N° 4499
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2021.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi, adoptée par le Sénat, visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance
entre ses acteurs,
Par Mme Géraldine BANNIER,
Députée.
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Voir les numéros :
Sénat : 252, 662, 663 et T.A. 121 (2020‑2021).
Assemblée nationale : 4229.
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Pages
I. prÉsentation des dispositions de la proposition de loi, modifiÉe par le sÉnat
A. adapter la loi sur le prix unique du livre aux pratiques du monde numÉrique
B. permettre aux communes de subventionner leurs librairies
C. assurer une meilleure protection des auteurs face aux autres acteurs de la filière
D. renforcer l’effectivitÉ de la collecte rÉalisÉe au titre du dÉpÔt légal numÉrique
II. principales modifications apportÉes par la commission
Article 1er Diverses modifications relatives au prix unique du livre
Article 2 Attribution de subventions aux petites et moyennes librairies indépendantes
Article 3 Encadrement des pratiques contractuelles dans l’édition littéraire et musicale
Article 4 Conciliation préalable devant le Médiateur du livre
Article 5 Réforme du dépôt légal numérique
annexe 1 : Liste des personnes entendues par la rapporteure
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La loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, quarante après son adoption, a su conserver toute sa pertinence, tout en bénéficiant d’adaptations nécessaires, à la marge au fil du temps. Elle a largement contribué à ancrer l’idée selon laquelle le livre ne saurait être considéré comme un bien de consommation comme un autre, mais qu’il est au contraire « un bien culturel issu de la création de l’esprit, une promesse de lecture que l’on prête, que l’on offre, que l’on conseille ; un objet que l’on emporte partout et qui vous emporte souvent bien au-delà de ce qu’on imaginait avant de l’ouvrir ; un sujet de débat, d’émotions et de rêve » ([1]).
Elle semble avoir atteint, pendant plusieurs décennies, les objectifs qui lui avaient été assignés en 1981 : assurer l’égalité des citoyens devant le livre, vendu au même prix sur tout le territoire ; maintenir un réseau dense de détaillants, notamment dans les zones les plus éloignées des centres urbains ; soutenir le pluralisme de la création et l’édition, pour un soutien aux librairies indépendantes plus à même de favoriser l’achat de livres jugés plus difficiles.
De fait, la France bénéficie aujourd’hui de la plus grande densité de commerces de vente au détail de livres au monde, avec 20 000 points de vente physiques sur le territoire français, qui sont de nature assez diverse : les librairies indépendantes, au nombre de 3 500 environ ; les grandes surfaces culturelles telles que la FNAC ou Cultura, qui comptent plusieurs centaines d’implantations en France ([2]) ; les grandes surfaces non spécialisées, notamment les hypermarchés ainsi que les lieux de vente dédiés qui peuvent leur être rattachés, comme les Espaces culturels Leclerc, aujourd’hui au nombre de 225 ; les maisons de la presse, librairies-papeteries, kiosques, clubs, etc. La production éditoriale est, quant à elle, intense, et ce sont ainsi, en moyenne sur les deux dernières années, environ 100 000 titres qui sont publiés par an, dont un peu moins de 40 % de nouveautés ([3]).
Toutefois, le législateur a été contraint d’intervenir en 2014 ([4]) , alors que la vente en ligne représentait déjà une part non négligeable du marché et que certains de ses acteurs se livraient à une concurrence déloyale vis-à-vis des commerces physiques, en proposant à la fois la décote légale de 5 % sur le prix du livre et la gratuité de ses frais de port. Il s’agissait alors de préserver l’activité des libraires en leur permettant de se positionner face à Amazon sur le marché de la vente en ligne ([5]). Une double mesure frappant l’expédition de livres a donc été adoptée à l’issue des débats : d’une part, l’interdiction de pratiquer la décote de 5 % ; d’autre part, l’interdiction de la gratuité des frais de port. Le législateur n’était toutefois pas naïf quant à la portée de cette dernière disposition, d’ordre avant tout symbolique et psychologique.
Force est de constater que la loi du 8 juillet 2014 précitée, encadrant les conditions de la vente à distance des livres, a eu un impact modéré sur les pratiques des acheteurs et n’a pas endigué la progression du marché en ligne des livres neufs. Elle s’établissait, en 2019, à 21 % ([6]) et s’est vraisemblablement accélérée en 2020 du fait des contraintes posées par la crise sanitaire. Elle n’a pas non plus entamé la position de premier plan du géant américain, dont on estime qu’il dispose aujourd’hui de 50 % des parts de marché du livre en ligne.
Aux dires de certains, la situation actuelle serait finalement analogue à celle dans laquelle se trouvaient les libraires indépendants en 1981 : la vente en ligne, comme l’achat en grandes surfaces dans les années 1970, serait en passe de devenir le modèle commercial dominant et ses acteurs se livreraient à des pratiques agressives comparables à celle des grandes surfaces culturelles et des hypermarchés d’alors en matière de prix, éclipsant de facto les librairies indépendantes. Ces similitudes plaideraient donc en faveur d’une mesure semblable de report de la concurrence sur d’autres éléments que le prix, afin de permettre aux librairies indépendantes de jouer à armes égales avec les plus grands détaillants. C’est précisément l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi, qui vise à instaurer un tarif plancher pour la livraison des livres neufs, auquel seraient donc assujettis l’ensemble des vendeurs en ligne.
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Il importe, afin d’évaluer l’impact des dispositions de la présente proposition de loi, de rendre compte des dernières données disponibles tant pour ce qui relève de la filière économique du livre que des pratiques de lecture de nos concitoyens.
Il s’est vendu en France, en 2020, 422 millions de livres – dont 107 millions de livres au format poche. Ils représentent pour leurs éditeurs un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros ([7]). La littérature, en 2020, occupe le premier segment du marché en valeur, avec 585 millions d’euros de chiffre d’affaires, devant le livre scolaire, les livres de sciences humaines et sociales, les ouvrages jeunesse et bande dessinée, et les livres pratiques ([8]).
La vente par internet représentait, en 2019, 21 % des lieux d’achat de livres neufs hors livres scolaires ([9]). Elle tend, depuis plusieurs années, à croître, comme les ventes en grandes surfaces culturelles, au détriment des ventes en grandes surfaces alimentaires mais également de la vente par correspondance hors internet, notamment opérée par les clubs. Par ailleurs, d’après les informations recueillies par la rapporteure, les commandes rassemblant plusieurs titres seraient aujourd’hui, dans les faits, relativement rares.