N° 4217

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 juin 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE (n° 4107) DE M. Sébastien Jumel

ET PLUSIEURS DE SES COLLEGUES

relative à la reconnaissance d’une « exception énergétique »
au sein de l’Union européenne,

ET PRÉSENTÉ

par M. Hubert Wulfranc,

Député

 

 

 

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO‑VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean‑Marie FIÉVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, M. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT, M. Hubert WULFRANC.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : LE BILAN DE L’OUVERTURE DU MARCHé DE L’éLECTRICITé A LA CONCURRENCE EST DéCEVANT

I. L’ouverture du marché de la production d’électricité à la concurrence a conduit à la création du mécanisme de l’arenh

A. l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence

1. La séparation des activités de production et des activités de transport

2. L’ouverture à la concurrence des marchés de production et de fourniture d’électricité

B. La création du mécanisme de l’arenh doit permettre l’ouverture du marché de d’électricité

II. L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence n’a pas tenu ses promesses

1. Les consommateurs n’ont pas tiré le bénéfice attendu de la libéralisation du marché de l’électricité

a. Les prix ont faiblement diminué pour le consommateur

b. L’introduction de la concurrence a conduit à des pratiques commerciales agressives

2. L’innovation est restée limitée sur le marché de la production d’électricité

3. La situation de l’entreprise EDF s’est détériorée

DEUXIèME PARTIE : LA SITUATION ACTUELLE DU MARCHé de l’électricité justifie LA CRéation d’une exception électrique

I. les caractéristiques économiques du marché de l’électricité justifient son exclusion de principe de la logique de concurrence

A. Le secteur de l’électricité, pour les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture, peut être exclu de la logique de marché

1. Le marché de la production d’électricité peut être exclu, par principe des règles de concurrence et de la commande publique

2. Le transport et la distribution d’électricité, en raison de leur caractère d’entreprise de réseau, sont par principe en monopole

3. Au regard des effets produits, la fourniture d’électricité pourrait également être exclue des règles de marché

B. la reconnaissance d’une exception électrique implique une action volontariste de la France au niveau européen

1. La création d’une exception électrique au regard du droit des aides d’État

2. La création d’une exception électrique au regard du droit de la commande publique

3. La reconnaissance de l’exception électrique nécessite une négociation française au niveau européen

II. L’exclusion de la logique de marché peut également passer par la création d’un service d’intérêt économique général bas-carbone qui concernerait uniquement la production d’électricité

A. La possibilité juridique de reconnaissance d’un SIEG bas-carbone

1. Les critères de qualification d’un SIEG

2. La production d’électricité revêt le caractère de SIEG

3. La reconnaissance d’un SIEG bas-carbone européen

B. Le régime du SIEG bas carbone permettrait d’octroyer des compensations aux obligations de service public des entreprises productrices d’électricIté

TRAVAUX DE LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

Annexe I : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

Les difficultés de négociation entre le Gouvernement français et la Commission européenne autour de la réforme du mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) démontrent la difficile application des règles de la concurrence dans le secteur de d’électricité.

Depuis une première étape marquée par une directive européenne de 1996 ([1]), le marché de l’électricité, qui était auparavant un monopole de l’entreprise Électricité de France (EDF) sur l’ensemble des segments d’activité – production, transport, distribution et fourniture – a été progressivement libéralisé.

Toutefois, les éléments permettant de dresser le bilan de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence sont décevants : les gains potentiellement escomptés pour les consommateurs ayant été, dans les faits, absorbés par la forte hausse des tarifs de l’électricité mesurée depuis 2007 tandis qu’ils sont davantage soumis à des pratiques commerciales agressives ; l’innovation est restée limitée sur le marché de la production d’électricité ; l’entreprise EDF est en situation structurellement déficitaire, notamment du fait de la mise en œuvre de l’ARENH.

Ce bilan plaide ainsi pour un retour sur la logique de libéralisation du marché de l’électricité et la création d’une « exception électrique » au sens des traités européens.

La première option est ainsi la demande de la reconnaissance, dans les traités européens, d’une dérogation aux règles de la concurrence, notamment au droit des aides d’État et de la commande publique pour le secteur de l’électricité. Cette requête, qui nécessite une modification des textes européens en vigueur, peut être portée par la France.

La seconde option peut être envisagée à droit constant et passe par la reconnaissance d’un service d’intérêt économique général bas carbone (SIEG bas carbone). Ce SIEG, qui ne concernerait que le segment de la production d’électricité, permettrait de déroger, dans un cadre prévu par le droit des aides d’État, aux règles de concurrence. Cette dérogation serait fondée sur l’octroi à l’entreprise EDF d’une compensation à ses obligations de service public. En outre, la reconnaissance d’un SIEG bas carbone est conforme à l’ambition écologique de la nouvelle Commission européenne, incarnée par le Pacte Vert pour l’Europe. En regroupant les activités de production d’énergies nucléaire, hydraulique, et renouvelables, le SIEG aurait en effet un très faible impact sur le réchauffement climatique.


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   PREMIÈRE PARTIE : LE BILAN DE L’OUVERTURE DU MARCHé DE L’éLECTRICITé A LA CONCURRENCE EST DéCEVANT

 

I.   L’ouverture du marché de la production d’électricité à la concurrence a conduit à la création du mécanisme de l’arenh

A.   l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence

1.   La séparation des activités de production et des activités de transport

La séparation des activités de production et des activités de transport est issue d’une première directive européenne de 1996 ([2]), transposée en France par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité. Ces textes imposent la séparation des activités de production, de transport et de distribution d’électricité dans les entreprises intégrées, sur le plan comptable et managérial.

Une seconde directive européenne de 2003 ([3]) a prévu une obligation de séparer juridiquement le gestionnaire du réseau de transport et de distribution d’électricité des activités de production et de commercialisation. Cette exigence a été renforcée par la directive européenne de 2009 ([4]), qui prévoit une distinction fonctionnelle.

L’idée sous-jacente, exprimée au considérant 9 de la directive européenne de 2009 est que « Sans une séparation effective des réseaux par rapport aux activités de production et de fourniture (« découplage effectif »), il existe un risque de discrimination non seulement dans l’exploitation du réseau, mais aussi dans les éléments qui incitent les entreprises verticalement intégrées à investir suffisamment dans leurs réseaux ».

Dès lors, ces directives ont eu pour effet de faire évoluer la structure de l’entreprise Électricité de France (EDF), opérateur historique sur le marché de l’électricité français :

-         la loi du 10 février 2000 a permis la création le 1er juillet 2000 de l’entreprise Réseau de transport d’électricité (RTE), gestionnaire du réseau de transport d’électricité français. RTE est une société anonyme, détenue à 50,1 % par l’entreprise EDF ;

-         la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie, intervenue en transposition de la directive de 2003, a permis la création au 1er janvier 2008 de l’entreprise Électricité réseau distribution France (ERDF), devenue Enedis depuis le 31 mai 2016. Enedis est une filiale de l’entreprise EDF, qui la détient à 100 %.

2.   L’ouverture à la concurrence des marchés de production et de fourniture d’électricité

La directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 a posé le principe de la libre concurrence pour la production d’électricité.

La directive 2003/54/CE du 26 juin 2003 a posé le principe de la liberté pour chaque consommateur de choisir librement son fournisseur d’électricité ou de gaz. Ainsi, les lois du 10 février 2000, du 3 janvier 2003 ([5]) , du 9 août 2004 ([6]) et du 7 décembre 2006 ([7]) ont procédé par étapes à la libéralisation du marché de la fourniture d’électricité. Ce marché a été ouvert à la concurrence pour tous les clients finals non domestique dès 2004, puis aux clients finals domestiques à partir de 2007.

Toutefois, afin de limiter la volatilité, voire l’augmentation des prix que pourrait induire l’introduction d’une logique de concurrence, les tarifs réglementés de vente, créés en 1946 lors de la fondation de l’entreprise EDF, sont maintenus. Sur le marché de la fourniture d’électricité, les tarifs réglementés de vente sont encadrés par les articles L.337-4 à L.337-9 et R.337-18 et suivants du code de l’énergie : contrairement aux offres de marché, proposées par tous les fournisseurs, les tarifs réglementés sont proposés uniquement par les fournisseurs historiques (soit principalement l’entreprise EDF), à des prix fixés par les pouvoirs publics.

La loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », a prévu que les entreprises dont la puissance de raccordement est supérieure à 36 kVA ne peuvent plus bénéficier des tarifs réglementés de vente depuis le 1er janvier 2016. Une directive européenne de 2019 ([8]) a poursuivi le mouvement de fin des tarifs réglementés de vente pour les professionnels. Depuis le 1er janvier 2021, les tarifs réglementés de vente de l’électricité sont ainsi réservés aux consommateurs résidentiels et aux consommateurs non résidentiels, qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le bilan annuel sont inférieurs à 2 millions d’euros.

Le premier objectif de l’ouverture des marchés de production et de fourniture d’électricité était ainsi de provoquer, par la concurrence entre les différents opérateurs, une baisse des prix pour les consommateurs. Le second objectif était également de stimuler l’innovation sur le marché de la production, afin de parvenir à des solutions moins coûteuses et respectueuses de l’environnement.

B.   La création du mécanisme de l’arenh doit permettre l’ouverture du marché de d’électricité

En application de la directive 2009/72/CE, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME » a prévu la création d’une obligation pour l’entreprise EDF de vendre l’énergie nucléaire qu’elle produit à ses concurrents, à un tarif déterminé. Ce mécanisme d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) doit en effet permettre de développer la concurrence, tant sur le marché de la production que sur le marché de la fourniture d’électricité.

 

Le prix de l’ARENH doit prendre en considération, d’après l’article L.337-14 du code de l’énergie, les conditions économiques de production d’électricité par les centrales nucléaires. Le prix de l’ARENH tient également compte d’une rémunération des capitaux déterminée d’après la nature de l’activité, les coûts d’exploitation, et les coûts des investissements de maintenance. Ce prix a été fixé, après consultation de la commission de régulation de l’énergie (CRE) à 42 € par mégawattheure (MWh) depuis le 1er janvier 2012.

L’objectif recherché alors par le législateur est d’offrir la possibilité aux fournisseurs alternatifs de s’appuyer sur le parc nucléaire d’EDF pour se développer et permettre aux consommateurs de bénéficier durablement de prix reflétant la compétitivité des moyens de production nationaux détenus par l’opérateur historique, quel que soit leur choix de fournisseur ([9]).

Le mécanisme de l’ARENH est optionnel pour les fournisseurs alternatifs, ce qui conduit à lui donner en pratique un caractère asymétrique. En effet, lorsque les prix du marché sont plus faibles que le tarif de référence fixé par l’ARENH, soit les fournisseurs n’achètent pas l’électricité à EDF, soit l’entreprise EDF est contrainte de vendre son électricité à un prix plus faible que celui fixé.

Si le volume maximal d’électricité pouvant être cédé par EDF au titre de l’ARENH est de 150 TWh depuis 2019 ([10]) en pratique, l’entreprise vend la quasi-totalité de l’énergie nucléaire qu’elle produit à un prix inférieur ou égal au prix fixé par l’ARENH.

 

II.   L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence n’a pas tenu ses promesses

1.   Les consommateurs n’ont pas tiré le bénéfice attendu de la libéralisation du marché de l’électricité

a.   Les prix ont faiblement diminué pour le consommateur

Selon le plaidoyer de la CLCV (Consommation logement cadre de vie) pour un retour au monopole ([11]), l’introduction d’une concurrence saine, permettant la maîtrise des prix, attendue par la libéralisation n’a pas eu lieu. La compétition tarifaire entre les opérateurs est décevante, et propose une réduction aux alentours de 10 % de la partie variable de la facture (qui dépend du niveau de consommation), et de 6 à 7 % sur la facture finale (qui inclut les taxes et l’abonnement).

Cette réduction de 6 à 7 % s’explique, selon la CLCV, par le fait que les opérateurs alternatifs n’interviennent que sur une part mineure de l’activité, principalement la commercialisation. Ils présentent ainsi les mêmes coûts pour l’approvisionnement nucléaire (soit les trois quarts de l’approvisionnement), pour l’utilisation du réseau de transport et de distribution.

En outre, la CLCV relève que la réduction de 6 à 7 % s’observe quelle que soit l’évolution du tarif réglementé de vente de l’entreprise EDF. Les opérateurs alternatifs se contentent de suivre les évolutions du tarif réglementé en maintenant ce taux de réduction, de manière à maintenir ou à augmenter leurs marges.

Il convient toutefois de noter que les taxes sur l’électricité, dédiées notamment au développement des énergies renouvelables, via des prix de rachat de production garantis, ont également fortement augmenté depuis la première directive européenne de 1996 organisant la libéralisation, contribuant ainsi à renforcer le coût de l’électricité pour les consommateurs. Selon l’INSEE, « la part des taxes et prélèvements dans le prix total de l’électricité a atteint 35 % en 2016 contre 26 % en 2010 » ([12]).

b.   L’introduction de la concurrence a conduit à des pratiques commerciales agressives

Selon le plaidoyer de la CLCV pour un retour au monopole, le secteur de l’électricité souffre de la pression commerciale exercée sous des formes critiquables à l’encontre des particuliers. Le médiateur national de l’énergie a ainsi souligné ce point dans son rapport d’activité de 2019 : « Depuis sa création comme autorité publique indépendante en 2006, le médiateur national de l’énergie a vu se développer fortement des pratiques commerciales abusives ou agressives […]. En trois années, c’est une hausse de 65 % ! Certains fournisseurs cherchent à capter de nouveaux clients par tous les moyens, y compris parfois de manière frauduleuse » ([13]).

Ces pratiques commerciales se manifestent par :

-         un démarchage agressif et abusif : la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a par exemple, sanctionné en février 2020 les entreprises ENI GAS & POWER FRANCE et ENGIE pour ce motif ;

-         la présentation trompeuse d’offres : les opérateurs recourent à des offres présentées de manière volontairement erronée.

En outre, les offres peuvent également contenir des « contraintes associées », comme l’obligation du prélèvement automatique ou l’absence de service client par téléphone.

2.   L’innovation est restée limitée sur le marché de la production d’électricité

Le marché de l’électricité ne présente pas un caractère technique se prêtant à l’innovation, d’après le plaidoyer de la CLCV pour un retour au monopole. Ce plaidoyer relève trois raisons qui tiennent à la structure du marché de l’électricité et à la nature du service fourni :

-         l’électricité n’implique pas de variété subjective, ni une variété d’usage : il s’agit d’un bien de première nécessité, auquel l’ensemble des citoyens recourt de la même manière. L’incitation pour les entreprises à innover est donc moindre ;

-         l’électricité est distribuée par un réseau unique centralisé : le fournisseur ne peut donc pas proposer une électricité spécifique au consommateur qui le souhaiterait, ce qui constitue un frein important au développement d’offres vertes ;

-         la situation quasi-monopolistique d’EDF sur le marché de la production d’électricité (la concurrence s’est très faiblement développée sur ce segment de marché), conduit à une homogénéité des produits. Lorsqu’il n’y a qu’un seul producteur, les produits ont en effet tendance à être les mêmes, limitant l’incitation à innover.

En outre, le mécanisme de l’ARENH n’a pas permis de stimuler la concurrence sur le marché de la production d’électricité : les opérateurs alternatifs ne profitent en effet pas de la possibilité d’acheter l’énergie nucléaire à faible coût pour augmenter leurs investissements dans la production, mais préfèrent augmenter leurs marges à court terme.

Par conséquent, il manque au secteur une rupture technologique, qui permettrait, par exemple, de disposer d’un stockage efficace : une telle innovation permettrait l’essor d’un réseau décentralisé et faciliterait la compétitivité des énergies vertes intermittentes.

3.   La situation de l’entreprise EDF s’est détériorée

Le mécanisme de l’ARENH a conduit à une situation structurellement déficitaire de l’entreprise EDF. Le dispositif est en effet asymétrique, et représente un prix plafond pour la vente par EDF de son énergie nucléaire. Dans l’hypothèse où les prix de marché sont plus élevés que le tarif de référence, les opérateurs alternatifs bénéficient du dispositif de l’ARENH. Dans l’hypothèse où les prix de marché sont plus faibles que le tarif de référence, soit les fournisseurs n’achètent pas l’électricité à EDF, soit l’entreprise EDF est contrainte de vendre son électricité à un prix plus faible que celui fixé.

En outre, le prix fixé pour l’ARENH n’a pas été révisé depuis 2012, ne tenant ainsi compte ni de l’évolution des coûts de production et de maintenance des installations de l’entreprise EDF, ni de l’inflation. Le prix fixé de 42 euros par MWh reflète dès lors une vision du parc nucléaire historique qui n’est pas actualisée depuis 2012.

La dette de l’entreprise EDF représente ainsi 42 milliards d’euros au 30 décembre 2020, en augmentation de 3 à 4 milliards d’euros par an. Cette dette s’explique en grande partie par le mécanisme de l’ARENH, qui plafonne les revenus de l’entreprise issus de la vente de son énergie nucléaire. En parallèle, les investissements d’EDF représentent 15 milliards d’euros annuels. De fait, EDF est devenue l’entreprise qui emprunte le plus dans l’Union européenne.

 

L’électricité est ainsi un bien de première nécessité avec des caractéristiques économiques qui mènent à son insolubilité dans les règles de concurrence. Par conséquent, avant de prendre de nouvelles orientations pour le marché de l’électricité, ou d’approfondir la libéralisation du marché, un bilan de l’ouverture du marché à la concurrence paraît nécessaire.


   DEUXIèME PARTIE : LA SITUATION ACTUELLE DU MARCHé de l’électricité justifie LA CRéation d’une exception électrique

La dérogation aux règles européennes du marché peut prendre deux formes distinctes : soit une exclusion de principe, inscrite dans les textes européens, du secteur de l’électricité des règles de la concurrence ; soit, à droit constant, une dérogation aux règles de la concurrence par la création d’un service d’intérêt économique général (SIEG) bas carbone.

I.   les caractéristiques économiques du marché de l’électricité justifient son exclusion de principe de la logique de concurrence

A.   Le secteur de l’électricité, pour les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture, peut être exclu de la logique de marché

1.   Le marché de la production d’électricité peut être exclu, par principe des règles de concurrence et de la commande publique

Le marché de la production d’électricité est ouvert à la concurrence depuis la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 ([14]). Toutefois, ce marché est, en pratique, un quasi-monopole de l’entreprise EDF. Les opérateurs alternatifs ont en effet bénéficié du mécanisme de l’ARENH sans développer leurs propres capacités de production en parallèle.

Ce constat pratique plaide dès lors pour une exclusion de principe du marché de la production d’électricité des règles de la concurrence, pour plusieurs raisons, soulignées par le CLEEE (comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l’électricité), auditionné par votre rapporteur :

-         le mix de production électrique est spécifique à chaque pays européen, pour des raisons historiques et politiques. Ces mix entraînent des différentiels majeurs de coûts de production : appliquer un prix européen unifié, comme l’induit l’application des règles de concurrence, ne reflète pas cette diversité ;

-         l’électricité n’est pas stockable et subit de ce fait d’intenses variations sur les marchés. Ainsi, ces aléas sur le marché de la production se retrouvent ensuite sur le marché de la fourniture, avec une variation des prix pour les consommateurs professionnels et non professionnels ;

-         l’électricité est un vecteur essentiel de la transition énergétique : pour cette raison, les entreprises doivent remplacer leurs équipements fonctionnant au gaz ou à l’essence par de nouveaux équipements fonctionnant à l’électricité. Ces entreprises doivent être incitées dès à présent à investir dans de ces nouveaux équipements une stabilité et visibilité des prix de l’électricité est dès lors nécessaire.

En outre, il faut souligner que les opérateurs alternatifs ont bénéficié du mécanisme de l’ARENH sans développer leurs propres capacités de production en parallèle, démontrant les limites de l’introduction de la logique de concurrence sur le marché de la production d’électricité.

2.   Le transport et la distribution d’électricité, en raison de leur caractère d’entreprise de réseau, sont par principe en monopole

Le transport d’électricité est un monopole de l’entreprise RTE, et concerne l’acheminement de l’électricité produite sur les réseaux haute tension. La distribution d’électricité est un monopole de l’entreprise Enedis et concerne l’acheminement de l’électricité depuis le réseau haute tension jusqu’au consommateur, sur les réseaux basse tension. Si certains réseaux de distribution sont encore détenus par les collectivités territoriales avec les entreprises locales de distribution (ELD), la présence de ces entreprises est le fruit de l’histoire et ne remet pas en cause la situation de monopole d’Enedis.

Ces activités présentent le caractère de monopole naturel, puisqu’au sens économique, la production du service serait plus coûteuse si elle était exercée par plusieurs entreprises que par une seule, en raison des économies d’échelle. Il est en effet inefficace économiquement d’envisager une juxtaposition de réseaux de transports d’électricité : le monopole des entreprises RTE et Enedis est ainsi pleinement justifié.

Ce caractère monopolistique n’est pas contesté par le droit de l’Union européenne, qui exige toutefois un accès libre et non discriminatoire au réseau par l’ensemble des entreprises qui en font la demande.


La réflexion sur le monopole des entreprises de réseau n’est pas propre au transport et à la distribution d’électricité. En effet, les entreprises de réseau sont souvent les monopoles historiques en France, que l’Union européenne a cherché à ouvrir.

Par exemple, en matière ferroviaire, la loi du 4 août 2014 ([15]) a imposé une séparation fonctionnelle entre SNCF Réseau, gestionnaire du réseau ferré, et SNCF Voyageurs, opérateur économique du transport de voyageurs. SNCF Réseau est aujourd’hui en situation de monopole, avec une obligation d’accès libre et non discriminatoire au réseau pour les opérateurs qui en font la demande. Il en va de même en matière de télécommunications, avec une obligation pour l’opérateur historique Orange, d’ouvrir son réseau à ses concurrents.

Pour l’ensemble des entreprises de réseau, en raison de leurs caractéristiques naturelles, la théorie économique plaide ainsi pour le maintien d’une situation de monopole, même si les marchés en amont ou en aval (par exemple de production et de fourniture d’électricité) peuvent être ouverts à la concurrence.

3.   Au regard des effets produits, la fourniture d’électricité pourrait également être exclue des règles de marché

Le marché de la fourniture d’électricité est progressivement libéralisé, depuis la directive européenne de 1996 ([16]), dont les effets ont été renforcés en 2003 ([17]).

Toutefois, la libéralisation du marché de fourniture d’électricité n’a permis une diminution des prix seulement de l’ordre de 6 à 7 % pour les clients finals sur le montant total de la facture d’électricité, qui a augmenté en moyenne de 60 % depuis 2007. De plus, les consommateurs sont soumis à des pratiques commerciales agressives, liées à la concurrence entre les différents opérateurs alternatifs d’une part, et à la concurrence entre les opérateurs alternatifs et l’opérateur historique d’autre part ([18]).

Au regard de ces conséquences, les bienfaits attendus de l’introduction de la concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité ne se sont pas matérialisés. Ce constat plaide dès lors pour une exclusion du segment de la fourniture d’électricité de la logique de marché et de concurrence.

B.   la reconnaissance d’une exception électrique implique une action volontariste de la France au niveau européen

1.   La création d’une exception électrique au regard du droit des aides d’État

L’exclusion par principe du marché de l’électricité des règles de concurrence implique une dérogation à l’application de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le premier paragraphe de cet article prévoit en effet que « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Cet article fonde ainsi la législation sur les aides d’État, qui sont par principe proscrites au sein du marché intérieur.

Or l’exclusion des règles de la concurrence, pour le marché de la production d’électricité se justifie par le fait qu’en France, la construction de nouvelles capacités productives et la maintenance des capacités existantes nécessitent un investissement conséquent. Ainsi, l’entreprise EDF investit 15 milliards d’euros par an pour la modernisation de son parc nucléaire. Au regard du statut de bien de première nécessité que revêt l’électricité, un soutien public à ces investissements doit être envisagé, notamment pour diminuer le prix pour les consommateurs finals.

Une exclusion de la législation sur les aides d’État est ainsi rendue nécessaire, impliquant une révision du droit dérivé, voire des traités européens.

2.   La création d’une exception électrique au regard du droit de la commande publique

La directive 2014/23/UE du 26 février 2014 ([19]) impose une procédure de publicité et de mise en concurrence pour l’attribution des contrats de concession, ou pour le renouvellement de contrats de concession arrivés à échéance. Or, la France a été mise en demeure par la Commission européenne, à deux reprises