3533


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 116


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale
le 9 novembre 2020

 

Enregistré à la Présidence du Sénat
le 9 novembre 2020

 

 

RAPPORT

 

FAIT

 

au nom de la commission mixte paritaire (1) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à la programmation de la recherche pour les années 2021 à 2027 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur,

par Mme Danièle HÉRIN

Rapporteure,

Députée.

par Mme Laure DARCOS,

Rapporteure,

Sénatrice.

 

 (1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, sénateur, président ; M Bruno Studer, député, viceprésident ; Mme Laure Darcos, sénatrice, et Mme Danièle Hérin, députée, rapporteures.

Membres titulaires : Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Pierre-Alain Raphan, M. Patrick Hetzel, M. Frédéric Reiss, M. Philippe Berta, députés ; M. Stéphane Piednoir, M. Jean-François Rapin, Mme Marie-Pierre Monier, Mme Sylvie Robert, et M. Julien Bargeton, sénateurs.

Membres suppléants : M. Francis Chouat, Mme Fannette Charvier, M. Régis Juanico, M. PierreYves Bournazel, Mme Béatrice Descamps, M. Bertrand Pancher, et Mme Elsa Faucillon, députés ; M. Max Brisson, M. Olivier Paccaud, M. Jean-Raymond Hugonet, M. Jean Hingray, Mme Claudine Lepage, M. Bernard Fialaire, M. Pierre Ouzoulias, sénateurs.

 

 

Voir les numéros :

 

Assemblée nationale : 1re lecture : 3234, 3339 rect. et T.A. 478.

3500. Commission mixte paritaire : 3533.

Sénat : 1re lecture : 722 (2019-2020), 51, 52 et T.A. 13 (2020-2021).

Commission mixte paritaire : 116 et 117 (2020-2021).


 


-   1   -

 

 

 

 

 

 

Conformément au deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur se réunit au Sénat le lundi 9 novembre 2020.

Elle procède tout d’abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Laurent Lafon, sénateur, président, de M. Bruno Studer, député, vice-président, de Mme Laure Darcos, sénatrice, rapporteur pour le Sénat, et de Mme Danièle Hérin, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale.

M. Laurent Lafon, sénateur, président. – Je voudrais d’abord souhaiter la bienvenue à nos collègues députés pour cette commission mixte paritaire consacrée au projet de loi de programmation de la recherche, qui a été déposé le 22 juillet par le Gouvernement, et adopté le 23 septembre par l’Assemblée nationale puis le 30 octobre par le Sénat, quelques semaines seulement après le renouvellement partiel de notre assemblée. Les délais ont donc été très contraints pour étudier ce texte attendu depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, par la communauté scientifique et universitaire. Je salue donc la célérité et la qualité du travail accompli par nos rapporteurs et nos deux assemblées dans des conditions compliquées.

Les amendements adoptés dans chacune d’entre elles ont, je le crois, permis d’améliorer significativement le texte présenté par le Gouvernement. La recherche joue un rôle fondamental dans le progrès de nos connaissances, la croissance de notre économie, le développement de notre industrie et la préservation de notre environnement ainsi que de notre santé, comme le rappelle avec beaucoup d’acuité la crise sanitaire que nous connaissons depuis plusieurs mois.

La recherche française fait face depuis plusieurs années à des défis que nous avons trop tardés à relever : un niveau de financement trop faible, des chercheurs insuffisamment rémunérés et valorisés, des organisations administratives trop complexes et, le plus inquiétant peut-être, une parole scientifique de plus en plus contestée. L’attente qui entoure l’issue de notre commission mixte paritaire (CMP) est donc grande. Il nous appartient aujourd’hui de trouver un accord qui dépasse les enjeux d’opinion et les postures partisanes, et qui soit susceptible de dessiner un avenir partagé pour la recherche française. Je sais que nos rapporteurs ont travaillé en ce sens, en lien aussi avec le Gouvernement.

M. Bruno Studer, député, vice-président. – Le projet de loi qui nous réunit porte la marque d’une ambition renouvelée pour la politique française de la recherche, que la crise sanitaire rend, si cela était nécessaire, encore plus impérative. Au-delà de la programmation des crédits des programmes 172, 193 et 150 et de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui permettra de renforcer massivement l’effort public de recherche de notre pays, à un horizon qu’il reviendra à notre commission de fixer définitivement, il comporte également de nombreuses dispositions, parfois techniques, qui constituent autant de facteurs de simplification et de modernisation tant des carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs que, plus largement, de notre système de recherche.

Le texte a déjà été enrichi par nos deux assemblées. Nombre de modifications et d’articles additionnels adoptés par le Sénat précisent et complètent le texte que l’Assemblée avait adopté en septembre. Je sais que nos rapporteurs ont travaillé en bonne intelligence pour rapprocher les positions de nos deux assemblées. J’espère donc sincèrement que nous parviendrons à un texte équilibré, acceptable par l’Assemblée nationale et le Sénat, afin que cette loi de programmation puisse entrer en vigueur dès 2021 et apaiser les inquiétudes et incompréhensions qui ont pu s’exprimer à son sujet au sein de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Danièle Hérin, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – Il nous appartient de trouver un accord sur les points sur lesquels nos assemblées respectives ont exprimé des divergences, de forme ou de fond, sur les dispositions du projet de loi déposé par le Gouvernement.

Nous avons eu, tout au long de la semaine dernière, des échanges nourris et fructueux entre nous, ainsi qu’avec la ministre, qui nous ont permis de présenter aujourd’hui à la commission mixte paritaire, comme nous le souhaitions tous, un projet de texte équilibré et satisfaisant, qui retient les principaux apports de l’Assemblée nationale et du Sénat, et prend en compte nos préoccupations respectives, moyennant des concessions réciproques.

En première lecture, l’Assemblée nationale a adopté les grandes lignes du texte proposé par le Gouvernement en l’enrichissant considérablement sur nombre de points importants. Je pense aux dispositions introduites sur le suivi de l’exécution de la loi par le Parlement ou l’actualisation régulière de la programmation. Je pense aussi aux différentes mesures prises pour renforcer l’attractivité des carrières, aux contrats doctoraux ou à la sécurisation des contrats à durée indéterminée (CDI) de mission, à la reconnaissance des docteurs et aux simplifications apportées au fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

S’agissant de l’évaluation, l’Assemblée nationale a profondément révisé l’article 10 sur le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), qui sera désormais une autorité publique indépendante, dotée de la personnalité morale, aux missions renforcées. Les députés ont également apporté des améliorations aux mécanismes de financement de la recherche et à l’articulation du monde de la recherche avec la société. Enfin, l’Assemblée nationale a considérablement étoffé le rapport annexé.

Sans vouloir empiéter sur ce que dira Laure Darcos dans un instant, je crois pouvoir dire qu’il y a eu une réelle convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur l’essentiel des dispositions proposées par le Gouvernement. Ce n’était bien sûr pas le cas sur tout, notamment la durée de la trajectoire budgétaire que le Sénat a souhaité réduire à sept ans au lieu de dix. Nous y reviendrons, mais pour le reste, le Sénat s’est surtout attaché à renforcer encore un certain nombre de sujets sur lesquels les députés avaient porté leur attention.

Les discussions que nous avons eues ces derniers jours nous permettent de vous proposer aujourd’hui un texte de nature à faire consensus au sein de notre commission mixte paritaire.

Je veux notamment saluer le fait que le rapporteur du Sénat soit d’accord sur la durée de la programmation, et nous vous proposerons, en conséquence, de nouvelles rédactions des articles 1er et 2, qui reviennent à la fois à la durée initiale de dix ans et prennent aussi en considération des préoccupations exprimées par le Sénat, en intégrant notamment les crédits du plan de relance dans la programmation et en précisant l’effort budgétaire au cours des premières années. Ainsi, la rédaction que nous vous proposons renforce les financements de l’ANR dès les premières années et accroît le choc budgétaire attendu par la communauté scientifique.

Sur le titre II, relatif à l’attractivité des métiers, le Sénat a adopté la plupart des dispositions du projet de loi, en particulier les chaires juniors de professeur et de directeur de recherche, la création d’un contrat à durée déterminée (CDD) pour des doctorants effectuant leurs travaux de recherche dans une entreprise privée, l’encadrement du contrat post-doctoral ou la mensualisation de la rémunération des vacataires.

Nous sommes ainsi parvenus à un compromis sur l’article 3 relatif aux chaires juniors, qui pourront représenter 20 % maximum des recrutements pour les directeurs de recherche et 15 % pour les professeurs ‑ c’est la limite votée par le Sénat.

Le Sénat a ajouté des dispositions intéressantes auxquelles nous souscrivons : le fait que les maîtres de conférences puissent être nommés professeurs sans qualification du Conseil national des universités (CNU) ; l’expérimentation pour les universités de la possibilité de recruter des maîtres de conférence hors liste de qualification du CNU – cela peut être utile dans des spécialités qui n’y sont pas représentées ; la facilitation du recours au CDI de chantier pour les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les fondations ayant une activité de recherche.

S’agissant du titre III, nous vous proposerons des améliorations rédactionnelles, à la fois concernant le HCERES et les questions d’intégrité scientifique, avec la suppression de l’article 10 A introduit par le Sénat, étant entendu que ce sujet majeur reste traité au sein de l’article 10. Nous avons également amélioré le dispositif prévu à l’article 12 en renforçant les précisions introduites par le Sénat en matière de destination du préciput.

J’en viens aux deux dernières parties du texte, les articles 13 et suivants. Je tenais d’abord à remercier le sénateur Pierre Ouzoulias, dont l’amendement sur les possibles conflits d’intérêts des chercheurs a introduit l’article 13 A. Ce sujet avait également préoccupé les députés, mais nous n’étions pas arrivés à une formulation satisfaisante. Celle-ci permettra à la loi d’aborder ce sujet important.

Nous sommes également d’accord avec votre commission de la culture au sujet des articles 22 ter et 22 quater, adoptés en séance publique par le Sénat malgré un avis défavorable du rapporteur. Le souci du bien-être animal procède assurément de bonnes intentions, mais les mesures proposées nous entraîneraient dans une fausse direction. Il est opportun de les supprimer.

Enfin, le Gouvernement nous avait demandé plusieurs habilitations pour prendre des ordonnances. Les débats à l’Assemblée nationale avaient déjà mis au jour les réticences des députés à les lui accorder toutes. Je pense notamment aux interventions en séance publique de notre collègue le recteur Patrick Hetzel. Nous reconnaissons que les sénateurs ont su, sur la question de l’enseignement supérieur privé, faire preuve d’une fermeté plus grande encore que la nôtre. Certes, on peut regretter que la disparition des dispositions correspondantes rende à l’exécutif la tâche plus difficile pour opérer, dès la rentrée de septembre 2021, la remise en ordre qu’il appelle de ses vœux. Mais il serait inélégant de notre part de ne pas saluer ce succès du Sénat dans sa défense des droits du Parlement.

Il nous appartient donc de trouver un accord sur les points pour lesquels nos assemblées respectives ont exprimé des divergences, de forme ou de fond, sur les dispositions du projet de loi déposé par le Gouvernement.

Mme Laure Darcos, sénatrice, rapporteur pour le Sénat. – Nous voici arrivés presque au terme d’un long travail mené par nos deux chambres sur ce sujet si central de l’avenir de notre recherche.

Je tiens tout d’abord à remercier nos collègues rapporteurs de l’Assemblée nationale, qui ont enrichi le texte initial du Gouvernement. À son tour, le Sénat a imprimé sa marque, si bien que le texte que nous proposons aujourd’hui à la CMP reflète la sensibilité propre à chacune de nos assemblées.

Je veux évoquer rapidement nos principaux points de satisfaction, mais également de déception.

Les points de satisfaction tout d’abord. Je suis heureuse de pouvoir dire que tous les groupes du Sénat ont vu certaines de leurs mesures adoptées et préservées dans le texte de la CMP, ce qui n’est pas si fréquent et montre notre capacité à œuvrer ensemble. Ainsi, je veux citer :

-     la contribution du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et en particulier celle de Pierre Ouzoulias, à la prise en compte de l’intégrité scientifique à l’article 10 ;

-     la vigilance de Sylvie Robert et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur l’article 20 bis, qui échouait à définir des situations d’urgence justifiant le recours à des procédures exceptionnelles. Nous proposerons de maintenir la suppression adoptée par le Sénat ;

-     l’avancée sur la date de mise en œuvre de la mensualisation de la rémunération des vacataires à l’article 6 bis, à l’initiative de Jean-Pierre Decool et du groupe Les Indépendants  République et Territoires ;

-     la dispense de qualification nationale pour le recrutement des professeurs des universités à l’article 3 bis, à l’initiative de notre collègue Jean Hingray et du groupe Union Centriste ;

-     l’inscription, à l’initiative de Julien Bargeton, parmi les missions du service public de l’enseignement supérieur, de la sensibilisation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable à l’article 20 ter.

Notre rapporteur des crédits de l’enseignement supérieur, Stéphane Piednoir, a également été à l’origine de plusieurs modifications importantes, comme l’expérimentation de la dérogation à la qualification nationale pour le recrutement des maîtres de conférences, les conditions pour devenir chef d’un établissement de recherche, ou encore les précisions sur les objectifs de la répartition du nouveau préciput, en lien avec Jean-François Rapin, que je remercie pour son aide sur l’article 2.

Je n’oublie pas non plus notre président Laurent Lafon, qui a renforcé le dispositif des « cordées de la réussite » à l’article 20 et a proposé l’instauration d’un délit d’entrave à la tenue de débats organisés au sein des universités, que nous proposerons de déplacer à l’article 20 bis AA.

J’en viens maintenant à notre principale déception, dont nous aurons à reparler au moment de l’examen des articles : la durée et le niveau de la programmation. Même si, pour parvenir à un accord, nous n’avions pas d’autre choix que d’accepter les dix ans, je dois bien dire que cette temporalité sans équivalent pour une loi de programmation, corrélée à un niveau d’engagement très largement absorbé par l’inflation, n’apportera pas le sursaut budgétaire dont la recherche a besoin. Néanmoins, le Gouvernement a entendu la position du Sénat et a accepté de revoir sa copie en présentant une nouvelle trajectoire des autorisations d’engagement (AE) de l’ANR, plus ambitieuse sur les deux premières années.

Je voudrais enfin dire un mot sur un sujet qui a suscité ces derniers jours beaucoup d’émoi, celui des libertés académiques. L’amendement adopté au Sénat à l’article 1er A, que nous avons déplacé à l’article 9 bis, n’avait évidemment pas pour but d’entraver ce principe constitutionnel, mais de le conforter. Je comprends cependant que cette ambition, que j’estime encore pour ma part essentielle, n’a pas été bien comprise, et je vous proposerai donc une nouvelle rédaction.

En conclusion, je crois que nous devrons tous faire preuve de la plus grande vigilance dans les prochaines années, notamment par l’intermédiaire de la clause de revoyure, pour nous assurer que les promesses budgétaires de ce projet de loi se concrétisent réellement dans les faits. Je tiens enfin à souligner les conditions particulières de l’examen de ce texte en séance au Sénat : il était concomitant avec l’examen du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, et le cabinet de la ministre nous envoyait ses amendements le matin même de leur examen en séance…

M. Patrick Hetzel, député. – Le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale a salué les avancées du Sénat en termes budgétaires et pour ramener la durée de la programmation de dix à sept ans. Chacun convient qu’il faut donner plus de moyens à la recherche. La rédaction du Sénat constituait un progrès significatif à cet égard. Malheureusement, je crains que, pour parvenir à un accord, on ne revienne sur ce point. Les chercheurs nous ont pourtant alertés. Les financements manquent ; le glissement vieillesse-technicité (GVT), par exemple, n’est pas financé.

Deux sujets sont source de difficultés. La suppression, même à titre d’expérimentation, de la qualification préalable par le CNU pour les maîtres de conférences ou les professeurs d’université a créé un émoi considérable parmi la communauté universitaire, suscitant une pétition qui a recueilli 28 000 signataires parmi les enseignants-chercheurs. Il ne s’agit pas d’une question de droite ou de gauche. Le CNU et la qualification sont un élément essentiel d’équilibre de notre système. Je suis inquiet qu’on souhaite le supprimer. On risque de susciter des problèmes majeurs au sein de la communauté académique, d’autant plus que le CNU comme les universitaires n’ont pas été consultés. Est-il vraiment possible de modifier un élément essentiel du recrutement sans en débattre avec les intéressés ?

Un autre enjeu est la liberté académique, qui est un droit constitutionnel. Là aussi, j’espère que nous trouverons un point d’équilibre.

 

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*           *

La commission mixte paritaire procède ensuite à l’examen des dispositions restant en discussion.

TITRE IER
ORIENTATIONS STRATÉGIQUES DE LA RECHERCHE
ET PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE

  Article 1er A et 1er B (supprimés)
Libertés académiques (Article 1er A) et délit d’entrave (Article 1er B)

M. Laurent Lafon, sénateur, président. – Les articles 1er A et B ont été déplacés ; nous les examinerons ultérieurement.

  Article 1er
Approbation du rapport annexé

Mme Danièle Hérin, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – Les rapporteurs proposent de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale s’agissant de la durée de la programmation, à savoir une trajectoire de dix ans et non sept, et de modifier la rédaction du second alinéa introduit par le Sénat, qui propose une définition des dépenses intérieures de recherche et développement des administrations (DIRDA).

En ce qui concerne le rapport annexé, nous vous proposons de supprimer l’alinéa 210, qui introduisait un nouveau programme prioritaire de recherche sur les zoonoses, et les alinéas 234 et 235, qui portent sur les questions relatives à la confiance de la société de la science et sont assez contradictoires avec l’esprit des développements de cette partie du rapport.

Mme Sylvie Robert, sénatrice. – Je regrette que nous revenions à une trajectoire de dix ans alors même que le Sénat s’était prononcé à la quasi‑unanimité en faveur d’une trajectoire de sept ans. Nous ne voterons pas cette proposition de rédaction.

L’article 1er ainsi que le rapport annexé sont adoptés dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

  Article 2
Programmation budgétaire 2021-2030

Mme Danièle Hérin, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – Nous vous proposons une rédaction dans laquelle la trajectoire budgétaire est précisée, et même renforcée, en ce qui concerne les moyens de l’ANR, notamment l’effort budgétaire sur les premières années.

Mme Laure Darcos, sénatrice, rapporteur pour le Sénat. – Nous prenons acte du rétablissement de la durée de dix ans. Cela fait partie des concessions pour parvenir à un compromis. Nous nous félicitons toutefois que le choix du Sénat de ramener cette durée à sept ans ait obligé le Gouvernement à accroître l’effort sur les deux premières années en intégrant à la trajectoire des autorisations d’engagement de l’ANR, comme le souhaitaient les chercheurs ; mais M. Rapin, rapporteur pour avis de la commission des finances, va détailler ce point.

M. Jean-François Rapin. – Nous avons travaillé tout le week-end sur cette question, qui a constitué une excellente thérapie de groupe… Si les liens entre l’article 1er et l’article 2 sont très forts, ils sont peut-être encore plus forts avec le projet de loi de finances. Mes doutes sont simples : l’Assemblée nationale a déjà voté le budget de la recherche, qui prend en compte les premières étapes de la loi de programmation, sans avoir voté cette loi de programmation. Les décisions risquent donc d’être prises à la hussarde ou le couteau sous la gorge.

Ensuite, une trajectoire étalée sur dix ans, c’est inédit, voire ubuesque. Plus la durée est longue, plus les risques sont importants, à commencer par l’inflation : les 25 milliards d’euros cumulés sur dix ans annoncés ne seront finalement que 7 milliards en euros constants. La hausse de 5 milliards du budget ne sera finalement que de 1 milliard, et encore, comme l’a dit M. Hetzel, le GVT n’est pas inclus. On a l’impression de consacrer beaucoup d’argent à la recherche, mais finalement les sommes réelles sont beaucoup plus réduites. L’objectif de 3 % du PIB semble bien difficile à atteindre.

Les auditions sur le projet de loi de finances, que j’ai organisées en tant que rapporteur spécial du budget de la recherche à la commission des finances, ont montré que les 224 millions de crédits de paiement (CP) figurant au programme 172, destinés à abonder la première marche de la loi de programmation, ne correspondaient, en fait, qu’à un investissement nouveau de 124 millions : en effet, il faut retirer 65 millions destinés au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et 35 millions pour les très grandes infrastructures de recherche (TGIR), qui correspondent à des mesures anciennes ou récurrentes.

J’ai donc échangé depuis vendredi avec la ministre et nos rapporteurs, car se posait la question de la sincérité du budget. C’est alors qu’est intervenue l’annonce de cette mesure nouvelle de 100 millions d’euros en faveur de l’ANR dans le cadre du plan de relance. Elle est d’ailleurs conforme à ce que j’avais demandé à la ministre, en ajoutant qu’on ne lui en voudrait pas de mettre à contribution le plan de relance – le Gouvernement a saisi la balle au bond. La ministre a donc obtenu de Bercy de sanctuariser 100 millions d’euros pour la R&D et pour faciliter les échanges de chercheurs entre le public et le privé. Cette disposition nouvelle, qui a été décidée ce week-end, a été rendue publique hier soir. Je crois que nous pouvons l’accepter. J’ai confiance en la sincérité de la ministre. Néanmoins, je resterai vigilant et j’exercerai mes prérogatives de rapporteur spécial pour procéder à des contrôles pour vérifier comment ces 100 millions seront utilisés.

Je déposerai probablement aussi, par ailleurs, des amendements pour abonder les crédits de paiement de l’ANR et du programme 172. Je doute en effet que l’ensemble des CP soient utilisés cette année : il faut du temps entre le lancement des projets et leur réalisation. Il devrait ainsi être possible de transformer les 100 millions d’euros d’AE du plan de relance dès cette année en CP. Chacun doit faire des compromis pour avancer.

M. Laurent Lafon, sénateur, président. – Merci pour ces précisions utiles. Un compromis n’est jamais totalement satisfaisant, mais l’essentiel est que les positions se rapprochent.

Mme Sylvie Robert, sénatrice. – Je ne peux que déplorer le fait que les dispositions soient réparties entre plusieurs textes que nous examinons en même temps. Nous devons faire le pari de la confiance et espérer que les engagements seront tenus. Nous examinerons précisément vos propositions de crédits lors du projet de loi de finances. Mais, en attendant, c’est un pari qui nous place dans une position délicate, sur une disposition fondamentale. En tout cas, la trajectoire annoncée pour la recherche ne tiendra pas dans le temps.

M. Max Brisson, sénateur. – Vendredi dernier, lorsque le ministère nous a présenté ses engagements en crédits de paiement pour les premières années, nous demandant d’accepter l’allongement de la trajectoire à dix ans en échange d’un abondement supplémentaire, nous n’étions guère satisfaits : l’essentiel des crédits annoncés correspondait en effet à des dépenses déjà programmées, ce qui est pour le moins problématique ! Nous n’entendions donc pas voter le texte. Est apparu ce matin, après un week-end d’échanges nourris, y compris entre la ministre et le président de notre groupe, un effort supplémentaire de 100 millions d’euros, pris sur le plan de relance. Nous resterons toutefois vigilants, car les AE ne se traduisent pas toujours par des CP. Nous voterons l’article 2 ainsi rédigé.

M. Bruno Studer, député, vice-président. – Merci pour ces précisions. La confiance n’exclut pas la vigilance, en effet. Il appartiendra aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat d’exercer leurs pouvoirs de contrôle.

M. Francis Chouat, député. – Je salue la pugnacité des rapporteurs et de la commission des finances du Sénat. Nous sommes animés du même esprit de vigilance, et c’est la raison pour laquelle nous avions beaucoup insisté sur l’évaluation de la mise en œuvre de la trajectoire. Nos commissions de finances ont des pouvoirs de contrôle et les exerceront. Nous voulons tous la réussite de cette loi de programmation.

M. Pierre Ouzoulias, sénateur. – Ce débat me semble bien théorique, alors que la pandémie a bloqué le fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche au printemps. Nous ne mesurons pas encore à quel point cette épreuve a privé la recherche de ressources et occasionné de nouvelles dépenses, notamment sociales, imprévues. Dès lors, discuter de 100 millions de plus ou de moins semble quelque peu théorique…

L’article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

TITRE II
AMÉLIORER L’ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS SCIENTIFIQUES

  Article 3
Création d’un dispositif de « chaire de professeur junior »

Mme Danièle Hérin, députée, rapporteure pour l’Assemblée nationale. – L’article 3 crée les chaires juniors de directeur de recherche et de professeur. Nous sommes parvenus à un compromis avec le Sénat, qui souhaitait limiter la proportion de postes accordés par ce biais au sein d’un corps : nous proposons à la commission mixte paritaire de retenir un plafond de 20 % des recrutements dans le corps pour les directeurs de recherche, conformément au texte de l’Assemblée, et de 15 % pour les recrutements de professeurs, comme dans le texte du Sénat. Nous proposons aussi de supprimer la disposition, introduite par le Sénat, selon laquelle la commission de titularisation devrait être composée d’un quart de membres du CNU.

Mme Laure Darcos, sénatrice, rapporteur pour le Sénat. – Le compromis trouvé est satisfaisant dans la mesure où les chaires de professeur junior semblent susciter moins de réticences dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) que dans les universités. Afin d’améliorer l’acceptabilité de cette nouvelle voie de recrutement, le Sénat avait souhaité qu’un quart des membres des commissions de titularisation pour l’accès au corps des professeurs des universités soit issu du CNU. Cependant, à la suite de l’adoption de l’article 3 bis, qui prévoit que la qualification par le CNU n’est plus requise pour l’accès aux postes de professeur des universités, cette disposition perd de sa cohérence. Surtout, elle pourrait s’avérer bloquante pour la composition de commissions chargées du recrutement de profils inter- ou transdisciplinaires, ce qui est l’objectif premier des chaires puisque les membres du CNU sont rattachés à une discipline particulière.

L’article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

  Article 3 bis
Mise en place d’une expérimentation sur le CNU

Mme Sylvie Robert, sénatrice. – Supprimer, par voie d’amendement, une procédure aussi importante que la qualification par le CNU, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État ou du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), est inacceptable. C’est pourquoi, avec la proposition de rédaction no 5, nous proposons de supprimer cet article.

M. Patrick Hetzel, député. – La proposition de rédaction no 2 est identique. Certains défendent cet article au motif qu’il faudrait aller plus loin dans l’autonomie afin que les universités puissent procéder de manière autonome à leur recrutement. Mais elles le peuvent déjà. Simplement, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les candidats qui postulent à des postes de maître de conférences ou de professeur des universités doivent avoir obtenu la qualification du CNU, qui constitue le gage de leur niveau. Si les grandes universités internationales peuvent avoir des comités de recrutement capables de limiter les risques de dérive, ce risque est réel dans les autres universités. J’ai siégé au CNU dans ma discipline par le passé : notre objectif est de fournir des garanties quant au niveau des candidats et les universités sont libres ensuite de leur recrutement.

Sur la forme, la ministre a obtenu l’accord des organisations syndicales sur un protocole d’évolution des carrières. Pensez-vous qu’elle aurait obtenu leur accord si une disposition, aussi explosive pour le milieu académique, avait été inscrite dans ce protocole ? Ancien directeur général de l’enseignement supérieur, j’ai défendu l’indépendance des universités. Mais vous n’imaginez pas ce qu’une telle mesure va provoquer. On ne peut prendre une telle décision sans consulter les intéressés au préalable. Il n’en a rien été, pas plus que nous n’en avons débattu en séance dans les deux chambres. La qualification est fondamentale, notamment en sciences humaines et sociales. Évitons d’agiter un chiffon rouge à l’heure où l’enseignement supérieur a besoin de sérénité.

M. Régis Juanico, député. – Nous voterons ces propositions de rédaction. C’est bien l’existence du statut national d’enseignant-chercheur qui est en jeu. Ce statut est la garantie d’un service public d’enseignement supérieur d’égale qualité sur l’ensemble du territoire. Le processus fonctionne de manière satisfaisante. Après la qualification nationale, les candidats sont classés par les comités de sélection spécifiques à chaque université pour chaque poste ouvert et dont la composition est fixée par les établissements. On combine régulation nationale et liberté des universités. C’est aussi un gain de temps et une source d’économies, car les dossiers de qualification, une fois examinés par le CNU, n’ont plus à être examinés à nouveau par chaque université.

M. Pierre Ouzoulias, sénateur. – J’irai dans le sens de M. Hetzel, preuve que la question n’est pas d’ordre politique. Le CNU joue un moindre rôle dans les sciences exactes, car il qualifie la quasi-totalité des candidats. En revanche, en droit et en sciences humaines, le taux de qualification tombe à 30 %. Le CNU est donc l’organe de régulation national dans certaines disciplines. Le problème est que cette loi a été faite pour certaines disciplines, sans se soucier des intérêts du reste de la communauté universitaire. La déstabilisation de l’enseignement supérieur et de la recherche aura des répercussions très fortes dans de nombreux domaines, y compris en matière d’évaluation ou pour le HCERES. Le jugement par les pairs et la collégialité sont des dimensions fondamentales. Si vous humiliez les professeurs, vous aurez beaucoup de mal à mettre en œuvre d’autres mesures de ce texte. Le monde de la recherche a besoin de sérénité, non de chaos, en ce moment.

M. Frédéric Reiss, député. – Je voterai ces propositions. En affaiblissant le CNU, on porterait un mauvais coup à une instance représentative et garante d’une régulation nationale du niveau exigé des candidats aux postes