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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 novembre 2021.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur (n° 4624)
PAR Mme Patricia LEMOINE
Députée
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Voir le numéro : 4624
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Pages
A. Un marchÉ de quasi-monopole au profit du secteur bancaire
B. Un marchÉ insuffisamment protecteur des droits des consommateurs
B. faciliter l’accÈs À l’emprunt pour les personnes les plus fragiles
2. Le droit à l’oubli et la grille de référence AERAS, vrai faux progrès ?
b. La grille de référence AERAS
Article 6 Entrée en vigueur des dispositions du titre Ier
Titre II Droit À l’oubli et ÉVOLUTION DE la grille de rÉfÉrence DE LA « AERAS »
Titre II Droit À l’oubli et grille de rÉfÉrence AERAS
Liste des personnes auditionnées
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La présente proposition de loi, Pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, apporte une avancée significative au droit des consommateurs, celui de pouvoir résilier à tout moment leur assurance emprunteur pour les crédits immobiliers.
Alors que le pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des Français, que l’achat d’une résidence principale reste pour beaucoup de Français le projet d’une vie, des freins à l’accession à la propriété demeurent.
Dans un contexte de taux d’intérêts bas, voire historiquement bas, le pouvoir d’achat des Français demeure amputé du coût de l’assurance emprunteur, qui n’est pas au juste prix. En effet, certains établissements peuvent être tentés de récupérer leurs marges sur l’assurance emprunteur.
Quant aux personnes souffrant d’un risque aggravé de santé, l’accès à la propriété se paie au prix fort : les surcoûts des taux d’assurance pouvant être assimilés, comme votre rapporteure a pu l’entendre, lors de plusieurs auditions, à des quasi taux d’usure.
La libéralisation du marché de l’assurance emprunteur a déjà fait l’objet de plusieurs mesures législatives, la loi dite « Lagarde », en 2010, la loi dite « Hamon », en 2014, et l’amendement dit « Bourquin », en 2017. Malheureusement, en pratique, l’applicabilité réelle de ces évolutions permettant à l’assuré de changer d’assurance emprunteur plus facilement, fait encore défaut.
Du fait de mesures dilatoires pratiquées par certains établissements bancaires, identifiées à plusieurs reprises dans les avis du comité consultatif du secteur financier (CSCF) mais aussi par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), le droit de pouvoir résilier annuellement son assurance emprunteur est resté une mesure largement caduque à défaut d’être devenu un droit effectif.
La présente proposition de loi vise donc à le rendre effectif pour l’ensemble des consommateurs, y compris pour ceux d’entre eux souffrant d’un risque aggravé de santé.
Selon différents calculs, en fonction de l’âge de l’emprunteur, du montant emprunté, le gain moyen de pouvoir d’achat serait de l’ordre de 5 000 à 15 000 euros pour un emprunteur. Autant dire un gain conséquent !
Fruit d’un large travail collectif de concertation avec les associations de malades, les assureurs, les établissements bancaires et les associations de consommateurs, la présente proposition de loi a également fait l’objet d’une longue réflexion de la part de votre rapporteure, afin de proposer un texte équilibré, garant des droits des consommateurs sans pour autant déséquilibrer le modèle économique des établissements prêteurs.
Inspirée d’un amendement, déposé par votre rapporteure, et adopté par notre assemblée dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), la présente proposition de loi va plus loin encore que cet amendement initial.
Le titre Ier, « Droit de résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur et autres mesures de simplification », propose, en effet, de pouvoir résilier à tout moment son contrat d’assurance emprunteur sans frais ni pénalités.
Pour rendre ce droit effectif, les obligations de transparence et de motivation à l’égard des organismes prêteurs sont renforcées à peine de sanctions administratives pouvant être prononcées par l’autorité de contrôle, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Leur montant a également été augmenté.
Le titre II, « Droit à l’oubli et grille de référence AERAS », vise à réduire les délais du droit à l’oubli pour les personnes souffrant d’une pathologie cancéreuse, à l’ouvrir à d’autres pathologies et maladies chroniques ainsi qu’à déplafonner le montant de prêt garanti par le grille de référence de la convention « AERAS » – « S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé » pour l’établir à un montant supérieur qui restera à déterminer. Il vise par ailleurs à prendre en compte d’autres pathologies, comme par exemple le diabète, dans cette grille de référence. L’absence de concertation pour faire avancer ces questions conduirait le pouvoir règlementaire à les mettre directement en œuvre.
En effet, les avancées médicales montrent que les risques pour certaines pathologies sont limités : disposer de données scientifiques fiables est donc un préalable pour votre rapporteure, afin de faire bouger les lignes de référence de la convention AERAS.
Pour votre rapporteure, notre devoir, en tant que parlementaire, consiste bien à redonner du pouvoir d’achat aux Français, lorsque les mesures envisagées sont justes et attendues et ce, d’autant plus qu’elles sont neutres pour les finances publiques. L’objet de la présente proposition de loi n’est pas autre !
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I. Le marchÉ de l’assurance emprunteur pour les crÉdits immobiliers, un marchÉ peu concurrentiel et insuffisamment protecteur des droits des consommateurs
A. Un marchÉ de quasi-monopole au profit du secteur bancaire
Le secteur de l’assurance emprunteur représente l’un des domaines les plus importants de l’assurance des personnes sur le marché français. En 2019, selon les derniers chiffres disponibles, cités dans le rapport du comité consultatif du secteur financier (CCSF) sur le bilan de l’assurance emprunteur, ([1]) ce secteur représente 9,8 milliards d’euros, dont près de 7 milliards d’euros au titre de la couverture des prêts immobiliers. Le secteur de l’assurance pour les crédits immobiliers concerne environ 7 millions de Français.
Selon un rapport de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’organe de supervision français de la banque et de l’assurance, en 2017, 87,5 % des contrats d’assurance emprunteurs garantissant un crédit immobilier étaient portés par des banques-assureurs.
Selon la Fédération des banques (FDB), 40 % du marché de l’assurance-emprunteur pour un crédit immobilier correspond à une tranche d’âge spécifique, celle des 25-45 ans.
Les banques se trouvent en situation de quasi-monopole sur le secteur assurantiel pour les crédits immobiliers du fait de la spécificité caractérisant le moment de la souscription du crédit. Pressé de pouvoir honorer sa promesse d’achat signée devant notaire, qui impose un délai pour obtenir un crédit et devient caduque en cas de refus de prêt, l’emprunteur, au regard de ces délais contraints, ne se trouve pas véritablement en position de négocier ni de faire jouer la concurrence.
La banque, auprès de laquelle l’emprunteur souscrit un crédit, fait valoir lors de la présentation de l’offre de crédit immobilier la nécessité de l’assurer avec une garantie élevée, à savoir, incapacité totale d’activité, perte de travail, alors que cette garantie ne correspond pas toujours aux besoins de l’assuré ni à l’offre concurrentielle immédiatement accessible.
En effet, la banque exige une garantie et la fournit en même temps, ce qui au-delà du temps contraint, peut décourager également certains acquéreurs de chercher une offre alternative, voire de comparer les offres.
Contrairement à l’assurance habitation ou à l’assurance automobile qui sont obligatoires, l’assurance pour un crédit immobilier, juridiquement, ne l’est pas, mais le devient dans les faits. La prise d’hypothèque sur le bien, par exemple, pourrait avantageusement se substituer à l’offre d’assurance, mais elle n’est jamais proposée sauf à rencontrer un client aguerri aux subtilités juridiques et avec une surface financière qui lui donne un fort pouvoir de négociation.
En outre, dans un environnement de taux bas, voire négatifs, l’assurance est devenue la variable d’ajustement qui permet aux établissements bancaires de faire des marges élevées au détriment du consommateur. Selon une étude de l’ACPR (2018), la marge nette sur les crédits immobiliers proposés par les banques serait négative (- 0,6 %), ce qui a pour conséquence de transformer le crédit immobilier en produit d’appel pour les établissements bancaires afin de vendre une assurance-emprunteur ainsi que d’autres produits pour rattraper leur marge (cotisation compte-courant, produits d’épargne, cautionnement bancaire, carte bancaire, etc. …).
Selon une enquête UFC-Que Choisir (août 2019), la priorité des consommateurs consiste tout d’abord à obtenir un taux bas sans véritablement tenir compte du tarif de l’assurance, qui apparaît dans l’étude précité comme une question secondaire alors qu’elle constitue un poste de dépense important pour l’assuré.
Le secteur assurantiel alternatif, représenté notamment par l’Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs (APCADE), ne possède que 12, 5 % du marché de l’assurance pour les contrats immobiliers, et paradoxalement, du fait de la faible ouverture concurrentielle de ce secteur, se trouve davantage présent sur les cas que les banques ne savent pas traiter, à savoir :
– les risques aggravés de santé (40 % de part des assureurs dits « alternatifs », à comparer aux 12 % de part totale sur l’ensemble du marché) ;
– les seniors (le taux de délégation est croissant avec l’âge selon le rapport du CCSF).
Dès lors, l’absence de concurrence nuit au consommateur, captif des prix pratiqués par le secteur bancaire, sans pouvoir faire véritablement jouer l’offre concurrentielle.
En effet, le principal inconvénient des services d’assurance proposés par un acteur bancaire est le prix : plus élevé en raison notamment du niveau de commissionnement des réseaux bancaires et du faible taux de marge sur les taux de crédits actuels. Le niveau de garantie n’est pas non plus nécessairement adapté à l’emprunteur, du fait d’une offre relativement standardisée.
B. Un marchÉ insuffisamment protecteur des droits des consommateurs
1. Libéraliser le marché de l’assurance emprunteur pour les crédits immobiliers : une mesure de pouvoir d’achat neutre pour les finances publiques
Libéraliser le marché de l’assurance emprunteur pour les crédits immobiliers permettrait de redonner aux consommateurs souhaitant acquérir un bien immobilier, un pouvoir d’achat non négligeable.
Les marges opérées sur les contrats d’assurance-emprunteur sont extrêmement rentables. Selon l’ACPR, dans une étude de 2018, le ratio sinistre/primes du secteur, à savoir le rapport entre les euros décaissés par l’assureur pour indemniser les sinistres et les euros de cotisations de primes reçues, est particulièrement intéressant. Ainsi, l’ACPR établit que sur 100 euros de primes encaissés, 68 euros sont conservés par l’assureur et 32 décaissés pour les sinistres. À titre de comparaison, ce montant est de seulement 32 euros d’euros conservés pour l’assurance habitation, et 21 euros sur l’assurance automobile.
Les gains sur les renégociations de contrat peuvent donc être relativement importants. En effet, selon l’UFC-Que Choisir, le gain sur une renégociation de contrat, serait estimé à 5 000 euros sur les nouveaux contrats, et concernant les contrats en stock, les estimations varient entre un gain estimé entre 5 000 et 15 000 euros (selon les modalités du crédit couvert) pour une assurance emprunteur garantissant un crédit bancaire, une somme donc loin d’être négligeable.
Toujours selon les calculs opérés par l’association UFC-Que Choisir, pour un crédit de 250 000 euros souscrit sur 20 ans, le gain estimé pour un changement d’assurance serait de l’ordre de 6 500 euros pour les plus de 65 ans et jusqu’à plus de 15 000 euros pour la tranche d’âge 35 - 45 ans !
En outre, en termes de garantie, le secteur alternatif, s’aligne, au mieux sur les garanties proposées par les banques, puisque pour qu’une substitution d’assurance soit légale, elle doit nécessairement présenter un niveau de garantie équivalent, voire présente des garanties supérieures.
Selon les études conduites par le secteur alternatif, les emprunteurs ne choisissent une assurance hors banque ou ne changent d’assurance que pour des questions de prix, excepté les personnes présentant un risque aggravé de santé au départ, qui changent d’assurance, à la fois pour des questions de prix et de garanties.
Une autre difficulté demeure concernant la protection des droits des consommateurs : il convient de pouvoir mesurer le véritable taux et le véritable coût de l’assurance puisque la partie variable de celle-ci, pas toujours identifiée par l’assuré, est présente dans le taux annuel effectif global (TAEG), ce qui ne permet ni de mesurer véritablement le coût de l’assurance, ni le coût du crédit.
L’absence de concurrence dans le secteur de l’assurance-emprunteur rend les consommateurs captifs et ne leur permet pas de faire respecter leurs droits, sans compter que cela obère sérieusement leur pouvoir d’achat.
2. Lutter contre les mesures dilatoires contraires à l’esprit de la loi, une mesure de protection des droits des consommateurs
Le législateur a opéré une libéralisation de l’assurance emprunteur pour les crédits immobiliers en trois temps, sans que cela n’ait pu empêcher jusqu’ici certains établissements bancaires d’user de mesures dilatoires à l’encontre des consommateurs pour détourner l’esprit et la lettre de la loi, ni de remettre en question leur position de quasi-monopole sur le marché :
– la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi « Lagarde », décorrèle le choix de l’offre de prêt de celui de l’assurance-emprunteur ;
– la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », va plus loin en permettant à l’assuré de résilier son contrat à tout moment dans les douze premiers mois suivant la signature de l’offre de prêt ;
– l’amendement dit « Bourquin », du nom de son auteur M. Martial Bourquin, voté en 2017, étend le droit de résiliation au-delà de la première année. Or, comme certains contrats n’avaient pas véritablement de date d’échéance indiquée, de fait le dispositif s’est trouvé assez vite inopérant.
Ainsi, aucune de ces mesures législatives n’a, jusqu’à aujourd’hui, véritablement permis de libéraliser le marché de l’assurance-emprunteur qui reste en situation de quasi‑monopole au profit des banques.
Selon Securimut, membre de l’Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs (APCADE), ce n’est rien d’autre qu’un véritable parcours du combattant qui se présente au consommateur souhaitant faire jouer son droit d’option en matière de changement d’assurances.
Pas moins de 7 obstacles ont été identifiés pour parvenir à une substitution d’assurance, ce qui nécessite, la plupart du temps, l’intervention d’un intermédiaire, un courtier en assurances, le maquis législatif et la force d’inertie des établissements bancaires décourageant tout emprunteur non aguerri au franchissement d’obstacles.