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N° 4711

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 novembre 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale,

 

 

 

Par M. Sébastien JUMEL,

 

 

Député.

 

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Voir le numéro :  4589.

 

 


 


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SOMMAIRE

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 Pages

AVANT-PROPOS

I. LA DÉSERTIFICATION MÉDICALE : UN PHÉNOMÈNE EN AGGRAVATION ET CONDUISANT À UNE SITUATION SANITAIRE INQUIÉTANTE

A. Une désertification mÉdicale croissante en lien avec une Évolution dÉfavorable de la dÉmographie mÉdicale et une rÉpartition inÉgale de l’offre de soins sur le territoire

1. Une démographie médicale en forte évolution

2. Une répartition territoriale très inégale de l’offre médicale

3. Sans action, les difficultés d’accès aux soins et les inégalités territoriales ne devraient pas s’améliorer rapidement

B. En conséquence, des difficultés accrues d’accès aux soins sur le territoire et une surcharge de travail pour les médecins

1. Des difficultés d’accès aux soins touchant en priorité les personnes les plus pauvres

2. Des médecins qui ne peuvent plus accueillir de patients supplémentaires

3. Une surcharge de travail pour les médecins généralistes en zones surdenses, qui conduit à limiter leurs activités de prévention

4. Des difficultés liées aux permanences de soins

II. LE FAIBLE SUCCÈS DES MESURES MISES EN ŒUVRE POUR ENDIGUER LA DÉSERTIFICATION MÉDICALE APPELLE DÉSORMAIS À UNE RÉACTION RAPIDE ET D’AMPLEUR

A. Un empilement de mesures pour essayer d’endiguer la dÉsertification mÉdicale

B. Face à l’urgence de la situation, la nécessité d’une action volontariste et ambitieuse

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Territorialisation des capacités d’accueil des universités

Article 2 Généralisation du contrat d’engagement de service public

Article 3 Instauration d’un conventionnement sélectif pour les médecins

Article 4 Renforcement du soutien des agences régionales de santé à la création et à la gestion des centres de santé par les collectivités territoriales

Article 5 Principe d’égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire

Article 6 Élargissement des compétences des hôpitaux de proximité

Article 7 Gages financiers

Examen en commission

ANNEXE 1 : Tableau comparatif de la proportion de médecins libéraux en secteur autorisÉ À pratiquer des dépassements d’honoraires et de la densité médicale par département

ANNEXE 2 : Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

Annexe 3 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi


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   AVANT-PROPOS

Selon les différentes études disponibles, il est établi que 11,6 % de la population française vit dans une zone sous-dotée en médecins généralistes ([1]). Certaines analyses considèrent que dix millions de Français vivent à l’heure actuelle dans une zone dans laquelle l’accès aux soins est de qualité inférieure à la moyenne nationale ([2]). Un même nombre de Français vit à plus de 30 minutes d’un service d’urgence. L’image d’Épinal selon laquelle un désert médical serait une zone rurale, isolée et dépeuplée est donc désormais totalement dépassée : une grande partie du territoire français, y compris au cœur des métropoles, est concernée par ce phénomène. L’accès au système de soins est de ce fait devenu une préoccupation majeure des Français : cette question s’est spontanément imposée et a été largement évoquée lors du Grand débat national en 2019, dans les cahiers citoyens, les contributions et les réunions, alors qu’elle ne figurait pas dans les sujets et thèmes proposés par le Gouvernement.

Ainsi, les « déserts médicaux », leur mesure, leur cartographie et les réponses structurelles à y apporter, font l’objet de débats réguliers, tant il s’agit d’un enjeu crucial pour nos concitoyens. La dernière proposition de loi ([3]) discutée sur ce sujet à l’Assemblée nationale était celle de M. Guillaume Garot en novembre 2019 ([4]). Une commission d’enquête créée à l’Assemblée nationale avait en outre alerté dès 2018 sur l’urgence d’agir dans ce domaine ([5]).

Ce sujet fait d’abord surgir d’importantes difficultés dans la définition des termes du débat, comme l’a souligné la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des solidarités et de la santé en 2017 ([6]). Il s’agit de définir plusieurs concepts complexes, et en premier lieu celui d’« accès aux soins », qui s’entend moins « comme une possibilité dont on jouit que comme l’absence d’obstacles entravant la possibilité de recours », sans qu’il n’existe de référence permettant de dire si un accès aux soins est « bon » ou « mauvais » en soi. Le sujet de la désertification médicale analyse la question de l’accès aux soins principalement sous l’angle spatial, étant donné que la présence dans une zone rapprochée d’un professionnel de santé constitue une condition indispensable (même si non suffisante) d’accès aux soins. D’autres critères peuvent également être pris en compte, notamment les délais d’attente et les freins financiers liés à la pratique des dépassements d’honoraires.

À ce titre, le terme de « désert médical » apparaît certes comme une expression nécessairement réductrice, puisqu’il existe une gradation entre des territoires quasi‑totalement déserts en termes de professionnels de santé et ceux qui sont les mieux pourvus. Toutefois, cette expression permet de caractériser des situations de plus en plus critiques pour certains territoires, qui voient leur offre médicale se raréfier. En effet, alors que l’accessibilité géographique aux infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et sages-femmes s’est améliorée entre 2016 et 2019, celle des médecins généralistes se dégrade (– 6 %) ([7]). Cette situation entraîne des difficultés en cascades : renoncement aux soins, diminution de la prévention, risque d’apparition d’écarts d’espérance de vie.

Pourtant, le droit aux soins et à la santé est garanti par tous les échelons normatifs. Le Préambule de la Constitution de 1946, composante du bloc de constitutionnalité, précise que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Sur ce fondement, en 1991, le Conseil constitutionnel reconnaît que les « exigences de protection de la santé publique » ont « valeur constitutionnelle » ([8]). Dans le code de la santé publique (article L. 110-1), la protection de la santé est qualifiée de « droit fondamental » et il est fait obligation de le mettre en œuvre « par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». Le droit international, en particulier la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ou encore la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, garantit également ce droit.

Pourtant, comme le résume un rapport du Sénat, « depuis vingt ans, un écart croissant s’est créé entre le droit et le fait » ([9]). Une aggravation des inégalités d’accès aux soins est en effet constatée, touchant en priorité les personnes les plus fragiles économiquement. La pénurie de médecins généralistes peut largement être expliquée par la politique de régulation de l’offre médicale, en particulier le numerus clausus imposé à certaines professions médicales, notamment la médecine entre 1971 et 2020. Le Sénat parle à ce sujet d’une véritable « bombe à retardement » ; il importe que les pouvoirs publics s’emploient rapidement à la désamorcer.

L’objectif de la proposition de loi soumise par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) vise donc à formuler des propositions opérationnelles, sur le fondement des données issues de nombreux rapports et analyses, pour aller à l’encontre de ce phénomène et garantir rapidement à tous nos concitoyens un accès égalitaire aux soins. Pour cela, cet avant-propos vise à documenter, de la façon la plus actualisée et précise possible, le phénomène de désertification médicale (I) ainsi que les réponses, jusqu’ici insuffisantes, qui ont pu y être apportées (II).

I.   LA DÉSERTIFICATION MÉDICALE : UN PHÉNOMÈNE EN AGGRAVATION ET CONDUISANT À UNE SITUATION SANITAIRE INQUIÉTANTE

A.   Une désertification mÉdicale croissante en lien avec une Évolution dÉfavorable de la dÉmographie mÉdicale et une rÉpartition inÉgale de l’offre de soins sur le territoire

1.   Une démographie médicale en forte évolution

D’après la DREES ([10]), en 2021, 214 200 médecins de moins de 70 ans sont en activité. Ces effectifs sont stables depuis 2012. Un pic a été atteint en 2016 avec un total de 216 000 médecins.