêche artisanale française. Leur constat est sans appel : les chalutiers équipés d’électrodes vident littéralement leurs zones de pêche, laissant derrière eux « un cimetière de poissons » selon l’expression de M. Stéphane Pinto, vice-président du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Hauts-de-France. La ressource met ensuite des années à se reconstituer, plaçant les pêcheurs locaux dans une situation économique intenable.
Ne nous y trompons pas : derrière la question de la pêche électrique se profile celle, plus large, du modèle de pêche que nous souhaitons pour l’avenir. À rebours d’une pêche industrielle, dévastatrice, dominée par la technique et la quête de la rentabilité, notre conviction est qu’il faut faire le choix d’une pêche artisanale, à taille humaine, ancrée dans une économie territoriale et créatrice d’emplois.
Cette proposition de loi, qui traite d’une problématique à la fois écologique, scientifique, économique et sociale, est également une invitation à nous interroger, au-delà de la seule question de la pêche électrique, sur la gouvernance qui doit être celle de la pêche de demain. La mission d’information sur la pêche, créée au sein de la commission des affaires économiques en février dernier, permettra à notre assemblée d’approfondir cette thématique. Certaines pistes, suggérées à votre rapporteur lors de ses auditions mériteraient d’être explorées : l’association Planète Mer évoquait ainsi l’exemple de la cogestion catalane, impliquant pêcheurs, scientifiques, populations et acteurs de la filière, inscrite dans la réglementation locale comme principe de gestion des ressources halieutiques.
Ces enjeux environnementaux, politiques, économiques et sociaux sont d’une telle importance qu’il nous paraît aujourd’hui nécessaire d’inscrire dans la loi l’interdiction de cette technique dans les eaux territoriales françaises. Dès janvier 2018, par la publication d’une tribune contre la pêche électrique publiée dans le journal Le Monde, les députés avaient montré leur ferme volonté de s’opposer à la pêche électrique avant d’adopter à l’unanimité, le 6 mars, une proposition de résolution européenne allant dans le même sens. C’est ce mouvement que votre rapporteur vous propose aujourd’hui de poursuivre et de parachever. L’adoption de cette proposition, peu avant les élections européennes, témoignerait également de notre attachement à une Union européenne trop souvent décriée et à une politique commune de la pêche. Adoptée rapidement, elle montrerait, à l’heure où l’on accuse le Parlement de lenteur, sa capacité à légiférer rapidement et dans l’unité, lorsque l’urgence écologique, économique et sociale l’exige.
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I. La pêche électrique : une technique destructrice tant sur le plan environnemental qu’Économique et social
A. Une technique de pêche violente menaÇant l’environnement
1. Une méthode de pêche extrêmement controversée
La pêche électrique est une méthode de pêche qui allie pêche à impulsion électrique et chalut à perche, dont les chaînes sont remplacées par des électrodes. Afin de faciliter le débusquage et la capture de poissons plats – soles, plies, limandes notamment – des décharges sont envoyées dans la couche sédimentaire des fonds marins.
Interdite par le règlement européen (CE) n° 850/98, la pêche électrique fait l’objet d’un régime de dérogation établi par le règlement (CE) n° 41/2007 puis inclus dans le règlement (CE) n° 850/98 par le biais du règlement (UE) n° 227/2013. Ainsi, tous les États membres de l’Union européenne sont autorisés à équiper jusqu’à 5 % maximum de leur flotte de chalutiers à perche d’électrodes pour pêcher dans le sud de la mer du Nord (voir le II du présent rapport).
Les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné, à plusieurs reprises, la pauvreté et la faiblesse des études scientifiques consacrées à la pêche électrique, essentiellement publiées par des chercheurs néerlandais. Néanmoins, les éléments scientifiques dont nous disposons, qui sous-évaluent sans doute le degré de dangerosité de la technique, suffisent à appuyer son interdiction.
2. De nombreux effets néfastes
a. Une technique particulièrement violente
M. Jean-Pierre Pont, rapporteur au nom de la commission des affaires européennes de la proposition de résolution européenne relative à l’interdiction de la pêche électrique, adoptée par l’Assemblée nationale le 6 mars 2018 ([2]) rappelait à juste titre que le courant « impulsionnel bipolaire » utilisé dans le cadre de la pêche électrique était de nature identique à celui des Tasers (armes à électrochocs) utilisé pour le maintien de l’ordre ([3]).
Les convulsions provoquées par un tel courant sont si violentes que 50 % à 70 % des cabillauds de grande taille présentent une fracture de la colonne vertébrale et des hémorragies internes en conséquence de la décharge ([4]).
D’après des témoignages de pêcheurs relayés par l’association BLOOM, la pêche électrique entraîne « des brûlures, des ecchymoses et des déformations du squelette consécutives à l’électrocution ».
b. Une menace pour tout l’écosystème marin
Les effets de la pêche électrique se font sentir sur l’ensemble de la faune marine. M. Philippe Cury, spécialiste de la pêche et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) résumait ainsi les enjeux attachés à cette technique : « Il y a de bonnes raisons pour lesquelles la plupart des pays dans le monde ont interdit depuis des années les pêches à l’explosif, au poison et à l’électricité. Ce sont des techniques qui sont très efficaces mais ne sont pas du tout sélectives, et sont destructrices pour les habitats et les espèces non exploitées » ([5]).
c. Une méthode de pêche non sélective
La pêche électrique ne permet aucune sélectivité. Ainsi, pour 100 kilos de poisson pêché grâce à des chaluts équipés d’électrodes, 50 à 70 kg sont rejetés en mer ([6]) contre 6 kg en moyenne pour les fileyeurs ([7]).
Le taux de survie, enfin, pour les espèces rejetées est très faible, en particulier pour les juvéniles.
d. Une technique qui contribue à la surpêche
La surpêche est, selon la définition avancée par l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’exploitation des stocks se trouvant à des niveaux d’abondance inférieurs au seuil de rendement maximal durable. Comme le souligne le FAO dans son rapport La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture en 2018, ce phénomène « n’a pas seulement des conséquences écologiques défavorables, elle entraîne également une baisse de la production de poisson, qui peut à son tour avoir des incidences négatives sur les plans social et économique ».
Au niveau mondial, 80 % des stocks de poissons commerciaux sont aujourd’hui soit surexploités, soit pleinement exploités.
L’efficacité particulière des navires équipés pour la pêche électrique accentue le phénomène de surpêche. Les acteurs entendus par votre rapporteur ont souligné le fait que l’attrition de la ressource est telle que les pêcheurs néerlandais ne sont plus en mesure de pêcher les quotas qui leur sont attribués.
Très productive à court terme, cette méthode n’est absolument pas durable : en détruisant la ressource sans lui laisser le temps de se reconstituer, elle menace non seulement l’environnement mais aussi l’ensemble des pêcheurs.
L’association BLOOM le rappelle : « les chaluts électriques sont plus légers que les chaluts à perche conventionnels, ils peuvent également opérer dans des zones côtières qui leur étaient auparavant inaccessibles. Cependant, ces zones sont souvent des zones de reproduction ou des nourriceries pour de nombreuses espèces marines, où opéraient principalement des pêcheries artisanales à faible impact »
e. La pêche électrique fournit aux consommateurs des poissons de moindre qualité
Les conséquences de l’électrocution décrite plus haut sur le poisson en font un produit de qualité médiocre. Ainsi, 260 chefs cuisiniers issus de 21 pays ont signé, en janvier 2018, un manifeste qui résume clairement les conséquences de ces méthodes sur les poissons ainsi pêchés : « Les chalutiers électriques produisent des captures d’une qualité déplorable, stressées et souvent marquées d’hématomes consécutifs à l’électrocution. Les poissons sont de si mauvaise qualité qu’on ne peut rien en faire (…). Nous refusons de travailler des produits issus d’une méthode de pêche condamnant notre avenir et celui de l’océan. Avec les pêcheurs artisans et récréatifs, ce sont des dizaines de métiers qui vont disparaître ainsi que notre culture, notre patrimoine ».
L’association Poissonnier de France, qui a pris résolument position contre la pêche électrique, a rappelé, lors de son audition l’inquiétude des consommateurs suscitée par cette technique de pêche. À cette occasion, il a été suggéré de modifier les mentions obligatoires devant figurer sur les étiquettes des produits issus de la mer afin que le consommateur soit non seulement informé de la méthode de production, mais également de la zone de pêche, de la catégorie de l’engin de pêche, comme le prévoit le règlement (CE) n° 1379/2013 du 11 décembre 2013 et, enfin, de la méthode de pêche employée. À l’heure où la conformité de l’étiquetage des poissons à la réglementation est insuffisante ([8]), votre rapporteur ne peut que plaider pour une meilleure information du consommateur.
B. La pËche électrique : une menace pour la pêche traditionnelle et artisanale.
Les ravages de la pêche électrique ne se limitent pas aux fonds marins mais frappent également les professionnels et toute l’économie côtière.
La pêche électrique crée une distorsion de concurrence dommageable aux pêcheurs français des Hauts-de-France, tout comme aux pêcheurs belges, néerlandais et britanniques réduits à pêcher la sole et la plie de plus en plus à l’Ouest. Le 31 octobre 2018, dans un communiqué de presse, la région Haut‑de‑France affirmait ainsi son soutien aux pêcheurs, « notamment fileyeurs » qui allaient manifester pour l’interdiction de la pêche électrique le 3 novembre suivant et rappelait « son opposition à cette pratique néfaste tant pour la ressource halieutique que pour l’économie régionale ». Les pêcheurs des Hauts-de-France constatent empiriquement une diminution drastique des stocks de soles qui leur sont accessibles.
Les conséquences de cette méthode de pêche sont particulièrement sensibles pour les petits pêcheurs artisans, peu mobiles et dont les zones de pêche sont proches des côtes. Votre rapporteur a été particulièrement sensible à une formule employée par Mme Anne-Marie Vergez, coprésidente de la plateforme de la petite pêche artisanale française : « Nos navires ne nous permettent pas de partir longtemps en mer, ni de beaucoup nous éloigner des côtes. Nous sommes donc dans un jardin, la mer dans laquelle nous pêchons est notre jardin, notre intérêt est de préserver ce jardin ».
M. Stéphane Pinto a alerté votre rapporteur sur la situation « dramatique » de quarante-trois fileyeurs des Hauts-de-France. Il faudra, d’après son témoignage, trois à cinq ans pour reconstituer la ressource, période pendant laquelle la situation de ces pêcheurs et de leurs familles est particulièrement incertaine.
Les informations transmises par l’association BLOOM à votre rapporteur corroborent ce cri d’alerte : depuis l’apparition, en 2009, des premiers chalutiers électriques équipés, les pêcheurs artisans de Boulogne-sur-Mer ont perdu 80 % de leurs captures de soles. L’ensemble de la flottille de Boulogne-sur-Mer aurait ainsi pêché 61 tonnes de soles au premier trimestre 2019 contre 130 tonnes pour la même période en 2018. Cette situation mène à la perte de certains pêcheurs artisans. Sept fileyeurs ont subi un plan de sortie de flotte en 2017, à Boulogne‑sur-Mer. Actuellement, quatre d’entre eux cherchent à vendre leur navire.