N° 1273

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mai 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles,

 

 

Président

M. Jean-Félix ACQUAVIVA

 

Rapporteur

M. Laurent MARCANGELI

Députés

 

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 Voir les numéros : 170 et 516.

 


La commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles, est composée de : M. Jean-Félix Acquaviva, président ; M. Laurent Marcangeli, rapporteur ; Mme Caroline Abadie ; Mme Sabrina Agresti-Roubache ; Mme Ségolène Amiot ; Mme Bénédicte Auzanot ; M. Romain Baubry ; M. Ugo Bernalicis ; M. Mickaël Cosson ; M. Jocelyn Dessigny ; M. Pierre Dharréville ; M. Guillaume Gouffier Valente ; M. Meyer Habib (jusqu’au 3 février 2023) ; M. Sacha Houlié ; M. Philippe Juvin ; M. Mohamed Laqhila ; M. Emmanuel Mandon ; Mme Élisa Martin ; M. Karl Olive ; M. Didier Paris ; M. Thomas Portes ; Mme Angélique Ranc ; Mme Cécile Rilhac ; Mme Sandrine Rousseau ; Mme Anaïs Sabatini ; M. Hervé Saulignac ; Mme Sarah Tanzilli ; Mme Cécile Untermaier ; M. Guillaume Vuilletet.


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SOMMAIRE

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 Pages

Avant-propos du PrÉsident

introductioN

Synthèse des recommandations du rapport

PREMIÈRE PARTIE : La GESTION comparée des parcours de DÉTENTION respectifs D’YVAN COLONNA et DE FRANCK ELONG ABÉ a SUSCITÉ UNE INCOMPRÉHENSION LÉGITIME

I. L’ORGANISATION PARTICULIÈREMENT RIGOUREUSE DE LA DÉTENTION D’YVAN COLONNA CONTRASTE AVEC SON BON COMPORTEMENT

A. UNE DÉTENTION dont lE caractÈre PRESQUE EXEMPLAIRE, SANS INCIDENT NOTABLE, n’a jamais été pris en considÉration

1. La prise en charge sans indulgence d’Yvan Colonna

a. Une procédure judiciaire qui, à l’évidence, n’a pas permis de jouer son rôle d’apaisement

b. Peu d’incidents disciplinaires mais de multiples transfèrements jusqu’à la stabilisation d’Yvan Colonna à la maison centrale d’Arles

2. À la maison centrale d’Arles : un détenu calme et apprécié

a. Un comportement très correct pendant dix ans

b. Un détenu apprécié du personnel et de ses codétenus

c. Une peine qui n’aurait sans doute pas été aménagée

B. UN STATUT SUSCEPTIBLE DE FAVORISER L’ARBITRAIRE : LE CAS D’YVAN COLONNA, RÉVÉLATEUR DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER LE STATUT de détenu particuliÈrement signalÉ (DPS)

1. Le statut de DPS, une solution de facilité appliquée de manière uniforme à des profils très différents

a. L’inscription et le maintien au répertoire des DPS

i. L’état du droit applicable

ii. La persistance de zones d’ombres au niveau national comme local

b. Un statut aux conséquences parfois contraires au principe d’individualisation de la peine

i. Les restrictions imposées par le statut de DPS

ii. Un statut « attrape-tout »

2. Des conséquences inacceptables sur le droit à la vie familiale d’Yvan Colonna

a. Pour Yvan Colonna, l’apparence d’une double peine

b. L’aménagement de la prison de Borgo, une question centrale

i. Une volonté politique asymétrique entre l’État et la Corse

ii. Le processus de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo

3. Un détenu marqué au fer rouge du statut de DPS : des motivations sommaires et une situation générant de l’automaticité

a. Des arguments extra-pénitentiaires insuffisamment étayés

i. Des critères opposés à Yvan Colonna peu convaincants

ii. Une procédure au carrefour de nombreuses influences, dont certaines de nature politique

iii. Une pratique critiquable et critiquée

b. Un statut qui emporte une certaine automaticité, et finalement peu efficace à la lumière de l’agression du 2 mars 2022

4. Une réforme indispensable du statut de DPS

a. Un statut qui doit être défini par le législateur

b. Un meilleur encadrement de ce statut et un renforcement de son contrôle juridictionnel

II. la gestion erratique, voire permissive, du parcours carcÉral de Franck elong abÉ

A. un profil extrÊmement dangereux, violent et instable

1. Du Cameroun au djihad afghano-pakistanais : l’itinéraire singulier d’un terroriste islamiste français

a. La jeunesse chaotique d’un petit délinquant multirécidiviste

b. Un « combattant de confiance » des talibans

i. Les actions commises en zone afghano-pakistanaise

ii. Un événement primordial pour appréhender la personnalité de l’individu

2. Avant la maison centrale d’Arles, l’affectation au sein de cinq établissements en cinq ans et d’innombrables incidents, pour la plupart d’une gravité certaine

a. Maison d’arrêt de Rouen (2014-2015 et 2015-2016)

i. Première période

ii. Seconde période

b. Centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (2015 et 2016-2017)

i. Première période

ii. Seconde période

c. Centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (2017-2019)

d. Centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (2019)

e. Centre pénitentiaire de Nantes (2019)

3. À la maison centrale d’Arles : stabilisation ou dissimulation ?

a. Le transfert à la maison centrale Arles : un défi réussi, en apparence

i. Le transfert de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles portait, dès l’origine, les germes d’un possible échec futur

ii. Il est néanmoins incontestable que l’intégration de Franck Elong Abé à Arles s’y déroule de façon relativement correcte au regard de ses précédentes affectations

b. La persistance d’incidents qui, initialement, n’avaient pas été portés à la connaissance de l’Assemblée nationale

c. Des signaux d’alertes et des manifestations d’instabilité préoccupants

d. 13 décembre 2023 : la perspective inquiétante de la fin de peine

i. Le régime d’application des différentes peines

ii. La nécessité de préparer cette échéance préoccupante

B. LES NON-ORIENTATIONS EN quartier d’Évaluation de la radicalisation (QER), RÉVÉLATRICES DE L’ÉCHEC MANIFESTE DE LA PRISE EN CHARGE DE L’INDIVIDU

1. Une succession de demandes, pour la plupart transmises dans les formes à l’administration centrale, qui n’aboutissent pas

a. Les demandes auxquelles la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) n’a pas donné suite

b. Les demandes auxquelles la directrice de la maison centrale d’Arles n’a pas donné suite

c. La demande intervenue hors procédure, et trop tardivement

2. Le transfert à maison centrale d’Arles : les prémices du drame

a. Un contexte complexe qui n’absout toutefois pas l’administration pénitentiaire

i. Trois options, un choix discutable

ii. Une décision non conforme, à l’époque, à l’état du droit

b. Le rôle de l’autorité judiciaire en question

i. Un cadre d’intervention dont l’imprécision persiste

ii. Des avis réservés et très réservés qui ont pesé dans la décision

c. Les raisons et les conséquences de la mise en échec de la stratégie de la DAP

i. Une décision qui n’a pas été encadrée par des garanties suffisantes

ii. Des conséquences indirectement dramatiques

3. La situation à la maison centrale d’Arles : origine et expansion d’un « trou noir » administratif

a. Pourquoi il était indispensable d’évaluer Franck Elong Abé en QER

i. Déterminer le régime de détention approprié

ii. Prévenir le risque de passage à l’acte violent

b. Une dilution des responsabilités à tous les niveaux de l’administration pénitentiaire

i. La défaillance grave de la cheffe d’établissement

ii. Un défaut de vigilance généralisé

c. Le cas de Franck Elong Abé dans une perspective comparative

i. Au niveau national, un cas unique en son genre

ii. La confirmation d’une situation particulièrement anormale à la maison centrale d’Arles en matière d’évaluation des profils radicalisés

C. UN CLASSEMENT AU SERVICE GÉNÉRAL QUI A suscité la stupéfaction de LA COMMISSION D’ENQUÊTE

1. Une situation qui renforce la conviction selon laquelle la prise en charge de Franck Elong Abé a fait l’objet de graves défaillances à Arles

a. Une décision dont le caractère incompréhensible est aggravé par les éléments statistiques révélés par le rapporteur

i. Une prise de risque inconsidérée en l’absence d’évaluation de la dangerosité de l’individu

ii. Un cas authentiquement hors normes

b. Une décision à ce point choquante qu’elle a suscité l’émergence de certaines théories qui se sont néanmoins révélées infondées

2. L’impérieuse nécessité d’encadrer les conditions du classement au travail des détenus sensibles

a. Définir les conditions de classement et de déclassement d’un détenu

b. Instaurer des mesures de vigilance suffisantes pour le classement des détenus dangereux

Seconde partie : l’agression mortelle du 2 mars 2022, une tragÉdie qui appelle une prise de conscience collective

I. un drame qui trouve son origine dans des dysfonctionnements qui auraient dÛ alerter l’administration pÉnitentiaire

A. À lA MAISON CENTRALE D’arles, des dÉfaillances ÉclairÉes par les travaux de la commission d’enquÊte

1. Une maison centrale supposée sécuritaire

a. Un établissement remis en service en 2009

b. Description des deux bâtiments d’hébergement

2. La maison centrale d’Arles : un « village » soumis à un contexte difficile et dégradé

a. Des détenus aux profils lourds

b. Des personnels expérimentés, mais en nombre insuffisant au regard des effectifs théoriques

3. Un établissement confronté à des difficultés significatives

a. Des conditions de travail et de sécurité inquiétantes

b. La confirmation d’une gestion défaillante du personnel

i. Au niveau des personnels de surveillance

ii. Au niveau de la direction de l’établissement

B. Le jour du drame : un dÉfaut de surveillance anormal dans une maison centrale

1. Une agression d’une extrême violence qui s’est prolongée de façon inexplicable

a. Un incident hors du commun

b. Un déroulé des faits qui demeure quelque peu confus

2. Comment un détenu a-t-il pu en agresser un autre pendant de si longues minutes ?

a. Des agents dépassés, mais pas de leur fait

b. Un système de vidéosurveillance paradoxalement étoffé mais totalement inexploitable le jour de l’agression

i. Un système de vidéosurveillance développé

ii. Le jour de l’agression : des images non exploitables

iii. Une doctrine d’emploi de la vidéosurveillance en détention à repenser

3. Une reprise en main qu’il convient de souligner

C. UNE MAUVAISE APPRÉCIATION DE LA DANGEROSITÉ DE L’AGRESSEUR DONT LES CONSÉQUENCES ONT ETE AGGRAVÉES PAR une circulation imparfaite DE L’INFORMATION

1. Une circulation des informations globalement défaillante

a. Depuis la maison centrale d’Arles, un circuit de remontée des informations qui a semblé révéler une certaine forme de légèreté

i. Une alerte la veille du drame portée trop tardivement à la connaissance de la commission d’enquête

ii. Un manque de réactivité déconcertant

iii. Une impression de confusion générale inacceptable, des contradictions inexplicables

b. Les services de renseignement et Franck Elong Abé : qui savait quoi ?

i. Le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) : un service récent mais essentiel dans la circulation des informations

ii. Le suivi de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles

iii. Les relations entre le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) et le chef d’établissement : des échanges non formalisés

iv. Y a-t-il eu des failles dans la transmission de l’information au sujet de Franck Elong Abé ?

v. L’autorité judiciaire : à la source d’informations progressivement tombées dans l’oubli ?

2. Des divergences hautement préjudiciables dans l’appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé

a. Un individu décrit comme situé dans le « haut du spectre »

b. D’une dangerosité extrême à l’extérieur à une dangerosité largement relativisée en détention

i. Pour les services de renseignement

ii. Pour l’administration pénitentiaire

iii. Pour l’autorité judiciaire

iv. Ce qu’il est possible d’en conclure

c. Renforcer les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED) pour améliorer la circulation de l’information et la qualité de l’évaluation

II. UN ÉVéNEMENT dramatique QUI RÉVÈLE LES problématiques PLUS GÉNÉRALES DU SYSTÈME CARCÉRAL

A. LA DÉFINITION D’UNE STRATÉGIE DE GESTION DE L’ISLAMISME RADICAL LOUABLE MAIS ENCORE INABOUTIE

1. 2016-2022 : six années d’action déterminée mais discutée