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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE ([1])
sur le modèle économique des crèches
et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants
au sein de leurs établissements
Président
M. Thibault BAZIN
Rapporteure
Mme Sarah TANZILLI
Députés
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TOME I
RAPPORT
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements est composée de : M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Émilie Bonnivard, M. Bertrand Bouyx, Mme Eléonore Caroit, Mme Sophia Chikirou, Mme Julie Delpech, M. Pierre Dharréville, Mme Ingrid Dordain, M. Philippe Emmanuel, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Perrine Goulet, Mme Virginie Lanlo, Mme Élise Leboucher, M. Philippe Lottiaux, Mme Aude Luquet, M. Matthieu Marchio, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), Mme Alexandra Martin (Gironde), M. William Martinet, M. Laurent Panifous, Mme Michèle Peyron, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, M. Lionel Tivoli.
SOMMAIRE
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Pages
I. Un contexte particulier : la mise en lumiÈre de maltraitances des jeunes enfants dans les crÈches
II. Le systÈme français d’accueil du jeune enfant ressemble À celui des autres pays europÉens
A. Un cadre juridique rénovÉ par la loi pour le plein emploi
B. Une politique d’accueil du jeune enfant trÈs fortement soutenue par des financements publics
1. Un effort financier essentiellement porté par la branche famille de la sécurité sociale
3. Le tiers financement du bloc communal, soutien historique du secteur de la petite enfance
IV. Les travaux de la commission d’enquête relative au modèle Économique des crèches
a. Le constat persistant d’un manque de places en crèches face aux besoins des familles
i. La nécessité constante de créer de nouvelles places en crèches
ii. À rebours des objectifs de création de places, une tendance au « gel » des places existantes
iii. Les inégalités sociales et territoriales dans l’accès à l’accueil en crèche
i. Des plans crèches successifs qui n’ont pas réussi à résorber le déficit de places d’accueil
ii. Le dixième « plan crèches »
4. Le développement du secteur privé lucratif fait l’objet de critiques grandissantes
i. La présence des fonds d’investissement ou de dette au capital des groupes de crèches.
c. L’opacité de la structure juridique des grands groupes d’entreprises de crèches
a. La qualité de l’accueil en crèche se détériore
ii. La dégradation de la qualité d’accueil concerne en réalité les crèches de tous statuts
i. La pénurie de professionnels de la petite enfance : éléments chiffrés
iii. La difficulté de cartographier précisément les besoins de formation
ii. La réforme Norma en 2021 : simplifier les normes applicables aux EAJE
i. Une meilleure compréhension des besoins fondamentaux des enfants
a. Le défaut de contrôle opéré sur les professionnels eux-mêmes
i. Parfois, les qualifications et les compétences des professionnels des EAJE ne sont pas contrôlées
ii. Le défaut de contrôle des antécédents professionnels et judiciaires
i. Le cadre législatif applicable au contrôle des EAJE par les PMI
ii. En pratique, en raison notamment d’un manque de moyens, les PMI contrôlent peu les EAJE
i. Le contrôle essentiellement financier réalisé par les Caf
iii. L’absence de contrôles par les services de l’État
iv. Des lacunes que l’article 18 de la loi plein emploi a vocation à combler ?
b. La réforme de la PSU en 2014 vise à réduire les inégalités de financement des EAJE
c. Le volume financier de la PSU aujourd’hui
b. La Paje s’adresse toutefois essentiellement à des familles aisées
i. Les aides à l’investissement versées par les Caf
a. Les coûts de fonctionnement des crèches augmentent fortement
b. L’évolution des financements de la branche famille n’a pas suivi l’inflation
a. Mettre fin à la réglementation dérogatoire applicable aux micro-crèches
i. Davantage de professionnels pour prendre en charge les enfants
ii. Calculer le taux d’encadrement au niveau de groupe d’enfants de petite taille
i. Inverser le ratio de qualification résultant de l’article 19 du décret n° 2010–613 du 7 juin 2010
ii. Mettre fin au recrutement de personnels non diplômés à brève échéance
d. Mettre en place une carte professionnelle pour les professionnels des crèches
a. Recentrer le contrôle des PMI sur la qualité de l’accueil proposé aux enfants
ii. Les contrôles inopinés doivent, dans la mesure du possible, être privilégiés
a. Renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance
i. L’importance de la question salariale
ii. Communiquer sur le sens des métiers de la petite enfance
ii. Garantir la dimension pratique des formations dans le domaine de la petite enfance
iii. Donner des perspectives d’évolution de carrière aux professionnels de la petite enfance
iv. Soutenir la création de places dans les formations relatives aux métiers de la petite enfance
3. Mettre fin au financement dérogatoire des micro-crèches
2. Le rôle d’appui des Caf et des PMI pour le financement et le contrôle des crèches
b. Les services centraux du ministère en charge de la famille
a. Cartographier les besoins en termes de places de crèches
b. Recenser les besoins en professionnels de la petite enfance
i. Estimer le nombre de professionnels manquants à l’échelle nationale et départementale
ii. Ouvrir les places de formations nécessaires à l’échelle régionale
C. Repenser la politique d’accueil du jeune enfant en crÉant des alternatives À l’accueil en crÈche
2. Revoir les modalités des congés parentaux à la suite d’une naissance
b. La nécessaire refonte des congés dont bénéficient les parents à la suite d’une naissance
c. Le congé parental d’éducation
3. La préscolarisation des enfants à partir de 2 ans
Liste des personnes auditionnées
rencontres effectuées par la rapporteure et le président lors de leurs déplacements de février 2024
1. Meurthe-et-Moselle, 12 et 13 février 2024
2. Rhône et Métropole de Lyon, 15 et 16 février 2024
Lorsque le Président de la République a installé, à l’automne 2019, une commission d’experts sur les 1000 premiers jours de l’enfant, présidée par M. Boris Cyrulnik, son ambition affichée était de « faire des 1000 premiers jours de l’enfant une priorité de l’action publique ». Si l’intervention des experts est indispensable pour nourrir le débat public, il est cependant tout aussi indispensable que les responsables politiques prennent le relai pour débattre des questions soulevées avant de décider. En somme, pour passer du débat public à l’action publique.
Or nous consacrons trop peu de temps, au Parlement, aux sujets de la petite enfance, et plus généralement à la politique familiale. Le vote, chaque année à l’automne, des objectifs de dépenses de la branche Famille de la sécurité sociale, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, tient parfois lieu d’unique discussion sur sujet. L’adoption des deux dernières lois de financement de la sécurité sociale par le recours du Gouvernement au « 49-3 » n’a du reste même pas permis d’en discuter en séance publique, ce qui est regrettable dans un contexte de baisse alarmante de la natalité, et alors que les difficultés d’accès à des solutions d’accueil des jeunes enfants persistent.
Dans ces conditions, j’ai accueilli avec intérêt, en novembre dernier, la constitution d’une commission d’enquête sur les crèches.
Certes, je ne partageais pas les présupposés des auteurs de la proposition de résolution initiale, qui ne souhaitaient enquêter que sur le « business » des crèches privées et ses dérives. Par ailleurs, l’idée qu’il existait une maltraitance institutionnalisée, systémique, au sein de ces entreprises me semblait réductrice. En revanche, la perspective d’étudier le modèle économique des crèches dans leur ensemble, quel que soit leur statut, me semblait venir à point nommé, vingt ans après la conférence de la famille de 2003 qui a posé les bases de la politique d’accueil de la petite enfance telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.
Au début des années 2000, notre pays connaissait une embellie de sa natalité, certains ont même parlé d’un nouveau « baby-boom ». Les pouvoirs publics, le Gouvernement et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), ont pris alors des mesures pour répondre à la demande accrue de solutions d’accueil, avec d’une part, la création de la Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), marquant la primauté du libre choix du mode de garde, et d’autre part, une politique de création de places en crèches, en ouvrant le secteur à des structures privées lucratives.
Présider une commission d’enquête est un exercice d’équilibriste qui comporte de multiples contraintes, avec son lot de frustrations à la clé.
La première contrainte renvoie au champ de la commission d’enquête, tel qu’il est fixé par la résolution la créant, et qu’il convient de respecter. En l’espèce, je ne regrette pas d’avoir proposé et obtenu, lors de l’examen de la résolution par la commission des affaires sociales, l’extension de ce champ des seules crèches privées à l’ensemble des crèches, quel que soit leur statut. Car ce qui est apparu, au cours de nos travaux, c’est que le public et le privé sont souvent entremêlés et qu’il est vain de les opposer car, à l’arrivée, ils apportent le même service aux familles. Ce faisant, j’en suis arrivé parfois à regretter que le champ n’ait pas inclus l’ensemble des modes d’accueil de la petite enfance, tant il est vrai qu’ils n’évoluent pas isolément les uns des autres. Le départ en retraite de nombreuses assistantes maternelles, au cours des dernières années, a eu ainsi également des répercussions sur la demande de places en crèche. Par ailleurs, on ne saurait traiter la question de l’évolution des modes de garde en la détachant de la question de l’évolution des congés pour enfant en bas âge, ou encore des nouvelles demandes sociétales en matière d’organisation du travail. Un travail reste à mener afin de voir dans quelles conditions le libre choix des familles, objectif essentiel à mes yeux, pourrait être assuré, notamment par une harmonisation du reste à charge (en le plafonnant comme en Suède ?), quel que soit la solution d’accueil retenue.
La deuxième contrainte est celle du calendrier. Six mois pour constituer la commission, organiser 54 auditions, se déplacer sur le terrain, puis rendre des conclusions, c’est bien court. Sans compter les échéances qu’il convient, dans la mesure du possible d’articuler avec celle de la commission d’enquête. Le changement de gouvernance à la tête d’un groupe de crèches nous a ainsi amenés à entendre in extremis le nouveau président de ce groupe, lors de l’avant-dernier journée consacrée à nos auditions. Il s’agit aussi de tenir compte des travaux menés parallèlement, qui ont leur calendrier propre, lequel se marie plus ou moins bien avec celui de la commission. Ainsi l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales ont-elles pu nous présenter les conclusions de leur mission sur les micro-crèches. À l’inverse, l’évaluation de la politique d’accueil du jeune enfant menée par la Cour des comptes livrera ses conclusions après nos travaux.
La troisième contrainte, qui n’en est pas vraiment une, c’est la collégialité. Je tiens à saluer les collègues de tous les bancs qui ont suivi avec assiduité les travaux de la commission, d’un bout à l’autre. Avec la rapporteure, nous avons souhaité dès le début associer l’ensemble des commissaires, à commencer par les membres du Bureau, au programme de travail, en prenant en compte leurs suggestions ou en ajoutant des auditions supplémentaires à leur demande. En retour, le concours de chacun a été apprécié, au cours de certaines auditions, lorsqu’il s’est agi de relancer un interlocuteur évasif qui cherchait à éluder une question.
Un élément qui nous a tous frappés au cours de ces semaines de travaux a été la difficulté à obtenir des données tangibles et exploitables, tant il est vrai que ces données existent mais qu’elles sont aujourd’hui dispersées, du fait de la pluralité d’acteurs intervenant dans le secteur : État, collectivités territoriales, Caisse nationale des allocations familiales, caisses d’allocations familiales, entreprises de crèches, etc.
Pour ne prendre que cet exemple, il est apparu que la pratique de « la réservation de berceaux », sur laquelle la rapporteure revient longuement dans son rapport, était, pour environ la moitié des berceaux ainsi réservés, le fait du secteur public (administrations centrales et déconcentrées, collectivités locales, établissements publics). Pour autant, il n’existe aucun recensement centralisé de cette pratique au niveau de l’État qui nous permettrait d’en prendre véritablement la mesure, d’appréhender son impact économique sur le modèle et de questionner les exigences liées en termes de qualité d’accueil.
Lors des déplacements sur le terrain que j’ai effectués avec la rapporteure, nous avons pu également constater que les caisses d’allocations familiales (Caf) et les services de protection maternelle infantile (PMI) avaient parfois des pratiques fort variables, y compris sur le même territoire. Afin de mieux appréhender, au juste, ce dont nous parlions, la rapporteure a pris l’initiative d’adresser un questionnaire à l’ensemble de ces structures qui ont, globalement, joué le jeu, même si l’initiative a pu susciter, dans un premier temps, quelques freins. J’en tire, pour ma part, la conclusion que ce secteur manque d’un véritable pilotage coordonné, qui permette de bien appréhender les besoins et d’objectiver la situation.
Que les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) soient gérés par des personnes publiques ou privées, telles que des associations ou des entreprises privées, ne change rien au fait que d’importantes sommes d’argent public sont mobilisées et qu’il doit être possible de retracer cet effort. Je pense notamment aux subventions et aux différents bonus octroyés par les Caf qui ont vocation à terme à combler les différences de situation constatées mais qui, à brève échéance, tendent plutôt à complexifier les mécanismes de financement. Il me semble ainsi indispensable que les critères d’éligibilité aux bonus deviennent à terme davantage lisibles.
Dans ces conditions, il était important de demander des comptes aux grands groupes privés de crèches, ce que nous avons fait en auditionnant leurs responsables opérationnels, leurs fondateurs ainsi que les fonds d’investissement, y compris Bpifrance, auxquels ils se sont adossés. Mais il faut bien avoir conscience que c’est tout le secteur qui doit, dans la perspective d’une réforme globale, être passé au crible. Notre commission d’enquête, en s’appuyant elle-même sur des travaux récents des inspections, a lancé le mouvement, celui-ci doit désormais perdurer.
En tout état de cause, il me semble vain d’opposer les « crèches privées » aux crèches publiques ou associatives. Dans tous les cas, ce sont les services de PMI qui délivrent les agréments et opèrent les contrôles, ce sont les Caf qui interviennent dans le financement. On le voit bien également avec les délégations de service public : les collectivités peuvent décider de confier ce service à des personnes privées, sur la base d’un cahier des charges strict et de financements publics, pour une large part. Il en va de même pour la réservation de berceaux, tant par des acteurs privés que par des acteurs publics. Il est d’ailleurs regrettable qu’il n’y ait pas de modèles-types de cahier des charges ou de convention proposés à cet effet par la Cnaf. Cela permettrait de diffuser des bonnes pratiques en vue d’assurer la qualité du service, et surtout d’éviter certaines dérives liées à la surenchère sur les berceaux disponibles.
De ce que nous avons vu, les dysfonctionnements ne sont pas l’apanage d’un modèle économique. C’est le secteur de la petite enfance dans son ensemble qui souffre notamment d’une pénurie de professionnels – pénurie qui touche du reste tous les métiers du soin et de l’attention – qui joue un rôle essentiel dans la dégradation de la qualité de l’accueil. Des solutions doivent être élaborées en pensant aux enfants, sans distinguer le statut juridique de la structure qui les accueille. L’exigence de qualité s’impose à toutes les structures.
Depuis plusieurs mois, le discours sur les crèches qui est véhiculé dans l’espace public a plutôt une tonalité alarmiste. Nous avons entendu ceux qui tirent la sonnette d’alarme, et qui ont raison de s’exprimer. Cependant, à ce stade, je veux aussi saluer ces professionnels – dont une très large majorité de professionnelles – dévoués à leur métier, ainsi que les parents qui font confiance à des structures répondant à leurs besoins. Loin de moi l’idée de nier les dysfonctionnements, je souhaite néanmoins rappeler qu’il y a beaucoup d’endroits où les choses se passent bien !
J’en viens maintenant aux recommandations de la rapporteure. Nombre d’entre elles sont liées à des constats que nous avons pu faire ensemble, lors de nos déplacements et de nos échanges, ou qui nous ont été relayés lors des auditions, et bien entendu, je les partage.
J’appelle, comme la rapporteure, à une réforme structurelle de la prestation de service unique (PSU), peut-être avec une approche forfaitaire simplifiée à la demi-journée, voire un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM).
J’approuve également la méthode consistant à caler le calendrier des réformes structurelles sur celui de prochaine Cog entre l’État et la Cnaf, à la condition de s’y préparer dès maintenant, car 2027 arrivera très vite.
Des mesures d’urgence doivent cependant être prises d’ici là pour la pérennité des EAJE, faute de quoi les destructions nettes de places constatées en 2023 risquent de se poursuivre et de s’accélérer. La pénurie de professionnels est intimement liée à la qualité d’accueil et au « désenchantement du métier », voire à une véritable souffrance au travail. Il faut créer les conditions au plus vite d’un choc d’attractivité qui ne peut pas se limiter à la revalorisation salariale, par ailleurs nécessaire. Il convient de redonner du sens à leur travail en replaçant la qualité au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. En somme, c’est aussi en améliorant durablement les conditions de travail et en faisant en sorte que les professionnels soient mieux traités que l’on prendra mieux soin des enfants accueillis.
En matière de formation, de l’expérience pratique doit être exigée. Les formations initiales uniquement à distance doivent être exclues pour les métiers en EAJE. La prévention des risques professionnels doit être également renforcée. Je suis enfin convaincu que l’amélioration de la qualité d’accueil ira de pair avec l’augmentation du taux d’encadrement qualifié.
En matière de contrôle, il faut veiller à contrôler toutes les structures, quel que soit leur statut, en donnant un cadre harmonisé au contenu – qui ne doit pas être que matériel ou bâtimentaire – de ces contrôles ainsi qu’à leur fréquence – une fréquence de 2 ans apparaît raisonnable. Un référentiel national est, enfin, indispensable.
Passons maintenant sur les points de désaccord.
J’ai des réserves sur les recommandations n° 50 et n° 54 (Suppression du crédit d’impôt famille et fin du système de réservation de berceaux par l’employeur) liées notamment au fait que le système en place repose – et s’équilibre même – pour une large part sur la réservation de berceaux par des administrations publiques qui ne bénéficient pas du Cifam, et qu’il ne faudrait pas, en supprimant le Cifam, que ces administrations n’aient plus la possibilité d’offrir à leurs agents des places en crèches pour leurs enfants et que des places à court terme disparaissent. Au contraire, ne faudrait-il pas plutôt étendre le Cifam aux indépendants et aux professions libérales ?
Corollairement, je ne suis pas convaincu à ce stade par la recommandation n° 51 (instauration sur les entreprises, d’un prélèvement « petite enfance » affecté aux communes et intercommunalités en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance, chargées du tiers financement des crèches). S’il faut des moyens pour financer le service public de la petite enfance et améliorer la qualité de l’accueil, je rappelle, à toutes fins utiles, que la branche Famille de la sécurité sociale, financée pour une grande partie par les employeurs, est excédentaire et que la baisse regrettable de la natalité va générer un excédent croissant malgré les ponctions malvenues.
À quelques mois de la mise en place effective, à compter du 1er janvier 2025, du service public de la petite enfance, ce rapport d’enquête n’en est pas moins une contribution utile, qui ouvre des pistes et qui appelle des suites. Il revient aux différents acteurs de s’en saisir pleinement, et à nous, parlementaires, de rester mobilisés dans les mois à venir, afin que notre pays offre à ses jeunes enfants un accueil sécurisé, accessible et de qualité.
Thibault Bazin
Député de Meurthe-et-Moselle
Comme l’a mis en lumière en 2020 le rapport de la Commission d’experts sur les 1 000 premiers jours de l’enfant, présidée par M. Boris Cyrulnik, les premières années de la vie d’un enfant constituent une période sensible, cruciale, pour son développement, sa sécurisation affective et sa socialisation ([2]).
Aujourd’hui, environ 20 % des enfants de moins de 3 ans sont accueillis en crèche. Parmi les enfants de moins d’un an, 12 % sont confiés à une crèche, souvent dès la fin du congé de maternité, deux mois et demi après leur naissance, pour permettre à la mère de retourner travailler. Ainsi, les crèches constituent un lieu d’accueil des jeunes enfants sur lequel une attention toute particulière des pouvoirs publics doit être portée.
I. Un contexte particulier : la mise en lumiÈre de maltraitances des jeunes enfants dans les crÈches
Les deux dernières années ont été marquées par la médiatisation de drames et de situations de maltraitance au sein des structures d’accueil du jeune enfant. Bien que les professionnels de la petite enfance alertent sur la dégradation de la qualité d’accueil au sein des crèches depuis au moins une dizaine d’années, la prise de conscience, par les pouvoirs publics et les familles, est intervenue plus récemment.
En juin 2022, le meurtre d’une petite fille âgée de 11 mois dans une crèche du groupe People&Baby, à Lyon, a initié un mouvement de libération de la parole chez les personnels des crèches, qui a été assez largement relayé par les médias. À la suite de cet événement, le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, M. Jean-Christophe Combe, a confié à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) une mission d’évaluation des processus et des mesures mis en œuvre afin de garantir la sécurité et la bientraitance des enfants accueillis en crèche.
Dans son rapport, remis en mars 2023, l’Igas fait état « d’une qualité d’accueil particulièrement hétérogène » dans les crèches, la question de la maltraitance étant « trop peu interrogée » ([3]). Dans la continuité de ce rapport, deux binômes de journalistes, Mme Bérangère Lepetit et Mme Elsa Marnette, d’une part, Mme Daphné Gastaldi et M. Matthieu Périsse, d’autre part, ont publié des enquêtes consacrées aux crèches du secteur privé lucratif ([4]). Sur la base de nombreux témoignages de professionnels de la petite enfance et de parents de jeunes enfants, ils y dénonçaient un grand nombre de dysfonctionnements constatés au sein des plus grandes entreprises de crèches. Les journalistes mettaient en avant une recherche de rentabilité qui aurait prévalu sur la réponse aux besoins des enfants et qui aurait contribué à la dégradation de la qualité de l’accueil.
Néanmoins, si les crèches privées lucratives sont tout particulièrement pointées du doigt dans ces deux ouvrages, la problématique des maltraitances au sein des crèches apparaît systémique, intrinsèquement liée à la vulnérabilité du public accueilli, comme le soulignaient déjà les inspecteurs de l’Igas.
Dans le cadre de la commission d’enquête, la rapporteure s’est attachée à comprendre les causes structurelles de ces dysfonctionnements et à évaluer les effets qu’avaient eu, non seulement l’ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs, mais aussi sa financiarisation suite à l’entrée de fonds d’investissement au capital des grandes entreprises de crèches. Ainsi, les travaux de la commission d’enquête n’ont pas permis d’établir de lien entre la dégradation de la qualité d’accueil des enfants dans les crèches et le rôle du secteur privé lucratif. En revanche, ces travaux ont démontré que ces défaillances sont de nature systémique et résultent d’un modèle économique global qui conduit à un sous-financement des crèches, et donc à une dégradation de la qualité d’accueil et des conditions de travail des professionnels de la petite enfance. Il s’agit d’un cercle vicieux : la dégradation des conditions d’accueil et de travail au sein des crèches alimente la pénurie de professionnels et le manque de personnels détériore d’autant plus la qualité de l’accueil.
Par ailleurs, la rapporteure a constaté que la France n’est pas encore complètement sortie d’une vision hygiéniste du secteur des crèches, avec une focalisation sur la prise en charge sanitaire des jeunes enfants et une attention insuffisante portée aux enjeux affectifs, éducatifs et pédagogiques. Certes, les mentalités ont évolué : on parle désormais « d’accueil » de l’enfant plutôt que de « garde » et l’on ne considère plus les jeunes enfants comme des « objets de soins » mais comme des « sujets de relations » ([5]). Néanmoins, la rapporteure rejoint les conclusions du rapport d’information de la Délégation aux droits des enfants consacré aux perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches ([6]), dans lequel les députées Michèle Peyron et Isabelle Santiago, avaient pointé du doigt un modèle global d’accueil qui n’a pas suivi le « changement de paradigme corollaire au développement des neurosciences » et l’évolution des connaissances sur les jeunes enfants.
Or, aujourd’hui, si les parents des jeunes enfants accueillis en crèche attendent évidemment que leurs enfants bénéficient d’un environnement sain et reçoivent une réponse à leurs besoins physiologiques fondamentaux, ils souhaitent également que ces enfants puissent évoluer dans un environnement épanouissant et sécurisant d’un point de vue affectif et émotionnel, et soient accompagnés dans leur développement grâce à des activités pédagogiques. Les travaux de la commission d’enquête ont montré que ces attentes sociétales ne peuvent pas être satisfaites à l’heure actuelle, en raison d’un modèle de financement des crèches qui ne leur permet pas de proposer un accueil de qualité de manière systématique.
II. Le systÈme français d’accueil du jeune enfant ressemble À celui des autres pays europÉens
En Europe, il existe deux principaux modèles d’organisation de l’accueil collectif des enfants âgés de 0 à 6 ans :
– des établissements séparés, avec d’une part des structures d’accueil pour les enfants de 0 à 3 ans, et des structures plus éducatives pour les enfants âgés de 3 à 6 ans ;
– des établissements intégrés pour toute la tranche d’âge de 0 à 6 ans, avant l’entrée à l’école primaire obligatoire à partir de 6 ans.
La France, à l’instar de la plupart des pays européens, relève du premier modèle, avec des établissements séparés, qui sont placés sous l’autorité de ministères distincts : les ministères sociaux, en ce qui concerne l’accueil du jeune enfant, et le ministère de l’éducation nationale pour les enfants scolarisés, à partir de la classe de maternelle. Une tendance à l’intégration et à la continuité du parcours de l’enfant entre la crèche et l’école se dégage néanmoins au niveau européen. De plus, à l’instar de la majorité des pays européens, l’accueil des enfants de moins de 3 ans n’est pas gratuit en France.
Le système français d’accueil des jeunes enfants ressemble à celui de beaucoup d’autres pays européens :
– il se caractérise par la mixité des modes d’accueil : garde parentale ou familiale, accueil par une assistante maternelle, crèches ;
– dans leur grande majorité, les crèches sont gérées par des autorités locales, soit le bloc communal dans le modèle français ;
– l’accueil en crèche est payant, bien que subventionné par les pouvoirs publics ;
– les parents ne bénéficient pas d’un droit opposable à une place d’accueil en crèche ;
– le contrôle de la qualité de l’accueil proposé relève des autorités locales, soit les conseils départementaux, grâce aux services de protection maternelle et infantile (PMI) ;
– en outre, à l’instar de presque tous les pays européens, le secteur français de la petite enfance se caractérise par une crise d’attractivité et une pénurie de personnels.
La France se distingue en revanche par l’importance de l’accueil des jeunes enfants par des assistantes maternelles, là où le modèle collectif est plus prépondérant dans les autres pays. De plus, avec la Hongrie, la France est le seul pays à avoir rendu obligatoire la scolarisation des enfants dès 3 ans. En Grèce, en Bulgarie, et à Chypre, elle tend néanmoins à devenir obligatoire à partir de 4 ans dans les prochaines années.
Enfin, le système de réservation de berceaux par les employeurs des parents – qu’il s’agisse d’entreprises privées ou d’administrations publiques – qui s’est développé en France n’existe par ailleurs que dans quelques autres pays européens, et y reste très marginal. De même, les micro-crèches françaises ne semblent pas connaître de réel équivalent au niveau européen ([7]).
III. Un modÈle Économique À interroger dans le cadre de la construction du service public de la petite enfance
La commission d’enquête relative au modèle économique des crèches est intervenue dans un contexte d’évolution du cadre juridique applicable, et d’augmentation des moyens budgétaires alloués aux établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE).
A. Un cadre juridique rénovÉ par la loi pour le plein emploi
La commission d’enquête a été créée au moment même où le Parlement a acté la création d’un service public de la petite enfance, dans le cadre de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi ([8]).
● Les communes, qui ont historiquement investi le champ de la petite enfance, ont été désignées comme les autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant mais pourront néanmoins transférer leurs compétences à un niveau intercommunal. À ce titre, toutes les communes se voient confier deux compétences obligatoires :
– recenser les besoins des enfants âgés de moins de trois ans et de leurs familles en matière de services aux familles ainsi que les modes d'accueil disponibles sur leur territoire ;
– informer et accompagner les familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de moins de trois ans ainsi que les futurs parents.
Les communes de plus de 3 500 habitants exercent quant à elles deux compétences obligatoires supplémentaires :
– planifier, au vu du recensement des besoins, le développement des modes d'accueil ;
– soutenir la qualité des modes d'accueil.
Enfin, les communes de plus de 10 000 habitants doivent établir et mettre en œuvre le schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant et mettre en place des relais petite enfance.
● La loi pour le plein-emploi redéfinit également le contenu et le régime juridique du schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant. Celui-ci doit être actualisé périodiquement, en lien avec le schéma départemental des services aux familles. Il prévoit les modalités de développement quantitatif et qualitatif ou de redéploiement des équipements et services d'accueil du jeune enfant ainsi que le calendrier de réalisation et le coût prévisionnel des opérations projetées, en tenant compte de l'accessibilité financière et géographique de l'offre d'accueil, en particulier pour les familles rencontrant des difficultés du fait de leurs conditions de vie ou de travail, de leur état de santé, d'une situation de handicap ou de la faiblesse de leurs ressources.
La loi précise également les modalités d’accompagnement financier des communes dans le cadre de l’exercice de ces nouvelles compétences. Elle confie aux caisses d’allocations familiales (Caf) le rôle d’assurer un soutien financier aux autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, et de leur apporter leur expertise pour soutenir la création ou le fonctionnement de l’offre d’accueil. Elle prévoit également que l’accroissement des charges résultant de l’exercice obligatoire, par une commune, de l’ensemble des compétences d’autorité organisatrice, fait l’objet d’une compensation financière.
● L’article 18 de la loi pour le plein-emploi clarifie la procédure d’autorisation d’ouverture d’un établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) :
– tout projet de création ou de transformation d’un EAJE de droit privé devra faire l’objet, préalablement à la demande d’autorisation, d’un avis favorable de l’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant, au regard des besoins recensés sur son territoire ;
– le conseil départemental délivrera quant à lui l’autorisation d’ouverture de tout EAJE, qu’il soit public ou privé, au regard du projet pédagogique de la structure et du respect des normes, notamment réglementaires, qui lui sont applicables.
La durée d’autorisation d’ouverture d’un EAJE est désormais limitée à 15 ans et devra être renouvelée. En cas de changement de gestionnaire en cours d’autorisation, le président du conseil départemental vérifie que l’organisme repreneur présente les garanties nécessaires pour assurer la gestion de l’établissement.
La loi pour le plein-emploi précise également le rôle et les responsabilités des différents acteurs intervenant en matière de contrôle des EAJE :
– le président du conseil départemental, en s’appuyant sur les services de protection maternelle et infantile (PMI), vérifie que les conditions d’installation, d’organisation et de fonctionnement des établissements ne présentent pas de risques susceptibles de compromettre ou menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis ;
– le représentant de l’État dans le département peut également, à tout moment, diligenter des contrôles, grâce aux personnels des services déconcentrés de l’État placés sous son autorité ;
– les Caf contrôlent l’emploi des fonds versés aux établissements et aux services d’accueil du jeune enfant ;
– l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) pourront également exercer des contrôles sur les personnes morales gestionnaires des EAJE.
L’article 18 de la loi pour le plein-emploi prévoit, en outre, de nouvelles dispositions relatives au contrôle des EAJE :
– il instaure un plan annuel départemental d’inspection et de contrôle des modes d’accueil du jeune enfant, établi conjointement par le représentant de l’État et le président du conseil départemental, en coordination avec les Caf, et précise les modalités de la coopération entre ces acteurs ;
– il organise la transmission annuelle aux Caf de documents de nature comptable et financière par les gestionnaires d’EAJE ;
– il met en place une évaluation quinquennale des EAJE sur le fondement des référentiels nationaux relatifs à la qualité d’accueil, dont les résultats sont publiés et communiqués à l’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant, au président du conseil départemental, au représentant de l’État et aux Caf, ainsi que la publication par les EAJE d’indicateurs relatifs à leur activité et à leur fonctionnement.
Enfin, l’article 18 de la loi pour le plein-emploi révise l’échelle des sanctions applicables aux EAJE en cas de mise en danger de la santé physique et mentale des enfants. Ainsi, lorsqu’ils estiment que « les conditions d’installation, d’organisation ou de fonctionnement d’un établissement ou d’un service d’accueil méconnaissent les dispositions du [code de la santé publique] ou présentent des risques susceptibles de compromettre ou menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l'éducation des enfants accueillis » ([9]) :
– le président du conseil départemental ou le représentant de l’État dans le département peuvent enjoindre au gestionnaire de l’établissement d’y remédier dans un délai raisonnable et adapté à l’objectif fixé. L’injonction peut inclure des mesures de réorganisation des locaux ou du fonctionnement de l’établissement, y compris la limitation de la capacité d’accueil. Toute injonction est suivie d’un contrôle à l’expiration du délai fixé ;
– en parallèle ou à la suite de la décision d’injonction, le président du conseil départemental ou le représentant de l’État dans le département peuvent désigner un administrateur provisoire pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois, afin d’accomplir les actes d’administration urgents ou nécessaires pour mettre fin aux difficultés constatées ;
– en cas de non-respect de l’injonction, et tant qu’il n’est pas remédié aux risques ou aux manquements constatés, le président du conseil départemental ou le représentant de l’État dans le département peuvent prononcer une astreinte, pour chaque jour de retard, ainsi qu’une interdiction de gérer tout nouvel établissement ou service pour une durée indéterminée ;
– le président du conseil départemental ou le représentant de l’État dans le département peuvent également prononcer une sanction financière dont le montant est proportionné à la gravité des faits constatés.
Enfin, lorsqu’il n’a pas été satisfait aux injonctions dans les délais prévus, le président du conseil départemental ou le représentant de l’État dans le département peuvent décider la suspension ou la cessation de tout ou partie des activités de l’EAJE concerné. En cas d’urgence, ils peuvent prononcer, par arrêté motivé, la fermeture immédiate, à titre provisoire, de l’établissement. Enfin, une fermeture définitive peut être prononcée et vaut abrogation des autorisations d’ouverture préalablement accordées.
B. Une politique d’accueil du jeune enfant trÈs fortement soutenue par des financements publics
Les modes d’accueil du jeune enfant font l’objet d’un soutien financier important par les pouvoirs publics, en fonctionnement comme en investissement. Interviennent ainsi l’État, la branche famille de la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Au total, l’effort budgétaire public s’élève à plus de 16 milliards d’euros chaque année.
1. Un effort financier essentiellement porté par la branche famille de la sécurité sociale
Les deux tiers des dépenses publiques en faveur de l’accueil des jeunes enfants sont supportés par la branche famille de la sécurité sociale, à hauteur de 10,8 milliards d’euros en 2022, et plus de 11 milliards d’euros en 2023.
Au sein de ces dépenses, on peut distinguer les prestations versées aux parents, sans lien avec un mode d’accueil formel, soit les prestations d’entretien et la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE). Les dépenses en faveur des modes d’accueil formels – soit l’accueil de l’enfant chez un assistant maternel ou par un salarié à domicile, soit l’accueil en établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) – s’élevaient ainsi à 11,5 milliards d’euros en 2023. Les seules dépenses consacrées aux EAJE, soit directement grâce aux financements alloués aux structures, soit indirectement par l’intermédiaire du complément de libre choix du mode de garde (CMG) dit « structure », représentent près de 5,3 milliards d’euros.
Dépenses de la branche famille en faveur de la petite enfance en 2023
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Dépenses en faveur de la petite enfance |
Dépenses en faveur de l’accueil formel des jeunes enfants |
Dépenses en faveur des EAJE |
Prestations aux familles (FNPF) |
Prestations d’entretien |
3 508 M€ |
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CMG emploi direct assistant maternel |
5 865 M€ |
5 865 M€ |
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CMG emploi direct employé à domicile |
313 M€ |
313 M€ |
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CMG structures |
939 M€ |
939 M€ |
939 M€ |
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PreParE |
745 M€ |
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Sous-total |
11 370 M€ |
7 117 M€ |
939 M€ |
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Prestations aux structures (FNAS) |
PSU |
2 766 M€ |
2 766 M€ |
2 766 M€ |
Bonus territoire, mixité sociale et handicap |
943 M€ |
943 M€ |
943 M€ |
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Autres |
183 M€ |
183 M€ |
183 M€ |
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Investissement et fonds de modernisation EAJE |
451 M€ |
451 M€ |
451 M€ |
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Sous-total |
4 343 M€ |
4 343 M€ |
4 343 M€ |
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TOTAL |
15 713 M€ |
11 460 M€ |
5 282 M€ |
Source : Direction de la sécurité sociale.
La convention d’objectifs et de gestion (Cog) entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) prévoit, pour la période 2023‑2027, une augmentation de 1,5 milliard d’euros du montant des dépenses financées par le Fonds national d’action sociale (Fnas), soit une hausse de 40,3 % des financements entre 2022 et 2027.
La progression de l’effort budgétaire de la branche famille en faveur de la petite enfance sera favorisée par le maintien d’un solde excédentaire depuis 2018 – hors année 2020. En effet, depuis 2013, le solde de la branche famille s’améliore chaque année, principalement sous l’effet d’une diminution des dépenses résultant de la modulation des allocations familiales selon les revenus des familles, de la réforme du congé parental, ou encore du faible dynamisme démographique.
Évolution du solde de la branche famille entre 2010 et 2022
(en milliards d’euros)
Source : Direction de la sécurité sociale.
À partir de 2021, les projections associées au projet de loi de financement de la sécurité sociale font état d’une dégradation du solde de la branche famille jusqu’en 2025, qui devrait néanmoins rester positif. À compter de 2025, le solde de la branche devrait progressivement s’améliorer, ce qui permettra de financer les efforts en faveur de l’accueil des jeunes enfants.
Projection d’Évolution du solde de la branche famille entre 2020 et 2027
(en milliards d’euros)
Source : Direction de la sécurité sociale, d’après PLFSS 2024.
Par ailleurs, il semblerait que le Fnas, qui regroupe l’essentiel des moyens alloués aux EAJE, fasse l’objet d’une sous-consommation. Ainsi, en 2023, seuls 93,9 % des crédits de l’enveloppe prévue par la Cog avaient été consommés, pour un montant de 6,3 milliards d’euros, contre une prévision de 6,7 milliards d’euros. Selon les informations communiquées à la rapporteure, ce résultat est essentiellement imputable à une sous-consommation des aides à l’investissement, en lien avec les difficultés de recrutement que rencontre le secteur, qui enrayent la dynamique de création de places. L’existence d’une sous-consommation annuelle de 400 millions d’euros au sein du Fnas témoigne de marges de manœuvre financières qui mériteraient là aussi d’être exploitées pour améliorer la qualité de l’accueil proposé aux jeunes enfants.
2. Le soutien financier de l’État en faveur de l’accueil des jeunes enfants se manifeste au travers de dépenses fiscales
L’État n’intervient pas directement dans le financement de la politique d’accueil du jeune enfant, le fonctionnement des crèches étant essentiellement financé par la branche famille de la sécurité sociale. Toutefois, à travers deux crédits d’impôt, l’État soutient les familles et les entreprises dans leurs dépenses en faveur de l’accueil des jeunes enfants.
● Le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants bénéficie aux contribuables qui supportent des dépenses pour la garde de leurs enfants à charge âgés de moins de 6 ans à l’extérieur du domicile – chez une assistante maternelle ou en crèche. Cet avantage fiscal est égal à 50 % des dépenses effectivement supportées au titre des seules dépenses liées à la garde des enfants, dans la limite de 3 500 euros par enfant et par an.
En 2023, ce crédit d’impôt a généré une dépense fiscale de 1,5 milliard d’euros, sans que l’on puisse distinguer la part de la dépense fiscale correspondant à l’accueil chez une assistante maternelle de celle correspondant à l’accueil de l’enfant en EAJE.
● Le crédit d’impôt famille (Cifam) vise à encourager les entreprises, en tant qu’employeurs, à engager des dépenses en faveur de l’accueil des enfants de moins de 3 ans de leurs salariés. Cet avantage fiscal correspond à 50 % des dépenses engagées pour financer la création et le fonctionnement d’EAJE.
En 2023, le Cifam a constitué une dépense fiscale de 195 millions d’euros, dont environ 90 % correspondent aux frais de réservation de berceaux en crèches pour les salariés des entreprises bénéficiaires.
Évolution des dÉpenses fiscales relatives au crÉdit d’impôt pour frais de garde d’enfants et au crédit d’impôt famille en 2010 et 2023
Source : Ministère des comptes publics.
Par ailleurs, de manière plus marginale, l’État, en tant qu’employeur, finance lui-même également les EAJE en réservant des berceaux au bénéfice de ses propres agents, pour un montant annuel d’environ 30 millions d’euros.
Au total, en 2023, l’État a ainsi consacré un peu moins de 1,8 milliard d’euros à la politique d’accueil du jeune enfant.
3. Le tiers financement du bloc communal, soutien historique du secteur de la petite enfance
Les collectivités territoriales, et tout particulièrement les communes et les intercommunalités, constituent un financeur très important de la politique d’accueil du jeune enfant. Toutefois, il est difficile de connaître précisément le montant total de leurs dépenses en faveur des modes d’accueil, car les remontées comptables par fonction ne sont obligatoires que pour les communes de plus de 3 500 habitants, et les données ne sont pas complètement fiables.
Selon les informations recueillies par la rapporteure, en 2023, les communes de plus de 3 500 habitants ont consacré 2,9 milliards d’euros au fonctionnement des EAJE, ainsi que 234 millions d’euros en dépenses d’investissement. Pour les intercommunalités, les dépenses de fonctionnement s’élèveraient à 827 millions d’euros, et les dépenses d’investissement à 97 millions d’euros.
Dès lors, les dépenses totales des collectivités territoriales – communes et intercommunalités – en faveur des crèches s’établiraient, en 2023, à un peu plus de 4 milliards d’euros.
De manière plus marginale, les départements y contribuent également en finançant l’activité des services de PMI, sans qu’il soit réellement possible d’isoler précisément le montant de ces dépenses.
IV. Les travaux de la commission d’enquête relative au modèle Économique des crèches
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements fait suite aux différentes alertes intervenues depuis deux ans. Elle a été créée le 28 novembre 2023 suite à l’adoption par l’Assemblée nationale d’une proposition de résolution déposée par M. William Martinet. Néanmoins, alors que le champ d’investigation initialement proposé était limité aux seules crèches privées lucratives, les parlementaires ont fait le choix, avec l’avis favorable du rapporteur de la proposition de résolution, de l’élargir à l’ensemble des crèches, quel que soit leur statut juridique.
Dès lors, les missions assignées à la commission d’enquête étaient les suivantes :
– analyser les informations économiques des crèches afin de mesurer la contribution de tous les financeurs publics et privés à la création et au fonctionnement des crèches de tout statut juridique ;
– analyser l’impact de la structuration des financements sur la qualité d’accueil dans les crèches ;
– identifier la complexité administrative et les failles de la réglementation ou les pratiques locales permettant d’éventuels abus ;
– dévoiler les stratégies de lobbying des entreprises de crèches et leur impact sur les pouvoirs publics ainsi que les éventuels conflits d’intérêts au sein des instances de gouvernance des organismes financeurs ;
– évaluer les conditions d’accueil et d’éveil des jeunes enfants et les conditions de travail des professionnels dans ces établissements ainsi que les moyens de contrôler et d’améliorer la qualité de manière renforcée ;
– analyser l’équilibre de la relation contractuelle entre les crèches et les parents ;
– émettre des recommandations sur les réponses que peuvent apporter les décideurs publics en la matière.
Lors de la réunion constitutive de la commission d’enquête, qui s’est tenue le 13 décembre 2023, M. Thibault Bazin a été désigné président, et Mme Sarah Tanzilli, rapporteure.
Dans le cadre de la commission d’enquête, la rapporteure a cherché à comprendre comment, dans un secteur fortement soutenu par des financements publics, la qualité d’accueil avait pu se dégrader au point de conduire à des maltraitances sur les enfants accueillis au sein des crèches, et au constat de problèmes systémiques de qualité mis en avant dans le rapport de l’Igas en 2023 ([10]). En parallèle de la montée en puissance du service public de la petite enfance, il s’agissait de faire le point sur le modèle économique des crèches, en évaluant sa capacité à favoriser, ou au contraire à limiter, la qualité d’accueil des jeunes enfants.
● À cet égard, et conformément aux modifications apportées à la proposition de résolution, la rapporteure n’a pas souhaité se concentrer sur le seul secteur des crèches privées lucratives mais a privilégié une approche très large, en interrogeant tous les acteurs du secteur.
Au cours des six derniers mois, la commission d’enquête a organisé 54 auditions, soit plus de 72 heures d’échanges avec des spécialistes de la petite enfance, des professionnels du secteur, des représentants syndicaux, des chefs d’entreprise, des journalistes, des hauts fonctionnaires ou encore des anciens ministres de la famille. Des demandes de contributions écrites ont également été adressées à divers acteurs que l’agenda de la commission d’enquête ne permettait pas d’auditionner.
Ces auditions ont également été complétées par des déplacements sur le terrain, d’abord en Meurthe-et-Moselle, autour de Nancy, puis dans le Rhône, à Lyon et dans sa périphérie. Le président de la commission d’enquête et la rapporteure ont eu ainsi l’occasion d’échanger, pendant quatre jours, avec des professionnels de la petite enfance, au sein de crèches, mais aussi avec les maires de plusieurs communes, ainsi qu’avec les personnels des services de PMI des départements et les représentants des Caf.
À la suite de ces deux déplacements, qui avaient mis en lumière des différences de pratiques entre les PMI d’une part, et entre les Caf d’autre part, la rapporteure a souhaité réaliser une enquête nationale, sur la base de deux questionnaires, le premier adressé à l’ensemble des services de PMI, et le second transmis, par l’intermédiaire de la Cnaf, à l’ensemble des Caf. Malgré les difficultés initiales rencontrées, la rapporteure se félicite d’avoir obtenu les réponses de 69 PMI, et de toutes les Caf à ses questionnaires.
● Conformément à la feuille de route qu’ils avaient présentée au début du mois de janvier 2024, le président de la commission d’enquête et la rapporteure ont d’abord procédé à l’audition des auteurs de différents rapports parus sur l’accueil des jeunes enfants et le financement des crèches. Ont ainsi été notamment entendus : les députées Michèle Peyron et Isabelle Santiago, au titre de leur rapport d’information relatif aux perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches ([11]) ; les inspecteurs de l’Igas et de l’IGF au titre des rapports relatifs à la qualité de l’accueil et à la prévention de la maltraitance dans les crèches ([12]), à une revue de dépenses en faveur de la politique familiale ([13]), à l’évaluation du crédit d’impôt famille ([14]), ou encore au modèle économique des micro-crèches ([15]). Le présent rapport s’appuie grandement sur les résultats de ces travaux, qui ont largement contribué à éclairer la commission d’enquête.
Le début des travaux de la commission d’enquête a également été marqué par l’audition de différents experts de la petite enfance, à l’image de Mme Nathalie Casso-Vicarini, membre de la commission des 1000 jours, de Mme Sylviane Giampino, présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), ou encore de Mme Christine Schuhl, éducatrice de jeunes enfants, universitaire, auteure de Vivre en crèche. Remédier aux douces violences ([16]), afin de mieux appréhender les besoins fondamentaux du jeune enfant et la façon de les satisfaire.
La commission d’enquête s’est ensuite tournée vers les gestionnaires de crèches, de tout statut juridique, en auditionnant les représentants des communes et des intercommunalités, mais aussi différents acteurs du monde associatif ou mutualiste, à l’image de Mme Carole Chrisment, ou des représentants de la Fédération nationale de la Mutualité française, et enfin les entreprises du secteur privé lucratif, notamment les quatre grands groupes qui se sont développés depuis 20 ans.
Les représentants des professionnels de la petite enfance ont également été auditionnés, à travers les délégations des grands syndicats nationaux mais aussi des syndicats propres au secteur tels que le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE) ou la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNJE).
Enfin, la commission a auditionné des représentants de la Caisse nationale des allocations familiales, de la direction de la sécurité sociale, de la direction générale de la cohésion sociale, les anciens ministres de la famille ayant porté les grandes réformes du secteur de la petite enfance. La commission a conclu son cycle d’auditions en recevant Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, et Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.
● Les travaux de la commission d’enquête ont permis à la rapporteure d’aboutir au constat suivant : le modèle économique des crèches ne favorise pas la qualité d’accueil des enfants au sein de ces structures. Malgré l’investissement des professionnels de la petite enfance, et l’importance des moyens qui sont alloués au secteur, la qualité d’accueil tend à diminuer en raison d’un mode de financement injuste et complexe. Le modèle économique des crèches génère en effet un cercle vicieux : en sous-finançant les structures, la qualité de l’accueil et les conditions de travail s’y dégradent, ce qui entraîne une perte de sens pour les professionnels de la petite enfance. La pénurie de professionnels s’accroît, et pour maintenir les structures d’accueil ouvertes, des assouplissements réglementaires sont adoptés. Le manque de personnels au contact des enfants au sein des crèches alimente la détérioration de la qualité d’accueil et des conditions de travail, et la pénurie de professionnels s’aggrave.
La rapporteure estime qu’une réforme structurelle du modèle économique des crèches est nécessaire afin de promouvoir, avant toute chose, le bien-être et le bon développement des enfants accueillis.
La première partie du rapport est consacrée à l’étude du lien qui existe entre le modèle économique des établissements d’accueil du jeune enfant, et la qualité de l’accueil proposé aux jeunes enfants. Les travaux de la commission d’enquête ont permis de mettre en lumière une politique familiale orientée, depuis plus de vingt ans, vers la création de nouvelles places d’accueil, pour répondre aux besoins des familles, et permettre aux parents de concilier vie personnelle et vie professionnelle. La politique d’accueil du jeune enfant a donc fait l’objet d’une approche essentiellement quantitative, et peu qualitative.
À cet égard, les auditions réalisées et les informations complémentaires transmises par les représentants des grandes entreprises de crèches n’ont pas permis de mettre à jour un lien évident entre l’augmentation du nombre de crèches privées lucratives et la diminution de la qualité d’accueil. En effet, la dégradation de la qualité d’accueil touche, en réalité, les crèches de tout statut juridique, car elle résulte d’un modèle économique qui finance insuffisamment les structures d’accueil du jeune enfant, et d’une pénurie de professionnels de la petite enfance que les assouplissements réglementaires successifs, visant à maintenir les places existantes, ont contribué à aggraver.
En analysant, de manière précise et détaillée, l’ensemble des financements publics que perçoivent les crèches, et en particulier ceux de la branche famille de la sécurité sociale, la rapporteure met en évidence un système complexe, fondé sur une superposition de financements complémentaires visant à compenser l’insuffisance et les défauts des moyens alloués dans le cadre de la tarification à l’activité.
La seconde partie du rapport contient les 73 recommandations formulées par la rapporteure pour transformer le modèle économique des crèches, afin de garantir une meilleure qualité d’accueil pour les enfants. Ces préconisations n’ont pas vocation, pour la majorité d’entre elles, à s’appliquer immédiatement, au risque de déstabiliser un secteur déjà fragile. La rapporteure considère qu’elles devront faire l’objet d’une analyse technique et de projections économiques et budgétaires de la part des services des ministères sociaux et de la Cnaf au cours des deux prochaines années, de travaux préparatoires préconisés afin d’améliorer l’attractivité du secteur et le contenu des formations des professionnels, et enfin d’expérimentations. L’objectif est de pouvoir intégrer l’ensemble de ces recommandations à la prochaine convention d’objectifs et de moyens de la branche famille.
Si l’amélioration de la qualité d’accueil et les mesures d’attractivité proposées par la rapporteure ont vocation, à moyen terme, à remédier à la pénurie de professionnels et à redynamiser la trajectoire de création de places en crèches, la rapporteure a conscience que, dans un premier temps au moins, le rehaussement des taux d’encadrement risque certainement d’empêcher la création de places supplémentaires. Elle rappelle à cet égard que le parcours du jeune enfant doit être pensé par les pouvoirs publics de façon globale, et propose en conséquence des alternatives à l’accueil en EAJE afin de diminuer la demande, toujours dans la perspective d’une prise en compte accrue des besoins fondamentaux des jeunes enfants.
Les recommandations de la rapporteure s’articulent ainsi autour de quatre axes :
– renforcer la qualité de l’accueil des enfants grâce à une évolution de la réglementation, à des contrôles plus réguliers et effectifs, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail et des formations des professionnels ;
– réformer, de manière structurelle, le financement des crèches afin de garantir aux structures des moyens budgétaires permettant de réellement proposer un accueil de qualité ;
– clarifier la gouvernance du secteur des crèches, en replaçant les communes et les intercommunalités au cœur du modèle, dans le cadre du service public de la petite enfance ;
– repenser, plus largement, la politique d’accueil du jeune enfant, en créant des alternatives à l’accueil en crèche, en lien avec les besoins fondamentaux des enfants.
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PremiÈre partie : Le modèle économique des crèches, construit pour favoriser le prix le plus faible et
la création de nouvelles places, ne prend pas en compte la qualité d’accueil des jeunes enfants
La commission d’enquête a débuté ses travaux en auditionnant les auteurs du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) consacré à la qualité de l’accueil et à la prévention de la maltraitance dans les crèches, publié en 2023 ([17]). Ceux-ci avaient pu constater « une qualité d’accueil particulièrement hétérogène dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), le secteur présentant des établissements de grande qualité, portés par une réflexion pédagogique approfondie, comme des établissements de qualité très dégradée ».
La commission d’enquête a également entendu les deux binômes de journalistes qui se sont largement appuyés sur les travaux menés par l’Igas pour publier, en septembre 2023, les ouvrages Babyzness ([18]) et Le prix du berceau ([19]) en septembre 2023. Il convient toutefois de rappeler que ces deux enquêtes se concentraient sur le seul secteur privé lucratif : elles dénonçaient un grand nombre de dysfonctionnements constatés au sein des plus grandes entreprises de crèches françaises.
La commission d’enquête avait néanmoins pour mission de s’intéresser au modèle économique des crèches de tout statut juridique. De fait, comme le laissait présager le rapport de l’Igas, la dégradation de la qualité d’accueil, voire les maltraitances, peuvent en réalité concerner toutes les crèches, de manière structurelle et systémique.
Les maltraitances, et plus largement la détérioration de la qualité d’accueil, ne résultent pas de l’action individuelle isolée des personnels des crèches. Au contraire, ce sont bien les professionnels de la petite enfance qui parviennent, tant bien que mal, à accueillir les jeunes enfants dans les meilleures conditions possibles, Les dysfonctionnements découlent avant tout d’une politique familiale orientée depuis plus de vingt ans vers la création de places en crèches, pour répondre aux besoins des familles au prix le plus abordable pour elles-mêmes et pour les finances publiques, et vers un modèle économique qui, loin de garantir des ressources financières stables et pérennes aux établissements, met en réalité les structures, et leurs équipes, sous tension.
I. la politique d’accueil du jeune enfant est marquée par l’insuffisance de places en crèches et la dégradation de la qualité d’accueil
À l’issue des travaux menés dans le cadre de la commission d’enquête, la rapporteure dresse le constat d’une détérioration structurelle de la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein des établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE) pour des raisons multiples, complexes, et imbriquées les unes aux autres. Ces causes sont difficilement réductibles à un facteur unique et déterminé.
Un élément ressort néanmoins de l’analyse : la qualité de l’accueil a, historiquement, constitué un impensé des politiques publiques familiales. En effet, l’approche sanitaire, qui répondait à la nécessité de lutter contre la mortalité infantile, puis la volonté d’offrir des solutions d’accueil aux parents, constituent les fondations de la politique d’accueil du jeune enfant. En conséquence, l’objectif prioritaire, pour les pouvoirs publics, a systématiquement été l’ouverture de nouvelles places de crèches. Ainsi, malgré les apports des neurosciences et la mise en lumière des besoins fondamentaux des jeunes enfants durant leurs premières années de vie, et bien qu’une évolution récente ait pu être constatée, la question de la qualité n’est pas encore au centre de la politique publique de la petite enfance, qui est toujours construite afin d’atteindre des objectifs de créations de nouvelles places en crèches. L’objectif actuellement poursuivi porte sur la création de 35 000 nouvelles places de crèches « brutes » à horizon 2027.
Or, même ces objectifs quantitatifs peinent à être atteints. Le manque de places de crèches demeure une constante de la politique familiale et de nombreuses familles restent dans l’attente d’une solution d’accueil pour leur enfant. En effet, loin de proposer un nombre croissant de solutions d’accueil formel pour les familles, les crèches font face à un phénomène de gel des berceaux existants, pourtant financés, faute de pouvoir respecter les taux d’encadrement légaux en raison de la pénurie de professionnels de la petite enfance.
En réalité, la priorité donnée à la logique quantitative a créé un cercle vicieux qui n’a jamais permis de répondre réellement aux besoins des familles en matière de mode d’accueil, et qui a pu entraîner une détérioration de la qualité d’accueil.
A. la politique familiale française est tournée vers la création de nouvelles places en crèches depuis plus de 20 ans, dans une logique prioritairement quantitative
Depuis plus de 20 ans, pour répondre à une demande forte des parents et à la recherche de plus d’égalité entre les femmes et les hommes, notamment sur le marché du travail, la politique familiale française poursuit des objectifs quantitatifs de créations de places en crèches.
À ce titre, les « plans crèches » se sont succédé, indépendamment des changements de majorité, et se sont appuyés sur une ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs, en plus des efforts réalisés par les collectivités territoriales. Les pouvoirs publics ont également créé un modèle dérogatoire aux crèches traditionnelles, avec l’apparition des micro-crèches, qui avaient vocation à proposer rapidement de nouvelles places en crèches, notamment dans les territoires ruraux où le taux de couverture en modes d’accueil formels était historiquement plus faible que dans les territoires urbains.
Cette logique a cependant fait l’objet de critiques croissantes. D’une part, certains considèrent que la rentabilité économique, inhérente au modèle proposé par les acteurs privés lucratifs, serait incompatible, dans son essence même, avec la satisfaction des besoins fondamentaux des jeunes enfants et serait la source de la dégradation des conditions d’accueil. D’autre part, il a pu être constaté que malgré des moyens financiers importants déployés pour augmenter le nombre de places, en particulier dans le secteur privé lucratif émergeant dans le champ de la petite enfance, les résultats obtenus, en termes de créations de places, ne correspondent pas aux objectifs qui avaient été fixés.
1. Confrontés aux manques de solutions d’accueil pour les jeunes enfants, les gouvernements successifs ont multiplié les « plans crèches »
La nécessité de créer de nouvelles places en crèches est une constante de la politique familiale française, quelle que soit la couleur politique du gouvernement. Cette dynamique est toujours à l’œuvre aujourd’hui, bien que les pouvoirs publics, ces dernières années, aient pris des mesures pour tenter d’appréhender davantage la question de la qualité.
a. Le constat persistant d’un manque de places en crèches face aux besoins des familles
Sous chaque Gouvernement, depuis au moins deux décennies, le manque de places de crèches a systématiquement été déploré, face aux demandes grandissantes des familles, sur l’ensemble du territoire. Le constat de fortes inégalités dans l’accès aux places en crèches, selon les territoires et les revenus des familles, a redoublé cette problématique.
Le nombre de places en crèches était estimé en 2022 à 507 000 places, selon l’Observatoire national de la petite enfance (Onape), dont 420 600 au sein d’établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) financés par la prestation de service unique (PSU), et 84 000 au sein micro-crèches indirectement financées par la Paje ([20]). Ce nombre demeure insuffisant au regard des demandes des familles et, parallèlement, les tensions sur le nombre de places en crèches sont accentuées par une tendance au gel des places existantes, faute de professionnels pour assurer un encadrement suffisant des enfants accueillis.
i. La nécessité constante de créer de nouvelles places en crèches
Le manque de places en crèches est une réalité historique, qui a persisté puis s’est aggravé avec la diminution, en parallèle, du nombre de places offertes par les autres modes d’accueil formels, en particulier par les assistantes maternelles. Ainsi, depuis 2016, les créations de places en crèches ne suffisent plus à compenser les départs à la retraite des assistantes maternelles sans qu’elles soient remplacées.
Selon la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), entre 2016 et 2020, la capacité d’accueil offerte par les assistantes maternelles a ainsi diminué de 77 300 places ([21]). Selon le baromètre de satisfaction 2023 de la FFEC ([22]), cette situation empêcherait près de 160 000 parents de retourner sur le marché du travail.
En effet, selon le Baromètre de l’accueil du jeune enfant 2021 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ([23]), à la naissance de leur enfant, 50 % des familles souhaitent trouver une place en crèche mais seulement 19 % de ces familles y parviennent finalement, en raison d’un manque de places disponibles. Selon la Cnaf, le taux de couverture en termes de solutions d’accueil des enfants de moins de trois ans s’élevait à 59,8 % en 2019 : 33 % de ces places étaient proposées par les assistantes maternelles, et seulement 20,9 % par les crèches. Par ailleurs, 3,7 % des places sont proposées par l’école préélémentaire et 2,1 % par les salariés à domicile ([24]).
Dans le même temps, le non-remplacement des assistantes maternelles partant à la retraite renforce la part des enfants de moins de trois ans accueillis au sein d’une crèche, qui s’élevait à 25 % en 2021 ([25]). Or, par manque de places disponibles en crèches, il en résulte une baisse du taux de couverture en termes de solutions d’accueil, qui s’établit à 49 % en 2021, et qui devrait continuer à diminuer dans les prochaines années.
Une forte pression s’exerce donc sur les crèches qui, déjà sujettes à un manque de places, devraient être amenées à en proposer d’autant plus que l’on constate une tendance à la baisse du nombre de places disponibles pour les autres modes d’accueil formels.
En parallèle, le taux de recours à la garde parentale – qui constitue le mode d’accueil non formel le plus courant – tend à baisser, passant de 70 % en 2002 à 56 % en 2021. Cette double tendance amène donc au constat que le nombre de places en crèches est insuffisant pour répondre à une demande forte d’accueil des enfants en EAJE.
Évolution du mode de garde ou d’accueil des enfants de moins de trois ans en semaine, de 2002 à 2021
Source : Onape, « L’accueil des jeunes enfants », 2023.
L’augmentation du nombre de places en crèches ces dernières années n’a, en réalité, qu’à peine permis de compenser la perte des places proposées par les assistantes maternelles : entre 2020 et 2021, le nombre de places en EAJE a augmenté de 2,5 %, du fait de la création de 12 200 places, là où, dans le même temps, 14 200 places auprès des assistantes maternelles ont disparu ([26]).
Par ailleurs, l’augmentation du nombre de places en crèches résulte principalement de la création de 11 900 places en « micro-crèches Paje », qui ne représentaient que 5 % de l’offre totale de places en accueil formel en 2021, mais qui connaissent une forte dynamique depuis quelques années. En parallèle, le nombre de places en « crèches PSU » a progressé de 0,7 % entre 2020 et 2021 avec la création de 2 900 places.
Évolution du nombre de places en EAJE depuis 2017 selon le type d’accueil
(en milliers)
Source : Onape, « L’accueil des jeunes enfants », 2023.
Ainsi, l’augmentation du nombre de places d’accueil en crèches, une fois rapportée à la perte de places au sein des autres modes d’accueil formels, notamment chez les assistantes maternelles, n’empêche pas la persistance d’une diminution du nombre total de places au sein des modes d’accueil formels : 1 306 600 places en 2021 contre 1 345 700 en 2019.
Ces chiffres ne sont pas encore consolidés pour les années plus récentes, mais les différentes auditions menées par la commission d’enquête laissent supposer que la situation continue à se détériorer.
Évolution du nombre de places offertes pour les enfants de moins de 3 ans par mode d’accueil formel entre 2019 et 2021
Types d'accueil |
2019 |
2020 |
2021 |
Évolution du nombre de places pour 100 enfants de moins de 3 ans entre 2020 et 2021 (en points) |
|||
Nombre de places offertes |
Nombre de places pour 100 enfants de moins de 3 ans |
Nombre de places offertes |
Nombre de places pour 100 enfants de moins de 3 ans |
Nombre de places offertes |
Nombre de places pour 100 enfants de moins de 3 ans |
||
Assistante maternelle |
744 300 |
33 |
710 500 |
31,9 |
696 300 |
31,6 |
– 0,3 |
Accueil en EAJE |
471 000 |
20,9 |
479 000 |
21,5 |
491 200 |
22,3 |
0,8 |
dont EAJE PSU |
414 400 |
18,4 |
417 500 |
18,8 |
420 400 |
19,1 |
0,3 |
dont EAJE Paje |
49 900 |
2,2 |
56 100 |
2,5 |
68 000 |
3,1 |
0,6 |
dont autres |
6 700 |
0,3 |
5 400 |
0,2 |
2 800 |
0,1 |
– 0,1 |
École préélémentaire |
82 700 |
3,7 |
71 200 |
3,2 |
73 800 |
3,4 |
0,2 |
Salariée à domicile |
47 700 |
2,1 |
46 900 |
2,1 |
45 300 |
2,1 |
0 |
Nombre de places totales pour l'ensemble des modes d'accueil formels |
1 345 700 |
59,8 |
1 307 700 |
58,8 |
1 306 600 |
59,4 |
0,6 |
Source : Onape, « L’accueil des jeunes enfants ». Édition 2023.
Dès lors, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) estime qu’en raison de la disparition de 50 000 places d’accueil formel, tous modes de garde confondus, depuis 2017, il faudrait, pour compenser et satisfaire la demande, créer 207 000 nouvelles places ([27]).
Malgré les efforts réalisés, le problème reste constant : il manque des places en crèches. Mme Marty-Pichon, co-présidente de la fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje), a souligné lors de son audition que « cela fait quinze ans qu’il manque 200 000 places », sans que les créations de places aient réussi à modifier cet état de fait, et alors même que la tendance est aujourd’hui à la fermeture de berceaux ([28]).
ii. À rebours des objectifs de création de places, une tendance au « gel » des places existantes
Le manque de places en crèches est entretenu par le « gel » croissant de places de crèches déjà existantes. En effet, en raison d’une pénurie de professionnels de la petite enfance, les gestionnaires de crèches sont parfois contraints à ne pas utiliser certaines places, pourtant disponibles et financées, faute de personnels suffisants pour respecter les taux d’encadrement.
Dans ses statistiques annuelles de 2023 ([29]), la FFEC estime à 3 % le nombre de places bloquées chaque jour, contre 2,3 % en 2022. Dans une enquête publiée en juillet 2022, la Cnaf dénombrait plus de 9 500 places existantes ainsi gelées en France, soit 2 % du parc ([30]). Cette situation touchait plus fortement les territoires très urbains, où les loyers sont élevés comparativement au faible salaire des professionnels de la petite enfance. Ainsi, à Paris, qui représente 9 % des places d’accueil collectif en France, 39 % des places seraient fermées, l’Île-de-France concentrant 41 % du total des postes auprès d’enfants vacants.
De même, selon France Urbaine, dont les représentants ont été auditionnés par la commission d’enquête, environ 500 berceaux financés seraient non-ouvrables à Lyon, alors que la municipalité évoque quant à elle près de 200 berceaux gelés sur les 5 000 berceaux publics et associatifs existants ([31]), et une centaine de berceaux seraient également gelés à Marseille et à Toulouse. De manière générale, France Urbaine relève qu’au sein des territoires urbains, 50 % des demandes en solution d’accueil ne sont pas pourvues ([32]). Toutefois, ce phénomène concerne également des territoires très ruraux, ou enclavés, ainsi que les territoires frontaliers, qui se caractérisent par des loyers en moyenne plus élevés que sur le reste du territoire national.
Le journal Le Monde a ainsi publié une cartographie identifiant le nombre de places fermées sur le territoire au regard du nombre de postes équivalent temps plein manquants, qui corrobore ces chiffres.
Cartographie de la pénurie de places en crèche et de personnels en 2022
Source : Solène Cordier, « Crèches : une pénurie de personnel et un manque de place partout en France », Le Monde, 11 juillet 2022 [URL : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/07/11/creches-une-penurie-de-personnel-et-un-manque-de-places-partout-en-france_6134316_3224.html].
Cette tendance au gel des places en crèches et à la non-utilisation, en conséquence, d’un certain nombre de places d’accueil pourtant existantes, interroge sur le maintien des objectifs de création de nouvelles places alors même que le manque de professionnels de la petite enfance empêche l’utilisation de places déjà existantes.
iii. Les inégalités sociales et territoriales dans l’accès à l’accueil en crèche
Les inégalités d’accès aux crèches sont à la fois des inégalités territoriales et des inégalités sociales, ces deux aspects se recoupant in fine.
● Comme la cartographie supra le montre, les fermetures de places en crèches concernent plus particulièrement certains territoires, en lien avec le manque de personnels, cette pénurie étant elle-même due à divers facteurs liés à la situation socio-économique de chaque territoire considéré.
De manière générale, l’accès à des places en crèches n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire national. Les exemples les plus frappants sont ceux des collectivités d’Outre-mer : il n’existe par exemple aucune crèche à Saint-Barthélemy, 4 EAJE à Saint-Martin, et seulement 16 EAJE à Mayotte, alors qu’il s’agit d’un des départements français dont la démographie est la plus dynamique. Plus largement, et selon les chiffres du HCFEA, en 2020, 560 000 enfants de moins de trois ans (soit un peu plus d’un quart d’entre eux) vivaient dans une commune n’offrant aucune place en crèche ([33]).
En fonction des départements, l’offre de places en crèches est très inégale, allant de 11 places pour 100 enfants en Guyane à 85 places pour 100 enfants en Vendée. L’ouest de la France est mieux doté avec plus de 7 places pour 10 enfants dans les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire. En revanche, le département de Seine-Saint-Denis offre moins de 4 places pour 10 enfants, et le sud-est du territoire hexagonal est également faiblement doté, avec moins de 5 places pour 10 enfants dans le Gard, les Alpes-Maritimes, ou encore le Var. ([34]).
Taux de couverture des enfants de moins de 3 ans en EAJE en 2022
Source : Onape, « L’accueil des jeunes enfants », 2023.
Le HCFEA note par ailleurs que l’évolution limitée de l’offre de places en crèches entre 2017 et 2020 n’a pas permis un rééquilibrage de ces inégalités sur le territoire national, dans la mesure où les territoires dans lesquels le nombre de places a le plus augmenté sont ceux qui étaient déjà les mieux pourvus. Aussi, les inégalités territoriales ont plutôt tendance à s’accroître sur le long terme ([35]), avec néanmoins une légère amélioration entre 2020 et 2021 relevée par l’Onape dans l’édition 2023 de son rapport sur l’accueil des jeunes enfants ([36]). En effet, le taux de couverture médian parmi les 304 zones d’emploi du territoire français, hors Mayotte, s’établit en 2021 à 60,9 places d’accueil pour 100 enfants de moins de 3 ans soit 0,4 point de plus qu’en 2020 et 0,1 point de plus qu’en 2016. Ainsi, par rapport à 2020, la disparité des taux de couverture sur le territoire, mesurée entre les 50 zones d’emploi les mieux couvertes et les 50 zones les moins bien couvertes, s’est légèrement réduite sous l’effet d’une augmentation de l’offre d’accueil dans les zones les moins bien dotées à hauteur de 0,5 point, là où l’offre est restée stable dans les zones les mieux couvertes.
S’il y a tout lieu de se réjouir du mouvement de rattrapage opéré entre 2020 et 2021, celui-ci demeure cependant encore trop faible pour que l’on puisse s’en satisfaire pleinement, les inégalités territoriales demeurant à un niveau trop élevé, ce qui contrevient à l’objectif de répondre aux besoins de tous les enfants de manière égale, inhérent au service public de la petite enfance institué par la loi plein-emploi du 18 décembre 2023 ([37]). Par ailleurs, cette faible réduction des inégalités territoriales entre 2020 et 2021 devra être mise en relation avec la tendance au gel des places ces dernières années dans les territoires où le taux de couverture est moins élevé. Il n’est pas certain que la légère tendance à une réduction des inégalités territoriales perdure dans ce contexte, au regard de l’aggravation de la pénurie de professionnels. Aussi, les inégalités territoriales dans l’accès aux places en crèches demeurent extrêmement problématiques, et l’approche quantitative ne permet pas de réellement résorber ces écarts.
● Par ailleurs, les inégalités d’accès à une place en crèche sont également sociales.
Si les études démontrent que la fréquentation d’une crèche permet de réduire les inégalités entre les enfants issus de milieux précaires et les enfants issus de milieux aisés ([38]), cela suppose, ab initio, que les enfants issus des milieux précaires aient accès aux crèches.
Or, selon une étude publiée en 2017 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux, seuls 5 % des enfants issus de familles modestes bénéficieraient d’un accueil en crèche, contre 22 % des enfants issus des familles les plus aisées ([39]). Les chiffres plus récents de l’Onape confirment le maintien de ces inégalités à un fort niveau : en 2021, les familles les plus modestes recourent trois fois moins souvent que les autres à un mode d’accueil formel. Ainsi, les enfants issus de familles aux revenus situés sous le seuil de bas revenu ([40]) sont 23 % à être confiés à des modes d’accueil formels contre 70 % des enfants issus des familles aux revenus plus élevés. En conséquence, les enfants des familles à bas revenus ne représentent que 18 % des enfants accueillis en crèche et 6 % des enfants gardés par une assistante maternelle ou une salariée à domicile. Par ailleurs, la direction générale du Trésor (DG Trésor) a pu relever que les familles monoparentales, malgré le soutien financier spécifique dont elles peuvent bénéficier, ont un taux de recours à un mode de garde formel inférieur (47 % lorsque le parent travaille) à celui des couples biactifs (71 %), ce qui suggérerait l’existence d’obstacles supplémentaires à l’accès à un accueil formel, notamment d’ordre territorial ([41]). Ainsi, les inégalités sociales et territoriales semblent imbriquées les unes dans les autres.
En effet, l’offre de places en crèches est nettement plus faible que la moyenne dans les communes ou quartiers dans lesquels le niveau de vie médian est le plus bas. Dans un rapport de 2018, le HCFEA démontre que les enfants de moins de trois ans issus d’une commune où le niveau de vie annuel médian est inférieur à 16 000 euros sont confrontés à un taux de couverture en solutions d’accueil moins élevé que celui des enfants dans l’ensemble ([42]).
Auditionnée par la commission d’enquête, Mme Sylviane Giampino, présidente du HCFEA a souligné que 76 % des enfants vivant sous le seuil de pauvreté entrent à l’école maternelle sans autre expérience de socialisation que celle acquise dans le cadre familial ([43]). En conséquence, selon la DG Trésor, les inégalités d’accès aux EAJE en France sont parmi les plus élevées des pays européens, aux côtés du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l’Irlande, là où la Suède présente en revanche les plus faibles inégalités en la matière.
recours à un mode formel de garde en fonction du revenu disponible
des parents en 2017
Source : Karine Ishii, Per Yann Le Floc’h, Adrien Massebieau, Baptiste Royer, Les inégalités d’accès aux crèches et leurs enjeux économiques, Trésor-éco n° 322, janvier 2023.
L’existence d’un droit opposable dans certains pays européens constitue l’une des explications des écarts constatés
Au début des années 2000, l’Allemagne présentait un retard important en matière d’accueil du jeune enfant puisque 10 % seulement des enfants de moins de trois ans étaient accueillis à l’extérieur de la famille, contre la moitié en France. Cependant, dès 2014, le taux de recours aux structures d’accueil collectif (EAJE et écoles maternelles) a atteint 27 % contre 20 % en France.
Selon une note d’analyse de France Stratégie, ce succès s’explique notamment par la mise en place d’un droit opposable à un mode accueil pour les enfants de 1 à 3 ans ainsi que pour les enfants de moins d’un an lorsque leurs parents travaillent, suivent une formation professionnelle ou sont bénéficiaires de prestations d’insertion professionnelle. En effet, les autorités locales responsables de l’accueil de la petite enfance sont tenues d’offrir un nombre suffisant de places sur le territoire et, en cas de manquement, les familles peuvent saisir le juge administratif pour obtenir une indemnisation permettant de compenser l’éventuel surcoût lié à un autre mode d’accueil ou les pertes salariales du parent qui a dû renoncer, ce faisant, à son emploi.
Ce droit opposable existe également en Angleterre, au Danemark, en Suède, en Finlande et en Islande : ces pays ont tous désigné l’échelon communal responsable de l’application d’un droit opposable à la garde.
Source : Collombet C. et al. (2017), « Places en crèche : pourquoi l'Allemagne fait-elle mieux que la France depuis dix ans ? », Note d'analyse de France Stratégie.
Or, dans le cadre d’un service public, le principe d’égalité constitue, en application de la jurisprudence du Conseil d’État, un principe général du droit ([44]).
b. La solution systématiquement proposée : un « plan crèches » pour financer la création de nouvelles places d’accueil
Pour répondre au manque persistant de places en crèches, la réponse a systématiquement été la même, au fil des gouvernements successifs : le lancement de « plan crèches » afin de créer massivement de nouvelles solutions d’accueil. Cette logique quantitative prévaut encore majoritairement aujourd’hui, bien que la rapporteure souligne qu’un tournant plus qualitatif a été engagé.
i. Des plans crèches successifs qui n’ont pas réussi à résorber le déficit de places d’accueil
● Dès 1983, confrontée au manque de places en crèches, dans un contexte où les pouvoirs publics de l’époque souhaitaient encourager l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la Cnaf a mis en place les « contrats-crèches », afin d’encourager les collectivités territoriales à construire des crèches. Avec ce dispositif, les Caf s’engageaient à prendre en charge une partie des dépenses de fonctionnement et, en parallèle, les communes devaient construire de nouveaux équipements. En 1988, environ 20 000 nouvelles places avaient ainsi été créées ([45]).
À partir du début des années 2000, différents dispositifs ont également accompagné les « plans crèches » successifs afin d’étendre l’offre d’accueil des jeunes enfants au niveau national.
● Le premier « plan crèches », en 2000, a ainsi été accompagné par le fonds d’investissement petite enfance (Fipe). Il a été suivi d’un deuxième « plan crèches », en 2003, reposant sur l’aide exceptionnelle à l’investissement (AEI). Dans le cadre de ces deux premiers plans, une dotation de base, accordée à chaque place nouvellement créée (6 097 euros), pouvait être majorée de 3 000 euros si deux critères étaient respectés par les communes :
– la préscolarisation des enfants de deux à trois ans au sein d’actions « passerelles » et l’accueil d’urgence ;
– les équipements soutenus et financés au niveau intercommunal.
● En 2004, un troisième « plan crèches » est intervenu à travers l’instauration du dispositif d’aide à l’investissement petite enfance (Daipe). Dans ce cadre, les conditions associées au bénéfice des deux premiers plans ont été maintenues, mais ont également intégré une approche territoriale : une nouvelle majoration de 2 000 euros était accordée aux projets de création de places dans les zones de revitalisation rurale (ZRR).
● En 2006, le dispositif d’investissement petite enfance (Dipe) a permis le lancement d’un quatrième « plan crèches » apportant de nouveaux changements :
– les Caf ont été amenées à hiérarchiser les territoires en fonction de plusieurs critères, dont le taux de couverture en modes d’accueil du territoire considéré ;
– en plus du module « intercommunalité », une majoration, attribuée en fonction du potentiel financier, a pu atteindre jusqu’à 5 000 euros par place. Les majorations fondées sur des spécificités locales ont parfois permis de pratiquement doubler la subvention de base de 6 500 euros en la portant à 12 500 euros par création de place.
● En 2007, un cinquième « plan crèches » s’est appuyé sur le plan d’aide à l’investissement pour la petite enfance (Paippe). Il a été suivi, en 2008 d’un sixième plan reposant sur le fonds d’abondement pour le plan d’aide à l’investissement pour la petite enfance (Fapaippe), puis, en 2009, d’un septième plan avec le plan crèches pluriannuel d’investissement (PCPI).
Lors de son audition devant la commission d’enquête, Mme Nadine Morano, secrétaire d’État chargée de la famille entre 2008 et 2010, a détaillé le contexte et les objectifs qui avaient été assignés à la politique menée en matière d’accueil collectif des jeunes enfants. À l’époque, 800 000 familles étaient en attente d’un mode de garde pour leur enfant et il était impératif d’accroître le nombre de places d’accueil en crèches afin, notamment, de donner aux femmes la possibilité de travailler davantage et de trouver un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle ([46]). Une note de l’Insee, publiée en 2020, montre toutefois que l’augmentation des places en EAJE n’a pas eu d’effets sur la situation des parents sur le marché du travail ([47]).
Le Gouvernement s’était engagé, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion (Cog) entre l’État et la Cnaf pour la période 2009-2012, à investir 1,3 milliard d’euros afin de créer 200 000 places. Ainsi, la Cog prévoyait-elle une augmentation de 7,5 % par an des crédits du Fonds national d’action sociale (Fnas), qui contient les crédits dédiés aux EAJE. Elle plaçait la conciliation des vies familiale et professionnelle comme une priorité à l’échéance de 2012. Par ailleurs, une augmentation de 10,1 % des crédits budgétaires consacrés à la petite enfance était prévue.
Il s’agissait de créer des places sur tout le territoire et accessibles à tous et d’offrir des modes de garde adaptés aux familles des quartiers prioritaires. Le plan « Espoir banlieues », doté de 30 millions d’euros, devait financer de nouveaux modes de garde dans ces territoires, permettant ainsi à des femmes élevant seules leurs enfants d’être en mesure de répondre à des entretiens d’embauche. Cependant, un rapport sénatorial a relevé que peu de projets au titre de ce plan avaient réellement été finalisés.([48])
Grâce à ces « plans crèches », alors que seulement 27,3 % des enfants de moins de trois ans bénéficiaient d’une solution d’accueil en 2007, ce taux est passé, selon Mme Nadine Morano, à 44,4 % en 2011, plaçant la France en quatrième position des pays de l’Union européenne, derrière le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ([49]).
Pour accompagner les créations de places, un plan de formation « Métiers de la petite enfance 2008-2012 » avait par ailleurs été engagé. L’objectif affiché était de former 60 000 professionnels sur cette période, dont 45 000 assistantes maternelles agréées, et de favoriser ainsi la création de 200 000 places d’accueil formel supplémentaires, dont 100 000 en accueil individuel.
● Auditionnée par la commission d’enquête, Mme Marisol Touraine, qui fut ministre des affaires sociales et de la santé de 2012 à 2017, en étant chargée du secteur de la famille jusqu’en 2016, a indiqué que le Président de la République, M. François Hollande, lui avait alors également fixé pour priorité « d’augmenter le nombre de berceaux » ([50]). Cette époque était en effet caractérisée par une demande pressante en ce sens « tant de l’opinion publique que des collectivités locales et des élus de tous bords » en raison d’un pic de natalité en 2010 et en lien avec l’arrêt de la scolarisation des enfants avant trois ans. À cette époque, le HCFEA estimait qu’il manquait environ 350 000 places en crèches.
Entre 2000 et 2016, 150 000 places supplémentaires en EAJE avaient été subventionnées : les deux tiers avaient été créées grâce à l’ouverture de nouveaux établissements, le tiers restant grâce à l’extension d’établissements déjà existants ([51]). Le huitième plan pluriannuel d’investissements, concomitant à la Cog 2013‑2017 de la branche famille de la sécurité sociale, prévoyait l’ouverture de 75 000 places d’accueil en crèches supplémentaires, ainsi qu’un soutien accru aux collectivités territoriales pour la création de nouvelles places.
À partir de 2012, la politique familiale a donc été caractérisée, selon Mme Marisol Touraine, par une hausse massive des moyens financiers alloués à l’accueil du jeune enfant par le biais du Fnas. Les dépenses publiques consacrées à l’accueil du jeune enfant en crèche par la branche famille et par les collectivités entre 2013 et 2017 ont ainsi progressé de 4,8 %, en moyenne annuelle en euros constants. Parallèlement, la part des Caf dans le financement d’une place en crèche est passée de 44,1 % en 2013 à 48,2 % en 2017 tandis que la part des familles reculait de 18,9 % à 17,4 % ([52]).
● Ensuite, la Cog 2018-2022 a également prévu la création de 30 000 places supplémentaires, en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans le cadre d’un neuvième « plan crèches ». Seulement 10 000 places ont, cependant, été créées sur cette période.
Malgré ces nombreux plans, le taux de couverture des besoins est demeuré insuffisant. Si le nombre de places en crèche a fortement augmenté depuis 2016, il faut toutefois mettre cette augmentation en relation avec la perte de places au sein d’autres modes d’accueils formels des jeunes enfants, du « gel » croissant de places existantes, et du taux d’insatisfaction, demeuré à un niveau élevé, des familles.
Par ailleurs, il est à noter que toutes les catégories d’EAJE n’ont pas été concernées par la création de nouvelles places dans la même ampleur. Ainsi, les « micro-crèches Paje » ont connu la croissance la plus rapide, passant de 27 738 places proposées en 2016 à 83 656 places en 2022 (+ 202 % en sept ans). En ce qui concerne les « crèches PSU », l’augmentation du nombre de places, de 404 445 en 2016 à 420 944 en 2022, a été nettement moins dynamique (+ 4 % en sept ans).
Nombre de places offertes pour les enfants de moins de 3 ans
pour l’accueil en EAJE depuis 2016
|
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Variation 2022/2016 |
Accueil en EAJE |
436 294 |
448 834 |
460 052 |
471 004 |
479 023 |
491 228 |
507 284 |
+ 16 % |
dont places en EAJE PSU |
404 445 |
408 735 |
411 422 |
414 370 |
417 469 |
420 380 |
420 944 |
+ 4 % |
dont places en EAJE Paje |
27 738 |
35 575 |
42 557 |
50 561 |
56 695 |
68 000 |
83 656 |
+ 202 % |
dont autres places |
4 111 |
4 524 |
6 073 |
6 073 |
4 859 |
2 848 |
2 684 |
– 35 % |
Source : Cnaf.
Or, les réponses des différentes PMI au questionnaire de la rapporteure, de même que les réponses des Caf, montrent que les acteurs publics souhaitent plutôt favoriser la création de « crèches PSU ». En effet ; celles-ci sont accessibles financièrement pour les familles modestes, là où leur reste à charge est très élevé au sein des micro-crèches Paje (voir Première partie. II. A. b.). Ainsi, la dynamique de création de places portée par « les micro-crèches Paje », si elle contribue à améliorer la couverture des besoins, fait croître les inégalités sociales (voir Première partie. I. A. 3. b.).
ii. Le dixième « plan crèches »
Aujourd’hui, plus de vingt ans après le premier « plan crèches », les constats sont les mêmes, et les objectifs également : face au manque de solutions d’accueil pour les jeunes enfants pour satisfaire la demande des familles, la nouvelle Cog 2023‑2027 vise notamment à créer de nouvelles places. Elle intègre néanmoins des éléments plus qualitatifs, ce qui témoigne d’un changement de paradigme de la part des pouvoirs publics.
Il est prévu une augmentation de la dépense consacrée à l’accueil du jeune enfant de 1,4 milliard d’euros entre 2022 et 2027. Au sein du Fnas, la cible de dépenses consacrées à l’accueil du jeune enfant s’élève au total à 5,4 milliards d’euros en 2027 contre 3,9 milliards en 2022. Par ailleurs, un « bonus trajectoire » doit être attribué aux collectivités s’engageant, dans le cadre des conventions territoriales globales (CTG), à développer l’offre d’accueil en vue de la création de 35 000 places nettes d’ici 2027.
Hypothèses de croissance du nombre de places en EAJE fonctionnant en PSU
|
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Total |
Nombre de places à la clôture des comptes |
426 528 |
433 179 |
441 363 |
448 772 |
457 054 |
+ 35 000 |
Variation du solde de place (en valeur absolue) |
+ 4 474 |
+ 6 651 |
+ 8 184 |
+ 7 408 |
+ 8 282 |
|
Variation du solde de place (en %) |
101,06 % |
101,56 % |
101,89 % |
101,68 % |
101,85 % |
+ 7 % |
Source : Cnaf.
2. L’ouverture du secteur de la petite enfance aux acteurs privés lucratifs avait pour objectif de répondre à la demande de places en crèches
Afin de soutenir les objectifs de création de places en crèches, le choix a été fait, au début des années 2000, d’ouvrir le secteur de la petite enfance aux acteurs privés lucratifs. Cette décision a permis à de grands groupes privés de crèches d’intervenir dans le secteur et de se développer, en partie grâce à des financements publics conséquents.
Or, cette situation fait aujourd’hui l’objet de critiques croissantes, relatives à la place qu’occupent désormais les acteurs privés lucratifs dans le secteur de la petite enfance et aux conséquences alléguées de cette activité sur la qualité de l’accueil des enfants au sein des crèches.
a. À partir de 2004, les acteurs privés lucratifs sont autorisés, puis encouragés, à investir dans le secteur des crèches
● Avant 2003, seules les communes et les associations assuraient la gestion des crèches, les entreprises de crèches n’intervenant que de manière extrêmement marginale. En 2003, lors de la Conférence de la famille, le Gouvernement fait le choix, avalisé par le conseil d’administration de la Cnaf, d’ouvrir le secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs, invitant ainsi un « maximum d’intervenants » à investir ce domaine d’activité, afin d’augmenter l’offre de places en EAJE.
Cette ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs a été justifiée par Mme Nadine Morano en raison de la plus grande réactivité et de la souplesse apportées par les entreprises privées pour créer des places rapidement, en comparaison avec le secteur public. Par ailleurs, il s’agissait, selon elle, de « trouver des marges de manœuvre partout où elles pouvaient exister » ([53]) pour répondre à l’objectif quantitatif que le Gouvernement s’était fixé.
Ce mouvement a été accompagné de la participation financière de la Cnaf au financement des places en crèches privées lucratives, à l’image des financements déjà existants pour les places en crèches publiques ou associatives, et par l’instauration du crédit d’impôt famille (Cifam) par la loi de finances initiale pour 2004 ([54]), qui constitue aujourd’hui un levier majeur du modèle économique des crèches privées lucratives.
Grâce au Cifam, lorsque l’employeur est une entreprise de plus de 11 salariés, il est incité à réserver des berceaux au bénéfice de ses salariés, puisque le montant des dépenses ainsi engagées est pris en charge à hauteur de 50 % par le Cifam, et peut être déduit du résultat fiscal de l’entreprise avant impôt sur les sociétés. Au total, ces deux mécanismes fiscaux permettent à l’employeur réservataire de ne supporter que 25 % du coût de réservation, les 75 % restants étant pris en charge par l’État à travers une dépense fiscale (voir Première partie, II, C, 3).
● L’ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs a été ensuite confortée par la transposition, en France, de la directive 2006/122/CE, du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
Cette directive avait pour objectif la suppression des barrières administratives et juridiques empêchant les entreprises de fournir temporairement leurs services dans un autre État membre que celui dans lequel elles sont établies, ou de s’établir dans un autre État membre. Elle ne vise toutefois que les « services fournis en échange d’une contrepartie économique » et ne s’applique pas aux services que les États membres considèrent comme d’intérêt général. À ce titre, certains services d’intérêt économique général (SIEG) pouvaient être exclus du champ d’application de la directive.
Au moment de la transposition de cette directive, en 2010, l’État français aurait pu faire le choix d’exclure les services de la petite enfance du champ d’application de cette directive, et donc de ne pas les soumettre au droit européen de la concurrence. Pourtant, le choix a été fait d’inclure le secteur de la petite enfance dans le champ d’application de cette directive, avec pour effet de mettre les collectivités territoriales, historiquement en charge de cette compétence, en concurrence avec des prestataires privés.
● Par la suite, les collectivités territoriales ont elles-mêmes encouragé le développement des acteurs privés lucratifs dans le secteur des crèches, car cela leur permettait de déployer une offre d’accueil sur leur territoire sans nécessairement avoir à se constituer tiers financeur, dans un contexte de contraintes budgétaires de plus en plus prégnantes, en lien avec la baisse de la dotation globale de fonctionnement des collectivités territoriales intervenue à partir de 2014. En outre, le développement des délégations de service public s’est traduit par une diminution de la part des collectivités territoriales gérant des crèches en régie municipale et par une hausse de la part des entreprises privées agissant pour le compte d’une collectivité.
b. De grandes entreprises de crèches se sont ainsi développées notamment grâce à des financements publics sans toutefois résorber la problématique quantitative
Les pouvoirs publics, après avoir identifié le secteur privé lucratif comme un levier efficace pour la création rapide de nouvelles places de crèches, ont accompagné financièrement la création et le fonctionnement de ces places via des financements publics conséquents et ont aussi favorisé l’émergence de grands groupes ayant acquis une dimension internationale.
Toutefois, si la croissance du nombre de places en crèche est aujourd’hui portée presque exclusivement par le secteur privé, les places en structures publiques ont stagné, ce qui laisse craindre un effet d’éviction.
De manière générale des moyens importants sont consacrés à la politique d’accueil du jeune enfant en crèches, indépendamment du statut juridique du gestionnaire.
En 2021, selon l’Observatoire national de la petite enfance (Onape), l’accueil des enfants de moins de 3 ans a représenté 16 milliards d’euros de dépenses publiques, tous acteurs confondus ([55]). Les deux tiers de ces dépenses ont été supportés par la branche famille de la sécurité sociale (10,8 milliards d’euros) : il s’agit des sommes versées directement aux familles à travers le complément mode de garde (CMG) ou de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), et des subventions attribuées aux crèches, en fonctionnement et en investissement.
Selon les données de la Cnaf, la branche famille a dépensé en 2022, après traitement des subventions réellement dues, 3,38 milliards d’euros au bénéfice des EAJE financés par la PSU. En 2023, les charges à payer comptabilisées dans ce périmètre s’élèvent à 3,575 milliards d’euros (soit + 5,7 %). Pour l’année 2024, le budget prévisionnel s’établit à 4 milliards d’euros, mais son niveau d’exécution dépendra de l’activité réalisée par les EAJE, du nombre de places créées, et de la vitesse de déploiement de certaines mesures, à l’image des revalorisations salariales dans le secteur de la petite enfance, pour laquelle la branche famille a constitué une provision.
Le fonctionnement des crèches est principalement subventionné par les Caf, avec la prestation de service unique (PSU). En 2022, la gestion des EAJE a ainsi entraîné des dépenses de fonctionnement à hauteur de 6,6 milliards d’euros. Ces dépenses sont couvertes à 44 % par la PSU, tandis que 8 % du financement provient du soutien financier accordé aux micro-crèches, notamment par le biais de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), versée directement aux familles.
Les collectivités territoriales participent également à ce financement à hauteur de 3,1 milliards d’euros – cette somme recouvrant toutefois également le financement de l’école préélémentaire ([56]).
La mise en place du service public de la petite enfance s’accompagne de nouveaux financements prévus par la Cog signée entre l’État et la Cnaf. Pour la période 2023-2027, les financements dédiés aux EAJE PSU devraient augmenter de 1,37 milliard d’euros, comprenant la création de 35 000 nouvelles places d’accueil, des mesures de soutien à la qualité d’accueil à travers le financement des journées pédagogiques et des heures de préparation à l’arrivée de l’enfant, une réforme des financements, avec un rééquilibrage entre le financement à l’activité et le financement à la place, et l’accompagnement des revalorisations salariales dans le secteur de la petite enfance.
Par ailleurs, les chiffres de l’Observatoire national de la petite enfance mettent en avant que les dépenses à la fois des Caf et des collectivités territoriales sont plus élevées pour le financement des EAJE que pour d’autres modes d’accueil du jeune enfant.
Les dépenses d’accueil des enfants de moins de trois ans en EAJE en 2021
(en millions d’euros)
|
2021 |
2022 |
Évolution |
Dépenses de fonctionnement |
6 246 |
6 577 |
5 % |
Dont branche famille |
3 672 |
3 949 |
8 % |
Dont communes |
2 574 |
2 628 |
2 % |
Dépenses d’investissement |
601 |
690 |
15 % |
Dont branche famille |
425 |
506 |
19 % |
Dont communes |
175 |
185 |
5 % |
Total des dépenses pour les EAJE |
6 847 |
7 267 |
6 % |
Source : Onape, « L’accueil des jeunes enfants », 2023.
Évolution des moyens alloués au financement des EAJE en PSU entre 2010 et 2022
(en milliards d’euros)
Source : commission d’enquête d’après données communiquées par la Cnaf
Décomposition du coût mensuel selon le mode d’accueil en 2023 pour un enfant de moins de 3 ans accueilli 162 heures
(en %)
Source : Rapport 2023 de l’Observatoire national de la petite enfance
ii. Ce haut niveau de financements publics alloués à l’ensemble du secteur de l’accueil du jeune enfant aurait contribué, selon certains acteurs, au développement rapide de grands groupes de crèches.
● L’Igas et l’IGF, dans une revue des dépenses publiée en 2017 ([57]), relevaient que le marché des crèches privées lucratives représentait, en 2015, un chiffre d’affaires de 958 millions d’euros, soit près du double du niveau de 2009, qui s’établissait à 598 millions d’euros, et que cette forte progression a été favorisée par la mise en place du Cifam en 2004 et de la généralisation des micro-crèches Paje en 2010.
Selon les deux inspections, ces chiffres s’expliquent par le fait que les entreprises privées de crèches bénéficient d’un modèle économique pouvant leur offrir de hauts niveaux de rentabilité, grâce à une « contribution élevée des financeurs publics », en soutien notamment des dépenses engagées par les entreprises en faveur de la réservation de berceaux.
● Les deux inspections expliquent par ailleurs qu’au sein des micro-crèches, qu’elles « soi[en]t ou non conventionnée[s] avec la Caf, le financement public est systématiquement supérieur au coût de revient de la place pour le gestionnaire dans l’hypothèse où, en plus de la participation de la Cnaf et du crédit d’impôt pour garde d’enfants, le Cifam conduit l’État à financer 83,3 % ([58]) du prix facturé à l’entreprise réservataire » ([59]).
En ce qui concerne les micro-crèches Paje, les travaux menés par la rapporteure permettent de corroborer cette affirmation : en effet, dans la mesure où les participations des familles, qui bénéficient de la Paje, couvrent l’intégralité, ou la quasi-totalité, de leurs coûts de fonctionnement, les recettes provenant de la réservation de berceaux, soutenues à hauteur de 75 % par les mécanismes de déduction fiscale associés au Cifam, constituent un financement complémentaire. Dès lors, lorsque l’on additionne les dépenses de la branche famille au titre de la Paje, qui peuvent couvrir jusqu’à 85 % du prix facturé aux familles, le crédit d’impôt pour garde d’enfants, qui, par déduction fiscale, peut permettre une prise en charge de leurs dépenses à hauteur de 50 %, et enfin les mécanismes fiscaux résultant du Cifam, on aboutit effectivement à un financement public vraisemblablement supérieur au coût de revient de la structure.
En ce qui concerne les micro-crèches PSU, ainsi que tous les multi-accueils financés par la PSU, la rapporteure se montre plus nuancée. En effet, le modèle PSU exige l’intervention d’un tiers financeur pour garantir l’équilibre budgétaire de la structure. Dans cette situation, les versements de la Caf au titre de la PSU, ainsi que les financements complémentaires qui y sont associés (voir première partie, II, A, 1), et les participations familiales, qui peuvent également faire l’objet d’une déduction fiscale dans le cadre du crédit d’impôt pour garde d’enfant, couvrent entre 60 % et 80 % du coût de revient de la structure. Le reste à charge du gestionnaire doit alors faire l’objet d’un tiers financement, soit d’une personne publique par l’intermédiaire d’une subvention, soit d’un employeur réservataire. Dans cette dernière hypothèse, le financement public pourra être supérieur au coût de revient lorsque le prix de réservation qui est payé est largement supérieur au reste-à-charge du gestionnaire : soit l’employeur est une personne publique, et la réservation est alors entièrement financée par des deniers publics ; soit l’employeur est une entreprise, et les dépenses engagées au titre de la réservation de berceaux peuvent bénéficier du Cifam et de la déduction fiscale associée, à hauteur de 75 %.
●S’agissant spécifiquement des micro-crèches Paje, l’Igas et l’IGF se sont également inquiétées de niveaux de rentabilité « largement supérieurs à la rentabilité commerciale des autres acteurs économiques », avec un résultat d’exploitation de l’ordre de 40 % du chiffre d’affaires, contre 7,8 % dans l’ensemble des entreprises, notamment grâce au Cifam ([60]).
Ce faisant, l’Igas et l’IGF considéraient qu’il convenait d’encadrer davantage les financements publics car ils semblaient favoriser une rentabilité excessive des structures privées, d’autant que l’augmentation des coûts de fonctionnement des EAJE (plus de 15 % entre 2012 et 2015) et d’investissement avait été compensée par des efforts financiers complémentaires de la branche famille, « ce qui ne crée aucune incitation à la bonne gestion » ([61]). La rapporteure estime toutefois qu’il ne faut pas généraliser ces conclusions à l’ensemble des financements publics et que le sujet réside avant tout dans l’absence de pilotage du Cifam (voir Première partie, II, C, 3).
● À partir de 2006, concomitamment aux « plans crèches », l’offre de places de crèches proposée par le secteur privé lucratif, jusqu’alors quasi-inexistante, a effectivement progressé. Des sociétés privées se sont ainsi développées en construisant des crèches pour leur propre réseau et en assurant la gestion de crèches d’entreprises, ou encore de crèches municipales, par le biais de délégations de service public. Ainsi, ces dernières années, le secteur privé lucratif a créé plus de la moitié des nouvelles places en crèches, et gère désormais 24 % des places disponibles, contre 7 % en 2012. Dans le même temps, les acteurs publics et associatifs peinent à suivre ce mouvement. Aujourd’hui, le secteur privé lucratif représente un quart du secteur des EAJE, avec 115 000 places gérées par de tels établissements, selon le HCFEA.([62])
RÉpartition des places de crÈches suivant la nature juridique du gestionnaire
Source : HCFEA.
Pour autant, la rapporteure considère qu’une analyse consistant à appréhender tous les financements publics – dont il sera démontré que certains d’entre eux sont insuffisants – de façon globale ne permet pas d’expliquer en tant que tel le développement des crèches du secteur privé lucratif. Elle considère que c’est avant tout la volonté des communes de réduire le coût budgétaire du financement de places en crèches, le développement du Cifam non piloté et les attentes des entreprises qui pratiquent l’achat de berceaux qui ont favorisé le développement des grandes entreprises de crèches (voir Première partie, II, A).
Les quatre grandes entreprises de crèches françaises, parfois désignées
comme les « Big Four »
Le marché des crèches est aujourd’hui dominé par quatre grands groupes de crèches : Babilou, Les Petits Chaperons Rouges, People&Baby et La Maison Bleue.
– Le groupe Babilou, présent dans douze pays, gère 1 200 crèches dans le monde. En France, le groupe gère 480 établissements. Les fondateurs du groupe, Rodolphe et Edouard Carle, présidents de Babilou, se trouvent ainsi désormais dans le classement des 500 plus grandes fortunes de France, à la 289e place de l’édition 2023.([63])
– Le groupe Grandir – Les Petits Chaperons Rouges, compte en France 800 établissements sous gestion, où sont accueillis plus de 20 000 enfants chaque jour par 8 000 collaborateurs et dans plus de 150 villes. Le groupe est par ailleurs présent à l’international, gérant 110 structures au Canada, 77 en Inde, 84 au Royaume-Uni, 49 aux États-Unis, 42 en Espagne, et 32 en Allemagne. Au total, le groupe gère 1 196 structures pour 53 093 places, dont 41 % en France.
– Le groupe La Maison Bleue gère pour sa part 500 crèches en propre en France, au Luxembourg, en Suisse et au Royaume-Uni avec l’aide de plus de 6 000 collaborateurs et accueille plus de 20 000 enfants tous les jours.
– Enfin, le groupe People&Baby gère 762 structures dans 10 pays dont 583 en France et accueille 31 500 enfants.
c. Toutefois, les places créées par le secteur privé lucratif n’ont pas nécessairement complété celles gérées par le secteur public ou associatif, mais ont pu avoir tendance à les remplacer
Dans la revue de dépenses de 2017 susmentionnée ([64]), l’Igas et l’IGF relèvent que la part des personnes publiques dans la création de crèches, qui s’élevait à 92 % en 2000, diminue depuis, en lien avec l’augmentation du nombre de projets portés par des gestionnaires privés : alors que ceux-ci n’étaient porteurs d’aucun projet avant 2004, ils soutenaient 48 % des nouveaux projets en 2012, et 70 % en 2016. Le rythme de création des EAJE du secteur privé lucratif est devenu, selon les deux inspections, dix fois plus rapide que celui des EAJE publics.
Auditionnée par la commission d’enquête, l’Association des maires de France (AMF) a mis en avant que, dorénavant, les communes et les intercommunalités ne sont plus en mesure de répondre seules aux demandes des familles et soutiennent plutôt les acteurs privés par le biais de subventions ou de réservations de places ([65]).
Dans leur rapport conjoint de 2024 sur les micro-crèches, l’Igas et l’IGF étayent l’existence d’un effet d’éviction que produit la création de micro-crèches Paje sur les autres crèches ([66]). Ainsi, les inspections relèvent que si le rythme de création des premières est dynamique, ces structures semblent se substituer, au moins partiellement, à des créations d’établissements financés par la PSU. Or, les micro-crèches Paje relèvent plus fréquemment du secteur privé lucratif que les établissements en PSU.
En conséquence, les communes tendent à laisser les crèches privées s’implanter sur le territoire de manière croissante, afin de créer, voire simplement de maintenir, des places d’accueil sur leur territoire, tout en stabilisant ou en diminuant les coûts pour leurs finances. Outre l’effet d’éviction qui ne permet pas à ces créations de places d’avoir de réels effets sur le taux de couverture du besoin, les communes sont de fait de moins en moins associées à la qualité de l’accueil au sein des EAJE ; elles ont de moins en moins « leur mot à dire » sur ce qui se passe au sein des crèches.([67])
3. Le modèle dérogatoire des micro-crèches a été créé dans le but de soutenir la création de places en crèches en milieu rural, avec des résultats cependant ambigus
Les micro-crèches ont été créées afin d’inciter la création de places d’accueil des jeunes enfants en milieu rural. Or, la logique ayant présidé à leur instauration a pour partie été dévoyée : aujourd’hui, ces structures sont majoritairement implantées dans des zones urbaines où les ménages disposent de revenus importants.
a. Le statut dérogatoire des micro-crèches a été conçu pour encourager la création de places d’accueil en milieu rural
Dans le cadre du plan « petite enfance » de 2006, le Gouvernement a souhaité diversifier l’offre d’accueil du jeune enfant, notamment par la création, expérimentale, d’établissements appelés « micro-crèches », dont l’objectif initial était d’apporter une réponse adaptée à des besoins spécifiques dans les communes rurales, les zones urbaines sensibles (ZUS), ou encore les zones d’activité économique.
Le ministre de la Santé et des Solidarités, M. Xavier Bertrand, a ainsi lancé en 2007 cette nouvelle modalité d’accueil collectif, régie par l’article R. 2324-34 du code de la santé publique ([68]).
Ce nouveau mode d’accueil, créé à titre expérimental, avait pour objectif de permettre le développement de l’accueil collectif sur les territoires visés avec des plus petites structures dont la dimension correspondait davantage aux besoins de ces territoires, et pour un moindre coût par rapport aux structures d’accueil traditionnelles. En effet, dans les territoires ruraux, le coût d’une crèche PSU classique est souvent trop élevé pour un nombre d’enfants de moins de trois ans trop faible. Par ailleurs, afin de permettre aux petites communes d’expérimenter les micro-crèches sans avoir à endosser obligatoirement le rôle de tiers financeur comme l’exige le financement par la PSU, il a été proposé aux gestionnaires porteurs de ces projets de bénéficier d’un mode de financement dérogatoire, grâce au complément de libre choix du mode de garde (CMG) dit « structure », versé aux familles dans le cadre de la Paje.
Dans leur rapport relatif aux micro-crèches, l’Igas et l’IGF mettent en exergue que les micro-crèches sont « responsables de la majeure partie de la dynamique de création de places depuis 2010 », la part des micro-crèches dans la création de places nettes en EAJE de 2010 à 2015 s’élevant à près de 50 %, puis à hauteur de 70 % entre 2015 et 2020. Or, la majeure partie des places créées n’ont pas bénéficié aux territoires ruraux initialement visés, ni aux zones urbaines sensibles (ZUS). En effet, le dispositif a été détourné de cet objectif.
b. Les micro-crèches s’installent en réalité de manière non-contrôlée essentiellement dans les milieux urbains aisés
Initialement destinées aux milieux ruraux, ces structures se sont considérablement développées dans des territoires urbains, y compris dans des territoires déjà bien pourvus en places d’accueil.
Comme le relevaient déjà en 2015, dans un article, Mme Manon Harguindeguy et M. Frédéric Vabre, les micro-crèches semblent « réunir toutes les qualités attendues d’un mode de garde » en sociabilisant le jeune enfant dans une structure de petite taille ([69]). Il y a en effet eu une demande croissante des parents pour ce type d’EAJE ayant incité les porteurs de projet – essentiellement des entreprises privées – à se déployer sous cette forme au sein des territoires urbains, d’autant que les contraintes réglementaires pesant sur les micro-crèches sont moins strictes que celles applicables aux autres EAJE ([70]).
L’Igas et l’IGF parviennent à la même conclusion, en relevant que les micro-crèches Paje sont principalement présentes dans les métropoles et dans les zones où le niveau de vie est le plus élevé, contrairement aux objectifs initiaux du dispositif ([71]). Par ailleurs, l’implantation des micro-crèches Paje ne semble pas déterminée par un déficit d’offre d’accueil sur le territoire, bien au contraire : elles sont majoritairement implantées dans des départements où le taux de couverture est supérieur à la moyenne nationale ([72]).
En outre, si, dans l’ensemble, les élus entretiennent, selon l’Association des maires de France (AMF), de bonnes relations avec les entreprises privées de crèches implantées sur leur territoire, il est à noter qu’en l’absence de liens financiers entre la structure et la collectivité territoriale, il n’y a aucune obligation d’entretenir ces relations ([73]). Dès lors, il appartient aux communes – comme la rapporteure a pu le constater dans ses déplacements – de prendre l’initiative d’établir et d’entretenir de telles relations avec les structures de son territoire. Or, les micro-crèches, financées indirectement par la Paje, n’ont pas besoin de tiers financeur, et les élus locaux ne sont donc pas, en l’état de la législation en vigueur, systématiquement informés des projets d’ouverture sur leur territoire. Cette situation devrait néanmoins évoluer avec l’application de la loi pour le plein-emploi, qui confère aux maires le pouvoir de s’opposer à l’implantation d’un EAJE sur leur territoire ([74]).
Le développement des micro-crèches Paje a cependant pu être encouragé par certaines collectivités territoriales dans la mesure où, précisément, ces dernières n’ont pas besoin de jouer le rôle de tiers financeur. Ainsi, l’instauration d’une micro-crèche peut constituer une source de moindre dépense pour les collectivités territoriales, car cela leur permet d’étendre les places en crèche sans avoir à soutenir financièrement le projet, ce que la rapporteure a d’ailleurs pu constater également dans ses déplacements.
L’Igas et l’IGF relèvent, à ce titre, que, pour certaines communes disposant de peu de moyens financiers, l’installation d’une micro-crèche Paje est perçue comme le seul moyen de bénéficier d’un EAJE sur leur territoire. En effet, comme l’a relevé France Urbaine, lors de l’audition de ses représentants par la commission d’enquête, la part des dépenses communales dédiées aux enfants de 0 à 10 ans représente environ 50 % de leurs budgets – hors énergie et bâtiments – alors que le budget des communes est de plus en plus contraint. Ce faisant, il est allégué que les arbitrages en faveur de la création d’EAJE sont difficiles à mener face à d’autres priorités (action sociale, accompagnement au vieillissement, etc.).
Par ailleurs, les micro-crèches Paje ne répondent pas réellement à l’objectif assigné à la politique familiale en matière de réduction des inégalités, notamment sociales, dans la mesure où l’accueil des enfants au sein de ces structures est plus coûteux pour les familles que l’accueil dans les crèches PSU. Cela remet en cause l’égalité d’accès au service public, qui devrait prendre de plus en plus d’importance avec la montée en puissance du service public de la petite enfance. Dans leur rapport relatif aux micro-crèches, l’Igas et l’IGF observent ainsi que le coût élevé des micro-crèches se traduit par une surreprésentation des familles aisées et par de faibles durées de garde pour les revenus les plus faibles.
Il est cependant peu aisé de retracer précisément les évolutions des micro-crèches, étant entendu que la Cnaf, qui n’en est pas le financeur direct, ne dispose pas d’informations détaillées quant au statut des EAJE financés par la Paje. La Cnaf a cependant fait valoir que des travaux ont été initiés pour tenter de mieux appréhender les réalités des micro-crèches Paje.
4. Le développement du secteur privé lucratif fait l’objet de critiques grandissantes
La logique de rentabilité économique inhérente au modèle du secteur privé lucratif est aujourd’hui opposée, à tort selon la rapporteure, par de nombreux acteurs à la satisfaction des besoins fondamentaux des enfants. Certains acteurs de la petite enfance ont pu affirmer que la logique de rentabilité inhérente au modèle des groupes privés lucratifs ne serait pas compatible, par nature, avec la satisfaction des besoins des jeunes enfants. Ces critiques ont été renforcées par la présence de fonds d’investissement et de fonds de dette au capital des grands groupes privés soulevant ainsi l’enjeu d’une « marchandisation » du secteur de la petite enfance et de stratégies financières internationales.
La rapporteure ne partage pas ces constats : elle estime que le modèle des crèches du secteur privé lucratif n’est pas incompatible par nature avec les besoins des enfants. Néanmoins, elle souhaite ici restituer les travaux de la commission d’enquête à ce sujet.
a. Les critiques relatives au lien entre la recherche de rentabilité, propre au secteur privé lucratif, et les graves dysfonctionnements constatés au sein des crèches
● Bien que les dysfonctionnements constatés au sein des EAJE soient loin d’être l’apanage des établissements gérés par le secteur privé lucratif, des critiques relatives à la recherche de rentabilité du secteur privé lucratif ont pu être exprimées.
Il a été avancé par diverses personnes auditionnées devant la commission d’enquête que la logique de rentabilité inhérente au secteur privé lucratif engendrerait des dysfonctionnements contraires aux besoins et aux droits fondamentaux des enfants accueillis. Cette logique serait, par essence, inadaptée au monde des enfants en construction et à leur vulnérabilité.
La rapporteure ne partage pas cette analyse. En effet, le rapport de l’Igas de 2023 ([75]), de même que les constats réalisés par la rapporteure sur le terrain et lors des auditions, démontrent que les défaillances dans les conditions d’accueil du jeune enfant en crèche ne sont pas l’apanage du secteur privé lucratif. De plus, les travaux de la commission ont démontré que la rentabilité économique du secteur – et in fine la satisfaction des intérêts des investisseurs – repose sur la confiance des familles envers la crèche, qui se trouve rompue en cas d’atteinte grave à la qualité d’accueil des enfants. Dès lors, il ne peut y avoir de gain financier sans garantie de la satisfaction, et donc de recherche de la qualité.
Certes, le jeune enfant a besoin, pour s’épanouir, d’évoluer à la faveur d’un rythme lent, et de bénéficier de stabilité, notamment affective. À ce titre, la pratique de l’accueil temporaire des enfants en EAJE, de même que l’accueil en surnombre, qui visent d’abord à répondre aux besoins des parents, ne s’inscrivent pas dans cette approche qualitative. Cependant, cette pratique existe au sein de tous les types d’EAJE et est essentiellement liée au fonctionnement de la PSU (voir première partie, II, A, 1), et non, par principe, à la recherche de rentabilité des crèches du secteur privé lucratif.
Par ailleurs, les reproches relatifs à l’existence d’une logique de « remplissage » au sein des crèches privées lucratives, concernent en réalité les EAJE de tout statut juridique. En effet, c’est le financement par la PSU qui oblige les gestionnaires de crèches à optimiser en permanence le niveau d’occupation de leur structure, pour améliorer leur taux de facturation, dont dépend le montant des versements de la branche famille qu’ils perçoivent (voir première partie, II, A, 1).
De même, la volonté de réaliser des économies sur la masse salariale, en réduisant au minimum autorisé le nombre de personnels présents dans les crèches, voire en ne respectant pas les taux d’encadrement, ne semble pas propre au secteur privé lucratif. Si de telles dérives ont pu être signalées au sein des grands groupes – sans que la rapporteure dispose d’éléments lui permettant d’en vérifier la réalité et d’en mesurer l’ampleur – les mêmes constats ont pu être réalisés dans des crèches publiques et associatives.
Lors de ses visites de terrain, la rapporteure a elle-même constaté que des élus locaux, confrontés à l’augmentation des coûts de la crèche municipale, mais ne souhaitant pas fermer l’établissement ou supprimer des places, ont pu réduire leur personnel, au point de ne plus respecter les normes relatives au taux d’encadrement. Malgré les alertes, la situation a duré plusieurs mois, sans que les autorités de contrôle interviennent.
b. La question de la financiarisation du secteur de la petite enfance, à travers la présence de fonds d’investissement et de fonds de dette au capital de groupes de crèches
Des critiques portent sur la présence des fonds d’investissement au capital des groupes de crèches, en ce que leur présence aurait un impact sur la qualité d’accueil. La rapporteure souligne toutefois que cette qualité est la condition sine qua non de l’intérêt financier de ces investisseurs à l’égard du secteur. Néanmoins, dans les faits, il convient de noter que leur poids dans le processus décisionnel des groupes peut s’avérer déterminant.
i. La présence des fonds d’investissement ou de dette au capital des groupes de crèches.
Depuis leur création, afin de soutenir leur stratégie de croissance, les grandes entreprises de crèches ont progressivement ouvert leur capital à des fonds d’investissement ou fait appel à des fonds de dette. En devenant actionnaires des groupes de crèches, ces fonds ont apporté de nouvelles sources de financement, permettant d’étendre le réseau de structures, en France mais aussi à l’international.
– L’entreprise Babilou, fondée par MM. Rodolphe et Édouard Carle, a ouvert son capital en 2008 à Alpha Private Equity Fund à hauteur de 46 %. Au cours de la période 2008-2013, les fondateurs se sont également rapprochés d’autres entreprises de crèches (Iziy-Les enfants d’abord !, Tout Petit Monde, Garderisettes, et La Ronde des Crèches) afin de former le groupe Babilou.
À partir de 2013, le groupe commence son extension à l’international. En 2014, Babilou rachète les crèches 123 Soleil. La même année, Société Générale Capital Partenaires ainsi que la société belge Cobepa rentrent au capital de l’entreprise à hauteur de 20 % chacune, les fondateurs conservant 60 % du capital. L’actionnariat du groupe va alors évoluer au gré de la revente des actions entre les investisseurs successifs. En 2017, le fonds américain TA Associates prend part au capital de Babilou, les fondateurs demeurant majoritaires avec 60 % des actions. En 2020, le fonds d’investissement Antin Infrastructure Partners est entré au capital du groupe Babilou en acquérant une part majoritaire du capital auprès de ses actionnaires historiques, soit 52 %. En 2021, le fonds a augmenté sa participation à hauteur de 57 % suite à deux augmentations de capital, portant ainsi son investissement total dans le groupe Babilou à 590 millions d’euros.
– Le groupe Grandir – Les Petits Chaperons Rouges, a été fondé en 2000 par M. Jean-Emmanuel Rodocanachi. En 2016, le fonds d’investissements Eurazeo y a investi 134 millions d’euros en fonds propres et en obligations convertibles, pour détenir ainsi 41 % du capital, aux côtés de Bpifrance, qui prend une participation de 8 % – 25 millions d’euros – et du fondateur et président-directeur général, qui conserve 51 % des parts.
En 2021, le fonds d’investissement Infravia entre au capital du groupe en rachetant les actions d’Eurazeo et de Bpifrance. Depuis, Infravia est devenu l’actionnaire majoritaire du groupe Grandir, avec 61 % du capital – 251 millions d’actions et 167 millions d’obligations – et détient 37 % des droits de vote. Le fonds d’investissement Arkéa est également présent, indirectement, au capital du groupe Grandir, par l’intermédiaire d’une participation minoritaire dans Athina Conseil, la société par laquelle M. Jean-Emmanuel Rodocanachi, investit au sein du groupe. Ainsi, un représentant d’Arkéa est présent au conseil de surveillance de Grandir, qui compte une douzaine de membres.
– Le groupe La Maison Bleue a été fondé en 2004 par M. Sylvain Forestier et Antonia Ryckbosch. En 2012, l’entreprise a ouvert son capital aux fonds d’investissement Activa et EPF Partners. Dans le cadre d’une réorganisation, à la fin de l’année 2016, leurs participations ont été cédées à Bpifrance, d’une part, et TowerBrook, d’autre part, à hauteur de 20 % chacun, tandis que le fondateur, M. Sylvain Forestier, conserve 60 % du capital du groupe.
– Enfin, s’agissant de People&Baby, son président fondateur M. Christophe Durieux, s’est satisfait, lors de son audition devant la commission d’enquête du fait que « People&Baby est la seule entreprise du secteur à détenir 100 % de son capital », après avoir racheté les actions détenues par ses deux précédents actionnaires, Bpifrance et le groupe CM-CIC. Toutefois, les travaux de la commission d’enquête ont montré que cette affirmation était pour le moins sujette à caution, comme les évènements survenus ultérieurement l’ont du reste montré.
Le cas spécifique de People&Baby et du fonds de dette Alcentra
Lors de son audition, les co-fondateurs de l’entreprise People&Baby, M. Christophe Durieux et Mme Odile Broglin ont revendiqué l’absence de fonds d’investissement au capital de leur entreprise, en soulignant que cela garantissait leur totale indépendance en matière d’orientation stratégique : auditionné sous serment, M. Christophe Durieux avait ainsi déclaré qu’ils s’étaient séparés de leurs précédents fonds d’investissement « pour jouir d’une indépendance plus forte » en contractant une dette qui « garantit l’autonomie de [leurs] décisions » et leur permettait, selon lui, de « garder le contrôle » du groupe. Les deux fondateurs avaient brièvement évoqué la présence d’un fonds de dette, sur lequel ils avaient choisi de s’appuyer pour développer l’entreprise.
À la suite de l’audition, et suite aux critiques émises par les membres de la commission d’enquête concernant l’opacité de la structure juridique du groupe et de son actionnariat, People&Baby a fait parvenir à la rapporteure des documents rectificatifs faisant état d’une participation du fonds de dette Alcentra au capital de l’entreprise, à travers la cession d’une action de préférence. La rapporteure a alors constaté que les statuts du groupe avaient été modifiés pour permettre à Alcentra de se porter acquéreur, le cas échéant, de 23 000 actions supplémentaires.
Or, précisément, en raison du non-paiement des intérêts de sa dette par le groupe People&Baby, le fonds de dette Alcentra a fait usage de son droit de préférence le 18 avril 2024 pour destituer M. Christophe Durieux et nommer à sa place M. Philippe Tapié à la présidence du groupe le 22 avril 2024. Lors de l’audition à huis clos du fonds Alcentra, la rapporteure a pu établir que les difficultés financières du groupe dirigé par M. Durieux faisaient l’objet depuis plusieurs mois déjà de vives discussions avec Alcentra, et que l’indépendance de ses fondateurs était d’ores et déjà remise en cause.
ii. L’intérêt financier des investissements réalisés dans les groupes de crèches repose sur le long terme et la qualité du service fourni.
Les travaux de la commission d’enquête ont pu établir que les grandes entreprises de crèches ne versent aucun dividende à leurs actionnaires. La commission d’enquête s’est, en conséquence, interrogée sur l’intérêt des fonds d’investissement à prendre part au capital de ces entreprises, et in fine, sur la pertinence des critiques relatives à la financiarisation du secteur.
En effet, des critiques ont été émises, tant par certains membres de la commission d’enquête que par des personnes auditionnées, sur le principe même de la présence de fonds d’investissement dans ce secteur. Ils mettaient en avant que l’intervention de ces fonds serait à l’origine de la dégradation de la qualité d’accueil, puisqu’ils imposeraient une logique financière visant à favoriser la rentabilité économique de l’entreprise, en exigeant éventuellement une réduction des dépenses de fonctionnement et une optimisation des recettes.
Toutefois, les travaux de la commission d’enquête ont permis d’établir que les fonds d’investissements présents au capital des grands groupes de crèches n’exerçaient aucune pression sur les coûts en vue d’en améliorer la rentabilité à court terme. En effet, l’intérêt de leur investissement repose sur une logique de long terme, comme leurs représentants ont pu l’expliquer à la commission d’enquête. M. Vincent Levita, président du fonds Infravia a ainsi fait valoir que l’objectif pour le fonds est de doubler la taille de l’investissement réalisée sur une durée moyenne de six à sept ans, en fonction de la rapidité de la croissance de la société, et des difficultés potentielles rencontrées lors de son développement. Ainsi, la rentabilité de l’investissement initial dépend de la plus-value réalisée au moment de la vente des participations à un nouvel investisseur, et non pas du versement de dividendes annuels financés au détriment de la qualité d’accueil.
Le secteur des crèches présente un intérêt pour les investisseurs car il répond à un besoin fondé sur des tendances de long terme, à savoir la démographie, l’éducation des jeunes enfants, la participation des femmes au marché de l’emploi. Comme le relève le fonds de dette Alcentra dans ses réponses écrites, « il y aura toujours des bébés » ([76]), ce qui en fait un investissement moins risqué comparativement à d’autres secteurs. Par ailleurs, le secteur des crèches présente un fort potentiel de croissance, à la fois en France et à l’international, la demande de places de crèches étant nettement plus forte que l’offre ; d’importants investissements restent à réaliser, et exigent des financements conséquents. Bpifrance a ainsi relevé que ce secteur est perçu comme « résilient », car sujet à une visibilité statistique, à la prédictibilité de la demande, et positivement orienté à long terme en raison du déficit d’offre et de la valeur du modèle d’accueil collectif. Sur le long terme, c’est donc la qualité de l’accueil qui profite aux fonds d’investissement pour améliorer la plus-value réalisée lors de la revente de leurs participations.
M. Vincent Levita, président du fonds d’investissement Infravia, explique ainsi que, dans la mesure où la plus-value s’établit lors de la revente, l’intérêt du fonds, sur le long terme, est de s’assurer que la qualité d’accueil soit garantie dans les structures gérées par l’entreprise dont ils sont actionnaires, afin de ne pas s’exposer à un risque réputationnel. L’image est, en effet, particulièrement importante pour les investisseurs, notamment eu égard au développement des fonds éthiques, comme l’a fait valoir le fonds d’investissement TowerBrook.
L’audition du fonds de dette Alcentra a également démontré que la qualité de l’accueil conditionne la rentabilité de l’investissement : c’est précisément en raison des dysfonctionnements mis en lumière au sein de l’entreprise People&Baby, et notamment du décès d’une petite fille dans une crèche de son réseau, que l’entreprise a fait face à un déficit d’image, et à des difficultés économiques, qui ont fragilisé sa santé financière, et ont tendu à dévaloriser l’investissement initialement réalisé. La mauvaise gestion financière d’une entreprise, de même qu’une réputation dégradée, sont donc tout sauf profitables pour le fonds actionnaire, qui a plutôt intérêt à s’assurer de la bonne santé économique de l’entreprise concernée et de la qualité de service proposée.
De plus, le recours à un fonds de dette ou à un prêt bancaire, plutôt qu’à un fonds d’investissement, implique le paiement annuel d’intérêts, et donc le maintien d’un certain niveau de rentabilité, ce qui peut également avoir des effets sur la qualité du service proposé. Dès lors, la rapporteure estime que le recours à des fonds d’investissement ou à des fonds de dette au soutien de la stratégie de croissance des groupes de crèches ne paraît pas générer des difficultés plus importantes que le recours à une banque pour financer les investissements en matière de création de places en crèches et de consolidation de la trésorerie.
iii. Le rôle des fonds d’investissement et des fonds de dette dans les décisions stratégiques des groupes
Les fonds d’investissement et les fonds de dette jouent un rôle dans les décisions stratégiques des groupes de crèches, dans la mesure où ils en sont actionnaires. La commission d’enquête les a longuement interrogés à ce sujet, afin de comprendre l’influence qu’ils peuvent avoir sur la qualité de l’accueil proposé aux enfants par ces entreprises.
Ainsi, par exemple, si les représentants du fonds d’investissement Infravia ont fait valoir dans leurs réponses écrites qu’ils n’ont « pas le droit d’imposer une orientation stratégique, un objectif de croissance ou de rentabilité, une acquisition, l’entrée dans un nouveau pays, une pratique de rémunération » ([77]), ils indiquent néanmoins contrôler les comptes du groupe afin de s’assurer de la bonne gestion de la société, sans prise de risque excessive et « dans le respect des bonnes pratiques comptables et managériales ». Par ailleurs, le fonds admet s’assurer du niveau de rentabilité de l’entreprise concernée, afin d’être en mesure de poursuivre les investissements en faveur de son développement.
Les entreprises de crèches, en ouvrant leur capital à un fonds de dette, peuvent néanmoins être amenées à abandonner, au moins en partie, leur liberté de choix et de gestion, ce qui peut avoir des conséquences, in fine, sur la qualité de l’accueil des enfants dans les crèches, positivement ou négativement. Or, il semblerait que toutes les grandes entreprises de crèches aient également eu recours à des fonds de dette – sans que la rapporteure ait pu le vérifier. Lors de son audition devant la commission d’enquête, M. Nicolas Besson, dirigeant du fonds Alcentra, a ainsi relevé que les relations entre les entreprises de crèches et un fonds de dette telles que celles entre Alcentra et People&Baby ne sont pas une exception. La spécificité de l’exemple de People&Baby tiendrait à l’attribution d’un droit de préférence au fonds de dette, ce qui n’est pas sans conséquence sur la gouvernance du groupe. Il est néanmoins trop tôt pour connaître l’effet de la prise de contrôle sur l’entreprise, et notamment ses répercussions sur la qualité de l’accueil, les conditions de travail des salariés, ou encore l’avenir du groupe lui-même.
c. L’opacité de la structure juridique des grands groupes d’entreprises de crèches
Par ailleurs, la rapporteure souligne que les montages juridiques en termes d’organisation et de gouvernance des grands groupes de crèches sont peu lisibles.
À l’occasion de l’audition des quatre grands groupes de crèches, la rapporteure a ainsi pu découvrir certains montages ambigus. Par exemple, le groupe People&Baby détient une association à but non lucratif, Crèches pour tous. Au cours de leur audition devant la commission d’enquête, M. Christophe Durieux et Mme Odile Broglin ont expliqué que cette association était utilisée pour répondre aux appels d’offres des communes qui se montreraient hostiles aux entreprises de crèches. Dans un second temps, une fois le marché public remporté, ces derniers indiquent que l’association déléguerait la gestion de la structure au groupe People&Baby. Bien qu’assurant la fonction de trésorier de cette association, M. Durieux a déclaré ne pas connaître son chiffre d’affaires, avant de transmettre ces éléments par écrit à la suite de l’audition.
Par ailleurs, les auditions des grands groupes de crèches ont permis de mettre en lumière l’existence d’un modèle de gestion immobilière que tous semblent avoir en commun. En effet, si tous les groupes auditionnés se sont prévalus de leur statut de locataires des immeubles au sein desquels se trouvent leurs crèches, il est apparu, en réalité, au fil des auditions, que tous les fondateurs de ces groupes détiennent au moins une société civile immobilière (SCI) propriétaire d’une partie – qui peut apparaître résiduelle en nombre mais dont l’intérêt financier n’est pas négligeable – des bâtiments abritant les crèches de leur réseau, dont, par exemple, le siège social de People&Baby, situé avenue Hoche, à Paris, soit l’un des quartiers les plus chers de la capitale ([78]).
De la même manière, la rapporteure s’interroge sur la pratique des centrales d’achats de ces groupes privés, qui leur permettent de centraliser et de simplifier le processus d’achat des produits consommables, mais également de réaliser des économies d’échelle en massifiant les achats. Enfin, ils permettent de réduire la charge administrative, sans que la puissance publique, en tant que principal financeur, dispose à ce jour des informations afférentes.
La rapporteure s’interroge en effet sur les conséquences que peuvent générer la cohabitation d’intérêts contradictoires lorsque les fondateurs dirigent encore ces entreprises. Dans le cas de People&Baby, dont M. Christophe Durieux était président, actionnaire, mais aussi créancier, l’audition des représentants d’Alcentra a pu mettre en lumière l’existence de décisions prises par ce dernier en tant que dirigeant, mais qui répondent d’abord à ses intérêts en tant que créancier ([79]).
Cette opacité des structures des groupes peut également s’avérer problématique au regard des contrôles exercés sur leurs structures.
En tout état de cause, la rapporteure considère qu’il est légitime, au regard de l’importance des financements publics dans le secteur des crèches et de l’enjeu primordial de la qualité de service dans ce secteur qui accueille un public particulièrement vulnérable, que les pouvoirs publics puissent contrôler la structure de charges de ces grands groupes et puisse veiller dans la durée à ce que le recours à la dette ou l’ouverture du capital à des fonds d’investissement n’aient pas de conséquences négatives sur la qualité d’accueil. À ce titre, elle se félicite que la loi permette désormais le contrôle des comptes des grandes entreprises de crèches, et de la décision prise par le Gouvernement en avril dernier de lancer une telle opération de contrôle.
B. La qualitÉ d’accueil, un impensÉ de la politique familiale alors que les alertes concernant sa dÉgradation se multiplient
En ayant privilégié jusqu’à peu, de manière constante, le prisme quantitatif de la politique d’accueil des jeunes enfants en crèches, l’aspect qualitatif a constitué, jusqu’à récemment, un impensé.
Il en résulte une dégradation de la qualité de l’accueil des jeunes enfants, intimement liée au modèle de financement de l’accueil des jeunes enfants en crèches (voir première partie, II) mais résultant d’abord d’une pénurie de professionnels de la petite enfance. En effet, pour répondre à cette pénurie, les exigences relatives à l’encadrement des enfants par les professionnels ont été assouplies, pour tenter de maintenir et de créer des places en crèches. Cela a eu pour effet de dégrader plus encore la qualité et les conditions de travail des professionnels de crèche, et d’alimenter la pénurie de personnels. Il s’agit d’un cercle vicieux qui est entretenu par la priorité donnée à la création de places en crèches.
En tout état de cause, l’insuffisance des contrôles pesant sur les EAJE n’a pas permis d’enrayer la dynamique de détérioration de la qualité d’accueil.
1. Le constat d’une qualité d’accueil structurellement dégradée dans les crèches, quel que soit le statut juridique du gestionnaire
La rapporteure partage le constat, unanimement dressé, d’une détérioration de la qualité d’accueil des enfants au sein des crèches. Toutefois, si cette dégradation a, initialement, été mise en lumière à l’aune de dysfonctionnements au sein des EAJE relevant du secteur privé lucratif, la rapporteure a pu constater à partir des travaux de la commission d’enquête qu’elle est structurelle et concerne en réalité toutes les crèches de tout statut juridique.
a. La qualité de l’accueil en crèche se détériore
La qualité de l’accueil se détériore au détriment, en premier lieu, des enfants, mais aussi vis-à-vis des parents.
i. La qualité de l’accueil en crèche des jeunes enfants se détériore et fait obstacle à la satisfaction complète des besoins des enfants
L’Igas a documenté la diminution de la qualité de service proposée par les EAJE. Dans son rapport consacré aux maltraitances dans les crèches, l’Igas souligne ainsi que « la politique publique d’accueil s’est construite comme une politique de service aux familles, prioritairement orientée par une logique quantitative d’accroissement de l’offre sans véritable pilotage de la qualité » ([80]).
Or, il est désormais établi que les enfants, même très jeunes, même sans en avoir conscience, bénéficient de droits qui leur sont propres, que les politiques publiques ont le devoir de garantir. Il convient, à cet égard de favoriser la satisfaction de leurs besoins fondamentaux. Les 1000 premiers jours de l’enfant constituent un moment stratégique pour son développement et sa construction personnelle et exigent une attention particulière des professionnels qui l’entourent, laquelle ne peut être que sanitaire (voir deuxième partie, I, A, 3). Or, il ressort des travaux de la commission d’enquête que, précisément, la prise en charge des enfants dans les crèches est encore trop axée sur une dimension sanitaire et insuffisamment sur les enjeux de construction et de développement de l’enfant et sur les aspects pédagogiques.
Ainsi, en donnant historiquement la priorité au nombre d’enfants accueillis au sein des EAJE et à l’approche sanitaire, la politique d’accueil du jeune enfant n’a pas été conçue dans l’intérêt du développement de l’enfant. Ce choix est spécifique à la France, car la Suède et l’Allemagne, par exemple, ont fait du développement de l’enfant le premier objectif de la politique d’accueil du jeune enfant.
Il est toutefois à noter une inflexion réelle de cette approche, en particulier sous l'impulsion de la commission dite des 1000 jours qui a conduit à l’élaboration de règles relatives à la qualité d’accueil des jeunes enfants, en particulier via la consécration législative de la charte nationale pour l’accueil du jeune enfant.
La charte nationale pour l’accueil du jeune enfant
Cette charte, initialement édictée par un arrêté ministériel du 23 septembre 2021, est inscrite dans son principe à l’article L. 214-1-1 du code de l’action sociale et des familles. Elle s’adresse aux professionnels des EAJE en affirmant dix principes relatifs à la qualité d’accueil du jeune enfant au travers des six axes suivants, que les professionnels doivent respecter :
1. Veiller à la santé, la sécurité, le bien-être et le développement physique, psychique, affectif, cognitif et social des enfants ;
2. Contribuer à l’éducation des enfants dans le respect de l’autorité parentale ;
3. Contribuer à l’inclusion des familles et à la socialisation précoce des enfants, notamment ceux en situation de pauvreté ou de précarité ;
4. Mettre en œuvre un accueil favorisant l’inclusion des familles et des enfants présentant un handicap ou atteints de maladies chroniques ;
5. Favoriser la conciliation par les parents de jeunes enfants de leurs temps de vie familiale, professionnelle et sociale, notamment pour les personnes en recherche d’emploi engagées dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle et les familles monoparentales ;
6. Favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes.
Néanmoins, l’Igas souligne que malgré l’élaboration de cette charte, la définition des bonnes pratiques est demeurée « embryonnaire » puisqu’aucun référentiel opérant n’a été établi et qu’il n’existe pas de dispositif global d’évaluation de la qualité d’accueil dans les établissements. L’inspection souligne également que la diffusion parmi les professionnels de la petite enfance de la théorie de l’attachement ([81]) demeure insuffisante. Un manque de connaissances caractérise aussi la compréhension et l’accompagnement du sommeil des enfants et de leurs pleurs. La rapporteure partage ces constats, du fait de formations trop insuffisantes en la matière.
ii. La qualité de l’accueil se détériore du point de vue des parents, dans le cadre des relations qu’ils entretiennent avec les structures d’accueil
La qualité de l’accueil se détériore également vis-à-vis des parents, notamment dans le cadre des relations contractuelles qu’ils entretiennent avec les EAJE.
De pratiques trompeuses voire abusives de la part des établissements ont été mises en lumière par la DGCCRF dans le cadre d’une enquête relative au secteur des micro-crèches réalisée en 2021 ([82]).
En effectuant cette enquête auprès de 362 micro-crèches, la DGCCRF a ainsi identifié des manquements au code de la consommation et aux règles de protection économique des consommateurs, avec deux micro-crèches sur trois qui présentaient au moins une non-conformité en matière d’information délivrée, réduisant la capacité des parents à comparer les offres ou les trompant sur la prestation d’accueil délivrée. Sur ces 362 micro-crèches contrôlées, ont ainsi été adressés 208 avertissements et 80 injonctions de mise en conformité. La DGCCRF a surtout pointé du doigt la présence de clauses abusives au sens du code de la consommation, par exemple les pratiques consistant à permettre au gestionnaire de modifier unilatéralement et discrétionnairement le contrat, ou à imposer des pénalités de retard d’un montant disproportionné.
Pour la DGCCRF, les clauses qui prévoient des coûts supplémentaires ou des surfacturations injustifiées sont de nature à engendrer un déséquilibre contractuel important au détriment des familles et à porter atteinte à leurs intérêts économiques, a fortiori dans un contexte de manque de solutions d’accueil, qui prive les parents d’un réel choix. La DGCCRF a ainsi constaté, dans certains cas, que les parents devaient payer le double des arrhes (frais de réservation) versées s’ils renonçaient à la place d’accueil qu’ils avaient réservée pour leur enfant.
Par ailleurs, la DGCCRF a relevé des allégations mensongères et trompeuses de certaines micro-crèches, relatives aux prix ou aux amplitudes horaires, aux caractéristiques essentielles du lieu d’accueil en matière de superficie des locaux et de qualité des services, ou encore à la présence d’éducateurs de jeunes enfants, de médecins, de psychomotriciens ou de diététiciens mise en avant. Dans certains cas, les activités présentées dans les plaquettes publicitaires n’étaient pas proposées, par exemple les enseignements en langue des signes ou en anglais, les activités de jardinage et les ateliers animés par un intervenant extérieur – tout comme les espaces Snoezelen ([83]) n’étaient en réalité pas mis à disposition. Il ressort des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête que, dans de nombreux cas, les projets pédagogiques annoncés par les crèches ne sont pas mis en œuvre en pratique, en raison des tensions générées par le manque de personnels et le manque de contrôles afférents.
La DGCCRF a également pointé du doigt les structures qui affichent des taux de satisfaction parfois très élevés pour valoriser la qualité perçue de l’accueil sans disposer d’éléments objectifs à l’appui des chiffres avancés. La direction compare cette pratique à celle des faux avis sur Internet.
En outre, la pratique de l’accueil temporaire des enfants participe également de la dégradation des relations entre les crèches et les parents. Les travaux de la commission d’enquête ont montré que certaines crèches proposent, de manière courante, des places d’accueil temporaire ou occasionnel à des familles, tout en se réservant la possibilité d’y mettre fin dans des délais très courts si la place d’accueil venait à être réclamée par un employeur réservataire, au bénéfice d’un enfant ainsi jugé « plus rentable ». Cela peut mettre en difficulté les parents qui, lorsque cette situation n’a pas été expliquée au moment de la signature du contrat, doivent tenter de trouver en urgence une nouvelle solution d’accueil pour leur enfant. Cela présente également des difficultés pour l’enfant, qui se voit privé de ses référents affectifs presque du jour au lendemain.
b. Bien que la détérioration de la qualité de l’accueil ait, au départ, été mise en lumière dans le secteur privé, elle concerne en réalité les EAJE de tous statuts juridiques, dans une logique structurelle
La rapporteure insiste sur le fait que le secteur privé lucratif n’est pas, par nature, le seul responsable des dysfonctionnements qui ont pu être constatés dans des crèches. Ceux-ci sont avant tout le résultat de difficultés structurelles, qui affectent le secteur de la petite enfance dans son ensemble et qui s’expliquent en grande partie par le mode de financement des crèches.
i. La détérioration de la qualité de l’accueil a, au départ, été mise en lumière au sein de crèches du secteur privé lucratif
L’existence de dysfonctionnements au sein des EAJE a été mise sur le devant de la scène à la suite du décès d’une petite fille dans une crèche du groupe People&Baby, à Lyon, en 2022. C’est à la suite de cet évènement que l’Igas avait été saisie par le ministre des Solidarités afin d’évaluer la qualité de l’accueil et la prévention de la maltraitance dans les EAJE.
Suite à ce drame, la parole des professionnels de la petite enfance s’est libérée et de nombreux dysfonctionnements et situations de maltraitance ont été médiatisés au sein des grandes entreprises de crèches. Récemment, deux ouvrages journalistiques, Babyzness, de Mmes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette et Le Prix du berceau, de Mme Daphné Gastaldi et M. Mathieu Périsse, ont relaté des témoignages de parents et de professionnels de la petite enfance faisant état de graves dysfonctionnements, voire d’actes de maltraitance au sein des EAJE, tels que rapportés dans le rapport de l’Igas précité de 2023.
● Dans leur ouvrage Le Prix du berceau, les journalistes Mme Daphné Gastaldi et M. Mathieu Périsse ont, par exemple, documenté l’existence d’une prime, au sein du groupe Les Petits Chaperons Rouges, octroyée aux directrices de crèches qui parviendraient à limiter le gaspillage de nourriture dans leurs établissements. Si l’objectif de lutte contre le gaspillage alimentaire est légitime, dans les faits, l’instauration de cette prime aurait pu les inciter, selon les journalistes, à commander moins de repas, au risque de ne pas avoir suffisamment de portions de nourriture à proposer aux enfants présents, notamment lorsque plus d’enfants que prévus étaient accueillis un jour donné. Les journalistes relatent, dans leur ouvrage, le témoignage de parents affirmant que leurs enfants étaient « affamés » lorsqu’ils venaient les chercher le soir.
Les représentants du groupe Les Petits Chaperons Rouges ont été interrogés à ce sujet lors de leur audition devant la commission d’enquête. Mme Élodie Colas, directrice régionale Nord et Ile-de-France, a réfuté l’existence d’une prime au bénéfice des directrices d’établissements qui rationneraient la nourriture des enfants en affirmant que : « la consigne est bien de commander au moins 100 % des repas par rapport au nombre d’enfants prévus. En 2023, nous avons reçu 150 % de repas, ce qui représente un excédent de 250 000 repas environ : l’équivalent d’un déjeuner pour la ville de Bordeaux. Étant une entreprise engagée dans la RSE, nous avons à cœur de sensibiliser nos équipes à la problématique du gaspillage alimentaire » ([84]). En l’état, il n’est pas possible d’établir qu’il ait réellement existé une quelconque volonté de faire des économies sur les repas des enfants en les privant de nourriture
D’autres témoignages relayés par les journalistes font état de directeurs de crèches devant en permanence rendre des comptes à des managers étrangers au monde de la petite enfance, à un rythme les empêchant de se focaliser aux ateliers pédagogiques ou à la qualité de l’accueil. Selon Mme Daphné Gastaldi, entendue par la commission d’enquête, la logique de rentabilité à l’œuvre dans le secteur privé lucratif pourrait induire des maltraitances d’ordre économique, avec des crèches « surbookées » pour être le plus rentables possible, et des personnels qui ne sont pas remplacés à temps ou qui sont déplacés dans une autre structure du même groupe, au détriment de leur repos ou du projet pédagogique.
Si ces témoignages sont évidemment importants, la rapporteure tient à souligner que les journalistes auteurs de ces deux ouvrages ont fait le choix délibéré de n’enquêter que sur les crèches du secteur privé lucratif. Aussi, il n’est pas possible de comparer les pratiques dénoncées avec celles des crèches du secteur public ou associatif et l’on ne peut affirmer de manière catégorique que les dysfonctionnements observés sont caractéristiques du seul secteur privé lucratif, et ce d’autant plus que le rapport de l’Igas et les travaux de la commission d’enquête ont clairement établi que des conditions d’accueil dégradées pouvaient être constatées dans tout type de crèche, quelle que soit la nature juridique du questionnaire.
● Par ailleurs, il ressort des réponses apportées par les PMI au questionnaire adressé par la rapporteure qu’une partie d’entre elles tendent à contrôler plus souvent les crèches privées que les crèches publiques, ce qui biaise également toute conclusion statistique et empêche l’établissement d’un lien de causalité à partir des résultats des contrôles qu’elles opèrent. Sur les 69 PMI ayant répondu au questionnaire de la rapporteure, 5 des PMI qui disposent d’un plan de contrôle (étant entendu que toutes les PMI ne disposent pas d’un plan de contrôle, voir Première partie, I, B, 4, b) font la distinction dans la régularité des contrôles effectués selon que l’EAJE est public ou privé, avec une tendance à contrôler moins régulièrement les EAJE du secteur public. En tout état de cause, de facto, si les crèches privées sont plus régulièrement contrôlées que les crèches publiques, il est logique que le nombre de dysfonctionnements constatés lors des contrôles y soit plus élevé.
La rapporteure n’a pas pu, pour sa part, établir de causalité entre la gestion d’une crèche par des acteurs privés lucratifs et l’existence de dysfonctionnements. En revanche, ce qui apparaît plus clairement, et de manière plus étayée, c’est l’existence de difficultés structurelles dans le secteur de la petite enfance, résultant notamment du système de financement des crèches, qui peuvent être à l’origine des dysfonctionnements constatés dans les EAJE de toute nature.
Pour autant, la rentabilité inhérente au secteur du privé lucratif doit tout de même faire l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics. Ainsi, Mme Sylviane Giampino a relevé lors de son audition devant la commission d’enquête que « pour certains opérateurs, le profit et les manipulations qui ont été mis en lumière passent avant l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant ». ([85])
ii. La dégradation de la qualité d’accueil concerne en réalité les crèches de tous statuts
Il ressort des travaux de la commission d’enquête, comme le soulignait déjà l’Igas dans son rapport portant sur les maltraitances dans les crèches ([86]), que les dysfonctionnements au sein des EAJE résultent de problématiques structurelles au sein du secteur. À cet égard, la majorité des PMI interrogées par la rapporteure ne font aucune distinction en fonction de la nature des EAJE et considèrent que les dysfonctionnements concernent toutes les crèches, quel que soit le statut juridique de leur gestionnaire ; le constat est le même sur le terrain.
Selon l’Igas, la dégradation de la qualité d’accueil au sein des crèches tient essentiellement à ce que l’objectif de la qualité d’accueil du jeune enfant n’a jamais été priorisé par rapport aux objectifs quantitatifs de solutions d’accueil pour le plus d’enfants possibles sur une classe d’âge concernée. En effet, les objectifs quantitatifs liés à la création de nouvelles places, à l’amélioration du taux d’occupation des structures et à l’allègement des taux d’encadrement pour faire face aux pénuries de professionnels pouvaient difficilement aller de pair avec le développement de la qualité d’accueil au sein du secteur.
Il n’existe par ailleurs, en l’état actuel, aucun pilotage de la qualité d’accueil des jeunes enfants en EAJE. Sans pilotage de la qualité, l’Igas a donc pu constater, tous types d’EAJE confondus, une grande hétérogénéité de la qualité proposée.
L’absence de pilotage caractérise la politique d’accueil du jeune enfant
La Direction de la sécurité sociale (DSS) est sous l’autorité conjointe de la ministre du travail, de la santé et des solidarités et du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que de certains de leurs ministres délégués, dont le ministre délégué aux comptes publics.
La DSS exerce la tutelle de la Cnaf et entretient à ce titre des liens avec la Caisse pour la mise en œuvre des politiques publiques qui lui sont confiées, tout comme la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), qui est chargée de la conception, du pilotage et de l'évaluation des politiques publiques de solidarité, de développement social et de promotion de l'égalité favorisant la cohésion sociale et qui veille à la cohérence nationale et territoriale de ces politiques. Aussi, elle exerce une cotutelle sur trois organismes de sécurité sociale, dont la Cnaf.
La DSS participe aux différents groupes de travail, à l’initiative de la Cnaf, comme le comité partenarial pour la petite enfance réunissant des représentants des gestionnaires d’établissements (collectivités locales, mutualités et associations, entreprises), mais aussi aux groupes de travail et aux réunions plénières du comité de filière pour la petite enfance dont le secrétariat général est assuré par la direction de projet « service public pour la petite enfance », placée auprès du directeur de la sécurité sociale. Les relations avec la direction du budget sont plus limitées et centrées sur les enjeux de fixation de l’enveloppe du FNAS, notamment lors des négociations quinquennales des COG.
Par ailleurs, la DSS n’entretient pas de lien direct avec les collectivités territoriales, sauf de manière ponctuelle, à l’occasion de certains projets conduisant à des échanges avec l’Assemblée des départements de France, par exemple.
En vertu de l’article 17 de la loi pour le plein-emploi de 2023, à compter du 1er janvier 2025, les communes deviennent les autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant et sont, à ce titre, compétentes pour :
Recenser les besoins des enfants de moins de trois ans et de leurs familles en termes de services aux familles, et les modes d’accueil disponibles sur le territoire ;
Informer et accompagner les familles des enfants de moins et trois ans et les futurs parents ;
Planifier, au regard du recensement de ces besoins, le développement des modes d’accueil ;
Soutenir la qualité des modes d’accueil.
Il convient de noter que les deux premières compétences doivent être exercées obligatoirement par toutes les communes et que les deux dernières ne seront exercées obligatoirement que par les communes de plus de 3 500 habitants.
Pour l’exercice de la troisième compétence, les communes de plus de 10 000 habitants devront mettre en place un schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant, sauf les communes ayant conclu avec un organisme débiteur de prestations familiales une convention dont le contenu correspondrait avec celui du schéma. Le contenu et modalités de ce schéma seront précisés par décret.
Pour l’exercice de la deuxième et de la quatrième compétences, les communes de plus de 10 000 habitants devront mettre en place un Relais petite enfance (RPE) avant le 1er janvier 2026.
Lors de son audition devant la commission d’enquête, M. Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France, mettait en exergue qu’en pratique, la vie quotidienne des familles et des services qui leur sont destinés s’organisent à l’échelle de l’intercommunalité. Or, la rédaction floue de cet article 17 ne permet pas de savoir si les communes qui ont transféré la compétence à une intercommunalité devront de nouveau transférer cette compétence. Thomas Fromentin relève qu’un tel cas de figure serait susceptible de remettre en cause des équilibres travaillés sur le long terme.
La rapporteure estime ainsi que, dans les décrets d’application, il faudra veiller à ce que l’exercice de la compétence petite enfance par les intercommunalités compétentes avant l’entrée en vigueur de la loi plein emploi ne nécessite pas de nouvelles délibérations de l’intercommunalité et de ses communes membres, et à attribuer dans ce cas une place dans la gouvernance au bénéfice des intercommunalités. De manière générale, il serait bénéfique que la Direction générale des collectivités locales, la DGCS, la Cnaf et Intercommunalités de France travaillent de concert sur ces éléments.
Il est à noter que, selon les informations fournies par la DSS, un décret d’application relatif au contenu du schéma et aux modalités de la concertation préalable à l’établissement du schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant devrait paraître en juillet 2024.
En l’état actuel des choses, la rapporteure constate donc que le défaut de pilotage produit des conséquences négatives sur la qualité de l’accueil dans les crèches, d’autant que ce défaut de gouvernance se retrouve au niveau local, où il est nécessaire de se doter des outils adéquats pour en construire une rapidement.
Ainsi, le défaut de pilotage observé jusqu’à présent dans la politique d’accueil du jeune enfant n’a pas permis de donner la priorité aux critères de qualité au sein des EAJE. Il conviendra d’évaluer si l’article 17 de la loi pour le plein-emploi permet une évolution à cet égard dans les prochaines années.
Par ailleurs, l’IGAS relevait dans son rapport sur les maltraitances dans les crèches que le risque de dérives et de maltraitances est trop méconnu, insuffisamment considéré et maîtrisé, et que la question de la maltraitance demeure un impensé de l’accueil collectif. En effet, la rapporteure a pu constater, au fil des auditions, que les formations et les réflexions sur la maltraitance au sein des EAJE concernent essentiellement le repérage et le signalement des violences intrafamiliales et que la maltraitance qui peut exister en crèche ne fait pas suffisamment l’objet de formations et de réflexions.
Cependant, la dégradation structurelle de l’accueil des jeunes enfants résulte, du fait d’un sous-financement structurel, de la pénurie de professionnels, et du manque de contrôles pesant sur les EAJE.
2. La dégradation de la qualité de l’accueil des enfants en crèches résulte essentiellement d’une pénurie de professionnels pour encadrer les enfants
La pénurie des professionnels de la petite enfance constitue le cœur de la problématique de la dégradation des conditions d’accueil des enfants en crèche, dans la mesure où l’accueil et le bon développement des enfants s’appuient d’abord sur des femmes – le secteur de la petite enfance est très féminisé – qui sont à leur contact au quotidien. Cette pénurie repose sur des causes profondes, et devrait continuer à s’aggraver.
a. La pénurie de professionnels de la petite enfance : une réalité vouée à s’aggraver dans les années à venir
Les chiffres de la pénurie des professionnels de la petite enfance, particulièrement inquiétants, s’expliquent par de multiples raisons en avec le défaut d’attractivité des métiers de la petite enfance.
i. La pénurie de professionnels de la petite enfance : éléments chiffrés
● En 2022, la Cnaf a présenté les résultats de son enquête nationale sur la « Pénurie de professionnels en EAJE ». Selon la Cnaf, il manque a minima 10 000 professionnels formés dans les crèches ([87]) pour rouvrir les berceaux gelés actuellement alors que, dans le même temps, plus de la moitié des assistantes maternelles partiront à la retraite d’ici 2030, ce qui amplifiera la pression qui pèse sur les EAJE pour accueillir les jeunes enfants.
Portant sur 15 986 crèches collectives offrant 411 959 places d’accueil, l’enquête de la Cnaf dresse un constat alarmant sur la situation dans les EAJE : près de la moitié (48,6 %) des crèches collectives déclarent un manque de personnel auprès des enfants. Ainsi, 8 908 postes auprès d’enfants sont déclarés durablement vacants ou non remplacés au 1er avril 2022, soit entre 6,5 % et 8,6 % de l’effectif total de professionnels auprès des enfants. Cette enquête fait état de 9 512 places qui sont durablement fermées ou inoccupées à cause d’une difficulté de recrutement, soit 2,3 % du total des places recensées dans le cadre de cette enquête. La part des places fermées étant significativement moins élevée que la proportion de postes vacants, cela signifie, d’après le syndicat Force ouvrière, qu’un certain nombre d’EAJE fonctionnent avec des effectifs en tension. De plus, plus d’une crèche sur dix serait concernée par le nombre de postes de direction manquants.
L’Institut de formation, d’animation et de conseil (Ifac) souligne par ailleurs dans ses réponses écrites au questionnaire adressé par la rapporteure que le manque de professionnels est plus élevé au sein des micro-crèches, où il y aurait 23,71 ETP manquants pour 1 000 places, contre 21,62 ETP pour 1 000 places en moyenne tous EAJE confondus.
Il est cependant délicat d’obtenir des chiffres exhaustifs : l’enquête de la Cnaf reposait en effet sur un taux de réponses de seulement 51,1 %.
● Si l’on tient compte l’objectif de création de 200 000 solutions d’accueil supplémentaires, tous modes de garde confondus, d’ici 2030, la Cnaf estime qu’il faudrait former 70 000 professionnels supplémentaires pour couvrir l’intégralité du besoin. Cependant, les chiffres ne sont pas les mêmes pour tous les acteurs du secteur. Selon le rapport du HCFEA « Accueil des enfants de moins de trois ans », les besoins de créations de solutions d’accueil se situeraient entre 150 000 et 700 000 places à horizon 2027 ([88]). Une approche intermédiaire consiste à utiliser les attentes exprimées par les parents. D’après le baromètre petite enfance 2021 de la Cnaf ([89]), 78 % des parents d’enfants entre 6 et 12 mois déclarent souhaiter un mode d’accueil formel pour leur jeune enfant ; pour répondre à ce souhait, il faudrait créer à horizon 2027 entre 180 000 et 250 000 places selon les hypothèses.
En parallèle, les élus constatent également une baisse de la qualité des candidatures des professionnels de la petite enfance diplômés. À ce titre, l’Association des maires de France (AMF) interpelle régulièrement la branche famille sur le manque de professionnels formés pour travailler au sein des EAJE et alerte par ailleurs sur le fait que, contrairement à ce qui a pu être fait, en particulier pour les micro-crèches (voir première partie, I, B, 3, a), il ne faut pas que la réponse à cette pénurie soit une baisse des exigences de qualification pour travailler en EAJE ([90]). Pour l’association nationale des psychologues de la petite enfance (Anapsy-PE), il y a également eu un impact considérable de la crise sanitaire liée au Covid-19 sur la perte de sens des métiers de la petite enfance, avec un délitement des espaces de pensées et de liens généré par la priorité qui a alors été donnée aux protocoles et au strict accueil des enfants durant les deux années de crise, le recul des temps d’échange et de réunion entre professionnels, considérés comme « non essentiels » ([91]).
ii. Les raisons de la pénurie de professionnels de la petite enfance : des causes multiples tendant à un cercle vicieux appelant une réponse urgente des pouvoirs publics
Les raisons de la pénurie de professionnels de la petite enfance sont nombreuses, et ont notamment trait à un manque d’attractivité des métiers, qui, comme l’a souligné en audition Force Ouvrière, n’est pas une nouveauté, mais caractérise les professions du secteur depuis plus d’une décennie.
Les causes de ce manque d’attractivité sont multiples :
– Un manque d’attractivité résultant du très faible niveau des salaires à mettre en regard des difficultés rencontrées sur le terrain et de la pénibilité revendiquée de ces métiers. Par ailleurs, selon FO, le fait de pouvoir désormais recruter – sous certaines conditions – jusqu’à 15 % de non-professionnels (sans diplôme ni expérience) depuis l’arrêté du 29 juillet 2022 ([92]), a pour conséquence une dévalorisation des métiers de la petite enfance, laissant penser que tout le monde peut effectuer les tâches des professionnels d’EAJE, alors qu’il s’agit d’un métier à part entière qui nécessite des qualifications particulières. Cette absence de reconnaissance des métiers et des qualifications tire les salaires vers le bas.
À ce titre, on peut relever que, depuis le Ségur de la santé, les auxiliaires de puériculture tendent à privilégier les crèches hospitalières, au détriment des crèches municipales, car les professionnels y bénéficient désormais d’une rémunération plus avantageuse à compétences égales.
Une augmentation des salaires de la petite enfance entre 100 et 150 euros par mois a toutefois été annoncée et budgétée dans le cadre de la Cog 2023-2027. Cependant, en pratique, la mise en œuvre de cette augmentation est complexe. En effet, dans la mesure où ni l’État, ni la branche famille ne sont l’employeur de ces professionnels, la Cog prévoit le financement de ces augmentations à hauteur de 66 % (conformément au modèle actuel de la PSU), lorsque ces augmentations salariales auront été négociées au sein des conventions collectives nationales dans le secteur privé (étant entendu que neuf conventions collectives sont applicables au secteur de la petite enfance), ou votées et mises en œuvre par les collectivités employeurs via le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP). Le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE) juge cette augmentation – bien que bienvenue – encore insuffisante, étant entendu que les professionnels de la petite enfance ont un salaire médian inférieur de 300 euros nets au salaire médian français.
– Un manque de reconnaissance sociale. Christine Schuhl relève que « dans l’imaginaire collectif, les personnes qui travaillent avec des enfants sont forcément très gentilles mais n’ont pas nécessairement besoin d’être très intelligentes » ([93]) alors que, précisément, s’occuper d’enfants relève d’une responsabilité cruciale non seulement à l’égard des enfants eux-mêmes, vulnérables, et de leurs parents, mais vis-à-vis de la société dans son ensemble. Surtout, comprendre un enfant suppose une formation spécifique et des qualités humaines et professionnelles dont tout le monde ne bénéficie pas.
– Une perte de sens des professionnels en raison de la recherche permanente de recettes pour assurer le fonctionnement des structures. En effet, il ressort des auditions de la commission d’enquête que les professionnels des structures sont parfois frustrés des tâches qu’ils doivent réaliser. C’est tout particulièrement le cas des directeurs de crèches, qui passent très peu de temps auprès des enfants et de leurs équipes, ce qui est pourtant en principe le cœur de leur métier, mais tendent avant tout à accomplir des tâches administratives, liées aux modalités de fonctionnement de la PSU, et à jouer le rôle de commerciaux pour tenter d’accroître le taux d’occupation de la structure et donc les financements associés.
Il existe, selon le SNPPE, un « fossé » entre la formation des professionnels de la petite enfance et la réalité du terrain. Pour le syndicat, les formations ne sont pas suffisamment « en phase » avec la réalité. La conséquence est qu’une fois en poste, certains professionnels ne parviennent pas à se projeter dans ce secteur sur plusieurs années et cherchent, dès lors, à se reconvertir. Il y a par ailleurs beaucoup de déperditions d’étudiants au cours des formations lorsque ceux-ci découvrent la réalité du terrain.
– Des conditions de travail détériorées et une pénibilité du travail. Le manque de professionnels entraîne un cercle vicieux dans la mesure où, du fait de la pénurie de professionnels, les conditions de travail au sein des EAJE sont de plus en plus dégradées, et les équipes doivent faire face à un stress croissant. Selon le SNPPE, la pénurie de professionnels génère le sentiment croissant, pour les personnels des EAJE, de faire de la « garderie » plutôt que de l’accueil des enfants avec un réel projet éducatif.
Par ailleurs, le SNPPE considère que la pénibilité du travail en EAJE n’est pas assez reconnue, alors même que les contraintes physiques et psychologiques, pour les professionnels, sont extrêmement fortes : manutentions manuelles (port répété d’enfants, postures accroupies, à genoux, bras en extension, rangement des jeux, déplacement du mobilier, entretien du linge), nuisances sonores (cris, pleurs des enfants, chute d’objets, déplacements du mobilier), sols glissants ou encombrés par des jouets, stockage en hauteur entraînant des chutes ou glissements, risques psychosociaux et stress au travail, contacts quotidiens avec des enfants potentiellement malades.
– L’insuffisance des perspectives d’évolution professionnelle. Bien que les groupes de crèches privées lucratives aient souligné qu’il était possible d’évoluer professionnellement, à travers l’exemple de professionnels initialement détenteurs d’un CAP Petite Enfance, devenus auxiliaires de puériculture puis éducateurs de jeunes enfants, avant d’évoluer vers des postes de direction, il semble qu’en réalité, les perspectives d’évolution soient davantage à nuancer. À l’heure actuelle, le SNPPE rappelle que l’avancement des professionnels de la petite enfance passe essentiellement par le biais de la validation d’acquis d’expérience (VAE) ; or, par définition, il ne s’agit que de la validation d’une expérience déjà acquise, et, dans les faits, une auxiliaire de puériculture ne peut pas valider une expérience en tant qu’éducatrice de jeunes enfants en étant sur un poste d’auxiliaire de puériculture. Il faut ajouter à cela le manque de perspectives d’évolution professionnelle en dehors des crèches, pourtant nécessaire, à terme, du fait de la pénibilité de ces métiers.
Par ailleurs, l’Ifac invoque comme source de difficultés l’absence d’unité de branche et du métier, avec une multiplicité d’employeurs privés, publics, associatifs, et une multitude de métiers, qui induisent un dialogue social éclaté et une absence de pilotage global des métiers de la petite enfance, et constituent un frein majeur à une professionnalisation des métiers de la petite enfance.
L’ensemble de ces éléments génèrent et alimentent la pénurie de professionnels de la petite enfance : la pénurie s’auto-entretient, dans le cadre d’un cercle vicieux. En effet, les pouvoirs publics ont tenté de remédier au manque de personnels en assouplissant les conditions d’embauche ou les taux d’encadrement, ce qui a pour conséquence de dégrader d’autant plus les conditions de travail des professionnels – qui doivent prendre le temps de former des collègues moins qualifiés, ou qui sont moins nombreux pour prendre soin d’un même nombre d’enfants. Face à ces conditions de travail dégradées, et dans un contexte de sous-effectifs, de plus en plus de professionnels quittent le secteur, ce qui alimente d’autant plus la pénurie.
Le cumul de toutes ces causes explique le manque d’attractivité de ces métiers et produit un effet « boule de neige » : il devient difficile de déterminer les axes prioritaires à travailler et les places de formation demeurent inoccupées malgré les besoins pressants.
iii. La difficulté de cartographier précisément les besoins de formation
La commission d’enquête a pu constater, en audition, le désengagement des régions, pourtant compétentes en matière de formation professionnelle, sur la question de la pénurie de professionnels de la petite enfance. Lors de son audition devant la commission d’enquête, Mme Françoise Jeanson, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine, n’a pas été en mesure d’éclairer les membres de la commission d’enquête quant à l’ampleur de la pénurie et de détailler les réponses apportées par les régions pour y remédier. Au contraire, elle a déploré qu’aucune instance n’apporte ces éléments aux régions et a appelé de ses vœux la réalisation d’un « travail de dentelle » pour savoir quels professionnels manquent et sur quels territoires.
Pourtant, en vertu de l’article L. 6121-1 du code du travail, les régions sont compétentes en matière de « politique régionale d’accès à la formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle ». À ce titre, cet article précise notamment que la région assure la mission de définir et de mettre en œuvre la politique de formation professionnelle et élabore le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle. La rapporteure regrette que les régions ne se soient pas pleinement emparées de leurs compétences en matière de formation professionnelle pour élaborer, à leur échelle, des plans de formation des professionnels de la petite enfance, correspondant sur le plan quantitatif et qualitatif à l’étendue du besoin.
Au niveau départemental, les comités départementaux de services aux familles (CDSF) identifient les besoins en places d’accueil du jeune enfant dans le cadre des schémas départementaux de service aux familles, qui sont ensuite déclinés dans les conventions territoriales globales (CTG). Il n’est toutefois pas prévu qu’ils intègrent une cartographie des besoins en personnels.
De son côté, le Comité de filière petite enfance a élaboré un communiqué sur les causes de la pénurie, assorties de propositions pour y remédier, sans toutefois dresser un état des lieux de cette pénurie ([94]). Pourtant, le Comité de filière petite enfance, installé le 30 novembre 2021, a notamment pour mission de « mettre en place une gestion prévisionnelle territoriale et nationale partagée des emplois et des compétences visant à faire face à court terme à la pénurie de professionnels de la petite enfance au niveau national comme local, ainsi qu’à permettre le développement futur de l’offre d’accueil » ([95]).
L’enquête du Comité de filière de juillet 2022 sur la pénurie de professionnels
Cette enquête a été menée auprès de 15 986 crèches collectives offrant 411 959 places d’accueil. Il en ressort que :
– 48,6 % des crèches collectives déclarent un manque de personnels auprès des enfants ;
– 8 908 postes auprès des enfants sont déclarés durablement vacants ou non remplacés à la date du 1er avril 2022, c’est-à-dire entre 6,5 % et 8,6 % de l’effectif total de professionnels auprès d’enfants ;
– Le niveau d’exposition des départements aux difficultés de recrutement rapporté au nombre de places agréées varie d’un facteur de 1 à 9 ;
– La région Ile-de-France, qui compte le plus de places d’accueil, concentre 41 % du total des postes auprès d’enfants vacants ;
– Les territoires des départements de première couronne parisienne, de Paris, du Rhône et de la Guyane apparaissent particulièrement exposés au phénomène de pénurie de professionnels auprès d’enfants, dans des proportions de 30 % à 60 % supérieures au reste du territoire national.
– Les EAJE situés en dehors des métropoles rencontrent 25 % de difficultés de personnels en moins.
– 9 512 places sont durablement fermées ou inoccupées à cause d’une difficulté de recrutement, soit 2,3 % du total des places recensées dans l’enquête.
– Plus d’une crèche sur dix est concernée par des postes de direction manquants. Au total, 1 623 postes de direction en EAJE sont vacants.
Selon le syndicat Force Ouvrière ([96]), par la mise en œuvre de sa politique familiale, notamment au travers de la Cog, la Cnaf est, à l’heure actuelle, la seule instance en mesure de pouvoir construire des outils et des baromètres permettant de cartographier les besoins en personnels de la petite enfance.
En tout état de cause, il ressort que les postes vacantes au sein des EAJE sont les suivants :
Nombre d’ETP auprès d’enfants depuis trois mois ou plus (postes vacants)
en crèche collective au 1er avril 2022
Total |
Dont éducateurs de jeunes enfants |
Dont infirmier ou puériculteur |
Dont auxiliaire de puériculture |
Dont autres |
8 908 |
1 550 |
334 |
3 972 |
1 516 |
Source : CNAF, Enquête nationale « Pénurie de professionnels en EAJE », juillet 2022.
L’écart entre le total d’ETP vacants et la ventilation par postes s’explique par le fait que certains gestionnaires ont saisi le nombre de postes vacants au global sans détailler par type de poste. Au regard de ces résultats, il ressort que 45 %, au minimum, des besoins de recrutement concernent des postes d’auxiliaires de puériculture et 17 % des postes d’éducateurs de jeunes enfants.
Dans un tel contexte de manque de communication entre les acteurs, avec un faible taux de réponse aux questionnaires visant à mesurer le nombre de postes vacants, et un manque de précision dans les réponses, il apparaît peu aisé de cartographier avec précision les besoins.
Enfin, ces enquêtes ne permettent pas de détailler les besoins de professionnels par territoires, ce qui semble indispensable au regard de l’hétérogénéité de l’occupation des places de formation déjà ouvertes.
À défaut de cartographie précise des besoins, les besoins en termes de formation sont eux-mêmes mal évalués et ces formations peuvent souffrir elles-mêmes d’un déficit d’attractivité.
L’exemple de l’Institut de formation, d’animation et de conseil sur la question de la formation dans les métiers de la petite enfance
Fondée en 1975, l’Ifac est la plus récente des grandes associations nationales d’éducation populaire et a été créée pour répondre aux besoins de formation et de gestion des équipements publics des collectivités locales. Constitué à partir de délégations locales qui développent leurs activités en fonction des besoins des collectivités, l’Ifac adapte son accompagnement, ses méthodes et ses outils en fonction des besoins des territoires et des populations, en lien étroit avec l’élus, les habitants, et les professionnels de l’action sociale et éducative. L’Ifac est structuré autour de trois métiers majeurs : la formation, l’animation et le conseil ; il est un espace d’échange et de partenariats entre les élus, les habitants et les professionnels de l’action sociale et éducative, pour l’amélioration des services d’animation et d’action territoriale ; ils interviennent sur les questions de petite enfance, enfance, jeunesse, formation professionnelle, insertion, politique de la ville… développement notamment des formations aux métiers de la petite enfance, avec, pour 2023 : 200 formations d’assistantes maternelles pour 2 665 stagiaires, 4 CAP Accompagnement éducatif petite enfance pour 47 stagiaires ; 4 DE Auxiliaire de puériculture pour 88 stagiaires ; 80 formations continues pour 997 stagiaires ; 3 accompagnements en VAE. Le volet formation petite enfance représente un budget de 1,5 million d’euros annuels.
L’association Ifac est aussi gestionnaire, dans le cadre de marchés publics, de DSP ou en direct de 25 crèches, 10 RAM et de quelques LEAP et réalise un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros sur le secteur petite enfance sur un budget global de 110 millions d’euros.
L’institut reçoit 108 personnes en formation initiale soit dans le cadre de formations en apprentissage soit dans le cadre de financements par le Conseil régional Île-de-France.
L’Ifac témoigne d’une perte du nombre de candidats à ses formations, davantage de parcours partiels, qui permettent de bénéficier d’un système de dispenses de modules de formation afin d’alléger le cursus et de gagner du temps dans l’obtention du diplôme, ainsi qu’une baisse du niveau d’entrée des candidats.
Si les stages sont obligatoires dans les formations CAP AEPE et DEAP, ils ont été baissés. Ainsi, pour le DEAP, 4 stages sont requis au lieu de 6 antérieurement, d’une durée de 5 semaines chacun, sauf le dernier, qui doit être de 7 semaines. Selon l’arrêté, « quatre stages peuvent être effectués dans différentes structures employeurs, publiques ou privées, du champ sanitaire, social ou médico-social, en établissement ou en hospitalisation à domicile » mais il est précisé que « le parcours de stage comporte au moins une période auprès d’enfants en situation de handicap physique ou psychique » ; alors qu’auparavant, un stage en maternité était obligatoire.
S’agissant du CAP, 14 semaines de stages en établissements et services d’accueil de la petite enfance, au domicile privé d’une assistante maternelle ou auprès d’organismes de services à la personne ayant la garde d‘enfants de moins de trois ans.
L’Ifac organise également 80 sessions de formations continues par an, essentiellement à destination de leurs personnels de crèches et quelques extérieurs (crèches partenaires, collectivités territoriales).
S’agissant du coût des formations, la formation continue est au tarif moyen de 1 200 euros à 1 500 euros par groupe. Le CAP AEPE est à 5 320 euros en parcours complet. Le DEAP est à 7 700 euros en parcours complet. Il faut noter que le Conseil régional d’Île-de-France ne finance que les parcours complets. Cela constitue un réel problème car depuis la réforme du DEAP, l’IFAC indique que beaucoup de candidats sont sur des parcours partiels (sans pour autant en préciser la cause). L’Ifac perd alors ces personnes car elles ne trouvent pas de financement (pas de CPF, pas d’employeur, pas de financement Pôle Emploi, etc…).
L’Ifac est subventionné par le Conseil régional d’Île-de-France pour la formation initiale des assistantes maternelles pour un montant de 302 805 euros pour 45 places financées, soit 6 729 euros par place.
Budgétairement, leurs écoles d’auxiliaires de puériculture sont déficitaires en raison des exigences d’encadrement des formations fixées par le référentiel, notamment en ce qui concerne la direction des IFAP, des difficultés de complétude de leurs cohortes ainsi que des moyens humains et matériels liés à la mise en œuvre de ces formations.
L’Ifac note que seulement un quart de ses diplômés part travailler en EAJE ([97]).
b. Les conséquences de cette pénurie de professionnels sur les structures d’accueil des jeunes enfants : l’instauration d’un cercle vicieux au détriment de la petite enfance
Dans sa synthèse de juillet 2022, le Comité de filière « petite enfance » met en avant que la part des places fermées en EAJE est significativement moins élevée que la proportion de postes vacants, ce qui signifie qu’un certain nombre d’EAJE fonctionnent avec des effectifs en tension.
● Cette tension est génératrice d’un stress croissant pour les professionnels de la petite enfance qui peuvent alors, contre leur volonté, agir d’une manière qui n’est pas totalement conforme, voire contraire, à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le syndicat Force ouvrière affirme ainsi que les taux d’encadrement sont peu respectés ([98]). Par ailleurs, les réponses des PMI au questionnaire de la rapporteure permettent d’établir qu’en très grande majorité, les dysfonctionnements constatés lors des contrôles dans les EAJE concernent effectivement le non-respect du taux légal d’encadrement des enfants, qui est d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et un professionnel pour huit enfants qui marchent ou d’un professionnel pour six enfants, tout âge confondu.
L’Igas, dans son rapport sur les maltraitances au sein des crèches de mars 2023 ([99]), souligne que la pénurie de professionnels au sein des EAJE a également pour conséquence une perte de qualité dans les interactions et dans la sécurisation affective des enfants, à un âge crucial pour leur bon développement.
Les contraintes de personnels ont en effet pour conséquence la réduction du temps consacré au développement de liens individuels et à la conduite de relations verbales stimulantes. Les professionnels se retrouvent à « travailler à la chaîne », essentiellement par des gestes techniques dénués de sensibilité.
Cela empêche la construction d’un environnement affectif sécurisant pour les enfants. Or, le rapport publié en conclusion des travaux de la commission dite des « 1 000 premiers jours » ([100]) a mis en exergue que 10 % de la population générale est affectée de troubles du neuro-développement, ces troubles représentant ainsi 70 000 enfants par an. En effet, les troubles du neuro-développement émergent à une phase très précoce du développement, notamment avant les 15 mois, ce qui impose, durant les 1 000 premiers jours de l’enfant, une sensibilisation et une attention particulière à cette question. Or, dès lors que l’accueil en crèche manque de qualité, il n’est pas possible de garantir à l’enfant accueilli des conditions d’accueil qui permettent une réelle prise en compte de cet enjeu.
Au-delà de cette problématique, Mme Daphné Gastaldi a décrit devant la commission d’enquête les conséquences que cette pénurie de professionnels peut avoir en termes de maltraitance des enfants accueillis. La journaliste a ainsi relaté que, souvent, les actes de maltraitance en crèche sont liés à un management toxique ou à des conditions de travail détériorées. En raison de la pénurie actuelle, les professionnels ont trop d’enfants à charge et sont trop peu pour faire face à l’expression de leurs besoins.
Toujours en raison de cette pénurie, le manque de temps des professionnels pour s’occuper des enfants peut être à l’origine de préjudices physiologiques. La journaliste a ainsi relaté des cas dans lesquels des enfants n’avaient pas eu suffisamment à boire en raison d’une cadence de travail trop élevée.
Dans des cas extrêmes, l’épuisement professionnel peut conduire à de la maltraitance physique des enfants. La journaliste a ainsi évoqué « des histoires terribles d’enfants attachés, jetés en l’air, frappés, parfois brûlés » ([101]). La rapporteure souligne toutefois que le surmenage ne peut aucunement justifier la commission délibérée d’actes d’une telle gravité.
Lors de son audition, Mme Bérangère Lepetit, co-auteure de l’ouvrage Babyzness ([102]), a précisé que ces maltraitances, même si elles ne sont pas intentionnelles et résultent du fonctionnement des crèches et de la pression exercée sur les professionnels, relèvent néanmoins de la négligence grave. La journaliste a ainsi pris l’exemple d’une salariée d’une crèche fonctionnant en délégation de service public qui laissait pleurer les bébés accueillis pendant des heures, sans rien faire, par manque de temps.
De manière générale, la principale conséquence de la pénurie de professionnels sur les enfants est qu’ils doivent attendre plus longtemps pour obtenir une réponse à leurs besoins – être nourris, changés, portés, rassurés. Mme Bérangère Lepetit a également pris l’exemple, dénoncé par une salariée d’une crèche, d’un enfant en situation de handicap, incapable de se déplacer, laissé en pleurs, toute la journée, sur le même tapis de sol. D’autres cas ont été dénoncés : des enfants trop bruyants enfermés dans un dortoir, à l’écart, ou encore des propos dévalorisants tenus par les professionnels sur les enfants ou leurs parents.
● Par ailleurs, comme la rapporteure l’a déjà relevé, les projets pédagogiques présentés par les crèches ne sont pratiquement jamais mis en œuvre, faute de personnel suffisant et d’une tension déjà intense pour effectuer les tâches les plus fondamentales à l’accueil des jeunes enfants. Or, les enfants accueillis en crèche sont précisément à un âge où il convient de développer les apprentissages essentiels, dans une approche éducative.
L’Association nationale des psychologues de la petite enfance (Anapsy-PE) met en valeur deux axes qui garantissent la qualité de l’accueil du jeune enfant, à savoir :
– le temps ;
– la disponibilité psychique des professionnels qui travaillent au contact des enfants ([103]).
Or, pour que les professionnels soient disponibles, psychiquement, pour l’enfant, il faut qu’ils disposent du temps nécessaire pour chaque enfant accueilli, pour pouvoir repérer des difficultés éventuelles, des signes de souffrance, pour pouvoir s’adapter à ses besoins et à son développement, pour pouvoir échanger avec les parents, mais également échanger avec leurs collègues sur toutes les situations individuelles.
Or, dans les conditions actuelles, les professionnels au sein des EAJE ne disposent plus de temps pour l’instauration « d’une continuité du prendre soin de l’enfant accueilli » ([104]), alors que, dans le même temps, tous les temps de soins primaires donnés à l’enfant pendant sa journée d’accueil en crèche (donner un repas, changer une couche…) sont des moments essentiels pour créer une relation de confiance avec lui, pour lui procurer un sentiment de sécurité et de continuité d’existence.
Lorsque les gestes deviennent automatiques et que l’acte prend le pas sur la relation entre l’enfant et le professionnel, « l’organisation collective s’impose alors au détriment du besoin de l’enfant ». Par ailleurs, dès lors que le décalage devient trop important entre le « prendre soin » que les professionnels doivent apporter à l’enfant – raison pour laquelle les professionnels choisissent ce métier – et la réalité du terrain, un sentiment de culpabilité tend à se développer au sein des équipes, avec la sensation de mal faire leur travail. In fine, ils s’épuisent, puis se désinvestissent de cette profession, qui perd, à leurs yeux, tout son sens. Cette situation peut même, selon l’Anapsy-PE, être également propice au développement de « douces violences » ([105]), voire de la maltraitance. C’est donc un cercle vicieux, délétère pour la qualité de l’accueil des enfants, qui a créé et alimenté la pénurie de professionnels, en lien avec des objectifs essentiellement quantitatifs en matière de petite enfance.
Le concept de « douces violences » de Mme Christine Schuhl
Selon Mme Christine Schuhl, à l’origine de cet oxymore, dans des contextes de vulnérabilité – comme celle qui caractérise la situation des jeunes enfants – même si l’on est bienveillant et tourné vers l’enfant, un point de bascule peut apparaître, pendant quelques secondes parfois, en raison de la volonté de l’adulte qui prend le dessus sur le besoin de l’enfant.
Cela peut notamment survenir dans des situations de sous-effectifs au sein des EAJE puisque, selon la chercheuse, lorsqu’un professionnel a affaire à un groupe, il est plus confortable pour lui que tous les enfants fassent la même chose au même moment. Ainsi, le concept de « douces violences » ne désigne pas l’acte en lui-même ou sa force, mais plutôt la manière dont le geste s’infiltre dans une pratique qui, au départ, est bien pensée en fonction de l’enfant.
Mme Christine Schuhl opère une différence tranchée entre les douces violences et la maltraitance, qui est dans les faits, rare, au sein des EAJE. Les « douces violences » sont ainsi des gestes de très courte durée, qui semblent, de prime abord, n’avoir aucun impact sur les enfants, sauf que même s’ils ne durent qu’une fraction de seconde, lorsqu’ils sont répétés tous les jours pendant trois ans sur des enfants qui restent parfois en EAJE sur de longues heures de la journée peuvent avoir des conséquences tout sauf anodines.
Les « douces violences » ne sont pas commises intentionnellement mais résultent de ce que l’adulte cherche, à un moment, à obtenir plus rapidement ce qu’il veut, sans cependant souhaiter priver l’enfant de quoi que ce soit, ni le maltraiter physiquement ou le faire souffrir.
Or, les taux d’encadrement trop faibles ne permettent pas de prévenir ces gestes. Ce n’est donc pas tel ou tel modèle d’EAJE qui induit cette négligence courante des professionnels à l’égard des enfants mais une situation de tension des professionnels qui a pour résultat un stress des équipes, une fatigue professionnelle, des unités de vie trop grandes et bruyantes et, in fine, l’apparition d’actes en apparence anodins qui sont en réalité contraire aux besoins fondamentaux de l’enfant.
Par ailleurs, Mme Christine Schuhl cite les recherches de M. Alain Legendre, qui montrent que le taux de cortisol, hormone du stress, augmente chez l’enfant lorsque le nombre d’enfants présents dépasse le seuil de quinze. Or, dans certaines collectivités, il existe des unités de vie où il y a 22 bébés au sol. S’il y a trop d’adultes, cependant, cela crée également du stress.
Il y a donc un impensé aujourd’hui, en France, dans la manière dont les EAJE sont construits à cet égard. Pour Mme Christine Schuhl, c’est la petite taille des unités au sein des EAJE qui permet de rassurer, de développer la sécurité affective, vitale pour les enfants, mais également pour les professionnels eux-mêmes, qui peuvent être épuisés par le bruit et commettre des « douces violences » en raison de cet épuisement.
Dans son ouvrage Vivre en crèche, paru en 2011, Mme Christine Schuhl alertait déjà sur le déploiement des douces violences en crèche. Par ailleurs, la chercheuse a écrit au Président de la République, en juillet 2002, une lettre rendue publique dans laquelle elle mettait en cause l’existence de lieux accueillant vingt voire trente enfants de moins de trois ans dans une même salle.
Source : Compte rendu de l’audition de Mme Christine Schuhl du 7 février 2024.
Par ailleurs, le sous-effectif chronique au sein des crèches génère des changements fréquents de professionnels, des arrêts maladies ou absences répétées, le recours à des intérimaires, soit une organisation du travail mettant en difficulté tant les professionnels que les enfants eux-mêmes, qui ont besoin de continuité pour se développer sereinement (principe de référence).
De la même manière, les professionnels ne sont plus en mesure de proposer le cloisonnement des enfants en petits groupes, pourtant favorable à la réduction du stress en collectivité. Les professionnels ont par ailleurs des difficultés à se positionner à différents endroits de la pièce pour soutenir, contenir le jeu et les besoins affectifs des enfants de manière sécurisante en référence au concept « d’adulte phare » d’Anne-Marie Fontaine ([106]). Elles ont, dès lors, des difficultés à simplement prendre le temps d’aller déjeuner, de faire une pause, de prendre du recul et de réfléchir à leurs pratiques. Il est également plus difficile d’organiser des sorties hors des murs de l’EAJE, puisque cela exige un renforcement de l’encadrement.
Les taux d’encadrement peuvent, enfin, ne pas être respectés en raison du manque de professionnels, alors même qu’ils ne permettent déjà pas, en l’état, aux professionnels des EAJE, une disponibilité suffisante sur l’éventail horaire de la journée.
Par ailleurs, ce contexte de tension des professionnels de la petite enfance a également pour conséquence que les professionnels n’ont plus suffisamment de temps pour accéder à la formation continue, notamment sur les enjeux de maltraitance. Il en résulte, selon le SNPPE, que les nouveaux professionnels s’intègrent parfois au sein d’équipes aux pratiques vieillissantes, voire maltraitantes, sans qu’une réflexion sur ces pratiques n’ait pu avoir lieu eu égard au développement des neurosciences et des connaissances relatives aux besoins fondamentaux des enfants.
Or, dans le même temps, comme le relèvent deux des auteurs du rapport de l’Igas sur les maltraitances dans un article ([107]), il est absolument primordial, pour résorber les dysfonctionnements qui ont été mis en lumière dans certains EAJE, de « faire de la prévention de la maltraitance l’objet d’un travail continu avec les professionnels comme les gestionnaires », et d’organiser « une culture plus solide de la réflexion sur les pratiques et du signalement » ([108]), ce qui suppose du temps.
3. Pour tenter de remédier à cette pénurie de professionnels, les pouvoirs publics ont fait le choix d’un assouplissement des exigences venant alimenter le cercle vicieux de la pénurie de professionnels
La pénurie de professionnels de la petite enfance a l’assouplissement des exigences réglementaires pesant sur les structures d’accueil des jeunes enfants. Ces différentes dérogations, souvent adoptées à titre provisoire, compte tenu de la situation conjoncturelle de pénurie de professionnels, sont devenues définitives, car elles alimentent en réalité cette pénurie. Pourtant, comme le relève Mme Sylviane Giampino, cette pénurie était prévisible dès les années 1990 ([109]). Ces assouplissements se font au détriment des enfants accueillis, dont on connaît dorénavant les besoins fondamentaux, qui nécessitent au contraire un haut niveau d’implication et de qualification.
a. L’assouplissement progressif de la réglementation applicable à l’encadrement des jeunes enfants dans les crèches…
Successivement, des normes plus souples sont venues s’appliquer aux EAJE, pour maintenir les places existantes, et favoriser la création de nouvelles places, malgré le manque de professionnels. Ces assouplissements avaient vocation à n’être que temporaires, mais tendent à devenir les règles de droit commun, et contribuent à la dégradation des conditions d’accueil.
i. Le tournant de 2010 : le décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et l’assouplissement normatif
Ce décret dit « Morano » a assoupli les normes applicables aux EAJE, en autorisant l’accueil en surnombre au sein des EAJE afin d’optimiser le taux d’occupation des crèches, qui, selon Mme Nadine Morano, n’était en moyenne que de 67 % au moment de l’intervention de ce décret. L’objectif était ainsi d’optimiser à 100 % les places disponibles.
● Les assouplissements ont ainsi porté la limitation de la capacité d’accueil des structures, en élargissant les conditions d’accueil en surnombre, qui existaient déjà, mais étaient plus restrictives. Le décret autorise, en effet, en son article 9, modifiant l’article R. 2324-27 du code de la santé publique, de façon temporaire, une capacité d'accueil excédentaire de 20 % pour les établissements ou services de plus de 40 places, de 15 % pour ceux de plus de 20 places et de 10 % pour les structures plus petites. Ces dépassements ponctuels demeuraient toutefois soumis à une limite prévoyant que la moyenne du taux d’occupation hebdomadaire ne devait pas dépasser 100 %.
● Un autre assouplissement majeur a concerné la qualification des professionnels des EAJE, notamment la réduction de 50 à 40 % du taux d’encadrement obligatoire par des puéricultrices, des éducateurs de jeunes enfants, des infirmières ou psychomotriciens diplômés d’État (article 19, modifiant l’article R. 2324-42 du code de la santé publique).
● Par ailleurs, le décret ouvre les fonctions de direction d’un EAJE de moins de 40 places aux infirmières puéricultrices diplômées d’État justifiant d’au moins trois ans d’expérience (article 13), alors que cette fonction était jusque-là réservée aux seuls éducateurs de jeunes enfants, et surtout réduit la durée d’expérience requise pour être directeur, à titre dérogatoire, de 5 à 3 ans (article 22, modifiant l’article R. 2324-46 du code de la santé publique).
● Les assouplissements normatifs ont également porté sur les micro-crèches, qui ont été dispensées de l’obligation de désigner un directeur au profit d’un seul « référent technique » (article 14). Les micro-crèches ne sont pas dans l’obligation de disposer d’une équipe pluridisciplinaire, contrairement aux autres EAJE. Par ailleurs, les micro-crèches, qui avaient été initialement mises en place à titre expérimental, sont désormais pleinement intégrées à la liste des EAJE de droit commun, tout en maintenant les dispositifs dérogatoires qui leur sont applicables et en augmentant leur capacité d’accueil de 9 à 10 enfants (article 2, modifiant l’article R. 2324-1 du code de la santé publique). L’article 19 du décret prévoit enfin que la durée d’expérience requise pour les assistantes maternelles pour exercer en micro-crèches passe de 5 à 3 ans.
● Enfin, si la norme d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et huit pour les enfants qui marchent n’est pas modifiée, elle ne s’applique désormais plus au personnel « placé auprès des enfants présents » mais au personnel « encadrant directement les enfants » (article 20), ce qui permet de prendre en compte des personnels qui n’ont pas vocation à être en permanence au contact des enfants.
Ces assouplissements avaient une vocation temporaire et visaient à assouplir le fonctionnement des EAJE notamment pour pallier la pénurie de professionnels de la petite enfance.
Postérieurement à l’adoption de ce décret, Mme Dominique Bertinotti, la ministre déléguée à la famille en 2012, sous une autre majorité politique, avait annoncé dans un communiqué du 10 octobre 2012 l’abrogation à venir de ce décret, une fois que les négociations entre l’État et la CNAF pour la période 2013-2016 auraient abouti. Toutefois, suite au remplacement de Mme Dominique Bertinotti, il est à noter que cette abrogation n’a pas eu lieu.
Interrogée sur ce point, Mme Marisol Touraine a relevé qu’il n’y avait pas de consensus entre les différents acteurs quant à la l’abrogation de ce décret, et que, par ailleurs, une telle abrogation « faisait courir le risque d’une baisse massive de l’offre d’accueil en l’absence d’un nombre suffisant de professionnels qualifiés » ([110]). L’ancienne ministre a ainsi fait valoir qu’ « il est apparu risqué de s’engager dans cette voie si nous voulions atteindre l’objectif de créer de nouvelles places » ([111]). Par ailleurs, elle a souligné qu’ « une évaluation du ministère montrait que de nombreux établissements continuaient d’appliquer les normes antérieures au décret Morano ».([112])
ii. La réforme Norma en 2021 : simplifier les normes applicables aux EAJE
La réforme dite « Norma » résulte de l’ordonnance du 19 mai 2021 prise en application de l’article 99 de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) ([113]) ainsi que du décret du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux EAJE ([114]).
● L’article R. 2324-46-4 du code de la santé publique est modifié de sorte que les crèches peuvent opter pour un taux d’encadrement moyen d’un professionnel pour six enfants, au lieu d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et d’un professionnel pour 8 enfants qui marchent. Si l’application d’un taux d’encadrement unique sans recours à une distinction artificielle et peu opérante (voir deuxième partie, I, A, 1, a) entre des enfants marcheurs et non marcheurs est effectivement une source de simplification, la possibilité d’opter pour une moyenne d’un professionnel pour 6 enfants a néanmoins peu d’incidences sur la qualité de l’accueil. Le syndicat Force Ouvrière a pu regretter que le taux d’encadrement retenu ait été d’un adulte pour six enfants, à comparer avec le ratio d’un adulte pour quatre enfants en Allemagne ou d’un pour trois au Danemark.
● S’agissant du taux de sur-occupation autorisé qui différait jusqu’à présent en fonction du nombre d’enfants accueillis (120 % pour les crèches de plus de 40 berceaux, 115 % pour les crèches de 21 à 40 berceaux et 110 % pour les crèches de 20 berceaux ou moins), l’article R. 2324-27 du code de la santé publique est modifié pour que, dans les crèches collectives, le nombre maximal d’enfants simultanément accueillis soit unique et fixé à 115 % de la capacité d’accueil autorisée par le président du conseil départemental. L’existence de ce taux unique est effectivement source de simplification, même si la possibilité de l’accueil en surnombre a été maintenue, alors même qu’il ne favorise pas la qualité du service.
● S’agissant des fonctions de direction, la réforme Norma étend, de manière assez marginale, la capacité totale des trois EAJE dont une même personne peut assurer la direction, de cinquante-quatre places à cinquante-neuf places.
● Le rapport de l’IGAS sur les micro-crèches ([115]) détaille le caractère moins exigeant du cadre juridique applicable aux micro-crèches résultant de la réforme Norma : le référent technique d’une micro-crèche peut être une personne distincte de celle assurant l’encadrement des enfants, et sa quotité minimale de travail s’établit à 0,20 équivalent temps plein (ETP). Cela signifie, selon l’inspection, qu’une micro-crèche peut fonctionner pendant 80 % du temps sans effectif pour encadrer les équipes et assurer le suivi de l’EAJE. En outre, aucune qualification n’est exigée pour être référent technique d’une micro-crèche, sauf s’il assure le suivi trois établissements.
● La réforme Norma a également assoupli les exigences dans les micro-crèches en supprimant l’obligation de disposer d’effectifs diplômés d’État dans les équipes au contact des enfants, mais seulement d’une certification au moins de niveau 3 (CAP) et d’une expérience professionnelle préalable. Il en résulte, selon l’enquête de l’IGAS, que près de 60 % des effectifs des micro-crèches sont constitués de personnels titulaires d’un CAP « Petite enfance », contre 31 % dans les autres EAJE. 26 % des micro-crèches fonctionneraient quotidiennement sans effectif diplômé de catégorie 1 contre seulement 3 % des autres EAJE ([116]). Par ailleurs, la capacité d’accueil au sein des micro-crèches a progressé de 10 à 12 enfants.
Les conséquences de cette réforme sont, selon l’Igas et l’IGF ([117]), un recours important à des responsables n’ayant pas de qualification identifiable, plus fréquemment dans le secteur privé, et le recours à des personnels d’encadrement souvent moins diplômés. En effet, selon la taille de l’EAJE, le code de la santé publique n’est pas également exigeant en ce qui concerne le temps de présence des professionnels les plus qualifiés, et les micro-crèches sont le type d’EAJE où ces professionnels sont le moins présents.
Temps de présence prévu par le code de la santé publique (CSP)
selon les qualifications
Type d'EAJE ([118]) |
Direction, responsabilité ou référence technique ([119]) |
Infirmier ou puériculteur ([120]) |
Éducateur de jeunes enfants ([121]) |
Micro-crèche |
0,20 ETP |
Pas d'obligation |
Pas d'obligation |
Petite crèche |
0,50 ETP |
Pas d'obligation |
0,5 ETP |
Crèche |
0,75 ETP |
0,20 ETP |
0,75 ETP |
Grande crèche |
1 ETP |
0,30 ETP |
1 ETP |
Très grande crèche |
1 ETP |
0,40 ETP |
1 ETP |
Source : Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
Auditionnée dans le cadre de la commission d’enquête, l’Association des maires de France (AMF) a regretté que la pénurie de professionnels formés pour travailler en EAJE se traduise par une baisse des exigences de qualification.
L’objectif initial de la réforme Norma était de clarifier et de simplifier les règles existantes, sources de difficultés et d’interprétation diverses selon les PMI et les acteurs de la petite enfance. L’AMF soutient ainsi que tout du long de la concertation menée en amont de cette réforme, elle a alerté la DGCS sur le fort besoin de simplification du cadre normatif tout en respectant l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que sur la nécessité de maintenir une forme d’unité des exigences imposées aux modes d’accueil afin que soit garanti un accueil de qualité équivalente sur l’ensemble du territoire. L’AMF avait notamment alerté sur les dérogations rendues possibles par la réforme aux conditions habituelles de diplômes des professionnels des EAJE.
La rapporteure constate que l’objectif de la réforme Norma n’a pas été atteint, puisque si cette réforme a permis de réguler davantage les aspects bâtimentaires en posant un cadre standardisé s’imposant à toutes les PMI ([122]), celles-ci ont conservé des pratiques très différentes les unes des autres. De plus, bien que la réforme ait contribué à simplifier une partie des normes applicables, et n’a en réalité que procédé à des assouplissements marginaux de règles ayant déjà fait l’objet d’une révision par le passé, elle n’a pas permis d’enrayer le cercle vicieux de la pénurie de professionnels et de la dégradation de la qualité d’accueil, et a même pu tendre, dans une certaine mesure, à aggraver cette dynamique.
● L’arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant est venu à nouveau assouplir les conditions de recrutement des professionnels des EAJE pour faire face à la pénurie.
Son article 2 prévoit en effet qu’à titre exceptionnel, « dans un contexte local de pénurie de professionnels […], des dérogations aux conditions de diplôme ou d’expérience fixées [à l’article 1er] peuvent être accordées en faveur d’autres personnes, en considération de leur formation, leurs expériences professionnelles passées, notamment auprès d’enfants, leur motivation à participer au développement de l’enfant au sein d’une équipe de professionnels de la petite enfance et de leur capacité à s’adapter dans un nouvel environnement professionnel ». En contrepartie de la possibilité de recruter un professionnel sans qualification requise, il est prévu que les crèches doivent former elles-mêmes ces personnels pendant 120 heures, durant lesquelles elles ne peuvent pas compter dans le taux d’encadrement (article 3).
La rapporteure s’inquiète, à cet égard, qu’à la suite de l’adoption de cet arrêté, elle ait pu consulter une page du site de recherche d’emplois Indeed expliquant comment il est possible de trouver un poste au sein d’une crèche sans détenir de diplômes et donnant des conseils aux personnes en recherche d’emploi dans ce but, affirmant ainsi qu’ « avoir fait du baby-sitting ou le simple fait d’être parent vous-même sont des atouts de taille pour votre profil » ([123]).
À la suite de cette ouverture du recrutement des personnels de crèches à des professionnels non diplômés, le sociologue Daniel Verba a rappelé, dans une tribune publiée au journal Le Monde, que « prendre soin des bébés n’est pas une compétence naturelle ou innée, et qu’une formation spécialisée est au contraire un levier efficace de prévention sociale et médicale » ([124]). Pour le sociologue, c’est d’ailleurs précisément en raison des « politiques de déqualification » des professionnels qu’a émergé la pénurie de professionnels ([125]).
Réduire les qualifications exigibles pour exercer au sein des crèches conduit dès lors à un cercle vicieux qui alimente la pénurie au lieu de la combattre. Toutefois, la rapporteure note que les pouvoirs publics ont pris conscience des risques que peut induire une telle diminution des qualifications des professionnels des EAJE, : Mme Aurore Bergé a ainsi précisé lors de son audition devant la commission d’enquête ([126]) qu’une évaluation de cet arrêté avait été prévue, ce dont la rapporteure se réjouit.
b. Le défaut d’approfondissement du contenu des formations, pourtant nécessaire à la garantie des besoins fondamentaux des enfants accueillis
L’Ifac souligne que les contenus de la formation dans les métiers de la petite enfance sont presque exclusivement tournés vers l’exercice en milieu hospitalier ou médico-social et que la part des apports pédagogiques est faible ([127]).
● S’agissant du CAP « Accompagnant éducatif petite enfance » (AEPE), il se prépare en deux ans après la classe de troisième et contient 469 heures de formation. L’examen est composé de deux types d’épreuves : des épreuves d’enseignement général et des épreuves d’enseignement professionnel.
Parmi les épreuves d’enseignement générales figurent : le français, l’histoire-géographie et l’enseignement moral et civique ; les mathématiques et les sciences physiques et chimiques ; l’éducation physique et sportive ; la prévention santé environnement ; et une langue vivante, de manière facultative.
Les épreuves professionnelles portent quant à elles sur :
– l’accompagnement du développement du jeune enfant qui vise à évaluer les éléments suivants : recueillir les informations, s’informer sur les éléments du contexte et de la situation professionnels à prendre en compte ; adopter une posture professionnelle adaptée ; mettre en œuvre les conditions favorables à l’activité libre et à l’expérimentation dans un contexte donné ; mettre en œuvre des activités d’éveil en tenant compte de la singularité de l’enfant ; réaliser les soins du quotidien et accompagner l’enfant dans ses apprentissages ; appliquer les protocoles liés à la santé de l’enfant ;
– l’exercice de l’activité en accueil collectif ;
– l’exercice de l’activité en accueil individuel.
Aussi, cette formation ne permet pas aux professionnels de se concentrer sur la connaissance des modalités de développement des enfants, de leurs droits et de leurs besoins, et la manière de satisfaire au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant à une période cruciale de son développement. Même l’enseignement relatif à l’accompagnement du développement du jeune enfant ne contient en réalité que peu d’items relatifs au développement et aux besoins de l’enfant, étant entendu qu’ils sont centrés sur l’exercice même de la profession, et non sur l’enfant accueilli. S’agissant de la pratique, depuis 2019, la validation du CAP est soumise à la réalisation de stages à hauteur de 14 semaines durant la formation, réparties en trois périodes distinctes minimum.
● Pour devenir auxiliaire de puériculture, il faut au préalable être titulaire du diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture (DEAP), diplôme de niveau baccalauréat d’une durée d’un an. Pour accéder à cette formation, il faut réussir le concours d’entrée en institut de formation d’auxiliaire de puériculture (Ifap). Depuis 2020, l’épreuve écrite a été remplacée par un dossier de sélection débouchant sur un entretien de motivation. L’arrêté du 10 juin 2021 relatif à la formation conduisant au diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture prévoit des formations à la fois théoriques et pratiques qui comprennent dix modules, au sein de 1 540 heures d’enseignement.
Les enseignements sont, dans cette formation, davantage tournés vers les besoins des enfants pris toutefois sous un angle prioritairement sanitaire, caractéristique de cette formation, et non pas éducatif :
– l’accompagnement et les soins de l’enfant dans les activités de sa vie quotidienne et de sa vie sociale en repérant les fragilités ;
– l’appréciation de l’état clinique de la personne et la mise en œuvre de soins adaptés en collaboration avec l’infirmier en intégrant la qualité et la prévention des risques ;
– l’information et l’accompagnement des personnes et de leur entourage, des professionnels et des apprenants ;
– l’entretien de l’environnement immédiat de la personne et des matériels liés aux activités de soins, au lieu et aux situations d’intervention ;
– la transmission, quels que soient l’outil et les modalités de communication, des observations recueillies pour maintenir la continuité des soins et des activités.
Par ailleurs, dans la définition même du métier d’auxiliaire de puériculture, l’annexe relève les trois missions de ces professionnels, à savoir : accompagner l’enfant dans les activités de sa vie quotidienne et sociale ; collaborer au projet de soins personnalisés dans son champ de compétences ; contribuer à la prévention des risques et au raisonnement clinique interprofessionnel. Enfin, la formation pratique y est également plus approfondie puisque l’article 2 de l’arrêté prévoit que « la formation en milieu professionnel comprend 770 heures correspondant à un total de 22 semaines de 35 heures ».
● L’éducateur de jeunes enfants est davantage tourné vers l’éducation et la pédagogie et doit être titulaire d’un diplôme de niveau bac + 3, à savoir le diplôme d’État d’éducateur de jeunes enfants (DEEJE). Cette formation dure trois ans, intègre 15 mois de stage et permet de se former en enseignement théorique sur 1 500 heures et en formation pratique sur 2 100 heures d’enseignement. Le référentiel de formation est, pour cette profession, décliné en quatre domaines :
– l’accueil et l’accompagnement du jeune enfant et de sa famille ;
– l’action éducative en direction du jeune enfant ;
– l’institution, le travail en équipe pluriprofessionnelle et la communication professionnelle ;
– les dynamiques interinstitutionnelles, les partenariats et les réseaux.
La rapporteure constate, au sein des programmes afférents à ces différents diplômes, que la connaissance du développement de l’enfant, de ses besoins pris sous l’angle des neurosciences, de ses droits, des sciences cognitives, est très peu privilégiée, au moins s’agissant des diplômes « d’entrée » dans le secteur de la petite enfance. Il est primordial, au regard de l’état des savoirs dans le domaine du développement de l’enfant, d’autant plus avec la construction du service public de la petite enfance, de revoir ces formations, afin qu’elles permettent de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant de manière effective en cas de prise en charge par un professionnel de la petite enfance. Si le diplôme permettant de devenir éducateur de jeunes enfants est bien plus centré sur l’enfant, il ne l’est qu’essentiellement au prisme de l’éducation et gagnerait à être complété de formations plus théoriques sur les besoins fondamentaux de l’enfant au cours des 1 000 premiers jours.
c. Pourtant, parallèlement, l’évolution des connaissances relatives aux besoins fondamentaux des enfants aurait dû conduire à un renforcement de la réglementation applicable
Les connaissances des neurosciences et des besoins fondamentaux des jeunes enfants se sont considérablement développées ces dernières décennies. Les députées Isabelle Santiago et Michèle Peyron rappelaient ainsi dans leur rapport intervenu en conclusion d’une mission flash portant sur les perspectives d’évolutions de la prise en charge des enfants dans les crèches ([128]) que ces connaissances nouvelles et davantage approfondies quant aux besoins des enfants ont entraîné un « changement de paradigme » dans la compréhension de ce que doit être l’accueil des jeunes enfants au sein des EAJE.
i. Une meilleure compréhension des besoins fondamentaux des enfants
Pour les sciences humaines comme les neurosciences, les premières années de la vie constituent une période cruciale dans le développement et l’épanouissement de l’enfant, d’un point de vue cognitif, affectif, social et psychique. Ce faisant, comme le rappelle le Défenseur des droits, il est absolument nécessaire de rappeler l’importance des droits des jeunes enfants, ces droits constituant un « levier extraordinaire […] pour leur construction personnelle et sociale » ainsi que « pour la promotion de l’égalité entre tous les individus ». ([129])
Le changement de paradigme dans la compréhension des besoins des jeunes enfants accueillis dans des structures collectives s’est illustré notamment dans le cadre du séminaire « Premiers pas. Développement du jeune enfant et politique publique », organisé par le HCFEA, France Stratégie et la Cnaf. Selon Mme Sylviane Giampino, ce séminaire « a marqué un virage dans la conception de la politique publique de l’accueil du jeune enfant » ([130]), le comité scientifique chargé de coordonner ces travaux ayant conclu que la finalité de l’accueil du jeune enfant est son bien-être et son développement. Ainsi, selon elle, « la qualité de l’accueil est la garantie que nous puissions nous acquitter de notre devoir de faire entrer dans la société les petits humains qui la constituent déjà et qui la feront vivre. Elle recouvre des enjeux psychologiques, éducatifs et sociaux ». Selon Mme Sylviane Giampino, un accueil de qualité du jeune enfant doit répondre à trois impératifs ([131]) :
– permettre à l’enfant de se sécuriser en construisant une confiance de base et une sécurité affective ;
– permettre à l’enfant de se repérer et d’identifier le soi et l’autre, grâce aux portages, aux enveloppes, à la continuité, qui lui permettent de construire ses repères ;
– offrir aux enfants des opportunités de se déployer, d’expérimenter, de découvrir et d’apprendre : un enfant qui n’est pas en mesure de développer cela connaîtra plus tard des difficultés.
Il résulte de ces trois éléments qu’un accueil de qualité doit être stable et fiable, offrir une place à chaque enfant et à chaque famille, mais aussi être prodigué par des personnes impliquées intellectuellement, affectivement et solidairement. Or, une telle implication repose sur un nombre insuffisant de professionnels de la petite enfance ayant tous un certain niveau de formation, initiale et continue.([132])
Le rapport Giampino, « Développement du jeune enfant – Mode d’accueil, formation des professionnels » (2016)
Le rapport Giampino a également souligné l’importance d’agir dès la petite enfance en offrant des services éducatifs de qualité avant l’entrée à l’école, étant entendu que la mise en place précoce de pratiques éducatives conduit à pléthore de bénéfices pour la société dans son ensemble.
Dans son rapport, Mme Giampino relève 12 particularités du développement et de la sensibilité des enfants avant trois ans à connaître pour orienter la politique d’accueil des jeunes enfants, à savoir :
Les sphères du développement du petit enfant, physique, cognitif, affectif, social, sont inséparables ; chacune de ces sphères de développement interagit sur les autres ;
Le développement du jeune enfant procède non pas de façon linéaire, mais par paliers ;
Le très jeune enfant naît dépendant mais pas impuissant ; il détient des capacités d’imitation, d’empathie, d’ajustement postural et de proto-communications, il est armé d’une poly-sensorialité et est curieux des relations et du langage ;
Dans le développement de l’enfant, la construction de l’extérieur précède celle du monde intérieur ; l’enfant se construit donc à partir du lien que l’autre dessine à lui-même ;
Les parents constituent le point d’origine et le port d’attache du petit enfant avant l’âge de trois ans ;
Le jeune enfant est capable très tôt, dans des conditions précises, d’attachements multiples et différenciés en fonction des statuts, des rôles, et de la qualité de ce qu'on lui propose pour se développer et s'épanouir.
Accueillir un petit enfant dans sa singularité exige une conscience de l'importance de son vécu néonatal et familial précédant l'entrée dans le mode d'accueil et de sa néoténie.
Plus un enfant est petit, plus il capte les émotions et le climat relationnel qui l’entourent et traduit ses perceptions en expressions somatiques ou comportementales ;
Le petit enfant est vulnérable et dépendant, mais acteur affectif et corporel ;
Le jeune enfant prend connaissance du monde par sa sensibilité, où sont liés le corporel, le cognitif, l’affectif, l’émotionnel et le social ; il est d’emblée attiré par le visage humain, la musique, les images, le mouvement et la nature ;
Le développement de l’enfant avant trois ans ne peut pas se concevoir comme le développement de l’enfant ensuite : bien connaître le développement de la première année de vie permet de mieux comprendre les années suivantes de la petite enfance mais l’inverse n’est pas vrai ;
Les trois premières années de la vie posent les fondations de la personne sans pour autant en déterminer linéairement le devenir ; il n’y a pas de trajectoire individuelle prédictible ; chaque enfant a besoin d’être entouré avec précaution, bientraitance et attention prévenante.
Ainsi, l’accueil collectif des jeunes enfants est un moment privilégié pour veiller au bon développement, à la santé et à l’épanouissement des enfants. Pour ce faire, 5 dimensions prioritaires sont mises en avant par Mme Giampino :
1. Se sécuriser/Construire sa confiance de base ;
2. Prendre soin de soi/ De la puériculture à l'autonomie ;
3. Se repérer dans les relations, s'identifier/ Le soi et l'autre ;
4. Se déployer/ l'enfant apprenant ludique (corps, jeu, apprentissage) ;
5. Se socialiser/apprivoiser le langage, les codes, les valeurs (cultures, art, interculturel).
Le rapport de la commission des « 1 000 premiers jours » (2020)
Ce rapport, remis en septembre 2020, a permis d’identifier les facteurs favorables au développement de l’enfant et les leviers pour investir davantage dans l’accompagnement de l’entourage de l’enfant, notamment des parents, pendant les 1 000 premiers jours. L’expression des « 1 000 premiers jours » renvoie à une « période sensible pour le développement et la sécurisation de l’enfant, qui contient les prémisses de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de la vie » ([133]). Les auteurs du rapport précisent que cette période peut différer selon les contextes. Au sens du rapport, la période des « 1 000 premiers jours » a été entendue comme s’étendant du 4e mois de grossesse aux deux ans de l’enfant ; cependant, dans certains cas, cette période peut s’étendre de la période préconceptuelle jusqu’à l’âge de trois ans.
Ainsi, durant les 1 000 premiers jours de l’enfant, celui-ci est particulièrement vulnérable et l’enfant forme son développement cognitif et affectif sur cette période. Cela suppose donc de répondre à un certain nombre de besoins fondamentaux de l’enfant pour lui permettre de développer sainement ces compétences, notamment par le biais d’interactions sociales de qualité et de respect du principe de l’attachement. Par ailleurs, il faut favoriser l’apprentissage du jeune enfant, qui apprend essentiellement par le langage et le jeu. De manière générale, les besoins fondamentaux du jeune enfant au cours des 1 000 premiers jours supposent la création, au bénéfice de l’enfant, d’un mode de vie et d’un environnement sains pour poser les conditions d’un bon développement de sa santé physique et mentale tout du long de sa vie.
Les violences, qu’il s’agit de maltraitances ou de violences « ordinaires », ou dites « douces », ont un impact non négligeable sur les facultés de développement des jeunes enfants.
Dès lors, selon les auteurs du rapport des « 1 000 premiers jours », la qualité d’accueil au sein des EAJE est « un enjeu majeur pour le développement socio-émotionnel, psychomoteur et cognitif de l’enfant ainsi que la lutte contre les inégalités sociales ».
Or, le rapport met en avant la rareté des études, en France, portant sur l’évaluation de la qualité des modes d’accueil. Pourtant, la série d’études du National Institute of Child Health and Human Development, réalisée sur 1 364 enfants de 10 États différents aux États-Unis, suivis d’un mois à quinze ans, a monté notamment que la qualité de l’accueil dans la petite enfance est associée à la performance cognitive, aux compétences langagières et à la réussite scolaire dès l’âge de deux ans et jusqu’à 10-11 ans.
Cette étude a également montré que lorsque l’environnement est stimulant et bien organisé, que les groupes d’enfants et le ratio d’enfants par professionnel sont de petite taille, les enfants ont de meilleures compétences attentionnelles, langagières et de mémoire ainsi que des relations plus positives avec les adultes. En revanche, la précocité de l’âge d’entrée et un nombre élevé d’heures passées en crèches collectives peuvent favoriser l’émergence de troubles du comportement chez l’enfant, en particulier lorsque la crèche est de faible qualité.
Source : Rapport de la commission dite des « 1 000 premiers jours »
Ainsi, si l’étude longitudinale depuis l’enfance (Elfe) et l’étude de cohorte généralisée menée en France sur les déterminants pré et postnataux précoces du développement psychomoteur et de la santé de l’enfant (Eden) ont permis de démontrer le bienfait, pour les enfants, de l’accueil en EAJE, il convient d’insister sur le fait que ces bienfaits ne sont pas inconditionnels ; au contraire, ils ne peuvent produire pleinement leurs effets que si des conditions de qualité et de satisfaction des besoins des enfants sont réunies. Dès lors que ce n’est pas le cas, l’accueil en EAJE peut, a contrario, produire des effets néfastes pour le développement de l’enfant.
Aussi, pour garantir le bon développement des enfants accueillis en EAJE, trois éléments doivent notamment être favorisés pour renforcer la qualité de l’accueil, selon la rapporteure, à savoir :
– l’encadrement pédagogique en nombre suffisant ;
– la pratique de référence ([134]) impliquant une stabilité des équipes pédagogiques ;
– la qualité et l’actualisation régulière de la formation des professionnels.
Or, ce sont précisément ces aspects de la qualité d’accueil qui sont remis en cause du fait de la pénurie de professionnels car, comme évoqué supra (voir première partie, I, B, 2, a), les projets pédagogiques affichés peuvent difficilement être mis en œuvre dans un contexte de sous-effectifs des structures ; les professionnels doivent souvent renoncer à se former faute de temps pour ce faire ; le principe de référence peut difficilement être préservé dès lors que les conditions de travail génèrent un turn-over important des équipes.
Concernant le taux d’encadrement applicable en France d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et huit qui marchent ou d’un professionnel pour 6 enfants qu’ils soient marcheurs ou non, il est à noter qu’il est plus faible que la moyenne des pays de l’OCDE, qui est de 5 enfants pour un adulte ([135]). Or, le rapport sur les « 1 000 premiers jours » met en exergue que plus les taux d’encadrement sont élevés, plus les relations entre le personnel et les enfants en EAJE sont de bonne qualité ([136]).
Ainsi, l’organisation des EAJE en France ne tient pas suffisamment compte des besoins primaires de sécurité des enfants accueillis, dans leur fonctionnement institutionnel même.
Or, des professionnels en sous-effectifs, soumis à une pression croissante, de moins en moins diplômés pour répondre à la pénurie de professionnels, ne sont pas en mesure de répondre à ces exigences de manière qualitative.
Mme Nathalie Casso-Vicarini, membre de la commission des « 1 000 premiers jours », met en avant la perte de chance pour les enfants du fait de conditions d’accueil détériorées au sein des EAJE ([137]). Cette perte de chance peut se traduire par un développement amoindri des capacités de l’enfant et par des compétences parentales affaiblies.
ii. Les enfants détiennent des droits en propre qu’il convient de respecter et de faire respecter au sein des EAJE
La rapporteure tient à rappeler qu’en 1989, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la convention des droits de l’enfant (CIDE) qui consacre l’enfant comme individu à part entière et détenteur, à ce titre, de droits propres dont la réalisation doit être soutenue et accompagnée par les adultes, et, plus généralement, par les politiques publiques, avec pour finalité la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers, notamment, la satisfaction de ses besoins fondamentaux.
La satisfaction des besoins fondamentaux des enfants, à travers la qualité de leur accueil au sein des EAJE, ne peut donc pas passer au second plan, après l’objectif quantitatif de création de places pour les accueillir et la nécessité de satisfaire le besoin quantitatif en termes d’accueil pour permettre à leurs parents de reprendre une activité professionnelle.
Si la rapporteure considère qu’il n’est en réalité pas dans l’intérêt des parents de recourir à des solutions d’accueil dégradées pour leur enfant, elle tient à rappeler que dans le cadre d’une politique d’accueil des jeunes enfants, il est nécessaire de faire passer en premier les intérêts des enfants et la recherche de la satisfaction de leurs besoins.
La qualité d’accueil au sein des EAJE doit ainsi garantir que les droits fondamentaux des enfants soient effectivement respectés, d’autant plus dans le cadre de la mise en place du service public de la petite enfance.
4. Dans le même temps, l’insuffisance, voire parfois l’absence, de contrôle de la qualité de l’accueil des enfants en crèche accentue la possibilité de dysfonctionnements
La détérioration de la qualité d’accueil des enfants en crèche est également à mettre en lien avec l’insuffisance des contrôles exercés sur ces structures, à la fois le contrôle des professionnels travaillant au sein de ces structures, que de la prise en charge, stricto sensu, des enfants. Le contrôle des EAJE, relève de la compétence d’une pluralité d’acteurs : la PMI vérifie essentiellement le respect du code de la santé publique, tandis que la Caf vérifie le respect des modalités financières prévues par les COG successives. Cependant, la PMI et la Caf ne peuvent pas se substituer à l’inspection du travail s’agissant du contrôle des conditions de travail et du respect du droit du travail pas plus qu’elles ne peuvent se substituer à la DGCCRF pour les contrats entre les EAJE et les parents. Pour autant, malgré cette pluralité d’acteurs, le contrôle n’est pas toujours mis en œuvre de manière satisfaisante.
a. Le défaut de contrôle opéré sur les professionnels eux-mêmes
La rapporteure a pu observer, par les différents échanges menés au cours des travaux, un défaut de contrôle pesant sur les professionnels eux-mêmes, d’une part s’agissant de leurs diplômes, qualifications et expériences ; d’autre part, s’agissant de leurs antécédents judiciaires.
i. Parfois, les qualifications et les compétences des professionnels des EAJE ne sont pas contrôlées
L’article R. 2324-42 du code de la santé publique dispose que, pour les professionnels des EAJE entrant dans les 40 % des personnels les plus diplômés, les professionnels doivent être détenteurs de diplômes d’auxiliaire de puériculture, d’éducateur de jeunes enfants diplômés d’État, d’infirmiers diplômés d’État, de psychomotriciens diplômés d’État et de puériculteurs diplômés d’État. Pour les 60 % des professionnels les moins qualifiés, sont exigés – en dehors de la dérogation accordée par l’article 2 de l’arrêté du 29 juillet 2022 – une liste de diplômes et de qualification exigée définie par l’article 1er du même arrêté.
En tout état de cause, le droit positif pose donc des règles précises quant aux qualifications requises pour travailler au sein d’un EAJE, ce qui suppose que ces établissements sont dans l’obligation de vérifier les diplômes et compétences des professionnels qu’ils embauchent.
Or, cette vérification semble ne pas avoir toujours lieu en pratique. À titre d’exemple, lors de son audition devant la commission d’enquête, le fondateur du groupe privé de crèches La Maison Bleue, après avoir relaté le cas d’une journaliste ayant « infiltré » l’une de ses crèches en se faisant passer pour une auxiliaire de puéricultrice, en prétendant que celle-ci avait produit de faux diplômes, a finalement admis qu’aucune vérification des diplômes n’avait, dans ce cas précis, été effectuée.
Cette situation démontre que la vérification est loin d’être systématique, ce qui interroge la rapporteure.
Les PMI elles-mêmes sont mises en incapacité de vérifier les compétences réelles des professionnels des EAJE, pour la simple raison qu’il ressort des échanges que la rapporteure a pu avoir avec certaines PMI et des retours aux questionnaires qu’elle a adressés à toutes les PMI de France, que celles-ci ne sont pas tenues au courant des changements de personnels au sein des structures. Les PMI regrettent ainsi, régulièrement, que les EAJE du secteur privé lucratif, notamment, communiquent peu sur les changements de personnels en leur sein que les structures publiques, ce qui complique, du côté des PMI, le suivi de ces professionnels.
Cela constitue un problème à au moins deux titres :
– d’une part, la PMI ne peut pas s’assurer que les professionnels des EAJE bénéficient effectivement de la qualification requise pour travailler en EAJE ;
– d’autre part, la très grande majorité des PMI ayant répondu à l’enquête de la rapporteure déclarent, parmi les signaux d’alerte pris en considération pour déclencher le contrôle d’une structure, celui d’un fort turn-over des professionnels d’une structure. Un indicateur que la rapporteure trouve elle-même extrêmement pertinent pour identifier des dysfonctionnements dans un EAJE. Or, dès lors que celles-ci ne déclarent pas à la PMI leurs changements de personnels, la PMI est mise de facto dans l’impossibilité de prendre en considération ce signal d’alerte lui permettant d’exercer son travail de contrôle.
La rapporteure relève donc qu’en l’état actuel des choses, la PMI n’est pas en mesure de contrôler que les personnels des EAJE répondent effectivement aux conditions d’emploi au sein de ces structures en tout temps. En revanche, dès lors qu’elles exercent le contrôle d’un EAJE, elles sont en droit de vérifier ces éléments.
ii. Le défaut de contrôle des antécédents professionnels et judiciaires
En cas de dysfonctionnements dans un EAJE causés par un professionnel « défaillant », le fait que ce professionnel soit licencié pour faute n’empêche pas celui-ci de continuer à exercer sa profession au sein d’un autre EAJE, même d’un même territoire, car il n’existe pas, à ce jour, de système d’alerte qui permettrait d’alerter sur des professionnels défaillants. Un tel système serait notamment, en l’état actuel du droit, contraire au RGPD.
Aussi, ni les EAJE eux-mêmes, ni les services départementaux ne sont à ce jour en capacité d’identifier, au niveau d’un territoire, un système de communication qui permettrait d’alerter les EAJE de l’existence de professionnels défaillants dont il conviendrait d’éviter l’embauche au contact des enfants.
Outre la défaillance d’un professionnel de la petite enfance, certains professionnels peuvent éventuellement avoir été condamnés pour des faits qui seraient incompatibles avec leur recrutement au sein d’un EAJE (par exemple, en cas de condamnation pour des actes de maltraitance, des violences intrafamiliales, etc.).
Toutefois, les gestionnaires y opposent qu’ils ne sont pas non plus en mesure de vérifier les extraits des casiers judiciaires des personnels qu’ils recrutent. De nouveau, il ressort des travaux de la commission d’enquête que les EAJE du secteur privé ne vérifieraient pas toujours cet élément, contrairement aux crèches publiques.
L’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles prévoit le contrôle des antécédents judiciaires des professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ainsi que dans les EAJE. Cependant, les gestionnaires privés d’EAJE ne sont pas autorisés, par les dispositions du code de procédure pénale, à consulter le bulletin n° 2 (B2) du casier judiciaire de leur personnel et ne peuvent exiger que la production du bulletin n° 3 (B3), moins précis que le B2.
Interrogé à ce sujet par une question écrite de M. Hugues Saury, sénateur, le ministère de la santé et de la prévention a répondu que le 3° de l’article 776 du code de procédure pénale permet cependant à une administration ou à un organisme, chargé par la loi ou le règlement du contrôle de l’exercice d’une activité professionnelle, de solliciter le B2. Il ajoutait que le président du conseil départemental détient également la compétence pour contrôler l’exercice de la profession et la subordonner à l’absence de certaines condamnations pénales au sein des EAJE de son territoire, et qu’il peut à ce titre solliciter le B2.([138])
S’agissant des PMI, dans les réponses au questionnaire adressé par la rapporteure, elles allèguent ne plus être en mesure de vérifier les casiers judiciaires des personnels et arguent de ce qu’il revient à l’employeur de le faire. La rapporteure note cependant que certaines PMI parviennent à vérifier les extraits de casiers judiciaires des personnels des EAJE. À titre d’exemple, la Guyane procède à cette vérification en faisant appel à la direction générale de la jeunesse ou à la protection judiciaire de la jeunesse.
Cette situation – où PMI et gestionnaires se renvoient la balle alors que la réponse formulée à la question écrite indique que les unes comme les autres devraient être en mesure de procéder à cette vérification – ne permet pas de garantir de façon effective la protection des droits des enfants et leur accueil de qualité. S’il est évident que la protection des données personnelles doit bénéficier d’une pleine effectivité, la rapporteure tient à relever que sa protection ne peut être érigée en priorité en face des droits des jeunes enfants à bénéficier d’un accueil de qualité propice à leur développement.
b. La nette insuffisance des contrôles réalisés par les services de PMI, malgré leur compétence centrale en la matière
Juridiquement, la compétence de droit commun de contrôle des EAJE est attribuée aux PMI. En pratique, notamment en raison d’un manque flagrant de moyens humains mis à leur disposition, les PMI ne sont pas en mesure de contrôler aussi souvent qu’il le faudrait tous les EAJE. Par ailleurs, en raison d’un manque d’harmonisation des critères de contrôles relatifs à la qualité, les contrôles s’avèrent hétérogènes sur les aspects autres que bâtimentaires.
i. Le cadre législatif applicable au contrôle des EAJE par les PMI
En vertu de l’article L. 2324-2 du code de la santé publique, le médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile (PMI) vérifie que les conditions du quatrième alinéa de l’article L. 2324-1 du même code sont respectées par les EAJE, à savoir les conditions de qualification et d’expérience professionnelle, de moralité et d’aptitude physique des professionnels des EAJE sont conformes aux règles applicables.
Lorsque le médecin de PMI estime que la santé physique ou mentale ou l’éducation des enfants sont compromises ou menacées, l’article L. 2324-3 du code de la santé publique, tel que modifié par l’article 18 de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi prévoit que le représentant de l’État dans le département ou le président du conseil départemental peuvent adresser des injonctions aux EAJE et que, dans le cas où il n’est pas satisfait auxdites injonctions, le représentant de l’État dans le département peut alors prononcer la fermeture totale ou partielle, provisoire ou définitive, de ces établissements.
Par ailleurs, en cas d’urgence, le représentant de l’État dans le département peut prononcer, par arrêté motivé, la fermeture immédiate et provisoire d’un EAJE.
En pratique, les services de PMI opèrent, après l’ouverture d’un EAJE, des visites de suivi, auxquelles s’ajoutent, normalement, des contrôles ponctuels, voire des contrôles inopinés des structures.
ii. En pratique, en raison notamment d’un manque de moyens, les PMI contrôlent peu les EAJE
Les contrôles de la PMI apparaissent insuffisants à plusieurs égards : sur la forme, la manière dont le contrôle est décidé dépend de chaque PMI et la régularité des contrôles comme les critères présidant au déclenchement de ceux-ci sont extrêmement variables. Ensuite, sur le fond, le contrôle des PMI demeure excessivement bâtimentaire et insuffisamment centré sur la question de la qualité. Enfin, les PMI ne bénéficient pas de moyens suffisants pour exercer leur office. In fine, les services des PMI contrôlent peu les EAJE en raison d’un manque de moyens les empêchant de remplir toutes leurs missions.
● L’opportunité et la fréquence variables du contrôle
En premier lieu, sur la forme, la décision de contrôler et la régularité des contrôles exercés par les PMI sont fortement hétérogènes. Sur les 69 PMI ([139]) qui ont répondu au questionnaire envoyé par la rapporteure, la fréquence des contrôles des EAJE sur le territoire est la suivante :
Fréquence de contrôle de chaque EAJE de leur territoire
par les services de PMI
Tous les six mois |
1 |
Tous les ans |
9 |
Tous les ans pour les EAJE privés, tous les deux ans pour les EAJE publics |
2 |
Tous les ans pour les EAJE privés, tous les deux ans pour les EAJE publics et tous les 18 mois pour les DSP |
1 |
Tous les 15 mois |
1 |
Tous les 18 mois |
2 |
Tous les deux ans |
14 |
Tous les deux ans pour les EAJE privés et tous les trois ans pour les EAJE publics |
2 |
Tous les trois ans |
15 |
Tous les quatre ans |
1 |
Tous les cinq ans |
7 |
Tous les dix ans et plus |
2 |
Uniquement sur signalement/dysfonctionnements |
6 |
Pas de règle définie |
5 |
Uniquement des visites de suivi sans contrôle stricto sensu |
1 |
Source : Commission d’enquête
Fréquence des contrôles des PMI sur les EAJE
Source : Commission d’enquête.
Ainsi, 64 % des PMI n’effectuent pas de contrôles à une régularité inférieure à trois ans. Il est par ailleurs inquiétant que 11 % d’entre elles ne fassent aucun contrôle régulier, car uniquement sur signalement, parce qu’elles n’ont pas défini de règles de contrôle, ou qu’elles ne fassent que des suivis sans contrôle stricto sensu. La Cour des comptes, en 2013 ([140]), dénonçait déjà le nombre et la fréquence insuffisants des contrôles.
Par ailleurs, des réponses étonnantes ont été formulées par certaines PMI. Par exemple, s’agissant de la question de la fréquence des contrôles des EAJE du territoire, une PMI a répondu : « tous les trois ans si la qualité repérée est suffisante, tous les 18 mois si des points d’amélioration sont attendus, et tous les ans si les dysfonctionnements sont récurrents ». La rapporteure s’étonne de ce que des services de PMI puissent acter de la qualité d’un EAJE en ne le contrôlant que tous les trois ans, compte tenu des forts mouvements de personnels qui caractérisent le secteur de la petite enfance, et que des EAJE dans lesquels les dysfonctionnements sont jugés récurrents fassent uniquement l’objet d’un contrôle annuel.
Par ailleurs, dans certains cas, il était difficile de savoir si la fréquence des contrôles indiquée par les PMI portait sur les contrôles effectivement réalisés par les PMI ou s’il s’agissait d’un objectif des services.
● Le mode de contrôle exercé : peu de contrôles inopinés effectifs, qui devraient pourtant constituer le principe
Enfin, les PMI n’exercent pas toutes des contrôles inopinés et, parmi les PMI réalisant des contrôles inopinés, un peu plus de la moitié de ces contrôles ne sont réalisés qu’en cas de signalement ou de dysfonctionnement avéré.
Ainsi, 26 des 69 PMI ayant répondu pratiquent des contrôles inopinés uniquement en cas de signalements ou de dysfonctionnements repérés. Or, l’utilité du contrôle inopiné est avant tout de contrôler un établissement avant même toute connaissance d’un dysfonctionnement en son sein.
Par ailleurs, de nouveau, des réponses étonnantes ont pu être constatées par la rapporteure, par exemple dans le cas d’une PMI qui répondait pratiquer des contrôles inopinés, mais avertir à l’avance les EAJE contrôlés qu’ils feraient l’objet dans l’année suivante d’un contrôle inopiné, qui, in fine, n’est donc plus tout à fait un contrôle inopiné.
Aussi, bien que seulement 5 % des PMI répondantes déclarent ne pas pratiquer de contrôle inopiné, la mise en œuvre de ces contrôles est à améliorer pour permettre l’effectivité pleine et entière de ce type de contrôle.
La réalisation de contrôles inopinés fréquents et de qualité est une des conditions du respect d’un accueil du jeune enfant de qualité partout sur le territoire. Aussi, la rapporteure regrette que les départements ne créent pas les conditions d’un tel contrôle et rappelle qu’il est urgent – d’autant plus dans le contexte du service public de la petite enfance – de remédier à cette situation.
● Le contenu du contrôle et l’absence d’harmonisation des critères et pratiques ne permettent pas d’évaluer la qualité d’accueil
S’agissant du fond du contrôle exercé par les PMI sur les EAJE, comme l’a relevé l’Igas, dans son rapport sur les maltraitances dans les crèches, le contrôle qui est exercé par les PMI est actuellement centré sur les questions d’hygiène et de sécurité, et non sur la question du contrôle de la qualité d’accueil.
Par ailleurs, il ressort des réponses des PMI aux questionnaires envoyés par la rapporteure, tout comme le relevait déjà l’Igas dans son propre rapport, qu’aucun guide de contrôle n’est mis à disposition des conseils départementaux au niveau national concernant les EAJE. Les services de PMI utilisent, ce faisant, une grille de contrôle établie localement ; ainsi, les éléments contrôlés sont très hétérogènes d’un territoire à un autre. Pourtant, la rapporteure estime que les besoins des jeunes enfants et les critères qui devraient donc y être associés pour s’assurer de leur satisfaction sont les mêmes sur tout le territoire.
La réforme Norma a introduit des référentiels nationaux s’agissant des normes bâtimentaires : il s’agit déjà d’une première étape importante pour uniformiser la qualité de service sur le territoire national. Cependant, comme cela a déjà été souligné, le respect des normes bâtimentaires ne suffit pas à garantir la qualité de l’accueil des enfants en EAJE ; il convient d’y adjoindre d’autres référentiels, sur la base de critères de contrôle autres que bâtimentaires uniformisés, ainsi qu’une communication entre les différentes PMI du territoire.
La mise en œuvre de critères communs de contrôle de la qualité suppose une harmonisation des pratiques et une communication entre les différents services de PMI. Or, sur les 69 PMI ayant répondu au questionnaire, 24 PMI ont ainsi déclaré n’avoir aucune relation avec les autres PMI de la région, ni aucune réflexion relative à l’harmonisation des pratiques et d’adoption de critères communs pour apprécier la qualité de l’accueil des enfants en EAJE, soit pratiquement 35 % des PMI répondantes.
Parmi les PMI déclarant avoir des contacts avec d’autres PMI, seules 19 PMI déclarent avoir réellement institutionnalisé réellement des échanges ; ceux-ci restant, pour les autres, occasionnels et variables.
● Des difficultés en partie dues à un manque de moyens financiers et humains
Ces difficultés des PMI à exercer de manière effective et poussée les contrôles des EAJE sont en partie dues au manque de moyens alloués à ces services. Déjà en 2019, la députée Mme Michèle Peyron dressait le constat, au sein de son rapport Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! ([141]), remis suite à une mission qui lui avait été confiée par le Premier ministre le 26 juillet 2018, de la situation préoccupante des PMI du territoire national.
La députée alertait sur la baisse significative du budget général des PMI, de 4 % sur la période de 2013 à 2017, ainsi que le manque de médecins, s’inquiétant de 50 % de postes vacants dans certaines PMI, situation qui était appelée à s’aggraver, étant entendu que les deux tiers des médecins de PMI devaient atteindre l’âge de la retraite en 2020. Cette situation faisait dire à la députée que la France s’était désinvestie de la PMI.
Lors de son audition devant la commission d’enquête, l’ancien secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, M. Adrien Taquet, a soulevé que l’État avait réinvesti 100 millions d’euros en trois ans, pour faire face à la décision des départements de désinvestir 100 millions d’euros dans les PMI tel qu’identifié par Michèle Peyron dans son rapport.
La rapporteure note toutefois que l’intégralité des PMI interrogées par l’intermédiaire du questionnaire de la rapporteure a soulevé la question du manque de moyens, à la fois financiers et humains, des différents services de PMI.
Une étude de la Drees de juin 2022 alertait également sur la perte de médecins au sein des PMI. Elle notait ainsi que si le total des effectifs en ETP n’avait que légèrement diminué entre 2016 et 2019 (– 0,4 % en moyenne par an), ceux des médecins avaient nettement reculé (– 4,8 % par an). ([142])
Or, la diminution du nombre de médecins au sein des PMI est un élément de plus venant détériorer la qualité du contrôle mené sur les EAJE pour détecter la mauvaise qualité d’accueil d’un EAJE. À la qualité d’accueil des enfants en EAJE doit correspondre une qualité égale dans le contrôle qui est fait de cette qualité.
Par ailleurs, outre le fait que les PMI sont confrontées à des pertes de professionnels, il faut relever que le contrôle des EAJE n’est pas toujours leur priorité et dépend, à l’instar des budgets qui leur sont consacrés, de choix politiques locaux. En effet, les consultations infantiles sont, selon la Drees, la première activité des services. Aussi, les PMI doivent composer, dans un contexte de tension croissante, avec toutes les missions qui leur sont confiées sans que les départements dont ils relèvent ne leur en donnent réellement tous les moyens.
La rapporteure note également que les effectifs consacrés au contrôle des EAJE parmi les effectifs totaux des PMI sont extrêmement faibles, et représentent souvent moins d’un ETP.
c. Les contrôles réalisés par les autorités finançant les crèches ne portent pas, ou peu, sur la qualité de l’accueil proposé
Divers autres acteurs procèdent à des contrôles thématiques en fonction de leurs compétences spécifiques, sans toutefois procéder au contrôle de la qualité de l’accueil. Cependant, par l’intégration de nouvelles compétences de contrôle, l’article 18 de la loi pour le plein-emploi pourra peut-être résorber les lacunes existantes en la matière.
i. Le contrôle essentiellement financier réalisé par les Caf
Les CAF exercent également une forme de contrôle sur les EAJE, mais uniquement sous le prisme financier. En effet, les CAF conditionnent leur financement à certaines exigences à respecter par les établissements fonctionnant en PSU, à savoir :
– le respect d’une tarification modulée en fonction des ressources des familles ;
– l’adaptation des contrats aux besoins réels de chaque famille ;
– la fourniture de couches et de repas aux enfants accueillis ;
– la réalisation de temps de concertation.
Ces différents aspects sont donc contrôlés par la CAF a priori, par l’intermédiaire de la validation des règlements de fonctionnement ; et a posteriori, par l’examen de documents justificatifs fournis par les structures et la mobilisation de contrôleurs spécialisés qui se rendent au sein des EAJE. Selon les données communiquées par la CNAF, 3 660 EAJE sont ainsi contrôlés chaque année.
Ces contrôles peuvent être coordonnés avec les préfectures, sous l’aspect « sécurité » et avec les PMI, sous l’angle du respect des exigences relatives aux personnels, aux bâtiments, et à la pédagogie, si cela est jugé nécessaire.
Il est toutefois à noter que par essence, le contrôle des Caf est non seulement réduit matériellement, par son champ de compétence strictement financier, mais également ratione personae, en considération du type de structure, puisque leurs compétences de contrôle vis-à-vis des établissements financés par la Paje sont très réduites, étant entendu que les Caf ne peuvent contrôler que ces structures que lorsqu’elles ont bénéficié d’un financement au titre des aides à l’investissement.
La compétence de contrôle de la branche famille a été consacrée récemment, par l’article 18 de la loi pour le plein-emploi et, afin de se préparer au mieux à l’entrée en vigueur de cette disposition, la Cnaf a engagé des opérations de contrôle « test » dans deux départements afin de clarifier les pratiques des gestionnaires, de prévoir un cadre de contrôle sécurisé juridiquement, tant pour les gestionnaires que pour les Caf, vérifier les modalités de tarification des familles et le fait que l’EAJE contrôlé propose bien un cadre qui garantisse une qualité d’accueil. Le but affiché est que les Caf puissent vérifier que les gestionnaires d’EAJE utilisent les financements publics, même indirects, au service de la qualité d’accueil des enfants.
Par ailleurs, il est rare que les contrôles soient coordonnés entre différents services.
ii. Des contrôles au contenu aléatoire par les collectivités territoriales en charge du service public de la petite enfance
Les collectivités territoriales, notamment les communes, compétentes en matière de politique familiale, devraient logiquement exercer un certain type de contrôle sur les EAJE de leur territoire, à tout le moins ceux d’entre eux qui bénéficient d’un financement communal. Cependant, en pratique, il ressort des travaux menés dans le cadre de la commission d’enquête que les collectivités territoriales contrôlent peu, voire pas du tout, les EAJE, ce qui est problématique notamment lorsqu’une collectivité territoriale donnée subventionne un tel établissement. De la même manière, lorsqu’un EAJE fonctionne en délégation de service public, il est parfaitement logique que l’autorité délégante ait vocation à contrôler le respect, par le délégataire, de ses obligations contractuelles. Cependant, de nouveau, les travaux menés dans le cadre de cette commission d’enquête ont pu révéler le caractère extrêmement aléatoire et hétérogène de ces contrôles.
iii. L’absence de contrôles par les services de l’État
Comme le relevait déjà l’Igas dans son rapport sur les maltraitances dans les crèches ([143]), les services de l’État sont pratiquement absents de la question de la petite enfance alors que, pourtant, en vertu de l’article L. 2111-1 du code de la santé publique, les agents des services de l’État dans le département sont compétents pour contrôler les EAJE.
Par ailleurs, comme le souligne également l’Igas, bien que les agences régionales de santé (ARS) n’aient pas de compétence propre en matière de contrôle des EAJE, elles peuvent toutefois intervenir en soutien à la demande du préfet de département, mais, dans les faits, elles n’interviennent jamais en ce sens, alors qu’au regard de leurs compétences, elles ont vocation à le faire, à tout le moins sur le plan sanitaire. De la même manière, si les directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités ont aussi compétence pour contrôler des structures, l’Igas note qu’elles n’interviennent pas n’ont plus dans le domaine faute de moyens.
Parmi les mesures du Plan d’urgence sur la qualité d’accueil en crèche qui avait été annoncé par le ministre M. Jean-Christophe Combe, des annonces avaient été faites s’agissant, d’une part, de la limitation de la durée d’autorisation des EAJE et, d’autre part, les contrôles des EAJE. La DGCS avait, à la suite de ces annonces, réuni deux groupes de travail sur ces sujets. Ces groupes de travail ont donné lieu à certaines modifications introduites par l’article 18 de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi.
iv. Des lacunes que l’article 18 de la loi plein emploi a vocation à combler ?
L’article 18 de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi modifie l’état du droit en prévoyant divers mécanismes de contrôle des EAJE. Ainsi, dorénavant :
● Le projet de création, d’extension ou de transformation d’un établissement ou d’un service de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans fait l’objet, préalablement à la demande d’autorisation prévue à l’alinéa 1 de l’article L. 2324-1 du code de la santé publique, d’un avis favorable de l’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant compétente au titre du 3° du I de l’article L. 214-1-3 du code de l’action sociale et des familles, c’est-à-dire les communes, qui sont également en charge, en vertu du 4° du I du même article, de « soutenir la qualité des modes d’accueil ». Cet article ouvre ainsi la voie à un rôle plus important de la commune pour exercer une forme de contrôle sur les EAJE.
● Un nouvel article L. 2324-1-1 du code de la santé publique prévoit une limitation dans le temps, à quinze ans, de l’autorisation prévue au premier alinéa de l’article L. 2324-1 du même code. Il prévoit également qu’en cas de changement de gestionnaire d’un établissement ou d’un service gérant l’accueil collectif de jeunes enfants, le président du conseil départemental vérifie que l’organisme cessionnaire de l’autorisation présente les garanties nécessaires pour gérer l’établissement ou le service. De nouveau, cet article va donc dans le sens d’un renforcement des pouvoirs de contrôle des collectivités.
● Cela est d’autant plus vrai que l’article L. 2324-2 du code de la santé publique est modifié en ce sens que le président du conseil départemental contrôle désormais l’application des dispositions du code de la santé publique applicables aux EAJE. Il a dorénavant le pouvoir de vérifier que les conditions d’installation, d’organisation ou de fonctionnement des EAJE « ne présentent pas de risques susceptibles de compromettre ou menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis ».
● Son contrôle ne porte donc pas, comme cela a été reproché aux PMI par de nombreux gestionnaires de crèches, uniquement sur des normes techniques et bâtimentaires, mais sur le bien-être de l’enfant, son bon développement et son éducation. Cet article est complété par le rôle donné au préfet du département qui peut, maintenant, à tout moment, diligenter les mêmes contrôles que le président du conseil départemental. Pour ce faire, il est prévu qu’il dispose des personnels, placés sous son autorité ou sous celle de l’agence régionale de santé, ou mis à disposition par d’autres services de l’État ou d’autres agences régionales de santé, et qu’ils peuvent en sus être assistés par d’autres personnes.
● Les directeurs des organismes débiteurs de prestations familiales contrôlent l’emploi des fonds versés aux EAJE et peuvent contrôler les autres services de leurs organismes gestionnaires qui concourent à la gestion des EAJE.
● Les EAJE, ainsi que les personnes morales qui exercent, directement ou indirectement, le contrôle exclusif ou conjoint des personnes morales gestionnaires des EAJE ainsi que les autres personnes morales qu’elles contrôlent et qui concourent à la gestion de ces établissements, sont désormais soumis au contrôle de l’Igas et de l’IGF. Cette nouvelle compétence doit permettre d’exercer des contrôles bien plus approfondis des EAJE. Les conclusions du rapport Igas-IGF sur les micro-crèches semblent ainsi annoncer une série de contrôles poussés sur les grands groupes, marquant le concours actif de ces inspections au bon déploiement du service public de la petite enfance, ce dont se réjouit la rapporteure. Par ailleurs, d’après les annonces qui ont été faites par Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargé de l’enfance, de la jeunesse et des familles, l’ensemble des groupes de crèches devrait faire l’objet, dans les mois à venir, d’un contrôle approfondi pour garantir la qualité d’accueil des enfants en EAJE.
● Un nouvel article L. 2324-2-2 du code de la santé publique prévoit qu’un plan annuel départemental d’inspection et de contrôle des EAJE est établi conjointement par le préfet de département et le président du conseil départemental, en coordination avec les directeurs des organismes débiteurs de prestations familiales. Le bilan de la mise en œuvre de ce plan est présenté chaque année au comité départemental des services aux familles ; il « fait état du niveau d’atteinte des objectifs fixés dans le plan, du nombre et de la nature des établissements contrôlés ainsi que de toute information permettant de mesurer la qualité du service rendu » par les EAJE du territoire. Il s’agit là d’une étape cruciale dans l’instauration d’une culture du contrôle coordonné et structuré.
● Les EAJE et leurs organismes gestionnaires et personnes morales sous le contrôle desquelles elles sont placées, doivent désormais, en vertu de l’article L. 2324-2-3 du code de la santé publique, transmettre chaque année aux organismes débiteurs de prestations familiales des documents de nature comptable et financière dont la liste est fixée par décret, ce qui va permettre l’exercice de contrôles financiers sur tous les EAJE, même les micro-crèches jusque-là en grande majorité exclues de ces contrôles.
● Les EAJE doivent désormais, en vertu du nouvel article L. 2324-2-4 du code de la santé publique, faire l’objet d’une évaluation a minima tous les cinq ans sur le fondement des référentiels mentionnés au sein de la charte nationale pour l’accueil du jeune enfant. Les résultats de cette évaluation sont publiés et communiqués à l’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant – c’est-à-dire, les communes – ainsi qu’au président du conseil départemental, au préfet de département et aux directeurs des organismes débiteurs de prestations familiales. Enfin, ce même article prévoit que les EAJE doivent publier des indicateurs relatifs à leur activité et à leur fonctionnement. La rapporteure se félicite de l’introduction d’une telle obligation qui va permettre le contrôle du respect effectif de cette charte et instaure enfin une fréquence de contrôle. Elle regrette toutefois que cette fréquence d’évaluation n’ait pas été plus ambitieuse.
● L’article 18 modifie l’article L. 2324-3 du code de la santé publique de telle sorte que ce dernier prévoit désormais que lorsque le président du conseil départemental ou le préfet de département, s’ils estiment qu’un EAJE méconnaît les dispositions du code de la santé publique ou présente des « risques susceptibles de compromettre ou menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis », peuvent enjoindre au gestionnaire d’un EAJE d’y remédier dans un délai qu’ils fixent. Cette injonction peut inclure des mesures de réorganisation des locaux ou du fonctionnement de l’EAJE, y compris de limitation de la capacité d’accueil, et toute injonction est suivie d’un contrôle à l’expiration du délai fixé.
Le président du conseil départemental ou le préfet de département peuvent également désigner un administrateur provisoire pour une durée de six mois renouvelable une fois pour accomplir les actes d’administration urgents nécessaires pour mettre fin aux difficultés constatées et dispose à cette fin de tout ou partie des pouvoirs nécessaires à l’administration et à la direction de l’EAJE.
En cas de non-respect de l’injonction, le président du conseil départemental ou le préfet de département peut prononcer une astreinte, pour chaque jour de retard et peut prononcer une interdiction de gérer un nouvel établissement. Lorsqu’il n’est toujours pas satisfait aux injonctions, le président du conseil départemental ou le préfet de département peut décider la suspension ou la cessation de tout ou partie des activités de l’EAJE et, en cas d’urgence, peut prononcer, par arrêté motivé, la fermeture immédiate, à titre conservatoire, d’un établissement.
Ces nouvelles dispositions, introduites par l’article 18 de la loi pour le plein-emploi de 2023, sont susceptibles de remédier aux lacunes préalablement exposées qui caractérisent aujourd’hui les contrôles des EAJE par l’État, les collectivités territoriales et organismes débiteurs de prestations familiales. Il faudra pour cela que tous les acteurs s’emparent, de manière effective, de toutes les compétences qui leur ont ainsi été confiées.
Décrets d’application attendus s’agissant de l’article 18
Un décret, qui devrait être publié en octobre 2024, relatif à la modification de la procédure d’autorisation des EAJE pour tenir compte de la mise en œuvre d’un avis favorable de l’autorité organisatrice concernant l’opportunité d’implantation d’un EAJE sur son territoire ; à l’extension de la procédure d’autorisation aux EAJE publics ; aux conditions de cession de l’autorisation en cas de changement de gestionnaire.
Un décret, qui devrait être publié en octobre 2024, relatif au renouvellement de l’autorisation tous les 15 ans et les modalités d’évaluation des EAJE tous les cinq ans.
Un décret, qui devrait être publié en octobre 2024, précisant les compétences du président du conseil départemental, du préfet et de la Caf en matière de contrôle et les modalités du nouveau régime gradué de sanction (injonction, administration provisoire, astreinte, amende, fermeture.
Un décret, qui devrait être publié en juillet 2024, relatif aux sanctions applicables aux EAJE en cas de manquement aux règles des conventions CAF.
Un décret, qui devrait être publié en octobre 2024, relatif aux modalités de transmission et la liste des documents de nature comptable et financière qui doivent être transmis par les EAJE aux Caf.
II. Le modÈle Économique des crÈches favorise la crÉation de places d’accueil sans encourager l’amÉlioration de la qualitÉ de l’accueil proposÉ
Les travaux de la commission d’enquête ont montré que le modèle économique des crèches a été construit par les pouvoirs publics afin d’encourager la création de places d’accueil et d’optimiser l’utilisation des places déjà existantes, dans le but de permettre l’accueil d’un maximum d’enfants de 0 à 3 ans.
La qualité de l’accueil a été prise en compte dans la construction initiale du mode de financement des crèches à travers le prisme de la réponse aux besoins des parents, mais très peu en lien avec le respect du rythme des enfants et la prise en compte de leurs besoins, tels qu’identifiés grâce à l’apport des neurosciences.
Confrontés ensuite à de plus en plus d’enjeux relatifs à l’égalité d’accès aux crèches et à la qualité de l’accueil, les gouvernements successifs et la Cnaf, ont créé des sources de financements complémentaires pour soutenir les gestionnaires, complexifiant les modalités de financement des EAJE.
Toutefois, malgré ces efforts, ce modèle de financement des crèches a des effets pervers qui engendrent une dégradation de la qualité d’accueil et présentent un coût non négligeable pour les finances publiques. En effet, alors même que ce sont plus de 5 milliards d’euros qui sont alloués chaque année par la seule branche famille au financement des crèches, on constate que la complexité et la multiplication des sources de financement ne permettent pas de couvrir leurs dépenses de fonctionnement. Par ailleurs, le financement de l’État, au travers du crédit d’impôt famille, semble avoir un effet inflationniste sur le coût de réservation des places en crèches sans pour autant favoriser une meilleure qualité d’accueil pour les enfants.
A. Les modes de financement des crÈches visent À rÉpondre aux besoins des parents tout en couvrant les coûts de fonctionnement des structures
Les différents modes de financement des crèches aujourd’hui existants reflètent la philosophie qui a animé les politiques publiques menées depuis plus de 20 ans en matière d’accueil du jeune enfant. Il s’agissait en effet d’encourager la création de places en crèches, afin de permettre aux parents de concilier vie personnelle et vie professionnelle.
En outre, le financement des crèches par la prestation de service unique (PSU) a été imaginé et a évolué pour encourager les gestionnaires de crèches à répondre au plus près aux besoins des familles. Par ailleurs, le mode de financement des micro-crèches, qui repose indirectement sur la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), plus souple que la PSU, a été conçu afin de favoriser la création de places dans des territoires dans lesquels les familles n’avaient pas nécessairement accès à des modes d’accueil formels. Toutefois, en raison du reste-à-charge important qu’implique l’accueil d’un enfant au sein d’une micro-crèche Paje, cette modalité d’accueil s’adresse principalement à des familles aisées.
1. La prestation de service unique, modalité de financement de droit commun, a été conçue pour répondre au plus près aux besoins des familles
La prestation de service unique (PSU) est aujourd’hui le mode de financement de droit commun des EAJE. En décembre 2022, 12 806 structures bénéficiaient de la PSU, soit plus de 85 % des crèches.
Cette prestation, créée en 2002 pour financer les EAJE, a fait l’objet d’une réforme très importante en 2014 visant à garantir une corrélation entre le service facturé aux familles et leurs besoins réels.
a. La création de la PSU en 2002 poursuit l’objectif de financer le fonctionnement des EAJE en les encourageant à répondre au plus près aux besoins des familles
La prestation de service unique a été créée en 2002, puis généralisée en 2005, en remplacement des anciennes subventions dont bénéficiaient les crèches, sur la base de tarifs forfaitaires à la demi-journée ou à la journée.
La PSU vise à financer les dépenses de fonctionnement des EAJE à hauteur de 66 % du coût de revient horaire réel, déduction faite des participations familiales établies conformément à une grille tarifaire construite en fonction des revenus du foyer (barème des participations familiales), dans la limite d’un plafond fixé annuellement par la Cnaf. Tous les EAJE peuvent en bénéficier – crèche multi-accueil, halte-garderie, micro-crèche, crèche familiale, ou encore crèche parentale – ce qui met fin à la distinction qui existait auparavant entre les établissements proposant un accueil régulier, et ceux qui proposaient un accueil occasionnel ou ponctuel.
Pour percevoir la PSU, les établissements doivent :
– avoir obtenu une autorisation de fonctionnement délivrée par le conseil départemental et par le maire ;
– être ouverts à tous les enfants ;
– appliquer le barème national des participations familiales défini par la Cnaf ;
– avoir signé une convention d’objectifs et de financement avec leur Caf départementale et avoir obtenu la validation, par la Caf, de leur projet d’établissement et de leur règlement de fonctionnement.
● La PSU poursuivait, dès l’origine, un objectif de mixité sociale, en application du principe de « neutralisation » des participations familiales. Cette prestation est en effet conçue de sorte que toutes les familles, quels que soient leurs revenus, puissent bénéficier d’un accueil en crèche, le montant de leur participation étant fixé selon un barème national qui tient compte de leurs ressources et du nombre d’enfants à charge. La PSU, versée par la branche famille de la sécurité sociale, complète cette participation pour couvrir, en principe, à hauteur de 66 % le coût de fonctionnement des structures. Dès lors, en théorie, les crèches n’ont aucun intérêt à privilégier les familles plus aisées par rapport aux familles plus modestes, puisque le montant de la PSU varie en fonction du montant des participations familiales.
Pour déterminer le montant de la participation de chaque famille, le gestionnaire d’une crèche PSU doit appliquer le barème des participations familiales mis à jour chaque année par la Cnaf.
Barème 2024 des participations familiales
|
Nombre d’enfants à charge |
Montant des ressources mensuelles prises en compte |
|||||
1 enfant |
2 enfants |
3 enfants |
4 à 7 enfants |
8 enfants et plus |
Plancher |
Plafond |
|
Taux d’effort |
0,0619 % |
0,0516 % |
0,0413 % |
0,0310 % |
0,0206 % |
765,77 € |
6 000 € |
Source : Cnaf.
Le taux d’effort des familles dépend du nombre d’enfants à charge. Ce taux est ensuite appliqué aux revenus mensuels de la famille, pour déterminer le tarif horaire de leur participation. Par exemple, un couple avec trois enfants à charge, dont le revenu mensuel s’élève à 3 000 euros, versera une tarification horaire égale à , soit 1,24 € par heure d’accueil.
Il existe un montant plancher pour les ressources prises en compte dans le calcul du tarif minimum, correspondant au montant du revenu de solidarité active annuel pour une personne isolée avec un enfant, déduction faite du forfait logement, soit 765,77 euros par mois. Ainsi, une famille présentant des ressources inférieures à ce montant se verra appliquer le taux d’effort correspond à ce plancher. Il existe également un montant plafond fixé à 6 000 euros par mois : les ressources perçues au-delà de ce plafond ne sont pas prises en compte dans le calcul du taux d’effort. Le gestionnaire d’une crèche ne peut pas appliquer un taux d’effort inférieur à celui prévu pour le montant plancher. En revanche, la Caf peut, par dérogation, autoriser le gestionnaire à appliquer le taux d’effort sur les revenus supérieurs à 6 000 mensuels.
Exemples de calcul du tarif horaire des participations familiales
|
Personne seule avec |
Couple avec |
Couple avec |
Revenu mensuel |
700 € |
3 000 € |
7 000 € |
Application du plancher/Plafond |
765,77 € |
– |
6 000 € |
Taux d'effort |
0,0619 % |
0,0413 % |
0,0516 % |
Formule |
765,77 € × 0,0619 % |
3 000 € × 0,0413 % |
6 000 € × 0,0516 % |
Tarif horaire hors plafond et plancher |
0,47 € |
1,24 € |
3,10 € |
Source : Commission d’enquête.
● La PSU répond également à une volonté de flexibilité vis-à-vis des besoins d’accueil des familles grâce à une tarification horaire, établie au plus près du volume d’heures dont elles ont besoin, qui permet non seulement l’accueil à temps plein des enfants, mais aussi l’accueil à temps partiel et l’accueil en urgence. La tarification horaire permet ainsi d’optimiser le taux d’occupation des EAJE puisqu’une même place peut être occupée par plusieurs enfants au cours de la semaine en fonction des besoins de leurs parents.
b. La réforme de la PSU en 2014 vise à réduire les inégalités de financement des EAJE
Près de 10 ans après sa création, la PSU a commencé à faire l’objet d’évaluations et de réformes, afin d’adapter son mécanisme aux besoins des familles et à l’évolution du secteur.
● En 2011 ([144]), la PSU a connu une première évolution afin d’homogénéiser le niveau de service rendu aux familles, en imposant à l’ensemble des EAJE de fournir les couches, les repas et le petit matériel de soins. Auparavant, l’application d’un tarif unique conduisait en effet à des inégalités entre les EAJE, puisqu’un même tarif rémunérait une prestation plus ou moins complète. Cette évolution visait à garantir une égalité territoriale et sociale entre les familles, afin qu’elles bénéficient toutes de prestations d’accueil au périmètre identique, quelle que soit la structure fréquentée par leurs enfants, et que soit proposée aux enfants issus des familles les plus modestes une bonne qualité de vie et d’accueil. Les gestionnaires de crèches s’étaient, à l’époque, vivement inquiétés de cette réforme, craignant une forte augmentation de leurs charges de gestion.
Fin 2011, les objectifs de la PSU n’étaient, par ailleurs, pas complètement atteints. La Cour des comptes avait ainsi constaté que peu de familles aux revenus modestes semblaient avoir accès aux crèches, d’autant que près de 40 % des structures appliquaient une majoration au barème des participations familiales. La Cour notait également que les taux d’occupation des structures restaient relativement faibles, alors même que la demande des familles en places d’accueil était pressante : seulement la moitié des EAJE atteignait un taux d’occupation supérieur à 70 %. Enfin, la Cour remarquait que la tarification à l’heure avait eu des effets pervers. D’une part, elle a pu entraîner une diminution de la durée moyenne des contrats d’accueil, les parents recherchant des solutions alternatives pour réduire leur reste à charge. D’autre part, la PSU étant versée en fonction des heures facturées aux familles, et non en fonction des heures réalisées, les gestionnaires étaient tentés de contractualiser avec les parents sur la base de besoins surestimés, pour améliorer leur taux d’occupation financier et faciliter la gestion de leur établissement ([145]).
● En 2013, une réforme structurelle de la PSU a en conséquence été initiée dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion entre la Cnaf et l’État, pour une entrée en vigueur en 2014. Elle était motivée principalement par plusieurs constats.
D’abord, malgré la réforme de 2011, des différences de pratiques entre les structures persistaient concernant la fourniture des couches et des repas, souvent justifiées par des impossibilités matérielles liées à l’absence de cuisine ou de local de stockage pour les changes au sein de l’établissement.
Ensuite, il existait un écart grandissant entre les heures facturées aux familles et les heures de présence réelle des enfants. Ainsi, entre 2007 et 2012, le taux de facturation, c’est-à-dire le rapport entre les heures facturées et les heures de présence réelles, avait progressé de 107 % à 113 % : pour 100 heures d’accueil effectif de l’enfant, sa famille payait 107 heures en 2007, et 113 heures en 2012 ([146]). Des gestionnaires qui facturaient 25 % d’heures de plus que les heures réalisées pouvaient ainsi percevoir 25 % de participations familiales et de PSU correspondante supplémentaires. La Cour des comptes recommandait à ce titre de « définir des règles opposables aux gestionnaires dans les contrats de PSU permettant une réfaction calculée en fonction de l’importance du dépassement du taux convenu ».
Pour répondre à ces enjeux, à partir de 2014, des aides à l’investissement ont été versées aux gestionnaires de crèches pour permettre la construction de cuisines ou l’achat d’équipements pour réchauffer les repas non préparés sur place, la construction ou l’aménagement de locaux pour le stockage des changes, et l’informatisation des structures, à l’aide de logiciels de gestion, pour faciliter le suivi de l’activité.
Par ailleurs, la réforme de la PSU de 2014 a conduit à une modulation du financement en fonction du niveau de service rendu mesuré selon deux facteurs :
– la fourniture des couches et des repas ;
– le taux de facturation, soit le rapport entre les heures réalisées et les heures facturées.
Ainsi, le montant de la PSU est aujourd’hui calculé sur la base d’un prix horaire plafond plus faible dans les établissements ne fournissant ni les repas, ni les couches que dans les établissements proposant ces services. Par ailleurs, le montant de la PSU est également calculé sur la base d’un prix horaire plafond plus faible lorsque le taux de facturation dépasse certains seuils, afin d’inciter les gestionnaires à facturer des prestations au plus près des besoins des familles.
BarÈme de la PSU en 2024
|
Prix |
Taux de la PSU |
Montant de la PSU |
EAJE avec un taux de facturation inférieur ou égal à 107 %, fournissant les couches et les repas |
10,05 €/h |
66 % |
6,63 €/h |
EAJE avec un taux de facturation inférieur ou égal à 107 %, ne fournissant pas les couches ou les repas |
9,30 €/h |
66 % |
6,14 €/h |
EAJE avec un taux de facturation supérieur à 107 % et inférieur ou égal à 117 %, fournissant les couches et les repas |
9,30 €/h |
66 % |
6,14 €/h |
EAJE avec un taux de facturation supérieur à 107 % et inférieur ou égal à 117 %, ne fournissant pas les couches ou les repas |
8,60 €/h |
66 % |
5,68 €/h |
EAJE avec un taux de facturation supérieur à 117 % fournissant les couches et les repas |
8,60 €/h |
66 % |
5,68 €/h |
EAJE avec un taux de facturation supérieur à 117 % ne fournissant pas les couches ou les repas |
8,27 €/h |
66 % |
5,46 €/h |
Source : Les aides des Caf aux partenaires. Barème national 2024.
Au regard de ces indicateurs, la réforme de la PSU en 2014 a porté ses fruits. En dix ans, la fourniture des repas et des couches par les gestionnaires de crèches est devenue la norme : entre 2014 et 2020, la part des places d’accueil pour lesquelles les couches sont fournies est passée de 79,1 % à 94,6 % (soit + 15,4 points), et la part des places d’accueil pour lesquelles les repas sont fournis est passée de 92,2 % à 96,5 % (soit + 4,3 points) ([147]).
Concernant le taux de facturation, il a diminué de près de 5 points entre 2014 et 2020, pour s’établir autour de 108 % en moyenne. Cette baisse du taux de facturation engendre des économies tant pour les familles que pour les finances publiques.
Évolution du taux de facturation dans les EAJE entre 2007 et 2020
Source : Cnaf.
c. Le volume financier de la PSU aujourd’hui
La PSU et les financements qui lui sont associés (voir Première partie. II. B. 2. a.) représentaient près de 3,5 milliards d’euros en 2023. Elle est majoritairement versée à des crèches publiques (57,57 %) et dans une moindre mesure à des crèches associatives (25,59 %) et à des crèches privées lucratives (14,87 %).
Montant total de la PSU et des financements associés en 2023
selon la nature juridique du gestionnaire de crèche
Nature juridique du gestionnaire de crèche |
Montant global de la PSU et des financements associés |
En % |
Public |
2,01 Mds € |
57,57 % |
Privé lucratif |
0,52 Mds € |
14,87 % |
Associatif |
0,89 Mds € |
25,59 % |
Autre |
0,07 Mds € |
1,97 % |
Total |
3,48 Mds € |
100 % |
Source : Cnaf.
La PSU, hors financements associés, constitue le principal financement versé par les Caf aux EAJE. Elle représente ainsi 74,3 % du montant total des financements de la branche famille alloués aux crèches. En 2022, son montant moyen annuel s’élevait à 5 972 euros par berceau.
Sans surprise, lorsque l’on analyse le montant des droits PSU ([148]) versés aux EAJE par département, on retrouve des départements très urbanisés parmi ceux recevant les montants les plus importants, et des départements ruraux ou d’outre-mer parmi ceux recevant les montants les plus faibles.
Les vingt départements dans lesquels les droits PSU sont les plus élevés
et les moins élevés en 2022
Les 10 départements dans lesquels les droits PSU sont les plus élevés |
Montant total |
Montant par |
Les 10 départements dans lesquels les droits PSU sont les moins élevés |
Montant total |
Montant par |
Bouches-du-Rhône (13) |
118,52 M€ |
57,48 € |
Cantal (15) |
2,34 M€ |
16,29 € |
Haute-Garonne (31) |
82,35 M€ |
56,69 € |
Creuse (23) |
1,55 M€ |
13,54 € |
Gironde (33) |
64,75 M€ |
38,69 € |
Gers (32) |
4,25 M€ |
22,09 € |
Nord (59) |
70,1 M€ |
26,89 € |
Indre (36) |
3,93 M€ |
18,19 € |
Rhône (69) |
103,14 M€ |
54,04 € |
Lozère (48) |
2,17 M€ |
28,32 € |
Paris (75) |
206,24 M€ |
97,39 € |
Haute-Marne (52) |
4,04 M€ |
23,92 € |
Yvelines (78) |
81,51 M€ |
55,93 € |
Meuse (55) |
4,05 M€ |
22,52 € |
Hauts-de-Seine (92) |
131,25 M€ |
80,17 € |
Haute-Saône (70) |
3,74 M€ |
16,09 € |
Seine-Saint-Denis (93) |
87,44 M€ |
52,25 € |
Territoire de Belfort (90) |
3,6 M€ |
26,11 € |
Val-de-Marne (94) |
90,37 M€ |
63,63 € |
Mayotte (976) |
1,99 M€ |
6,65 € |
Source : Commission d’enquête d’après données Cnaf et Insee.
2. La prestation d’accueil du jeune enfant constitue une modalité de financement plus souple pour les micro-crèches, mais avec un reste à charge plus important pour les familles
La prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), au travers du volet CMG « structure » finance de manière indirecte les micro-crèches, puisqu’elle soutient financièrement les familles qui recourent à ce mode d’accueil. Il convient néanmoins de noter que parler de « micro-crèches Paje » constitue un abus de langage, désormais généralisé. En effet, comme le relève la Caf de Haute-Garonne, « ce n’est pas une aide de la Caf qui finance les structures Paje, mais bien les familles qui paient leurs factures et qui peuvent demander, si elles le souhaitent, l’examen et le versement, le cas échéant, d’un droit à une prestation légale ».
La Paje constitue donc un mode de financement bien plus souple que la PSU pour les gestionnaires qui ne sont directement rémunérés que par les familles, mais tend à privilégier les familles les plus aisées, dont le taux d’effort sera moins important, au regard de leurs revenus, que celui des familles modestes.
a. La Paje constitue une modalité de financement indirecte des micro-crèches plus souple que la PSU pour les gestionnaires
La Paje a été créée en 2004, à la suite des travaux menés par Mme Marie-Thérèse Hermange et M. Philippe Steck dans le cadre d’un groupe de travail de la Conférence de la famille de 2003 ([149]), afin de regrouper et de simplifier les prestations familiales relatives à l’accueil des jeunes enfants et de favoriser le libre-choix du mode d’accueil.
La Paje est composée de quatre volets :
– les primes de naissance et d’adoption ;
– l’allocation de base ;
– le complément de libre choix d’activité, remplacé en 2014 par la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) ;
– le complément de libre choix du mode de garde (CMG), faisant lui-même l’objet de deux formules différenciées selon le mode d’accueil choisi : soit le CMG « emploi direct », pour l’accueil d’un enfant par une assistante maternelle agréée ou par une garde d’enfant au domicile de la famille, soit le CMG « structure » en cas de recours à un service prestataire de garde d’enfants à domicile, à une micro-crèche, ou à une crèche familiale.
C’est donc le seul CMG « structure » qui constitue une aide financière pour les familles qui choisissent l’accueil de leur enfant au sein d’une micro‑crèche. Lors de sa création, en 2004, le CMG « structure » poursuit un objectif de diversification de l’offre d’accueil, en soutenant financièrement les familles qui font le choix d’une solution alternative à l’accueil de leur enfant dans un EAJE financé par la PSU ou chez une assistante maternelle.
En parallèle, dans le cadre du plan « Petite enfance » de 2006, le Gouvernement autorise l’expérimentation des micro-crèches (voir Première Partie. I. A. 1. b.). Afin d’offrir la possibilité aux petites communes, notamment en milieu rural, d’expérimenter ce nouveau type d’EAJE sans s’engager financièrement, les gestionnaires de micro-crèches peuvent opter, soit pour la PSU, soit pour un mode de financement plus simple grâce au CMG structure. Ainsi, si le régime des micro-crèches n’est pas exclusif du financement par la PSU, la plupart des micro-crèches font le choix du « modèle Paje », soit un financement par les familles, elles-mêmes soutenues par les aides de la Caf.
Ainsi, avec le CMG « structure », la micro-crèche est rémunérée directement par les familles pour le service rendu. Ces dernières financent l’entièreté du prix horaire de l’accueil de l’enfant au sein de la micro-crèche, ou une part majeure lorsque le berceau fait l’objet d’une réservation par l’entreprise dont l’un des parents est salarié. Le CMG leur est versé a posteriori par la Caf dont elles relèvent, après transmission par la micro-crèche des justificatifs attestant de l’acquittement de la facture.
L’enjeu de la mise en place du tiers payant pour le CMG « structure »
Le versement du CMG aux parents intervient après que l’établissement d’accueil de l’enfant a déclaré l’acquittement de la facture auprès de la Caf : cette temporalité a pour conséquence des enjeux importants de trésorerie, tant pour les familles que pour les micro-crèches.
En effet, si les micro-crèches attendent l’acquittement de la facture par la famille avant de l’attester auprès de la Caf, certaines familles laissent le paiement en suspens en attendant de percevoir le CMG, ce qui fragilise la trésorerie des micro-crèches. C’est pourquoi, pour soulager les familles, certaines structures ont pris l’habitude d’effectuer la déclaration mensuelle auprès de la Caf du total des sommes dues dès l’émission de la facture, et non après son acquittement. Toutefois, certaines structures qui acceptent ainsi d’anticiper la déclaration auprès de la Caf sont parfois confrontées à des impayés lorsque les familles ne règlent pas leurs factures après avoir perçu le CMG.
Cette pratique est connue mais intervient en contradiction avec les consignes données par la Cnaf et avec les dispositions réglementaires qui régissent le versement du CMG. Pour y remédier, la Cnaf travaille à la mise en place d’un système de tiers payant pour le CMG « structure », qui permettra aux Caf de verser directement la prestation au gestionnaire, simplifiant ainsi le circuit de gestion et réduisant les délais de déclaration et de versement. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 ([150]) fixe au 1er septembre 2026 au plus tard l’entrée en vigueur de ce système de tiers payant.
La souplesse du financement de ces micro-crèches, grâce à la solvabilisation des familles par la CMG « structure » a considérablement soutenu leur développement. Là où la PSU demande un suivi strict et quotidien de l’activité, et une trésorerie importante, le modèle Paje est plus simple et permet au gestionnaire de s’autofinancer sans l’intervention d’un tiers financeur. En 2021, le financement indirect par la Paje concernait 87 % des micro-crèches, soit 5 463 structures ([151]).
Les facilités de trésorerie apportées par le « modèle Paje » des micro-crèches
Contrairement au financement par la PSU, le « modèle Paje » des micro-crèches leur permet de bénéficier d’une trésorerie suffisante tout au long de l’année, puisqu’elles reçoivent, chaque mois, les participations familiales correspondant aux prestations d’accueil délivrées, ce qui leur permet de couvrir leurs dépenses de fonctionnement.
Les crèches PSU, même si elles peuvent mensualiser le versement des prestations familiales, ne reçoivent en revanche, sous forme d’acomptes, que 70 % maximum des droits PSU au cours de l’année pour laquelle ils sont dus. Le solde est versé l’année suivante, sur la base de l’activité réalisée. La gestion d’une crèche PSU exige donc une trésorerie plus importante, que doivent soutenir les tiers financeurs notamment dans le secteur public ou associatif, ou que facilite l’appartenance à un grand groupe de crèches.
En 2023, les dépenses de CMG « structure » ont représenté 10,5 % des dépenses versées au titre de la Paje, soit un montant de 749 millions d’euros. Ces dépenses sont en progression constante depuis 2010, attestant du développement de ces structures.
Évolution de la dépense consacrée au CMG structure et de la part que représente le CMG structure au sein de la Paje depuis 2010
(en millions d’euros)
Source : Cnaf.
b. La Paje s’adresse toutefois essentiellement à des familles aisées
Pour les familles, le modèle Paje est moins avantageux que la PSU, comme l’a démontré le récent rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales relatif aux micro-crèches ([152]). En effet, outre le fait que le CMG structure est versé aux familles a posteriori, soit après le paiement de la prestation d’accueil, le reste à charge pour les parents est plus élevé dans une micro-crèche Paje que dans un EAJE financé par la PSU. L’Igas et l’IGF notent à ce titre que ce reste à charge est « d’autant plus défavorable que le revenu de la famille est faible ».
Cette situation résulte de la construction du CMG « structure » dont le barème présente des effets de seuils en fonction du revenu. L’existence de seulement trois tranches de revenus peut pénaliser lourdement les familles puisque lorsque leurs ressources dépassent de quelques euros seulement le plafond d’une tranche, cela peut entraîner jusqu’à 100 euros de perte nette au titre du CMG.
Plafonds annuels du CMG « structure » en fonction des revenus des parents applicables au 1er avril 2024
|
|
1 enfant |
2 enfants |
3 enfants |
4 enfants |
|
Tranche 1 |
Couple |
22 809 € |
26 046 € |
29 283 € |
32 520 € |
+ 3 237 € par enfant à charge |
Parent isolé |
31 933 € |
36 465 € |
40 997 € |
45 529 € |
+ 4 532 € par enfant à charge |
|
Tranche 2 |
Couple |
50 686 € |
57 881 € |
65 076 € |
72 271 € |
+ 7 195 € par enfant à charge |
Parent isolé |
70 960 € |
81 033 € |
91 106 € |
101 179 € |
+ 10 073 € par enfant à charge |
|
Tranche 3 |
Couple |
> à : 50 686 € |
> à : 57 881 € |
> à : 65 076 € |
> à : 72 271 € |
|
Parent isolé |
> à : 70 960 € |
> à : 81 033 € |
> à : 91 106 € |
> à : 101 179 € |
Source : Cnaf.
Montant du CMG « structure » selon la tranche de revenus et les besoins des familles applicable au 1er avril 2024
|
Montant CMG |
Majoration de 30 % pour les bénéficiaires de l'AAH* ou de l'AEEH** et les familles monoparentales |
Majoration de 10 % pour la garde en horaires spécifiques |
Tranche 1 |
967,81 € |
290,35 € |
96,79 € |
Tranche 2 |
834,28 € |
250,29 € |
83,44 € |
Tranche 3 |
700,80 € |
210,25 € |
70,08 € |
* Allocation aux adultes handicapés
** Allocation d’éducation de l’enfant handicapé
Source : Cnaf.
Par ailleurs, le montant du CMG est plafonné à 85 % de la dépense totale de garde, ce qui signifie que le reste à charge de la famille, quelles que soient ses ressources, est toujours au minimum égal à 15 % de la dépense engagée au titre de l’accueil de l’enfant.
Dès lors, en comparaison, la PSU est une modalité de financement beaucoup plus avantageuse pour les familles : leur taux d’effort est systématiquement inférieur en cas d’accueil de l’enfant dans un EAJE financé par la PSU que dans une micro-crèche Paje. Le différentiel est d’autant plus important que les revenus de la famille sont faibles : en 2022, pour un couple biactif disposant d’un revenu équivalent à une fois le salaire minimum de croissance (Smic), l’accueil d’un enfant de moins de trois ans dans une micro-crèche coûtera 482 euros par mois, soit un taux d’effort de 33 %, contre 63 euros par mois dans un EAJE PSU, soit un taux d’effort de 4 %.
Taux d’effort et reste à charge selon le mode d’accueil et le niveau de revenu du foyer en 2022
Source : Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale « Famille » annexé au PLACSS 2022.
En outre, le taux d’effort des familles ayant recours aux EAJE financés par la PSU est resté relativement stable entre 2010 et 2022, ne progressant que pour les familles les plus aisées ; à l’inverse, dans les micro-crèches Paje, le taux d’effort des familles a considérablement augmenté entre 2010 et 2022, et cette augmentation a plus fortement touché les familles modestes que les familles aisées.
Évolution du taux d’effort relatif à la garde d’un enfant
selon le mode d’accueil et le niveau de revenu
|
Micro-crèches Paje |
Source : Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale « Famille » annexé au PLACSS 2022.
Ainsi, comme le relèvent l’Igas et l’IGF, les micro-crèches Paje semblent constituer « systématiquement le mode d’accueil le plus coûteux pour les parents, quel que soit leur niveau de revenu, à l’exception de la garde à domicile ». La Cnaf, dans les éléments communiqués à la rapporteure, indique également que « le système de solvabilisation par le CMG […] réserve […] quasiment l’accueil en micro-crèche à des foyers très solvables, actifs, et avec des besoins de garde importants. Il en résulte un risque de bipartition du parc en termes de public accueilli » ([153]).
Par ailleurs, la rapporteure souligne que le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfant favorise également les familles les plus aisées, que leurs enfants soient accueillis en micro-crèche Paje ou en crèche PSU. En effet, il ne concerne que les ménages assujettis à l’impôt sur le revenu, et est d’autant plus intéressant financièrement que les parents bénéficient de rémunérations élevées.
B. La complexité et la diversité des sources de financement des crèches financées par la PSU questionnent l’équilibre économique du modèle
Le modèle économique fait intervenir de manière très importante des financements publics versés par la branche famille de la sécurité sociale, par les collectivités territoriales, et par l’État. Toutefois, il instaure un équilibre difficile à atteindre et à maintenir entre ces différentes sources de financement, et implique que les gestionnaires de structures recherchent en permanence un soutien financier complémentaire.
En effet, le modèle économique des crèches financées par la PSU est structurellement déficitaire et implique donc l’intervention d’un tiers financeur sans lequel les établissements ne peuvent pas fonctionner. Face à ce constat, les pouvoirs publics ont élaboré de multiples sources de financement complémentaires visant à équilibrer le budget de fonctionnement des crèches et à soutenir les efforts d’investissement des gestionnaires, complexifiant dès lors fortement le modèle économique. En outre, dans un contexte inflationniste, les modes de financement des crèches ne permettent pas de garantir leur équilibre économique.
1. Le financement du fonctionnement des crèches PSU est structurellement déficitaire et implique l’intervention d’un tiers financeur
À l’exception des micro-crèches, l’ensemble des EAJE sont financés grâce à la prestation de service unique versée par les Caf. Or, la PSU, complétée par les participations des familles, ne couvre, au mieux, que 66 % des dépenses de fonctionnement de chaque crèche. Dès lors, sans l’intervention d’un tiers financeur, public ou privé, aucune crèche ne peut fonctionner.
a. La PSU et les participations familiales ne financent, au mieux, que les deux tiers du coût de fonctionnement des crèches
La PSU est construite pour ne couvrir au maximum que 66 % du coût de fonctionnement des crèches, une fois la participation des familles prise en compte. Sa formule de calcul intègre directement cette variable :
Le seuil de 66 % constitue donc un plafond, ce qui implique qu’aucun établissement d’accueil du jeune n’a la certitude d’être financé à cette hauteur maximale par la PSU et la participation des familles. En pratique, la rapporteure a pu constater que la somme de la PSU et des participations familiales n’atteint jamais 66 % du coût de fonctionnement des structures, et que son montant est même souvent largement inférieur.
En effet, la formule de calcul de la PSU comprend différentes variables qui tendent à réduire le montant versé par la Caf, en fonction des choix ou des résultats de gestion de la structure.
● D’une part, le prix de revient horaire auquel s’applique le taux de 66 % est plafonné. Ainsi, dans une situation optimale, c’est-à-dire une crèche présentant un taux de facturation inférieur à 107 % et fournissant les couches et les repas, le prix plafond le plus élevé est de 10,05 euros par heure. Ce prix plafond décroît ensuite en fonction du niveau de service proposé par la crèche –fourniture, ou non, des repas et des couches, et taux de facturation (voir Première partie. II. A. 1. b.). Il existe également un seuil d’exclusion, fixé à 17,56 euros par heure réalisée, au-delà duquel les EAJE ne peuvent plus bénéficier d’un financement PSU, afin de les inciter à contenir leurs dépenses de fonctionnement.
L’existence d’un prix plafond implique que la différence entre ce plafond et le prix de revient horaire réel, lorsqu’il lui est supérieur, n’est pas financée par la PSU et les participations familiales. Or, en 2024, la Cnaf elle-même prévoit un prix moyen horaire de 11,70 euros par heure réalisée. Ainsi, même conformément aux projections de la Cnaf, il y a ; en moyenne, 1,65 euro par heure qui n’est pas financé à hauteur de 66 % par la PSU et les participations familiales, et qui reste donc à la charge du gestionnaire de la structure.
En volume global, sur une année entière, ce moindre financement peut peser lourd sur le budget des crèches. À titre d’exemple, en 2019, la somme des financements issus de la PSU et des participations familiales n’avait ainsi couvert au total que 56 % des dépenses de fonctionnement des EAJE, soit 10 points en deçà du taux théorique de 66 %. À l’échelle nationale, cela représentait près de 700 millions d’euros restant à financer pour les gestionnaires. Selon la Commission des comptes de la sécurité sociale, cela « tient au fait que la grande majorité des EAJE ont un prix de revient horaire supérieur au plafond de financement fixé annuellement par la Cnaf, soit 94 % d’entre eux en 2015 » ([154]).
Si l’existence d’un plafond destiné à contenir les dépenses des EAJE apparaît par principe intéressante, la rapporteure s’interroge néanmoins sur le montant de ce plafond au regard de la part des EAJE dont le prix de revient horaire est supérieur à ce plafond. En effet, compte tenu des coûts réels de fonctionnement des crèches, et dans un contexte inflationniste, ce prix plafond fixé par la Cnaf s’approche plutôt du prix de revient plancher pour les gestionnaires. Dès lors, ce mécanisme correspond plutôt à un outil d’écrêtement.
Projection pour 2024 de la Contribution de la pSU et des participations familiales au prix de revient horaire et reste à charge
pour le gestionnaire
Source : Projection théorique réalisée par la commission d’enquête d’après les proportions calculées par la commission des comptes de la sécurité sociale dans la fiche éclairage relative au modèle tarifaire des établissements d’accueil du jeune enfant datée de juillet 2022, en utilisant le prix plafond et le prix moyen horaire prévus pour l’année 2024.
● D’autre part, le taux de facturation entre en ligne de compte dans le calcul de la PSU versée à chaque structure. En effet, le barème de la PSU est construit pour inciter les établissements à s’adapter au plus près aux besoins des familles, en facturant au plus près les heures d’accueil effectif de l’enfant.
Le taux de facturation correspond au rapport entre les heures facturées aux familles et les heures effectivement réalisées. Les crèches doivent donc s’efforcer de réduire le plus possible l’écart entre le nombre d’heures facturées aux familles, et le nombre d’heures effectivement réalisées. Par exemple, pour une famille ayant conclu un contrat de 150 heures d’accueil pour un enfant, mais n’ayant en réalité amené l’enfant à la crèche que 135 heures, le taux de facturation s’établira à 111 %.
Dès lors, à prix de revient identique – qui n’a par ailleurs vocation à évoluer qu’à la marge –, plus le taux de facturation d’une structure est élevé, plus la part restant à la charge du gestionnaire sera importante dans la mesure où le prix plafond de référence pour la PSU diminue lorsque le taux de facturation dépasse les seuils de 107 % et de 117 %.
Parts et Montants respectifs de la contribution de la psu et
des participations familiales au prix de revient horaire et reste à charge pour le gestionnaire en fonction du taux de facturation de la structure
Source : Calculs théoriques de la commission d’enquête en utilisant les prix plafonds et le prix moyen horaire prévus par le barème de la Cnaf pour l’année 2024.
● Enfin, la Cnaf avance également deux autres facteurs qui peuvent également réduire la part de la PSU et des participations familiales dans le financement du prix de revient des établissements :
– d’une part, le taux de ressortissants du régime général de la sécurité sociale est intégré dans la formule de calcul de la PSU, donc si certaines familles ne relèvent pas du régime général, cela réduit le montant de la PSU en proportion ;
– d’autre part, les heures ouvrant droit à la capacité théorique d’accueil sont plafonnées, c’est-à-dire que la PSU ne peut pas financer plus d’heures réalisées que le nombre d’heures théoriques correspondant à l’autorisation de fonctionnement (par exemple, 25 places) et au nombre de jours d’ouverture de l’établissement sur une plage horaire déterminée. Ainsi, si la structure pratique très régulièrement l’accueil en surnombre et l’accueil d’urgence ou ponctuel, cela peut conduire à dépasser le plafond théorique d’heures réalisées. Toutefois, au regard des travaux de la commission d’enquête et du taux moyen d’occupation des berceaux, cette situation a peu de chance de se produire et ce facteur ne doit in fine réduire que rarement le montant de la PSU versée.
● Lors de ses travaux, la rapporteure a demandé aux nombreux gestionnaires de crèches rencontrés de lui transmettre des informations concernant leurs budgets et de lui indiquer dans quelle mesure la PSU et les participations familiales couvrent le coût de fonctionnement de leurs structures. L’analyse de ces documents révèle une grande disparité des situations, notamment lorsque les gestionnaires sont des communes ou des intercommunalités. Par ailleurs, tous les gestionnaires ne distinguent pas les versements PSU des autres financements qu’ils peuvent percevoir de la Caf.
Néanmoins, de manière très empirique, les calculs opérés par la rapporteure à partir des données auxquelles elle a eu accès montrent que le montant des participations familiales finance en moyenne 20 % des dépenses de fonctionnement et que la PSU couvre entre 30 et 40 % de ces mêmes dépenses. Dès lors, le reste à charge pour le gestionnaire représente 40 à 50 % du coût de fonctionnement en moyenne, soit une part très éloignée du reste à charge théorique de 34 %. Dans l’ensemble des hypothèses examinées, le reste à charge a toujours été supérieur à ce pourcentage théorique.
Contributions respectives de la psu et des participations familiales
dans trois types de structures visitÉes par la rapporteure
|
Gestionnaire public (commune) |
Gestionnaire mutualiste |
Gestionnaire privé lucratif |
PSU |
37 % |
34 % |
36 % |
Participations familiales |
20 % |
20 % |
22 % |
Sous-total |
57 % |
54 % |
58 % |
Reste à charge pour le gestionnaire |
43 % |
46 % |
42 % |
Source : Calculs réalisés par la commission d’enquête sur la base des éléments transmis par des personnes auditionnées ou rencontrées par la rapporteure lors de ses visites de terrain.
Ce constat empirique est corroboré par les données transmises à la rapporteure par la Cnaf. Entre 2010 et 2022, le versement PSU a ainsi représenté en moyenne 34 % des recettes des EAJE, les participations familiales ont représenté 18 %, et 49 % restaient à financer pour le gestionnaire. Jamais, depuis 2010, le reste à financer moyen n’a été inférieur à 45 %, encore très loin du reste à financer théorique.
Évolution des Contributions de la PSU et des participations familiales
aux recettes des crèches entre 2010 et 2022
Source : Commission d’enquête d’après données transmises par la Cnaf.
Du fait de ce sous-financement structurel induit par la PSU, les gestionnaires de crèches doivent être accompagnés d’un tiers financeur – généralement une collectivité territoriale ou l’employeur, public ou privé, des parents –, et mobiliser d’autres sources de financement (y compris des financements complémentaires versés par la branche famille de la sécurité sociale, qui représentent environ 12 % des recettes des EAJE) pour garantir leur équilibre budgétaire.
b. Le financement des crèches PSU implique nécessairement l’intervention d’un tiers financeur public ou privé
Dans la mesure où la PSU et les participations ne couvrent, en théorie, que 66 % maximum du coût de fonctionnement, et en pratique plutôt 50 %, les gestionnaires de crèches doivent être accompagnés par un tiers financeur pour équilibrer leur budget. Cette logique du tiers financeur est unique en Europe, dans la mesure où les crèches sont généralement financées soit par les collectivités territoriales, soit par l’État, une fois déduites les participations familiales.
Historiquement, ce sont les communes et les intercommunalités qui ont joué le rôle de tiers financeur, en premier lieu au sein de leurs crèches municipales, mais aussi auprès des crèches associatives qui permettaient de compléter l’offre d’accueil sur le territoire communal. Toutefois, ce rôle historique est aujourd’hui remis en cause du fait des difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour financer des établissements dont le coup augmente de manière continue. En parallèle, les employeurs, en réservant des places en crèches au bénéfice de leurs salariés, peuvent également jouer un rôle de tiers financeur, en particulier pour le secteur privé lucratif. Lorsque ces employeurs sont des entreprises privées de plus de onze salariés, ils sont, en la matière, très largement soutenus par l’État à travers le crédit d’impôt famille.
i. Les collectivités territoriales, principaux tiers financeurs des crèches, sont confrontées à des difficultés grandissantes
Les communes et les intercommunalités sont les interlocuteurs de premier recours pour les familles en matière d’accueil du jeune enfant. Bien qu’elles n’exercent encore à ce jour ([155]) qu’une compétence facultative en matière d’accueil des jeunes enfants, les communes se sont historiquement largement saisies de ce domaine d’intervention.
Elles sont gestionnaires de près de 70 % des établissements d’accueil du jeune enfant sur le territoire français ([156]), en régie ou en délégation de service public. Elles peuvent également soutenir les structures d’accueil installées sur leur territoire à travers des subventions d’exploitation ou la mise à disposition de locaux. De fait, ce sont les principaux co-financeurs ou tiers financeurs des EAJE, en parallèle des participations familiales et de la PSU versée par les Caf.
Évolution de la Contribution de chaque catÉgorie de financeurs
au financement d’une place en crèche entre 2010 et 2022
(en euros par place par an)
(en %)
Source : Commission d’enquête d’après données transmises par la Cnaf.
● En 2022, le reste à charge pour les collectivités locales et les autres personnes publiques gérant des EAJE (notamment les hôpitaux, ou encore les ministères) s’est élevé à 2,4 milliards d’euros. En moyenne, elles ont contribué à hauteur de 5 740 euros par place, soit 32,7 % du coût de revient annuel moyen d’un berceau de 17 536 euros.
Après avoir diminué entre 2014 et 2019, notamment sous l’effet de l’augmentation des financements de la branche famille, la contribution des collectivités territoriales a évolué à la hausse à partir de 2020, sous l’effet conjugué de la crise sanitaire, qui a provoqué une chute des recettes PSU dépendant de l’activité réalisée, et de l’inflation à compter de 2022.
Aujourd’hui, alors même que la solvabilisation d’une large partie des EAJE repose sur les communes et les intercommunalités, ces dernières alertent sur leurs difficultés croissantes à financer les crèches municipales – en régie et en délégation de service public. Leurs représentants, auditionnés par la commission d’enquête, témoignent tous d’une difficulté à maintenir les places existantes, avant même d’envisager la création de nouveaux berceaux. Mme Clotilde Robin, coprésidente du groupe de travail sur la petite enfance au sein de l’AMF, a ainsi déclaré : « Nous, élus locaux, demandons à être accompagnés pour sécuriser l’existant car nous rencontrons de grandes difficultés en la matière. Nombre d’annonces portent sur le financement de nouvelles places. Or, cela ne répond pas forcément à notre besoin, qui est de réussir à maintenir celles qui existent » ([157]).
La rapporteure a également constaté que les efforts financiers réalisés par la branche famille de la sécurité sociale, en plus du financement via la PSU, ont longtemps porté sur la seule création de nouvelles places en crèches, en lien avec les objectifs gouvernementaux, sans soutenir le maintien des places existantes, essentiellement gérées par les collectivités territoriales. Si la création de places supplémentaires en EAJE doit rester un des axes de la politique familiale française, afin de répondre aux besoins des parents, la rapporteure relève, à l’instar d’Intercommunalités de France, « l’urgence d’une compensation supplémentaire en fonctionnement » ([158]). La nouvelle Cog 2023‑2027, en cours d’application, initie à cet égard une inflexion, à travers une augmentation des moyens alloués et l’octroi de nouveaux financements visant à soutenir le fonctionnement des EAJE existants (voir Deuxième Partie. I. B. 1. a.).
● Par ailleurs, les difficultés que les communes et intercommunalités rencontrent pour financer les crèches municipales dont elles assurent la gestion en régie ont également des conséquences sur le financement des crèches associatives ou mutualistes, dont le financement repose essentiellement sur la contribution des collectivités territoriales. En effet, historiquement les communes ont largement soutenu le secteur associatif par l’intermédiaire de subventions mais se sont aussi appuyées sur les crèches associatives pour répondre aux besoins de leurs habitants, en concluant des conventions d’objectifs et de moyens ou des délégations de service public (DSP).
À titre d’exemple, la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) présente un réseau de 202 EAJE dont 55,3 % sont gérés en DSP, 33,5 % font l’objet d’un conventionnement et 11,2 % bénéficient d’une réservation employeur. Ainsi, près de 89 % des places du réseau sont financées par les collectivités territoriales ([159]).
Les acteurs associatifs et mutualistes rencontrés et auditionnés par la commission d’enquête témoignent tous d’un désengagement financier des collectivités territoriales qui met en péril leur équilibre économique. La Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap) affirme que les crèches associatives sont « tiraillées » entre leurs deux principaux financeurs, la Caf et les communes, « qui ne sont pas en mesure de proposer des solutions pérennes pour stabiliser financièrement les crèches » ([160]). La FNMF a également constaté qu’un certain nombre de communes de petite taille ont acté à fin 2024 « une baisse de subventionnement qui se traduit soit par une diminution du nombre de berceaux financés, soit par un arrêt de subventionnement du service entraînant de fait un risque de destruction de places » ([161]). Cette même fédération note en outre que « les négociations pour les renouvellements de subventionnement 2024 avec les autres collectivités ont été difficiles » ([162]), notamment en raison d’une hausse des demandes d’aide financière en lien avec l’inflation et les revalorisations salariales portées par la hausse du Smic.
En matière de financement des crèches, les retours des gestionnaires associatifs et mutualistes rejoignent ceux des collectivités territoriales. En mars 2023, la Fehap a publié un communiqué de presse pour alerter sur la situation économique des crèches associatives : elle y relevait qu’à Paris, 75 % des gestionnaires associatifs de plus de 100 berceaux et 65 % des gestionnaires associatifs de moins de 100 berceaux étaient déficitaires en 2021 ([163]). La fédération a également indiqué à la rapporteure : « aujourd’hui, les crèches associatives présentent des déficits structurels menaçant à très court terme leur existence » ([164]). Enfin, lors de l’audition des représentants de la Fehap par la commission d’enquête, Mme Agnès Blondeau, conseillère Enfance Jeunesse de la Fehap, a déclaré : « nous avons appelé à consolider d’abord l’existant, à garantir le maintien des places actuelles avant d’en créer de nouvelles » ([165]).
● À ces difficultés générales s’ajoute la question très spécifique de l’attribution des délégations de service public. La rapporteure ne dispose pas d’informations précises chiffrées concernant l’augmentation du recours des collectivités territoriales aux DSP pour assurer la gestion de leurs crèches municipales ou intercommunales. Une étude publiée en 2013 par Bruno Johannes avait pu montrer que 15 % des communes recourraient à la gestion déléguée. Parmi les 269 délégations étudiées pour lesquelles le délégataire était connu, 43 % avaient été attribuées à une entreprise de crèches, 36 % au secteur associatif, et 21 % au secteur mutualiste (soit 57 % au secteur privé non lucratif) ([166]). La rapporteure n’a pas eu connaissance d’études actualisées permettant de connaître l’évolution de ces données. Néanmoins, de nombreuses personnes auditionnées ont témoigné, sur la base de leurs expériences personnelles, d’un recours croissant des collectivités territoriales aux délégations de service public et d’une augmentation de la part des entreprises de crèches parmi les délégataires.
Mme Clotilde Robin, coprésidente du groupe de travail sur la petite enfance au sein de l’AMF, a confirmé cette tendance lors de son audition par la commission d’enquête : « les DSP [confiées] à des crèches privées augmentent effectivement […]. L’accroissement des coûts de fonctionnement pèse trop fortement sur le budget des collectivités locales ; néanmoins, nous devons offrir un service d’accueil de la petite enfance à nos administrés et nous tentons de maintenir l’équilibre entre cette exigence et nos contraintes budgétaires » ([167]).
Or, l’accroissement du recours aux DSP est très souvent critiqué, voire dénoncé, par les représentants du secteur associatif, principalement pour trois motifs :
– l’instabilité financière et le manque de visibilité qu’engendre le renouvellement périodique des DSP – tous les 3 ou 6 ans en général ;
– le poids donné au prix dans la pondération des critères au sein de l’appel d’offres, qui démontre la volonté de certaines communes ou intercommunalités délégantes de réduire autant que possible le coût du service ;
– la concurrence que cela génère entre les structures associatives et les entreprises de crèches, ces dernières étant parfois en position de proposer des prix plus bas, du fait des économies d’échelle qu’elles peuvent réaliser, quitte à pratiquer des prix excessivement bas, pour s’implanter sur certains territoires.
Ainsi, l’ensemble des représentants du secteur associatif ou mutualiste auditionnés par la commission d’enquête a témoigné d’une pression des collectivités sur les prix proposés par les candidats à des DSP. Pour Familles rurales, « le système de mise en concurrence pousse […] à réduire les budgets, jusqu’à remettre en cause la justesse des moyens nécessaires pour assurer un accueil de qualité » ([168]). Selon la Fehap, « les communes souhaitant déléguer la gestion des crèches mènent des appels d’offres incitant les structures à réduire au maximum leurs coûts pour gagner le marché » ([169]). La FNMF précise quant à elle : « nous avons parfois considéré le prix final comme anormalement bas au regard des exigences des cahiers des charges des collectivités qui restent les acheteurs finaux et donc les seuls décisionnaires » ([170]).
Toutefois, les acteurs associatifs et mutualistes ne sont pas les seuls à critiquer cette « course au prix bas » de la part des collectivités territoriales délégantes. Les grandes entreprises de crèches, interrogées à ce sujet par la rapporteure, ont également dénoncé une course aux prix bas menée par certaines collectivités territoriales. Toutes ont affirmé ne pas répondre aux appels d’offres donnant une place trop prépondérante au critère du prix, ou exigeant des prix insuffisants pour couvrir le coût de la qualité d’accueil demandée.
Il ressort des éléments que les acteurs du secteur privé lucratif ont pu transmettre à la rapporteure qu’en moyenne, le prix payé par la commune ou l’intercommunalité délégante ne peut être inférieur à 5 000 euros par an et par berceau. Tous ont par ailleurs témoigné avoir perdu des appels d’offres parce qu’ils proposaient des prix trop élevés par rapport au secteur associatif.
Il est donc difficile de démontrer que les délégations de service public favorisent le secteur privé lucratif au détriment du secteur associatif et mutualiste. Néanmoins, il ressort clairement des travaux de la rapporteure que l’augmentation du recours aux délégations de service a pu être motivée par la nécessité pour les communes et les intercommunalités de réduire les coûts associés à la gestion d’EAJE. Il apparaît également que dans le cadre des procédures d’appels d’offres, une place trop importante a parfois été donnée au critère du prix, au détriment du critère relatif à la qualité d’accueil proposée. La rapporteure constate enfin que la remise en concurrence trop fréquente peut fragiliser le gestionnaire délégataire et l’empêcher de développer pleinement un projet d’accueil tourné vers la qualité.
Toutefois, sous réserve que des études sur la durée des délégations de service public puissent être menées, la rapporteure considère que la délégation de service public, lorsqu’elle est bien encadrée et bien réalisée, quant à sa passation et son exécution, constitue un outil pertinent pour piloter le service public de la petite enfance. En effet, lors de ses visites sur le terrain, elle a pu rencontrer des élus qui avaient fait le choix de la délégation de service public, non pas pour des raisons financières, mais pour des motifs tenant à la gestion quotidienne de la structure, et en particulier du personnel. En tout état de cause, elle souligne que le recours à la délégation de service public relève de la libre administration des collectivités territoriales constitutionnellement garantie.
La rapporteure estime cependant que le recours à une assistance à maîtrise d’ouvrage est vivement recommandé, en particulier pour les petites communes qui n’ont pas forcément la capacité de recruter des personnels qualifiés en matière de commande publique. Par ailleurs, le prix ne doit jamais être le premier critère en matière d’accueil du jeune enfant, même si les collectivités doivent tenir compte de leurs contraintes budgétaires. À cet égard, il ressort des travaux menés par la commission d’enquête que la tendance à donner un poids prépondérant au critère du prix semble depuis peu s’effacer au profit d’une attention plus particulière accordée à la qualité de l’accueil proposé par le délégataire. Certaines collectivités territoriales sont mêmes plus exigeantes que la réglementation nationale, en prévoyant par exemple, dans le cahier des charges, des taux d’encadrement plus élevés.
Enfin, la rapporteure tient à rappeler que les communes et intercommunalités délégantes ont l’obligation de veiller à ce que le délégataire, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’une association, respecte ses engagements contractuels et que ces mêmes communes et intercommunalités doivent se doter des moyens humains nécessaires à cet effet, quitte à prévoir une redevance de contrôle prise en charge par le délégataire.
ii. En réservant des berceaux au bénéfice de leurs salariés, les employeurs sont devenus un tiers financeur majeur des EAJE, pour un coût très largement pris en charge par l’État
Si les communes et les intercommunalités sont les principaux co-financeurs du secteur des crèches, en parallèle de la branche famille de la sécurité sociale, les employeurs des parents de jeunes enfants, qu’il s’agisse d’administrations publiques ou d’entreprises privées, sont progressivement devenus des tiers financeurs importants pour les EAJE, en particulier pour le secteur privé lucratif.
● Les employeurs non éligibles au CIFAM suivants peuvent réserver des places en crèches au bénéfice de leurs agents : les collectivités territoriales, les administrations centrales et déconcentrées de l’État, les administrations hospitalières, les organismes de sécurité sociale, les entreprises publiques, et enfin les comités d’entreprise, les associations et les groupements interentreprises.
À ce titre, ils disposent d’un outil de contractualisation avec les Caf : les contrats territoriaux réservataire employeur (CTRE). Son élaboration repose sur la transmission d’un diagnostic de la politique de soutien de l’employeur aux salariés parents de jeunes enfants, qui doit faire état des besoins des agents concernés. Sur cette base, la Caf va estimer le « bonus réservataire » dont pourra bénéficier l’employeur, en fonction du nombre de places réservées. Le montant de ce bonus varie selon que la réservation concerne une place déjà existante, ou une place nouvellement créée.
Barème 2024 du bonus réservataire employeur dans le cadre des CTRE
|
Bonus réservataire |
Bonus réservataire |
Montant de l’aide annuelle pendant toute la durée du CRTE |
2 800 euros par place |
1 400 euros par place |
Source : Cnaf.
Les CTRE permettent d’accompagner financièrement les employeurs publics qui font le choix de réserver des places en crèches pour les jeunes enfants de leurs agents, et contribuent indirectement à la solvabilisation des EAJE PSU. Aujourd’hui, environ la moitié des places en crèches réservées le sont par des employeurs publics. Toutefois, l’aide financière que ces employeurs perçoivent dans le cadre des CTRE est nettement inférieure à celle dont bénéficient les entreprises privées éligibles au crédit d’impôt famille qui recourent à la réservation de berceaux.
Néanmoins, la rapporteure a pu constater lors de ses travaux que l’État constitue le premier employeur réservataire de places en crèches. Depuis 2007, des efforts considérables ont été réalisés par la direction générale de l’administration et de la fonction publique pour étendre le parc de places dont peuvent bénéficier les agents publics. L’analyse des annexes budgétaires des projets de loi de finances et des projets de loi de règlement entre 2015 et 2024 montre ainsi que l’État disposait de 2 700 places en 2015 contre 4 930 places fin 2023. Le montant de la dépense relative à ces réservations a également progressé entre 2015 et 2024.
Évolution de la dépense de l’État consacrée à la réservation de places
en crèches au bénéfice de ses agents entre 2015 et 2024
Source : Commission d’enquête d’après PLR 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022 et 2023, et PLF 2024.
À cet égard, lors de son audition par la commission d’enquête, la déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches, Mme Elsa Hervy, a formulé une observation particulièrement intéressante : alors même que l’on reproche régulièrement aux collectivités territoriales de donner trop d’importance au critère du prix lorsqu’elles recourent à des DSP dans le secteur de la petite enfance, l’État lui-même aurait, pendant de nombreuses années, encouragé ses services à réduire le coût de la réservation de berceaux au sein des crèches. Cet enjeu particulier a même fait l’objet, pendant plusieurs années, d’un indicateur de performance au sein du programme 148 « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques » au sein du budget général de l’État.
La rapporteure a effectivement constaté qu’entre 2017 et 2022, il a existé un indicateur intitulé « coût moyen annuel de réservation d’une place en crèche ». Le montant cible était fixé à 9 000 euros en 2017, et à 7 010 euros pour 2023, avant la suppression de l’indicateur. Il est donc vrai que les services de l’État ont cherché à réduire le coût annuel du berceau lors de la passation des marchés publics relatifs à la réservation de places en crèches.
Évolution du coût moyen annuel de réservation pour l’État
réalisé entre 2017 et 2022
|
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Coût moyen annuel de la réservation |
8720 € |
8475 € |
7462 € |
7434 € |
7402 € |
Suppression de l'indicateur |
Source : Commission d’enquête d’après PLR 2017, 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022
Néanmoins, les montants cibles affichés et les montants réalisés entre 2017 et 2021 n’apparaissent pas excessivement faibles au regard du coût de revient annuel d’un berceau, qui s’établit à près de 18 000 euros en 2024, puisqu’ils représentent au moins 40 % de ce coût. La réduction du coût moyen annuel par berceau a été permise par une meilleure capacité de négociation des réservataires lors du renouvellement des marchés. Les marges budgétaires ainsi dégagées ont ensuite été utilisées pour poursuivre l’effort de réservation de places, et étendre le parc de places de l’État. Il semblerait donc que la gestion des crédits budgétaires par les services de l’État en matière de réservation de places ait été plutôt vertueuse.
Les réservations de places en crèches par l’Assemblée nationale pour l’accueil d’enfants de députés, de collaborateurs et de membres du personnel
L’Assemblée nationale elle-même procède à des réservations de places dans des crèches situées à proximité pour y accueillir des enfants de députés, de collaborateurs ou de membres du personnel.
Le dispositif de réservation de ces places repose sur un marché attribué, à l’issue de deux consultations lancées en 2019 puis en 2023, conformément aux règles de la commande publique, à la société People&Baby. Ce marché porte sur un contingent maximal de 15 berceaux. L’Assemblée nationale acquitte une redevance annuelle par place occupée de l’ordre de 12 000 €.
● Les dépenses engagées par les entreprises privées au titre de la réservation de berceaux en crèches bénéficient d’un crédit d’impôt particulièrement avantageux, le crédit d’impôt famille (CIFAM). Celui-ci crée une dépense fiscale à la charge de l’État, qui finance in fine 75 % de la dépense engagée par les entreprises réservataires éligibles.
Le crédit d’impôt famille (CIFAM) a été créé par la loi de finances pour 2004 ([171]), afin d’inciter les entreprises à s’impliquer davantage dans la politique familiale et à soutenir leurs salariés pour leur permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Toutefois, comme le relèvent l’Igas et l’IGF, « le CIFAM apparaît désormais davantage comme une aide au fonctionnement régulier pour les EAJE en participant au financement de places en crèches existantes » ([172]).
L’article 244 quater F du code général des impôts prévoit que les entreprises peuvent bénéficier du crédit d’impôt famille, dont le taux varie selon le type de dépenses :
– 50 % des dépenses ayant pour objet de financer la création ou le fonctionnement d’EAJE qui accueillent les enfants de moins de 3 ans de leurs salariés (catégorie 1) ;
– 25 % des aides financières versées par l’entreprise aux salariés qui recourent à un chèque emploi service universel (catégorie 2) ;
– 10 % des dépenses engagées au titre de la formation des salariés bénéficiant d’un congé parental ou des salariés recrutés à la suite d’une démission ou d’un licenciement pendant un congé parental, ou au titre des rémunérations versées par l’entreprise à ses salariés bénéficiant d’un congé maternité, paternité, d’adoption ou pour enfant malade ; ou encore au titre de l’indemnisation des salariés ayant dû engager des frais exceptionnels de garde d’enfants à la suite d’une obligation professionnelle imprévisible (catégorie 3).
Les subventions publiques perçues par l’entreprise à raison des dépenses éligibles au CIFAM sont déduites de la base de calcul du crédit d’impôt. Le crédit d’impôt est plafonné à 500 000 euros par an pour chaque entreprise.
Dans le cadre du présent rapport, la rapporteure se concentrera sur les seules dépenses relatives au financement des EAJE, qui représentent, selon l’Igas et l’IGF, au moins 90 % du coût du CIFAM, les autres catégories de dépenses ne relevant pas du champ de la commission d’enquête ([173]).
En outre, lorsque les dépenses réalisées par l’entreprise sont éligibles au crédit d’impôt famille, elles sont également déductibles du résultat fiscal de l’entreprise. En conséquence, le montant du CIFAM se cumule avec la déduction fiscale des dépenses qui y sont afférentes, lorsque l’entreprise est soumise au paiement de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu.
Dans le cas des dépenses relatives à la création ou au fonctionnement d’un EAJE, le crédit d’impôt en réduit le coût pour l’entreprise à hauteur de 50 %, et la déduction de ces dépenses du résultat fiscal de l’entreprise, génère une économie supplémentaire pour l’entreprise à hauteur du taux de l’impôt sur les sociétés, soit 25 % en 2024. Au total, les dépenses engagées par les entreprises éligibles au Cifam en faveur du financement des places en crèches dont bénéficient leurs salariés sont ainsi financées à hauteur de 75 % par une dépense fiscale à la charge de l’État.
Calcul théorique de la part des dÉpenses engagées par une entreprise
au titre du financement d’un EAJE prises en charge par l’État
par l’intermédiaire du CIFAM
|
Montant de l'impôt sur les sociétés d'une entreprise sans application du CIFAM |
|
Résultat fiscal de l'entreprise |
1 000 000 € |
|
Taux de l’impôt sur les sociétés |
25 % |
|
Montant de l’impôt sur les sociétés sans CIFAM |
250 000 € |
|
|
Calcul du montant du CIFAM |
|
Montant des dépenses engagées au titre du financement d'un EAJE |
70 000 € |
|
Taux du CIFAM |
50 % |
|
Montant du CIFAM |
35 000 € |
|
|
Calcul de l'impôt sur les sociétés avec le CIFAM |
|
Déduction des dépenses engagées au titre du financement d’un EAJE du résultat fiscal de l’entreprise |
1 000 000 € – 70 000 € = |
930 000 € |
Montant de l’impôt sur les sociétés avant déduction du CIFAM |
930 000 € x 25 % = |
232 500 € |
Montant de l’impôt sur les sociétés après déduction du CIFAM |
232 000 € – 35 000 € = |
197 500 € |
|
Calcul de la part des dépenses prises en charge par la dépense fiscale de l'État |
|
Montant des dépenses de l'entreprise au titre du financement d’un EAJE prises en charge par l’État par l’intermédiaire du CIFAM |
250 000 € – 197 500 € = |
52 500 € |
Part des dépenses engagées par l’entreprise au titre du financement d’un EAJE prises en charge par l'État par l’intermédiaire du CIFAM |
52 500 € / 70 000 € = |
75 % |
Ce tableau propose un exemple théorique pour mieux comprendre le mécanisme de dépense fiscale induit par le CIFAM. Dans l’hypothèse où une entreprise présentant un résultat fiscal de 1 000 000 € ne bénéficie pas du CIFAM, le montant de l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable s’élève à 250 000 € (25 %).
Dans l’hypothèse où cette même entreprise a dépensé 70 000 € pour réserver des berceaux dans des crèches au bénéfice de ses salariés, elle peut bénéficier du CIFAM à hauteur de 50 % de la dépense engagée, soit 35 000 €. Elle peut également déduire ces dépenses de son résultat fiscal, qui s’établit donc à 930 000 €. Dès lors, avant déduction du CIFAM, le montant de l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable s’établit non plus à 250 000 €, mais à 232 500 €. Ensuite, une fois le CIFAM déduit, son impôt sur les sociétés s’élève à 197 500 €, soit une économie de 52 500 € par rapport à la situation dans laquelle l’entreprise ne bénéficie pas du CIFAM.
Ce montant de 52 500 € correspond à la part des dépenses engagées par l’entreprise au titre de la réservation de berceaux qui sont en réalité prises en charge par l’État, par l’intermédiaire d’un mécanisme de dépense fiscale, soit 75 % du montant total.
Source : Commission d’enquête.
Le dispositif du Cifam est donc très avantageux pour les plus de 12 500 entreprises qui y ont recours. Une évaluation du Cifam réalisée en 2021 par une mission commune de l’Igas et de l’IGF ([174]), dont les données ont été en partie mises à jour par une autre mission commune aux deux inspections en 2024 ([175]), a montré que le Cifam est surtout utilisé par de grandes entreprises, qui détiennent au moins 32 % de la créance totale. L’essentiel des entreprises bénéficiaires du Cifam se concentre sur quelques secteurs d’activité : les activités financières et d’assurance, les activités scientifiques et techniques, les services administratifs et de soutien, ainsi que les sièges sociaux et les holdings ([176]). Ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliers de berceaux qui sont réservés chaque année, sans que la rapporteure n’ait pu néanmoins établir ce chiffre de manière précise.
● L’existence de ce dispositif fiscal est un pilier majeur du financement des EAJE, en particulier pour les acteurs privés lucratifs. En effet, la création du Cifam a accompagné la montée en puissance du secteur marchand (voir Première Partie. I. A. 2. a.) et constitue un élément essentiel de leur modèle économique. Les financements qui découlent de la réservation de berceaux par les entreprises au bénéfice de leurs salariés permettent en effet aux crèches privées lucratives, et dans une bien moindre mesure aux crèches associatives, de fonctionner sans l’intervention d’une collectivité territoriale en tant que tiers financeur.
Les acteurs privés lucratifs sont principalement concernés par le système de réservation de berceaux dans la mesure où il est nécessaire de disposer d’une force de commercialisation pour démarcher les entreprises et les encourager à réserver des berceaux – en comparaison avec une association qui ne dispose généralement par d’un service dédié au marketing, ni de commerciaux parmi son personnel. Par ailleurs, le fait de proposer un réseau de structures sur l’ensemble du territoire français constitue, pour les grands groupes de crèches, un avantage concurrentiel non négligeable.
Si cette affirmation est particulièrement vraie pour les EAJE dont le financement repose sur la PSU, cela concerne également les micro-crèches Paje, alors même qu’elles n’ont théoriquement pas besoin de tiers financeur, puisque les familles payent l’intégralité du coût de l’accueil de leur enfant, et peuvent a posteriori bénéficier d’une aide financière à travers le CMG « structure ». Pourtant, de nombreuses micro-crèches proposent des berceaux à la réservation. En effet, dans ce cas, les frais de réservation versés par l’employeur peuvent permettre :
– de réduire le reste à charge pour la famille concernée ;
– de dégager une marge financière plus importante pour la structure.
Selon les calculs réalisés par l’Igas et l’IGF dans leur évaluation du crédit d’impôt famille, 26 % des financements perçus par les crèches privées lucratives fonctionnant avec la PSU proviennent de la réservation de berceaux par des entreprises ayant recours au Cifam ([177]), là où les contributions des entreprises représentent moins de 2 % des recettes du secteur associatif et 0,3 % des recettes du secteur public. Grâce aux recettes issues de la réservation de berceaux, le secteur marchand bénéficie de ressources totales plus importantes en moyenne, qui lui permettent de couvrir des coûts de fonctionnement qui peuvent être plus élevés (voir Première partie. II. B. 3. a.).
Composition des recettes des crèches PSU pour le financement annuel d’un berceau selon le secteur
Source : IGAS-IGF d’après données Cnaf 2017.
Le modèle économique des crèches privées lucratives est donc construit autour des réservations de berceaux par les entreprises au bénéfice de leurs salariés, et indirectement autour du Cifam et de la dépense fiscale qui lui est associée.
● Le coût total du Cifam pour les finances publiques, en incluant le montant du crédit d’impôt et le montant de la déduction fiscale afférente, est difficile à évaluer. En effet, si les annexes budgétaires du projet de loi de finances et du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’État précisent le montant du Cifam, elles n’individualisent pas le montant total de la déduction des dépenses éligibles au titre de la réservation de berceaux, et ne ventilent pas le CIFAM par catégorie de dépenses éligibles du résultat fiscal des entreprises avant l’application du taux de l’impôt sur les sociétés.
Pour évaluer le coût total de la dépense fiscale liée au Cifam, la rapporteure s’est appuyée sur la méthodologie suivie par l’Igas et l’IGF dans le cadre de leur évaluation du crédit d’impôt famille de 2021. Les mêmes calculs ont été réalisés, sur la base de données plus récentes, et en utilisant le taux actuel de l’impôt sur les sociétés de 25 %, là où l’Igas et l’IGF tenaient compte du taux de 28 % alors applicable. Par ailleurs, il convient de préciser qu’en raison du poids marginal des dépenses de catégorie 2 et 3 – moins de 10 % – dans le montant total du Cifam, les chiffres présentés dans les développements suivants ont été calculés en appliquant le seul taux de 50 % à l’ensemble des dépenses éligibles au Cifam. Les résultats obtenus sont donc légèrement surestimés dans la mesure où certaines dépenses ne bénéficient en réalité du crédit d’impôt qu’à hauteur de 25 % ou de 10 %.
Pour tenter d’estimer le coût total, pour les finances publiques, de la dépense fiscale résultant de la réservation de berceaux par les entreprises employeurs en tenant compte du montant du crédit d’impôt et de la déductibilité des dépenses de l’impôt sur les sociétés, un calcul simple peut être réalisé : à partir du montant du crédit d’impôt seul, on peut déterminer le montant des dépenses éligibles de chaque année, soit le double si l’on retient le seul taux de 50 %. Pour calculer le coût de la déduction fiscale au titre de l’impôt sur les sociétés, il suffit d’appliquer le taux de l’impôt sur les sociétés alors en vigueur au montant total des dépenses éligibles. Le coût total pour les finances publiques du Cifam correspond ensuite à la somme du montant du Cifam et du montant de la déduction fiscale.
Évolution du coût total brut du Cifam
pour les finances publiques entre 2017 et 2023
(en millions d’euros)
|
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Taux de l’impôt sur les sociétés |
33 % |
28 % |
28 % |
28 % |
27 % |
25 % |
25 % |
Montant des dépenses engagées par les entreprises |
206 |
220 |
262 |
296 |
310 |
340 |
390 |
Montant du CIFAM |
103 |
110 |
131 |
148 |
155 |
170 |
195 |
Déduction fiscale de l’impôt sur les sociétés |
67,98 |
61,6 |
73,36 |
82,88 |
82,15 |
85 |
97,5 |
Coût total pour les finances publiques |
170,98 |
171,6 |
204,36 |
230,88 |
237,15 |
255 |
292,5 |
Source : Commission d’enquête d’après PLR 2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022 et 2023.
Il convient de noter que ces résultats s’appuient sur un raisonnement qui ne considère que les dépenses brutes de l’État, et ne tient pas compte des effets économiques du recours au Cifam par l’entreprise – fidélisation des salariés, amélioration de la productivité, etc. Pour prendre en compte ces effets économiques, l’Igas et l’IGF avaient émis l’hypothèse qu’une entreprise rationnelle, même sans le Cifam, aurait dans tous les cas engagé le montant de la dépense consacrée à l’accueil des jeunes enfants de ses salariés qui lui revient après la déduction fiscale (soit 25 % de la dépense totale), le cas échéant en faveur d’autres mesures liées à son attractivité (congés payés, augmentation des salaires) ou à sa productivité.
Or, pour ces dépenses, l’entreprise bénéficie d’une réduction fiscale sur son impôt sur les sociétés, ou génère des gains de productivité dont découle une augmentation des recettes fiscales de l’État. Ainsi, pour 100 euros de dépenses en faveur de l’accueil des jeunes enfants des salariés, grâce au Cifam, le coût réel pour l’entreprise s’établit à 25 euros. Si l’entreprise choisit de dépenser ces 25 euros pour des mesures tenant à son attractivité vis-à-vis de ses salariés, elle pourra déduire la dépense engagée de son résultat fiscal. Dès lors, pour obtenir le même reste à charge de 25 euros, elle peut en réalité dépenser 33,33 euros, dont 25 % feront l’objet d’une dépense fiscale à la charge de l’État, soit 8,33 euros.
Ce raisonnement amène l’Igas et l’IGF à considérer que l’estimation du montant total de la dépense fiscale résultant de la réservation de berceaux doit tenir compte de la dépense fiscale dont aurait de toute façon bénéficié l’entreprise si elle avait fait le choix de financer d’autres mesures avec le montant qui reste à sa charge après avoir bénéficié de ce mécanisme fiscal. En conséquence, le surcoût du Cifam pour les finances publiques ne correspond pas à 75 % du montant des dépenses engagées par les entreprises au titre de la réservation de berceaux, mais à 66,67 % de ce montant. Pour l’année 2022, cela signifie que le coût total de la dépense fiscale associée au Cifam s’établit non pas à 255 millions d’euros, mais à 226,68 millions d’euros, pour une dépense totale en faveur de l’accueil des jeunes enfants estimée à 340 millions d’euros.
Estimation du surcoût réel du CIFAM pour les finances publiques
(en millions d’euros)
|
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Montant des dépenses engagées par les entreprises |
206 |
220 |
262 |
296 |
310 |
340 |
Part du surcoût réel estimé prise en charge par les finances publiques |
74 % |
69 % |
69 % |
69 % |
68 % |
67 % |
Surcoût réel estimé pour les finances publiques |
152,94 |
152,78 |
181,94 |
205,56 |
210,88 |
226,67 |
Source : Commission d’enquête d’après PLR 2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022 et Igas-IGF.
● Sur la base de ces calculs, l’Igas et l’IGF ont ensuite cherché à mesurer l’effet de levier de la dépense fiscale résultant du Cifam, c’est-à-dire l’effet de la dépense publique réalisée sur le montant des dépenses des entreprises bénéficiaires. De manière très simplifiée, les deux inspections choisissent de calculer l’effet de levier en rapportant le montant des dépenses additionnelles des entreprises à la somme du surcoût généré pour les finances publiques.
Suivant cette démarche, 100 euros de dépenses des entreprises en faveur de l’accueil des jeunes enfants de leurs salariés dans des EAJE génèrent un surcoût pour les finances publiques de 66,67 euros : l’effet de levier s’établit donc autour d’un ratio de 1,5. De fait, cela signifie que 100 euros de dépense fiscale liée à ce mécanisme génèrent une dépense supplémentaire des entreprises bénéficiaires de l’ordre de 50 euros. En 2022, ce calcul implique que pour un coût total de 206,68 millions d’euros pour les finances publiques, le mécanisme de déduction fiscale associé à la réservation de berceaux a entraîné des dépenses additionnelles de la part des entreprises de l’ordre de 103,3 millions d’euros.
À l’instar de l’Igas et de l’IGF, la rapporteure recommande de considérer ces chiffres avec précaution, car la méthode de calcul utilisée, relativement schématique, ne permet pas d’aboutir à des résultats aussi fiables qu’une véritable étude économique, qui ne peut être réalisée, à l’heure actuelle, faute de données suffisantes et exhaustives. En outre, l’effet de levier ainsi calculé est difficile à interpréter faute de pouvoir le comparer avec les effets de levier d’autres crédits d’impôt.
Néanmoins, les calculs ainsi réalisés semblent montrer que l’effet de levier du mécanisme de déduction fiscale lié au Cifam sur les dépenses des entreprises en faveur de l’accueil des jeunes enfants de leurs salariés est relativement limité. En réalité, avec le Cifam, les entreprises, en tant qu’employeurs, contribuent relativement peu au financement des crèches dans lesquelles les enfants de leurs salariés sont accueillis, contrairement à l’État, qui participe indirectement à leur financement dans une proportion beaucoup plus importante.
● Par ailleurs, le mécanisme de dépense fiscale résultant du Cifam est très peu pilotable, notamment dans la mesure où le plafond de 500 000 euros par an ne joue pas son rôle. En effet, ce plafond est applicable à chaque société membre d’un groupe au sens de l’impôt sur les sociétés, et non à l’ensemble du groupe. En pratique, le plafond est donc rarement atteint en pratique.
De plus, le Cifam a un effet inflationniste sur le prix du berceau, car le prix de réservation payé par l’employeur est souvent deux à trois fois supérieur à la contribution des autres tiers financeurs au financement des crèches, ce qui témoigne des effets pervers d’un mécanisme qui encourage les entreprises réservataires à engager des dépenses dont elles ne supportent in fine que 25 % du coût. L’émergence de plateformes de réservations de berceaux, portées par les grandes entreprises de crèches, mais aussi par des entreprises indépendantes montre qu’il s’agit d’un marché susceptible de générer une rentabilité conséquente (voir Première partie. II. C. 3. a.).
Enfin, le principe même de la réservation de berceaux interroge dans la mesure où il favorise les salariés de grandes entreprises ou d’administrations publiques, au détriment des familles qui ne bénéficient pas du soutien de leur employeur. Or, dans le cadre de la construction du service public de la petite enfance, cette inégalité structurelle de traitement n’est pas acceptable à terme.
Ces constats conduisent la rapporteure à s’interroger sur la pertinence du dispositif fiscal. Cette observation doit toutefois s’inscrire dans le cadre d’une réflexion plus globale sur le financement des crèches, puisque la PSU et les participations familiales ne sont pas construites pour couvrir l’intégralité du coût de revient, et que l’intervention d’un tiers financeur, public ou privé est indispensable. Or, si les crèches municipales et les crèches associatives trouvent traditionnellement leur tiers financement auprès des collectivités territoriales, cette équation est bien moins automatique pour le secteur privé lucratif qui a été encouragé à aller chercher le soutien financier des entreprises pour équilibrer leur budget de fonctionnement.
2. Afin de soutenir les dépenses de fonctionnement et d’investissement des gestionnaires de crèches, la Cnaf a mis en place d’un grand nombre d’aides financières complémentaires
En raison des limites de la PSU et des difficultés rencontrées par les tiers financeurs pour compenser le financement déficitaire des EAJE, la branche famille de la sécurité sociale a instauré différentes catégories d’aides financières pour consolider le modèle économique des crèches et corriger les effets non désirés de la PSU.
Ces aides financières concernent d’abord le budget de fonctionnement des EAJE : par le biais de bonus forfaitaires et de fonds territoriaux, les Caf soutiennent les gestionnaires de crèches tout en encourageant une amélioration de l’offre d’accueil. Les Caf peuvent également soutenir les efforts d’investissement des gestionnaires, en attribuant diverses subventions visant à moderniser, agrandir ou créer des structures. Toutefois, les modalités d’attribution de ces aides, malgré une réglementation définie au niveau national, semblent faire l’objet d’une déclinaison territoriale inéquitable.
a. La Cnaf, à l’aide de bonus et de fonds territoriaux, cherche à consolider le financement des structures tout en améliorant l’offre d’accueil à destination de tous les enfants
Les financements alloués par la branche famille aux EAJE sont conçus pour répondre à plusieurs objectifs : assurer le niveau de service le plus adapté aux besoins des familles, solvabiliser le secteur pour garantir sa pérennité et favoriser son développement, ou encore promouvoir l’accessibilité des EAJE à tout public.
La PSU, qui repose sur une tarification à l’heure, ne permet pas seule d’atteindre ces différents objectifs. Dès lors, si elle représente 74 % des financements versés par les Caf aux EAJE, il existe aussi des financements forfaitaires complémentaires qui visent à améliorer l’offre d’accueil et à réduire les inégalités territoriales tout en consolidant le budget des EAJE.
Les financements forfaitaires versés par les Caf aux EAJE en complément de la PSU visent à solvabiliser les structures, en leur garantissant des ressources prévisibles, moins dépendantes de l’activité réalisée, permettant de corriger les effets négatifs de la PSU, dont le prix horaire varie en fonction du taux de facturation. Ces financements forfaitaires cherchent aussi à améliorer l’accessibilité des EAJE en encourageant l’accueil de publics spécifiques tout en compensant les surcoûts qui en découlent. Cette démarche concerne, pour l’essentiel, les bonus « inclusion handicap » et « mixité sociale », créés en 2019 afin de favoriser l’accueil des enfants en situation de handicap ou issus de familles en situation de précarité.
● Chez les enfants âgés de 0 à 6 ans, le taux de prévalence du handicap est estimé à 11,2 %. L’accueil des enfants en situation de handicap au sein des crèches est un donc facteur majeur de la politique menée en faveur de l’inclusion des personnes handicapées. Par ailleurs, les crèches constituent un lieu privilégié de repérage précoce des troubles du développement chez les jeunes enfants grâce aux compétences spécifiques des professionnels qui y travaillent. Or, lorsque les troubles du développement chez les enfants sont détectés tôt, et qu’une prise en charge adaptée leur est rapidement proposée, leur plasticité cérébrale permet de développer des compensations favorisant l’insertion en milieu dit « ordinaire » et de limiter le risque de sur-handicap.
Toutefois, l’accueil d’enfants en situation de handicap, dont les besoins sont souvent plus importants et plus spécifiques, engendre souvent des surcoûts pour les crèches avec des besoins en personnels plus élevés, des temps de concertation plus importants, la nécessité de former les personnels, ou encore la fréquentation irrégulière de la crèche par les familles qui doivent régulièrement se présenter à des rendez-vous médicaux. Face à ce constat, la Cnaf a mis en œuvre, à partir de 2019, un bonus « inclusion et handicap » à destination des EAJE qui accueillent des enfants en situation de handicap.
Ce bonus s’applique dès le premier enfant en situation de handicap accueilli au sein de la structure. Le montant du bonus « inclusion handicap » dépend ensuite du pourcentage d’enfants porteurs de handicap accueillis. Au départ limité aux seuls enfants bénéficiaires de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), le bénéfice du bonus a été étendu en 2020 aux handicaps en cours de détection.
Dès lors, les EAJE peuvent en bénéficier dès lors qu’ils accueillent un enfant :
– bénéficiaire de l’AEEH ;
– entré dans un parcours de bilan et d’intervention précoce, sur la base d’un formulaire validé par les plateformes départementales de coordination et d’orientation (PCO) ;
– faisant l’objet d’une prise en charge régulière par un centre d’action médico-sociale précoce (Camsp) ;
– ayant reçu une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour une prise en charge en service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) ou en service d’accompagnement familial et d’éducation précoce (Safep) ;
– faisant l’objet d’une attestation médicale, délivrée par un centre hospitalier ou par un médecin de PMI, précisant que l’enfant nécessite une prise en charge globale thérapeutique, éducative ou rééducative compte tenu d’un développement inhabituel des acquisitions psychomotrices ou du diagnostic d’une pathologie ou d’une atteinte sensitive ou motrice grave.
Le calcul du montant du bonus « inclusion handicap » repose sur différentes variables :
– le nombre de places agréées, c’est-à-dire le nombre de places prévu par l’autorisation de l’établissement ;
– la proportion d’enfants en situation de handicap ayant fréquenté au moins une fois l’EAJE au cours de l’année ;
– le taux de financement, qui dépend de la proportion d’enfants en situation de handicap accueillis dans la structure ;
Taux de financement en fonction de la part d’enfants porteurs de handicap frÉquentant la structure en 2024
|
Moins de 5 % d’enfants en situation de handicap |
Entre 5 % et 7,5 % d’enfants en situation de handicap |
Plus de 7,5 % d’enfants en situation de handicap |
Taux de financement |
15 % |
30 % |
45 % |
Source : Cnaf.
– le coût par place, qui correspond au rapport entre l’ensemble des dépenses de la structure sur une année et le nombre de places agréées cette même année, dans la limite d’un plafond ;
Plafond du coût par place en fonction de la part d’enfants en situation
de handicap frÉquentant la structure en 2024
|
Plafond du coût par place annuel |
Plus de 7,5 % d’enfants en situation de handicap |
21 528 € |
Entre 5 % et 7,5 % d’enfants en situation de handicap |
8 611 € + (% d’enfants porteurs de handicap x 172 223 €) |
Moins de 5 % d’enfants en situation de handicap |
17 223 € |
Source : Cnaf.
Le calcul du montant du bonus « inclusion handicap » est réalisé grâce à la formule suivante :
Le calcul du bonus tient compte de l’ensemble des places de la structure, et non des seules places attribuées à des enfants en situation de handicap. Il ne s’agit donc pas d’une aide individualisée pour chaque enfant accueilli, mais d’un bonus qui concerne l’ensemble de la crèche afin d’encourager le gestionnaire à adapter le projet d’accueil à l’accueil d’un ou plusieurs enfants en situation de handicap. Le montant du bonus « inclusion handicap » ne peut excéder 1 399 euros par place et par an.
Entre 2019 et 2022, le montant des dépenses relatives au « bonus inclusion handicap » a été presque triplé, ce qui témoigne de l’appropriation par les crèches du dispositif.
Évolution des dÉpenses consacrÉes au bonus « inclusion handicap »
entre 2019 et 2022
(en millions d’euros)
Source : Commission d’enquête d’après données transmises par la Cnaf.
Depuis sa mise en place, le bonus « inclusion handicap » a vraisemblablement permis de faire progresser l’accueil des enfants en situation de handicap au sein des crèches. Selon les informations transmises par la Cnaf à la rapporteure, l’objectif initial fixé par la COG 2018-2022 était de couvrir, avec le bonus handicap, 3 100 EAJE soit 110 000 places. Cet objectif a été très largement dépassé : en 2021, 4 897 EAJE, représentant 179 914 places, ont bénéficié du bonus « inclusion handicap ». En 2022, 5 901 EAJE, représentant 215 115 places, ont bénéficié du bonus.
Le nombre d’enfants en situation de handicap accueillis au sein des crèches a de fait augmenté de 14 % entre 2016 et 2019, et de 41 % entre 2019 et 2020, grâce à l’élargissement des critères conditionnant l’éligibilité au bonus « inclusion handicap » (initialement réservé aux EAJE qui accueillaient des enfants bénéficiaires de l’AEEH, puis étendu aux enfants dont le handicap est en cours de détection).
Évolution du nombre d’enfants en situation de handicap accueillis en EAJE entre 2016 et 2020
Proportion d'enfants au sein des EAJE |
Nombre d’enfants en situation de handicap accueillis en EAJE |
||||
2016 |
2019 |
2020 |
|||
Critère : bénéfice de l'AEEH, pas de bonus pour la structure |
Critère : bénéfice de l'AEEH, avec désormais bonus pour la structure |
Critère : éligibilité élargie aux handicaps en cours de détection et bonus pour la structure |
|||
Plus de 7,5 % d'enfants en situation de handicap |
1 378 |
1 119 |
–19% |
2 007 |
+79% |
Entre 5 % et 7,5 % d'enfants en situation de handicap |
494 |
506 |
+2 % |
1 403 |
+177 % |
Moins de 5 % d'enfants en situation de handicap |
4 476 |
5 643 |
+26 % |
6 814 |
+21 % |
Total |
6 348 |
7 268 |
+14 % |
10 224 |
+41 % |
Source : Cnaf.
Malgré ces avancées très significatives, il ressort des travaux menés par la rapporteure que le bonus « inclusion handicap » versé par les Caf ne permet pas toujours de compenser entièrement les coûts supplémentaires qu’engendre l’accueil d’un enfant en situation de handicap au sein d’une crèche.
En effet, la construction du bonus handicap repose sur l’analyse macroéconomique du surcoût financier que représente l’accueil d’enfants en situation de handicap dans les établissements qui en recevaient plus de 7,5 % : en 2016, un surcoût de près de 20 % était observé par rapport aux établissements qui n’en accueillaient aucun ([178]).
Effet du bonus « inclusion handicap » sur le reste À charge des structures en fonction du nombre d’enfants en situation de handicap accueillis
Proportion d’enfants en situation de handicap accueillis dans l’EAJE |
Coût de revient par place |
Reste à charge avant bonus handicap |
Reste à charge après bonus (et PSU et participations familiales) |
Aucun enfant en situation de handicap accueilli |
16 015 € |
46,40 % |
46,40 % |
Moins de 5 % d’enfants en situation de handicap |
15 987 € |
45,50 % |
45,30 % |
Entre 5 % et 7,5 % d’enfants en situation de handicap |
15 425 € |
46,80 % |
45,20 % |
Plus de 7,5 % d’enfants en situation de handicap |
18 213 € |
53,40 % |
48,40 % |
Ensemble |
16 017 € |
46,20 % |
46 % |
Source : Données Cnaf 2019.
Les données transmises par la Cnaf à la rapporteure tendent à montrer que les crèches qui accueillent plus de 7,5 % d’enfants en situation de handicap présentent un coût de revient très supérieur aux crèches qui n’accueillent aucun enfant en situation de handicap. Ces données montrent également que pour ces structures, le bonus « inclusion handicap » permet de réduire le reste à charge de l’ordre de 5 points.
Toutefois, il apparaît également que le bonus « inclusion handicap » a un très faible effet sur le reste à charge des crèches accueillant moins d’enfants en situation de handicap : la réduction du reste à charge est de l’ordre de 0,2 point pour les crèches accueillant moins de 5 % d’enfants en situation de handicap, et de 1,60 point pour les crèches accueillant entre 5 % et 7,5 % d’enfants en situation de handicap. De plus, si l’on considère l’ensemble des crèches, indépendamment de la proportion d’enfants en situation de handicap accueillis, le bonus « inclusion handicap » ne réduit le reste à charge du gestionnaire que de 0,2 point.
Ces données, qui auraient vocation à être actualisées sur la base des chiffres postérieurs à 2020, semblent indiquer que si le bonus « inclusion handicap » a pu encourager les crèches à accueillir plus d’enfants en situation de handicap, il ne permet pas nécessairement de financer la qualité de l’accueil proposé à ces enfants. Les témoignages que la rapporteure a pu recueillir lors de ses travaux, à l’instar des témoignages recueillis par les inspecteurs de l’Igas dans le cadre du rapport relatif à la qualité d’accueil au sein des crèches ([179]), illustrent plutôt de réelles difficultés de la part des professionnels de la petite enfance à prendre en charge de manière qualitative des enfants en situation de handicap dans un contexte collectif.
Ces témoignages pointent notamment du doigt une insuffisance de personnels, dans la mesure où la nature et l’ampleur du handicap fait considérablement évoluer les modalités et donc le coût de l’accompagnement spécifique qui doit lui être apporté (un enfant en situation de handicap pouvant avoir besoin de l’accompagnement d’un professionnel de manière presque constante, sans que cette personne soit pour autant déchargée de l’accompagnement et des soins nécessaires aux autres enfants présents). Cela peut générer une mise à l’écart de l’enfant en situation de handicap du groupe (par exemple sur un tapis ou un coussin dont il ne peut pas bouger) ou à l’inverse, la présence d’un personnel en moins auprès des autres enfants avec des difficultés d’encadrement accentuées pour les personnels qui doivent assurer l’accueil d’un plus grand nombre d’enfants. Par ailleurs, les professionnels comme les parents soulignent une véritable volonté de bien faire à laquelle une insuffisante formation fait parfois obstacle. De même, ils remarquent l’absence d’un matériel adapté aux besoins spécifiques des enfants en situation de handicap.
Ces témoignages tendent à montrer que l’accueil des enfants en situation de handicap, s’il a évolué positivement d’un point de quantitatif, doit encore progresser d’un point de vue qualitatif afin de s’assurer que tout enfant – qu’il soit en situation de handicap ou non, et quelles que soient la nature et l’importance de son handicap – reçoive une réponse complète et appropriée à l’expression de ses besoins physiologiques et affectifs au sein des crèches. À cet égard, la rapporteure considère que le bonus handicap ne doit pas seulement encourager les gestionnaires de crèches à accueillir des enfants en situation de handicap, mais doit compenser à leur juste mesure les surcoûts que leur accueil génère (formation des personnels, achat de matériel adapté, et surtout, adaptation du taux d’encadrement ou embauche d’une auxiliaire de vie sociale).
● En parallèle du bonus « inclusion handicap », le bonus « mixité sociale » entend également répondre à un enjeu d’accessibilité des EAJE, en favorisant l’accueil d’enfants issus de familles précaires. Il s’agit d’un investissement social visant à développer la mixité sociale et l’égalité des chances entre tous les enfants.
La PSU a été construite dans cet objectif : les berceaux d’une même crèche bénéficient d’un financement équivalent, quels que soient les revenus des parents des enfants, puisque les participations des familles sont déduites du versement PSU (voir Première Partie. II. A. 1. a.). Toutefois, les enfants issus de familles modestes sont davantage gardés par leurs parents ou par leurs grands-parents que les enfants issus de familles plus aisées. Par ailleurs, l’accueil d’enfants issus de familles précaires génère des effets de bord pour les crèches : les structures qui accueillent davantage d’enfants en situation de pauvreté tendent en effet à consacrer plus de temps aux parents et au soutien à la parentalité, et font face à un accueil plus irrégulier et plus court des enfants, qui a souvent pour effet de dégrader leur taux de facturation. Par ailleurs, ces familles ne bénéficient que très rarement d’un tiers financement par leur employeur, ce qui implique de moindres ressources pour les crèches. En 2018, le manque de recettes pour les EAJE accueillant le plus d’enfants issus de familles précaires était estimé à 2 132 euros annuels par place ([180]).
Le bonus « mixité sociale », créé en 2019, vise à encourager les EAJE à accueillir plus d’enfants issus des familles les plus pauvres. Il est calculé en fonction du montant moyen des participations familiales perçues par la crèche : la structure en bénéficie dès lors que les participations familiales sont inférieures à un seuil fixé chaque année par la Cnaf. À l’instar du bonus « inclusion handicap », le bonus « mixité sociale » s’applique à toutes les places de la structure, y compris à celles occupées par des enfants issus de familles plus aisées. Il s’agit d’encourager la mixité sociale, et non uniquement l’accueil d’enfants issus des familles les plus pauvres.
BarÈme 2024 du bonus « mixitÉ sociale »
Participations familiales moyennes par heure facturées |
Montant du bonus « mixité sociale » |
Inférieures ou égales à 0,87 € |
2 100 € annuels par place |
Entre 0,87 € et 1,15 € |
800 € annuels par place |
Entre 1,15 € et 1,46 € |
300 € annuels par place |
Supérieures à 1,46 € |
Pas de bonus |
Source : Cnaf.
En 2022, les dépenses relatives au bonus « mixité sociale » se sont élevées à 58,4 millions d’euros, contre 75,9 millions d’euros initialement prévus par la COG 2018-2022. Ce sont près de 3 000 EAJE qui en bénéficient chaque année.
PrÉvision et rÉalisation des dÉpenses relatives au bonus « mixitÉ sociale » entre 2019 et 2022
(en millions d’euros)
|
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Montant des dépenses prévues par la COG |
67,8 |
70,3 |
72,9 |
75,9 |
Dépenses réalisées |
55,6 |
53,5 |
55,7 |
58,4 |
Atteinte de l'objectif |
82 % |
76 % |
76 % |
77 % |
Source : Cnaf.
Nombre d’EAJE et de places d’accueil bénéficiaires du bonus
« mixité sociale » en 2021
|
Nombre d’EAJE bénéficiaires |
Nombre de places bénéficiaires |
Bonus de 300 € par place |
1 510 |
48 968 |
Bonus de 800 € par place |
722 |
19 782 |
Bonus de 2 100 € par place |
582 |
12 625 |
Ensemble |
2 814 |
81 375 |
Source : Cnaf.
À l’heure actuelle, seules les données de 2019 sont réellement exploitables, l’année 2020 ayant été marquée par la crise sanitaire, et les données de 2021 n’étant pas encore entièrement disponibles.
En 2019, le bonus « mixité sociale » aurait permis de réduire les écarts de recettes et de reste à charge des EAJE accueillant les familles les plus pauvres par rapport aux autres EAJE. Selon la Cnaf, « en raison d’un faible nombre d’heures d’accueil par place, le reste à charge des crèches où les participations familiales moyennes sont inférieures à 0,75 euro par heure ([181]) était de l’ordre de 53 % (contre 46 % en moyenne) avant le versement du bonus. Le bonus permet de réduire ce reste à charge de 15,2 points » ([182]), qui s’établit ainsi à un peu plus de 38 % en moyenne, soit un niveau toujours supérieur au taux de reste à charge théorique de 34 %.
Écarts de restes à charge constatÉs en 2019 en fonction du montant
des participations familiales et du bonus « mixitÉ sociale »
Données par place et par an |
Total des charges |
Heures facturées |
Amplitude d’ouverture |
Recettes totales avant bonus |
Taux de reste à charge avant bonus |
Taux de reste à charge après bonus |
Participations familiales inférieures à 0,75 €/h |
13 777 € |
1 274 h |
1 967 h |
6 466 € |
53,10 % |
38,30 % |
Participations familiales entre 0,75 €/h et 1 €/h |
14 726 € |
1 486 h |
2 196 h |
7 531 € |
48,90 % |
43,60 % |
Participations familiales entre 1 €/h et 1,25 €/h |
14 915 € |
1 502 h |
2 408 h |
7 650 € |
48,70 % |
46,70 % |
Participations familiales supérieures à 1,25 €/h |
16 351 € |
1 720 h |
2 489 h |
8 918 € |
45,50 % |
45,50 % |
Ensemble |
16 017 € |
1 668 h |
2 449 h |
8 621 € |
46,20 % |
45,40 % |
Source : Cnaf
Néanmoins, dans la mesure où le calcul du bonus « mixité sociale » tient compte du montant moyen des participations familiales, tous les EAJE qui font l’effort d’accueillir des enfants issus de familles modestes ne bénéficient pas toujours de ce financement complémentaire. Ainsi, comme le montre le tableau ci-dessous, pour une même part d’enfants concernés, certaines structures toucheront le bonus, et d’autres non ; de plus, pour une même part d’enfants concernés, deux structures peuvent toucher des bonus de montants différents. Selon la Cnaf, « l’approche par les participations familiales moyennes cible le bon ordre de grandeur en nombre d’EAJE, mais comporte des approximations de l’ordre de 10 % dans le ciblage des EAJE concernés et dans la détermination des tranches de bonus applicables » ([183]).
Calcul thÉorique du montant du bonus « mixité sociale » dans trois crèches recevant la même proportion d’enfants issus de familles modestes
|
Crèche 1 |
Crèche 2 |
Crèche 3 |
Nombre de places |
24 |
24 |
24 |
Nombre d'heures facturées |
55 000 |
55 000 |
55 000 |
Nombre d'enfants issus de familles modestes |
10 |
10 |
10 |
Nombre d'enfants issus de familles de la classe moyenne |
14 |
10 |
4 |
Nombre d'enfants issus de familles aisées riches |
0 |
4 |
10 |
Nombre d’heures facturées aux familles modestes |
22 917 |
22 917 |
22 917 |
Nombre d’heures facturées aux familles de classe moyenne |
32 083 |
22 917 |
9 167 |
Nombre d’heures facturées aux familles aisées |
0 |
9 167 |
22 917 |
Participation horaire des familles modestes |
0,6 € |
||
Participation horaire des familles de classe moyenne |
1,5 € |
||
Participation horaire des familles aisées |
3 € |
||
Montant annuel des participations des familles modestes |
13 750 € |
13 750 € |
13 750 € |
Montant annuel des participations des familles de classe moyenne |
48 125 € |
34 375 € |
13 750 € |
Montant annuel des participations des familles aisées |
0 € |
27 500 € |
68 750 € |
Montant total annuel des participations familiales |
61 875 € |
75 625 € |
96 250 € |
Participations familiales moyennes par heure facturée |
1,13 €/h |
1,38 €/h |
1,75 €/h |
Montant du bonus annuel |
800 €/place |
300 €/place |
0 € |
Ce tableau vise à expliciter comment, pour la même proportion d’enfants issus de familles modestes accueillis, trois crèches peuvent recevoir des bonus « mixité sociale » différents. Pour faciliter la compréhension, le tableau propose de considérer une situation idéale-typique dans laquelle trois crèches présentent le même nombre de places, accueillent le même nombre d’enfants issus de familles modestes, et dont tous les enfants sont accueillis sur la base d’un même volume horaire. Par ailleurs, le calcul suppose que les familles appartenant à une même « catégorie » paient exactement le même montant horaire.
Le calcul réalisé, sur la base de cette hypothèse idéale-typique, montre que la crèche n°1, qui accueille seulement des enfants de classe moyenne en parallèle des enfants issus de familles modestes, bénéficie d’un bonus d’un montant supérieur à celui de la crèche n°2 qui accueille autant d’enfants de familles modestes, mais moins d’enfants de classe moyenne et quelques enfants de familles aisées. Enfin, la crèche n°3, qui accueille autant d’enfants de familles pauvres que d’enfants de familles aisées, et quelques enfants de classe moyenne, ne perçoit quant à elle aucun bonus. Il est à noter que l’écart des participations familiales ne peut justifier la différence de montant du bonus mixité puisque cet écart est neutralisé par le montant de la PSU perçue par le gestionnaire.
Source : Commission d’enquête.
En réalité, le bonus « mixité sociale », d’un point de vue purement mathématique, encourage bien les EAJE à accueillir des enfants issus de familles aux revenus modestes, mais non à organiser une réelle mixité sociale avec des enfants issus de familles dont l’ampleur des revenus est très étalée. Dans la situation idéale-typique présentée dans le tableau supra, une crèche accueillant 8 enfants issus de familles pauvres, 8 enfants issus de familles de classe moyenne, et 8 enfants issus de familles aisées ne bénéficierait pas du bonus « mixité sociale » alors même qu’il s’agirait de la structure la plus mixte socialement.
Dès lors, une partie des acteurs de la petite enfance a pu affirmer que le bonus « mixité sociale » était mal-nommé, puisqu’il valorise l’accueil d’enfants issus de familles modestes, mais pas la mixité sociale en tant que telle. De plus, selon la FNMF, le bonus « mixité sociale » n’a pas encouragé les gestionnaires à accueillir les familles modestes : « si nous nous basons sur les modalités de financement pour bénéficier du montant maximum proposé, il nous faudrait accueillir exclusivement des familles en dessous du seuil de pauvreté » ([184]).
Enfin, selon les informations communiquées par la Cnaf à la rapporteure, le bonus « mixité sociale » bénéficie davantage aux crèches accueillant un nombre important d’enfants par place. En effet, les EAJE qui présentent des participations familiales moyennes d’un niveau relativement faible sont souvent des structures qui accueillent un grand nombre d’enfants différents pour chaque place d’accueil. Cela signifie qu’une même place permet de répondre à des besoins d’accueil occasionnel, pour des familles ayant de faibles revenus ou dont les besoins fluctuent en fonction de l’insertion professionnelle des parents. Ainsi, le bonus « mixité sociale » bénéficie plus souvent à des EAJE présentant plus de 3,5 enfants inscrits par place ; son montant moyen est alors plus élevé que pour les autres EAJE. Aussi, le bonus mixité a pour effet de favoriser un accueil hebdomadaire plus court ce qui n’était pourtant pas l’objectif qui lui était assigné.
Part des EAJE bénéficiant du bonus « mixité sociale » et montant du bonus en fonction du nombre d’enfants inscrits par place
|
Taux d’EAJE bénéficiant du bonus « mixité sociale » |
Montant moyen de bonus « mixité sociale » versé |
Moins de 1,5 enfant inscrit par place |
23,7 % |
107 €/place |
Entre 1,5 et 2,5 enfants inscrits par place |
19,0 % |
85 €/place |
Entre 2,5 et 3,5 enfants inscrits par place |
29,4 % |
138 €/place |
Plus de 3,5 enfants inscrits par place |
53,7 % |
497 €/place |
Ensemble |
26,9 % |
133 €/place |
Source : Cnaf.
● En parallèle des bonus « inclusion handicap » et « mixité sociale », la Cnaf a développé des financements forfaitaires relatifs à l’analyse des pratiques professionnelles qui était peu, voire pas, prise en compte par la PSU. En effet, les heures éventuellement consacrées à des réunions d’équipe, en vue de réfléchir à la mise en œuvre du projet pédagogique, d’échanger autour des pratiques professionnelles et des besoins individuels et collectifs des enfants accueillis au sein de la crèche ne sont pas facturées aux familles, et ne sont de ce fait financées ni par les familles, ni par la Caf.
Pour mieux en tenir compte, dès 2004, la Cnaf a instauré des « heures de concertation » qui doivent rémunérer les heures de travail des professionnels des crèches qui ne sont pas prises en compte par la tarification horaire de la PSU : rédaction de projets d’établissement, développement de la structure, réunions avec les familles, etc. Le nombre d’heures de concertation financées chaque année par la branche famille est passé, en 2018, de 3 heures par place à 6 heures par place.
Le tarif horaire de financement de ces heures de concertation est le même que celui dont bénéficie l’établissement au titre de la PSU. Le montant du versement Caf relatif à ces heures de concertation est calculé à l’aide de la formule suivante :
Plus récemment, la Cnaf a décidé, à compter de 2024, de la création d’un financement dédié aux « journées pédagogiques ». Ces journées correspondent à des temps de réflexion entre professionnels, en dehors de la présence des enfants, afin d’ajuster l’organisation, les pratiques pédagogiques, de rédiger ou réviser le projet d’accueil, de mettre à jour les connaissances relatives au développement du jeune enfant, ou encore d’organiser des séances d’analyse des pratiques professionnelles.
Ces journées pédagogiques sont des journées de fermeture au public de l’établissement. Les familles ne sont donc pas facturées, et la Caf compense l’intégralité de la perte de recettes résultant de la non-perception des participations familiales et de la PSU.
Trois journées pédagogiques au plus peuvent être organisées chaque année. Le financement versé par la Caf correspond à un forfait de 10 heures par place et par jour. Le montant de ce versement est calculé selon la formule suivante :
En 2024, 20,4 millions d’euros seront consacrés au financement de cette mesure.
ii. Les Caf proposent des financements visant à soutenir les gestionnaires et les collectivités locales et à réduire les inégalités territoriales
En parallèle des bonus forfaitaires visant à améliorer l’accessibilité des EAJE et la qualité d’accueil proposé, la Cnaf a également élaboré des financements territoriaux visant à soutenir les gestionnaires de crèches et les collectivités territoriales.
● La branche famille de la sécurité sociale soutient les collectivités territoriales finançant des EAJE, à travers l’attribution de subventions territoriales dans un cadre contractuel, avec d’abord les contrats enfance jeunesse (CEJ) aujourd’hui remplacés par les conventions territoriales globales (CTG).
Les CEJ, créés en 2006, étaient des contrats d’objectifs et de cofinancement des places nouvellement créées sur un territoire. Ils donnaient lieu, pour les places concernées, à un financement de 55 % des dépenses restant à la charge des EAJE après perception de la PSU et des participations familiales, dans la limite d’un prix plafond. Ils étaient conclus par les Caf avec des partenaires tels que les communes ou intercommunalités, les entreprises non éligibles au Cifam ou les administrations de l’État, pour une durée de 4 ans.
Après 14 ans de mise en œuvre, les modalités du CEJ ont été remises en cause par les Caf et leurs partenaires, en raison des lourdeurs de gestion et d’une difficulté à prévoir les dépenses associées. La charge du traitement administratif des CEJ tendait à fortement mobiliser les Caf, au détriment d’un accompagnement qualitatif des projets de territoire.
À partir de 2019, les CEJ ont progressivement disparu pour laisser place aux CTG et à leur déclinaison financière avec les bonus « territoire CTG ». Les CTG reposent, à l’instar des CEJ, sur une démarche partenariale entre les Caf et les collectivités territoriales ou les administrations publiques. Elles couvrent un champ plus large que la petite enfance et la jeunesse, puisqu’elles visent aussi à soutenir et renforcer les services aux habitants en matière d’animation de la vie sociale, d’accès aux droits et d’inclusion numérique, de logement, ou encore de prise en compte du handicap. En matière de petite enfance, les actions des CTG portent sur le développement de places d’accueil, la rénovation des équipements d’accueil du jeune enfant, l’adaptation aux besoins des parents et des enfants (horaires atypiques, insertion professionnelle, handicap, etc.), et l’amélioration de la qualité d’accueil.
L’élaboration d’une CTG repose sur un diagnostic partagé par les partenaires concernés afin de définir les priorités et les moyens dans le cadre d’un plan d’actions adapté. La CTG intègre :
– un diagnostic de l’état des besoins de la population selon les thématiques choisies par la Caf et les collectivités concernées ;
– l’offre d’équipements existante soutenue par la Caf et les collectivités locales ;
– un plan d’actions précisant les objectifs de création de nouveaux services, mais aussi de maintien et d’optimisation des services existants ;
– les modalités d’intervention et les moyens mobilisés ;
– les modalités d’évaluation et de pilotage de la démarche.
Dans le cadre des CTG, les financements dont bénéficiaient auparavant les EAJE dans le cadre des CEJ sont remplacés par des bonus « territoire CTG ». Ce dispositif vise à garantir, à l’échelle du territoire de compétences concerné, un maintien des financements précédemment versés dans le cadre des CEJ, mais en simplifiant leurs modalités de calcul. En effet, les modalités de calcul du bonus « territoire CTG » reposent sur des montants forfaitaires par unité d’œuvre, soit le nombre de places pour les EAJE. Pour les collectivités locales signataires, cela garantit une meilleure prévisibilité des montants du bonus « territoire CTG », et une plus grande rapidité de traitement par les Caf, sur la base des données transmises par les gestionnaires d’EAJE afin de percevoir la PSU.
Le bonus « territoire CTG » est versé directement aux EAJE qui bénéficient du soutien financier d’une collectivité territoriale. Celui-ci peut revêtir diverses formes : création de places d’accueil dans une structure gérée en régie ; subventionnement d’EAJE bénéficiant de la PSU ; réservation de places d’accueil au sein d’EAJE de droit privé au bénéfice des habitants du territoire. Il peut s’agir d’un soutien monétaire ou d’un soutien en nature – mise à disposition des locaux, des fluides ou de personnels. En conséquence, les places d’accueil non soutenues par une collectivité signataire d’une CTG ne bénéficient pas du bonus « territoire CTG ».
Le bonus « territoire CTG » constitue un complément d’aide au fonctionnement des services aux familles éligibles – dont les EAJE. Il est composé de deux volets :
– le premier volet vise à financer le maintien des places d’accueil existantes ;
– le second volet vise à accompagner la création de nouvelles places en crèches.
Pour le financement des places existantes, il s’agit de garantir un montant minimum par place en fonction des caractéristiques du territoire, au moins équivalent aux financements qui étaient versés dans le cadre des CEJ. Pour calculer ce forfait par place, les Caf ont additionné les financements dont bénéficiaient les EAJE dans le cadre du CEJ antérieur, et l’ont rapporté au nombre de places d’EAJE soutenues par la collectivité territoriale concernée, que ces places aient ou non été financées auparavant par le CEJ. Ce mécanisme de lissage doit permettre à chaque place déjà existante dans les EAJE bénéficiant de la PSU sur un même territoire de bénéficier du même montant de bonus « territoire CTG ».
Exemple théorique de calcul du bonus « territoire CTG »
pour les places déjà existantes
|
EAJE n°1 |
EAJE n°2 |
EAJE n°3 |
Caractéristiques |
Crèche intercommunale en régie |
Crèche intercommunale en régie |
Crèche associative subventionnée par la collectivité |
Nombre de places |
20 |
20 |
20 |
Financement CEJ |
0 |
50 000 € |
34 000 € |
Calcul du bonus territoire CTG |
|||
Montant total des financements CEJ perçus avant la CTG |
84 000 € |
||
Nombre de places soutenues par la collectivité avant la CTG |
60 |
||
Montant du bonus « territoire CTG » par place existante |
1 400 € |
||
Montant du bonus « territoire CTG » par EAJE |
28 000 € |
Ce tableau présente un exemple de calcul du montant du bonus « territoire CTG » dans le cas d’une intercommunalité gérant deux crèches en régie et subventionnant une crèche associative. Le mécanisme de lissage du montant du bonus « territoire CTG » conduit à accorder le même financement par place aux trois EAJE soutenus par l’intercommunalité, alors que ces EAJE ne bénéficiaient pas des mêmes financements dans le cadre du CEJ.
Source : Commission d’enquête d’après exemple proposé par la circulaire 2020-01 de la Cnaf.
Le montant par place ainsi calculé pour les EAJE d’un même territoire est ensuite comparé au montant minimum garanti par un barème national élaboré par la Cnaf en fonction des caractéristiques du territoire. Sont pris en compte :
– le potentiel financier par habitant, c’est-à-dire le montant d’impôts qu’encaisserait une collectivité si elle appliquait à ses bases nettes d’imposition les taux ou tarifs moyens nationaux ;
– le niveau de vie par habitant, qui correspond à la médiane du revenu disponible par unité de consommation des ménages fiscaux (déterminé par l’Insee).
Barème 2024 du bonus « territoire CTG » pour les places existantes
Caractéristiques du territoire (commune ou EPCI) |
Bonus territoire CTG minimum par place existante |
|||
Quartier politique de la ville (QPV) ou zone de revitalisation rurale (ZRR) |
1 700 € |
|||
Potentiel financier / habitant : |
≤ 700 € |
Niveau de vie par habitant : |
≤ 19 300 € |
1 400 € |
|
≤ 700 € |
|
> 19 300 € |
1 150 € |
|
≤ 900 € |
|
≤ 19 600 € |
1 100 € |
|
≤ 900 € |
|
> 19 600 € |
950 € |
|
≤ 1 200 € |
|
≤ 20 300 € |
900 € |
|
≤ 1 200 € |
|
> 20 300 € |
800 € |
|
> 1 200 € |
|
≤ 21 300 € |
750 € |
|
> 1 200 € |
|
> 21 300 € |
400 € |
Contrat territorial réservataire employeur |
1 400 € |
Source : Cnaf
À caractéristiques territoriales identiques, deux situations peuvent se présenter :
– si le montant par place calculé est inférieur au montant du bonus territoire CTG minimum garanti par le barème, c’est ce montant minimum qui s’applique à toutes les places du territoire concerné ;
– si le montant par place calculé est égal ou supérieur au montant minimum garanti, alors c’est le montant calculé qui s’applique sur le territoire.
Exemple d’application du montant minimum garanti
|
Potentiel financier |
Niveau de vie |
Montant bonus calculé |
Montant minimum garanti |
Montant retenu |
Territoire A |
650 € |
18 000 € |
700 € |
1 400 € |
1 400 € |
Territoire B |
650 € |
18 000 € |
1 500 € |
1 400 € |
1 500 € |
Ce tableau propose un exemple d’application du montant minimum garanti pour la détermination du bonus « territoire CTG ». Ici, deux territoires présentent les mêmes caractéristiques, mais l’application du mécanisme de lissage lors du passage du CEJ à la CTG conduit au calcul de deux montants différents pour le bonus « territoire CTG ». Dans un cas, le montant minimum s’applique puisque le montant calculé était inférieur ; dans l’autre cas, on retient le montant calculé car il était supérieur au montant minimum garanti.
Source : Commission d’enquête d’après exemple proposé par la circulaire 2020-01 de la Cnaf.
Pour le financement de places nouvelles, le calcul du bonus « territoire CTG » repose sur l’application d’un forfait national pour chaque place créée. Le montant du forfait varie, comme pour les places existantes, selon les caractéristiques du territoire concerné.
Barème 2024 du bonus « territoire CTG » pour les places nouvelles créées
Caractéristiques du territoire (commune ou EPCI) |
Bonus territoire CTG par place nouvelle créée |
|||
Quartier politique de la ville (QPV) ou zone de revitalisation rurale (ZRR) |
3 600 € |
|||
Potentiel financier / habitant : |
3 300 € |
Niveau de vie par habitant : |
≤ 19 300 € |
1 400 € |
|
3 000 € |
|
> 19 300 € |
1 150 € |
|
2 900 € |
|
≤ 19 600 € |
1 100 € |
|
2 800 € |
|
> 19 600 € |
950 € |
|
2 750 € |
|
≤ 20 300 € |
900 € |
|
2 700 € |
|
> 20 300 € |
800 € |
|
2 650 € |
|
≤ 21 300 € |
750 € |
|
2 600 € |
|
> 21 300 € |
400 € |
Contrat territorial réservataire employeur |
2 800 € |
Source : Cnaf.
Une offre de service supplémentaire est considérée comme nouvelle au cours de la CTG durant laquelle elle a été créée. Au moment du renouvellement de la CTG, elle est intégrée à l’offre existante. Afin de garantir la stabilité des financements octroyés, les caractéristiques du territoire concerné sont considérées comme figées pendant la durée d’application de la convention.
Enfin, le bonus « territoire CTG » est plafonné de telle sorte que la somme des participations familiales et de l’ensemble des financements versés par les Caf à un EAJE ne dépasse pas 90 % de ses charges de fonctionnement.
En mars 2024, 3 019 CTG avaient été conclues sur l’ensemble du territoire national, couvrant 99 % de la population. 2 888 d’entre elles présentent un axe dédié à la petite enfance, soit plus de 95 %. Cet axe ouvre nécessairement droit au bonus « territoire CTG » pour les EAJE. En 2023, une fois l’ensemble des CEJ transformés en CTG, le montant total des droits au bonus « territoire CTG » s’est élevé à près de 785 millions d’euros.
Le bonus « territoire CTG » permet de réduire le reste à charge pour les collectivités territoriales qui financent des EAJE à hauteur de 9 % en moyenne au niveau national. En 2022, les financements des CEJ et le bonus « territoire CTG » représentaient près de 75 % des financements complémentaires versés par les Caf aux EAJE en parallèle de la PSU (qui représente à elle seule 74 % des financements versés par les Caf aux EAJE).
ÉVOLUTION de la contribution du CEJ et du bonus territoire CTG
au financement des EAJE entre 2010 et 2022
Source : Commission d’enquête d’après données Cnaf.
part des financements des CEJ et du bonus « territoire CTG » dans l’ensemble des financements alloués par les C AF en 2022
Source : Commission d’enquête d’après données Cnaf.
Toutefois, le bonus « territoire CTG » est marqué par d’importantes disparités territoriales, entre départements d’abord, mais aussi entre les différentes CTG qui couvrent un même territoire départemental, et enfin entre les EAJE relevant d’une même CTG.
En effet, bien que les critères d’attribution du bonus « territoire CTG » soient déterminés au niveau national, et ne puissent pas faire l’objet de dérogations locales, les modalités de son calcul tiennent largement compte de l’historique de la relation partenariale entre la Caf départementale et les collectivités territoriales soutenant les EAJE bénéficiaires de ces financements. C’est un constat souligné par la Cnaf : « si le montant du soutien en cas d’offre nouvelle est basé sur des forfaits nationaux tenant compte des caractéristiques des territoires mais identiques à situation comparable, le montant lissé soutenant l’offre existante est variable entre territoires selon l’apport financier historique de la Caf lui-même lié à la politique plus ou moins dynamique de la collectivité territoriale » ([185]).
La rapporteure, dans le cadre de ses travaux, a souhaité interroger l’ensemble des Caf sur l’enjeu du reste à charge pour les gestionnaires, et en particulier les collectivités territoires. Nombre d’entre elles partageaient le constat d’un reste à charge élevé pour les collectivités territoriales, et soulignaient que le bonus « territoire CTG » ne compensait qu’imparfaitement ce reste à charge sous l’effet de deux facteurs :
– l’ancienneté des EAJE qui, s’ils ont été créés avant les CEJ, n’ont pas bénéficié des financements associés à ces contrats, qui n’ont donc pas été repris dans les CTG ;
– la différence importante, dans le cadre des CTG, entre le montant du financement alloué aux places nouvellement créées (3 600 euros par place maximum) et celui alloué aux places déjà existantes (1 700 euros par place maximum), qui pénalise les collectivités qui ont, de longue date, investi dans l’accueil des jeunes enfants.
Extraits des réponses adressées par les Caf à la rapporteure concernant les disparités de financement liées au bonus « territoire CTG »
Dans le cadre de ses travaux, la rapporteure a souhaité interroger les Caf départementales, en complément de la Caisse nationale, pour bénéficier d’un retour de terrain sur les différents financements versés par la branche famille de la sécurité sociale aux EAJE et mesurer les potentielles disparités territoriales existantes.
Les citations ci-dessous correspondent à des extraits de réponses formulées par les différentes Caf à la question suivante : « Le reste à charge pour les communes est un enjeu majeur car il est souvent plus important que son montant théorique : les députés ont fait le constat de restes à charge allant de 40 à 60 % du coût de fonctionnement, alors qu’en théorie, la participation des collectivités territoriales ne devrait pas dépasser 34 %, voire moins grâce aux aides des CTG. Quel regard portez-vous sur ce constat ? »
– « Le bonus territoire est lié aux anciens CEJ dont les montants dépendaient des structures sur le territoire, donc les montants étaient inégaux » (Caf de l’Ardèche) ;
– « Les crèches anciennes, qui n’entraient pas dans un CEJ […] dépassent une participation de 34 % » (Caf du Cantal) ;
– « Nous pouvons […] constater que les financements des Caf sont issus de l’histoire de nos différents contrats – depuis la fin des années 1980 – avec des modalités de financement qui ont évolué (contrats crèche, contrats enfance, contrats enfance jeunesse) » (Caf du Doubs) ;
– « Ce constat résulte souvent de l'histoire des EAJE et du niveau de financement acquis au fil des contrats enfance et CEJ. Le lissage du Bonus territoire a permis d'atténuer les écarts de reste à charge sur un territoire mais force est de constater que des écarts perdurent entre territoires. Le reste à charge est […] un enjeu majeur sur les territoires […] avec potentiel financier fiscal faible. Ces territoires, en Gironde, connaissent également une très forte surreprésentation de familles vulnérables (monoparentalité et pauvreté) » (Caf de la Gironde) ;
– « Le reste à charge des collectivités est effectivement hétérogène. Les collectivités ayant développé anciennement des équipements ont des niveaux de prise en charge inférieurs à celles qui ont développé des places récemment » (Caf de l’Indre-et-Loire) ;
– « Il y a d'énormes disparités entre les territoires, avec l'héritage des montants des Contrats Enfance et Jeunesse » (Caf de la Haute-Loire) ;
– « Il existe une grande disparité entre les territoires car les montants forfaitaires par place des bonus territoires sont basés sur les anciens contrats CEJ […] qui accompagnaient uniquement le développement [de nouvelles places en crèches] » (Caf de la Loire-Atlantique) ;
– « Le reste à charge plus élevé s'explique par le fait que les collectivités qui n'avaient pas conclu de contrats enfance jeunesse, se sont vues appliquer un plancher "offre existante" lors de la signature des CTG. Ce plancher est plus bas que les financements accordés aux collectivités qui avaient conclu des CEJ, ou celles qui sont en phase de développement » (Caf du Loiret) ;
– « Pour les collectivités le reste à charge peut être plus ou moins conséquent en fonction du bonus territoire. Des disparités sont observées. En effet, tout dépend si le développement des places a eu lieu avant ou après la mise en place des CEJ (1 700 € place existante à 3 600 € par place nouvelle) » (Caf du Maine-et-Loire) ;
– « Le calcul du bonus territoire lors de la signature des premières Ctg était basé sur le montant versé la dernière année au titre du Contrat enfance jeunesse (Cej). Certains Eaje n'étaient pas inscrits au Cej car ils avaient été créés avant la signature des premiers contrats. On constatait donc une forme d'iniquité des financements » (Caf des Pyrénées-Orientales) ;
– « À ce stade le bonus territoire est très inégal selon les territoires car il tient compte de l’existant. Les écarts de financement se creusent entre les EAJE qui bénéficient d’une part forfaitaire de bonus territoire offre nouvelle et les anciens équipements qui bénéficient d’un bonus territoire historiquement faible. » (Caf des Deux-Sèvres) ;
– « L'historique du passage du CEJ au bonus territoire peut peser sur les soutiens financiers des collectivités » (Caf de l’Yonne).
Face à ces disparités territoriales, qui peuvent conduire certaines collectivités territoriales à cesser de financer les EAJE déjà existants ou à renoncer à la création de nouvelles places, la Cog 2023-2027 prévoit une revalorisation du bonus « territoire CTG » ainsi qu’une convergence progressive entre le financement de l’offre existante et le financement de l’offre nouvelle qui devrait corriger ces disparités (voir Deuxième Partie. I. B. 1. a).
● En parallèle des CTG, les Caf peuvent aussi mobiliser le fonds « publics et territoires » (FPT) pour soutenir financièrement les EAJE. Ce fonds national vise à accompagner les besoins spécifiques des familles et des territoires, selon sept axes prévus par la Cog 2023-2027 :
– axe 1 : l’accueil des enfants et adolescents en situation de handicap dans les structures et services de droit commun ;
– axe 2 : l’amélioration de la qualité et de l’accessibilité de l’accueil collectif et individuel du jeune enfant ;
– axe 3 : l'engagement et la participation des enfants et des jeunes ;
– axe 4 : le maintien et le développement des services aux familles dans des territoires spécifiques ;
– axe 5 : soutien des établissements d’accueil du jeune enfant, des services enfance et jeunesse présentant de graves fragilités économiques ;
– axe 6 : appui aux démarches innovantes ;
– axe 7 : renforcement de la lutte contre la non-décence des logements et promotion des projets en faveur du logement des familles, des jeunes et du cadre de vie.
Les crèches, qui peuvent être concernées par plusieurs de ces axes, sont plus particulièrement visées par l’axe 2, dont l’évolution du financement entre 2022 et 2027 est prévue par la Cog. Le volet « Petite enfance – Qualité de l’accueil collectif et individuel » du FPT était doté de 76,2 millions d’euros en 2022. En 2027, la Cog prévoit que 161,2 millions d’euros lui seront alloués, soit une progression de + 112 % par rapport à 2022.
Projection de dÉpenses du volet « Petite enfance – qualité de l’accueil collectif et individuel » du fonds publics et territoires entre 2022 et 2027
|
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Progression 2027/2022 |
|
Fonds publics et territoires |
76 M€ |
99 M€ |
115 M€ |
135 M€ |
145 M€ |
161 M€ |
112 % |
85 M€ |
Source : Cog 2023-2027.
Historiquement, le FPT permet de financer, de manière annuelle ou pluriannuelle, des projets et services à l’amorçage, en investissement ou en fonctionnement. Sont particulièrement visés les projets portant sur le renforcement de l’accessibilité des modes d’accueil pour les enfants en situation de handicap ou en situation de vulnérabilité, dont les parents sont en situation d’insertion ou ayant des besoins d’accueil à horaires atypiques. Une enveloppe dédiée à l’innovation permet également de soutenir l’émergence de modèles alternatifs et complémentaires à la crèche multi-accueil traditionnelle.
Depuis 2024, l’accroissement des moyens financiers alloués au FPT doit permettre d’accompagner en priorité l’amorçage de démarches d’élévation de la qualité des conditions d’accueil des enfants et des conditions de travail des professionnels, et d’assurer, de manière plus secondaire, leur pérennisation grâce à des moyens de fonctionnement pour les EAJE. Sont notamment visées les actions de soutien aux fonctions managériales, les projets associant les pratiques de terrain et les actions de recherche et de formation, et les démarches de mise en œuvre et d’évaluation de la Charte nationale d’accueil du jeune enfant. La rapporteure s’en réjouit et en déduit une réelle prise de conscience par l’État et la Cnaf de la nécessité de renforcer les financements liés à la qualité d’accueil du jeune enfant.
Au niveau local, les actions financées par le FPT sont déclinées conformément aux priorités déterminées par le schéma départemental des services aux familles (SDSF) et par les CTG. Ces financements sont octroyés sur décision du conseil d’administration de la Caf, qui statue en opportunité au regard des axes et objectifs fixés au niveau national et en fonction de la dotation allouée par la Cnaf à chaque Caf départementale. Les actions financées sont souvent identifiées sur la base d’appels à projets. En moyenne, les financements du fonds publics et territoires représentent 2 % des financements alloués par les Caf aux EAJE, et moins de 1 % des recettes totales des EAJE, mais ont vocation à croître dans les années à venir (voir tableau supra).
● Enfin, chaque Caf départementale dispose de fonds locaux qui lui permettent d’allouer des subventions aux EAJE, selon des règles d’octroi et de calcul fixées localement dans les règlements internes d’action sociale. Ce type de financements leur permet de tenir compte des spécificités territoriales. Les Caf respectent un principe de financement à hauteur de 80 % maximum des actions sélectionnées.
Évolution des dÉpenses totales des CAF en faveur des EAJE sur fonds locaux
(en millions d’euros)
Source : Commission d’enquête d’après données Cnaf.
Selon les explications fournies par la Cnaf, la baisse brutale des financements sur fonds locaux à partir de 2020 s’explique par la mise en place d’un budget commun de gestion au sein du réseau des Caf, vers lequel ont été transférées les dépenses relatives aux personnels d’action sociale et aux gestions directes. Dès lors, en réalité, ces dépenses n’ont pas diminué, mais font l’objet d’une comptabilité désormais différenciée. L’enveloppe des fonds locaux ne contient désormais que les financements répondant au principe d’attribution non fléchée au niveau national, et décidée par les conseils d’administration des Caf en fonction des besoins du territoire.
Dans le cadre de leurs réponses au questionnaire qui leur avait été adressé par la rapporteure, les Caf départementales ont pu donner divers exemples d’actions financées par leurs fonds locaux :
– financement du reste à charge pour le gestionnaire suite à l’accueil d’un étudiant en alternance ou apprentissage dans le cadre d’une formation d’éducateur de jeune enfant ou d’auxiliaire de puériculture ;
– financement de formations à destination des professionnels de la petite enfance pour l’accueil des enfants en situation de handicap ;
– aides à l’investissement en complémentaire des aides nationales ou lorsque les projets ne sont pas éligibles aux fonds nationaux ;
– financement d’un « sur-encadrement » dans les EAJE qui accueillent des enfants en situation de handicap ;
– financement supplémentaire pour les EAJE qui accueillent des enfants dont les parents sont confrontés à des emplois avec horaires atypiques ou confrontés à des difficultés d’employabilité ou à une situation de fragilité économique et sociale ;
– financement de petits aménagements immobiliers ou de l’acquisition de matériels et de mobiliers ;
– aide au fonctionnement pour réduire le reste à charge des structures et/ou des collectivités ;
– accompagnement financier des innovations et initiatives locales en amont du déploiement des CTG.
La rapporteure remarque que tous les projets financés par les Caf sur fonds locaux sont d’intérêt majeur et permettent de soutenir les EAJE, en fonctionnement comme en investissement. Néanmoins, il ressort de ses travaux que l’existence de ces subventions locales engendre des inégalités de financement entre les structures, mais aussi entre les départements, selon les politiques locales définies au niveau de chaque Caf. De plus, les fonds locaux sont utilisés pour subventionner des actions qui sont, en principe, déjà financées par les fonds nationaux (accueil des enfants en situation de handicap, aides à l’investissement, aides au fonctionnement), ce qui démontre que ces financements socles sont structurellement jugés insuffisants.
De manière plus générale, la rapporteure constate que l’ensemble des aides territorialisées attribuées par les Caf aux EAJE et aux collectivités territoriales permettent effectivement de réduire le reste à charge pour le gestionnaire. Toutefois, ces aides ne contribuent pas à réduire les disparités territoriales et les écarts de financement entre les EAJE. Au contraire, elles semblent les renforcer.
Dans leurs réponses au questionnaire adressé par la rapporteure, les Caf ont témoigné de restes à charge très différents selon les départements, et selon les structures. Ainsi, dans certaines situations, le reste à charge peut s’établir autour de 10 % du coût de fonctionnement de la crèche, si le gestionnaire a su et a pu mobiliser l’ensemble des aides financières proposées par la branche famille, ce qui nécessite un effort important que toutes les structures ne sont pas en capacité de réaliser, notamment lorsqu’il s’agit de répondre à des appels à projets. À l’inverse, certaines Caf ont indiqué à la rapporteure que le reste à charge pouvait largement dépasser 40 % du coût de fonctionnement, notamment lorsque les structures considérées ne sont pas éligibles à ces aides territoriales, ou lorsque les collectivités gestionnaires n’ont pas les moyens en ingénierie de projet pour les mobiliser.
La rapporteure note enfin l’infinie complexité des financements attribués par les Caf aux EAJE, en sus de la PSU qui est d’ores et déjà très complexe à comprendre et à manipuler, pour un résultat très insatisfaisant, au regard du sous-financement constaté.
b. Les Caf soutiennent également les efforts d’investissement des gestionnaires de crèches selon des règles d’attribution inégalement appliquées
Afin d’encourager la création de places en crèches, les Caf ont, de longue date, soutenu les dépenses d’investissement des gestionnaires de crèches, en parallèle du soutien apporté au fonctionnement. Ces aides à l’investissement sont importantes, mais essentiellement concentrées sur les créations de places. Par ailleurs, s’il existe des règles nationales d’attribution, les conseils d’administration des Caf disposent d’une marge d’appréciation qui génère des disparités territoriales dans l’octroi de ces aides et dans les pratiques de contrôle de leur bonne utilisation.
i. Les aides à l’investissement versées par les Caf
Les Caf attribuent des subventions d’investissement aux gestionnaires d’EAJE afin d’accompagner la création de places en crèches, dans le cadre du plan d’investissement pour l’accueil du jeune enfant (Piaje), et la rénovation des crèches, dans le cadre du fonds de modernisation des établissements (FME). Les règles d’attribution de ces subventions nationales sont définies au sein de circulaires élaborées par la Cnaf et ont donc vocation à s’appliquer d’une manière homogène sur l’ensemble du territoire.
Les Caf peuvent également, sur leurs fonds locaux, élaborer des aides complémentaires pour les établissements de leur territoire, selon des conditions précisées dans le règlement intérieur d’action sociale propre à chaque Caf (voir Première partie. II. B. 2. a.). Ces aides locales sont plafonnées à 80 % du coût total des projets.
Projection de dÉpenses du Piaje et du FME entre 2022 et 2027
(en milliers d’euros)
|
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Progression 2027/2022 |
|
Plan d'investissement pour l'accueil du jeune enfant |
248 988 |
390 317 |
369 817 |
369 817 |
369 817 |
369 817 |
48,5 % |
120 829 |
Fonds de modernisation des EAJE |
50 075 |
60 658 |
60 658 |
60 658 |
60 658 |
60 658 |
21,1 % |
10 583 |
Source : Cog Cnaf 2023-2027.
● Concernant les aides à l’investissement relatives à la création de places en crèches attribuées dans le cadre du Piaje, tous les EAJE peuvent en bénéficier, qu’il s’agisse d’une crèche PSU ou d’une micro-crèche Paje. Toutefois, les critères d’éligibilité ne sont pas les mêmes selon la forme de l’EAJE.
Critères d’éligibilité des crèches PSU et des micro-crèches Paje
aux financements du PIAJE
Crèches PSU |
Micro-crèche Paje |
– Bénéficier de la PSU et en appliquer les règles. |
– Accueillir uniquement des enfants dont les parents perçoivent le CMG « structure » ;
– Appliquer une tarification modulée en fonction des ressources des parents, dont le montant est inférieur au plafond horaire de 10 € et comprenant la fourniture des couches et des repas ;
– Répondre à l’une des deux conditions d’implantation suivantes :
– Les micro-crèches « accolées » (implantées à la même adresse ou contiguës ou dont les locaux techniques sont mutualisés) ne sont pas éligibles.
|
Source : Commission d’enquête d’après circulaire n° 2024-020 de la Cnaf.
Les aides à l’investissement du Piaje peuvent être utilisées pour financer le coût du foncier ou du terrain, le gros œuvre et les grosses réparations, les aménagements intérieurs, les équipements simples et particuliers, les honoraires et les frais administratifs (architecte, maîtrise d’œuvre, etc.) ou d’autres types de travaux (aménagements intérieurs, voirie ou réseaux). La rapporteure relève que le subventionnement du foncier ou du terrain est très contestable en ce qui concerne les crèches du secteur privé lucratif, dans la mesure où le schéma le plus courant, lorsqu’elles font le choix d’acquérir leurs locaux plutôt que de les louer, est de créer une société civile immobilière distincte de la société qui assure la gestion de la crèche.
Pour les EAJE, ces travaux doivent être destinés à :
– la création de places nouvelles, sans existence préalable d’un local ou par aménagement d’un local existant non affecté préalablement à cet usage ;
– l’extension d’un EAJE existant avec une augmentation d’au moins 10 % de places nouvelles ;
– la transplantation d’un EAJE sur un autre site avec une augmentation d’au moins 10 % de places nouvelles par rapport aux places existantes.
Les projets de rénovation d’un EAJE sans création de places nouvelles ne sont pas éligibles au Fiaje et relèvent du FME.
Tous les projets d’accueil font l’objet d’une analyse du besoin et d’un diagnostic préalable par la Caf. L’opportunité de soutenir le projet s’apprécie localement, en cohérence avec les orientations et les priorités du schéma départemental des services aux familles (SDSF) et tout autre schéma local, éventuellement contractualisé dans le cadre d’une CTG.
L’appréciation de l’opportunité du projet s’effectue dans le cadre du diagnostic préalable, sur la base de quatre indicateurs :
– le taux de couverture en mode d’accueil de la zone concernée (en tenant compte de tous les modes de garde, individuels ou collectifs) ;
– le nombre d’enfants de moins de trois ans du territoire ;
– le taux d’occupation réel et financier des EAJE à proximité ;
– la viabilité économique du projet.
Les projets bénéficient d’une aide forfaitaire « socle » par place existante et nouvelle. Ce socle peut ensuite bénéficier de quatre types de majorations :
– la majoration « gros œuvre », lorsque les dépenses de gros œuvre représentent au moins 30 % des dépenses subventionnables ;
– la majoration « développement durable » lorsque les travaux de gros œuvre relèvent d’une démarche particulièrement ambitieuse en matière de développement durable, correspondant à une liste de labels et certifications établie par la Cnaf.
– la majoration « rattrapage territorial », lorsque le projet est implanté sur une commune ou une intercommunalité dont le taux de couverture en mode d’accueil est inférieur à 58 % ;
– la majoration « potentiel financier », attribuée en fonction de la richesse du territoire d’implantation de la structure.
L’aide « socle » et la majoration gros œuvre peuvent être attribuée aux places existantes à condition qu’elles n’aient pas déjà été subventionnées par un autre plan d’investissement au cours des dix dernières années.
Barème 2024 des aides à l’investissement du PIAJE pour les EAJE
Module de financement |
Crèche PSU |
Micro-crèche Paje |
Socle de base |
8000 € / place |
7400€/place |
Majoration « gros œuvre » |
2000€ / place |
1000€/place |
Majoration « développement durable » |
2000€ / place |
700€/place |
Majoration « rattrapage territorial » |
3500€ / place |
1800€/place |
Majoration « potentiel financier » |
En fonction du potentiel financier par habitant : |
|
QPV – ZRR – Eaje avec projets à dimension d’insertion sociale ou professionnelle |
7000€ / place |
– |
Tranche 1 : 0 à 449,99 € |
7000€ / place |
6100€/place |
Tranche 2 : 450 à 699,99 € |
7000€ / place |
3000€/place |
Tranche 3 : 700 € à 899,99 € |
6000€ /place |
2400€/place |
Tranche 4 : 900 € à 1200 € |
4000€ / place |
500€/place |
Source : Cnaf.
Les subventions d’investissement de la Caf sont plafonnées à hauteur de 80 % des dépenses subventionnables par place, et de façon à ce que le total des subventions dont bénéficie le projet, quelles que soient leur nature et leur origine, n’excède pas 100 % du coût total du projet.
Le porteur de projet doit s’engager à maintenir la destination sociale de l’équipement ayant bénéficié des subventions d’investissement pendant une période de 15 ans à compter de la date d’ouverture de la première place résultant du projet financé. Cet engagement implique aussi l’application du barème des participations familiales pour les crèches PSU et d’une tarification modulée en fonction des ressources des familles pour les micro-crèches Paje.
● Le fonds de modernisation des établissements (FME) a été historiquement mobilisé pour soutenir la rénovation des établissements, pour aménager les EAJE existants en lien avec les incitations à fournir les repas et les couches, ou encore pour l’achat ou le remplacement d’un logiciel de gestion ou d’enregistrement des présences.
Dans la continuité de la réforme des modes d’accueil intervenue en 2021, le FME peut également financer l’adaptation des locaux des crèches au référentiel bâtimentaire, l’adaptation des ustensiles de cuisines en lien avec les exigences des lois « Egalim » ([186]) et « Climat et résilience » ([187]), l’amélioration des conditions de travail des professionnels (acquisition de mobilier pour adulte ou de mobiliers professionnels ergonomiques, opérations d’insonorisation, etc.), ainsi que l’adaptation de l’équipement aux enjeux de la transition écologique (performance énergétique, végétalisation, etc.).
Les aides à l’investissement du FME sont accessibles à l’ensemble des EAJE, crèches PSU comme micro-crèches Paje, selon les mêmes critères d’éligibilité. Seules les micro-crèches accolées n’y sont pas éligibles, suite à une évolution de la doctrine des Caf qui, par le passé, ont pourtant parfois encouragé cette pratique.
Les aides à l’investissement du FME peuvent financer les mêmes catégories de dépenses que les aides du Piaje (gros œuvre, aménagement intérieur, équipements, etc.).
Comme pour les projets de création de places, les projets de modernisation font l’objet d’un diagnostic préalable pour apprécier l’opportunité de leur financement par le FME. Ce diagnostic repose sur différents critères :
– l’analyse territoriale des besoins, en lien avec le schéma départemental des services aux familles ou tout autre schéma local, éventuellement contractualisé dans le cadre d’une CTG ;
– l’ancienneté de la crèche, les structures dont les bâtiments ont plus de dix ans étant prioritaires ;
– le risque de fermeture prochaine de places et la restauration de l’attractivité pour les professionnels, qui sont souvent liés à un déficit de mise aux normes bâtimentaires de l’établissement et à une dégradation des conditions de travail des personnels ;
– l’amélioration du service rendu aux familles et de la qualité d’accueil des enfants (fourniture des repas et des couches, désartificialisation des espaces extérieurs, amélioration du confort d’été, etc.).
Contrairement aux aides à l’investissement du Piaje, les aides du FME sont les mêmes pour les crèches PSU et les micro-crèches Paje à compter de 2024. Leur montant est majoré lorsque le projet contient des travaux de gros œuvre ou poursuit des objectifs de développement durable.
Barème 2024 des aides à l’investissement du FME pour les EAJE
Plafond des aides du FME pour les crèches PSU et les micro-crèches Paje |
4 800 €/place rénovée, dans la limite de 80 % des dépenses |
6 800 €/place rénovée, dans la limite de 80 % des dépenses, si le projet contient des travaux de gros œuvre et de développement durable |
Source : Cnaf.
Lors de ses travaux, la rapporteure a pu constater que les aides à l’investissement étaient très dynamiques concernant les créations de places en crèches, et beaucoup moins concernant les rénovations de structure. Sans pouvoir objectiver ces constats à l’échelle nationale, la rapporteure a pu observer des communes qui avaient bénéficié d’une aide très conséquente de la branche famille pour la construction d’une crèche, là où certaines communes pour lesquelles des travaux de modernisation importants s’imposaient au regard des nouvelles normes bâtimentaires ne bénéficiaient que de peu, ou pas, de financements de la part de la Caf.
Interrogée à ce sujet, la Cnaf souligne que les coûts de la construction et de la rénovation ne sont pas les mêmes, et que les moyens du Piaje et du FME sont calibrés en conséquence. Le montant moyen de l’aide par place témoigne en effet, a priori, d’un moindre besoin en matière de rénovation – qui peut porter uniquement sur l’achat de matériel ou l’aménagement à la marge de la structure – qu’en matière de création de places. La Cnaf relève également que les projets de grosse rénovation peuvent bénéficier du Piaje lorsqu’ils intègrent une augmentation de la capacité d’accueil d’au moins 10 %.
Montant moyen des aides du Piaje et du FME par place de crèche psu nette
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Montant moyen de l’aide du Piaje par place |
8 810 € |
8 701 € |
8 623 € |
12 088 € |
12 649 € |
10 618 € |
Montant moyen de l’aide du FME par place |
852 € |
611 € |
628 € |
831 € |
914 € |
747 € |
Source : Cnaf.
Les montants moyens figurant dans le tableau ci-dessus reflètent l’ampleur du soutien apporté par les Caf, et non le besoin de financement des EAJE. La rapporteure constate néanmoins que le montant moyen de l’aide du FME pour les places modernisées était de 747 euros en 2023, très loin du plafond de 4 800 euros actuellement applicable.
ii. Les aides à l’investissement versées par les Caf font l’objet de disparités territoriales et d’un contrôle insuffisant
Il ressort des travaux de la rapporteure qu’il existe des disparités territoriales importantes dans l’attribution des aides à l’investissement par les Caf au niveau départemental, malgré l’existence de règles nationales. Par ailleurs, l’efficacité de ces subventions d’investissement n’est pas démontrée.
● Si les règles d’attribution des subventions du Piaje et du FME sont fixées par les circulaires de la Cnaf et ont vocation à s’appliquer de manière homogène sur l’ensemble du territoire, les circulaires laissent une marge d’appréciation discrétionnaire aux Caf départementales, s’agissant en particulier du diagnostic territorial et de l’opportunité du projet.
Le rapport de l’Igas et de l’IGF relatif aux micro-crèches ([188]) rejoint les constats réalisés par la rapporteure : les Caf tendent à subventionner davantage les créations de places en PSU qu’en micro-crèches Paje. Entre 2015 et 2022, les Caf ont subventionné la création de plus de 58 000 places en crèches PSU, contre plus de 17 000 places en micro-crèches Paje. : Si le montant moyen de la subvention par place en crèche PSU est plus important qu’en micro-crèche Paje, les coûts des travaux en crèche PSU sont plus de deux fois supérieurs au coût des travaux pour une place en micro-crèche Paje. Aussi, les micro-crèches Paje bénéficient en moyenne d’une subvention couvrant une part plus importante du coût total des travaux, soit 48 % contre 34 % en moyenne pour les crèches PSU. Dans les deux modèles, le plafond de 80 % des dépenses éligibles prévu au titre du Piaje n’est donc jamais atteint.
Subventions versÉes par les Caf pour la création de places nouvelles
en EAJE PSU et Paje sur la période 2015-2022
Indicateur |
Crèches PSU |
Micro-crèches Paje |
Places nouvelles subventionnées |
58 426 € |
17 652 € |
Subventions totales sur la période |
945 849 890 € |
170 224 887 € |
Subventions totales (en moyenne annuelle) |
118 231 236 € |
21 278 111 € |
Subvention par place |
16 189 € |
9 643 € |
Subvention moyenne par coût total des travaux |
34 % |
48 % |
Coût des travaux par place |
47 564 € |
20 226 € |
Source : Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
L’Igas et l’IGF relèvent par ailleurs que 18 Caf n’ont versé aucune subvention pour les créations de places en micro-crèches Paje sur la période. Deux raisons sous-tendent ce constat : certaines de ces Caf se situent dans des départements où aucune micro-crèche Paje ne s’est implantée sur la période considérée ; pour les autres Caf, l’absence de subvention d’investissement aux micro-crèches Paje relève d’un choix délibéré.
La rapporteure a également pu observer cette situation lors de ses visites sur le terrain. De nombreux gestionnaires de micro-crèches rencontrés lui ont indiqué ne même pas faire l’effort de déposer une demande de subvention d’investissement auprès de la Caf départementale, car ils savaient d’ores et déjà que cette demande serait refusée, ou ignorée. Lors de son audition par la commission d’enquête, Mme Fanny Schosseler, présidente du Regroupement des entreprises de micro-crèches (Remi), a déclaré à ce sujet : « dans le département des Bouches-du-Rhône, la CAF n’étudie pas les dossiers. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité déposer de dossier. Les gestionnaires qui ont demandé une aide ont perdu beaucoup de temps en formalités administratives » ([189]).
Ces observations ont été confirmées par les Caf, en réponse au questionnaire écrit adressé par la rapporteure. À titre d’exemple, la Caf de Paris a ainsi indiqué : « la réglementation nationale ne pose pas de principes différents entre les EAJE PSU et PAJE mais, à Paris, une décision de la commission d’action sociale, confortée par le conseil d’administration en date de 11 décembre 2013 précise qu’aucun projet de création ou de rénovation de micro-crèche Paje n’est financé par les fonds nationaux. ». De nombreuses autres Caf ont précisé ne pas attribuer d’aides aux micro-crèches Paje.
Le choix des Caf de privilégier les crèches PSU sur les micro-crèches Paje peut toutefois s’expliquer par la volonté de promouvoir une offre d’accueil abordable pour les familles, alors que la contribution nette demandée aux familles dans une micro-crèche Paje est en moyenne plus élevée (voir Première partie. II. A. 2. b.). C’est la justification avancée notamment par la Caf de Guadeloupe : « la Caf priorise le financement de places PSU. En effet, le profil des familles ne permet pas de payer des sommes aussi conséquentes (entre 1 200 et 1 400 euros mensuellement [pour une place en micro-crèche]). Enfin, la Caf constate depuis quelques années, la fermeture des EAJE financés via la PAJE ».
Par ailleurs, il convient de noter que la Cnaf elle-même a invité les Caf de son réseau à surseoir à statuer sur les demandes d’aides à l’investissement déposées par des micro-crèches Paje à compter du 1er avril 2024, « dans l’attente de nouvelles consignes », vraisemblablement en lien avec la publication imminente du rapport de l’Igas et de l’IGF relatif aux micro-crèches ([190]).
Certains gestionnaires de crèches privées lucratives ont également signalé faire l’objet de pratiques discriminatoires de la part des Caf, qui tendent à privilégier les structures publiques et associatives. La rapporteure n’a toutefois pas été en mesure d’objectiver cette observation. Elle rappelle à ce titre que la Cnaf exige que le pouvoir discrétionnaire des Caf en matière d’attribution des aides à l’investissement « ne [conduise pas] à des décisions discriminatoires (sur la base de la nature juridique du gestionnaire) » ([191]).
● Les subventions d’investissement versées par les Caf présentent plusieurs limites, qui affectent leur efficacité, et peuvent éventuellement conduire à des abus. Dans leur rapport consacré au modèle économique des micro-crèches ([192]), l’Igas et l’IGF font état de plusieurs critiques à l’encontre de ces aides à l’investissement :
– « ces subventions sont versées uniquement avant l’exécution du projet, ce qui ne permet pas aux Caf d’assurer un contrôle du projet sur la durée, ni de conditionner les décaissements à certaines conditions de réalisation du projet » ;
– « les montants versés par les Caf au démarrage peuvent atteindre 80 % du montant des dépenses subventionnables, soit des sommes très importantes, ce qui n’est pas justifié par une logique économique, les banques pouvant apporter leurs concours dès lors que le modèle économique de la structure est soutenable » ;
– « les aides à l’investissement des Caf ne sont pas des conditions nécessaires à la réalisation des projets de micro-crèches et peuvent générer des effets d’aubaine. En effet, en étudiant les deux départements les mieux dotés en micro-crèches pour 100 enfants de moins de trois ans en 2020, le Bas-Rhin et la Marne, il apparaît d’une part que la Caf du Bas-Rhin a subventionné 1 214 nouvelles places en micro-crèches sur la période 2015-2022, contre seulement dix places pour la Caf de la Marne. L’absence d’aides à l’investissement dans le département de la Marne n’a donc pas été un frein à l’implantation de micro-crèches. A contrario, il est possible que des micro-crèches du Bas-Rhin aient bénéficié d’aides à l’investissement qui n’étaient pas déterminantes pour la mise en œuvre du projet ».
Les deux inspections en concluent que « les aides à l’investissement de la Caf sont insuffisamment ciblées et n’encouragent pas à la transparence des structures sur l’utilisation de ces fonds. Les capacités de contrôle de la Caf sur l’utilisation des fonds sont de ce fait limitées ».
La rapporteure partage les observations de la mission Igas-IGF. Il semblerait en effet que les entrepreneurs peu scrupuleux ou des associations aient pu réaliser des montages juridiques complexes pour bénéficier des aides à l’investissement de la branche famille tout en se constituant un capital immobilier personnel. La rapporteure invite, à ce titre, les Caf à être particulièrement vigilantes aux montages retenus, en particulier en ce qui concerne les sociétés civiles immobilières dites « de circonstance ».
3. Les modes de financement des crèches ne garantissent pas la pérennité économique de ces structures
Tous les acteurs de la petite enfance, quel que soit le statut juridique des crèches au sein desquelles ils intervenaient l’ont affirmé : le mode de financement des crèches ne couvre pas l’augmentation des coûts de fonctionnement, ce qui met en péril l’équilibre économique des structures.
En 2022, le coût moyen annuel d’un berceau s’est établi à 17 536 euros, toutes structures confondues (multi-accueil, crèche familiale, micro-crèche, etc.). Toutefois, cette moyenne masque des disparités en fonction :
– du mode de financement de la crèche, selon qu’il s’agisse d’un EAJE PSU ou d’une micro-crèche Paje ;
– du statut juridique du gestionnaire, public, associatif ou privé lucratif ;
– de la localisation de l’EAJE concerné, car le coût du foncier et de l’immobilier est nettement plus élevé dans les métropoles, et en particulier en Ile‑de‑France.
En 2022, le coût moyen annuel minimum d’un berceau dans un EAJE PSU s’est élevé à 6 948 euros, et le coût maximum à 31 025 euros. Un tel écart, même en tenant compte des disparités qui peuvent exister en matière de coût du foncier, interpelle très fortement la rapporteure.
● La structure du coût de fonctionnement d’une crèche est aujourd’hui difficile à appréhender, dans la mesure où, selon la nature juridique du gestionnaire, les règles comptables ne sont pas les mêmes et les charges peuvent concerner des périmètres différents. C’est la raison pour laquelle la Cnaf a indiqué à la rapporteure qu’elle ne produit aucune donnée par nature de gestionnaire.
Dès lors, en première analyse, sur la base de données datant de 2017, il apparaît que le secteur privé lucratif présente un coût moyen annuel de 17 894 euros par berceau, là où le coût du berceau se situe plutôt autour de 15 000 euros annuels pour le secteur associatif et le secteur public. Par ailleurs, l’implantation en Ile-de-France d’un EAJE engendre une augmentation de l’ordre de 2 000 euros du coût annuel moyen d’un berceau.
Coût moyen annuel d’un berceau en 2017
Source : Commission d’enquête d’après données Cnaf 2017. |
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Pour mieux comprendre ces différences, il convient d’étudier, dans le détail, les différentes composantes du coût de revient horaire des EAJE. Là où les dépenses de personnels représentent l’essentiel du coût horaire des crèches associatives et publiques, elles représentent seulement la moitié du coût horaire des crèches privées lucratives.
Composantes du coût de revient horaire moyen des EAJE PSU selon
le type de gestionnaire en 2017
Source : Commission d’enquête d’après données Cnaf 2017.
Les services extérieurs et les achats représentent les deux autres catégories de dépenses importantes. Les services extérieurs correspondent aux dépenses de sous-traitance générale, de redevance de crédit-bail, de locations, aux charges d’entretien et de réparation, aux frais d’assurance, au recours à des personnels intérimaires, ou encore aux frais de publicité. Ce poste présente également une importante disparité selon la nature du gestionnaire qui peut, en partie au moins, se justifier au regard de la mutualisation des moyens dans les EAJE du secteur marchand, et donc expliquer l’écart constaté, selon les secteurs, en ce qui concerne la part des dépenses de personnels dans la structure des coûts. Les achats renvoient à des dépenses de matières premières, de fournitures consommables (dont les couches et les repas), d’entretien et de réparation des petits équipements, ou encore de fluides (eau, électricité, etc.).
La composition des dépenses des crèches privées lucratives se démarque également par le paiement de charges sociales et d’impôts à hauteur de 4 % du coût de revient horaire moyen, là où leur montant est négligeable pour les crèches associatives et publiques. En outre, les gestionnaires privés lucratifs présentent des dépenses « autres » plus importantes. Ces dernières contiennent notamment les frais de siège des entreprises de crèches, sans qu’il soit possible de les quantifier. La mission de contrôle des grands groupes de crèches lancée par la ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles Sarah El Haïry, à la fin du mois de mars 2024, devrait permettre de mieux les quantifier et de comprendre les charges qu’ils recouvrent.
Toutefois, cette analyse de la composition du coût de revient horaire des EAJE financés par la PSU présentée ci-dessus a des limites, en particulier concernant les crèches publiques. En effet, il existe des coûts « cachés » dans le secteur public, qui résultent d’une non-valorisation comptable de différentes prestations fournies par la collectivité territoriale à la crèche : mise à disposition d’un agent d’entretien ou d’un jardinier, mise à disposition des locaux, prise en charge de la gestion administrative, prise en charge des fluides, etc. En conséquence, il est probable que le coût de revient horaire moyen d’une crèche municipale soit en réalité supérieur à celui d’une crèche privée lucrative.
En ce qui concerne les micro-crèches, il est difficile de connaître précisément la structure de leurs coûts, dans la mesure où elles ne transmettent pas leurs comptes de résultat aux Caf. Les informations recueillies par la rapporteure lui ont néanmoins permis de constater que le coût de revient annuel d’un berceau au sein d’une micro-crèche est en moyenne plus élevé que celui d’une crèche PSU (souvent plus de 20 000 euros par an) ([193]).
● Les coûts de fonctionnement des EAJE ont fortement augmenté depuis 2010. Selon les données transmises par la Cnaf, entre 2010 et 2017, le coût total des EAJE pour leurs gestionnaires a augmenté de 38,9 %, et entre 2017 et 2022, il a progressé de 14,8 %. De fait, entre 2010 et 2022, le prix de revient moyen d’une place d’accueil en EAJE PSU est passé de 12 881 euros à 17 536 euros (+ 36 %), sous l’effet des revalorisations successives du salaire minimum et de l’inflation sur le prix des consommables notamment.
Entre 2010 et 2017, ce sont les financements des Caf qui ont le plus fortement augmenté (+ 55,3 %), sous l’effet de la revalorisation de la PSU et de la création des différents financements forfaitaires visant à soutenir l’équilibre budgétaire des structures, suivis des participations familiales (+ 26,2 %), contribuant ainsi à limiter l’augmentation du reste à charge des collectivités et organismes publics agissant comme tiers financeurs (+ 12,8 %). En revanche, entre 2017 et 2022, les financements des Caf n’ont augmenté que de 11 % et les participations familiales de 10 %. Dès lors, malgré le développement rapide des financements employeurs (+ 31 %), ce sont surtout les collectivités et organismes publics tiers financeurs qui ont absorbé l’augmentation des coûts avec une augmentation de leurs contributions de l’ordre de 21,4 %. Cette situation explique en partie les difficultés croissantes des collectivités territoriales à financer leurs crèches municipales et les crèches associatives.
Or, les coûts globaux des crèches sont amenés à augmenter davantage d’ici 2027. Selon l’AMF, « le directeur général de la Cnaf a lui-même alerté sur l’augmentation des coûts globaux des crèches, déjà constatés par les élus locaux, qui devraient atteindre + 20 % d’ici 5 ans, avec l’annonce d’une hausse du reste à charge pour les communes de + 1 454 euros par place en 2027 par rapport à 2022 » ([194]), en tenant compte de la seule augmentation des coûts alimentaires et de l’énergie, sans présager ni d’une évolution du taux d’encadrement, ni d’une augmentation des rémunérations moyennes au sein du secteur.
b. L’évolution des financements de la branche famille n’a pas suivi l’inflation
L’ensemble des gestionnaires de crèches auditionnés, quel que soit leur statut juridique, ont fait état d’une insuffisante indexation des financements de la branche famille sur l’augmentation des coûts de fonctionnement.
Les barèmes de la PSU et des participations familiales sont régulièrement revalorisés pour tenir de l’évolution du coût de revient des EAJE, en utilisant comme indicateur de référence un indice mixte prix-salaires, composé à 80 % de l’évolution du salaire moyen par tête du secteur privé et à 20 % de l’inflation des prix des biens à la consommation hors tabac. Or, selon les informations communiquées par la Cnaf à la rapporteure, « la PSU horaire augmente plus vite que l’indice mixte prix-salaires, mais moins vite que les prix de revient » : le montant horaire de la PSU aurait ainsi fait l’objet de revalorisations plus dynamiques que l’évolution des coûts reflétée par l’indice mixte prix-salaires, mais insuffisantes au regard de l’évolution réelle des coûts de revient au sein des structures.
Le rehaussement du financement des EAJE PSU pour tenir compte de l’inflation repose en réalité sur trois variables :
– l’augmentation du tarif horaire plafond prévu par le barème de la PSU, qui a progressé de 6,71 % entre 2022 et 2023 ;
– le montant des prestations familiales, qui ont augmenté de 2,7 % entre 2022 et 2023, sous l’effet de l’augmentation du barème et du plafond des revenus qui leur sont applicables ;
– le montant de la PSU horaire, qui dépend de la contribution des familles, qui a progressé de 8,8 % entre 2022 et 2023.
Selon la Cnaf, sur une plus longue période, le prix plafond du barème de la PSU et les participations familiales ont augmenté de 16 % entre 2017 et 2023, soit une augmentation très proche de celle de l’indice mixte prix-salaire (+ 15,8 %). Toutefois, année après année, il n’y a pas de corrélation entre l’augmentation de l’indice mixte et la revalorisation des barèmes de la PSU et des participations familiales : une année donnée, l’indice mixte peut évoluer à la hausse de manière plus ou moins dynamique, sans que la revalorisation des barèmes ne suive exactement la même tendance. Cela s’explique par le fait que la revalorisation des barèmes est prévue par avance par la Cog en cours d’application, alors que l’indice mixte reflète la réalité de l’augmentation des coûts de fonctionnement des EAJE.
En outre, l’utilisation d’un indice aussi général ne permet pas d’appréhender dans son entièreté la réalité de l’augmentation des coûts de fonctionnement des crèches. Selon les informations transmises par People&Baby, les hausses successives du Smic ont contraint les gestionnaires de crèches à revaloriser également les rémunérations de leurs salariés à hauteur de 8 à 15 % selon les régions. Par ailleurs, l’inflation sur les consommables tels que les couches (+ 33 %) ou le lait (+ 31,5 %), sur les fluides (+ 34,3 %) ou encore sur l’alimentation (+7,2 %) n’a pas été couverte par une revalorisation suffisante de la PSU ([195]).
Au regard de l’ensemble des témoignages qu’elle a pu recueillir, la rapporteure ne peut que constater que les crèches sont en réalité sous-financées par la branche famille de la sécurité sociale, d’abord en raison du mécanisme de la PSU, qui ne permet jamais de réduire le reste à charge à hauteur du taux théorique de 34 %, et de manière plus criante encore dans le contexte inflationniste des deux dernières années.
Ce constat semble en revanche plus nuancé concernant les micro-crèches Paje. Certes, le plafond horaire du CMG « structure », fixé à 10 euros, n’a pas évolué depuis 2013. Toutefois, l’Igas et l’IGF, dans leur rapport consacré au modèle économique des micro-crèches, ont constaté que « le plafond des 10 € par heure en micro-crèche Paje semble rarement atteint : le tarif horaire moyen se situe à 7,4 € en 2022. Le tarif minimum moyen des micro-crèches Paje est de 5,4 € et le tarif maximum moyen est de 9,1 € » ([196]). Dès lors, en ce qui concerne ce modèle de financement, l’enjeu prioritaire est plutôt de réduire le reste à charge pour les familles les plus modestes, en rendant le barème plus progressif.
C. Le modÈle Économique des crÈches gÉnÈre des dÉrives tant pour la qualitÉ de l’accueil que pour les finances publiques
Le modèle économique des crèches génère des dérives qui affectent la qualité de l’accueil proposé aux enfants, et qui engendrent des surcoûts injustifiés pour les finances publiques.
La rapporteure a constaté que la PSU, si elle se veut vertueuse dans son principe, conduit à un sous-financement des EAJE et met sous pression les gestionnaires qui consacrent un temps très important à l’optimisation de leur taux de facturation afin de bénéficier du maximum de financements possibles de la part de la branche famille de la sécurité sociale. Par ailleurs, les financements publics alloués aux EAJE ont parfois été détournés de leurs objectifs initiaux, comme en témoigne la commercialisation des places en crèches.
1. La PSU n’encourage pas l’amélioration de la qualité d’accueil des enfants, mais peut au contraire contribuer à la dégrader
Le taux de facturation constitue le facteur déterminant dans la formule de calcul de la PSU. En effet, le dépassement des seuils prévus par le barème peut engendrer des pertes de recettes très importantes pour les gestionnaires de crèches. En conséquence, la PSU les contraint à surveiller de très près le taux de remplissage de leur structure, pour assurer le meilleur taux de facturation possible. Cette pratique a des effets délétères sur la qualité de l’accueil, et conduit les personnels des crèches à se montrer rigides avec les familles, au risque de déstabiliser l’équilibre économique de leur structure, sans pour autant que cela ne se justifie par une baisse substantielle de charges.
a. La PSU oblige les gestionnaires de crèches à optimiser en permanence le niveau d’occupation de chaque structure
Nombreux sont les acteurs du secteur de la petite enfance qui dénoncent aujourd’hui les effets pervers de la PSU, toujours en lien avec l’optimisation du taux de facturation. En effet, l’importance donnée au taux de facturation de chaque structure dans la formule de calcul de la PSU oblige les directeurs de crèches et les professionnels de la petite enfance à faire en sorte que le nombre d’heures de présence réelles des enfants se rapproche au maximum des heures facturées à leurs parents.
● Les absences des enfants ou l’accueil d’urgence ou ponctuel d’enfants supplémentaires peuvent avoir un effet très important sur le montant de la PSU perçue par la crèche, en raison des effets de seuils, en engendrant des baisses de recettes majeures en cas de dégradation du taux de facturation. C’est ce dont témoignent tous les acteurs de la petite enfance interrogés à ce sujet par la rapporteure ([197]) :
– « le principe du taux de facturation induit une pression pour le gestionnaire : il doit contractualiser avec les familles au plus près de leurs besoins ([ce qui est] positif), mais les absences des enfants pour des raisons indépendantes du fonctionnement peuvent pénaliser » (association Familles rurales) ;
– « le système mis en place (et notamment le dispositif ultra-complexe des taux d’assiduité) pousse les gestionnaires à maximiser leur occupation. En fonction de la présence réelle des enfants en comparaison du contrat initial signé par les familles, le montant de la PSU varie (trois tranches sont ainsi mises en place) » (Babilou) ;
– « le critère de taux de facturation […], s’il permet de répondre au plus près aux besoins des familles […], est remis en cause par les communes et EPCI. En effet, il n’incite pas à une ouverture sur de larges plages horaires ni à l’accueil de familles vulnérables qui peuvent présenter un taux d’absentéisme plus élevé qu’une famille bi-active ayant besoin d’un nombre d’heures d’accueil important » (Association des maires de France).
Le mécanisme de la PSU fragilise de fait l’équilibre économique des structures dans la mesure où 66 % de leurs ressources théoriques sont susceptibles d’évoluer à la baisse, là où leurs charges sont très stables, puisque principalement liées à la masse salariale ([198]). Comme la Cnaf elle-même le souligne, les « seuils ont un effet couperet pour les gestionnaires, puisqu’ils engendrent de fortes variations de PSU à partir d’une très faible variation des heures réalisées et facturées » ([199]).
Calcul théorique du montant de la PSU perçue par un établissement lorsqu’il réalise 100 heures d’accueil en moins et en plus par rapport
à une situation de base
Situation n° 1 : établissement dans lequel le coût de revient est inférieur au prix plafond du barème
|
PSU avec 100h d’accueil en moins |
PSU dans une situation de base |
PSU avec 100h d’accueil en plus |
Heures facturées |
55 000 |
55 000 |
55 100 |
Heures réalisées |
51 350 |
51 450 |
51 550 |
Taux de facturation |
107,11 % |
106,90 % |
106,89 % |
Budget de la structure |
500 000 € |
500 000 € |
500 100 € |
Coût de revient horaire |
9,74 €/h |
9,72 €/h |
9,70 €/h |
Prix plafond applicable |
9,3 €/h |
10,05 €/h |
10,05 €/h |
Montant annuel de la PSU |
315 186 € |
330 000 € |
330 066 € |
Différence par rapport à la situation de base |
– 14 814 € |
+ 66 € |
Situation n°2 : établissement dans lequel le coût de revient est supérieur au prix plafond du barème
|
PSU avec 100h d’accueil en moins |
PSU dans une situation de base |
PSU avec 100h d’accueil en plus |
Heures facturées |
55 000 |
55 000 |
55100 |
Heures réalisées |
51 350 |
51 450 |
51 550 |
Taux de facturation |
107,11 % |
106,90 % |
106,89 % |
Budget de la structure |
600 000 € |
600 000 € |
600 100 € |
Coût de revient horaire |
11,68 €/h |
11,66 €/h |
11,64 €/h |
Prix plafond applicable |
9,3 €/h |
10,05 €/h |
10,05 €/h |
Montant annuel de la PSU |
315 186 € |
341 268 € |
341 931 € |
Différence par rapport à la situation de base |
– 26 082 € |
+ 663 € |
Pour illustrer la perte de recettes que peuvent entraîner les écarts entre le nombre d’heures d’accueil facturées et le nombre d’heures d’accueil réalisées, les deux tableaux décrivent, dans deux situations données, le montant de la PSU perçue par une structure lorsqu’elle réalise 100 heures de moins que les heures facturées, ou lorsqu’elle accepte d’accueillir un enfant supplémentaire pour 100 heures de plus. La différence entre la situation n°1 et la situation n°2 réside dans le coût de revient horaire de l’accueil.
Lorsqu’un établissement réalise 100 heures d’accueil en moins que le nombre d’heures facturées (par exemple, parce qu’une famille est partie en vacances ou lorsque l’enfant est malade), son budget reste le même, puisque largement composé de coûts fixes, mais son taux de facturation augmente. Or, dans les situations présentées, l’augmentation du taux de facturation engendre le franchissement du seuil de 107 % fixé par le barème de la PSU, ce qui engendre l’application d’un prix plafond inférieur au coût de revient réel, et donc une perte de recettes de 14 814 € dans la situation n°1 et de 26 082 € dans la situation n°2.
À l’inverse, si un établissement accepte de rendre service à une famille en accueillant un enfant pour 100 h supplémentaires, le nombre d’heures facturées augmente en parallèle. Dès lors, le taux de facturation reste sensiblement le même. Le budget de la structure n’augmente également que très peu puisque les coûts sont fixes. On admet ici une augmentation de 100 € du budget annuel pour tenir compte des consommables – repas et couches. Dès lors, son coût de revient horaire ne diminue que très légèrement, et le montant de PSU perçue n’augmente que de manière marginale (+ 66 € dans la situation n°1, soit moins que l’augmentation annuelle du budget, et +663 € dans la situation n°2).
Source : Commission d’enquête.
● L’incitation à s’adapter au plus près des besoins des parents conduit dès lors les gestionnaires à contractualiser un volume d’heures d’accueil avec les familles, mais aussi à négocier ou à imposer aux parents un nombre limité de journées d’absence de leur enfant au sein de la structure, afin de réduire les écarts entre les heures facturées et les heures réalisées, et donc le taux de facturation.
Par ailleurs, la tarification à l’heure a conduit l’ensemble des gestionnaires de crèches à instaurer un système de pointage à l’arrivée de l’enfant dans la crèche et à son départ, afin de pouvoir calculer le temps de présence réel des enfants. De nombreuses crèches utilisent un système informatisé pour calculer le nombre d’heures d’accueil dont a bénéficié chaque enfant, avec un recensement des horaires d’arrivée et de départ par l’intermédiaire de badges remis aux parents.
Or, ces mécanismes ont des conséquences très concrètes sur la relation des professionnels de la petite enfance et des gestionnaires de crèches avec les familles puisqu’au lieu d’inciter à la souplesse, ils génèrent à l’inverse une grande rigidité, très souvent incompréhensible pour les familles. Ainsi, des parents se voient notamment reprocher des absences ou des retards et ne peuvent que difficilement comprendre en quoi ces heures d’accueil contractualisées dont ils ne font pas usage ont des conséquences financières négatives pour la crèche, alors même qu’ils les ont payées.
De même, l’importance du pointage est peu audible pour les familles, qui se voient souvent rappelées à l’ordre. Comme en témoigne La Maison Bleue, « cela implique des rappels réguliers de la part des directions de crèches aux familles sur la nécessité de ce pointage et les règles à respecter et a un impact sur la relation de confiance avec les familles » ([200]). Par ailleurs, l’existence du pointage « a appauvri le temps d’échange professionnels-parents chaque jour lors des transmissions » ([201]) puisque sitôt qu’un parent a signalé son heure de départ (en badgeant par exemple), toute minute supplémentaire consacrée aux échanges avec les personnels de la crèche n’est plus financée.
● Les enjeux de financement, en lien avec le principe d’une tarification horaire et avec l’effet du taux de facturation sur son montant, incitent, en outre, les gestionnaires de crèches à favoriser la suroccupation des structures en milieu de journée afin de compenser le moindre nombre d’enfants sur les plages horaires situées aux extrémités de la journée. Beaucoup d’acteurs auditionnés par la commission d’enquête ont évoqué l’inexistence de ces « enfants magiques » ([202]) qui ne fréquenteraient les crèches qu’entre 7 heures et 9 heures le matin, et entre 17 heures à 19 heures le soir.
C’est ce qu’a pu constater l’Igas dans le cadre de la mission relative à la qualité d’accueil dans les crèches : « dans la mesure où il est de facto très difficile de « combler les trous » au sein d’une journée lorsqu’un enfant n’est pas accueilli sur l’intégralité des heures d’ouverture de la structure, les établissements tendent à améliorer leur taux d’occupation en valeur hebdomadaire en jouant sur l’autorisation de suroccupation à 115 % de la structure » ([203]).
Or, ce sont notamment ces situations de « suroccupation compensatoire » qui contribuent à une forte dégradation de la qualité d’accueil. Comme le signale l’Igas, « un fonctionnement de routine fondé sur ces pratiques pose question, dans la mesure où l’agrément est pensé pour assurer une qualité d’accueil standard au regard du nombre d’enfants par mètre carré. Dans la mesure où peu d’enfants sont présents sur les créneaux les plus matinaux et les plus tardifs, il peut conduire à un nombre excessif d’enfants sur les créneaux de milieu de journée, qui requièrent pourtant le plus de temps individuel, notamment pour la prise de repas » ([204]), ce à quoi la rapporteure souscrit pleinement. L’ANAPSY se montre plus critique encore, en évoquant « une possibilité de dépassement du taux d’occupation qui se transforme en impératif aveugle de remplissage » ([205]).
Selon Babilou, la PSU, dont l’un des objectifs affichés était l’amélioration du taux d’occupation des structures, « attendait donc des opérateurs qu’ils rentrent dans cette logique délétère de remplissage, qu’ils accroissent et pilotent l’occupation des crèches. [Les gestionnaires de crèches ont] été critiqués pour cela, alors [qu’ils répondent] aux exigences des nouvelles circulaires » ([206]).
● Enfin, l’importance donnée par la PSU au taux de facturation et à l’occupation de la structure a un coût financier qu’il est difficile d’estimer. D’abord, les structures ont dû investir dans les logiciels de gestion performants, et mettre en place des systèmes de pointage. Ces efforts ont été en partie financés par les aides à l’investissement versées par les Caf.
Ensuite, au quotidien, les gestionnaires de crèches et les directeurs de structures sont contraints de surveiller, de manière constante, le niveau d’occupation de leur structure et s’assurer que le taux de facturation ne se dégrade pas. De fait, la réforme de la PSU en 2014 a généré, pour les directions de crèches, « une augmentation significative de tâches administratives et de gestion du personnel au détriment souvent de l’accompagnement pédagogique des équipements et donc du maintien de la qualité d’accueil » ([207]). Outre la gestion administrative et informatique, les directeurs sont souvent amenés à engager des démarches visant à améliorer le taux d’occupation de leurs structures, à l’image du démarchage commercial pour proposer un accueil ponctuel ou temporaire. Or, ces tâches sont étrangères à leur mission d’encadrement et les éloignent des préoccupations centrales relatives à la qualité d’accueil du jeune enfant. Dans un contexte de pénurie de personnels, en particulier des professionnels les plus qualifiés que sont les éducateurs de jeunes enfants et les infirmiers puériculteurs, il est absurde que ces derniers, en tant que directeurs de structures, consacrent une large partie de leur temps à des tâches administratives ou commerciales, « le nez dans des tableurs Excel », comme ont pu témoigner nombre des personnes auditionnées.
Cette augmentation de la charge administrative des structures a également entraîné une hausse des coûts associés : « pour sauvegarder l’entreprise lors de cette réforme, nous avons dû investir des millions d’euros pour créer des outils de pilotage et recruter de nouveaux postes […]. Ce n’est pas un choix, nous préférerions nous occuper du terrain, de nos projets pédagogiques et sociaux, et laisser nos professionnels se concentrer sur leur cœur de métier » ([208]). De même, France urbaine indique que « la charge administrative permettant de rendre compte et de bénéficier des versements de PSU (y compris de ses nombreux bonus) a un effet chronophage et donc un coût administratif conséquent » ([209]).
● La Cnaf elle-même reconnaît les effets pervers de la PSU sur la gestion des crèches : « les gestionnaires se sont adaptés et ont fortement développé le pilotage, au point qu’il existe désormais des concentrations statistiquement anormales juste en dessous des seuils », ce qui peut être « générateur de stress chez les gestionnaires », « source d’interférence dans la relation de service avec les familles », et entraîner des « pratiques de contournement » avec des gestionnaires qui « développent des pratiques visant à diminuer les heures facturées, et ainsi passer sous les seuils de taux de facturation [en procédant à] des avoirs de circonstance aux familles » ([210]).
En parallèle, la PSU ne semble pas avoir réellement favorisé une amélioration significative du taux d’occupation des structures. Comme le souligne la Cnaf, « l’analyse sur longue période montre […] que le nombre d’enfants par place est relativement stable […] avec un niveau de fréquentation proche de 2 enfants par place » ([211]). La rapporteure constate que ce niveau de fréquentation a même tendance à diminuer, ce qui pose réellement question au regard des objectifs initialement assignés à la PSU.
Évolution du nombre d’enfants inscrits par place d’accueil entre 2015 et 2022
|
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Nombre d’enfants inscrits par place |
2,41 |
2,37 |
2,01 |
2,19 |
2,22 |
2,07 |
2,01 |
2,00 |
Source : Cnaf.
b. La PSU n’incite pas les gestionnaires à l’amélioration de la qualité d’accueil proposée aux enfants
Au regard de l’ensemble des informations recueillies au cours de ses travaux, des éléments d’analyse développés supra, et des nombreux témoignages de professionnels de la petite enfance et de gestionnaires de crèches, la rapporteure considère que le financement par la PSU ne contribue pas à améliorer la qualité de l’accueil proposé aux enfants. Pire, il semblerait que le mode de calcul de la PSU soit l’une des causes profondes de la dégradation de la qualité d’accueil constatée ces dernières années.
● À ce titre, la rapporteure tient à revenir sur ce que recouvre la notion de qualité d’accueil. En effet, depuis de nombreuses années, et même si l’on constate une inflexion dans le cadre de la Cog 2023-2027, avec la progression de la part des financements forfaitaires dans les recettes des crèches, et la linéarisation prévue du taux de facturation, la qualité de l’accueil a été envisagée, en particulier par la Cnaf, par le seul prisme de la réponse aux besoins des parents : permettre à chaque famille d’accéder à d’un mode de garde et faire en sorte que l’offre d’accueil et le prix payé par les familles s’adapte au plus près des besoins réels des parents.
La PSU reflète cette conception de la qualité d’accueil. Il ressort en effet des éléments transmis par la Cnaf à la rapporteure que la tarification modulée en fonction des ressources des familles, l’incitation à s’adapter aux besoins réels de chaque famille, ainsi que la fourniture des couches et des repas sont considérés comme faisant partie des éléments relatifs à la qualité d’accueil financés grâce à la PSU.
Or, si ces différents aspects peuvent effectivement relever de la qualité d’accueil entendue au sens large, ils ne concernent pas de manière évidente la qualité d’accueil entendue au sens strict, soit la réponse rapide et complète aux besoins physiologiques, émotionnels, affectifs exprimés par les jeunes enfants tout au long de la journée. À cet égard, on peut considérer que la PSU privilégie la réponse aux besoins des familles sur la qualité d’accueil au sens strict, au sens de la satisfaction des besoins de l’enfant accueilli.
● Toutes les limites de la PSU évoquées supra tendent même à montrer que ce mode de financement des EAJE contribue à la dégradation de l’accueil constaté au sein des crèches.
D’abord, la PSU conduit au sous-financement des structures. En effet, son mécanisme reposant sur l’activité réalisée, elle ne garantit pas aux crèches des ressources stables et suffisantes leur permettant de recruter suffisamment de personnels, de bien rémunérer ces salariés afin de les fidéliser, d’améliorer leurs conditions de travail, et de s’adapter aux besoins spécifiques des enfants accueillis, en particulier des enfants en situation de handicap. Elle ne permet même pas la couverture théorique, à hauteur de 66 %, du coût de revient du berceau.
Ensuite, les financements complémentaires alloués par les Caf, censés répondre à des enjeux plus qualitatifs que quantitatifs, ne permettent pas de compenser ce sous-financement, complexifient les financements, et tendent à accentuer les disparités territoriales entre les établissements. En effet, le montant de ces bonus est souvent insuffisant pour financer réellement les facteurs de qualité qu’ils visent à soutenir. Leurs modalités de calcul sont complexes, engendrent une charge administrative supplémentaire pour les établissements et pour les Caf, et peuvent entraîner des disparités entre les EAJE, selon les relations historiquement entretenues avec la Caf, mais aussi en raison des effets de bord de leurs formules de calcul.
Enfin, le mécanisme de la PSU met sous tension les EAJE et oblige les directeurs de structure à consacrer une part trop importante de leur temps de travail à la gestion administrative de la crèche, en veillant au maintien d’un taux d’occupation, et d’un taux de facturation, permettant d’en garantir l’équilibre financier. Or, il est certain que l’essentiel du temps de travail des directeurs de crèches devrait être consacré à l’accompagnement et à l’encadrement des personnels au contact des enfants, à l’analyse des besoins spécifiques de chaque enfant et à l’adaptation de l’accueil à ces besoins, et enfin au développement du projet pédagogique de la structure, au travers du recours à des intervenants extérieurs, de l’organisation d’activités d’éveil en groupe, ou encore de la formation des personnels à de nouvelles compétences en lien avec le projet pédagogique ou les besoins des enfants accueillis.
● Dès lors, la rapporteure estime qu’une réforme structurelle de la PSU s’impose aujourd’hui, comme l’ensemble des acteurs rencontrés le demandent. Cette réforme structurelle devra conserver les éléments positifs apportés par ce mode de financement, en particulier le principe de neutralisation des participations familiales, qui permet à toute famille, quels que soient ses revenus, d’avoir accès à un mode d’accueil, et l’exigence d’un niveau minimal de service rendu, avec la fourniture des couches et des repas.
Une réforme paramétrique de la PSU a d’ores et déjà été négociée par l’État et la Cnaf. Elle est en cours d’application dans le cadre de la Cog 2023-2027 (voir Deuxième Partie. I. B. 1. a). Toutefois, la rapporteure estime que cette réforme permettra peut-être d’atténuer les effets pervers de la PSU, sans pour autant y mettre fin. Le principe d’une tarification à l’activité doit aujourd’hui être pleinement remis à plat.
2. Le modèle économique des micro-crèches Paje ne garantit pas la qualité de l’accueil proposé aux enfants
Les travaux de la commission d’enquête, de même que les conclusions du rapport de l’Igas et de l’IGF relatif au modèle économique et à la qualité d’accueil des micro-crèches, ne permettent pas de considérer que le mécanisme de financement des micro-crèches Paje garantit davantage la qualité d’accueil des enfants, bien que ce constat doive être nuancé au regard de la grande diversité des modèles économiques de ces structures.
● Les micro-crèches Paje reposent sur un financement plus souple que les crèches percevant la PSU. Leur financement par la Paje étant indirect, leurs relations avec les Caf sont presque inexistantes : contrairement aux EAJE PSU, il n’y a pas de conventions d’objectifs et de financement entre le gestionnaire d’une micro-crèche et la Caf dont il relève pour encadrer les obligations et devoirs respectifs et organiser le suivi de l’activité réalisée. Par ailleurs, aujourd’hui, il n’existe pas de définition de l’offre minimale de services en micro-crèche, comme c’est le cas en PSU. Le tarif horaire plafond de 10 euros ne prévoit pas obligatoirement, par exemple, la fourniture des couches et des repas.
Dans le cadre de ses travaux, la rapporteure a eu l’occasion d’échanger avec des gestionnaires de micro-crèches qui lui ont expliqué que le financement indirect par la Paje était la garantie d’un accueil de qualité : la plus grande simplicité de ce mécanisme leur permettrait en effet de largement réduire leurs coûts de gestion administrative, au profit de moyens supplémentaires déployés en faveur de la rémunération des personnels et de leur nombre, de la qualité des repas et des couches, du recours à des intervenants extérieurs, ou encore de l’achat de jeux et de matériel de puériculture.
Par ailleurs, comme ont pu en témoigner les représentantes du Remi devant la commission d’enquête, « la sécurité [du] modèle réside dans le fait que les micro-crèches ne supportent pas une avance de trésorerie de plusieurs mois en attendant le financement de la Caf » ([212]), ce qui réduit la tension économique pour ces établissements.
● Néanmoins, comme le souligne également la Cnaf, si la souplesse du financement des micro-crèches Paje peut permettre de financer une meilleure qualité d’accueil, « le mécanisme de la Paje n’implique pas en lui-même que les facilités financières ou de trésorerie qu’il offre sont réinjectées dans la qualité d’accueil » ([213]). Dès lors, en raison des multiples dérogations offertes aux micro-crèches en matière de qualité d’accueil (voir Première Partie. I. A. 3. a.), il existe en réalité une grande diversité de modèles économiques pour les micro-crèches. L’Igas et l’IGF ont, à cet égard, identifié trois principaux modèles :
– « des établissements qui choisissent d’appliquer une grande partie, voire toutes les dérogations dont peuvent bénéficier les micro-crèches Paje, avec des risques en matière de qualité de prise en charge » ;
– « des structures qui cherchent à se rapprocher au maximum des normes applicables aux autres EAJE et présentent donc des charges plus élevées qu’elles peuvent assumer avec une tarification plus élevée, un niveau minimal de réservation de berceaux, ou parce qu’elles se situent dans des zones où les charges sont moindres, en particulier les charges locatives » ;
– « des entreprises qui cherchent à maximiser la réservation de berceaux dans les établissements et partant, la rentabilité » ([214]).
Les travaux de la commission d’enquête, comme ceux de la mission Igas-IGF relative aux micro-crèches, conduisent par ailleurs à distinguer deux grands types de micro-crèches : les micro-crèches appartenant au réseau des grandes entreprises de crèches (Babilou, Les Petits Chaperons Rouges, La Maison Bleue, People&Baby), et les micro-crèches dites « indépendantes ». En effet, l’existence, ou non, d’un groupe en support d’une micro-crèche a nécessairement un impact sur son modèle économique.
À cet égard, selon l’Igas et l’IGF, « le coût de revient d’une place en crèche par berceau apparaît plus élevé pour les grands groupes, que ce soit en Paje comme en PSU. Ainsi, pour les micro-crèches Paje, les charges totales par berceau s’élèvent à 16 016 euros pour les indépendants contre 22 440 euros pour les grands groupes » ([215]).
L’Igas et l’IGF ont par ailleurs constaté que « le chiffre d’affaires par berceau des micro-crèches Paje appartenant à un groupe est nettement supérieur à celui des micro-crèches Paje indépendantes », et que « les micro-crèches Paje appartenant à un groupe dégagent une rentabilité par berceau légèrement supérieure aux micro-crèches Paje indépendantes » et ce, malgré un coût de revient par berceau supérieur. Pour améliorer leur rentabilité, les groupes ont en effet « la capacité de générer un effet volume sur la réservation de berceaux » ([216]), que n’ont pas les micro-crèches indépendantes.
La mission note également que « les charges de personnel totales apparaissent […] significativement plus élevées pour les grands groupes, aussi bien pour les micro-crèches PSU que pour les micro-crèches Paje. Toutefois, les charges de personnel au contact des enfants sont moindres pour les grands groupes, que ce soit pour les micro-crèches Paje comme pour les micro-crèches PSU, ce qui suggère qu’ils utilisent davantage que les autres structures des dérogations applicables aux micro-crèches en termes de qualification du personnel et d’encadrement » ([217]) mais aussi que ces charges de personnels supplémentaires sont affectées en réalité à d’autres personnels que ceux en contact avec les enfants, notamment au sein des services commerciaux.
Éléments de comparaison des micro-crèches paje
(données 2022)
|
Grands groupes |
Autres micro-crèches |
Total |
Composition du chiffre d'affaires (CA) |
|||
CA total |
235 479 € |
193 229 € |
222 377 € |
dont contributions employeurs |
61 947 € |
30 427 € |
51 095 € |
dont contributions familles |
148 378 € |
156 598 € |
151 222 € |
CA par berceau |
22 642 € |
17 253 € |
20 783 € |
|
Réservations de berceaux |
||
Entreprises privées |
5,3 |
2,3 |
4,3 |
Entité publique |
0,5 |
0,1 |
0,3 |
Collectivité territoriale |
0 |
0,1 |
0 |
Total |
5,8 |
2,5 |
4,7 |
|
Personnel au contact des enfants |
||
Catégorie 1 |
1 |
2,5 |
2,1 |
Catégorie 2 |
2,6 |
2,4 |
2,5 |
Source : Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
● Toutefois, il convient de ne pas caricaturer le secteur, en opposant les micro-crèches des grandes entreprises de crèches, qui seraient seulement animées par la recherche de rentabilité, et les micro-crèches indépendantes, qui rechercheraient uniquement le bien-être des enfants. La réalité est en effet beaucoup plus nuancée.
En effet, l’appui d’un grand groupe de crèches à une micro-crèche peut constituer un facteur de qualité, puisque la trésorerie du groupe peut éventuellement compenser de moindres ressources sur une période donnée, et donc offrir des marges de respiration financière plus larges, en comparaison d’un gestionnaire de micro-crèche indépendante, qui s’est souvent endetté personnellement pour créer sa structure, qui se doit de rembourser à échéance régulière sa dette et ses intérêts d’emprunts, et dont le salaire mensuel constitue très souvent la variable d’ajustement lorsque les résultats de la structure ne sont pas optimaux.
Par ailleurs, le seul statut d’indépendant ne garantit en rien la qualité de l’accueil proposé au sein de la micro-crèche. Si de nombreux créateurs de micro-crèches sont des professionnels de la petite enfance – éducateurs de jeunes enfants, infirmiers puériculteurs notamment – souvent animés par la volonté de proposer des solutions alternatives aux crèches PSU traditionnelles, aucun diplôme ni aucune formation dans le domaine de la petite enfance ne sont exigés pour diriger une ou plusieurs micro-crèches. Cela a notamment inspiré des personnes ayant déjà une expérience entrepreneuriale, ou ayant côtoyé des crèches en tant que parents de jeunes enfants, à fonder leur réseau de micro-crèches.
Toutefois, au sein des gestionnaires de micro-crèches, il existe aussi des entrepreneurs peu scrupuleux, qui créent des structures dans le seul objectif de générer une forte rentabilité économique, grâce à des marges financières importantes. Or, d’après les informations recueillies par la rapporteure, un réseau de micro-crèches ne permet au gestionnaire de structures de se verser un salaire décent que lorsqu’il atteint une certaine taille – au moins 4 ou 5 structures. Dès lors, il est très difficile pour une seule micro-crèche proposant un véritable accueil de qualité de dégager des marges financières importantes, à moins de recourir de manière importante à la réservation de berceaux par les entreprises employant les parents. En l’absence de ce co-financement, la seule manière d’obtenir rapidement une rentabilité économique soutenue consiste à exploiter l’ensemble des dérogations dont bénéficient les micro-crèches par rapport aux normes régissant les EAJE, et à optimiser autant que possible les dépenses de fonctionnement. Ces pratiques ont nécessairement un impact sur la qualité de l’accueil proposé par la structure.
En conséquence, la rapporteure rejoint les conclusions de la mission Igas-IGF : il apparaît nécessaire de mettre fin aux normes dérogatoires applicables aux micro-crèches et d’aligner progressivement le mode de financement des crèches sur un mécanisme identique à toutes les structures, ou sur une PSU rénovée. Toutefois, il convient de s’inspirer des avantages du modèle des micro-crèches, et en particulier leur souplesse de gestion ainsi que la stabilité de leur trésorerie.
3. La commercialisation des places en crèches constitue une manne financière pour les intermédiaires tout en reposant jusqu’à 75 % sur un financement public
Les enjeux relatifs à la commercialisation des places en crèches ont été longtemps ignorés par les pouvoirs publics, alors même qu’ils impliquent un financement public important. La rapporteure a en effet identifié cette question lors d’un échange sur le terrain avec une gestionnaire de micro-crèche, qui lui a indiqué que certains grands groupes de crèches lui achetaient des berceaux pour les revendre ensuite à des entreprises. Par la suite, la lecture de l’évaluation du crédit d’impôt famille réalisée par l’Igas et l’IGF ([218]), dans laquelle la question de l’intermédiation en matière de réservation de berceaux était abordée, l’a convaincue qu’il y avait un sujet majeur sur lequel interroger les acteurs du secteur.
a. Le secteur des crèches a vu émerger des plateformes d’intermédiation qui commercialisent des places en crèches auprès d’entreprises réservataires
Le modèle économique des crèches privées lucratives, hors délégations de service public, repose essentiellement sur l’intervention d’une entreprise réservataire de berceaux au bénéfice de ses salariés en tant que tiers financeur, dans la mesure où le montant ainsi perçu est plus important que lorsqu’il s’agit d’un tiers financement assuré par le secteur public.
L’entreprise réservataire peut être une entreprise locale, qui réserve un ou deux berceaux dans des crèches au bénéfice de ses salariés, mais il peut également s’agir – et c’est même souvent le cas – d’une grande entreprise implantée sur tout le territoire, et dont le siège social se trouve à Paris. Cela peut aussi concerner une administration publique. Or, dans une telle situation, si une entreprise souhaite réserver des dizaines voire des centaines de berceaux au bénéfice de ses salariés sur l’ensemble du territoire, il est plus contraignant de procéder à cette réservation berceau par berceau, en contactant individuellement chaque EAJE, en fonction des besoins exprimés par ses salariés.
Dès lors, l’entreprise va plutôt passer un marché de droit privé, pour réserver un nombre donné de places en crèches sur l’ensemble du territoire national, sans en connaître encore la répartition territoriale ni même les salariés qui en bénéficieront. Les grandes entreprises de crèches sont les mieux placées pour répondre à ce type de marché puisqu’elles disposent d’un réseau de structures développé sur l’ensemble du territoire. Toutefois, afin de mieux répondre aux besoins des salariés de ces entreprises, qui souhaitent généralement que la crèche dans laquelle leur enfant est accueilli soit située au plus près de leur domicile plutôt que près de leur lieu de travail, les grands groupes de crèches, lorsqu’ils ne disposent pas d’une structure répondant à ce critère, se tournent vers un réseau de crèches dites « partenaires », ou contactent des crèches avec lesquelles ils n’avaient initialement pas de relations, lorsqu’elles présentent une situation géographique plus favorable. Il existe aussi une entreprise, Les Parents Zens, initialement connue sous le nom de Ma place en crèche, qui propose un service d’intermédiation entre les employeurs et un réseau de crèches partenaires réparties sur l’ensemble du territoire, sans être elle-même gestionnaire de crèches – ou seulement à la marge.
Aujourd’hui, il existe donc cinq acteurs majeurs de l’intermédiation en matière de réservation de places en crèches :
– Les Parents Zens, seule entreprise qui n’est pas un grand groupe gestionnaire de crèches par ailleurs, dont le réseau est constitué de 4 000 crèches partenaires ;
– Babilou, avec son réseau 1001 crèches recensant 3 000 crèches ;
– La Maison Bleue, dont le réseau La Maison Bleue & Co, comprend plus de 2 800 crèches ;
– People&Baby, dont le réseau Crèches pour tous comprend 3 300 crèches ;
– Les Petits Chaperons rouges, qui revendique un réseau de près de 3 000 crèches.
À première vue, l’ensemble des parties prenantes à cette activité seraient gagnantes, comme ont pu l’affirmer devant la commission d’enquête les représentants de ces entreprises. En effet, si le service proposé concerne d’abord l’entreprise réservataire des berceaux, la crèche partenaire sollicitée par le grand groupe serait également gagnante : « cette solution apporte une nouvelle source financière à des crèches qui n’y ont pas accès (les petits réseaux privés, les associations et les mairies n’ont pas les moyens de gérer des forces commerciales pour démarcher des entreprises pour quelques berceaux, s’ils les commercialisaient par leurs propres moyens, leur coût commercial par berceau vendu serait astronomique). Nous aidons à l’équilibre économique et social de très nombreuses petites crèches de tout statut à l’heure où les financements publics sont en baisse » ([219]). Ce service bénéficierait également aux familles des enfants accueillis, puisqu’il leur permet d’obtenir une place en crèche au plus proche de leur domicile.
b. Ces activités d’intermédiation posent question dans la mesure où les marges dégagées sont financées à hauteur de 75 % par de l’argent public
Comme le décrivent l’Igas et l’IGF dans leur évaluation du Cifam, les plateformes d’intermédiation se rémunèrent en prélevant à leur profit une partie du prix de la réservation facturé à l’entreprise réservataire. Le prix de la réservation est ainsi partagé entre le gestionnaire de crèches qui fournit la prestation d’accueil effectif de l’enfant, et la plateforme d’intermédiation qui propose un service commercial de mise en relation.
Tout l’enjeu de ce système d’intermédiation se situe dans le montant de la commission que prélève la plateforme d’intermédiation. Or, ce montant est variable, selon les marchés auxquels ces entreprises répondent, mais aussi en fonction de la capacité de négociation que la crèche partenaire est en mesure de développer. Surtout, il souffre d’une opacité absolue, puisque l’entreprise réservataire n’a aucun moyen de vérifier que le prix de réservation qu’elle paye correspond au coût réel du berceau dans la crèche partenaire, et cette dernière ne peut pas savoir si le prix proposé par la plateforme d’intermédiation correspond effectivement au montant in fine facturé à l’entreprise réservataire.
Les travaux menés par la commission d’enquête tendent toutefois à montrer que l’activité d’intermédiation est particulièrement profitable aux structures qui la pratiquent : elles bénéficient en effet d’un avantage considérable dans la négociation avec de plus petites structures, qui n’ont aucune relation avec l’entreprise réservataire du berceau. Or, par le biais du Cifam, le service proposé par les plateformes d’intermédiation est en réalité financé très largement par de l’argent public.
Selon les informations communiquées à la rapporteure par les entreprises proposant ces services d’intermédiation, le montant prélevé représente en moyenne entre 2 500 euros et 4 000 euros par berceau. Ainsi, en s’appuyant sur un exemple fondé sur les prix médians facturés par une des structures d’intermédiation interrogées par la rapporteure, un berceau vendu 16 000 euros à une entreprise réservataire est acheté à 12 000 euros auprès de la crèche partenaire qui accueillera l’enfant. Néanmoins, à l’instar de l’Igas et de l’IGF, dans le cadre de ses travaux, la rapporteure a pu constater des prix facturés aux entreprises réservataires correspondant parfois au double de la somme versée à la crèche partenaire, générant ainsi une marge de l’ordre de 50 % du prix payé par le réservataire.
Les plateformes d’intermédiation interrogées à ce sujet justifient des marges brutes moyennes importantes – autour de 30 % du prix facturé au réservataire – qui ne couvriraient en réalité que les frais de commercialisation de ces berceaux et les coûts qui découlent nécessairement de l’animation d’un réseau important de crèches partenaires – suivi de la qualité d’accueil proposée, accompagnement des familles et des employeurs, services et formations proposées aux partenaires, etc. En conséquence, la marge nette dégagée, une fois le coût de commercialisation déduit, serait extrêmement faible, voire négative. L’intérêt de cette activité se situerait alors dans l’image de marque de ces entreprises pouvant revendiquer un réseau de taille suffisamment critique pour répondre à l’intégralité des besoins exprimés par les salariés des entreprises réservataires.
Or, ces marges financières, quelle que soit leur ampleur réelle, sont largement financées non pas par les entreprises réservataires, mais par le budget de l’État, au travers de la dépense fiscale associée au mécanisme du Cifam. Dès lors, les frais de commercialisation de ces berceaux, et les marges nettes qui sont éventuellement dégagées, sont financés à hauteur de 75 % par de l’argent public. Pour la rapporteure, il n’est pas acceptable que de l’argent public serve à financer un service de commercialisation de berceaux en générant des gains d’une telle ampleur.
De plus, comme le relèvent l’Igas et l’IGF dans leur rapport consacré aux micro-crèches, « le Cifam a un effet inflationniste sur les prix de la réservation de berceaux, au détriment des employeurs qui n’en bénéficient pas » ([220]). En effet, pour les entreprises réservataires, l’existence d’une commission, y compris lorsqu’elle est très importante, est quasiment indolore, puisqu’elles ne payent en réalité que 25 % de ce montant. En revanche, pour toutes les administrations publiques qui recourent à la réservation de berceaux dans toute la France par l’intermédiaire de ces plateformes, aucun crédit d’impôt ni aucun autre mécanisme ne viennent réduire le montant facturé. Dans cette hypothèse, les frais de commercialisation et la marge réalisée par les intermédiaires sont financées à 100 % par de l’argent public.
En tout état de cause, le coût de revient moyen d’un berceau s’établissant à un peu moins de 20 000 euros par an pour un EAJE, et dans la mesure où au moins 40 % de ce coût est couvert par la PSU et les prestations familiales, sans compter les financements complémentaires qui lui sont associés, il semble difficilement justifié, sauf exceptions très particulières tenant notamment à la situation géographique de l’établissement, que le prix facturé aux entreprises réservataires dépasse 10 000 euros. C’est pourtant une réalité courante comme l’atteste le prix de vente médian établi à 16 000 euros mentionné supra.
c. Les travaux de la commission d’enquête n’ont, en revanche, pas démontré que le modèle de financement des EAJE a été imaginé dans le seul objectif de permettre aux grandes entreprises de crèches de générer des profits déraisonnables
La commission d’enquête avait notamment pour mission de « dévoiler les stratégies de lobbying des entreprises de crèches et leur impact sur les pouvoirs publics ainsi que les éventuels conflits d’intérêts au sein des instances de gouvernance des organismes financeurs ». À cet égard, tant les anciens ministres en charge des familles que les gestionnaires des grandes entreprises de crèches, ainsi que leurs représentants d’intérêts, ont été interrogés à ce sujet.
Il ressort de ces travaux que les représentants d’intérêts des entreprises de crèches ont effectivement joué leur rôle : ils ont ainsi rencontré, à échéances régulières, les ministres en charge de leur secteur, fait état de leurs difficultés, et éventuellement demandé des évolutions réglementaires ou législatives. Ainsi, par exemple, en 2020, lorsque le ministère chargé de l’économie et des finances a envisagé, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, une limitation temporelle du Cifam, en lien avec son évaluation, les entreprises de crèches et leurs représentants se sont mobilisés pour témoigner d’une vive inquiétude vis-à-vis d’un mécanisme qui constitue un pilier majeur de leur modèle économique. Leurs arguments ont, à l’époque, été entendus, sans que la rapporteure n’y voit la moindre forme de collusion : sans modèle alternatif de financement, et dans la mesure où le financement des crèches par la PSU implique nécessairement l’intervention d’un tiers financeur, mettre au fin au Cifam aurait pu avoir des conséquences particulièrement dommageables sur le secteur des crèches, en remettant en cause leur équilibre économique, dans un contexte où l’on souhaitait plutôt créer de nouvelles places.
Les différents ministres en charge de la famille auditionnés – M. Christian Jacob ; Mme Nadine Morano ; Mme Marisol Touraine ; M. Adrien Taquet ; Mme Aurore Bergé ; et enfin Mmes Catherine Vautrin et Sarah El Haïry – ont fait état de relations tout à fait ordinaires avec les représentants du secteur privé lucratif, mais aussi avec les représentants du secteur associatif ou encore les syndicats représentatifs des professionnels de la petite enfance. En effet, comme tous les ministres en charge d’un secteur social ou économique, ils rencontrent de manière régulière les représentants des acteurs qui interviennent dans ce domaine. De fait, s’il est avéré qu’ils ont eu des entretiens avec les fondateurs des grandes entreprises de crèches, ceux-ci ne présentent ni un format, ni un contenu, ni une régularité inhabituels qui laisseraient présager l’existence de conflits d’intérêts pour ces ministres.
En ce qui concerne le développement du secteur privé lucratif, les ministres auditionnés ont tous fait état de la nécessité pressante d’une politique favorable à la création de nouvelles places en crèches. Néanmoins, cette pression ne venait pas des acteurs du secteur privé lucratif, mais plutôt des familles, et surtout des élus locaux, qui étaient les mieux placés pour constater l’insuffisance du nombre de places existantes et qui en faisaient que relayer les souhaits de leurs administrés. En conséquence, le secteur privé lucratif a été considéré comme l’un des leviers à activer en faveur du développement des places en crèches, dans un contexte où les collectivités territoriales étaient déjà réticentes à l’idée d’investir des moyens supplémentaires en faveur de la création d’EAJE. À ce titre, les pouvoirs publics ont accompagné la création d’un modèle économique permettant aux crèches privées lucratives de se développer.
En revanche, la rapporteure ne dispose d’aucun élément d’information lui permettant d’affirmer que les gouvernements successifs ont construit des outils fiscaux ou budgétaires dans le seul objectif de permettre au secteur privé lucratif de dégager une forte rentabilité. S’il y a eu une convergence d’intérêts entre les pouvoirs publics et les représentants du secteur privé lucratif, en vue de la création de nouvelles places en crèches, dans un contexte où il s’est agi de l’un des objectifs centraux de la politique familiale menée au cours des vingt dernières années, les travaux de la commission d’enquête ont démontré que les financements publics dont ont pu bénéficier les entreprises de crèches – mais aussi les secteurs public et associatif – n’avaient pas pour objet de leur permettre de générer des profits d’une ampleur démesurée, ni de favoriser l’enrichissement personnel de leurs fondateurs.
*
* *
DeuxiÈme Partie : RÉformer le modÈle Économique
des crÈches dans le cadre de la mise en œuvre
du service public de la petite enfance pour
garantir l’Équilibre financier des structures et assurer la qualitÉ de l’accueil des jeunes enfants
Au regard des travaux menés par la commission d’enquête, de l’ensemble des témoignages entendus et des informations qui lui ont été communiquées, la rapporteure considère qu’une réforme structurelle du modèle économique des crèches est absolument nécessaire. La mise en œuvre progressive du service public de la petite enfance (SPPE) constitue à ce titre l’occasion de refondre entièrement les règles de financement des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), dans le respect des principes inhérents au service public, de faire évoluer les normes de qualité qui leur sont applicables, en replaçant les besoins du jeune enfant au cœur du système, et de repenser la place de chaque acteur – gestionnaire de crèche, commune, service de protection maternelle et infantile, Caf, État – afin d’œuvrer pour un modèle pérenne et vertueux d’accueil du jeune enfant en France.
Si certaines d’entre elles dérogent à cette règle, la plupart des recommandations ici formulées par la rapporteure n’ont donc pas vocation à être mises en œuvre à très court terme, au risque de déstabiliser fortement un secteur déjà fragile. Si des réformes paramétriques sont d’ores et déjà prévues, ou peuvent être envisagées dans le cadre de la Cog 2023-2027, la rapporteure souhaite ici promouvoir une évolution profonde du modèle économique des crèches, qui devra être préparée par les services ministériels, la Cnaf, et les collectivités compétentes, notamment les régions en ce qui concerne la formation professionnelle, et en concertation avec l’ensemble des acteurs du secteur de la petite enfance. L’horizon de mise en œuvre de ces recommandations correspond donc, pour la plupart d’entre elles, à la prochaine Cog entre l’État et la Cnaf, soit au-delà de 2027.
Les recommandations de la rapporteure s’articulent autour de deux grands axes :
– d’une part, une réforme des modes de financement des crèches afin de créer un cercle vertueux en faveur de la qualité de l’accueil en lieu et place d’un modèle centré sur l’optimisation de l’occupation des structures et l’augmentation du nombre de places ;
– d’autre part, d’une refonte de la gouvernance du secteur de la petite enfance, accompagnée d’une évolution structurelle de la politique d’accueil du jeune enfant, en créant des alternatives à l’accueil en crèche ou chez une assistante maternelle.
I. RÉviser les modes de financement des crÈches et promouvoir la qualitÉ de l’accueil des jeunes enfants
Les travaux de la commission d’enquête ont montré que le modèle économique des crèches ne permet actuellement ni de garantir l’équilibre financier des structures, qui font l’objet d’un sous-financement constant, ni de promouvoir la qualité de l’accueil proposé aux jeunes enfants : c’est ce modèle qui a conduit les acteurs à privilégier la vente de berceaux aux entreprises, avec les difficultés constatées (voir Première partie, II), et qui a contribué à créer un cercle vicieux qui fragilise la situation des personnels de crèches, pourtant au cœur de la qualité d’accueil.
La rapporteure propose donc une réforme en profondeur des modes de financement des crèches, afin d’assurer un équilibre réel entre leurs recettes et leurs coûts de fonctionnement, ainsi qu’un meilleur pilotage et un meilleur usage des deniers publics. Cette refonte du modèle économique devrait permettre d’améliorer la qualité au sein des établissements d’accueil du jeune enfant, qui devra faire l’objet de contrôles réguliers et renforcés.
A. renforcer la qualitÉ d’accueil et l’effectivitÉ des contrÔles des EAJE et garantir l’ÉgalitÉ devant le service public de la petite enfance
La création d’un service public de la petite enfance implique l’application du principe d’égalité : tous les enfants doivent pouvoir accéder à une place d’accueil et se voir garantir un épanouissement effectif et la satisfaction de leurs besoins fondamentaux.
À ce titre, il est nécessaire de renforcer la réglementation applicable aux crèches, en lien avec l’évolution des connaissances relatives aux besoins fondamentaux des enfants, dont toutes les crèches doivent garantir le respect. La priorité donnée à la qualité d’accueil devra s’accompagner d’un renforcement des contrôles exercés sur les crèches, afin de s’assurer du respect de la réglementation et d’accompagner les équipes au contact des enfants. En effet, la progression de la qualité d’accueil devra nécessairement s’appuyer sur une amélioration des conditions de travail des professionnels de la petite enfance et de l’attractivité des postes, afin de mettre fin aux difficultés de recrutement, et de mieux répondre aux besoins des enfants.
1. Renforcer la réglementation applicable aux crèches en lien avec l’évolution des connaissances relatives aux besoins fondamentaux des jeunes enfants
La satisfaction des besoins fondamentaux des jeunes enfants est essentielle, et exige une réponse appropriée et rapide afin de garantir le meilleur développement de l’enfant, ce qui contribuera, à long terme, au bien-être de la société dans son ensemble. À ce titre, il est nécessaire de renforcer la réglementation relative à la qualité d’accueil au sein des EAJE, en mettant fin aux dérogations applicables aux micro-crèches et en renforçant les taux d’encadrement,
a. Mettre fin à la réglementation dérogatoire applicable aux micro-crèches
Les micro-crèches bénéficient d’une réglementation dérogatoire, initialement instaurée dans un objectif de souplesse, mais remettant en cause aujourd’hui la qualité d’accueil proposée (voir première partie, I, A, 3). Cette réglementation dérogatoire aboutit de surcroît à une inégalité de traitement entre les enfants qui n’apparaît pas compatible avec les exigences du service public de la petite enfance. Dès lors, la rapporteure préconise de revenir sur les assouplissements successifs de la réglementation relative aux micro-crèches, dont :
– la dispense de désigner un directeur de structure, au bénéfice d’un seul référent technique, introduite par l’article 14 du décret n° 2020-613 du 7 juin 2010, qui n’est pas justifiée au regard de la taille actuelle de ces EAJE ;
Recommandation n° 1 : Mettre fin à la possibilité, pour les micro-crèches, de désigner un référent technique en lieu et place d’un directeur de structure.
– l’absence d’obligation, pour les micro-crèches, contrairement aux autres EAJE, de disposer d’une équipe pluridisciplinaire alors que la pluridisciplinarité des équipes est un élément déterminant de la qualité de l’accueil des jeunes enfants, notamment l’intervention régulière de psychologues et de spécialistes variés de la petite enfance ;
Recommandation n° 2 : Rendre obligatoire, au sein des micro-crèches, l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire en mesure de répondre à la diversité des besoins exprimés par les jeunes enfants.
– la suppression, dans le cadre de la réforme « Norma », de l’obligation de disposer, dans les micro-crèches, d’effectifs diplômés d’État dans les équipes au contact des enfants, ces professionnels pouvant n’avoir qu’une certification de niveau 3 (CAP) ;
Recommandation n° 3 : Aligner les exigences relatives aux diplômes du personnel des micro-crèches sur celles applicables à l’ensemble des EAJE.
– la possibilité, dans les micro-crèches, de n’avoir qu’un seul membre du personnel présent à certains moments de la journée, là où la présence de deux professionnels en permanence, gage de sécurité et de qualité, est requise dans les autres structures.
Recommandation n° 4 : Assurer, de manière immédiate, la présence minimale de deux professionnels de la petite enfance dans les crèches, à tout moment de la journée.
De manière générale, la rapporteure préconise le rapprochement des régimes juridiques applicables à tous les EAJE, sans exception liée à leur statut juridique ou à leur taille. Afin de garantir la sécurité et l’égalité entre tous les enfants, toutes les crèches doivent répondre au même cadre normatif.
Néanmoins, la suppression des dérogations dont bénéficient les micro-crèches ne pourra pas intervenir de manière abrupte, au risque d’entraîner la fermeture d’une grande partie de ces structures, dans un contexte de difficultés de recrutement, notamment de personnels qualifiés. Le renforcement des exigences qui leur sont applicables devra donc être annoncé suffisamment tôt par rapport à sa mise en œuvre, avec une perspective claire, afin que les gestionnaires de micro-crèches aient le temps d’adapter le fonctionnement de leur structure et de recruter les professionnels nécessaires.
b. Rehausser les taux d’encadrement applicables dans l’ensemble des crèches afin de garantir une réponse rapide et appropriée aux besoins exprimés par les enfants accueillis
Les travaux de la commission d’enquête ont montré que le principal vecteur de la qualité d’accueil, c’est la présence de personnels qualifiés en nombre suffisant pour répondre aux besoins physiologiques, affectifs et émotionnels exprimés par les enfants. Face à ce constat, la rapporteure estime que les taux d’encadrement doivent faire l’objet de deux évolutions : d’une part, chaque professionnel doit avoir la charge d’un nombre plus restreint d’enfants ; d’autre part, le taux d’encadrement doit être calculé au niveau des groupes d’enfants, en tenant compte du principe de référence, et non au niveau de l’établissement.
i. Davantage de professionnels pour prendre en charge les enfants
● À l’heure actuelle, le taux d’encadrement des enfants accueillis en EAJE est d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et d’un professionnel pour huit enfants qui marchent. Depuis la réforme « Norma », le gestionnaire de la structure peut également opter pour un taux d’encadrement global d’un professionnel pour six enfants.
La rapporteure considère que la distinction établie entre les enfants qui marchent et ceux qui ne marchent pas n’a pas lieu d’être. En effet, les enfants qui marchent ne demandent pas moins d’efforts et d’attention de la part des professionnels que les enfants qui ne marchent pas : ils se déplacent plus facilement et plus rapidement, leur équilibre est souvent encore instable, de sorte qu’ils nécessitent tout autant une attention de tous les instants, d’autant qu’ils ont davantage besoin de se dépenser. Les professionnels eux-mêmes considèrent que cette distinction est artificielle et peut conduire les enfants à changer de groupe ou de section en cours d’année, lorsqu’ils commencent à marcher, ce qui génère des difficultés d’organisation.
● Par ailleurs, le taux d’encadrement global d’un professionnel pour six enfants est insuffisant, alors même qu’il constitue l’élément déterminant de la qualité d’accueil. Au regard de l’évolution des connaissances scientifiques sur les besoins fondamentaux des jeunes enfants, le rapport de la commission des 1 000 premiers jours préconisait un taux d’encadrement d’un professionnel pour cinq enfants, qu’ils marchent ou non, ce qui est la norme moyenne au sein des pays de l’OCDE. À titre de comparaison, le Danemark a opté pour un ratio de trois professionnels pour une section de douze enfants, qui devrait bientôt être ramené à un professionnel pour trois enfants. En Allemagne et en Angleterre, le ratio est d’un professionnel pour quatre enfants. L’Igas rappelle par ailleurs que la littérature scientifique considère comme optimal un taux d’un professionnel pour trois enfants de moins de deux ans, puis un pour quatre ou pour cinq pour les enfants de plus de deux ans.
La rapporteure estime que la qualité d’accueil des jeunes enfants en crèches devra nécessairement passer par une réforme des taux d’encadrement. Cependant, une telle réforme ne peut intervenir à court terme, compte tenu de la pénurie de professionnels, sous peine de déstabiliser tout le secteur et d’entraîner des fermetures de places qui mettraient les familles en grande difficulté.
Dès lors, la rapporteure propose que les pouvoirs publics se fixent un objectif de plus long terme et organisent le rehaussement progressif des taux d’encadrement. Ainsi, dans le cadre de la prochaine Cog entre l’État et la Cnaf, il serait souhaitable de parvenir à un taux d’encadrement global d’un professionnel pour cinq, que ceux-ci marchent ou ne marchent pas. À plus long terme, les pouvoirs publics doivent se fixer pour objectif d’atteindre un taux d’encadrement d’un professionnel pour quatre enfants.
Recommandation n° 5 : Dans le cadre de la prochaine Cog entre l’État et la Cnaf, en 2027, cibler un taux d’encadrement d’un professionnel pour cinq enfants, qu’ils marchent ou non, et à plus long terme, viser un taux d’encadrement d’un professionnel pour quatre enfants.
La rapporteure tient également à rappeler que le renforcement du taux d’encadrement, en plus de contribuer à l’amélioration de la qualité d’accueil pour les enfants, permet également d’améliorer les conditions de travail des professionnels. Mettre fin aux assouplissements réglementaires intervenus pour répondre à la pénurie, mais qui ont eu pour effet pervers de l’accentuer en détériorant les conditions de travail des professionnels toujours en poste, contribuera, de manière décisive, à renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance.
ii. Calculer le taux d’encadrement au niveau de groupe d’enfants de petite taille
Les travaux de la commission d’enquête ont montré que le succès des micro‑crèches résultait notamment de la taille réduite du groupe d’enfants – 12 enfants, avec une possibilité d’accueil en surnombre jusqu’à 15 enfants. C’est également un élément de qualité souvent mis en avant par les professionnels ayant travaillé dans ces structures, mais également par les travaux scientifiques sur le développement des jeunes enfants, dans la mesure où cela permet d’attacher un groupe de professionnels à un groupe d’enfants et de respecter ainsi les principes d’attachement et de référent.
● En conséquence, la rapporteure préconise de réduire la taille des sections ou des groupes d’enfants dans l’ensemble des EAJE afin d’offrir de meilleures conditions de travail aux professionnels (notamment en ce qui concerne les nuisances sonores) et une meilleure qualité d’accueil aux enfants, qui ont besoin de calme et de sérénité pour se développer. Tout comme le recommandait déjà l’Igas dans son rapport sur les maltraitances en crèches, la taille des groupes doit faire l’objet d’une réflexion en vue de la prochaine Cog.
Ainsi, même au sein des grands établissements, la rapporteure recommande de s’inspirer du modèle des micro-crèches et de viser, dans un premier temps, des groupes de 15 enfants maximum au sein de la même unité de vie, et à terme, des groupes de 12 enfants.
Recommandation n° 6 : Limiter, dans le cadre de la prochaine Cog, en 2027, la taille des sections au sein des EAJE à 15 enfants maximum, puis, à terme, à 12 enfants.
● Par ailleurs, afin de tenir compte du principe de référence et d’assurer un encadrement homogène, la rapporteure considère que le calcul du taux d’encadrement devra se faire au niveau du groupe d’enfants, et non au niveau de l’ensemble de l’EAJE comme c’est le cas aujourd’hui.
En effet, comme le rapport de l’Igas sur les maltraitances dans les crèches l’a relevé ([221]), « un tel calcul ne paraît pas présenter de cohérence au regard des exigences de l’accueil, l’encadrement ne pouvant s’apprécier qu’en fonction du nombre de professionnels en présence des enfants ». L’inspection relevait qu’un tel raisonnement « laisse par ailleurs ouvertes des zones de risque excessives, dans la mesure où il peut conduire, par compensation entre sections, à avoir un taux d’encadrement insuffisant dans certains groupes ».
Recommandation n° 7 : Calculer le taux d’encadrement au niveau des sections/groupes d’enfants et non au niveau de l’établissement.
Dès lors, la rapporteure propose :
– à moyen terme, la présence de trois professionnels pour un groupe de 15 enfants, lorsque le taux d’encadrement sera fixé à 1 professionnel pour 5 enfants ;
– à plus long terme, la présence de trois professionnels pour un groupe de 12 enfants, lorsque le taux d’encadrement sera fixé à 1 professionnel pour 4 enfants.
Par ailleurs, les personnels affectés à un groupe devront être, dans la mesure du possible, toujours les mêmes, afin de respecter le principe de référence, selon lequel les jeunes enfants ont besoin d’identifier des référents affectifs. Dès lors, si des remplacements pourront évidemment intervenir pour tenir compte des horaires, des congés ou des arrêts maladie, les enfants devront néanmoins être en contact, la majorité du temps avec les mêmes professionnels.
Recommandation n° 8 : Assurer le respect du principe de référence en garantissant aux enfants la présence des mêmes professionnels au sein de leur unité de vie.
c. Revenir sur les assouplissements des exigences relatives à la qualification des professionnels de la petite enfance
Travailler au contact des enfants, prendre soin d’eux, et encourager leur éveil, n’est en aucun cas inné et doit faire l’objet d’une formation spécifique. Aussi, la rapporteure considère qu’il est absolument primordial que tous les professionnels au contact des enfants bénéficient d’un diplôme pour exercer au sein d’un EAJE.
i. Inverser le ratio de qualification résultant de l’article 19 du décret n° 2010–613 du 7 juin 2010
Le décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans et l’assouplissement normatif a posé les bases d’un premier assouplissement dans le recrutement de personnels qualifiés en prévoyant, à son article 19, la réduction de 50 % à 40 % du taux d’encadrement obligatoire par des puéricultrices, des éducateurs de jeunes enfants, des infirmières ou psychomotriciens diplômés d’État.
Or, la rapporteure estime qu’améliorer la qualité d’accueil en crèche doit nécessairement passer par la mise en valeur des compétences spécifiques au travail auprès des jeunes enfants, et par le renforcement des qualifications exigibles. Aussi, elle propose de revenir à un taux de 50 % d’encadrement obligatoire par des puéricultrices, des éducateurs de jeunes enfants, des infirmières ou psychomotriciens diplômés d’État au sein des EAJE dans le cadre de la prochaine Cog et, à plus long terme, elle préconise l’application d’un taux de 60 % à cet égard.
Recommandation n° 9 : Rétablir un ratio d’encadrement obligatoire des enfants supérieur ou égal à 50 % par des puéricultrices, des éducateurs de jeunes enfants, des infirmières ou psychomotriciens diplômés d’État dans le cadre de la prochaine Cog, en 2027, et, à plus long terme, relever ce taux à 60 %.
ii. Mettre fin au recrutement de personnels non diplômés à brève échéance
● L’article 2 de l’arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant a prévu le recrutement, à titre exceptionnel, de professionnels non diplômés de la petite enfance (voir première partie, I, B, 3, a). La rapporteure estime que, malgré les 120 heures de formation que doit effectuer la personne non diplômée au sein de la structure, cette situation est insatisfaisante au regard de l’articulation entre la compréhension théorique des besoins des enfants et le travail concret réalisé au sein des EAJE.
● Par ailleurs, cette possibilité, pourtant exceptionnelle, est reconnue dès lors que la structure a publié une offre d’emploi visant à recruter un professionnel qualifié et que celle-ci n’a pas été pourvue dans un délai de trois semaines. Or, ce délai semble extrêmement court pour juger de l’existence d’une situation réellement « exceptionnelle ».
Aussi, la rapporteure estime qu’il est nécessaire, pour garantir la qualité de l’accueil en crèche, de supprimer cette possibilité de recrutement de personnel non diplômé à horizon 2027. À plus court terme, il est proposé de rallonger le délai après lequel, à défaut de candidatures à une offre d’emploi, la situation peut être considérée comme « exceptionnelle » et justifier le recours à une telle dérogation. Elle propose de retenir un délai de deux mois en lieu et place du délai de trois semaines.
Recommandation n° 10 : À court terme, allonger le délai à l’issue duquel, faute d’avoir obtenu des candidatures à une offre vacante d’emploi, un EAJE est autorisé à recruter du personnel non diplômé de trois semaines à deux mois. À l’horizon 2027, revenir sur la possibilité de recruter, à titre exceptionnel, du personnel non diplômé au sein des EAJE.
d. Mettre en place une carte professionnelle pour les professionnels des crèches
Les travaux de la commission d’enquête ont montré qu’il était parfois peu aisé, en pratique, de vérifier les qualités et compétences professionnelles ainsi que les antécédents judiciaires des personnels travaillant dans les EAJE. De nombreux témoignages ont mis en lumière que les crèches, de même que les PMI, communiquent peu entre elles sur les difficultés qu’ont pu poser certains professionnels.
Dès lors, afin de garantir la sécurité et le bien-être des enfants, la rapporteure préconise la mise en place d’une carte professionnelle pour les professionnels des crèches.
Recommandation n° 11 : Mettre en place une carte professionnelle pour les professionnels des crèches.
En pratique, cette carte professionnelle serait délivrée en même temps que le diplôme sanctionnant des études dans le champ de la petite enfance. Son attribution et son retrait s’appuieraient sur un fichier contenant a minima le casier judiciaire du professionnel, qui devra être automatiquement mis à jour.
De surcroît, de la même manière que l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles prévoit que, pour les établissements et services gérés par une personne physique ou morale de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans ([222]) et les services à la personne, à savoir la garde d’enfants, l’assistance aux personnes âgées ou handicapées et les services à la personne à leur domicile ([223]), une attestation doit faire état de l’absence de condamnation non définitive ou de mise en examen mentionnées au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violences, ces éléments doivent également être vérifiés, s’agissant des professionnels travaillant en EAJE, par l’intermédiaire de la carte professionnelle.
En revanche, la rapporteure ne souhaite pas permettre aux employeurs de signaler eux-mêmes, par l’intermédiaire de la carte professionnelle, les éventuelles difficultés rencontrées, voire les alertes, relatives à l’un de leurs salariés. Elle préconise que ces signalements soient adressés à la PMI et aux services déconcentrés de l’État, qui devront instruire les allégations, et pourront, le cas échéant, procéder à leur inscription au dossier contenu par la carte professionnelle.
2. Mettre en place un contrôle régulier et effectif de l’ensemble des établissements d’accueil du jeune enfant
Les travaux de la commission d’enquête ont mis en lumière des pratiques de contrôle des EAJE insuffisantes et hétérogènes. Or, le renforcement de la qualité d’accueil implique des contrôles plus approfondis et plus réguliers. À ce titre, la rapporteure estime nécessaire de recentrer le contrôle des PMI sur la seule qualité d’accueil, dans une approche plus axée sur l’accompagnement des équipes. Dès lors, les contrôles bâtimentaires et administratifs, pour lesquels l’intervention d’un professionnel de la petite enfance ou d’un médecin n’apporte pas de réelle plus-value, pourraient être délégués aux Caf.
a. Recentrer le contrôle des PMI sur la qualité de l’accueil proposé aux enfants
La réalisation d’un contrôle davantage qualitatif par les services de PMI implique l’allègement de leurs missions pour les recentrer sur la qualité d’accueil. Cela suppose que les services de PMI délèguent aux Caf le contrôle d’un certain nombre de pièces administratives et les contrôles bâtimentaires ne nécessitant pas la participation d’un professionnel de santé ou de la petite enfance.
i. Élaborer des paramètres de contrôle permettant d’améliorer la qualité d’accueil, tant du point de vue réglementaire qu’éducatif et affectif
Afin de garantir une qualité d’accueil suffisante sur tous les EAJE du territoire, la rapporteure propose de recentrer le rôle des PMI sur le contrôle de la qualité de l’accueil des jeunes enfants et sur l’accompagnement des équipes au contact des enfants. Pour ce faire, elle estime nécessaire de mettre en place un référentiel national de qualité d’accueil en EAJE.
● Les contrôles que les services de PMI réalisent sur les EAJE sont aujourd’hui trop axés sur des critères bâtimentaires (« mesurer la hauteur des poignées de portes ») qui, s’ils permettent en effet de garantir la sécurité des enfants durant les heures d’accueil, ne permettant cependant pas de garantir la qualité de cet accueil, la sécurité ne constituant que l’un des aspects de la qualité.
Ainsi, il est nécessaire d’engager une réflexion, d’ici 2027, sur l’amélioration de la qualité dans les critères de contrôle des EAJE par les services de PMI. Les services de PMI doivent, dans le contexte de la montée en puissance du service public de la petite enfance, s’assurer du respect par les EAJE d’éléments qualitatifs liés à la sécurisation affective des enfants accueillis et à leur développement serein au sein de la crèche d’une part, et d’éléments éducatifs d’autre part, dans la mesure où l’accueil des enfants en crèche ne constitue plus un « mode de garde » mais bien un accueil, avec un projet d’accompagnement de l’enfant vers l’éveil et l’acquisition de savoirs.
● La rapporteure estime cependant qu’il est illusoire de « critériser » la qualité au-delà des normes réglementaires liées au taux d’encadrement et aux qualifications du personnel. Elle considère qu’il serait plus efficace d’instaurer des « obligations de faire » pesant sur les professionnels qui réalisent les contrôles des PMI. Par exemple, elle préconise de rendre obligatoire, lors des contrôles, la réalisation d’un entretien individuel avec chaque personnel de la crèche, en l’absence de sa hiérarchie. Un tel entretien est de nature à aborder les éventuelles difficultés rencontrées par les équipes sur le terrain ainsi que les dysfonctionnements qui pourraient en découler.
Recommandation n° 12 : Rendre obligatoire, lors des contrôles exercés par les services de PMI, l’organisation d’un entretien individuel avec chaque personnel de la structure, en l’absence de leur hiérarchie.
Dans la même logique, la rapporteure préconise d’intégrer, dans les grilles de contrôle des services de PMI, la vérification du principe de référence, à savoir contrôler qu’il existe une continuité relationnelle dans la prise en charge des enfants, et qu’un fort turn-over n’empêche pas de facto les enfants de créer des relations de confiance avec les professionnels des structures.
Recommandation n° 13 : Intégrer, dans la grille de contrôle des services de PMI sur les EAJE, un critère relatif à la vérification du respect du principe de référence en vertu duquel chaque unité de vie au sein d’un EAJE doit, par principe, toujours avoir les mêmes personnels référents.
Afin de garantir une continuité dans la prise en charge des enfants durant leur accueil en EAJE, la rapporteure estime également souhaitable de mettre en place un livret de suivi des enfants, retraçant leurs besoins, leurs progrès, ainsi que les activités pédagogiques menées, dont l’existence et la mise à jour progressive seraient contrôlées par les services de PMI.
Recommandation n° 14 : Intégrer, dans la grille de contrôle des services de PMI sur les EAJE, l’existence et la mise à jour régulière d’un livret de suivi des enfants.
La rapporteure préconise également de questionner la standardisation des pratiques, par exemple de faire manger tous les enfants à la même heure tous les jours, coucher tous les enfants à la même heure, etc. En effet, des pratiques standardisées, si elles sont nécessaires dans un environnement collectif, vont parfois à l’encontre des besoins individuels des enfants, et sont le terreau de « douces violences » qui, répétées 8 heures par jour, tous les jours, pendant trois ans, ne sont pas sans conséquence.
Recommandation n° 15 : Questionner la standardisation des pratiques (heures de repas, heures de coucher) pour limiter les « douces violences » dans le quotidien des enfants.
ii. Déléguer aux Caf le contrôle des pièces administratives et des normes bâtimentaires pour décharger les PMI des vérifications ne nécessitant pas l’intervention d’un professionnel de santé ou de la petite enfance
Afin de permettre aux PMI de se recentrer sur la qualité de l’accueil et l’accompagnement des équipes des EAJE, il convient de les décharger d’une partie des contrôles bâtimentaires et administratifs qu’elles réalisaient jusqu’alors. À ce titre, la rapporteure préconise de déléguer ces contrôles aux Caf dès lors qu’ils ne nécessitent pas l’intervention d’un professionnel de la petite enfance ou d’un professionnel médical. À titre d’exemple, il ne semble pas nécessaire de faire intervenir un médecin de PMI ou une infirmière puéricultrice pour contrôler l’existence d’un détecteur de fumée au sein d’une structure.
Recommandation n° 16 : Confier aux Caf, en parallèle du contrôle financier qu’elles réalisent sur les EAJE, les contrôles bâtimentaires et administratifs jusqu’alors effectués par les PMI, dès lors qu’ils ne nécessitent pas l’intervention d’un professionnel de la petite enfance ou d’un professionnel médical.
En outre, la rapporteure tient à souligner l’intérêt du partenariat expérimental mis en œuvre entre le conseil départemental de Haute-Savoie et la Caf, qui a permis de décharger l’équipe de PMI de l’instruction des dossiers de création d’EAJE, mission qui représente en temps normal environ 50 % du temps de travail consacré aux crèches, ainsi que du suivi des EAJE, afin de permettre à la PMI de se concentrer sur les éléments d’accompagnement et de contrôle nécessitant la présence d’un médecin. Ce partenariat donne par ailleurs accès à des données (taux de remplissage de la structure, éventuelles difficultés financières) qui sont importantes pour le contrôle de la qualité d’accueil, car elles permettent de définir des signaux d’alerte.
Recommandation n° 17 : Étendre les missions des Caf en généralisant l’expérimentation initiée en Haute-Savoie entre les Caf et les PMI pour le contrôle des crèches.
b. S’assurer que toutes les crèches, quel que soit leur statut juridique, soient effectivement contrôlées
La rapporteure a pu, au cours des travaux de la commission d’enquête et en particulier grâce aux réponses des services PMI à son questionnaire national, prendre la mesure des disparités territoriales en matière de fréquence de contrôle des EAJE, mais aussi des critères de déclenchement de ces contrôles. Elle a notamment constaté qu’un certain nombre de PMI contrôlent beaucoup plus fréquemment les crèches privées lucratives que les crèches publiques et associatives.
Or, pour garantir la qualité d’accueil dans les crèches, mais également dans une logique d’égalité de traitement, la rapporteure estime que le contrôle de la qualité doit concerner toutes les crèches, indépendamment de leur statut juridique. Par ailleurs, les contrôles inopinés doivent être privilégiés. Enfin, les services déconcentrés de l’État doivent s’assurer de la réalité des contrôles des services de PMI, et le cas échéant, en cas de défaillance, s’y substituer.
i. Le contrôle de la qualité d’accueil doit concerner toutes les structures, quel que soit leur statut juridique
Toutes les crèches, indépendamment de leur statut, et sur tout le territoire national, doivent être contrôlées, et cela à la même fréquence.
● La rapporteure a pris la mesure, lors des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête tout comme lors de ses visites de terrain, de l’existence, dans certains départements a minima, d’une inégalité de traitement des EAJE selon leur statut face aux contrôles exercés. En effet, il ressort des contributions reçues que certains services de PMI ont tendance à contrôler plus régulièrement les EAJE relevant du secteur privé lucratif que les EAJE publics, qui bénéficient parfois d’une présomption de qualité d’accueil. Parmi les EAJE privés lucratifs, ceux fonctionnant en délégation de service public tendent également à être moins fréquemment contrôlés.
Or, dès lors qu’un type de structure fait l’objet de moins de contrôles, la qualité peut tendre à décliner, la crainte de la sanction se trouvant amoindrie.
De plus, la rapporteure estime qu’aucun type d’EAJE ne devrait faire l’objet de pratiques discriminatoires fondées sur des présomptions relatives à la qualité de l’accueil qui ne sont pas justifiées. Aussi, elle propose la mise en place obligatoire de plans départementaux de contrôle prévoyant un contrôle régulier de tous les EAJE, sans différencier le type de structure.
Recommandation n° 18 : Rendre obligatoire, à court terme, pour chaque service de PMI, l’établissement d’un plan de contrôle annuel des EAJE du territoire, selon une fréquence identique pour toutes les structures, sans distinction selon leur statut juridique.
● Par ailleurs, l’article 18 de la loi pour le plein emploi prévoit que les EAJE soient désormais évalués tous les cinq ans. La rapporteure salue l’intégration, dans la loi, d’une norme relative à la régularité des évaluations des EAJE, puisque cette fréquence était jusqu’alors laissée à la seule opportunité des services de PMI.
Cependant, pour garantir la qualité d’accueil des jeunes enfants en crèche de manière plus ambitieuse, la rapporteure considère qu’un contrôle des structures tous les trois ans est préférable, et semble constituer une fréquence acceptable, tant pour les crèches que pour les services de PMI. Un tel objectif pourrait être fixé dans le cadre de la prochaine Cog, en 2027.
Recommandation n° 19 : Garantir, à court terme, un contrôle de tous les EAJE du territoire français par les services de PMI a minima tous les trois ans, en vue de la prochaine Cog, en 2027.
ii. Les contrôles inopinés doivent, dans la mesure du possible, être privilégiés
Les travaux conduits par la rapporteure ont montré que seuls 5 % des services de PMI déclarent ne pas effectuer de contrôles inopinés, soit une très faible minorité. Cependant, parmi les PMI qui déclarent effectuer des contrôles inopinés, plus de la moitié ne les déclenche qu’en cas de signalement ou de dysfonctionnement étayé.
Or, la rapporteure considère que si les contrôles inopinés sont particulièrement utiles lorsque des alertes ont d’ores et déjà été lancées, ils le sont tout autant en l’absence d’alerte. En effet, des dysfonctionnements graves, d’autant plus au regard du caractère particulièrement vulnérable du public accueilli, voire des maltraitances, peuvent exister même en l’absence de tout signalement. Dès lors, des contrôles inopinés, qui ont précisément pour intérêt de visiter un établissement sans jugement préconçu, sont pertinents à la fois pour les EAJE qui ont fait l’objet d’alertes, mais aussi pour les EAJE dans lesquels, a priori, il n’existe aucun problème de qualité.
En conséquence, la rapporteure plaide pour la généralisation des contrôles inopinés fondés sur la base, par exemple, d’un tirage au sort annuel, déjà pratiqué par certaines PMI. Elle relève que certaines PMI pratiquent exclusivement des contrôles inopinés et considère qu’à terme, l’idéal, pour la qualité d’accueil, serait que tous les contrôles soient inopinés. Toutefois, il conviendra alors de distinguer clairement les contrôles stricts des EAJE des interventions liées à l’accompagnement des structures et des équipes.
Recommandation n° 20 : Généraliser, à court terme, les contrôles inopinés comme modalité de droit commun d’exercice des contrôles des services de PMI.
iii. Les services déconcentrés de l’État doivent vérifier la réalité des contrôles effectués par les services de PMI sur les crèches
Face au constat d’importantes disparités territoriales, selon les départements, dans la réalité des contrôles des PMI sur les EAJE, la rapporteure considère que les services déconcentrés de l’État doivent être mis à contribution en exerçant régulièrement, sur une base annuelle, un contrôle de l’activité des services de PMI en matière d’accueil collectif des jeunes enfants : il s’agit de vérifier la réalité et la fréquence des contrôles effectués, mais aussi la conformité à la loi du plan de contrôle annuel.
● Ainsi, au niveau départemental, les directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), sous l’autorité du préfet de département, devraient assurer cette surveillance de l’activité des services de PMI, dans leur ressort territorial, afin de garantir le respect de la fréquence minimale de contrôle prévue par la loi, ainsi que l’égalité de traitement de toutes les structures, quel que soit leur statut juridique.
Au niveau régional, ensuite, les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), sous l’autorité du préfet de région, sur la base des données transmises par les DDETS, vérifieront qu’au sein de chaque région, les PMI contrôlent régulièrement les EAJE, sur la base des critères définis par la loi. Ces dernières pourront ensuite transmettre ces données aux administrations centrales, ce qui permettrait d’avoir une meilleure connaissance de l’activité des PMI au niveau national.
Recommandation n° 21 : Mettre en œuvre une vérification, par les services déconcentrés de l’État, de l’activité des services de PMI en matière de contrôle des crèches, notamment de leur fréquence et de l’égalité de traitement entre les structures.
● Dans l’hypothèse où les services de l’État constateraient des lacunes persistantes dans la réalisation des contrôles par les services de PMI, la rapporteure estime qu’il serait opportun de leur conférer le pouvoir de se substituer à eux pour la réalisation de ces contrôles.
Recommandation n° 22 : Permettre aux services déconcentrés de l’État de se substituer aux PMI en cas de lacunes persistantes constatées en matière de contrôle des crèches.
● Enfin, la fermeture des crèches relevant exclusivement de la compétence du préfet de département, après avis du président du conseil départemental, la rapporteure a pu constater qu’elle n’est en réalité que rarement décidée, même lorsque des dysfonctionnements graves sont repérés.
Aussi, la rapporteure tient à rappeler que la sécurité physique et psychique des enfants, de même que leur bien-être, doit primer sur toute autre considération, et qu’il appartient aux autorités déconcentrées de l’État d’instruire les alertes et de prendre les sanctions nécessaires, en application des nouvelles dispositions prévues par la loi pour le plein-emploi ([224]) (voir première partie, B, 4, c, iv), et de décider de la fermeture, temporaire ou définitive d’un établissement lorsque les enfants qui y sont accueillis sont manifestement en danger.
Recommandation n° 23 : Appliquer le régime de sanctions prévu par la loi pour le plein-emploi, après instruction des alertes portant sur le fonctionnement des EAJE, en donnant la priorité à la sécurité physique et psychique des enfants.
3. Améliorer les conditions de travail des professionnels de la petite enfance afin de mettre fin à la pénurie de ces mêmes professionnels
La qualité de l’accueil des enfants au sein des EAJE passe, d’abord et avant tout, par les professionnels qui y travaillent au quotidien. Or, le manque de personnels au sein des structures, et l’assouplissement des taux d’encadrement pour tenter de maintenir les places existantes, entraînent la création d’un cercle vicieux : les conditions de travail se dégradent, et de plus en plus de professionnels renoncent à exercer au sein des crèches, ce qui engendre une détérioration plus importante des conditions de travail, qui elle-même alimente le départ des professionnels.
Comme évoqué dans la première partie du rapport, la dégradation des conditions de travail est la traduction d’un contexte de tension sur l’activité réalisée, de situations de sous-effectifs, de manque de temps ou de manque de considération, qui conduisent in fine à une détérioration des conditions d’accueil des enfants, et à une perte de sens pour le métier.
Aussi, la rapporteure estime qu’il est urgent de renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance, ce qui passe notamment par la question salariale, mais également par celle des conditions concrètes de travail. Il est également nécessaire de renforcer la formation, tant initiale que continue, des professionnels pour leur permettre d’adapter leurs compétences aux évolutions des connaissances des besoins des enfants et de disposer de meilleures perspectives d’évolution de carrière.
a. Renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance
L’un des facteurs du manque d’attractivité des métiers de la petite enfance tient au niveau des rémunérations des professionnels de ce secteur qui est, comme évoqué supra, inférieur au salaire médian national. Aussi, la question salariale doit être abordée au soutien des réflexions visant à accroître l’attractivité des métiers de la petite enfance. Or, la problématique des rémunérations est rendue d’autant plus complexe que les professionnels de la petite enfance relèvent d’un grand nombre de conventions collectives différentes, ce qui rend les négociations particulièrement difficiles.
En outre, une revalorisation sociétale doit également être mise en œuvre, car les métiers de la petite enfance sont trop souvent perçus comme des emplois demandant peu de qualifications, qui consistent avant tout à « jouer » toute la journée avec des enfants, sans reconnaître suffisamment la dimension éducative de ces métiers, pourtant stratégique dans le bon développement de l’enfant.
i. L’importance de la question salariale
Pour améliorer l’attractivité des métiers de la petite enfance, la question salariale est particulièrement importante compte tenu du faible niveau des salaires qui caractérise ce secteur, où de surcroît les emplois sont très majoritairement occupés par des femmes. Il sera donc nécessaire, pour répondre à cette pénurie, de revaloriser les salaires de ces professionnels, mais également de leur proposer des avantages en nature, tels que des logements sociaux.
● Les salaires des professionnels de la petite enfance travaillant en EAJE sont faibles et sont, en grande majorité, égaux ou très légèrement supérieurs au SMIC. Ces niveaux de rémunération ne correspondent pas aux qualifications de ces personnels, ni à leur niveau de responsabilités.
Une augmentation de 100 à 150 euros nets par mois a d’ores et déjà été décidée dans le cadre de l’application de la présente Cog 2023-2027, et a été actée par le conseil d’administration de la Cnaf. La rapporteure salue cette mesure, qui sera financée à hauteur de 200 millions d’euros par la branche famille. Elle espère vivement que les négociations en cours pourront aboutir rapidement et note que, dans le secteur public, une révision des grilles salariales semble a priori pouvoir être mise en œuvre sans grande difficulté, là où la modification des conventions collectives applicables dans le secteur privé – associatif ou lucratif – est beaucoup plus complexe.
Cependant, il sera vraisemblablement nécessaire d’aller plus loin pour remédier au manque d’attractivité du secteur. La PSU rénovée qu’elle propose, qui devrait permettre de bien mieux financer les dépenses de fonctionnement des crèches, devrait à ce titre encourager les gestionnaires de crèches à augmenter les salaires. Dans le cadre des expérimentations préconisées supra, et en vue d’une généralisation de ce nouveau mode de financement, la rapporteure souhaite que les Caf soient particulièrement vigilantes à ce que, si une augmentation des coûts de fonctionnement des crèches est constatée, elle soit essentiellement le résultat d’augmentations salariales pour les professionnels de la petite enfance.
● En outre, la rapporteure fait le constat que la dispersion des conventions collectives ne permet pas aux professionnels de s’organiser efficacement pour obtenir des augmentations de salaires, ce qui peut nuire à l’attractivité du secteur. Aussi, la rapporteure préconise la réduction, voire l’unification, à terme, des conventions collectives applicables dans le secteur de la petite enfance. Un travail en ce sens pourrait être initié au sein du Comité de filière « petite enfance ».
Recommandation n° 24 : Initier, au sein du Comité de filière « petite enfance », une réflexion sur la question de la réduction, voire de l’unification, des conventions collectives applicables au secteur de la petite enfance.
● Pour soutenir l’attractivité des métiers de la petite enfance, les communes peuvent également utiliser d’autres leviers de gratification que le salaire facial, afin d’améliorer les conditions de vie des professionnels. Ainsi, la rapporteure juge pertinent de donner la priorité aux personnels occupant des postes opérationnels dans les crèches dans l’attribution des logements sociaux, en particulier dans les grandes métropoles où le niveau des loyers est particulièrement élevé au regard des rémunérations des professionnels de la petite enfance.
Recommandation n° 25 : Encourager les communes à affecter, en priorité, des logements sociaux aux personnels occupant des postes opérationnels au sein des crèches.
ii. Communiquer sur le sens des métiers de la petite enfance
La pénurie de professionnels de la petite enfance appelle la mise en place d’une campagne nationale de communication sur les métiers de la petite enfance, pour rappeler l’importance de ces métiers pour la société toute entière, redonner envie de se tourner vers les carrières de ce secteur, et présenter les filières de formation, en lien avec les régions, qui sont compétentes en la matière.
La rapporteure estime qu’une telle campagne de communication, pour être pleinement utile, se doit d’attirer des profils adaptés et motivés par le travail auprès des enfants, grâce à une information ciblée et précise sur la nature de ces métiers et les compétences requises, afin notamment d’éviter des désillusions ultérieures. En effet, le taux de déperdition d’étudiants au cours des différentes années du cursus de formation dans le champ de la petite enfance est élevé, en raison d’une vision souvent déformée du métier, liée à la différence entre les enseignements théoriques et la pratique observée lors du stage au sein d’une structure.
Recommandation n° 26 : Lancer, à court terme, une campagne nationale de communication sur les métiers de la petite enfance afin de cibler les profils adaptés et motivés tout en informant de manière complète et réaliste sur ce qu’ils recouvrent et sur les enjeux qui y sont liés.
b. Améliorer les conditions de travail en engageant une démarche de prévention des risques et des maladies professionnelles au sein des crèches
Le manque d’attractivité des métiers de la petite enfance ne tient pas seulement aux faibles rémunérations. La rapporteure a pu constater au fil des travaux de la commission d’enquête que des enjeux extra-pécuniaires, liés à la qualité de vie au travail, sont également au cœur des préoccupations des professionnels de la petite enfance.
Si l’augmentation des taux d’encadrement et la constitution de petites unités d’accueil devraient contribuer à améliorer fortement les conditions de travail des professionnels de la petite enfance, la rapporteure estime qu’il est nécessaire de prendre en compte, dans le référentiel bâtimentaire applicable aux EAJE, les risques professionnels, notamment musculo-squelettiques, afin de garantir aux personnels de meilleures conditions de travail et de reconnaître la pénibilité de ces métiers.
Celle-ci est en effet très peu considérée, alors même que les professionnels sont exposés à des risques importants pour leur santé. En particulier, le fait de soulever et de porter des enfants quotidiennement, avec une répétition des mêmes gestes tout au long de la journée, engendre des troubles musculo-squelettiques qui doivent être reconnus. Les professionnels sont également très exposés à des nuisances sonores, liées à la présence d’un grand nombre de jeunes enfants en plein développement dans un espace de taille réduite. Enfin, de nombreux professionnels ont également témoigné de l’impact de leur travail sur leur psychisme, et en particulier la charge mentale et émotionnelle qui en découle.
M. Saber Benjima, coprésident de la fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje) précisait, lors de son audition devant la commission d’enquête, qu’un grand nombre de professionnels souffrent de maux de dos ou de poignets à force de porter des enfants.([225]) Mme Julie Marty Pichon, coprésidente de la même fédération, soulignait à ce titre qu’un professionnel en crèche peut porter environ une tonne par jour, en partant du principe qu’un enfant pèse environ dix kilogrammes et qu’un professionnel porte un enfant une dizaine de fois dans la journée.([226]) Aussi, pour M. Saber Benjima, « au bout de quinze, vingt, ou trente ans, ces professionnels subissent des opérations et doivent s’arrêter de travailler, ce qui n’est pas neutre financièrement. Cela peut aller jusqu’au handicap ».([227])
Cette pénibilité est inhérente aux métiers des soins à la personne qui, bien souvent, ne peuvent pas être exercés toute une vie durant ; mais elle est encore trop souvent passée sous silence. En conséquence, la rapporteure recommande d’établir une concertation nationale, associant les syndicats du personnel et les représentants des employeurs, au sein du Comité de filière « petite enfance », afin d’établir une liste des risques professionnels physiques et psycho-sociaux auxquels sont exposés les professionnels des crèches, et d’élaborer des mesures de prévention communément partagées.
Recommandation n° 27 : Engager une concertation nationale, associant les syndicats des personnels et les représentants des employeurs, au sein du Comité de filière « petite enfance », afin d’établir une liste des risques professionnels physiques et psycho-sociaux auxquels sont exposés les professionnels des crèches, et d’élaborer des mesures de prévention communément partagées.
En outre, une politique ambitieuse de prévention des risques professionnels passe très souvent par des mesures simples et peu coûteuses, comme l’achat de matériel ergonomique. À cet égard, la rapporteure préconise que les enjeux liés à la prévention des risques musculo-squelettiques soient pleinement intégrés au référentiel bâtimentaire applicable aux crèches.
À titre d’exemple, le mobilier dédié aux changes doit intégrer un marchepied pour permettre aux jeunes enfants qui le peuvent de monter eux-mêmes sur le meuble, au lieu de devoir être portés. Cela les rend pleinement acteurs de ce moment d’intimité avec le professionnel qui s’occupe d’eux, et permet de réduire considérablement le nombre de portés réalisés par celui-ci tout au long de la journée. Par ailleurs, les gestionnaires de crèches doivent commander des équipements adaptés aux adultes, en plus de ceux conçus pour les enfants – tables et chaises notamment –, en particulier dans les salles de pause. Le poids des meubles, qui sont souvent déplacés en vue des repas ou des activités d’éveil, doit également être pris en compte, et un mobilier doté de roulettes doit systématiquement être privilégié.
La rapporteure préconise donc que les mesures permettant de réduire les risques professionnels soient intégrées à la grille de contrôle bâtimentaire, avec pour objectif de contrôler tout particulièrement l’ergonomie des équipements.
Recommandation n° 28 : Intégrer l’ergonomie des équipements et la prévention des risques professionnels au sein du référentiel bâtimentaire applicable aux crèches.
Par ailleurs, la prévention des risques professionnels se traduit également par la formation des professionnels exposés aux gestes et postures qui permettent de limiter les blessures et l’apparition de troubles musculo-squelettiques – plier les genoux plutôt que de courber le dos pour prendre un enfant dans les bras, ou encore ne pas s’asseoir sur ses genoux par exemple. En conséquence, la rapporteure estime qu’une formation obligatoire et régulière des personnels des crèches sur ces bonnes pratiques doit être instaurée.
Recommandation n° 29 : Instaurer une formation obligatoire et régulière des professionnels de la petite enfance à la prévention des risques professionnels, et en particulier des risques musculo-squelettiques.
c. Renforcer les parcours de formation initiale et continue pour des professionnels mieux formés, avec des perspectives de carrière plus dynamiques
L’attractivité des métiers de la petite enfance passe également par une meilleure formation initiale et continue, qui permette d’améliorer la qualité d’accueil, et donc de donner du sens au travail, mais aussi de créer de nouvelles perspectives de carrière.
i. Garantir aux professionnels de la petite enfance une meilleure connaissance des besoins des jeunes enfants
Permettre aux professionnels de bénéficier d’une formation plus approfondie et actualisée sur les besoins fondamentaux des enfants permettrait non seulement aux enfants de bénéficier d’un accueil de plus grande qualité, mais également aux professionnels du secteur de redonner du sens à leur métier, en connaissant plus finement les besoins des enfants et les savoir-faire pour y répondre.
● Les auditions de la commission d’enquête et les contributions écrites reçues par la rapporteure ont mis en évidence une inquiétude grandissante concernant l’affaiblissement du niveau des étudiants au sein des cursus délivrant les diplômes permettant de travailler en EAJE. En particulier, le contenu de la formation conduisant à l’obtention d’un CAP « Petite enfance » est globalement jugé insuffisant, et peu à jour de l’évolution des connaissances relatives aux besoins fondamentaux des jeunes enfants. Il apparaît donc indispensable de repenser les enseignements qui le composent.
Recommandation n° 30 : Réviser le contenu de la formation prodiguée dans le cadre du CAP « Petite enfance » pour y intégrer des enseignements plus ambitieux en termes de connaissances théoriques des besoins des jeunes enfants, en lien avec les dernières avancées scientifiques.
● La mise à jour régulière des connaissances des professionnels sur les besoins des jeunes enfants doit également passer par la formation continue. La formation continue revêt effectivement une dimension d’importance toute singulière dans le champ de la petite enfance, car les connaissances scientifiques en la matière sont en perpétuelle évolution. Afin de garantir une meilleure qualité d’accueil aux enfants accueillis en EAJE, la rapporteure estime qu’il est nécessaire de renforcer la part de la formation continue des professionnels concernés, afin qu’ils puissent prendre connaissance de l’avancée des connaissances relatives aux besoins des enfants et aux neurosciences. La rapporteure recommande l’instauration d’une obligation de formation continue régulière des professionnels des EAJE afin de mettre à jour leurs connaissances et leurs pratiques.
Recommandation n° 31 : Instaurer une formation continue, régulière et obligatoire, au bénéfice des personnels des crèches, afin de mettre à jour leurs connaissances et leurs pratiques en matière d’accueil du jeune enfant.
La fixation du nombre d’heures de formation à réaliser chaque année devra faire l’objet d’une concertation entre les acteurs de la petite enfance, les syndicats, la Cnaf et les services ministériels compétents. À titre d’exemple, pour les professionnels de santé, une obligation de formation continue triennale existe. De la même manière, l’article L. 912-1-2 du code de l'éducation prévoit une obligation de formation continue pesant sur les enseignants. La rapporteure estime qu’un mécanisme semblable pourrait s’envisager au profit des professionnels de la petite enfance travaillant au contact des enfants.
De plus, l’instauration d’une carte professionnelle (voir recommandation n° 11), pourrait permettre de suivre la réalisation de ces heures de formation continue.
Recommandation n° 32 : Utiliser la carte professionnelle des professionnels de la petite enfance pour vérifier la réalisation des heures de formation continue obligatoires.
● Enfin, les encadrants, au sein des micro-crèches, issus d’une formation extérieure au monde de la petite enfance, comme c’est de plus en plus fréquemment le cas, qui ont une compétence « managériale », doivent également être formés aux spécificités de l’accueil du jeune enfant et de leur famille. La rapporteure estime, à cet égard, que les personnels de direction de tout EAJE devraient avoir l’obligation d’avoir suivi au moins une formation de niveau CAP pour travailler au sein d’une structure.
Recommandation n° 33 : Rendre obligatoire la formation des gestionnaires d’EAJE aux spécificités de l’accueil des jeunes enfants, au travers de l’obtention, a minima, d’un CAP « Petite enfance ».
● La qualité de l’accueil proposé aux enfants passe également par la mise en place de temps d’échanges et d’analyse des pratiques entre les professionnels de la petite enfance. En effet, les temps d’analyse des pratiques sont des temps qui permettent aux professionnels à la fois de prendre de la hauteur sur leurs pratiques professionnelles et leurs réponses aux besoins des enfants et de s’échanger des conseils et des bonnes pratiques. Les autorités de contrôle des EAJE, que sont les Caf et les PMI, doivent contrôler l’organisation régulière et effective de ces temps d’analyse des pratiques, dont le financement doit être inclus dans la PSU rénovée proposée par la rapporteure (voir infra).
Recommandation n° 34 : Garantir l’organisation régulière de temps d’analyse des pratiques professionnelles entre les personnels des crèches, en les intégrant aux critères de qualité contenus dans les grilles de contrôle des PMI.
● En sus du temps d’analyse des pratiques professionnelles entre les personnels des EAJE au contact des enfants, la rapporteure estime qu’il serait nécessaire d’institutionnaliser des temps d’échange entre les personnels encadrants – gestionnaires ou directeurs de structures – et les professionnels au contact des enfants afin de faciliter le dialogue et la remontée des problématiques rencontrées au quotidien, et d’organiser des formations communes à ces deux types de professionnels.
Recommandation n° 35 : Institutionnaliser, dans le cadre de la prochaine Cog, des temps d’échange, voire des formations communes, entre les personnels encadrants et les professionnels au contact direct des enfants au sein des EAJE.
● La rapporteure estime par ailleurs utile de chercher à diversifier les profils professionnels au sein des EAJE pour favoriser une compréhension multifactorielle du développement des enfants et de leurs besoins.
Lors de son audition devant la commission d’enquête, Julie Marty Pichon, coprésidente de la fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE) a fait valoir que les personnels des crèches sont issus, en grande majorité, des professionnels de la filière sanitaire, à l’instar des auxiliaires de puériculture et des infirmières puéricultrices. Or, selon elle, « cette situation doit nous conduire à nous demander ce que signifie accueillir un jeune enfant et son parent dans un établissement collectif » dès lors que la tradition hygiéniste ayant justifié la création des premières crèches n’est plus censée prévaloir aujourd’hui, au bénéfice de la qualité d’accueil, du développement de l’enfant et de l’acquisition de savoirs fondamentaux.
Aussi, la rapporteure souligne la nécessité de diversifier les profils des professionnels au sein des crèches pour valoriser davantage les professions issues de la filière éducative et sociale, à savoir essentiellement les éducateurs de jeunes enfants et, dans une moindre mesure, les titulaires d’un CAP d’accompagnement éducatif petite enfance (AEPE). Améliorer la qualité d’accueil des enfants au sein des crèches doit passer par la recherche d’un projet éducatif plus poussé, et ne pas se cantonner à garantir la sécurité des enfants.
Recommandation n° 36 : Diversifier les profils des professionnels recrutés en donnant une part plus importante aux professions issues de la filière éducative et sociale, et en développant des formations incluant des enseignements portant à la fois sur les aspects pédagogiques et sur les aspects sanitaires.
ii. Garantir la dimension pratique des formations dans le domaine de la petite enfance
Bien qu’une connaissance théorique des besoins fondamentaux des enfants soit nécessaire, en lien avec l’évolution des connaissances dans les neurosciences, la rapporteure considère qu’il faut renforcer la dimension pratique des formations.
● À ce titre, elle prône un meilleur équilibre entre théorie et pratique au sein des formations dans le secteur de la petite enfance. Selon le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE), quel que soit le niveau de formation, il conviendrait d’envisager une répartition des temps de formation à hauteur de 50 % d’enseignements pratiques et 50 % d’enseignements théoriques. La rapporteure estime qu’une telle solution permettrait de rééquilibrer les formations, alors qu’il ressort des travaux de la commission d’enquête que, dans certains cas, les néo-diplômés arrivant dans les EAJE manquent de savoir-faire pratiques tandis que d’autres manquent de connaissances théoriques.
Recommandation n° 37 : Rééquilibrer l’ensemble des formations octroyant un diplôme dans le champ de la petite enfance, quel qu’en soit le niveau, pour tendre à ce que les enseignements pratiques et théoriques représentent chacun respectivement 50 % des enseignements totaux.
● Ce nouvel équilibre ne doit néanmoins pas conduire à la possibilité d’obtenir un diplôme dans le champ de la petite enfance en cas d’insuffisance des qualités pratiques de l’étudiant. Aussi, la rapporteure propose que toutes les formations initiales évoluent pour inclure plusieurs stages dont le bon déroulement conditionne l’obtention du diplôme.
Compte tenu de l’importance des gestes pratiques dans la prise en charge des enfants au sein des EAJE, il est en effet tout à fait primordial que toutes les formations initiales destinées à former des professionnels de la petite enfance contiennent des périodes de stages au contact des enfants d’une régularité et d’une durée suffisantes pour que les professionnels ainsi formés soient en capacité, dès leur recrutement, de prendre en charge qualitativement les enfants accueillis.
Recommandation n° 38 : Généraliser, dans toutes les formations donnant accès à des professions susceptibles d’être exercées en EAJE, la réalisation de stages à échéances régulières, dont un stage d’une durée minimale de six mois.
En outre, l’obtention de tout diplôme dans le champ de la petite enfance doit être conditionnée au bon déroulement des stages effectués durant la formation. Par conséquent, la rapporteure considère qu’il ne devrait pas être possible de pouvoir compenser une mauvaise notation lors du stage par de bonnes notes obtenues dans les enseignements théoriques.
Recommandation n° 39 : Interdire la compensation entre les notations obtenues lors de stages pratiques et les notes obtenues dans les enseignements théoriques de telle sorte que l’obtention d’un diplôme dans le champ de la petite enfance soit conditionnée au bon déroulement des stages effectués.
● Eu égard à l’importance de la pratique professionnelle, les formations diplômantes dans le champ de la petite enfance dont le déroulé se fait exclusivement en ligne constituent une aberration. Il est impensable que des professionnels puissent être recrutés au sein d’EAJE en ayant uniquement suivi un enseignement à distance, sans contact auprès des enfants, quand bien même ces diplômés bénéficieraient d’une courte formation à leur arrivée au sein d’un établissement. La rapporteure propose dès lors d’interdire purement et simplement le recrutement de professionnels diplômés à la suite d’une formation suivie à distance. Afin de limiter les effets juridiques qu’une telle interdiction sans délai de préavis suffisant pourrait avoir en termes de prévisibilité juridique, la rapporteure propose de retenir 2027 comme date pour la mettre en œuvre.
Recommandation n° 40 : Interdire, au 1er janvier 2027, tout nouveau recrutement de professionnel qui serait diplômé d’une formation intervenue dans le champ de la petite enfance dont les enseignements auraient exclusivement ou majoritairement été dispensés en ligne.
● La rapporteure relève également que les formations en alternance ou en apprentissage apportent en revanche une réelle plus-value, car elles permettent de mêler de manière cohérente les apprentissages théoriques avec la nécessité de maîtriser en pratique la prise en charge des enfants. L’immersion professionnelle favorisée par l’alternance est bénéfique à l’amélioration de la qualité d’accueil proposée par les professionnels lorsqu’ils sont ensuite recrutés sur un premier poste. Cependant, les alternants restent des étudiants dont les connaissances doivent encore être consolidées, ils ne peuvent pas être pris en compte dans le calcul du taux d’encadrement des structures. Les alternants bénéficiant déjà d’un diplôme de la petite enfance, ainsi que ceux en cours de formation en vue de l’obtention d’une qualification plus approfondie (par exemple, une personne titulaire d’un CAP « Petite enfance » et engagée dans une formation pour obtenir le diplôme d’auxiliaire de puériculture), pourront en revanche être pris en compte dans ce calcul.
Recommandation n° 41 : Développer et favoriser l’alternance au sein des formations donnant accès aux métiers de la petite enfance.
iii. Donner des perspectives d’évolution de carrière aux professionnels de la petite enfance
Le manque d’attractivité des métiers de la petite enfance repose également sur l’insuffisance des perspectives d’évolution de carrière. La rapporteure propose en conséquence plusieurs pistes de réflexion pour accroître la mobilité de ces professionnels.
● Au cours des travaux de la commission d’enquête, la question de la mise en place d’un « tronc commun » de formation a été abordée. Mme Julie Marty Pichon, coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE) a affirmé, durant son audition devant la commission d’enquête, que le niveau minimal permettant d’assurer l’accueil des enfants et des familles devrait être un diplôme de niveau 4, là où le CAP « Petite enfance » ne sanctionnerait qu’une « formation minimale ». Selon elle, il faut définir un socle de formation eu égard à la capacité de réflexion, d’analyse, de recul nécessaire pour pouvoir travailler auprès des enfants et des familles.
Mme Sylviane Giampino, présidente du HCFEA, recommande également de forger une « identité professionnelle commune de l’accueil du jeune enfant » pour créer une synergie au sein des professions et favoriser l’évolution professionnelle([228]). Selon elle, l’identité professionnelle dans le secteur de la petite enfance est à consolider car il n’existe pas de branche professionnelle commune à l’ensemble du secteur de la petite enfance, alors même qu’« une identité commune est pourtant latente, qui ne demande qu’à être rendue plus effective » ([229]).
Or, cette situation a un effet sur la qualité de l’accueil : le syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE) a ainsi mis en exergue le fait que l’absence d’un socle commun de connaissances sur les besoins du jeune enfant avait pour conséquence l’arrivée d’un nombre important de néo-diplômés dont les connaissances théoriques sont trop légères, que les équipes déjà en place, par manque de temps, ne peuvent pas accompagner.
Aussi, il est nécessaire de décloisonner les professions, sans ignorer leurs spécificités, afin que toutes contribuent de manière conjointe au bon développement des enfants et à la qualité d’accueil, et que le sentiment d’appartenance à un même corps de métiers, porteur de sens, se développe.
Recommandation n° 42 : Mettre en place un socle commun de connaissances et de pratiques à tous les métiers de la petite enfance dans le cadre de la formation initiale.
● Il convient également de favoriser les passerelles vers d’autres métiers, notamment ceux en lien avec l’accueil des jeunes enfants, à l’instar des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) ou des animateurs de relais petite enfance (RPE). Une évolution des personnels des crèches vers les services de PMI ou les services « Petite enfance » des communes ou des intercommunalités est également envisageable.
Recommandation n° 43 : Créer des passerelles plus dynamiques entre les différents métiers relatifs à l’accueil des jeunes enfants.
● La rapporteure souhaiterait également qu’une réflexion sur l’instauration d’un tronc commun plus large, au sein des filières de l’accueil ou des services à la personne, soit engagée. Cela permettrait en effet de créer de nouvelles possibilités de mobilité entre les métiers, de favoriser les reconversions et les évolutions professionnelles entre les différents secteurs. En parallèle de la montée en puissance du service public de la petite enfance, le Comité de filière « Petite enfance » apparaît comme le lieu de concertation le plus évident à ce sujet.
Recommandation n° 44 : Engager une concertation, sous l’égide du comité de filière, concernant l’opportunité d’élargir le champ du tronc commun de formation à l’ensemble du secteur du soin et de l’accueil des personnes vulnérables.
iv. Soutenir la création de places dans les formations relatives aux métiers de la petite enfance
Compte tenu de la pénurie actuelle de professionnels, la rapporteure estime qu’il est nécessaire et urgent d’augmenter le nombre de places au sein des formations relatives aux métiers de la petite enfance, en particulier pour les auxiliaires de puériculture et les éducateurs de jeunes enfants.
Néanmoins, ces créations de places devront reposer sur un diagnostic territorial des besoins en personnels au sein des EAJE, en lien avec les régions, afin de concentrer l’effort sur les territoires où la pénurie est la plus prégnante.
Recommandation n° 45 : Créer des places de formation dans le secteur de la petite enfance, en lien avec les régions, en particulier pour les métiers d’auxiliaire de puériculture et d’éducateur de jeunes enfants, sur la base d’un diagnostic territorial des besoins.
B. Garantir l’Équilibre financier des crÈches par une rÉforme structurelle de leur mode de financement
La rapporteure préconise une réforme structurelle du financement des crèches, au travers d’une suppression du modèle dérogatoire de financement des micro-crèches, de la suppression du crédit d’impôt famille, d’une refonte de la prestation de service unique afin de financer réellement les EAJE à hauteur de leurs coûts de fonctionnement, et enfin d’un repositionnement des communes ou des intercommunalités comme seuls tiers financeurs des crèches, grâce à de nouveaux moyens financiers.
1. Engager une refonte structurelle de la prestation de service unique afin de faire cesser l’injonction au remplissage des crèches et de permettre aux professionnels de se concentrer sur la qualité d’accueil proposée
Les effets pervers de la prestation de service unique (PSU) sont aujourd’hui largement documentés et les travaux de la commission d’enquête y ont largement contribué (voir première partie, II, A, 1). Afin d’y remédier, la Cog 2023-2027 entre la Cnaf et l’État prévoit d’ores et déjà des ajustements dans les modalités de calcul de la PSU et dans l’attribution des financements complémentaires qui y sont associés afin de soutenir financièrement les EAJE. La rapporteure considère néanmoins que ces évolutions n’engendreront pas le changement de paradigme en faveur de la qualité d’accueil dont le secteur de la petite enfance a besoin et ne répondent pas aux enjeux de simplification des financements. Dès lors elle préconise une réforme structurelle de la PSU, afin de financer réellement le coût de fonctionnement des crèches, y compris son évolution sous l’effet de l’inflation.
a. Une évolution des règles de calcul et d’application de la PSU est déjà prévue par la Cnaf pour en limiter les effets pervers
● La Cog 2023-2027 entre l’État et la Cnaf prévoit de « renforcer l’accompagnement des Caf et [d’]adapter leurs modalités de financement des modes d’accueil en vue de pérenniser le parc existant et [de] l’adapter aux enjeux de la transition écologique » ([230]).
À ce titre, la tarification à l’activité des crèches PSU doit faire l’objet d’adaptations :
– le niveau de progression pluriannuelle du barème de la PSU, soit l’évolution annuelle du prix plafond et du tarif horaire, doit être communiqué aux acteurs du secteur en début de mise en œuvre de la Cog, en tenant compte de l’évolution attendue des coûts de fonctionnement des EAJE ;
– la PSU est revalorisée dès 2023, pour sécuriser les ressources des gestionnaires de crèches ;
– le maintien et la création des places en crèches seront soutenus par le renforcement des financements forfaitaires, en particulier le bonus « territoire CTG » ;
– les modalités de prise en compte du taux de facturation seront modifiées pour supprimer les effets de seuils.
Par ailleurs, il est prévu de mettre en place deux nouveaux bonus à destination des EAJE financés par la PSU :
– le bonus attractivité ;
– le bonus « trajectoire de développement ».
Enfin, concernant les EAJE financés par le bloc communal, il est prévu une convergence des barèmes applicables aux places nouvellement créées et aux places existantes, ainsi que l’indexation, à partir de 2025, des montants des bonus territoires par place en fonction d’une évolution prévisionnelle des coûts de revient, et enfin la majoration de la part forfaitaire de financement de l’ensemble des places existantes cofinancées par le bloc communal dès lors que la trajectoire de développement de places PSU est conforme aux engagements pris dans la CTG.
● La rapporteure constate que le prix plafond de la PSU a effectivement été revalorisé à hauteur de 6,71 % en 2023. En outre, le 28 mars 2024, la Cnaf a publié une instruction au réseau ([231]) relative à la revalorisation des montants versés au titre du forfait « places existantes » du bonus « territoire CTG ». Ainsi, à partir de 2025, les montants versés pour chaque place en crèche déjà existante seront revalorisés annuellement jusqu’en 2027, à un rythme supérieur à l’évolution prévisionnelle des coûts de revient estimée en juillet 2023. Cela ne concerne que les places qui étaient financées par le forfait « places existantes » du bonus « territoire CTG » pour un montant inférieur au forfait « offre nouvelle » (voir supra).
Revalorisation annuelle des montants du forfait « places existantes » versÉs au titre du bonus « territoire CTG » entre 2025 et 2027
|
2025 par rapport à 2024 |
2026 par rapport à 2025 |
2027 par rapport à 2026 |
Indice de revalorisation des montants bonus « territoire CTG » pour l’offre existante |
+ 10 % |
+ 8,10 % |
+ 8,10 % |
Source : Cnaf.
Les montants planchers du forfait « places existantes », qui dépendent des caractéristiques du territoire concerné, seront également revalorisés chaque année jusqu’en 2027.
La même instruction au réseau prévoit la revalorisation du montant versé au titre du contrat territorial réservataire employeur (CRTE) pour les réservations de places existantes.
Revalorisation annuelle du forfait « offre existante » applicable
dans le cadre des CRTE entre 2025 et 2027
|
Forfait « offre existante » 2024 |
Forfait « offre existante » 2025 |
Forfait « offre existante » 2026 |
Forfait « offre existante » 2027 |
Forfait « offre nouvelle » |
Bonus réservataire CRTE par place réservée |
1 400 € |
1 540 € |
1 660 € |
1 790 € |
2 800 € |
Source : Cnaf.
Ces mesures seront financées à hauteur de 232 millions d’euros sur la période 2025‑2027.
● Concernant la linéarisation du barème de la PSU, qui vise à atténuer les effets de seuil générés par le taux de facturation, les modalités de calcul ne sont pas encore précisément connues. En effet, cette réforme n’a pas encore été adoptée, dans son principe, par les administrateurs de la Cnaf.
Néanmoins, selon les informations communiquées par la Cnaf à la rapporteure, les modalités de calcul de la PSU continueront à inciter les gestionnaires à réduire leur taux de facturation, afin de maintenir le principe d’une adaptation aux besoins des familles, mais les effets de rupture seront effacés. Le prix de revient plafond sera progressivement dégressif à mesure que le taux de facturation d’une structure augmente, « de façon à faire progressivement baisser les recettes totales (participations familiales et PSU) jusqu’à un plateau à définir. Il n’existera plus de seuil incitant à l’optimisation, voire à la fraude » ([232]). Cette mesure doit être accompagnée dans le cadre de la Cog à hauteur de 78 millions d’euros, dès 2025.
● Dans le cadre de la Cog 2023-2027, la création d’un nouveau bonus « trajectoire de développement » a été actée. Il sera applicable à partir du 1er janvier 2025. Celui-ci doit accompagner la dynamique de créations de places prévue par les CTG, en consolidant le financement des places existantes sur un territoire en contrepartie du développement effectif du nombre de places d’accueil ([233]).
L’ensemble des places en crèches PSU bénéficiaires du bonus « territoire CTG » seront éligibles au bonus « trajectoire de développement », sous réserve de répondre à deux critères cumulatifs :
– la signature par la collectivité qui cofinance l’EAJE d’une CTG contenant, dans le domaine de la petite enfance, un diagnostic de l’état de l’offre et des besoins, un plan d’actions précisant les objectifs de création, de maintien et d’optimisation des services déjà existants, les moyens mobilisés ainsi que les modalités d’évaluation et de pilotage de la démarche ;
– le développement du nombre de places en EAJE PSU financées par un bonus « territoire CTG » en référence à l’année 2023.
Le bonus est calculé chaque année – soit pour 2025, 2026 et 2027 – au titre de la présente Cog, en fonction du développement observé par rapport à l’année 2023. De fait, l’octroi du bonus « trajectoire de développement » au titre d’une année ne garantit pas son maintien lors de l’année ultérieure dans le cas où le développement observé serait remis en cause. Dans ce cas, le bonus pourra voir son montant diminué, voire être supprimé.
Montant du bonus « trajectoire de dÉveloppement » par place en fonction du niveau de dÉveloppement du nombre de places
Trajectoire de développement |
2025 par rapport à 2023 |
2026 par rapport à 2023 |
2027 par rapport à 2023 |
Supérieure à 4 % |
100 euros |
100 euros |
100 euros |
Supérieure à 8 % |
200 euros |
200 euros |
200 euros |
Supérieure à 12 % |
300 euros |
300 euros |
300 euros |
Source : Cnaf.
Selon la Cnaf, « ce mécanisme de financement constitue une incitation collective forte à l’échelle d’un territoire pour maintenir a minima les acquis des années antérieures et désinciter à la destruction de places. Il est par ailleurs particulièrement encourageant pour les collectivités qui soutenaient peu, voire aucune place d’accueil existante sur leur territoire, et qui s’engagent à en soutenir sur la période 2025 à 2027 » ([234]).
70 millions d’euros ont été prévus par la Cog 2023-2027 au titre de l’accompagnement de cette mesure.
● Enfin, la Cog 2023‑2027 prévoit la mise en place d’un bonus « attractivité » visant à prendre en charge une partie des coûts résultant de revalorisations salariales mises en œuvre dans le secteur public comme dans le secteur privé. Toutefois, la mise en œuvre effective de ce bonus reste encore incertaine au regard des difficultés générées par la renégociation des conventions collectives qui couvrent le secteur de la petite enfance et par la révision du régime indemnitaire des professionnels concernés dans le secteur public (voir infra).
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La rapporteure se réjouit de la hausse des financements alloués aux EAJE prévues par la Cog en cours d’application. Les constats dont elle fait état dans le cadre du présent rapport semblent en effet avoir déjà fait l’objet d’une réflexion de la part de la Cnaf et de la direction de la Sécurité sociale (DSS).
Toutefois, les réponses apportées aux difficultés financières rencontrées par les EAJE semblent toujours les mêmes, à travers la création de bonus, aux modalités de calcul toujours plus complexes, qui s’additionnent les uns aux autres, dont l’octroi et le montant sont imprévisibles, qui maintiennent une distinction entre places nouvelles et places existantes, sans jamais répondre entièrement à la problématique du sous-financement des crèches par la branche famille et par les collectivités territoriales. S’ajoutent ainsi à un système complexe des sources de nouvelle complexité.
À ce titre, bien que la Cnaf et la DSS lui aient affirmé qu’aucun système parfait de financement n’existait, et que la tarification à l’activité par le biais de la PSU était probablement le meilleur système envisageable, sous réserve des adaptations formalisées dans la Cog 2023-2027, la rapporteure se propose d’envisager un autre modèle de financement, qui maintiendrait les apports de la PSU, tout en tentant d’en réduire les effets pervers pour la qualité d’accueil.
Néanmoins, dans l’attente de la mise en œuvre d’une telle réforme, à l’horizon de la prochaine Cog, les améliorations apportées aux modalités de calcul et d’attribution de la PSU et des financements complémentaires qui lui sont associés sont assurément les bienvenues.
b. L’instauration d’un financement forfaitaire revalorisé tenant compte de l’évolution réelle des coûts de fonctionnement des EAJE
Tout en comprenant l’esprit de la réforme de la PSU de 2013, la rapporteure considère que celle-ci a entraîné de nombreuses dérives, sans pour autant atteindre son objectif principal, soit l’amélioration du taux d’occupation des crèches.
● Dès lors, elle propose de revenir à un financement forfaitaire des EAJE, à la demi-journée comme le recommandait le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) en 2023 ([235]). En parallèle, l’intégralité des financements complémentaires et des bonus aujourd’hui alloués par les Caf pour soutenir les dépenses de fonctionnement des EAJE devront être supprimés. Les moyens qui y étaient consacrés seront réattribués vers la nouvelle subvention forfaitaire de fonctionnement.
À l’instar du HCFEA, la rapporteure préconise d’initier cette réforme structurelle par une expérimentation pilotée par les Caf départementales, avec pour horizon une généralisation dans le cadre de la prochaine Cog. Cette expérimentation pourrait éventuellement reposer sur des modalités de calcul et d’attribution différentes afin de les « tester » dans des groupes de trois à quatre départements et d’en évaluer les bénéfices et les effets de bord.
En effet, le retour à un financement forfaitaire des EAJE pourrait entraîner la résurgence des dérives ayant conduit à sa suppression, et en particulier :
– le financement de places très faiblement occupées ;
– l’inadaptation de l’offre aux besoins réels des parents, ou l’exclusion des familles dont les besoins ne correspondent pas aux forfaits généralement privilégiés.
Il conviendra également de mesurer l’effet du retour à un financement forfaitaire sur le montant du reste à charge pour les familles et sur le maintien de places d’accueil occasionnel. À ce titre, le principe de la neutralisation des participations familiales, apport majeur de la PSU qui garantit l’égalité de traitement de tous les enfants quelle que soit la situation financière de leur famille, doit être maintenu.
Différents paramètres devront être éprouvés, avec pour objectif principal le financement réel de la qualité d’accueil et l’accessibilité de ce qui constitue désormais un service public pour toutes les familles, quelles que soient leurs ressources ou leur lieu de résidence. Ces estimations devront également établir l’effet des différents paramètres considérés sur les finances publiques.
Le retour à un financement forfaitaire des EAJE constitue une évolution structurelle majeure, qui devra être préparée par la Cnaf et la direction de la sécurité sociale, en lien avec les communes et les intercommunalités qu’il convient de replacer au centre du modèle économique des crèches. La rapporteure est consciente que la construction de cette réforme sera technique, et devra tenir compte de la fragilité du secteur, en évitant les « perdants », tout en garantissant un juste financement du fonctionnement des crèches.
Toutefois, la complexité actuelle du financement des EAJE, et notamment la multiplication des bonus et autres dispositifs forfaitaires visant à équilibrer un modèle économique déficitaire par nature, et dont les effets de bord sont nombreux et mal évalués, a également un coût. Il s’agit d’abord d’un coût humain, puisque l’optimisation du financement des crèches détourne les directeurs de structures des enjeux relatifs à la qualité de l’accueil. Il s’agit également d’un coût administratif, tant pour les gestionnaires de crèches que pour les Caf : les premiers doivent consacrer des moyens importants à la recherche de recettes – notamment en répondant à des appels à projets pour obtenir certains financements, ; les secondes doivent prévoir des moyens humains pour procéder à l’attribution des financements et au contrôle de leur bonne utilisation. Enfin, cette complexité a nécessairement un coût financier, qu’il est difficile d’estimer, mais qui résulte, notamment, de l’absence de vision consolidée et claire des moyens réellement alloués aux EAJE, et d’un pilotage de la dépense publique rendu quasiment impossible.
La rapporteure est convaincue que le retour à un financement forfaitaire tenant compte des coûts de fonctionnement réels de chaque EAJE, constituera une simplification salutaire du modèle économique des crèches, sans surcoûts exagérés pour les finances publiques, et en particulier pour la branche famille de la sécurité sociale.
Recommandation n° 46 : Mettre fin à la tarification à l’activité des crèches et rétablir un financement forfaitaire qui permette de réellement garantir l’équilibre économique des structures.
● Le rétablissement d’un financement forfaitaire, en lieu et place de la tarification à l’activité des EAJE et de tous les bonus complémentaires qui lui étaient associés, devra s’accompagner d’une augmentation considérable de la part des dépenses de fonctionnement ainsi couvertes.
En effet, alors qu’à ce jour la PSU ne permet même pas de couvrir 66 % du coût de revient d’un berceau, la rapporteure considère que la somme de la PSU forfaitaire et des participations familiales devra permettre de financer le minimum réglementaire en termes de qualité d’accueil, soit les dépenses de personnels correspondant aux taux d’encadrement en vigueur, les consommables (repas, couches, petit matériel de soins), ainsi que les éventuels surcoûts résultant de l’accueil d’enfants en situation de handicap. Les charges de fonctionnement restantes, soit les loyers, les fluides, le projet pédagogique de la structure, et éventuellement, le dépassement des normes minimales en matière de qualité d’accueil, en particulier le sur-encadrement, seront à la charge des communes ou des intercommunalités, lorsqu’elles sont compétentes. Dans ce cadre, il sera mis fin au tiers financement par les employeurs résultant de la réservation de berceaux.
Recommandation n° 47 : Garantir un financement forfaitaire au titre de la PSU et des participations familiales couvrant les coûts de fonctionnement des structures résultant de l’application stricte des normes réglementaires.
Selon les estimations de la rapporteure, les dépenses de personnels et les consommables représentent environ 80 % des coûts de fonctionnement d’une crèche, là où l’ensemble des financements versés par les Caf aux crèches PSU et les participations familiales représentent aujourd’hui en moyenne 60 à 70 % de leurs coûts de fonctionnement. Dès lors, le financement forfaitaire proposé par la rapporteure entraînera une augmentation d’au minimum 10 % des financements aujourd’hui versés par les Caf aux EAJE, soit entre 500 millions et 1 milliard d’euros supplémentaires, en tenant compte de l’intégration des micro-crèches aujourd’hui financées par la Paje au nouveau dispositif de financement PSU. Des projections financières plus précises devront néanmoins être réalisées par la Cnaf et la DSS pour estimer plus précisément ces surcoûts.
Néanmoins, si l’on tient compte des crédits non consommés par le Fonds national d’action sociale en 2023, à hauteur de 400 millions d’euros, et de la trajectoire financière excédentaire de la branche famille de la sécurité sociale, qui afficherait un solde de 1,7 milliard d’euros en 2027, il semblerait, en première analyse, que ce nouveau modèle de financement forfaitaire pourrait être financé sans difficultés majeures.
● Ce financement forfaitaire devra être indexé sur l’augmentation réelle des coûts de fonctionnement des structures. La nouvelle PSU forfaitaire devra donc évoluer à la hausse chaque année de manière automatique, sur la base d’une formule de révision assise sur la structure des dépenses financées par le forfait, soit les salaires et les consommables.
Recommandation n° 48 : Indexer annuellement le montant du financement forfaitaire sur l’augmentation réelle des coûts de fonctionnement, à l’aide d’une formule de révision assise sur la structure des dépenses financées par le forfait.
● Enfin, afin de répondre aux enjeux de trésorerie des établissements d’accueil du jeune enfant, les financements forfaitaires de la branche famille devront être versés à échéances plus régulières. Un versement trimestriel, sur la base des coûts de fonctionnement constatés l’année précédente permettrait de remédier aux difficultés de trésorerie mises en avant par de nombreuses crèches. Une régularisation des financements interviendrait lors de la clôture des comptes de l’année, avec éventuellement une déduction des trop-perçus des acomptes prévus pour l’exercice suivant, ou à l’inverse, le versement d’un complément de financement par la branche famille.
Recommandation n° 49 : Soulager la trésorerie des EAJE en instaurant un versement des financements de la Caf à échéances plus régulières.
2. Mettre à contribution les entreprises employeurs en créant une taxe affectée au profit des collectivités territoriales et en supprimant le crédit d’impôt famille et en mettant fin au mécanisme de réservation de berceaux par les entreprises
La rapporteure estime qu’il est nécessaire de supprimer le crédit d’impôt famille et la réservation de berceaux par les entreprises tout en maintenant le principe d’une participation des employeurs au financement des crèches. À ce titre, elle recommande d’instaurer une taxe affectée au bénéfice du bloc communal.
a. Mettre fin à la réservation de berceaux par les entreprises et supprimer le crédit d’impôt famille tout en maintenant le principe d’une participation des employeurs au financement des crèches
En 2004, les pouvoirs publics ont fait le choix de mettre à contribution les employeurs des parents de jeunes enfants, en créant le crédit d’impôt famille. Or, selon les informations recueillies par la rapporteure, le système de tiers réservataire ainsi mis en place en France fait figure d’exception en Europe, de par son ampleur. Dans les autres États, la participation des employeurs dans le cadre d’un système de réservation n’existe qu’à la marge, les crèches étant essentiellement financées par l’État ou les collectivités territoriales.
La réservation de berceaux constitue aujourd’hui l’un des piliers du financement des crèches en France, en particulier pour le secteur privé lucratif. Elle concerne tous types d’employeurs, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités territoriales, de même que les entreprises privées au bénéfice de leurs salariés. Seules les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, en tant qu’employeurs, bénéficient du crédit d’impôt famille, qui leur garantit une prise en charge par l’État de leurs dépenses en matière de réservation de berceaux, à hauteur de 50 %, auxquels s’ajoute le mécanisme de déduction des charges au titre de l’impôt sur les sociétés. Dès lors, elles ne contribuent en réalité au financement des crèches qu’à hauteur de 25 % du coût de réservation des places concernées. En revanche, l’État devient de fait un tiers financeur important des EAJE, à travers cette dépense fiscale.
La rapporteure considère que la participation des entreprises, en tant qu’employeurs de parents de jeunes enfants, au financement des crèches, est parfaitement justifiée. En effet, l’existence de modes d’accueil pour les jeunes enfants permet à leurs salariés de consacrer plus de temps à leur vie professionnelle, et favorise leur productivité. Ainsi, les crèches s’inscrivent dans un écosystème de services publics dont bénéficient les entreprises sur leur territoire d’implantation, à l’image des transports ou encore du secteur du logement.
Toutefois, la rapporteure estime que le mécanisme de réservation de berceaux par les entreprises et le dispositif du Cifam ne constituent pas une modalité adéquate pour organiser cette participation financière des entreprises au financement des EAJE, pour plusieurs raisons :
– d’abord, comme tout crédit d’impôt, il s’agit d’une dépense fiscale peu pilotable par les services de l’État : il est difficile d’en estimer le coût réel, et il est peu flexible, toute évolution créant de vives inquiétudes pour le secteur des crèches privées lucratives, dont le modèle économique dépend pour une grande part ;
– ensuite, il s’agit d’un dispositif très coûteux pour les finances publiques au regard de sa performance : l’effet de levier calculé par l’Igas et l’IGF avait été estimé à 1,5, ce qui signifie que pour un coût de plus de 200 millions d’euros par an pour les finances publiques, le Cifam génère à peine plus de 100 millions d’euros de dépenses additionnelles de la part des entreprises ;
– en outre, il génère des inégalités croissantes : à l’heure où les modes d’accueil du jeune enfant deviennent un véritable service public, il est de moins en moins acceptable que certaines familles puissent avoir accès à une place en crèche, parce que l’employeur de l’un des parents contribue à son financement, là où d’autres seraient exclues en raison de l’absence de tiers financeur. Pire encore, les travaux de la commission d’enquête ont mis en exergue le fait que certains employeurs assortissaient l’achat de berceaux pour les enfants de leur personnel à un droit de priorité, financé in fine en grande partie par des dépenses fiscales à la charge de l’État, conduisant les gestionnaires de crèches à mettre un terme à l’accueil d’un autre enfant ne bénéficiant pas de ce mécanisme ;
– enfin, il a eu un effet inflationniste sur le prix de réservation des berceaux, qui sont souvent achetés par les entreprises réservataires à un coût bien supérieur à celui facturé à la structure d’accueil, afin de financer des frais de commercialisation, voire des marges financières, grâce à 75 % de fonds publics.
Dès lors, à l’instar de l’Igas et de l’IGF ([236]), la rapporteure préconise elle aussi la suppression du Cifam dans le cadre de la prochaine Cog, en lien avec la suppression du mécanisme de réservation de berceaux par les employeurs. En effet, la stabilité des normes étant importante en matière fiscale, et afin de ne pas déstabiliser le secteur des crèches, aujourd’hui en tension, la disparition du Cifam devra être mise en œuvre en parallèle de la montée en puissance d’une autre source de financement.
Recommandation n° 50 : Supprimer le crédit d’impôt famille et mettre fin à la réservation de berceaux par l’employeur dans le cadre de la prochaine Cog.
b. Instaurer une taxe affectée au bénéfice du bloc communal afin de leur permettre d’assurer le tiers financement des crèches
La rapporteure souhaite replacer les communes et les intercommunalités comme unique tiers financeur, et comme unique porte d’accès à une place en crèche, dans le cadre de la PSU rénovée présentée supra. Pour ce faire, au regard des difficultés financières rencontrées par une partie des collectivités territoriales et de la suppression du Cifam préconisée, il convient de créer une nouvelle source de financement.
La rapporteure propose de conserver la philosophie qui a présidé à l’instauration du mécanisme de réservation de berceaux par l’employeur, soit la participation des entreprises aux dépenses engagées en faveur de l’accueil des jeunes enfants de leurs salariés, afin de favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Néanmoins, l’instauration d’une taxe affectée au bénéfice du bloc communal semble aujourd’hui plus appropriée qu’un crédit d’impôt pour concrétiser cette participation.
La rapporteure propose en conséquence de mettre en place un prélèvement « petite enfance » inspiré par les dispositifs de participation des employeurs à l’effort de construction (« 1 % logement »), dans le domaine du logement, et du « versement mobilité », dans le domaine des transports en commun. Cette taxe affectée répondrait à plusieurs principes, dont les paramètres précis devront être étudiés et évalués par les services ministériels, qui disposent de données et de capacités de projections économiques bien supérieures à celles du Parlement.
● Le prélèvement « petite enfance » reposerait sur la même assiette fiscale que le versement mobilité, soit l’ensemble des rémunérations versées par l’entreprise au cours de l’année précédente.
● Le taux applicable devra varier en fonction de la taille de l’entreprise, pour maintenir la répartition de l’effort résultant du Cifam. En effet, ce sont surtout les grandes entreprises qui recourent de manière importante au Cifam. Ainsi, trois taux pourraient être applicables :
– un taux minimal pour les entreprises de moins de 20 salariés (TPE) ;
– un taux intermédiaire pour les petites et moyennes entreprises dont l’effectif est compris entre 20 et 250 salariés (PME) ;
– un taux maximal pour les entreprises de plus de 250 salariés (entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises).
Le taux du prélèvement pourrait, par exemple, être fixé à 0,1 %. Selon les calculs réalisés par la rapporteure, qui ne constituent qu’une évaluation sommaire, le rendement de cette taxe affectée pourrait s’élever à 500 millions d’euros par an.
● Le produit de cette taxe sera affecté aux communes ou aux intercommunalités, en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance. Une péréquation devra être réalisée afin de :
– soutenir en priorité les collectivités territoriales qui devront engager des moyens financiers nouveaux ou supplémentaires au regard du nombre de places pour lesquelles elles devront naturellement jouer le rôle de tiers financeur sur le territoire ;
– accompagner les collectivités qui déploient une offre d’accueil nouvelle sur leur territoire, dans le cadre du service public de la petite enfance ;
– de manière moins prioritaire, appuyer les efforts des collectivités territoriales déjà fortement engagées en matière d’accueil du jeune enfant, puisqu’elles bénéficieront d’ores et déjà d’une diminution de leur reste à charge, sous l’effet de l’augmentation des financements de la branche famille dans le cadre de la PSU rénovée.
Il conviendra également de tenir compte des caractéristiques de chaque commune ou intercommunalité, en considérant notamment son potentiel fiscal et les revenus de ses habitants.
Recommandation n° 51 : Instaurer, sur les entreprises, un prélèvement « petite enfance » affecté aux communes et intercommunalités en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance, chargées du tiers financement des crèches.
3. Mettre fin au financement dérogatoire des micro-crèches
Le modèle économique des crèches est d’abord marqué par une inégalité de financement selon que l’on considère une crèche traditionnelle financée par la prestation de service unique (PSU), ou une micro-crèche financée indirectement par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) perçue par les parents. Ce financement dérogatoire n’a plus lieu d’être dans le cadre de la construction du service public de la petite enfance, car il génère des inégalités d’accès au EAJE en fonction des ressources des parents.
● En effet, les micro-crèches dites « Paje » sont, pour l’essentiel, financées par les participations familiales et, dans une moindre mesure, par les participations employeurs lorsque des entreprises ou des administrations publiques réservent des berceaux. Les familles bénéficient d’une prestation légale, le CMG « structure », perçu dans le cadre de la Paje, afin de soutenir financièrement leurs dépenses en matière d’accueil de leurs jeunes enfants, dans la limite de 85 % des frais supportés.
Le montant du CMG « structure » perçu par les parents est modulé en fonction d’un barème, composé de trois tranches, qui tient compte des revenus de la famille et du nombre d’enfants à charge. Ce barème génère d’importants effets de seuil pour les familles qui, pour quelques euros de revenus supplémentaires par mois peuvent toucher un CMG d’un montant diminué d’une centaine d’euros. Par ailleurs, il favorise les familles les plus aisées, dont le taux d’effort est moins important que les familles les plus modestes (voir supra).
● Au regard de ces différents éléments, la rapporteure considère qu’il n’y a pas lieu de maintenir le financement dérogatoire des micro-crèches, dont le modèle économique ne favorise pas l’égalité d’accès aux EAJE, malgré les efforts mis en œuvre par certains gestionnaires de micro-crèches pour proposer des tarifs adaptés aux familles modestes. Le taux d’effort des familles dont l’enfant est accueilli en micro-crèche est toujours nettement supérieur au taux d’effort des familles qui bénéficient d’un accueil au sein d’une crèche PSU.
La rapporteure préconise donc, à moyen terme, la suppression du financement des micro-crèches par le CMG « structure » et le basculement de l’ensemble de ces structures vers un financement par la PSU, largement remanié (voir Deuxième partie. I. B. 1.). Toutefois, une telle réforme ne peut s’envisager à court terme, car elle déstabiliserait fortement le secteur des micro-crèches, notamment lorsqu’elles relèvent d’un réseau indépendant des grandes entreprises de crèches.
La mission Igas-IGF relative au modèle économique des micro-crèches ([237]) recommande de procéder à cette généralisation en deux temps :
– d’abord, d’obliger le passage au financement PSU pour toute micro-crèche Paje dont le chiffre d’affaires de l’année précédente est constitué à plus de 34 % par de la réservation de berceaux, les employeurs constituant, dans ce cas, des tiers financeurs ;
– à terme, l’alignement de l’ensemble des micro-crèches Paje sur le modèle de la PSU. À ce titre, les deux inspections notent néanmoins : « en l’absence d’obligation de financement pour les collectivités territoriales, notamment les communes, la mission estime qu’imposer le passage sur le modèle de la PSU à toutes les micro-crèches Paje pourrait déstabiliser les structures existantes », et en particulier les micro-crèches indépendantes. La rapporteure partage ce constat. La généralisation du modèle PSU à l’ensemble des micro-crèches devra nécessairement s’accompagner d’une réforme de la PSU et d’une obligation de tiers financement par les communes, (et de l’extinction du système de réservation de berceaux par les employeurs).
Recommandation n° 52 : À moyen terme, mettre fin au financement dérogatoire des micro-crèches, en alignant leur modèle économique sur celui des crèches financées par la PSU, tout en rendant obligatoire le tiers financement communal.
● À plus court terme, dans l’attente de cet alignement des micro-crèches sur le régime des crèches financées par la PSU, la rapporteure préconise d’engager une réforme paramétrique du CMG « structure », en révisant ses modalités de calcul afin de le rendre moins inégalitaire. Elle recommande la mise en œuvre de l’un des quatre scénarios étudiés par l’Igas et l’IGF visant à lisser les effets de seuil du CMG « structure » et à rapprocher le montant de reste à charge de celui des autres modes d’accueil, grâce à une modulation en fonction du volume d’heures d’accueil facturées aux familles.
ScÉnarios de linÉarisation du CMG « structure » ÉtudiÉs
par la mission IGAS-IGF
Scénario |
Principaux avantages |
Principaux inconvénients |
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1 |
Linéarisation de la tranche 2 : – le montant de CMG pour les tranches 1 et 3 reste identique ; – le montant de la tranche 2 diminue de façon linéaire. |
Suppression des effets de seuil. |
● Ne corrige pas les principaux défauts du CMG dans sa forme actuelle. ● Pas de prise en compte du volume horaire ● Pas d’amélioration de la situation des ménages les plus modestes. |
2 |
Linéarisation de la tranche 2 avec augmentation du CMG versé à la tranche 1 : – montant rehaussé à 1000, 1200 ou 1400 euros pour la tranche 1 ; – le montant de la tranche 2 diminue de façon linéaire. – le montant reste inchangé pour la tranche 3. |
● Suppression des effets de seuil. ● Amélioration de la situation pour les ménages modestes. |
● Ne corrige pas les principaux défauts du CMG dans sa forme actuelle. ● Pas de prise en compte du volume horaire
|
3 |
Linéarisation du CMG avec prise en compte des heures et du revenu des ménages : – fixation d’un coût horaire moyen à 9,15 euros ; – pour la tranche 1, le montant du CMG horaire est fixé à 85 % du coût moyen ; – le montant de la tranche 2 diminue de façon linéaire ; – pour la tranche 3, le montant du CMG horaire est fixé à 50 % du coût moyen ; – le reste à charge minimum pour les familles est fixé à 15, 10, 5 ou 0 %.
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● Suppression des effets de seuil. ● Prise en compte du volume horaire. ● Réduction du reste à charge pour les ménages modestes pour des durées de garde plus longues. ● Limitation des effets inflationnistes du fait de la fixation d’un coût horaire moyen. |
● Nécessité de bien calibrer le coût horaire moyen. ● Selon le niveau de reste à charge minimum fixé, le reste à charge pourrait rester plus élevé pour les ménages modestes que dans les crèches PSU. ● En cas de réduction ou de suppression du reste à charge minimum, possible incitation à déclarer davantage d’heures pour les structures à un coût résiduel faible du fait d’une meilleure solvabilisation des familles les plus modestes. ● Au-delà du coût moyen, les hausses de tarifs seraient portées par les familles du fait de la non prise en compte du tarif qui leur est facturé. |
4 |
Linéarisation du CMG structure sur le modèle du CMG « emploi direct » avec prise en compte des heures : – prise en compte du taux d’effort appliqué pour le barème de la PSU ; – prix de référence fixé en lien avec les prix plafonds du barème de la PSU ; – Formule de calcul similaire à celle du CMG « emploi direct » |
● Suppression des effets de seuils. ● Prise en compte du volume horaire. ● Formule de calcul homogène avec celle du CMG « emploi direct ». ● Réduction du reste à charge pour les ménages modestes pour des durées de garde plus longues. |
● Effet inflationniste du fait de la prise en compte du tarif facturé aux familles qui pourrait être limité par des mécanismes d’encadrement des tarifs et volumes horaires. ● Possible incitation à déclarer davantage d’heures pour les structures à un coût résiduel faible du fait d’une meilleure solvabilisation des familles les plus modestes avec la suppression du reste à charge minimum. ● Moins favorable que le scénario n°3 pour les familles relevant de la tranche 2, en particulier sur des durées de garde plus longue. |
Source : Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
Selon les deux inspections, « les scénarios 1 et 2 ne permettent pas de répondre aux principaux inconvénients du CMG dans sa forme actuelle » alors que « la prise en compte du nombre d’heures (scénarios 3 et 4) devrait permettre de mieux adapter le montant de CMG versé aux besoins réels des familles, et de réduire les différences de reste à charge entre les ménages aisés et les ménages modestes ».
Elles alertent néanmoins sur l’éventuel effet inflationniste du scénario 4 pour les finances publiques, du fait de l’intégration du tarif facturé aux familles dans la formule de calcul, « ce qui pourrait inciter les gestionnaires à augmenter leurs tarifs pour se rapprocher du plafond de 10 € par heure ». Ce risque serait plus limité dans le scénario 3, en raison de « la fixation d’un montant remboursé, en euros, qui ne dépend pas du tarif réellement pratique ».
La rapporteure considère que le choix du scénario – éventuellement remanié – doit d’abord prendre en compte la temporalité de la réforme plus structurelle préconisée, soit la fin du modèle dérogatoire de financement des micro-crèches. En effet, si une telle évolution pouvait être envisagée à l’horizon 2027, il ne semble pas nécessaire d’engager une réforme approfondie du CMG « structure » et sa simple linéarisation, dans l’esprit des scénarios 1 et 2, permettrait d’en atténuer les effets de bord dans l’attente d’un mode de financement plus équitable. En revanche, si la généralisation de la PSU à l’ensemble des micro-crèches n’était pas envisageable d’ici l’élaboration de la prochaine Cog entre l’État et la Cnaf, alors une réforme plus importante du CMG devrait être mise en œuvre, selon les paramètres considérés par les scénarios 3 et 4 pour garantir l’accessibilité des micro-crèches à l’ensemble des familles.
En tout état de cause, ces décisions, quelles qu’elles soient, devront être annoncées rapidement afin de laisser aux acteurs du secteur le temps de s’adapter aux évolutions préconisées.
Recommandation n° 53 : À court terme, engager une réforme paramétrique du CMG « structure » afin de soutenir plus équitablement les familles dont l’enfant est accueilli en micro-crèche.
4. Replacer les communes et les intercommunalités au cœur du financement et de l’accès aux places en crèche, en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance
Les communes sont l’interlocuteur naturel et immédiat des familles. Aussi, les communes et les intercommunalités doivent être placées au cœur du financement des crèches : le bloc communal doit assurer le tiers financement des crèches, et les communes et les intercommunalités doivent se positionner comme le guichet unique d’accès à des solutions d’accueil du jeune enfant.
a. Positionner les communes et les intercommunalités comme le guichet unique d’accès à des solutions d’accueil du jeune enfant
Dans le cadre de la montée en puissance du service public de la petite enfance, dont les communes et les intercommunalités seront les autorités organisatrices, la question de l’égalité d’accès aux solutions d’accueil sera centrale.
Or, le modèle économique des crèches actuel génère des inégalités importantes, notamment en raison du système de réservation de berceaux, qui tend à bénéficier en premier lieu aux salariés de grandes entreprises et aux agents publics. De plus, la commercialisation des berceaux a un coût pour les finances publiques : le prix payé par l’employeur ne correspond pas nécessaire au montant perçu par la structure d’accueil, car il comprend également la marge financière de l’intermédiaire, qui est prise en charge à hauteur de 75 % par un mécanisme de dépense fiscale.
La rapporteure estime qu’il est nécessaire de mettre fin aux réservations de berceaux, au bénéfice d’un service public plus universel. Les communes et les intercommunalités, en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance, seront les garantes de l’égalité d’accès aux solutions d’accueil.
Recommandation n° 54 : Mettre fin au système de réservation de berceaux en crèches, source d’inégalités entre les familles.
Les parents doivent en effet pouvoir trouver la solution d’accueil la plus pertinente au regard de leurs besoins et de leur rythme de vie, en tenant compte de leur commune de résidence, mais aussi de leur lieu de travail. En règle générale, les parents préfèrent disposer d’une crèche proche de leur domicile, plutôt que proche de leur lieu de travail. Toutefois, il peut être intéressant pour eux que la crèche soit située sur leur trajet quotidien entre le domicile et le travail. Dès lors, il n’est pas toujours nécessaire qu’elle se trouve dans leur commune de résidence, en particulier lorsque les familles habitent et travaillent dans deux départements différents, comme c’est souvent le cas dans les grandes aires urbaines.
La rapporteure propose la mise en place d’une plateforme nationale publique, gérée par la Cnaf, dans laquelle les familles pourront recenser leurs demandes de solutions d’accueil – en priorisant les communes qui correspondent le plus à leurs besoins et à leur rythme de vie. Les demandes seront ensuite transmises aux communes ou aux intercommunalités en charge du service public de la petite enfance, qui attribueront les places en crèches selon des critères définis localement. La mise en place d’une telle plateforme a d’autant plus de sens, en termes d’articulation des politiques publiques, que les communes s’engagent déjà sur la question de l’accueil périscolaire des enfants jusqu’à la fin du cycle élémentaire.
En effet, la rapporteure souhaite maintenir de la souplesse dans le dispositif, en permettant aux communes, dans le cadre des commissions d’attribution des places, de définir leurs priorités, au regard des caractéristiques propres aux territoires d’implantation de leurs crèches. Ainsi, si dans certains quartiers ou zones d’activités, elles privilégieront les jeunes enfants dont les deux parents travaillent à temps plein, dans d’autres, elles pourront faire le choix de donner la priorité aux familles monoparentales et aux parents isolés en recherche d’emploi, afin de soutenir leur insertion sociale et professionnelle. La rapporteure préconise qu’une attention particulière soit portée aux enfants issues de familles monoparentales et aux enfants des agents de la fonction publique soumis à des mutations géographiques pour nécessité de service, afin de neutraliser au mieux l’effet de ces situations sur le parcours de leurs jeunes enfants.
Recommandation n° 55 : Instaurer une plateforme nationale de recensement des demandes de places en crèches, permettant aux familles d’établir un ordre de préférence, tout en laissant aux communes la compétence en matière d’attribution des places, en fonction de priorités principalement fixées au niveau local.
b. Assurer le tiers financement des crèches par le bloc communal au travers d’une contractualisation pluriannuelle avec les gestionnaires
Les moyens nouveaux dont bénéficieront les communes et les intercommunalités grâce au prélèvement « petite enfance » devront s’accompagner de nouvelles obligations pour ces collectivités : elles devront assurer le pilotage et le cofinancement de l’ensemble des crèches implantées sur leur territoire, quel que soit le statut juridique du gestionnaire.
À ce titre, la rapporteure préconise de mettre en place des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), à l’instar de ceux conclus entre les conseils départementaux et les gestionnaires d’établissements ou de services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), dans le domaine du grand âge ou du handicap. Les CPOM contiennent des objectifs de performance et de qualité du service proposé aux personnes accompagnées, et prévoient les financements publics qui y sont associés. Ils permettent aux autorités publiques compétentes de piloter l’offre sur leur territoire et de contrôler le respect des engagements pris par leur co-contractant, tout en offrant au co-contractant une vision pluriannuelle sur les moyens dont il bénéficiera pour financer le service.
Ainsi, tout gestionnaire de crèche – associatif comme privé lucratif – devra contractualiser avec la commune sur le territoire de laquelle il est implanté, en vue de bénéficier de son tiers financement pour les coûts restant à sa charge après perception des versements de la branche famille de la sécurité sociale. Les établissements gérés en régie ou en délégation de service public continueront également à être financés par le bloc communal.
Ce tiers financement de la part du bloc communal, soutenu par l’instauration du prélèvement « petite enfance », devra s’accompagner d’un contrôle du respect de ses obligations par le gestionnaire de crèche, en particulier en matière de qualité d’accueil. L’autorité organisatrice du service public de la petite enfance devra ainsi s’assurer du respect des normes réglementaires minimales, mais également des autres engagements éventuels pris par le gestionnaire et formalisés au sein du CPOM.
Cette nouvelle modalité de gouvernance du secteur de la petite enfance devrait permettre :
– de définir les spécificités et les attendus du service en termes de qualité d’accueil (projet pédagogique par exemple) ainsi que les moyens budgétaires et humains qui permettront de les atteindre ;
– de mieux réguler l’offre d’accueil sur chaque territoire, en évitant notamment l’implantation de micro-crèches dans des territoires déjà suffisamment pourvus.
– de décliner sur chaque territoire les objectifs de créations de places d’accueil prévus par les schémas départementaux des services aux familles et par les conventions territoriales globales.
Recommandation n° 56 : Assurer le tiers financement des crèches par le bloc communal dans le cadre de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM).
* *
II. mettre en place les modalitÉs de gouvernance et les outils nÉcessaires au pilotage de la politique d’accueil du jeune enfant dans le cadre de la mise en place du service public de la petite enfance
La politique publique d’accueil des enfants au sein des EAJE fait l’objet d’une gouvernance complexe et d’un pilotage incertain, qui favorisent les disparités territoriales et la dégradation de la qualité d’accueil. Dans le cadre de la construction du service public de la petite enfance, une clarification des modalités de gouvernance du secteur s’impose avec une place centrale donnée aux communes et aux intercommunalités.
A. clarifier les modalités de gouvernance du service public de la petite enfance en donnant toute leur place aux communes et aux intercommunalités
Dans le cadre du service public de la petite enfance, les communes et les intercommunalités devront jouer un rôle central en faveur du maintien et du développement de l’offre d’accueil sur leur territoire. Les Caf, les PMI et les services de l’État interviendront en amont, pour soutenir les projets, et en aval, pour contrôler la qualité d’accueil et le bon usage des moyens alloués aux EAJE.
1. Le rôle central des communes et des intercommunalités dans le maintien et le développement de l’offre d’accueil sur leur territoire
L’article 17 de la loi pour le plein-emploi positionne la commune, ou le cas échéant l’intercommunalité, comme l’autorité organisatrice du service public de la petite enfance, afin de maintenir et de développer de l’offre d’accueil sur leur territoire. Suite aux travaux de la commission d’enquête, la rapporteure considère que les communes doivent reprendre leur rôle historique de tiers financeur, grâce à de nouveaux financements dédiés, et assurer une mission d’accès aux solutions d’accueil du jeune enfant et de régulation sur le secteur des crèches.
● La commune, ou l’intercommunalité, doit, comme évoqué supra, redevenir le seul et unique tiers financeur des crèches, quel que soit leur statut juridique – public, associatif ou privé lucratif. Elle devra dès lors financer le reste à charge pour le gestionnaire, après la perception des financements des familles et de la Caf, qui couvriront l’essentiel des dépenses de fonctionnement. Pour ce faire, elles devront bénéficier d’une nouvelle source de financement, grâce au prélèvement « petite enfance » préconisé par la rapporteure.
Le bloc communal sera notamment chargé de l’immobilier et de l’entretien des locaux des EAJE, et pourra également faire le choix d’un développement de la qualité d’accueil au-delà des normes réglementaires minimales. Cette nouvelle répartition du financement, qui redonnera aux communes et aux intercommunalités leur place historique en matière d’accueil du jeune enfant, est cohérente avec leur rôle d’autorités organisatrices du service public de la petite enfance.
● La rapporteure estime qu’il n’y a pas, par essence, une répartition idéale de cette compétence entre les communes et les intercommunalités. L’exercice ou le transfert de la compétence « petite enfance » est liée à des choix historiques, financiers et organisationnels qui s’analysent territoire par territoire.
Néanmoins, le niveau intercommunal présente plusieurs avantages, qui doivent être pris en considération pour la construction du service public de la petite enfance, et notamment en matière de mutualisation des moyens :
– en réponse à la pénurie de professionnels et aux difficultés de recrutement et de remplacement, des pools de « personnels volants » peuvent être constitués au niveau intercommunal afin de garantir la continuité du service public dans l’ensemble des communes, notamment en cas d’arrêt maladie ou de rupture du contrat d’un professionnel dans les crèches municipales ;
– de nombreuses intercommunalités ont également créé des services juridiques et des services de développement territorial mutualisés, qui accompagnent les communes, afin de faciliter la recherche de subventions, de disposer des ressources nécessaires pour répondre aux difficultés juridiques qui sont parfois soulevées, ou encore pour apporter un appui aux communes en matière de commande publique, notamment pour la passation de délégations de service public.
De plus, sur certains territoires présentant une faible densité démographique, il est plus opportun d’installer une structure d’accueil et un guichet unique des solutions d’accueil au niveau intercommunal.
Dès lors, sans imposer le transfert de la compétence « petite enfance », les liens entre la commune qui l’exerce et l’intercommunalité à laquelle elle appartient doivent faire l’objet d’une réflexion favorisant les économies d’échelle et la continuité du service public.
Recommandation n° 57 : Favoriser la mutualisation de ressources au niveau intercommunal pour assurer la continuité du service public de la petite enfance et réaliser des économies d’échelle.
● À cet égard, une clarification de la répartition des compétences entre les communes et les intercommunalités apparaît nécessaire. En effet, l’article 17 de la loi pour le plein-emploi prévoit que « les communes sont les autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant », mais que les établissements publics de coopération intercommunale ou les syndicats mixtes peuvent mettre en œuvre, en tout ou partie, les compétences des autorités organisatrices.
En conséquence, le rôle des intercommunalités n’est pas encore clairement défini, puisque le texte ne semble pas exclure qu’elles exercent les compétences d’autorité organisatrice, tout en instituant la commune comme seule autorité organisatrice. En l’état, des conflits de compétences pourraient apparaître, et éventuellement conduire à une remise en cause des organisations territoriales souples qui se sont constituées au fil du temps. Intercommunalités de France s’inquiète notamment des transferts de compétences qui devraient être de nouveau formalisés par des délibérations des conseils municipaux, alors même que l’intercommunalité exerce déjà la compétence « petite enfance ».
Les décrets d’application de la loi pour le plein-emploi devront prévoir que lorsque la compétence facultative « petite enfance » avait déjà été transférée à l’intercommunalité, celle-ci reste compétente pour tout le champ de la compétence communale obligatoire, sauf délibérations contraires des communes membres.
Recommandation n° 58 : Clarifier la répartition des compétences entre la commune et l’intercommunalité en matière d’organisation du service public de la petite enfance afin de ne pas remettre en cause les équilibres existants.
En outre, les communes et les intercommunalités devront pleinement jouer le rôle de guichet unique du service public de la petite enfance, dans le cadre des commissions d’attribution des places en crèches, mais aussi en orientant les parents vers les solutions alternatives à l’accueil en EAJE. La plateforme nationale gérée par la Cnaf préconisée supra constituera à ce titre un outil particulièrement adéquat pour permettre aux collectivités d’exercer ces missions.
Enfin, la rapporteure estime qu’en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance, les communes et les intercommunalités devront assurer le suivi et l’accompagnement au quotidien des EAJE dont elles assureront le cofinancement, conjointement avec les services des Caf et des PMI, qui en demeurent les acteurs privilégiés, mais non plus exclusifs.
Recommandation n° 59 : Permettre à l’autorité organisatrice de la politique d’accueil collectif du jeune enfant d’assurer le suivi et l’accompagnement sur les EAJE de son territoire, en parallèle des compétences de contrôle des Caf et des PMI.
2. Le rôle d’appui des Caf et des PMI pour le financement et le contrôle des crèches
Dans le cadre de la gouvernance du service public de la petite enfance, les Caf doivent exercer un contrôle financier, bâtimentaire et administratif des crèches tandis que les PMI doivent accompagner et contrôler la qualité d’accueil proposée au sein des EAJE.
Cependant, pour garantir l’égalité devant le service public de la petite enfance, la rapporteure souligne qu’il est nécessaire que ces services unifient leurs pratiques et mettent fin aux pratiques extrêmement hétérogènes qu’elle a pu constater en fonction des départements.
En ce qui concerne les Caf, comme évoqué supra, elles devront prendre en charge le contrôle administratif et bâtimentaire des EAJE, en plus des contrôles financiers qu’elles exercent déjà. Elles continueront par ailleurs de financer les EAJE, grâce aux financements nationaux. Toutefois, il revient à la Cnaf de continuer les efforts d’harmonisation des pratiques, en laissant moins de marge discrétionnaire aux conseils d’administration locaux des Caf. En particulier, les relations historiques qu’ont pu entretenir certaines Caf avec certaines collectivités de leur ressort ne doivent plus conduire à des inégalités de financement. En revanche, la situation particulière de chaque commune doit continuer à être prise en compte, notamment en ce qui concerne l’investissement immobilier, et une marge d’appréciation doit être maintenue en faveur des Caf, pour leur permettre d’attribuer des financements en lien avec les disparités locales constatées, dans le cadre d’un référentiel national.
S’agissant des services de PMI, l’harmonisation des pratiques sera plus difficile dans la mesure où ils sont dépendants des priorités politiques décidées par chaque conseil départemental. Néanmoins, l’élaboration progressive d’une réglementation nationale et de guides de contrôle devrait favoriser une uniformisation du contenu et des modalités de contrôle.
Recommandation n° 60 : Favoriser l’uniformisation des pratiques des Caf et des PMI afin de garantir l’égalité devant le service public de la petite enfance.
3. Institutionnaliser des instances locales de gouvernance afin d’assurer un pilotage convergent et cohérent de la politique publique de la petite enfance
Pour disposer d’un pilotage convergent et cohérent de la politique publique de la petite enfance, la rapporteure estime qu’il est nécessaire d’institutionnaliser des instances de gouvernance locale de la petite enfance.
À cet égard, les comités départementaux des services aux familles semblent constituer une instance tout à fait pertinente. Prévus à l’article L. 214‑5 du code de l’action sociale et des familles, ces comités, installés à l’échelle départementale correspondent à des instances de réflexion, de conseil, de proposition et de suivi concernant toutes les questions relatives à l’organisation, au fonctionnement, au maintien et au développement des services aux familles ainsi qu’au suivi des améliorations de la qualité.
Ils établissent un schéma départemental des services aux familles pluriannuel qui a notamment pour objet d’évaluer l’offre et les besoins territoriaux en matière de services aux familles et leurs actions permettent de concevoir et de suivre la mise en œuvre de ce schéma départemental. Ils sont présidés par le représentant de l’État dans le département accompagné, en tant que vice-présidents, par le président du conseil départemental, un représentant des communes et intercommunalités du département et le président du conseil d’administration de la Caf.
Les premiers comités départementaux des services aux familles sont installés depuis le 1er mars 2022. Cependant, selon les informations communiquées par l’Association des maires de France à la rapporteure, 40 % des comités départementaux des services aux familles n’auraient pas encore été constitués et, lorsqu’ils ont effectivement été installés, leur fonctionnement serait très hétérogène.
La rapporteure considère que ces instances ont vocation à devenir l’organe local de pilotage et de coordination de la politique d’accueil du jeune enfant sur l’ensemble du territoire. Elle souhaite qu’ils puissent être rapidement tous installés, et que les préfets assurent pleinement leur rôle de tutelle, pour que ces comités puissent suivre la construction du service public de la petite enfance et piloter le développement de l’offre d’accueil, l’amélioration de la qualité d’accueil, la rénovation du financement.
Recommandation n° 61 : Constituer à court terme les comités départementaux des services aux familles, qui devront suivre la construction du service public de la petite enfance et piloter la politique d’accueil sur l’ensemble du territoire.
4. Le pilotage national de la politique d’accueil du jeune enfant par la Cnaf et les services du ministère en charge de la famille
Le pilotage de la politique d’accueil du jeune enfant doit être plus clairement animé par la Cnaf et les services du ministère en charge de la famille.
a. La caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), tête de réseau et principal financeur des crèches
Compte tenu de la place centrale de la Cnaf dans la gouvernance de la politique publique d’accueil collectif des jeunes enfants, il lui revient de mieux piloter son réseau et d’accentuer les efforts réalisés en matière d’harmonisation des pratiques (voir supra), afin d’assurer l’égalité de tous devant le service public de la petite enfance.
Par ailleurs, une meilleure transparence de son activité devrait être organisée. Ainsi, une plus grande publicité des données statistiques dont dispose la Cnaf sur l’accueil des jeunes enfants devrait être mise en œuvre. À l’heure actuelle, les travaux de la commission d’enquête ont mis en évidence le fait que les informations sont dispersées dans de trop nombreuses publications.
Compte tenu des enjeux stratégiques relatifs aux missions de la Cnaf et de l’importance des moyens budgétaires alloués aux crèches par la branche famille, la rapporteure préconise que les représentants de la Cnaf rendent plus précisément et plus souvent compte de l’activité de la branche au Parlement, et notamment en ce qui concerne l’accueil du jeune enfant.
Ainsi, elle recommande que, sur une base annuelle également, la Cnaf remette au Parlement une synthèse des modifications normatives intervenues par l’intermédiaire de circulaires ou d’instructions internes au réseau des Caf, ainsi que le montant total des aides allouées par les Caf aux EAJE en précisant la ventilation en fonction du type de dépenses. Il serait également souhaitable que ce rapport comprenne des données consolidées, sur la base des budgets communaux, sur les moyens affectés aux politiques d’accueil du jeune enfant. Ce rapport pourrait, par exemple, être présenté annuellement devant la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale et les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Recommandation n° 62 : Organiser la remise, par la Cnaf, d’un rapport annuel présenté à la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, informant le Parlement des modifications normatives intervenues au sein de son réseau, ainsi que du montant total des aides allouées par les Caf aux EAJE et les modifications envisagées.
b. Les services centraux du ministère en charge de la famille
Les services du ministère en charge de la famille doivent renforcer leur tutelle sur la Cnaf et poursuivre leur rôle d’impulsion politique pour l’adoption de nouvelles mesures.
Or, la rapporteure a pu constater, au cours de ses travaux, que la tutelle de la direction de la sécurité sociale (DSS) et de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) semble parfois peu effective, comme l’illustrent les différentes de pratiques entre les Caf qui se sont développées, ou encore le refus, dans un premier temps, du conseil d’administration de la Cnaf, d’acter la création du bonus « attractivité ». Or, l’application des mesures prévues par la Cog ne saurait être laissée à la seule appréciation du conseil d’administration de la Cnaf. Un renforcement de la transparence des débats et des décisions qui y sont prises serait ainsi souhaitable.
B. S’assurer de l’existence d’outils permettant réellement le pilotage de la politique d’accueil du jeune enfant
Le pilotage de l’accueil collectif des jeunes enfants ne saurait se faire à une échelle seulement nationale, mais doit être calibré au plus proche des territoires, pour répondre aux besoins qui y sont exprimés. Aussi, la rapporteure propose de recenser de manière régulière, au niveau départemental, le nombre de solutions d’accueil (les places en crèches mais aussi chez les assistantes maternelles par exemple) et le nombre de professionnels de la petite enfance manquants, en lien avec les besoins exprimés par les familles.
1. Recenser, au niveau départemental et national, le nombre de places en crèches et le nombre de professionnels manquants, en lien avec les besoins exprimés par les familles et les gestionnaires de structures
Tant au niveau national que départemental, doivent être recensés et rendus publics, d’une part le nombre de places de crèches gelées ou devant être créées et, d’autre part, le nombre de professionnels manquants. Une telle cartographie pourrait par ailleurs s’avérer utile pour mettre en place une plateforme de réservation de places de crèches au niveau national.
a. Cartographier les besoins en termes de places de crèches
Dans le cadre du service public de la petite enfance, et afin d’estimer les besoins de création de solutions d’accueil, il convient de cartographier au niveau local le nombre de places en crèches, à l’aune à la fois du nombre de places existantes mais actuellement gelées, et du nombre de places manquantes, ainsi que le nombre de places d’accueil disponibles chez les assistantes maternelles. La rapporteure estime qu’il n’est pas possible de construire le service public de la petite enfance sans disposer de ces données précises : une vision d’ensemble sur l’ensemble du secteur de l’accueil du jeune enfant est donc nécessaire. Elle propose donc que ces informations soient rendues publiques, de manière exhaustive, dans les meilleurs délais, puis annuellement, par la Cnaf.
Recommandation n° 63 : Instaurer à court terme une publication annuelle par la Cnaf du nombre total de places en crèches gelées et manquantes sur l’ensemble du territoire, et par département.
b. Recenser les besoins en professionnels de la petite enfance
De la même manière, afin que les régions puissent créer les filières de formation nécessaires au regard des besoins du secteur de la petite enfance, il convient de recenser, à l’échelle départementale, le nombre de professionnels manquants.
i. Estimer le nombre de professionnels manquants à l’échelle nationale et départementale
Actuellement, bien qu’aucun organisme n’ait de compétence officielle en la matière, la Cnaf est la plus à même de réaliser, au niveau national, des enquêtes estimant le nombre de professionnels manquants au sein des EAJE. Aussi, la rapporteure préconise de lui confier officiellement cette mission par voie législative ou réglementaire.
Recommandation n° 64 : Confier à la Cnaf la mission de recenser annuellement le nombre de personnels manquants dans les EAJE à l’échelle nationale.
Pour cela, la Cnaf pourra s’appuyer sur son réseau de Caf, mais aussi sur les comités départementaux de services aux familles, qui, à leur échelle, pourront réaliser cette cartographie, en distinguant les niveaux de qualifications.
Recommandation n° 65 : Demander à chaque Caf d’établir une cartographie des besoins en professionnels au sein des EAJE de son ressort territorial.
ii. Ouvrir les places de formations nécessaires à l’échelle régionale
Dresser une cartographie du manque de professionnels à la fois au niveau national et départemental permettrait, au niveau régional, d’adapter le nombre de places de formation à financer pour créer des filières de la petite enfance correspondant aux besoins recensés.
La rapporteure estime que, compte tenu de leur compétence en matière de formation professionnelle, les régions doivent constituer l’échelon pertinent pour établir le nombre de places de formation à ouvrir sur le fondement de la cartographie établie par chaque Caf départementale des professionnels manquants.
Recommandation n° 66 : Réaliser, au niveau régional, un schéma pluriannuel d’adaptation des formations dans le secteur de la petite enfance au besoin de professionnels constaté sur le territoire.
2. Mettre en place une évaluation régulière de la réglementation applicable aux crèches et de leurs modes de financement
Dans le cadre des travaux de la commission d’enquête, la rapporteure a été marquée par le manque d’informations publiques et facilement accessibles sur le modèle économique des crèches. Alors même que la Cnaf et les services ministériels ont pu lui communiquer, à sa demande, un grand nombre de données chiffrées, ces dernières ne sont pas diffusées plus largement, et en particulier aux parlementaires qui ont pourtant un rôle de contrôle des politiques publiques. Par ailleurs, si la rapporteure a pu s’appuyer sur de nombreux rapports parus au cours des trois dernières années, elle constate qu’avant 2021, le secteur des crèches n’avait fait l’objet que de très peu d’évaluations.
Un changement de paradigme s’impose : il convient en effet de mettre en place une culture de la transparence, afin de rassurer les familles, légitimement inquiètes suite à la médiatisation de nombreux cas de maltraitances, et une culture de l’évaluation, afin de s’assurer que les financements publics alloués au secteur de la petite enfance permettent réellement d’atteindre les objectifs fixés, qu’ils soient quantitatifs ou qualitatifs.
a. Garantir une meilleure information du Parlement en créant une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale relative à l’effort de la Nation en faveur de la politique d’accueil du jeune enfant
La rapporteure, lors de ses travaux, a constaté que les annexes budgétaires du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ne permettaient pas de connaître précisément le montant prévisionnel des dépenses en faveur de l’accueil du jeune enfant pour l’année à venir, de même que le montant des dépenses réalisées les années précédentes. Or, ces informations sont nécessaires pour le bon exercice, par le Parlement, de sa mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
Par ailleurs, lorsqu’il existe des données relatives au volume des moyens budgétaires consacrés à l’accueil des jeunes enfants, elles ne distinguent généralement pas les différents modes d’accueil. Or, au regard de la recomposition du secteur à l’œuvre actuellement, avec la diminution du nombre de places d’accueil chez les assistantes maternelles et les objectifs de créations de places en crèches, il semble d’autant plus nécessaire pour le Parlement, de disposer de données précises et à jour concernant le financement des modes d’accueil. À ce titre, la rapporteure souhaiterait tout particulièrement que les comptes de résultats du Fonds national d’action sociale soient publiés, afin que les parlementaires puissent connaître le détail des financements alloués aux structures d’accueil du jeune enfant.
Toutefois, dans la mesure où la branche famille n’est pas le seul financeur public des crèches, il est également important pour le Parlement de disposer d’une vision d’ensemble sur les montants agrégés des financements publics alloués aux modes d’accueil du jeune enfant, en intégrant les dépenses de la branche famille, de l’État, et des collectivités territoriales. À ce titre, la rapporteure préconise de créer une nouvelle annexe budgétaire au PLFSS relative aux dépenses de la branche famille et à l’effort de la Nation en faveur de la politique d’accueil des jeunes enfants, à l’image de l’annexe VII relative aux dépenses de la branche autonomie et à l’effort de la Nation en faveur de l’autonomie, déjà existante.
Une telle annexe permettrait de connaître, dans le détail, les dépenses de la branche famille en faveur de la politique d’accueil du jeune enfant, mais aussi l’ensemble des dépenses publiques, et en particulier les efforts financiers des collectivités territoriales. Une telle source d’information apparaît indispensable dans le contexte de la construction du service public de la petite enfance, et ce d’autant plus que l’on exige du bloc communal un tiers financement renouvelé.
Recommandation n° 67 : Créer une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale relative aux dépenses de la branche famille et à l’effort de la Nation en faveur de la politique d’accueil des jeunes enfants.
b. Évaluer, à échéances régulières, le coût de fonctionnement des crèches et l’efficacité des financements publics en faveur de l’accueil des jeunes enfants
Les travaux de la commission d’enquête ont montré qu’aujourd’hui, il existait une déconnexion entre les coûts de fonctionnement des crèches, les financements publics qui leur sont alloués, et les objectifs assignés à la politique d’accueil du jeune enfant.
En effet, alors même qu’un tournant s’est progressivement opéré pour redonner une place majeure de la qualité d’accueil des enfants au sein des structures, les financements publics sont encore trop dirigés vers l’amélioration du taux d’occupation des structures et la création de nouvelles places d’accueil, sans pour autant couvrir leurs coûts de fonctionnement réels.
À ce titre, la rapporteure recommande la création et la mise en place de différents indicateurs permettant de mesurer l’évolution des coûts dans le secteur et de vérifier la cohérence des financements publics avec les objectifs assignés à cette politique publique.
● D’abord, comme avait pu le recommander l’Igas en 2023, une étude approfondie sur le coût de la qualité d’accueil apparaît nécessaire. Il s’agirait d’identifier des tranches de prix cibles pour chaque catégorie de coûts – dépenses de personnels, achats, et recours aux services extérieurs, en particulier. La part de chaque catégorie de dépenses devra également être estimée. Une telle étude pourrait permettre d’aboutir à un indice public du coût de la qualité, qui devra nécessairement prendre en compte les caractéristiques des territoires d’implantation des crèches : comme évoqué supra, les coûts de fonctionnement d’une crèche située en Ile-de-France ou dans une grande métropole sont bien plus élevés que ceux d’une crèche située en milieu rural ou en Outre-mer.
Un tel indice présenterait plusieurs avantages :
– du point de vue des organismes de contrôle, une connaissance plus fine des coûts réels de fonctionnement des crèches permettrait de « mieux repérer les atypies dans les comptes des établissements » ([238]), notamment le recours excessif au travail intérimaire ou des frais de commercialisation (dans l’attente de la suppression du système de réservation de berceaux) et de siège trop élevés. Des alertes informatiques automatisées pourraient, sur la base de l’analyse des comptes de résultat de chaque EAJE, conduire les Caf à demander aux gestionnaires des crèches concernées des explications sur ces anomalies, pour vérifier qu’elles étaient justifiées, ou non ;
– du point de vue des gestionnaires de crèches, l’estimation du coût réel de la qualité d’accueil, au regard des caractéristiques du territoire d’implantation de leur structure, permettrait de s’assurer que les financements de la branche famille, dans le cadre de la PSU rénovée proposée par la rapporteure, correspondent réellement aux dépenses engagées pour proposer la qualité d’accueil minimale exigible au regard des normes réglementaires. Là aussi, des alertes informatiques automatisées pourraient permettre de signaler aux agents des Caf le sous-financement éventuel d’un établissement, afin que ces derniers interviennent pour comprendre et, le cas échéant, rectifier la situation.
Recommandation n° 68 : Réaliser une étude sur le coût réel de la qualité d’accueil au sein des crèches, en tenant compte des caractéristiques principales des structures, afin d’élaborer un indice public du coût de la qualité qui permettrait aux Caf d’identifier les anomalies dans les comptes de résultat des gestionnaires de crèches (sous-financement ou financement de dépenses sans lien avec les normes réglementaires minimales).
● La rapporteure préconise également la publication des nombreuses données relatives aux modes d’accueil du jeune enfant, éventuellement sous la forme d’un « tableau de bord » régulièrement mis à jour, et plus exhaustif que le rapport annuel de l’Observatoire national de la petite enfance.
Il s’agirait notamment d’indiquer, à échéance régulière, le nombre de places d’accueil existantes, en distinguant les différents modes d’accueil, ainsi que le taux de couverture du territoire national, et celui du territoire de chaque autorité organisatrice du service public de la petite enfance.
Des indicateurs relatifs à la qualité de l’accueil proposé devraient également être publiés, afin de valoriser les bonnes pratiques et de renforcer la confiance. Ils devront faire l’objet d’un accord entre les différents acteurs du secteur de la petite enfance, mais pourront notamment porter sur le taux d’encadrement moyen constaté, le nombre de contrôles réalisés par les services de PMI, et le nombre de fermetures d’établissements demandées et mises en œuvre. Il semble également nécessaire, afin de rassurer les familles, de rendre public le nombre de signalements reçus annuellement par chaque PMI, et d’indiquer les suites qui y ont été données.
Ce « tableau de bord » pourrait également intégrer des indicateurs relatifs au nombre de professionnels de la petite enfance et aux places éventuellement gelées faute de personnel, mais aussi des informations relatives à leurs niveaux de rémunérations et à leurs conditions de travail, afin d’objectiver les raisons de la pénurie, et de pouvoir constater une amélioration le cas échéant. Un travail en ce sens pourrait être initié par le Comité de filière « Petite enfance ».
Recommandation n° 69 : Élaborer un « tableau de bord » de l’accueil du jeune enfant, régulièrement mis en ligne, et intégrant des éléments d’informations détaillés et actualisés relatifs à l’ensemble des indicateurs applicables au secteur de la petite enfance.
● Enfin, la rapporteure considère qu’il est nécessaire de faire la transparence sur les critères d’attribution des financements en investissement ou en fonctionnement alloués par les Caf, en particulier lorsqu’elles sont financées sur fonds locaux. En effet, si l’enquête réalisée par la rapporteure auprès des Caf n’a pas permis d’identifier des pratiques manifestement problématiques, et même si le nouveau modèle économique proposé a vocation à réduire le champ de ces subventions particulières, les disparités constatées et dénoncées lors de ses travaux la conduisent à préconiser une publication, par les Caf, des motifs, très souvent tout à fait pertinents, ayant conduit à l’attribution d’une subvention, afin de permettre aux différents gestionnaires de structure de mieux en comprendre la philosophie, et d’engager un recours en cas d’abus.
Par ailleurs, à terme, ces subventions d’investissement devront être attribuées non pas aux gestionnaires des crèches, mais aux communes et intercommunalités qui pilotent le service public de la petite enfance et qui prendront en charge les coûts relatifs aux locaux des crèches.
Recommandation n° 70 : Publier les critères d’attribution des financements en investissement et en fonctionnement alloués par chaque Caf, pour faire la transparence sur les différences de pratiques constatées d’un département à l’autre.
C. Repenser la politique d’accueil du jeune enfant en crÉant des alternatives À l’accueil en crÈche
L’amélioration de la qualité d’accueil au sein des EAJE et les mesures d’attractivité professionnelle préconisées ont vocation, à moyen terme, à assécher la pénurie de professionnels et à redynamiser la trajectoire de création de places en crèches. Néanmoins, la rapporteure a conscience, qu’au moins dans un premier temps, et même si des mesures relatives à l’attractivité du secteur et à la formation des professionnels devront être mises en œuvre au préalable, le rehaussement des taux d’encadrement risque certainement d’empêcher la création de places supplémentaires. Elle rappelle dès lors que le parcours du jeune enfant doit être pensé par les pouvoirs publics de façon globale et entend proposer des alternatives à l’accueil en EAJE afin de diminuer la demande, toujours dans la perspective d’une prise en compte des besoins fondamentaux du jeune enfant.
1. Une réforme de la qualité qui profitera de la natalité réduite mais qui contribuera, à moyen terme, à la relancer
Selon une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined), le nombre de naissances diminue de manière continue depuis treize ans. En 2023, 678 000 enfants sont nés, soit autour de 150 000 de moins qu’en 2010. ([239]) Selon le bilan démographique 2023 de l’Insee, le nombre de naissances en 2023 est ainsi inférieur de 6,6 % par rapport à 2022 et près de 20 % de moins qu’en 2010, année du dernier pic de naissances. L’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit ainsi à 1,68 enfant par femme en 2023, après 1,79 en 2022. Depuis la seconde guerre mondiale, cet indicateur n’a jamais été aussi faible, hormis deux exceptions en 1993 et 1994 ([240]).
La rapporteure estime ainsi que ce moindre dynamisme démographique sera de nature à réduire, à court terme, les tensions pesant sur la création de places en EAJE dans les prochaines années.
En revanche, à moyen terme, elle considère que la dynamique créée par la réforme de la qualité d’accueil dans les crèches est à même de contribuer à relancer la dynamique démographique de la France. En effet, les difficultés rencontrées par les parents pour trouver une solution d’accueil satisfaisante pour leur enfant jusqu’à sa scolarisation constituent l’un des facteurs qui participent à faire reculer la concrétisation du désir d’enfant chez les couples. Aussi, poser les bases d’un accueil de qualité, garantir l’égalité d’accès des enfants à ces solutions d’accueil, et créer des conditions économiques sécurisantes pour garantir l’existant et relancer une dynamique de création de places, sont des éléments essentiels de la politique de relance de la démographie dans notre pays.
2. Revoir les modalités des congés parentaux à la suite d’une naissance
La rapporteure estime que non seulement le congé maternité, mais aussi les congés parentaux dans leur ensemble, doivent faire l’objet d’une refonte destinée à ce que les nouveaux parents soient davantage en mesure, s’ils le souhaitent, de s’occuper eux-mêmes de leur enfant durant la première année de sa vie. Une telle évolution permettra de réduire le besoin de solutions d’accueil pour les très jeunes enfants, et surtout de répondre pleinement à leurs besoins fondamentaux.
a. L’allongement des congés au bénéfice des parents permet de garantir le bien-être des enfants et de réduire la pression sur les places en crèches
Il ressort des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête que le fait pour l’enfant de rester auprès de ses parents pendant les premiers mois de sa vie permet de créer un cercle de sécurité au bénéfice de l’enfant. En effet, en vertu de la théorie de l’attachement, le premier besoin de l’enfant qui naît au monde est de nouer une relation de confiance avec une ou plusieurs personnes qui s’occupent de lui, à savoir, essentiellement, ses parents.
Aussi, le rapport rendu dans le cadre de la commission des « 1 000 premiers jours » rappelle que les bébés ont besoin de voir leurs parents sur des temps suffisamment longs dans la journée, qui ne doivent donc pas se limiter aux repas et aux changes. Boris Cyrulnik relève notamment dans ce rapport qu’un enfant accueilli en crèche de manière trop précoce et pour un nombre d’heures trop important peut développer des troubles du comportement, notamment lorsque l’accueil est de mauvaise qualité.
Or, comme le rappellent les députées Michèle Peyron et Isabelle Santiago, dans leur rapport d’information relatif aux perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches ([241]), « nous sommes collectivement maltraitants sur le sujet, car les règles d’indemnisation ne permettent pas toujours aux parents de faire le choix de rester auprès de leur enfant la première année, et qu’il y a par ailleurs une forte pression sociale et sociétale au retour rapide à l’emploi », la société s’étant « calée sur un modèle qui ne permet pas le bon développement de l’enfant au regard de ses besoins fondamentaux ».
La fondatrice et déléguée générale de l’association Ensemble pour la petite enfance et membre de la commission des « 1 000 premiers jours », Nathalie Casso-Vicarini, auditionnée dans le cadre de la commission d’enquête, rappelait ainsi que « dans les autres pays européens, l’âge moyen d’entrée à la crèche se situe entre six mois et un an, et plus d’un an dans les pays membres de l’Unesco », ce qui rend la situation de la France, qui accueille les enfants à partir de 10 semaines, assez singulière au regard de la précocité de l’accueil.
Christine Schuhl, lors de son audition devant la commission d’enquête, a également fait valoir que « c’est à partir de l’âge de 18 mois que l’enfant se tourne vers le groupe. Il ne sert donc à rien de mettre un enfant en crèche à l’âge de 3 mois dans l’espoir de le socialiser ! Il lui faut d’abord du temps pour apprendre à faire la distinction entre lui et le monde extérieur. La socialisation ne commence que vers un an, un an et demi. Si l’on en conclut qu’il faut réserver les crèches aux enfants de cet âge, alors il faut allonger la durée du congé parental et le revaloriser, pour faire en sorte que les très jeunes enfants soient moins nombreux en collectivité ».
La rapporteure partage ces préoccupations et considère que les règles relatives aux congés parentaux suite à une naissance doivent évoluer pour permettre aux parents qui le souhaitent de passer davantage de temps auprès de leur enfant. La rapporteure tient à insister sur le fait qu’un renforcement de ces congés ne doit nullement conduire à une obligation pour les parents d’y recourir, mais de leur en donner le choix.
S’il n’apparaît pas pertinent de réserver l’accueil en crèche aux enfants de plus d’un an, dans la mesure où il appartient bien aux parents de choisir la solution la plus adaptée à la cellule familiale, la rapporteure constate la nécessité de faire évoluer les congés parentaux qui font suite à une naissance, afin de permettre aux parents qui le souhaitent de passer davantage de temps avec leur enfant à un moment clé de la construction de la relation parent-enfant et en cohérence avec les besoins de l’enfant.
b. La nécessaire refonte des congés dont bénéficient les parents à la suite d’une naissance
Les congés dont disposent les parents à la suite de la naissance d’un enfant doivent être revus dans leur ensemble pour permettre aux parents qui le souhaitent de s’occuper eux-mêmes davantage de temps auprès de leur enfant la première année de sa vie, qu’il s’agisse du congé maternité, du congé paternité ou du second parent, ou du congé parental d’éducation.
La rapporteure propose des modifications permettant un allongement de la durée du congé maternité.
Le congé maternité, mis en place en 1980, est d’une durée de 16 semaines pour les deux premiers enfants et de 26 semaines à compter du troisième enfant. Il se divise en deux périodes : d’une part, la période prénatale de 6 semaines et, d’autre part, le congé postnatal, de 10 semaines ([242]). Durant ce congé, les femmes bénéficient de revenus de remplacement qui diffèrent selon les régimes applicables.
La rapporteure soutient la mesure annoncée par le gouvernement en faveur d’un allongement du congé maternité de deux semaines supplémentaires pendant la période post-natale pour atteindre trois mois complets après la naissance, pour la première et la deuxième grossesses.
Recommandation n° 71 : Allonger de deux semaines le congé maternité post-natal pour atteindre 12 semaines après la naissance pour la première et la deuxième grossesse.
Cette démarche s’inscrit dans la continuité des efforts réalisés en faveur du congé paternité ou du second parent. Créé en 2001 ([243]), il a été réformé à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 ([244]). Initialement d’une durée 11 jours consécutifs à la naissance de l’enfant, en plus des 3 jours d’absence autorisés par l’entreprise lorsque le second parent est salarié, il atteint désormais 28 jours, dont 7 obligatoires. Les modalités d’indemnisation sont identiques à celles du congé maternité.
c. Le congé parental d’éducation
Le congé parental d’éducation, créé en 1977 ([245]), permet à chaque salarié, à la suite de la naissance ou de l’adoption d’un enfant de moins de 16 ans, d’interrompre momentanément son activité professionnelle pour s’en occuper. Il peut être accordé à l’un ou à l’autre des parents assurant la charge de l’enfant, ou aux deux parents simultanément. Dans le secteur privé, il dure un an et peut être renouvelé deux fois, tandis que dans la fonction publique, il est accordé par périodes de deux à six mois renouvelables.
La loi ne prévoit pas le maintien de la rémunération pendant le congé parental, mais une aide financière qui peut être versée aux parents à travers la PreParE, créée en 2014 ([246]). Au total, le congé parental d’éducation peut durer jusqu’à trois ans, mais n’est indemnisé qu’à hauteur de 428,71 euros par mois pendant six mois maximum pour chaque parent. Or, les chiffres de l’Observatoire français de la conjoncture économique, mis en lumière dans un article du quotidien Le Monde, révèlent une non-utilisation prononcée de ce congé. En effet, 1 % des pères prennent effectivement un congé parental à temps plein après la naissance de leur enfant (alors que la réforme de 2015 ambitionnait de relever ce taux à 25 %). Ainsi, le taux de recours des pères au congé parental est de 0,8 % pour un congé à temps plein et de près de 14 % pour les mères ([247]). Ces chiffres plaident, estime la rapporteure, pour une refonte des modalités du congé parental pour en permettre une utilisation plus répandue.
Les congés parentaux en Allemagne et en Autriche : un fort niveau d’indemnisation limitant les besoins en places de crèches
En Allemagne, l’Elterngeld est une allocation parentale mise en place en 2007 pour relancer la natalité. Elle peut être versée jusqu’aux douze premiers mois de l’enfant ou jusqu’à ses quatorze mois si les deux parents la partagent, pour inciter les pères à y avoir recours. Les parents peuvent toucher 65 % de leur revenu net précédent le congé, avec un montant minimum de 300 euros par mois et un montant maximum de 1 800 euros. En moyenne, 42 % des parents bénéficient de cette prestation en Allemagne.
En Autriche, le congé parental est indemnisé à hauteur de 80 % du salaire et jusqu’aux douze mois de l’enfant.
La rapporteure estime ainsi qu’il est nécessaire de modifier également les règles du congé parental afin qu’à la fois l’intérêt supérieur de l’enfant puisse être satisfait au sein du « cocon familial », et que celui-ci donne réellement aux parents le choix de rester auprès de leur enfant pendant ses premiers mois de vie sans qu’une perte de revenus en résultant soit prohibitive. Une telle mesure permettrait par ailleurs de réduire les besoins de places en crèches, puisque les très jeunes enfants y seraient beaucoup moins accueillis.
Lors de leur audition devant la commission d’enquête parlementaire, la ministre du travail, de la santé et des solidarités Catherine Vautrin a annoncé la refonte du congé parental, qui deviendrait le « congé de naissance » : il s’agirait d’une indemnité journalière, pour un montant de 50 % du revenu brut. Ce congé, cumulable avec une reprise progressive d’activité, serait d’une durée de trois mois pour chacun des parents, soit potentiellement six mois au total. La rapporteure soutient une telle refonte du congé parental.
Recommandation n° 72 : Transformer le congé parental en congé de naissance rémunéré sur la base d’une indemnité journalière pour un montant de 50 % du revenu brut d’une durée de trois mois pour chacun des parents.
La ministre Catherine Vautrin a par ailleurs évoqué la possibilité de recourir à ce congé à temps partiel, pour permettre une reprise progressive de l’emploi sans séparation brutale vis-à-vis de l’enfant, proposition que la rapporteure estime particulièrement intéressante, dans la mesure où elle offre une solution supplémentaire aux parents tout en permettant de créer un lien d’attachement dont l’enfant a besoin.
3. La préscolarisation des enfants à partir de 2 ans
Jusqu’au tournant des années 2000, 35 % des enfants entre 2 et 3 ans étaient scolarisés. La préscolarisation des enfants a ensuite été considérablement réduite par les pouvoirs publics, en raison d’une volonté de réduire le nombre de postes d’enseignants au sein de l’éducation nationale Ainsi, à partir de 2010, le nombre d’enfants de moins de 3 ans scolarisés s’établissait autour de 11 %. La scolarisation précoce des enfants a ensuite été relancée à compter de 2016.
L’article L. 113-1 du code de l’éducation prévoit la possibilité d’une scolarisation des enfants dès l’âge de deux ans « dans des conditions éducatives et pédagogiques adaptées à leur âge visant leur développement moteur, sensoriel et cognitif » ; elle est organisée « en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d’outre-mer ».
L’entrée précoce à l’école maternelle, dès deux ans alors, que la scolarisation commence normalement à l’âge de trois ans, peut être bénéfique pour l’enfant, en fonction de son degré de maturité. De ce fait, la préscolarisation, si elle ne doit surtout pas être automatisée ou standardisée, peut constituer une solution intéressante pour l’enfant, en lui permettant d’être accueilli dans une structure scolaire dans des conditions qui répondent à ses besoins et selon un rythme adapté. La scolarisation précoce des enfants de deux ans, en ce qu’elle favorise un accueil socialisant accessible à tous, permet d’agir pour l’égalité des chances dès le plus jeune âge.
Lors de son audition devant la commission d’enquête, la ministre déléguée en charge des familles Sarah El Haïry soulignait qu’il ne faut se priver d’aucune solution, et que la préscolarisation peut constituer un outil intéressant dans le cadre du service public de la petite enfance.
La rapporteure estime effectivement qu’il faut soutenir davantage la dynamique de préscolarisation. Toutefois, celle-ci doit se faire au cas par cas, avec l’aval des parents, en concertation avec les communes, les professionnels de la petite enfance et de l’éducation nationale – notamment le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN). Il convient de tenir compte de la maturité de chaque enfant, et donc de privilégier un accueil échelonné tout au long de l’année. À cet égard, la rapporteure souligne que cela implique que les classes de petite section de maternelle soient constituées, en début d’année, sur la base d’effectifs qui permettent l’intégration progressive des enfants de moins de 3 ans en cours d’année.
Recommandation n° 73 : Soutenir la politique de préscolarisation des enfants pour favoriser leur socialisation.
Recommandation n° 1 : Mettre fin à la possibilité, pour les micro-crèches, de désigner un référent technique en lieu et place d’un directeur de structure
Recommandation n° 2 : Rendre obligatoire, au sein des micro-crèches, l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire en mesure de répondre à la diversité des besoins exprimés par les jeunes enfants.
Recommandation n° 3 : Aligner les exigences relatives aux diplômes du personnel des micro-crèches sur celles applicables à l’ensemble des EAJE.
Recommandation n° 4 : Assurer, de manière immédiate, la présence minimale de deux professionnels de la petite enfance dans les crèches, à tout moment de la journée.
Recommandation n° 5 : Dans le cadre de la prochaine Cog entre l’État et la Cnaf, en 2027, cibler un taux d’encadrement d’un professionnel pour cinq enfants, qu’ils marchent ou non, et à plus long terme, viser un taux d’encadrement d’un professionnel pour quatre enfants.
Recommandation n° 6 : Limiter, dans le cadre de la prochaine Cog, en 2027, la taille des sections au sein des EAJE à 15 enfants maximum, puis, à terme, à 12 enfants.
Recommandation n° 7 : Calculer le taux d’encadrement au niveau des sections/groupes d’enfants et non au niveau de l’établissement.
Recommandation n° 8 : Assurer le respect du principe de référence en garantissant aux enfants la présence des mêmes professionnels au sein de leur unité de vie.
Recommandation n° 9 : Rétablir un ratio d’encadrement obligatoire des enfants supérieur ou égal à 50 % par des puéricultrices, des éducateurs de jeunes enfants, des infirmières ou psychomotriciens diplômés d’État dans le cadre de la prochaine Cog, en 2027, et, à plus long terme, relever ce taux à 60 %.
Recommandation n° 10 : À court terme, allonger le délai à l’issue duquel, faute d’avoir obtenu des candidatures à une offre vacante d’emploi, un EAJE est autorisé à recruter du personnel non diplômé de trois semaines à deux mois. À l’horizon 2027, revenir sur la possibilité de recruter, à titre exceptionnel, du personnel non diplômé au sein des EAJE.
Recommandation n° 11 : Mettre en place une carte professionnelle pour les professionnels des crèches.
Recommandation n° 12 : Rendre obligatoire, lors des contrôles exercés par les services de PMI, l’organisation d’un entretien individuel avec chaque personnel de la structure, en l’absence de leur hiérarchie.
Recommandation n° 13 : Intégrer, dans la grille de contrôle des services de PMI sur les EAJE, un critère relatif à la vérification du respect du principe de référence en vertu duquel chaque unité de vie au sein d’un EAJE doit, par principe, toujours avoir les mêmes personnels référents.
Recommandation n° 14 : Intégrer, dans la grille de contrôle des services de PMI sur les EAJE, l’existence et la mise à jour régulière d’un livret de suivi des enfants.
Recommandation n° 15 : Questionner la standardisation des pratiques (heures de repas, heures de coucher) pour limiter les « douces violences » dans le quotidien des enfants.
Recommandation n° 16 : Confier aux Caf, en parallèle du contrôle financier qu’elles réalisent sur les EAJE, les contrôles bâtimentaires et administratifs jusqu’alors effectués par les PMI, dès lors qu’ils ne nécessitent pas l’intervention d’un professionnel de la petite enfance ou d’un professionnel médical.
Recommandation n° 17 : Étendre les missions des Caf en généralisant l’expérimentation initiée en Haute-Savoie entre les Caf et les PMI pour le contrôle des crèches.
Recommandation n° 18 : Rendre obligatoire, à court terme, pour chaque service de PMI, l’établissement d’un plan de contrôle annuel des EAJE du territoire, selon une fréquence identique pour toutes les structures, sans distinction selon leur statut juridique.
Recommandation n° 19 : Garantir, à court terme, un contrôle de tous les EAJE du territoire français par les services de PMI a minima tous les trois ans, en vue de la prochaine Cog, en 2027.
Recommandation n° 20 : Généraliser, à court terme, les contrôles inopinés comme modalité de droit commun d’exercice des contrôles des services de PMI.
Recommandation n° 21 : Mettre en œuvre une vérification, par les services déconcentrés de l’État, de l’activité des services de PMI en matière de contrôle des crèches, notamment de leur fréquence et de l’égalité de traitement entre les structures.
Recommandation n° 22 : Permettre aux services déconcentrés de l’État de se substituer aux PMI en cas de lacunes persistantes constatées en matière de contrôle des crèches.
Recommandation n° 23 : Appliquer le régime de sanctions prévu par la loi pour le plein-emploi, après instruction des alertes portant sur le fonctionnement des EAJE, en donnant la priorité à la sécurité physique et psychique des enfants.
Recommandation n° 24 : Initier, au sein du Comité de filière « petite enfance », une réflexion sur la question de la réduction, voire de l’unification, des conventions collectives applicables au secteur de la petite enfance.
Recommandation n° 25 : Encourager les communes à affecter, en priorité, des logements sociaux aux personnels occupant des postes opérationnels au sein des crèches.
Recommandation n° 26 : Lancer, à court terme, une campagne nationale de communication sur les métiers de la petite enfance afin de cibler les profils adaptés et motivés tout en informant de manière complète et réaliste sur ce qu’ils recouvrent et sur les enjeux qui y sont liés.
Recommandation n° 27 : Engager une concertation nationale, associant les syndicats des personnels et les représentants des employeurs, au sein du Comité de filière « petite enfance », afin d’établir une liste des risques professionnels physiques et psycho-sociaux auxquels sont exposés les professionnels des crèches, et d’élaborer des mesures de prévention communément partagées.
Recommandation n° 28 : Intégrer l’ergonomie des équipements et la prévention des risques professionnels au sein du référentiel bâtimentaire applicable aux crèches.
Recommandation n° 29 : Instaurer une formation obligatoire et régulière des professionnels de la petite enfance à la prévention des risques professionnels, et en particulier des risques musculo-squelettiques.
Recommandation n° 30 : Réviser le contenu de la formation prodiguée dans le cadre du CAP « Petite enfance » pour y intégrer des enseignements plus ambitieux en termes de connaissances théoriques des besoins des jeunes enfants, en lien avec les dernières avancées scientifiques.
Recommandation n° 31 : Instaurer une formation continue, régulière et obligatoire, au bénéfice des personnels des crèches, afin de mettre à jour leurs connaissances et leurs pratiques en matière d’accueil du jeune enfant.
Recommandation n° 32 : Utiliser la carte professionnelle des professionnels de la petite enfance pour vérifier la réalisation des heures de formation continue obligatoires.
Recommandation n° 33 : Rendre obligatoire la formation des gestionnaires d’EAJE aux spécificités de l’accueil des jeunes enfants, au travers de l’obtention, a minima, d’un CAP « Petite enfance ».
Recommandation n° 34 : Garantir l’organisation régulière de temps d’analyse des pratiques professionnelles entre les personnels des crèches, en les intégrant aux critères de qualité contenus dans les grilles de contrôle des PMI.
Recommandation n° 35 : Institutionnaliser, dans le cadre de la prochaine Cog, des temps d’échange, voire des formations communes, entre les personnels encadrants et les professionnels au contact direct des enfants au sein des EAJE.
Recommandation n° 36 : Diversifier les profils des professionnels recrutés en donnant une part plus importante aux professions issues de la filière éducative et sociale, et en développant des formations incluant des enseignements portant à la fois sur les aspects pédagogiques et sur les aspects sanitaires.
Recommandation n° 37 : Rééquilibrer l’ensemble des formations octroyant un diplôme dans le champ de la petite enfance, quel qu’en soit le niveau, pour tendre à ce que les enseignements pratiques et théoriques représentent chacun respectivement 50 % des enseignements totaux.
Recommandation n° 38 : Généraliser, dans toutes les formations donnant accès à des professions susceptibles d’être exercées en EAJE, la réalisation de stages à échéances régulières, dont un stage d’une durée minimale de six mois.
Recommandation n° 39 : Interdire la compensation entre les notations obtenues lors de stages pratiques et les notes obtenues dans les enseignements théoriques de telle sorte que l’obtention d’un diplôme dans le champ de la petite enfance soit conditionnée au bon déroulement des stages effectués.
Recommandation n° 40 : Interdire, au 1er janvier 2027, tout nouveau recrutement de professionnel qui serait diplômé d’une formation intervenue dans le champ de la petite enfance dont les enseignements auraient exclusivement ou majoritairement été dispensés en ligne.
Recommandation n° 41 : Développer et favoriser l’alternance au sein des formations donnant accès aux métiers de la petite enfance.
Recommandation n° 42 : Mettre en place un socle commun de connaissances et de pratiques à tous les métiers de la petite enfance dans le cadre de la formation initiale.
Recommandation n° 43 : Créer des passerelles plus dynamiques entre les différents métiers relatifs à l’accueil des jeunes enfants.
Recommandation n° 44 : Engager une concertation, sous l’égide du comité de filière, concernant l’opportunité d’élargir le champ du tronc commun de formation à l’ensemble du secteur du soin et de l’accueil des personnes vulnérables.
Recommandation n° 45 : Créer des places de formation dans le secteur de la petite enfance, en lien avec les régions, en particulier pour les métiers d’auxiliaire de puériculture et d’éducateur de jeunes enfants, sur la base d’un diagnostic territorial des besoins.
Recommandation n° 46 : Mettre fin à la tarification à l’activité des crèches et rétablir un financement forfaitaire qui permette de réellement garantir l’équilibre économique des structures.
Recommandation n° 47 : Garantir un financement forfaitaire au titre de la PSU et des participations familiales couvrant les coûts de fonctionnement des structures résultant de l’application stricte des normes réglementaires.
Recommandation n° 48 : Indexer annuellement le montant du financement forfaitaire sur l’augmentation réelle des coûts de fonctionnement, à l’aide d’une formule de révision assise sur la structure des dépenses financées par le forfait.
Recommandation n° 49 : Soulager la trésorerie des EAJE en instaurant un versement des financements de la Caf à échéances plus régulières.
Recommandation n° 50 : Supprimer le crédit d’impôt famille et mettre fin à la réservation de berceaux par l’employeur dans le cadre de la prochaine Cog.
Recommandation n° 51 : Instaurer, sur les entreprises, un prélèvement « petite enfance » affecté aux communes et intercommunalités en tant qu’autorités organisatrices du service public de la petite enfance, chargées du tiers financement des crèches.
Recommandation n° 52 : À moyen terme, mettre fin au financement dérogatoire des micro-crèches, en alignant leur modèle économique sur celui des crèches financées par la PSU, tout en rendant obligatoire le tiers financement communal.
Recommandation n° 53 : À court terme, engager une réforme paramétrique du CMG « structure » afin de soutenir plus équitablement les familles dont l’enfant est accueilli en micro-crèche.
Recommandation n° 54 : Mettre fin au système de réservation de berceaux en crèches, source d’inégalités entre les familles.
Recommandation n° 55 : Instaurer une plateforme nationale de recensement des demandes de places en crèches, permettant aux familles d’établir un ordre de préférence, tout en laissant aux communes la compétence en matière d’attribution des places, en fonction de priorités principalement fixées au niveau local.
Recommandation n° 56 : Assurer le tiers financement des crèches par le bloc communal dans le cadre de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM).
Recommandation n° 57 : Favoriser la mutualisation de ressources au niveau intercommunal pour assurer la continuité du service public de la petite enfance et réaliser des économies d’échelle.
Recommandation n° 58 : Clarifier la répartition des compétences entre la commune et l’intercommunalité en matière d’organisation du service public de la petite enfance afin de ne pas remettre en cause les équilibres existants.
Recommandation n° 59 : Permettre à l’autorité organisatrice de la politique d’accueil collectif du jeune enfant d’assurer le suivi et l’accompagnement sur les EAJE de son territoire, en parallèle des compétences de contrôle des Caf et des PMI.
Recommandation n° 60 : Favoriser l’uniformisation des pratiques des Caf et des PMI afin de garantir l’égalité devant le service public de la petite enfance.
Recommandation n° 61 : Constituer à court terme les comités départementaux des services aux familles, qui devront suivre la construction du service public de la petite enfance et piloter la politique d’accueil sur l’ensemble du territoire.
Recommandation n° 62 : Organiser la remise, par la Cnaf, d’un rapport annuel présenté à la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, informant le Parlement des modifications normatives intervenues au sein de son réseau, ainsi que du montant total des aides allouées par les Caf aux EAJE et les modifications envisagées.
Recommandation n° 63 : Instaurer à court terme une publication annuelle par la Cnaf du nombre total de places en crèches gelées et manquantes sur l’ensemble du territoire, et par département.
Recommandation n° 64 : Confier à la Cnaf la mission de recenser annuellement le nombre de personnels manquants dans les EAJE à l’échelle nationale.
Recommandation n° 65 : Demander à chaque Caf d’établir une cartographie des besoins en professionnels au sein des EAJE de son ressort territorial.
Recommandation n° 66 : Réaliser, au niveau régional, un schéma pluriannuel d’adaptation des formations dans le secteur de la petite enfance au besoin de professionnels constaté sur le territoire.
Recommandation n° 67 : Créer une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale relative aux dépenses de la branche famille et à l’effort de la Nation en faveur de la politique d’accueil des jeunes enfants.
Recommandation n° 68 : Réaliser une étude sur le coût réel de la qualité d’accueil au sein des crèches, en tenant compte des caractéristiques principales des structures, afin d’élaborer un indice public du coût de la qualité qui permettrait aux Caf d’identifier les anomalies dans les comptes de résultat des gestionnaires de crèches (sous-financement ou financement de dépenses sans lien avec les normes réglementaires minimales).
Recommandation n° 69 : Élaborer un « tableau de bord » de l’accueil du jeune enfant, régulièrement mis en ligne, et intégrant des éléments d’informations détaillés et actualisés relatifs à l’ensemble des indicateurs applicables au secteur de la petite enfance.
Recommandation n° 70 : Publier les critères d’attribution des financements en investissement et en fonctionnement alloués par chaque Caf, pour faire la transparence sur les différences de pratiques constatées d’un département à l’autre.
Recommandation n° 71 : Allonger de deux semaines le congé maternité post-natal pour atteindre 12 semaines après la naissance pour la première et la deuxième grossesse.
Recommandation n° 72 : Transformer le congé parental en congé de naissance rémunéré sur la base d’une indemnité journalière pour un montant de 50 % du revenu brut d’une durée de trois mois pour chacun des parents.
Recommandation n° 73 : Soutenir la politique de préscolarisation des enfants pour favoriser leur socialisation.
Au cours de sa réunion du lundi 27 mai 2024, la commission d’enquête a procédé, à huis clos, à l’examen du projet de rapport.
M. le président Thibault Bazin. Cette dernière réunion de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements est consacrée à l’examen du projet de rapport et au vote sur son adoption.
La commission d’enquête a été créée le 28 novembre 2023. La réunion constitutive s’est tenue le 13 décembre suivant, mais les travaux n’ont réellement débuté qu’en janvier 2024. Entre le 24 janvier et le 30 avril, nous avons procédé à cinquante-quatre auditions et tables rondes représentant environ soixante-douze heures de réunion. Nous avons essayé d’entendre le maximum de personnes possible dans les délais qui nous étaient impartis. Les personnes qui n’ont pas pu être entendues ont été invitées à transmettre des contributions écrites à la rapporteure.
Je m’étais engagé, au début du mois de janvier, devant le bureau de la commission, à adapter le programme des auditions au fil de nos travaux. C’est ce que nous avons fait, notamment en organisant l’audition des fondateurs des grands groupes de crèches privés et des fonds d’investissement qui les financent.
La rapporteure et moi-même avons passé une semaine sur le terrain, d’abord en Meurthe-et-Moselle, puis dans le Rhône, pour rencontrer les caisses d’allocations familiales (CAF), les services de la protection maternelle et infantile (PMI) et les élus locaux, et pour visiter des structures aux statuts divers. Je sais que plusieurs d’entre vous ont fait de même au cours des derniers mois. Je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête qui se sont investis dans nos travaux, à commencer par la rapporteure et l’équipe d’administrateurs qui nous a accompagnés pour ce travail dense et fourni.
Nous entendrons d’abord la rapporteure exposer les grandes lignes du rapport, que certains d’entre vous ont consulté la semaine dernière, et ses conclusions. Nous entendrons ensuite les membres de la commission qui souhaiteront s’exprimer. À l’issue de cette séquence, la rapporteure pourra apporter les réponses et les précisions qu’elle jugera nécessaires. Enfin, nous passerons au vote sur l’adoption du projet de rapport.
En cas d’adoption, l’article 144-2 du règlement dispose que « le rapport […] est remis au Président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. » Pour respecter ce délai, compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que le lundi 3 juin. Dans l’intervalle, aucune communication des conclusions du rapport et du contenu non public de nos travaux ne doit être faite.
En cas de rejet, le projet de rapport n’est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l'article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. » Dans l’un et l’autre cas, il vous sera demandé à la fin de la réunion de remettre aux administrateurs les exemplaires qui vous ont été distribués.
Avant de céder la parole à la rapporteure, je souhaite faire deux remarques. La première est que le secteur a fait l’objet, ces dernières années, de nombreux travaux, études et rapports – je pense en particulier à celui de la Cour des comptes, dont la publication est attendue après les Jeux olympiques. Ces réflexions ont nourri les nôtres. La commission d’enquête les a cristallisées en vue d’aboutir à un meilleur pilotage du secteur dans son ensemble, tant il est vrai que privé et public sont aujourd’hui entremêlés.
La deuxième remarque est que, parallèlement aux auditions, la rapporteure a collecté de nombreuses informations, qui n’ont pas toujours été faciles à obtenir. Je pense notamment au questionnaire adressé aux CAF, pour lequel la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a souhaité centraliser les réponses. Je pense aussi au questionnaire que les représentants des départements ont diffusé aux PMI en nous prévenant qu’il y aurait peu de retours, comme si c’était peine perdue ; pourtant, le taux de réponse satisfaisant des PMI a montré qu’il y avait une attente. Je pense enfin à certaines auditions durant lesquelles il a fallu s’y prendre à plusieurs reprises pour obtenir des réponses qui ne venaient pas spontanément, notamment de la part de l’ancien président de People & Baby.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous arrivons au terme des travaux de la commission d’enquête, qui ont été très denses. Je me félicite de la qualité de nos échanges et de l’atmosphère studieuse, cordiale et coopérative qui a entouré nos débats, y compris entre les députés de l’opposition et ceux de la majorité. Vous n’y êtes pas étranger, monsieur le président : vous avez dirigé cette commission d’enquête avec impartialité, sérieux et une grande ouverture d’esprit vis-à-vis de tous les groupes politiques, et vous nous avez placés dans les meilleures conditions pour mener à bien notre mission. Je vous en suis reconnaissante. Je tiens également à présenter mes remerciements appuyés, pour leur engagement et le travail considérable qu’ils ont réalisé, à l’équipe de fonctionnaires de l’Assemblée nationale qui m’a accompagnée durant ces six mois de travaux.
Le rapport que j’ai l’honneur de vous soumettre s’inscrit dans la continuité des travaux universitaires, administratifs et parlementaires réalisés ces dernières années dans le secteur de l’accueil du jeune enfant. Les avancées des neurosciences ont démontré, s’il le fallait encore, l’importance des 1 000 premiers jours dans le développement de l’enfant ; les inspections générales ont analysé et porté un regard critique sur la politique publique d’accueil du jeune enfant ; des journalistes ont mis en lumière des pratiques inacceptables ; des parlementaires, enfin, ont proposé des pistes de réflexion pour améliorer nos pratiques – je pense, entre autres, à nos collègues Michèle Peyron et Isabelle Santiago, corapporteures d’une mission flash sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, et à William Martinet, à l’origine de cette commission d’enquête.
Si les conclusions de tous ces travaux ne sont pas identiques, tous appellent à des changements ambitieux afin d’améliorer la qualité d’accueil du jeune enfant, qui est historiquement le parent pauvre des politiques publiques. Nous sommes arrivés à un point de maturation du débat public. Nous devons maintenant acter un changement de paradigme en faveur de la qualité d’accueil du jeune enfant et de la satisfaction de ses besoins fondamentaux.
Les termes de la résolution constitutive de la commission d’enquête indiquaient que celle-ci était chargée d’analyser les données économiques et les financements publics et privés des crèches et leur impact sur la qualité d’accueil des jeunes enfants ; d’identifier d’éventuelles complexités administratives ou failles dans la réglementation ; de mettre au jour les stratégies de lobbying des entreprises de crèches et d’éventuels conflits d’intérêts ; d’évaluer les conditions d’accueil et d’éveil des jeunes enfants et les conditions de travail des professionnels dans ces établissements ainsi que les moyens de contrôler la qualité d’accueil ; d’analyser les pratiques commerciales entre les crèches et les parents et enfin d’émettre des recommandations.
L’analyse des financements publics et privés des crèches n’a rien d’aisé : selon le périmètre considéré, ils incluent la branche famille de la sécurité sociale, les aides à l’investissement basées sur des critères locaux, l’intervention des départements, des communes, des entreprises et des parents. Il a été très difficile d’obtenir des données consolidées et fiables. Cela démontre un manque de pilotage et de transparence dans l’usage des deniers publics qui rend difficile le contrôle de l’action publique. Le rapport éclaircit ce paysage complexe. Il servira, je l’espère, de point de référence pour de futurs travaux et analyses.
Le modèle de financement des structures d’accueil n’a pas été conçu pour assurer un accueil de qualité au bénéfice des enfants, mais pour générer une offre en quantité suffisante, ce qui entraîne des effets de bord importants. Nos travaux n’ont pas démontré que la qualité d’accueil était structurellement moins bonne dans le secteur privé lucratif qu’ailleurs ; le secteur privé est même plus souvent contrôlé que les secteurs associatif et public, bien que des dérives y soient constatées et dénoncées. En revanche, ils ont mis en lumière que la complexité de la prestation de service unique (PSU) ne permet pas de garantir le niveau de financement prévu, que la PSU horaire, assise sur le taux de facturation, conduit à une pression au remplissage des places en crèche et que les nombreux financements complémentaires destinés à corriger les effets pervers du système, aux conditions d’attribution multiples et variées, ajoutent de la complexité à la complexité. Le financement, opaque, est une source d’incompréhension et de stress pour tous les acteurs. Nous devons nous tourner vers un mode de financement simplifié et plus vertueux, construit sur la structure des coûts de l’accueil du jeune enfant, qui prenne en charge le bien-être des enfants et des professionnels qui les accompagnent.
Je pourrais citer de nombreuses complexités administratives et failles réglementaires, à commencer par l’importance croissante des normes bâtimentaires, lesquelles sont pourtant une composante modeste de la qualité d’accueil. Je préfère m’arrêter sur le système dérogatoire mis en place pour les micro-crèches. L’idée initiale était louable : assouplir certaines règles pour permettre la création de petites unités en milieu rural et dans les zones à la démographie peu dynamique. Toutefois, ces structures se sont multipliées en zone urbaine à des tarifs parfois très élevés, laissant un important reste à charge pour les familles malgré un financement public significatif. En somme, les micro-crèches bénéficient avant tout à des familles aisées vivant en ville et recourent à des professionnels moins bien formés, sans que les pouvoirs publics soient en mesure de s’assurer que les financements sont bien affectés à l’accueil du jeune enfant. Cette réglementation dérogatoire ne se justifie plus.
S’agissant des stratégies de lobbying et des éventuels conflits d’intérêts, les auditions n’ont pas dévoilé l’existence d’un système de cooptation, ni de pratiques contraires à l’éthique ou dissimulées au grand public. Les entreprises de crèches font du lobbying, et il semblerait même qu’elles le fassent bien : leurs liens avec les autorités publiques, toutes majorités confondues, sont connus et, si je puis me permettre, habituels et logiques une fois remis en contexte. À partir du milieu des années 2000, de nombreux gouvernements ont misé sur le secteur privé pour répondre à une demande sociétale forte de création de places en crèches. Il y a donc eu une convergence d’intérêts entre ces autorités et les représentants du secteur, concentré dans les mains des Big Four. Ces intérêts communs n’emportent néanmoins pas la démonstration de stratégies inhabituelles, et encore moins illégales, de part et d’autre. À vrai dire, l’inquiétude résulte essentiellement des déclarations un peu vaniteuses de certains dirigeants d’entreprises de crèche.
Le tableau est plus inquiétant concernant les conditions de travail des professionnels et les contrôles effectués. Certaines PMI n’effectuent pas ou très peu de contrôles, dont la grande majorité est encore annoncée à l’avance. En outre, les conditions de travail des professionnelles – car il s’agit très majoritairement de femmes – ne sont pas satisfaisantes : elles s’occupent de trop d’enfants à la fois, sans être suffisamment formées, et elles sont exposées, sur le long terme, à d’importants troubles musculo-squelettiques. Leurs revenus sont trop faibles, malgré les efforts récents du Gouvernement, et leurs perspectives de carrière trop étroites. Nous devons y remédier.
Concernant les pratiques commerciales indues, les conclusions de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s’imposent d’elles-mêmes : il faut mettre un terme à l’opacité et au déséquilibre net dans la relation commerciale qui unit les gestionnaires de crèches, spécifiquement de micro-crèches, et les familles.
J’en viens aux conclusions et recommandations tirées de ces constats. Elles reposent sur une philosophie et un calendrier. La philosophie est de faire entrer de plain-pied l’accueil collectif du jeune enfant dans une logique de service public, conformément à l’article 17 de la loi pour le plein emploi promulguée en décembre dernier, et de faire du bien-être de l’enfant et de la satisfaction de ses besoins le cœur de cette politique publique. Le calendrier est rendu nécessaire par la transformation du modèle de financement et du fonctionnement des crèches, laquelle nécessite non seulement d’affiner les propositions, mais aussi d’adopter des mesures préparatoires qui conditionnent la mise en œuvre du projet. Dans le rapport figurent donc des mesures à prendre immédiatement, d’autres à affiner et à expérimenter d’ici à 2027 et à appliquer dans le cadre de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG).
Parmi les mesures à prendre très rapidement, je pense à l’interdiction de certaines pratiques inacceptables et non conformes aux principes du service public, à l’image de la dérogation permettant qu’un seul professionnel soit présent aux extrémités de la journée dans les micro-crèches ; à la mise en place du principe de continuité de l’accueil du jeune enfant jusqu’à l’extinction du besoin, c'est-à-dire la fin des contrats à durée courte non renouvelés lorsqu’un enfant dont l’accueil est plus rentable est pris en charge ; aux mesures permettant un meilleur contrôle des crèches, notamment le contrôle du parcours des professionnels de la petite enfance via la création d’une carte professionnelle, mais aussi l’évolution des contrôles de la PMI, dont le caractère inopiné doit être établi comme principe et qui doit pouvoir se concentrer sur la qualité de l’accueil, grâce à l’extension du champ des contrôles opérés par les CAF.
Je pense aussi à l’institutionnalisation des instances de gouvernance locales, afin d’avoir un pilotage convergent et cohérent de la politique publique de la petite enfance ; à la réduction du besoin aux deux extrémités de l’âge d’accueil dans les crèches pour réduire la tension sur la création de places – avec, d’une part, la prolongation du congé maternité et la création du congé de naissance en lieu et place du congé parental pour une durée plus courte mais mieux indemnisée et, d’autre part, la scolarisation précoce des enfants de plus de 2 ans, au cas par cas et via un accueil échelonné ; à la suppression, dès septembre prochain, des formations en ligne en matière de petite enfance et, plus généralement, à une refonte de la formation professionnelle et de l’organisation du secteur, en cohérence avec les conclusions des travaux du comité de filière « petite enfance » (CFPE) attendues en juillet – citons notamment le fait de conditionner la délivrance des diplômes à la réussite des stages pratiques, la création d’un tronc commun petite enfance qui permette de construire une culture commune quelle que soit la filière concernée ou le développement de la formation continue.
J’ajoute que les risques musculo-squelettiques des professionnels de crèche doivent être pris en compte dans le référentiel bâtimentaire ; et que les communes devraient être autorisées à affecter des logements sociaux au personnel occupant des postes opérationnels dans les crèches, particulièrement dans les grandes villes où le coût du logement ajoute une tension en termes de recrutement.
À moyen terme, je préconise d’augmenter le taux d’encadrement, car ce sont les professionnels de la petite enfance qui permettent d’assurer l’accueil de qualité des jeunes enfants, particulièrement vulnérables compte tenu de leur âge. Nous devons, à terme, l’aligner sur les standards européens, soit un adulte pour cinq enfants à partir de 2027 et un adulte pour quatre enfants d’ici à 2032, en instaurant des cellules d’accueil de douze enfants maximum. Cette mesure centrale ne pourra être concrétisée qu’à condition que les travaux d’amélioration de l’attractivité des métiers de la petite enfance portent rapidement leurs fruits.
Nous devons par ailleurs simplifier les règles de financement grâce à une PSU généralisée et forfaitisée qui, complétée par une participation des familles, couvrirait les coûts liés à la qualité d’accueil – personnel, consommables, repas –, lesquels constituent environ 80 % du coût d’un berceau, afin que l’argent public aille uniquement à l’accueil des enfants. Cette mesure permettrait également de sécuriser et de fiabiliser le modèle économique des crèches. Les directrices de crèche seraient aux côtés des enfants et de leurs équipes, et non plus focalisées sur la gestion administrative et financière de leur structure.
Ces deux mesures sont centrales. Elles ont indéniablement un coût important pour les finances publiques, mais rien ne saurait justifier que nous n’investissions pas dans cette politique publique déterminante pour l’avenir de notre pays.
Si la réforme de la PSU est le cœur de ma proposition de réforme du modèle économique des crèches, il n’est pas possible de réformer les modes de financement de l’accueil collectif du jeune enfant sans s’interroger sur le mécanisme du tiers financement, qui constitue une spécificité du modèle français.
Après six mois de travaux, je propose donc la suppression du mécanisme de réservation de berceaux par les employeurs. La première raison, essentielle, est qu’un tel mécanisme n’est pas compatible avec le principe de l’égalité d’accès de tous les enfants au service public de la petite enfance. Fondé sur le crédit d’impôt famille, dont l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) ont dernièrement préconisé la suppression, il a créé un véritable droit de préférence pour des enfants « plus rentables » et a conduit à l’émergence de services de commercialisation de berceaux, indépendants des crèches dans lesquelles sont accueillis les enfants, qui ont pour seule vocation de servir d’intermédiaire à l’achat et à la revente de berceaux aux entreprises. Leurs frais de commercialisation sont opaques, mais ils sont pris en charge – jusqu’à 75 % – par nos impôts.
Toutefois, il est légitime que les entreprises participent au financement d’un service public qui permet à leurs employés, et particulièrement aux femmes, d’exercer leur activité professionnelle. Je souhaite donc substituer au mécanisme d’achat de berceaux un « versement petite enfance » assis sur la masse salariale qui apportera un financement complémentaire au bénéfice des communes. Celles-ci continueront d’assurer seules le rôle de tiers financeur des crèches sur leur territoire, le périmètre des dépenses couvertes étant largement réduit ; elles pourront, le cas échéant, être soutenues dans leurs dépenses d’investissement par les CAF. Le principe de ce versement, dont le taux est faible et l’assiette large, me paraît indolore pour les entreprises et serait une source de revenus importante pour les communes, après péréquation.
L’objectif est clair : instaurer un cercle vertueux pour l’accueil du jeune enfant afin de mettre à profit cette période déterminante de son développement. Je crois profondément que nous pouvons tomber d’accord sur les constats, comme sur les objectifs. J’ai bien conscience que soixante-treize recommandations sont autant de raisons de s’opposer, mais je crois sincèrement que le rapport mérite de poursuivre sa route – ou, à tout le moins, d’être publié. Voter sa censure, contrairement à la pratique et pour la plus grande joie de certaines forces extérieures, affaiblirait la position du Parlement et l’exclurait des travaux à venir sur cette politique publique d’une immense importance pour l’avenir de notre pays. Je vous invite donc à vous en saisir, à y apporter votre contribution critique et à faire vivre le débat. Je suis à l’écoute de vos remarques et questions.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie pour ce rapport très dense, qui provoque toutefois une légère frustration : la commission d’enquête aurait finalement pu élargir son périmètre aux assistantes maternelles et à la politique familiale, et approfondir l’articulation entre le mode d’accueil collectif et les besoins des parents et des enfants au fil des âges.
Je partage votre diagnostic : le modèle économique des crèches ne favorise pas suffisamment la qualité de l’accueil des jeunes enfants – en la matière, le strict respect de la réglementation ne suffit pas –, et nous souffrons d’une pénurie de places comme de professionnels. Si la détérioration de l’accueil a d’abord été mise en lumière dans les établissements privés, nos travaux ont révélé qu’elle touchait l’ensemble des secteurs – public, privé lucratif et privé non lucratif. Le phénomène risque de s’aggraver dans les années à venir, à mesure que les assistantes maternelles partiront à la retraite, sans être toutes remplacées. Il est donc urgent de se saisir de cette question.
La principale difficulté tient au fait que le modèle des crèches est structurellement déficitaire et dépend de tiers financeurs. Il ne garantit pas la pérennité économique des structures, alors que les coûts de fonctionnement de ces dernières s’alourdissent, et que le financement de la branche famille n’a pas suivi l’inflation. Dans ce contexte, comment attirer des professionnels ? Comment prendre soin de ceux-ci et les former, afin qu’à leur tour, ils prennent soin des enfants ?
Nous constatons un défaut de pilotage ainsi qu’une incapacité à évaluer les besoins en places de crèche et en formation selon les territoires. À cela s’ajoute l’insuffisance – voire l’absence – de contrôle de la qualité de l’accueil des enfants. Je suis frappé que les antécédents professionnels et judiciaires du personnel ne soient pas contrôlés, tout comme je regrette que la carte professionnelle, tant attendue, n’ait pas été instaurée. Les professionnels des PMI sont très investis, mais, faute de moyens, ils ne peuvent appliquer toutes les mesures qui seraient souhaitables pour les enfants et pour ceux qui s’en occupent.
Je partage vos constats en ce qui concerne la formation du personnel et les contrôles effectués dans les crèches. Il me paraît nécessaire d’instaurer à brève échéance un contrôle régulier et effectif de l’ensemble des établissements d’accueil de jeunes enfants ; les PMI devraient se recentrer sur ce rôle.
Certaines de vos recommandations méritent d’être approfondies et débattues. J’ai été séduit par celle qui consiste à allonger le congé de maternité de deux semaines, bien que cela dépasse le périmètre de la commission d’enquête. Vous suggérez aussi de transformer le congé parental en congé de naissance rémunéré. Ces mesures, qui devront être articulées avec l’offre d’accueil, mériteront un débat avec la représentation nationale.
Voilà pour nos points de convergence. En revanche, je suis en désaccord avec votre proposition de mettre fin à la réservation de berceaux par les entreprises, de supprimer le Cifam et d’imposer aux entreprises une taxe « petite enfance », affectée aux communes et aux intercommunalités. Je reconnais que la réservation de berceaux pose problème, que le Cifam peut être questionné, et que nous devons nous donner les moyens de la politique que nous souhaitons appliquer. Toutefois, je ne suis pas certain que vos préconisations soient suffisamment ajustées. En effet, nous observons que les bassins d’emploi ne correspondent pas nécessairement aux bassins de vie des enfants, et que la demande des familles a évolué : elles aspirent à une offre de garde proche de leur domicile plutôt que de leur lieu de travail. Or le service public de la petite enfance est organisé suivant le périmètre des intercommunalités, et ces dernières sont disparates : certaines sont essentiellement résidentielles et abritent peu d’entreprises, quand d’autres comptent de nombreuses administrations et sociétés, mais peu de logements adaptés aux familles – Paris en est un exemple flagrant. Les lieux de travail et de résidence ne se superposent donc pas nécessairement.
Le Cifam représente 195 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 97,5 millions de déduction fiscale de l’impôt sur les sociétés ; le coût total du dispositif pour les finances publiques est donc de 292,5 millions, sachant que l’accueil des jeunes enfants représente 16 milliards d’euros de dépenses publiques. Supprimer le Cifam reviendrait donc à entraver le financement de mesures d’amélioration de la qualité.
La branche famille est excédentaire, et le sera d’autant plus, à l’avenir, que les naissances reculent. C’est le premier levier dont nous devons nous emparer – davantage que d’une taxe affectée – pour renforcer la qualité de la prise en charge et augmenter le nombre de places en crèche. Reste que nous n’agirons pas sur la quantité sans avoir préalablement amélioré la qualité. Nous devons recréer un modèle de qualité qui offre aux professionnels une rémunération suffisante, de la considération et du sens, de la formation initiale et continue.
Les informations que nous avons reçues, certes tardivement, de la part des administrations nous ont appris que ces dernières, avec les collectivités locales, étaient responsables de la moitié des réservations de berceaux. Or les ministères ne pilotent guère leurs achats de berceaux : j’y vois un véritable défi, et un champ à investiguer. Quels sont les critères de la commande publique et de la réservation de berceaux par les administrations et les collectivités locales ? Si la réservation était supprimée pour les entreprises mais maintenue pour le secteur public, le dispositif n’offrirait-il pas un coupe-file à ce dernier ?
Il faut en fait transformer la réservation de berceaux, en appelant à la participation et à la responsabilité sociale des employeurs, publics comme privés, pour répondre aux besoins de leurs agents et de leurs salariés ayant des enfants en bas âge.
Le politique n’a pas pris la main sur le pilotage des réservations de berceaux par le secteur public. Or l’État doit exercer sa responsabilité en la matière. Il faut identifier les besoins et aménager l’offre en conséquence. Un pilotage interministériel est nécessaire à un haut niveau, qui relève à la fois de la politique familiale, de l’éducation et de la politique sociale.
La commission a réussi à collecter des données dont l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) nous assuraient qu’elles seraient difficiles à obtenir. Nous avons par ailleurs recueilli les réponses de soixante-dix PMI. Il me semble donc utile de publier le rapport, même si je n’en partage pas toutes les recommandations.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Virginie Lanlo (RE). Ce rapport est le reflet du travail de qualité réalisé par la commission d’enquête ces six derniers mois. Il dresse un constat qui, me semble-t-il, nous réunira : la qualité de l’accueil en crèche doit être améliorée ; les parents doivent pouvoir confier sereinement leurs enfants à ces établissements, et ainsi s’épanouir dans leur parcours professionnel.
Une crèche n’est pas une garderie chargée de faire patienter les enfants jusqu’à ce que leurs parents reviennent du travail. Les 1 000 premiers jours sont déterminants pour l’avenir de l’enfant. Son mode de garde doit être sécurisant sur le plan physique et émotionnel, mais doit aussi favoriser le développement et l’éveil. Malgré le dévouement des professionnels – en très grande majorité des femmes –, la qualité de l’accueil n’est pas à la hauteur des attentes des parents ni des préconisations scientifiques.
Si certaines recommandations du rapport n’emportent pas le consensus, d’autres, comme l’instauration d’une carte professionnelle et l’abaissement du taux d’encadrement, feront, je le crois, l’unanimité. D’autres encore méritent d’être approfondies et discutées. Le rapport constitue un socle sur lequel nous pouvons nous appuyer pour améliorer l’accueil des enfants. Il apporte une réponse complète et ambitieuse à une inquiétude globale. Le groupe Renaissance est donc favorable à sa publication, dans l’intérêt du débat.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Le rapport rappelle combien les 1 000 premiers jours des enfants sont importants, et révèle divers dysfonctionnements dans leur prise en charge : une pénurie de personnel diplômé, un taux d’encadrement insuffisant, un manque de contrôle et une disparité des systèmes de financement.
Bien que le rapport n’ait pas retenu toutes les préconisations de l’Igas, ses recommandations vont dans le bon sens ; certaines pourraient, selon nous, être modifiées – nous vous soumettrons d’ailleurs une approche plus critique. Quoi qu’il en soit, les pistes tracées par la rapporteure ont le mérite de se concentrer sur les points principaux : la qualité de l’accueil du jeune enfant et son bien-être, le recrutement de personnel qualifié et la nécessité de revoir le système de financement.
Le groupe Rassemblement national votera en faveur de la publication du rapport, qui servira de base au travail futur de l’ensemble des députés.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Quatre journalistes, au moins, m’ont dit avoir eu connaissance du rapport ce week-end ; ce n’est pas une façon correcte de fonctionner. Le débat ayant déjà commencé dans la sphère publique, je me contenterai de quelques remarques.
Je partage l’esprit de certaines recommandations, qui reprennent des préconisations formulées par l’Igas et l’IGF depuis 2017. La majorité entend enfin les alertes de l’administration concernant les crèches !
En revanche, je suis en parfait désaccord avec l’affirmation selon laquelle la dégradation de l’accueil ne serait pas le fait des gestionnaires privés lucratifs. Pourquoi, dès lors, 93 % des fermetures administratives d’établissements d’accueil de jeunes enfants – pour reprendre le chiffre cité par la ministre – concernent-elles des crèches privées lucratives, lesquelles représentent 20 % à 25 % des berceaux ?
Le rapport émet des propositions utiles et pertinentes sur le taux d’encadrement et la qualification des professionnels, mais il n’envisage leur mise en œuvre qu’à compter de 2027 ; c’est pour le moins regrettable. Est-ce pour repousser le débat ? Préparez-vous la prochaine échéance électorale, ou craignez-vous de mettre en cause la politique menée par le Gouvernement ? Je ne prétends pas que tous les sujets pourraient être résolus immédiatement, mais les mesures relatives à la revalorisation salariale, au niveau de qualification et au taux d’encadrement doivent être engagées dès à présent, sans attendre la négociation de la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) en 2027.
Le secteur est fatigué, en souffrance, et lassé des annonces sans lendemain. Je crains que ce rapport n’ajoute aux promesses vaines.
Mme Anne Bergantz (Dem). À mon tour, je salue ce rapport de grande qualité, documenté et pédagogique. D’emblée, je tiens à préciser que les professionnels ont toute notre confiance – comme celle des parents – pour le travail remarquable qu’ils effectuent auprès des tout-petits. Je remercie la rapporteure d’avoir précisé que les dysfonctionnements n’étaient pas liés au statut des crèches, mais qu’ils étaient présents dans les secteurs public, privé et associatif.
La première partie du rapport illustre avec justesse la particularité et la complexité du système français, qui ont des causes variées : une vision encore très hygiéniste et trop normée du secteur des crèches, une pénurie de professionnels, dont les conditions d’exercice se sont fortement dégradées, une grande disparité dans les fréquences des contrôles des structures, et parfois une insuffisance de ceux-ci, ainsi qu’un manque de vision à long terme des politiques publiques familiales. Il faudra s’en souvenir dans le cadre de l’application des recommandations du rapport.
Les politiques menées par le passé n’étaient, dans l’ensemble, pas mauvaises, mais elles péchaient par une réflexion insuffisante et une absence de suivi à long terme. Elles visaient un certain nombre d’objectifs, notamment un meilleur taux d’occupation – dont dépend le montant de la PSU –, mais les actions menées n’ont pas toujours permis de les atteindre. La PSU visait dès l’origine plusieurs objectifs : le renforcement de la mixité sociale, l’accroissement du taux de remplissage et la neutralisation des participations familiales. La France a été le seul pays à faire le choix d’un tiers financeur, lequel a eu des conséquences délétères. La découverte des méthodes de calcul m’a stupéfiée : comment en est-on arrivé à une telle complexité et à un mode de financement qui peut amener le directeur à supplier les parents de ne pas récupérer leurs enfants plus tôt ? Il est à mon sens prioritaire de simplifier ce modèle.
En outre, si l’ouverture au privé peut contribuer à pallier la pénurie de places, elle n’a pas été assez encadrée. La loi sur le plein emploi, qui confie à la commune le rôle d’autorité organisatrice, devrait enfin permettre un pilotage de cette activité à l’échelon local.
Si je partage bon nombre des recommandations du rapport, je serai toutefois prudente à l’égard de certaines d’entre elles. S’agissant, d’abord, de la suppression progressive du Cifam, je ne conteste pas la nécessité de faire évoluer le système de financement mais c’est plutôt le tiers financeur qui nous conduit à nous interroger sur le respect de l’égalité d’accès. Il faut évaluer précisément les conséquences d’une telle mesure : quid de la création de places et du maintien des places actuelles ?
Ensuite, plusieurs établissements m’ont mise en garde sur les conséquences financières que pourrait induire le passage au tout-PSU dans les micro-crèches. La recommandation n° 49 pourrait toutefois, me semble-t-il, répondre à leurs préoccupations de trésorerie. Cela étant, il faut éviter de mettre toutes les micro-crèches relevant de la Paje (prestation d’accueil du jeune enfant) dans le même panier. Certaines sont en effet vertueuses. Dans les Yvelines, des micro-crèches réservent des places aux enfants dont la mère est victime de violences : ce sont les seuls établissements à le proposer.
Bien que la question soit évoquée dans la première partie, je regrette qu’il n’y ait pas davantage de recommandations tendant à simplifier le cadre normatif. L’ensemble des acteurs interrogés ont signalé le poids considérable que celui-ci représente, en particulier pour les directions. Dans les modèles étrangers, le cadre est beaucoup plus souple, ce qui n’empêche pas le respect de l’intérêt supérieur des enfants.
Sortir de la vision hygiéniste, assouplir les normes sans abaisser les critères et consolider la confiance entre professionnels et parents me semble indispensable à l’avenir.
Ces remarques n’enlèvent rien aux qualités du rapport, qui constituera une base solide pour définir les futures politiques au service de nos enfants et des professionnels.
Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES). Je tiens à redire, au préalable, que je regrette la méthode qui a été employée lors de la constitution de la commission d’enquête.
Cela étant dit, je salue le travail considérable qui a été accompli. Certaines recommandations, qui répondent aux demandes d’une grande partie des professionnels, vont dans le bon sens : je pense notamment à la suppression du Cifam.
Je veux néanmoins vous alerter sur plusieurs points. D’abord, un certain nombre de recommandations portent sur les crèches mais il ne faut pas oublier les micro-crèches, même si les unes et les autres présentent parfois des différences.
Ensuite, je regrette le manque d’ambition de plusieurs recommandations relatives aux moyens. Les difficultés de recrutement persisteront inévitablement et accroîtront la pénurie de personnel que l’on connaît dans l’ensemble du pays. Au sein du groupe Écologiste, nous avons la volonté de laisser la main aux communes plutôt qu’aux conseils départementaux, pour des raisons pratiques.
Enfin, il importe, lorsqu’on traite de la petite enfance, d’inclure la pédagogie de plein air, qui est un élément clé de la qualité de l’accueil des enfants et du bien-être des professionnels. On sait qu’elle contribue à réduire l’absentéisme du personnel, comme nous le constatons à Lyon.
En lien avec nos élus locaux chargés de la petite enfance, nous vous ferons parvenir une contribution.
Nous nous abstiendrons, car nous pensons que les recommandations auraient pu aller plus loin.
M. le président Thibault Bazin. Il peut être compliqué d’attribuer la compétence à l’échelon intercommunal en présence de crèches municipales, d’autant plus que les écoles sont gérées par les communes. Il est à craindre que cette organisation ne s’accompagne pas des financements nécessaires.
Je vous rejoins sur le fait que les collectivités gestionnaires ou ayant des structures sur leur territoire, dont elles ont parfois confié la gestion, n’effectuent pas de contrôles. Or, le contrôle de proximité est peut-être le plus efficace parce qu’il est assuré en lien avec les familles.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La fin de la réservation de berceaux par les entreprises et la suppression du Cifam vont de pair. En effet, il serait particulièrement dangereux de compter sur le financement des entreprises employeurs après avoir supprimé le crédit d’impôt famille. Par ailleurs, tous les enfants n’ont pas des parents travaillant dans des sociétés pouvant bénéficier du Cifam. Les inégalités d’accès qui en résultent ne sont pas compatibles avec le service public de la petite enfance.
Ainsi, je propose de créer un versement petite enfance qui permettrait aux entreprises de contribuer à cette politique publique. Il est dans leur intérêt de disposer de solutions d’accueil pour faciliter le travail de leurs collaborateurs. En outre, je pense que l’on peut compter sur un investissement beaucoup plus élevé de la branche famille. Je propose que la PSU, associée à la participation des familles, finance 80 % de la place en crèche, ce qui nécessite un effort financier de la branche que nous évaluons entre 500 millions et 1 milliard. Le passage à un taux d’encadrement d’un professionnel pour cinq enfants représenterait également un surcoût pour la branche famille que nous estimons à 1 milliard, puisqu’il revient à la PSU de financer les coûts de personnel. C’est un effort considérable, mais les trajectoires d’évolution annoncées de la branche laissent à penser qu’elle est en mesure d’assumer ce financement.
Par ailleurs, il est légitime que les communes reçoivent une contribution des entreprises, dans la mesure où ces collectivités devront s’engager financièrement au titre de l’ensemble des places se trouvant sur leur territoire – même si elles prendront en charge une part beaucoup plus réduite que ce n’est le cas actuellement.
Monsieur Martinet, nous ne tirons pas les mêmes conclusions des chiffres présentés par Catherine Vautrin et Sarah El Haïry. Les nombreuses réponses que nous ont adressées les PMI témoignent de l’irrégularité des contrôles qu’elles effectuent. Surtout, un certain nombre d’entre elles nous ont indiqué qu’elles contrôlaient plus régulièrement le secteur privé lucratif que les secteurs public et associatif. D’autres nous ont précisé qu’elles ne procédaient à aucun contrôle des crèches publiques, et deux PMI nous ont informés qu’elles ne les contrôlaient que tous les dix ans. Il est donc logique qu’un plus grand nombre de mesures soient prises à l’encontre du secteur privé lucratif, sans que l’on puisse en tirer de conclusions particulières.
Un certain nombre de mesures importantes ont vocation à être appliquées rapidement, à l’instar de celles relatives à la formation professionnelle, à l’attractivité et au contrôle. Toutefois, si j’avais proposé de mettre en œuvre la réforme dans son ensemble au 1er janvier 2025, vous auriez jugé la chose totalement irréaliste. Le fait de prévoir l’application d’un certain nombre de recommandations dans le cadre de la prochaine Cog nous permettra d’affiner l’évaluation de leur impact financier. Nous proposons par ailleurs d’expérimenter le nouveau mode de financement dans un certain nombre de territoires pilotes. Le fait de prendre son temps, d’affiner et d’expérimenter, est une condition indispensable à l’application de la réforme. Jusqu’à présent, on avait l’habitude de se pencher sur le contenu de la Cog six mois avant son renouvellement. Je propose que, désormais, nous anticipions. Catherine Vautrin et Sarah El Haïry ont montré, lors de leur audition, qu’elles prenaient pleinement la mesure des difficultés créées par le système actuel. Elles sont mobilisées pour permettre l’émergence d’un modèle économique qui place la qualité de l’accueil et la satisfaction des besoins des jeunes enfants au cœur de cette politique publique.
Madame Garin, l’accueil de plein air est en effet une proposition intéressante qui est de nature à contribuer au bien-être des enfants comme des professionnels. Le rapport émet plusieurs propositions pour améliorer les conditions de travail des personnels et penser leur évolution professionnelle, car on ne peut exercer une charge aussi lourde sa vie durant.
M. le président Thibault Bazin. Nous en venons aux questions des autres députés, en l’occurrence, à celle de Mme Michèle Peyron.
Mme Michèle Peyron (RE). Je salue ce travail de grande qualité et me réjouis que les travaux de la mission flash de la délégation aux droits des enfants sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, dont Mme Santiago et moi-même étions corapporteures, aient inspiré un grand nombre de vos recommandations. J’émettrai seulement un bémol sur votre dernière proposition, relative à la politique de préscolarisation des enfants, dont il faudra que nous reparlions.
M. le président Thibault Bazin. J’espère que la commission des affaires sociales se saisira d’un certain nombre de ces questions. Puisque plus personne ne souhaite s’exprimer, je soumets le rapport au vote des membres de la commission d’enquête.
La commission adopte le rapport et autorise sa publication.
M. le président Thibault Bazin. Vous pouvez nous adresser vos contributions individuelles ou de groupe jusqu’au vendredi 31 mai à midi. Elles figureront en annexe au rapport.
Je vous rappelle enfin les termes de deux dispositions du règlement relatives aux suites qui pourront être données aux conclusions du rapport. En vertu de l’article 48, alinéa 8, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient de droit l’inscription à l’ordre du jour de la semaine prévue à l’article 48, alinéa 4, de la Constitution d’un débat sans vote ou d’une séance de questions portant prioritairement sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête […] ».
Aux termes de l’article 145-8, « à l’issue d’un délai de six mois suivant la publication du rapport d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information, le membre de la commission permanente compétente désigné par celle‑ci à cet effet lui présente un rapport sur la mise en œuvre des conclusions de ladite commission d’enquête ou mission d’information. Un rapport sur la mise en œuvre des conclusions d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information peut donner lieu, en séance publique, à un débat sans vote ou à une séance de questions. »
Je remercie Mme la rapporteure ainsi que nos collègues de l’ensemble des groupes pour leur contribution à nos travaux, en particulier ceux de La France insoumise, qui étaient très impliqués, et ceux du Rassemblement national, qui étaient également très présents. L’apport initial de Mme Peyron a également été précieux.
Contribution du groupe Rassemblement national
Les députés du Rassemblement National tiennent à saluer l’organisation des travaux et remercient le Président et la rapporteure pour leur sérieux et leur implication. Les nombreuses auditions (associations, spécialistes, administrations, etc…), riches en contenu, ont permis d’établir un constat partagé et objectif de ce secteur en souffrance. Si certaines propositions évoquées par Mme Sarah Tanzilli, députée Renaissance, sont pertinentes pour améliorer le fonctionnement actuel, d’autres semblent contestables voire contre-productives.
Fonder une famille est le rêve de beaucoup de Français. Malheureusement, les parents se heurtent à un obstacle majeur, rendant difficile la conciliation d’une vie professionnelle et familiale : le manque de places dans les crèches. Les choix politiques de ces dernières années ont nui à la qualité de l’accueil de l’enfant. Aujourd’hui, l’entièreté du système est dysfonctionnelle. Que le mode de gestion soit public, privé, associatif, tous doivent faire face à des problématiques communes. Les opposer comme le fait La France insoumise ne permettra pas d’enrayer ce cercle vicieux. Certes, les difficultés rencontrées par certains établissements sont indéniables, du fait de problèmes de personnel et de sous-financement. Certes, un certain nombre de délégations de Service Public (DSP) qui ont fait du prix le critère premier de choix ont pu conduire à une dégradation de la qualité de l’accueil. Certes, le métier rencontre un problème d’attractivité et une partie des agents dans les établissements d’accueil sont en souffrance. Mais, qu’il s’agisse de collectivités publiques, essentiellement les communes, ou d’acteurs privés, la qualité des infrastructures et de l’accueil existe. La plupart des établissements fonctionnent à la satisfaction des familles et accompagnent avec professionnalisme l’épanouissement des enfants. Il convient donc d’éviter toute généralisation excessive. Le système peut, et doit, être amélioré, qualitativement et encore quantitativement. Il convient de ne pas considérer avec suspicion des milliers d’établissements qui fonctionnent sans difficulté majeure, y compris pour les micro-crèches.
La faible attractivité des métiers de la petite enfance (rémunération, évolution de carrière, conditions de travail) handicape le bon fonctionnement d’un certain nombre de structures et ne permet pas la création de nouvelles places. Comme le souligne tristement le rapport sur la qualité de l’accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches de l’IGAS publié en mars 2023 dont les auteurs ont été auditionnés, des maltraitances institutionnelles, bien souvent involontaires, sont le résultat d’un manque de personnel, épuisé et malformé. Alors même que la littérature scientifique rappelle le caractère primordial des 1 000 premiers jours d’un enfant pour son bon développement, des mesures fortes et urgentes s’imposent. Sans leur mise en place, la pénurie des professionnels s’aggravera au détriment de la qualité d’accueil.
Bien que la question salariale soit cruciale, une revalorisation ne peut qu’être progressive, dans un contexte de sous-financement.
Au-delà de mieux répondre aux attentes des jeunes enfants, une formation de qualité permet de conforter des vocations, notamment par le développement stages/alternances dans les structures d’accueil.
Par ailleurs, en donnant de réelles perspectives aux professionnels, notamment à travers la validation des acquis de l'expérience (VAE), le turn-over diminuera drastiquement.
L’ensemble de ces mesures permettra à terme de réaliser des objectifs louables et essentiels : l’augmentation du taux d’encadrement, la réduction de la taille des groupes d’enfant, de disposer des mêmes adultes référents. Une priorisation est indispensable, faute de quoi « le mieux est l’ennemi du bien ».
Le présent rapport s’attache à souligner une difficulté structurelle, celle des règles de financement : elles garantissent le caractère illisible d’un système et non la pérennité économique des structures. Complexe, la prestation de service unique (PSU) ne remplit pas son objectif initial. Bien au contraire, les règles d’attribution sont inégalement appliquées, le sous- financement chronique et le reste à charge paraissent inadaptés. Le passage d’un modèle de PSU forfaitaire à horaire a considérablement augmenté la charge administrative des employés et a dégradé la qualité de l’accueil.
Avec certaines propositions, la macronie retombe dans les maux français : la sur-administration et les taxes. Par exemple, en souhaitant créer un nouvel impôt sur les entreprises, elle déplace le problème : celui d’un système complexe et inadapté.
En refondant les outils de gouvernance, l’uniformisation des pratiques CAF et PMI, une cartographie de l’existant et des besoins, des tableaux de bord de suivi plus transparents et une meilleure connaissance des coûts réels des structures, le système des crèches deviendra lisible. Cette clarté entraînera des sources d’économie, bénéfiques pour la collectivité/entreprise, pour le bien-être des enfants et employés.
Le rapport critique fortement le mécanisme du CIFAM. Il n’est sans doute par parfait, et des dérives peuvent exister, appelant un meilleur pilotage. Mais celles-ci sont loin d’être générales et, en outre, le montant du CIFAM – 195 millions d’euros – est relativement marginal par rapport à l’ensemble des dépenses publiques en faveur de la petite enfance et a permis un effet de levier indéniable. Sans ce mécanisme fortement mis en cause, ce seraient des dizaines de milliers de places qui n’existeraient sans doute pas, posant des problèmes insolubles à de nombreuses familles et sans doute bien plus graves pour le bien être du jeune enfant que les quelques dérives constatées.
Enfin, il sera difficilement supportable pour les communes d’être systématiquement le tiers- financeur. Au lieu d’imposer, il faut promouvoir une approche territorialisée en fonction des besoins de chaque collectivité.
Ce capharnaüm administratif se traduit également dans les mécanismes de contrôle, insatisfaisants et inéquitables selon les structures. Bien souvent, les auditions évoquent le peu de moyens financiers et humains. Pourtant, cela relève d’un manque de volonté politique : le Gouvernement préfère sanctifier certaines actions (politique migratoire, politique européenne) plutôt que de protéger nos enfants.
Les contrôles devront s’appuyer sur un référentiel unique et précis, indépendamment de leur mode de gestion. Cette lisibilité permettra un contrôle régulier de la PMI, des collectivités et/ou des entreprises afin de détecter le plus tôt possible un dysfonctionnement.
A l’heure actuelle, et contrairement aux établissements médico-sociaux (article L 313-14 du CASF), seul le Préfet peut adresser des injonctions ou prononcer la fermeture d’une crèche compromettant la santé physique ou mentale de l’enfant. Durant les auditions, il a été pointé du doigt la difficulté pour certains membres du personnel constatant de « douces violences » ou des maltraitances de faire remonter l’information. Il a été cité l’exemple d’une directrice qui
aurait répondu « tu n’es pas obligée de faire pareil ». En créant la possibilité de faire remonter facilement et anonymement les abus, ces cas pourront rapidement être identifiés.
Il est regrettable que la rapporteure ne souhaite pas engager une réflexion pour un droit de visite inopinés des parlementaires dans les établissements accueillant des enfants. Cette faculté devra faire l’objet d’un débat afin de définir les modalités pour protéger les enfants tout en ne les perturbant pas.
Les propositions concernant l’allongement de la durée du congé maternité et la réforme du congé parental semblent également pertinentes dans leur principe, avec des modalités à discuter par la représentation nationale. Donner aux parents la possibilité de s’occuper plus longtemps de leurs enfants dans des conditions matérielles acceptables serait à la fois positif sur le plan du développement de l’enfant, de la natalité et ne présenterait pas, bien au contraire, de surcoût budgétaire au regard du coût moyen d’un berceau en structure d’accueil. De même, le renforcement de la possibilité de scolarisation avant trois ans apparaît également pertinent, là encore selon des modalités permettant de prendre en compte la situation de l’enfant et les attentes des parents.
Le Rassemblement National propose :
- Une revalorisation salariale
- Le développement d’une formation pratique
- Le développement des perspectives d’évolution professionnelle
- La refondation de la PSU notamment par le passage d’une PSU horaire à forfaitaire
- Améliorer le mécanisme du CIFAM
- L’uniformisation des pratiques et des mécanismes pour assurer une meilleure transparence et connaissance des coûts et des dysfonctionnements éventuels
- Le développement d’une plateforme pour alerter et prévenir des « douces violences »
- L’organisation d’un débat au sein du Parlement afin d’évoquer la réforme du congé parental et de l’âge de la scolarisation de l’enfant
Les difficultés structurelles et conjoncturelles seront enrayées dès lors qu’il y aura un courage et une volonté politique : celui de créer un système viable financièrement, stable, uniformisé, assoupli réglementairement, en associant l’ensemble des acteurs du secteur. La baisse de la natalité en France est une préoccupation majeure pour l’avenir de notre pays. Améliorer le système des crèches permettra de répondre en grande partie à ce problème. C’est pourquoi, le Rassemblement national propose des mesures concrètes et fortes.
Contribution du groupe LA France INSOUMISE - NUPES
Les travaux de la commission d’enquête ont été lancés et se sont déroulés dans un contexte particulier. Le 22 juin 2022, un bébé décède dans une micro-crèche du groupe privé People&Baby. Ce drame a eu l’effet d’un électrochoc et a libéré la parole dans un secteur en grande souffrance. Ce sont ces multiples témoignages qui décident le député LFI William Martinet à déposer une résolution le 24 avril 2023 réclamant la création d’une commission d’enquête.
S’engage alors un bras de fer avec la majorité présidentielle. Malgré la nécessité évidente de faire la lumière sur les dérives du business des crèches privées lucratives, tout est fait pour empêcher le lancement de la commission. Les deux principaux groupes macronistes s’y opposent le 28 novembre 2023, en hémicycle, et c’est grâce à une forte mobilisation des groupes de la Nupes qu’un vote positif est arraché (178 voix pour et 161 contre). S'en suit une manœuvre au sein de la commission d’enquête pour évincer William Martinet des postes clefs de rapporteur et président et y placer un binôme (Mme Tanzilli, RE, et M. Bazin, LR) dont les groupes politiques se sont pourtant opposés à la création de cette commission. Loin d’être anecdotique, cet entêtement de la macronie à protéger les grands groupes de crèches est symptomatique de leur connivence avec les intérêts privés.
Malgré ces obstacles, les insoumis membres de la commission d’enquête (William Martinet, Sophia Chikirou, Anne Stambach-Terrenoir et Elise Leboucher) se sont pleinement investis dans ses travaux. En parallèle des auditions menées à l’Assemblée nationale, les insoumis ont organisé une commission d’enquête populaire aux côtés des familles et des professionnelles. C’est le fruit de ce travail qui vous est présenté au sein de ce leur contre rapport disponible sur le site pas de profit sur nos petits1.
La commission d’enquête a permis de démontrer que l’effondrement des crèches publiques et associatives, qui se manifeste par la pénurie de places auxquelles sont confrontées les familles et une dégradation des conditions de travail, était non seulement prévisible mais surtout organisé. Le sous-financement chronique du secteur, l’affaiblissement des normes et le mépris pour les professionnelles qui ont entraîné une dévalorisation du métier, tout cela correspond à une succession de décisions (ou de non-décisions) politiques depuis le début des années 2000.
1 Pas de profits sur nos petits – Interpellez vos députés pour une commission d'enquête
parlementaire sur le business des crèches privées lucratives - https://pasdeprofitssurnospetits.fr/
Mais ce qui a été le plus frappant c’est de constater que, à l’inverse de l’abandon des crèches publiques et associatives, les pouvoirs publics ont mis une énergie considérable à la création d’un secteur marchand jusque-là inexistant dans la petite enfance. A partir du début des années 2003, et plus significativement au tournant de l’année 2010, une poignée d’investisseurs et les ministres de l’époque ont élaboré, main dans la main, un cadre légal, réglementaire et fiscal ultra favorable aux acteurs privés lucratifs. Arrosés d’argent public, des grands groupes (People&Baby, Babilou, LPCR, La Maison Bleue) ont émergé et se sont même internationalisés. Le privé lucratif a cru de façon exponentielle (90% des ouvertures de places depuis 10 ans) et représente aujourd’hui un quart des berceaux.
Quel est le bilan de cette marchandisation à marche forcée ? Désastreux en de nombreux points. Beaucoup de griefs contre le secteur privé lucratif étaient présents dans des rapports de l’administration sans que ces alertes n’aient été prises au sérieux. La commission d’enquête a permis de démontrer que ce système est coûteux pour les financements publics et les parents (davantage que les crèches publiques et associatives), rémunère moins bien ses professionnelles et pose davantage de problèmes de qualité d’accueil des enfants. Sur ce dernier point, on peut sans hésiter parler de maltraitance économique (rationnement des repas et du matériel, insuffisance de l’encadrement, etc.) provoquée par les exigences de rentabilité des grands groupes. 93% des cas de fermetures administratives (décision du préfet lorsque la sécurité des enfants n’est plus assurée) concernent des crèches privées lucratives.
Les seuls gagnants de la marchandisation sont les actionnaires. Le très haut niveau de rentabilité permis par le système a attiré des fonds d’investissements et créé plusieurs grandes fortunes. Aujourd’hui, les grands groupes sont dirigés ou liés à des fonds dont les attentes de rentabilité atteignent les 12% par an. Ces fonds, qui investissent indifféremment dans les pipelines en mer du nord, la fibre optique aux Pays-Bas ou les crèches en France, ont comme souscripteurs des compagnies d’assurance ou des fonds souverains, dont celui du Koweït.
Il est temps que le politique reprenne la main. Après des années de désengagement et le tapis rouge déroulé au privé, le gouvernement n’a plus prise sur rien. Les travaux de la commission d’enquête ont démontré que les promesses en termes de création de place ou de revalorisation de professionnelles ne seront pas tenues. Cette impuissance du politique s’explique sans doute par l’action du lobby des crèches privées que la commission d’enquête a mis en lumière.
Encore aujourd’hui, à coup d’études bidonnées et de liens personnels avec le pouvoir, ce lobby parvient à convaincre les décideurs de ne prendre aucune décision remettant en cause leur modèle économique.
Les parlementaires insoumis proposent, par la présente contribution, des mesures à engager au plus vite pour contenir le développement du business des crèches et ses effets néfastes et développer un véritable service public garantissant le droit à un accueil de qualité pour les enfants.
RECOMMANDATIONS :
Outre les recommandations issues des travaux de la commission d’enquête parlementaire, La France Insoumise et l’Union populaire ont un projet plus ample qui peut se résumer en une formule : l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. Mais cette société solidaire et écologique ne pourra se bâtir qu’à condition que les futures générations grandissent dans de bonnes conditions – ce qu’empêche le néolibéralisme violent de nos dirigeants. Quand une usine ferme parce que son actionnaire a décidé qu’elle n’était pas assez rentable, des familles se brisent et c’est tout un monde qui s’écroule pour les enfants. Quand une école rurale ferme parce que le gouvernement préfère faire des économies en regroupant les établissements, ce sont les enfants qui paient le tribut en temps de trajet et fatigue supplémentaires. Quand Emmanuel Macron veut orienter les enfants toujours plus tôt, il les plonge dans la concurrence sauvage dès leur plus jeune âge. La violence de ce monde envers les enfants prépare la violence du monde de demain.
Le contexte sanitaire est une incitation supplémentaire à agir vite pour l’enfance. La crise a mis en lumière les difficultés des familles (pauvreté, mal logement) et les enfants en sortent rudement touchés : excès d’écran, augmentation de la maltraitance, réduction de l’activité physique et de la socialisation, anxiété et perte du repère de stabilité de l’école. Il est plus que jamais temps de remettre l’enfance au cœur des politiques publiques, pour eux et pour l’avenir du pays.
1. NOTRE CONSTAT : LE GOUVERNEMENT A TOTALEMENT NÉGLIGÉ LA QUESTION DE L’ENFANCE
L’urgence sociale n’épargne pas les enfants, bien au contraire. En France, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, soit près de 3 millions en tout. En particulier, 41 % des enfants de familles monoparentales sont en situation de pauvreté. Les mères qui élèvent seules leurs enfants, soit huit familles monoparentales sur dix, sont elles aussi touchées de plein fouet.
Plus de 8 000 enfants habitent dans un bidonville, rien que dans l’Hexagone, d’après l’UNICEF. On estime à près de 20 000 le nombre d’enfants sans hébergement pérenne en Île-de-France. Des élèves essaient tant bien que mal de faire leurs devoirs sous un pont, dans le métro, dans une voiture. Des mères sortent de maternité sans solution de logement avec leur nouveau-né. Pour les familles à la rue, outre la détresse de voir leurs enfants avoir faim, froid, et être privés des commodités d’hygiène, les parents craignent le placement de leurs enfants. Quand il intervient, ce placement a un coût de revient supérieur à la prise en charge d’un loyer pour cette famille !
Parmi les enfants à la rue, des jeunes fugueur·ses se retrouvent livré·es à eux-mêmes : 48 156 mineur·es ont quitté le domicile familial sur la seule année 2017.
Une réforme de l’aide sociale à l’enfance (ASE), éternelle oubliée, doit absolument être menée. Les professionnel·les consciencieux·ses s’épuisent face aux dysfonctionnements et aux sous-effectifs. L’ASE étant décentralisée, les priorités budgétaires sont variables en fonction des politiques départementales. Les représentant·es des enfants placés alertent régulièrement sur la violence que peuvent y subir les enfants : maltraitance institutionnelle, violences physiques et sexuelles, absence de soutien, sortie sans toit à la majorité, etc. Les enfants sont parfois placés à l’hôtel, où ils sont mal encadrés et isolés. La sortie de l’aide sociale à l’enfance n’est pas mieux gérée. Dans l’indifférence des dirigeant·es, 40 % des sans domicile fixe de moins de 25 ans sont passés par l’ASE. Enfin, les enfants pris en charge par l’ASE peuvent avoir des difficultés à entretenir une relation de confiance avec une ou plusieurs figures d’attachement. Il est essentiel de permettre à chaque enfant de nouer des relations avec les adultes qui assurent son suivi et prennent soin de lui. Il faut remettre l’intérêt de l’enfant au centre de l’ASE.
La détérioration du service public est aussi criante pour les naissances, qui se font aujourd’hui trop souvent dans des conditions dégradées. En 20 ans, la moitié des maternités ont fermé en France et le nombre de femmes vivant à plus de 45 minutes d’une maternité a doublé. Certaines accouchent sur le trajet, des parents sont séparés de leur enfant prématuré par manque de lit accompagnant, des femmes n’ont pas accès à la péridurale et d’autres subissent des pressions pour l’accepter, les injonctions sociétales culpabilisantes et les pressions dans le milieu professionnel se multiplient, etc. Depuis la fermeture de la maternité de Saint-Claude dans le Jura en 2018, douze femmes ont par exemple dû accoucher en bord de route. Le manque de personnel et les cadences infernales dégradent les conditions de travail et la prise en charge.
Autre lacune du service public : la garde d’enfants. Obtenir une place en crèche est devenu un véritable parcours du combattant et les familles se retrouvent régulièrement sans solution satisfaisante. Macron n’a ouvert que la moitié des places de crèche prévues, 15 000 sur 30
000. Il a en parallèle affaibli le service public de la petite enfance en permettant aux crèches de déroger aux taux d’encadrement réglementaires et en favorisant les micro-crèches moins réglementées et souvent très onéreuses. Pourtant, le privé n’est pas du tout efficace, malgré le soutien public abondant. Non seulement il crée peu de places, mais il engrange des bénéfices faramineux avec une rentabilité située entre 13 et 40 %.
Enfin, une politique ambitieuse de l’enfance doit s’attaquer aux violences dont ils sont victimes. La maltraitance est un fléau qui touche 10 % des enfants. Les violences dites éducatives ordinaires doivent aussi être combattues. Les gestes pouvant amener un degré de douleur chez l’enfant et les humiliations dans le but de modifier le comportement d’un enfant sont des violences qui ont des conséquences à court et long-terme sur l’épanouissement de l’enfant.
Les violences sexuelles sont extrêmement répandues. Une personne sur dix déclare avoir été victime d’inceste lorsqu’elle était enfant. C’est un sujet judiciaire mais aussi de santé publique. Les conséquences sont en effet multiples : souffrance psychologiques, addictions, pathologies organiques… Il est établi que 80 % des victimes d’agressions sexuelles sont des mineur·es. Et parmi eux, 20 % ont moins de 5 ans. La maltraitance physique et psychologique peut durablement atteindre l’estime de soi et entraver l’émancipation de l’enfant.
Pourtant, la parole des enfants est massivement décrédibilisée. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) alerte sur le nombre de mères s’étant vu reprocher un prétendu « syndrome d’aliénation parentale ». Elles doivent alors confier leur enfant à leur père après dévoilement d’agression sexuelle incestueuse. Ainsi, un enfant peut être obligé de fréquenter la personne qu’il accuse, au motif que les preuves sont souvent difficiles à mettre en évidence. Par ailleurs, l’enfant n’est pas toujours consulté quand un juge décide d’une chose aussi importante pour lui que son futur foyer. Enfin, les réseaux pédocriminels agissent et manipulent des sommes d’argent faramineuses. Face à eux, les moyens judiciaires sont insuffisants.
2. NOTRE PROJET : GARANTIR LES DROITS DES ENFANTS ET LES PROTÉGER
Les enfants ont des droits fondamentaux : droit de se nourrir, droit à l’eau, droit à un logement décent, etc. La France, bien que signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, n’en respecte pas plusieurs articles. Leur santé, dans ses dimensions environnementale et psychologique, doit être garantie. Notre projet est de concrétiser ces droits pour tous les enfants.
Pour y parvenir et leur permettre de se construire dans l’affection et s’épanouir, nous mettrons les moyens nécessaires au bon fonctionnement d’un véritable service public de l’enfance.
Cela implique de redonner les moyens humains à l’ensemble des structures qui prennent en charge les jeunes enfants en rouvrant des maternités, planifiant l’ouverture massive de places en crèches, redonnant la priorité aux services de l’Aide sociale à l’enfance et de la protection maternelle et infantile (PMI). Nous revaloriserons également les métiers du soin et de la garde d’enfants (assistantes maternelles, puéricultrices, sage-femmes…), en matière de salaires et d’horaires de travail.
Enfin, nous ferons de la protection des enfants contre toutes les formes de violences une priorité. Les luttes contre les agressions sexuelles et contre les violences intra-familiales nécessitent des moyens et les formations nécessaires dans les services de la police, de la justice mais également auprès de tou·tes les professionnel·les de l’enfance.
3. NOS PROPOSITIONS : POUR UN VÉRITABLE SERVICE PUBLIC DE L’ENFANCE
Répondre à l’urgence sociale
Assurer une alimentation saine pour tous les enfants
● Mettre en place la gratuité des cantines scolaires
● Passer à une alimentation 100 % biologique et locale dans les cantines
● Encadrer strictement les produits ultra-transformés et fixer des normes en matière de sel, sucre, interdire les publicités de malbouffe à destination des enfants
● Interdire la publicité alimentaire sur tous les supports (radiophonique, audiovisuel et électronique) à destination des enfants et adolescents
● Créer une heure hebdomadaire d’éducation à la nutrition de la maternelle au collège
Concrétiser le droit à l’eau et à l’hygiène pour tous les enfants
● Rendre effectif le droit à l’eau et à l’assainissement par la gratuité des mètres cubes indispensables à la vie digne
● Mailler le territoire de fontaines à eau, de douches et de sanitaires publics et gratuits
Protéger la santé des enfants
● Tenir un registre national des cancers pédiatriques et un registre des malformations anténatales avec des épidémiologistes travaillant sur les facteurs environnementaux
● Instaurer le 100 % Sécu : tous les soins prescrits seront remboursés intégralement par l’assurance maladie
Donner accès au sport et à la culture
● Créer une association sportive dans tous les établissements scolaires du premier degré pour rendre gratuite et accessible la pratique d’une activité physique encadrée par des professionnel·les
● Soutenir la création et l’appropriation par tou·tes des œuvres et pratiques culturelles en revalorisant l’éducation artistique à l’école
Assumer pleinement nos responsabilités envers les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance
L’État doit pleinement assumer ses responsabilités envers les enfants, non seulement en les protégeant de toute violence y compris institutionnelle, mais aussi en leur permettant de s’épanouir. Ce ne sont pas des enfants « placés », mais des enfants « confiés » à la République.
● Recentraliser la protection de l’enfance au niveau de l’État. La décentralisation de l’aide sociale à l’enfance (ASE) au niveau des départements conduit à des inégalités de prise en charge des enfants inacceptables
● Créer des résidences ASE avec appartements familiaux, en alternative au placement d’enfants quand il y a nécessité de prise en charge mais que les liens familiaux sont de qualité
● Interdire dès maintenant le placement à l’hôtel des enfants confiés à l’ASE
● Débloquer des moyens pour construire des foyers supplémentaires qui permettent de séparer les enfants par tranches d’âge, préserver les fratries, préserver les jeunes victimes d’agressions sexuelles, assurer des accueils d’urgence ponctuels, prendre en compte une dimension de soin psychiatrique
● Réformer la protection de l’enfance pour que le bien-être de l’enfant, et son lien avec une figure d’attachement positive soient prioritaires
● Faciliter l’adoption simple quand c’est dans l’intérêt de l’enfant
● Créer une « Maisons des Adolescent·es » par département et y proposer accueil et hébergement jusqu’à 5 jours des fugueur·ses, avec accompagnement et médiation familiale
● Favoriser l’accès au sport et à la culture pour les jeunes confiés à l’ASE
● Rendre obligatoire la prise en charge par un contrat jeune majeur de tous les enfants issus de l’ASE et donner aux jeunes majeurs ou émancipés ayant été confiés à l’ASE le droit à être pris en charge par l’ASE jusqu’à l’âge de 25 ans révolus
Protéger les enfants contre toute forme de violence
Le respect de l’intégrité physique des enfants est un droit fondamental à conquérir. Le premier espace de liberté de chaque être est son corps. Il est urgent de protéger les enfants en formant les professionnel·les, en leur donnant des moyens et en écoutant leur voix.
● Interdire les violentes dites éducatives et mettre en oeuvre une campagne de sensibilisation massive, proposer des alternatives éducatives et du soutien à la parentalité
● Former le personnel travaillant avec les enfants (Éducation nationale, périscolaire, professionnel·les de la petite enfance, de l’ASE) à ne pas recourir aux violences éducatives ordinaires
● Créer une délégation parlementaire aux droits des enfants, chargée de défendre les droits des enfants au sein du travail législatif
● Engager un plan de rattrapage spécifique pour la protection de l’enfance dans les Outre-mer : doter chaque collectivité de structures de protection de l’enfance et de protection maternelle et infantile adaptées, recruter du personnel et le former aux problématiques locales
Les moyens judiciaires mis en œuvre pour lutter contre la pédocriminalité sont à renforcer urgemment pour permettre toutes les enquêtes nécessaires. La prise en charge des victimes doit également être améliorée.
● Créer un organisme interministériel dédié au pilotage de la lutte contre la pédocriminalité, à la coordination de la recherche et à la protection des victimes
● Créer des groupes régionaux de gendarmes et policiers spécialisés dans la pédocriminalité, pourvus de moyens suffisants et d’accompagnement psychologique
● Doublement des effectifs dédiés à la pédocriminalité de l’Office central pour la répression des violences aux personnes et du Centre de lutte contre la criminalité numérique (C3N)
● Lever le secret bancaire concernant les transactions financières de la pédopornographie. Sanctionner les banques et les fournisseurs d’accès internet comme complices des organisations cyberpédocriminelles s’ils ne coopèrent pas
● Inscrire au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) tout délinquant sexuel condamné à une peine d’emprisonnement quelle qu’en soit la durée
● Prendre en charge totalement les soins adaptés pour les enfants victimes de violences sexuelles
La prévention est essentielle pour éviter que de telles souffrances ne soient infligées à des enfants.
● Sensibiliser les jeunes aux bons usages des écrans avec des principes de bonne « hygiène » numérique
● Effectuer des actions de formation au respect de l’intégrité, respect du consentement, et de prévention contre les stéréotypes de la pornographie auprès des jeunes
● Renforcer le dispositif d’aide pour les adultes présentant un trouble d’attraction sexuelle par les enfants, abstinents mais craignant de passer à l’acte, qui ont souvent été victimes d’agressions sexuelles dans leur enfance
● Organiser des campagnes d’information grand public récurrentes visant les adultes sur l’interdit de l’inceste
Une naissance digne
Des décennies d’économies de bout de chandelle ont dégradé les conditions de prise en charge des naissances. Nous tisserons une vraie solidarité autour de la naissance et de l’accueil d’un enfant.
● Dès le projet parental, déployer un soutien à la parentalité et des mesures de prévention : dépression du post-partum, d’accidents domestiques, de violence, etc.
● Réouvrir des maternités de proximité avec des effectifs suffisants de professionnel·les pour que chaque personne ait un service disponible à moins de trente minutes, intégrer l’accouchement accompagné à domicile dans l’offre de soin
● Lutter contre les violences obstétricales, qui concernent aussi les bébés
● Installer des filières de circuit court de matériel de puériculture de seconde main, inciter les hôpitaux à utiliser les couches lavables et fournir des couches lavables gratuites aux familles qui acceptent
● Créer des lits pour les membres de la famille accompagnant l’enfant en pédiatrie
● Créer des unités de psychiatrie mère-bébé
Donner plus de moyens à la petite enfance
Un bébé a des besoins particuliers qui nécessitent un environnement respectant son développement psychomoteur, affectif et culturel. La stabilité nécessaire à l’enfant se construit dans sa famille.
● Établir un congé parental de quatre mois pour les deux parents
● Ouvrir différentes modalités de congé parentalité selon le choix des familles, dont le congé longue durée avec revalorisation de l’allocation de congé parental dès le premier enfant, la réduction du temps de travail, une semaine sur deux, etc.
● Favoriser l’acceptation des bébés dans l’espace public (tables à langer, salon d’allaitement dans les établissements recevant beaucoup de public…) et dans la vie professionnelle
● Encourager les collectivités à réadapter la ville aux enfants : urbanisation, lieux culturels, sécurité aux abords des écoles, etc.
● Développer les lieux d’accueil parent-enfant avec un personnel diplômé
● Remettre des moyens en pédopsychiatrie, secteur dévasté par les politiques d’austérité : ouvrir des centres médico psycho-pédagogiques dotés de moyens suffisants
● Rembourser les séances de psychomotricité et d’ergothérapie des enfants en situation de handicap, dont les autistes
Il est urgent de faciliter la vie quotidienne des familles en matière de garde d’enfants, en leur permettant d’avoir un choix non contraint par l’aspect budgétaire ou le manque de places en modes de garde (crèche, assistante maternelle, etc.).
● Créer un service public de la petite enfance et 500 000 places en crèche et en modes de garde adaptés sur le quinquennat
● Garantir la gratuité des crèches publiques
● Renforcer le soutien aux assistantes maternelles, notamment par l’augmentation du nombre de relais petite enfance
● Planifier la création de crèches (publiques et d’entreprises) en garantissant un accès à un espace extérieur contenant une vraie végétation, ouvrir des créneaux en horaires atypiques
● Imposer un taux minimum de places en crèche par regroupement de communes de plus de 15 000 habitant·es et augmenter les moyens matériels
● Augmenter les capacités d’accueil des crèches hospitalières et des autres services publics
● Abroger le décret Morano et l’ordonnance Taquet qui ont empiré les conditions d’accueil et qui visent à marchandiser toujours plus la petite enfance. Préserver 1 professionnel·le pour 5 enfants et un minimum de 7 mètres carrés par enfant
Enfin, nous devons soutenir davantage les familles endeuillées :
● Prendre en charge financièrement les obsèques des enfants décédés
● Augmenter la durée du congé pour deuil d’enfant, qu’il soit mineur ou majeur, et verser automatiquement les indemnités et l’allocation forfaitaire, sans obliger les parents à déposer une demande
● Reconnaître administrativement et diffuser le mot « parange » pour désigner les femmes et les hommes ayant perdu un enfant, qui n’ont même pas de terme désignant leur douleur
Pour une justice adaptée aux enfants
À rebours de la contre-réforme de la politique pénale des mineur·es du ministre Dupond-Moretti, mise en oeuvre à marche forcée et contre l’avis de l’ensemble des professions concernées, nous entendons réaffirmer les principes de l’ordonnance de 1945 : la primauté des mesures éducatives contre le tout-répressif, la spécialisation de la justice, l’excuse de minorité.
● Abroger le nouveau code de justice pénale des mineur·es de Dupond-Moretti et créer un Code de l’Enfance unifié, qui reprendra l’ensemble des dispositions civiles et pénales applicables aux mineur·es. Un·e mineur·e qui entre en conflit avec la loi est bien souvent un enfant en danger. Ce code visera à mettre en place une politique globale autour de la protection de l’enfance et de l’accompagnement éducatif et judiciaire des mineur·es
La justice aux affaires familiales nécessite d’être mise en adéquation avec les besoins et les rythmes des familles, en particulier des enfants.
● Former au développement de l’enfant les juges des affaires familiales
● Améliorer l’accueil des familles avec jeunes enfants dans les tribunaux de grande instance et d’instance
● Décloisonner la justice des enfants et la justice aux affaires familiales, afin qu’une enquête au sujet de violences puisse suspendre une décision de garde alternée
● Faire évoluer le droit de visite et d’hébergement (DVH) en instaurant une obligation parentale à exercer ce droit de visite
● Faire appliquer la loi sur le non-paiement de la contribution à l’éducation de l’enfant
● Créer une garantie universelle des pensions alimentaires : l’État récoltera et versera les sommes dues
● Remplacer le terme « autorité parentale » par « responsabilité parentale »
Garantir des conditions de travail décentes pour les professionnel·les
Il faut mieux reconnaître ces métiers historiquement féminisés, qui ont toujours été mal reconnus et mal payés. Les conditions de travail dégradées des professionnel·les ont des conséquences sur les enfants. Préserver une qualité de vie au travail est indispensable afin d’éviter les départs de personnes formées, impliquées et bienveillantes.
● Garantir à la protection maternelle et infantile les moyens humains et matériels de remplir toutes ses missions
● Donner les moyens humains, matériels et de formation aux professionnels de la petite enfance et revaloriser leur rémunération
● Sortir les métiers du secteur de l’animation de la précarité, augmenter les taux d’encadrement, faciliter l’accès au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA)
● Recruter des travailleur·ses sociaux et des psychologues dans les départements pour éviter le retard dans l’application des décisions de justice. Renforcer la formation continue des travailleur·ses sociaux, y associer une revalorisation salariale, des possibilités d’évolution de carrière, un recrutement par passerelle
● Accompagner davantage les familles d’accueil par le biais de supervision, analyse de pratiques, formation continue, thérapie familiale, etc. Recruter des assistant·es familiaux et élargir le profil des parents d’accueil. Tenir un fichier des familles d’accueil avec vérification des antécédents d’agréments dans d’autres départements
● Créer un fonds national de garantie des salaires des assistant·es maternel·les financé par la CAF
● Organiser une formation obligatoire de tou·tes les professionnel·les en contact avec les mineur·es, y compris au sein de l’Éducation nationale, sur les violences sexuelles, leurs conséquences, leurs repérages et sur les procédures de signalement, les procédures judiciaires, le dépistage de la maltraitance
● Protéger les professionnel·les lanceur·ses d’alerte des pressions, mesures disciplinaires et procès pour diffamation
Œuvrer à l’échelle internationale
À l’échelle européenne, la coopération entre les pays au sein d’Europol est à renforcer en :
● Centralisant les disparitions de mineur·es actuelles et passées, notamment pour aider les adultes à la recherche de leurs parents (enfants volés du franquisme, enfants retirés à leurs mères célibataires en Irlande…)
● Créant des dispositifs de type « plan alerte enlèvement » à l’échelon européen
En France, il s’agira de protéger les enfants étrangers, sur notre territoire, et à l’échelle internationale :
● Faire respecter le droit des enfants, notamment interdire l’enfermement en centre de rétention administrative des mineur·es
● Supprimer la méthode des tests osseux pour déterminer l’âge des mineur·es non accompagné·es (MNA)
● Appliquer la présomption de minorité. Cela revient à respecter les articles 2 et 20 de la Convention internationale des droits de l’enfant, à savoir l’inconditionnalité de la protection de l’enfance. L’aide sociale à l’enfance (ASE) doit mettre à l’abri l’ensemble des mineur·es qui se présentent aux départements, en attente de la décision finale du juge pour enfants
● Augmenter le nombre d’unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) pour les jeunes de moins de 16 ans et de Missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) pour les plus de 16 ans
● Mettre en place un protectionnisme solidaire dans les échanges commerciaux, prohibant l’importation de biens produits par des enfants
Contribution du groupe LES RÉPUBLICAINS
La politique familiale a toujours été au cœur des préoccupations de la droite qui a posé les fondements des politiques publiques de la petite enfance.
Sous le mandat du président Jacques Chirac, 800 000 familles étaient en attente de places. Le lancement d’un plan d’action publique, dès 2003-2004, par l’ouverture d’un système de mode de garde ouvert aux acteurs privés, ou encore par la mise en place du crédit d’impôt famille (octroyé aux entreprises qui réservent un berceau à leur salarié avec un prix du berceau déductible à hauteur de 50 % sur les impôts), qui a permis d’accroître très fortement le nombre de places en crèches et répondre ainsi à l’attente des familles et au souhait des mères de poursuivre une activité professionnelle. Pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle a toujours été une priorité pour notre mouvement.
Le président Nicolas Sarkozy a poursuivi cet engagement, en consacrant 5 % du PIB, soit 100 milliards d’euros, à la politique de la petite enfance lors de son quinquennat. Fin 2012, ce sont 200 000 places en crèches qui ont pu être créées, avec le souci constant de répondre aux problématiques de toutes les familles par la mise en place de modes de gardes différenciés : accueil en horaires décalés, micro-crèches, lutte contre les inégalités dans les territoires ruraux, mise en place d’un plan espoir banlieue.
L’ouverture de places de crèche, de tout statut, que nous avons initiée a tenté de répondre à l’urgence de la demande et à diversifier l’offre. D’autres types de mode de garde ont aussi été mis en place pour : création de maisons d’assistance maternelle, de jardins d’éveil, mais aussi de places au sein d’hôpitaux et d’administrations... Pour faire face au défi de la formation, un plan spécifique en faveur des métiers de la petite enfance a vu le jour, améliorant manifestement la qualité de l’accueil de l’enfant.
Malheureusement cette politique familiale ambitieuse n’a pas été poursuivie sous les quinquennats de François Hollande et d’Emmanuel Macron qui ont fait des prestations familiales un instrument de redistribution sociale, abandonnant l’objectif de soutien à la natalité et l’universalité. Depuis 2014, un grand nombre de familles ont ainsi été pénalisées par : la mise en place d’un système de dégressivité des allocations familiales ; la modulation de l’allocation de base de la Prestation d’Accueil du Jeune Enfant (Paje), également placée sous conditions de ressources ; le passage du quotient familial de 2 400 euros à 1 500 euros…
En 2019, elles ont dû de surcroît subir la sous revalorisation des prestations familiales. Cette politique antinataliste, initiée par François Hollande et confirmée par Emmanuel Macron, a conduit à une baisse continue de l’indicateur conjoncturel de fécondité depuis 2014. Alors que celui-ci oscillait entre 2006 et 2014 autour de 2,0 enfants par femme, il n’a cessé depuis de diminuer pour atteindre 1,68 en 2020.
Allonger le congé paternité (alors que la France était dans la moyenne européenne) ou permettre de mieux recouvrer les pensions en cas de divorce sont des mesures louables mais elles ne constituent pas une politique familiale !
Plus récemment, le Gouvernement a annoncé un « plan pour garantir un meilleur accueil du jeune enfant », qui prévoyait de dégager une enveloppe de 5,5 milliards d’euros pour la création de 200 000 places supplémentaires en crèche d’ici 2030 et le recrutement d’assistantes maternelles. Mais une fois encore, les actions n’ont pas suivi la communication…
Il est temps de remettre la famille au cœur de nos politiques pour rétablir la vitalité démographique de notre pays et c’est pourquoi le groupe les Républicains a accueilli favorablement la création de cette commission d’enquête qui tentait d’apporter une réponse à un enjeu majeur pour les familles : la qualité de l’accueil des jeunes enfants avec pour seule boussole, l’intérêt des jeunes enfants accueillis.
Nous avons souhaité élargir le champ d’investigation de cette commission d’enquête, initialement limitée aux seules structures d’accueil privé, à l’ensemble des structures, publiques et associatives car les problématiques et les enjeux sont les mêmes, comme l’ont montré tant les différentes études que les auditions qui ont été faites.
La lutte contre la maltraitantes et les dérives dans le secteur de la petite enfance est un combat que nous devons tous mener et le groupe les Républicains partage les analyses et les constats faits par la commission d’enquête, renseignés par les rapports de l’IGAS et les témoignages recueillis. Mais la dégradation de la qualité de l’accueil des enfants en crèches résulte aussi de la pénurie de professionnels pour encadrer les enfants. Sans réelle prise de conscience des pouvoirs publics, et « choc urgent », la pénurie ne pourra que s’aggraver dans les années à venir.
A cette problématique s’ajoute le manque aujourd’hui de près de 200 000 berceaux sur le territoire. Selon une étude de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) de 2023, il existe environ 460 000 places en crèches pour 2,4 millions d'enfants de moins de 3 ans en France. Les listes d'attente s’allongent et de nombreux parents se retrouvent sans solution. La commission d’enquête a permis de mettre en lumière une tendance au « gel » de créations de places, que les plans crèches successifs n’ont pas réussi à résorber.
En France, plusieurs dizaines de milliers de places de crèches sont gérées par des acteurs privés. Elles répondent aux besoins des familles mais aussi des entreprises et des administrations qui réservent et financent de nombreux berceaux. Certaines s’inscrivent même dans des délégations de services publics conçues et suivies avec attention par des collectivités locales compétentes en matière de petite enfance. Des milliers de professionnels qualifiés s’y impliquent avec dévouement au service des enfants qui leur sont confiés et on ne peut laisser penser que les acteurs privés ne seraient pas contrôlés.
La protection maternelle et infantile doit suivre toutes les structures, quel que soit leur statut. Les contrôles de la PMI et leurs recommandations pour l’obtention d’agrément s’avèrent exigeants – mais les PMI manquent de moyens et d’un cadre national notamment sur la fréquence. De son côté, la caisse d’allocations familiales veille aux actions menées qui donnent droit au versement de prestations. Le suivi financier et comptable est lui aussi exigeant. Les travaux de la commission d’enquête l’ont prouvé : la gestion du service public de la petite enfance par des acteurs privés n’est pas porteuse en soi de maltraitance, ni synonyme de détournements de fonds publics. Les difficultés sont en réalité de nature systémique puisqu’elles résultent du modèle économique et des règles de fonctionnement des crèches.
Il y aussi un défaut de pilotage national qui est responsable pour partie des disparités de qualité de l’accueil. A l’heure actuelle, la gouvernance nationale est morcelée et parcellaire ; le suivi et l’évaluation de la qualité n’étant confiés à aucun des acteurs en charge du secteur.
Pour la première fois, ce rapport propose de privilégier la qualité de l’accueil des jeunes enfants sur la quantité du nombre de places offertes aux parents, à rebours des objectifs de création de nouvelles places.
Mais ce n’est pas la suppression du crédit d’impôt famille ou l’introduction d'une taxe sur les entreprises affectée aux communes ou intercommunalités pour financer le secteur de la petite enfance qui va permettre de relever le défi de la qualité d’accueil. Les acteurs du secteur estiment que ces décisions impacteraient considérablement les établissements d’accueil du jeune enfant en les privant de l’engagement des entreprises et pourrait entraîner la disparation mécanique de nombreuses places de crèches privées.
C’est pourquoi le groupe LR est opposé à ces propositions et privilégie une politique ambitieuse dont le financement peut être assuré s’il y a une réelle volonté politique par une réforme structurelle de la prestation de service unique (PSU) et un soutien renforcé de la branche famille. En effet, avec 88,3 milliards d'euros de prestations servies en 2023, la branche famille dégage un excédent de 1 milliard d’euros (1,9 Md€ en 2022) qui constitue une piste crédible de financement. Cet excédent étant amené à progresser avec la baisse de la natalité. Il est donc tout à fait possible de financer de nouvelles places en crèche, en maintenant la diversité des structures et sans pénaliser les familles et les entreprises qui s’engagent.
CONTRIBUTION DE MME ANNE BERGANTZ, députée des Yvelines
LIBERTÉ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE– ÉGALITÉ – FRATERNITÉ
Anne Bergantz – Députée des Yvelines
Commission des affaires sociales
RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
Sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Remarques et apports
Anne BERGANTZ
REMARQUES GENERALES
Avant tout, je tiens à féliciter la Rapporteure, ses équipes, ainsi que les administrateurs qui ont délivré un rapport d’une très grande qualité.
Ce dernier est à la fois pédagogique dans son approche, exhaustif, et représentatifs des nombreuses auditions que nous avons pu mener.
Une grande majorité des recommandations sont de bon sens, et mériterait une application rapide pour aider au redressement du secteur.
Certaines recommandations relevant d’un caractère « obligatoire » ou d’une « interdiction » son – à mon sens – à clarifier.
Enfin, d’autres recommandations – si elles sont pertinentes – semblent délicates à mettre en place œuvre, voire même à risque pour l’équilibre du secteur de la Petite enfance.
I- Les recommandations à clarifier :
- Recommandations N°2 / N°10 / N°30 / N°33 (et associées) visant à éviter le recours au personnel non diplômé ou de faible niveau de diplômes à brève échéance :
Si je partage l’idée que l’encadrement doit être assuré par des personnes bien formées, à même de répondre aux besoins fondamentaux des jeunes enfants, je pense cependant que le rapport aurait dû consacrer – au-delà de l’arrêt du recours au personnel non formé – la question des perspectives de carrière et les formations des personnels peu diplômés.
Pour l’heure, nous ne pouvons-nous passer d’une quelconque partie des personnels de la petite enfance sans prendre le risque de fermeture de berceaux.
Aussi, si je suis en accord avec les recommandations sur l’augmentation des compétences des équipes déjà existantes - avec un effort sur la formation continue – ainsi que sur futurs diplômés, je pense que notre attention doit également se poser sur l’évolution professionnelle du personnel peu qualifiés, par l’acquisition continue de nouvelles compétences et qualifications, ainsi que dans l’accumulation d’expérience pratique et par la formation continue. Cette acquisition de diplômes et de compétences peut se faire par la VAE.
Cela nécessitera aussi de libérer ce qui manque le plus aux professionnels d’aujourd’hui : du temps.
Ce qui passera par un assouplissement des normes administratives et une simplification des règles administratives pesant notamment sur les directions des EAJE.
C’est un point que je traiterai plus tard dans le présent document.
- Recommandation 4 : sur la présence de deux professionnels
S’agissant de la présence de deux adultes dès le premier enfant, certains acteurs estiment que cela pourrait réduire l’offre des micro-crèches et être préjudiciable à l’accueil d’enfants en horaire atypique.
Sur ce point, on peut questionner la différence qui existe entre les MAM où 4 enfants peuvent être sous la responsabilité d’une seule assistante maternelle et les crèches à partir de 13 places où deux adultes sont nécessaires dès le 1er enfant. Il serait souhaitable que l’on puisse regarder comment adapter le nombre d’adultes dès le 1er enfant, en fonction de l’âge des enfants et de la qualification des professionnels.
- Recommandation 12 : sur les entretiens individuels :
Les auditions ont montré que les différents contrôles (CAF / PMI) étaient perfectibles sur de nombreux points, dont la plupart sont traités dans les diverses recommandations.
L’un des points tient à la durée des contrôles (pouvant parfois aller jusqu’à une semaine) pour les contrôle CAF.
Si cette douzième recommandation répond à une demande exprimée en audition, sur l’écoute des professionnels, je me questionne sur l’impact que cela aura sur la durée de chaque contrôle.
Cela ne risquerait-il pas d’aller à rebours des recommandations sur la régularité et l’effectivité des contrôles ?
Ne serait-il pas possible d’envisager le retrait de l’obligation et de restreindre ces entretiens à quelques membres du personnel et non à l’ensemble.
- Recommandation 14 : sur le livret de suivi des enfants :
Nous évoquions plus haut le poids prépondérant de l’administratif, et des tâches étrangères aux missions d’encadrement.
Si cette idée se propose de les rapprocher des préoccupations centrales relatives à la qualité d’accueil du jeune enfant, cela ne rajouterait-il pas une tâche administrative supplémentaire ? Là où l’objectif était justement d’aller vers un allègement de l’administratif imposé aux directions de crèches.
En la matière, il faut confiance aux personnels pour échanger quotidiennement avec les parents.
- Recommandation 45 : sur la création de place en lien avec les Régions
Cette remarque va de pair avec la recommandation 66.
Je suis en accord avec ces recommandations de bon sens. Je me questionne cependant sur leur faisabilité.
Lors de l’audition des Régions, j’avais été surprise par l’affirmation de sa représentante concernant la méconnaissance des besoins sur son propre territoire.
Comment se doter d’un outil ou d’une façon de faire qui permette d’avoir une vue transversale et complète des besoins à l’échelle d’un territoire ?
Le rapport y répond partiellement, mais cela mériterait à mon sens un axe plein et entier. Car cette mesure constituera l’une des clés de voûte du futur SPPE.
- Recommandation 55 : sur une plateforme nationale de recensement
La recommandation est intéressante, mais je m’interroge sur la pertinence de cette disposition au regard du recensement local qui sera faite par les communes ou intercommunalités, échelle pertinente pour les familles.
Il faudrait peut-être conserver une gestion pleine et entière par la commune sans rajouter un intermédiaire dans l’équation.
- Recommandation 63 – 64 – 65 : sur une publication annuelle par la Cnaf du nombre total de places en crèches gelées
Je suis pleinement en faveur de ces recommandations. Cependant, pourquoi ne pas les jumeler en une seule publication annuelle ?
Il y a un lien clair entre le recensement du nombre de professionnels (manquants) et le nombre de places gelées. Cela pourrait et devrait être traité conjointement avec des déclinaisons à échelle des territoires.
De même, il serait bon d’y ajouter un recensement des différentes formations dispensées sur les
territoires, ainsi que les cohortes d’étudiants pour chaque formation.
Cette publication exhaustive donnerait une vue sur une situation à un instant T, mais permettrait aussi d’anticiper les besoins et les réponses pour les différents bassins.
- Recommandation 73 : sur les enfants préscolarisés :
J’ai de nombreux questionnements sur ce sujet et ce serait un débat très intéressant, peu abordé lors des auditions. Je comprends bien l’intérêt qu’il pourrait y avoir à préscolariser des enfants.
Néanmoins ce sujet est pour partie en contradiction avec des recommandations sur le niveau d’encadrement des enfants accueillis en EAJE. Nous parlons d’école donc de classes encadrées au plus par un professeur des écoles et éventuellement une ATSEM.
Si cet encadrement est adapté à des enfants plus grand, l’est-il pour des enfants de deux ans ? Où cette mesure serait-elle déployée en priorité ? Pour quel coût ? Quid des inégalités territoriales s’il s’agissait de mettre en place des mesures uniquement dans certains quartiers ? Je le répète, c’est un sujet extrêmement intéressant et probablement à creuser.
II- Les recommandations à risque :
Je tenais à exprimer certaines réserves concernant les points suivants :
- Recommandations 4 – 5 – 6 (et associées) : sur le taux d’encadrement
Faute d’un nombre de professionnels formés suffisants, les conséquences induites par ses recommandations pourraient engendrer des fermetures de places ou des diminutions d’horaires d’ouverture au détriment des familles.
Si elles sont prises, ces mesures devraient être assorties d’un objectif chiffré en termes de professionnels formés à l’horizon 2027.
- Recommandation 50 / 54 / 56 : sur la suppression du CIFAM et la mise en place d’un prélèvement
Le questionnement du CIFAM et du modèle global du financement des crèches, avec le tiers financeur, ne fait pas débat. Cependant, j’avais exprimé des réserves lors de l’audition de l’IGAS et de l’IGF concernant la surpression du CIFAM préconisé dans leur rapport.
En effet, les raisons de cette suppression de même que leurs conséquences n’ont absolument pas été objectivées dans le rapport. Il y avait au mieux des estimations et des corrélations, mais nullement des données chiffrées.
Cette décision de suppression devrait à mon sens faire l’objet d’une étude d’impact sérieuse. De même que la proposition de prélèvement sur les entreprises proposée par la rapporteure, dont on méconnait les coûts, les effets et les conséquences sur les familles des salariés, dès lors que le salariés ne vient pas sur la commune de son employeur, par exemple.
A titre personnel, je suis réservé sur une taxe obligatoire - bien que différentielle - sur les entreprises qui obligerait à une répartition du nouvel impôt en fonction des communes.
Concernant les entreprises, il y a aujourd'hui un lien entre ce qui est payé et ce qui est réservé en termes de berceaux. Qu’en sera-t-il dans de nouveau modèle ?
Est-on sûr que nous aurons le même nombre de salariés qui pourraient bénéficier de places avec ce modèle ?
Comment faire coïncider la participation de l'entreprise et le nombre de berceaux auxquels elle pourra prétendre ?
Quelles seront les conséquences pour les EAJE privés ou associatives ayant une part conséquente de réservation de places par des entreprises ou administrations et quels impacts à court, moyen ou long terme sur le maintien de ces berceaux ?
Comment garantir l’ambition du service public de la petite enfance, qui est de garantir l’accessibilité financière et de faire converger le coût pour les familles entre les différents modes d’accueil ?
- Recommandation 52 : sur le passage de la PAJE sur le modèle PSU
Je tiens à faire un point d’alerte, qui nous a été remonté par des micro-crèches lors des auditions.
Il faudra faire attention aux problèmes de trésorerie que pourraient rencontrer les MC PAJE lors de leur passage vers le modèle PSU. Certaines pourraient ne pas avoir les fonds suffisants et disparaitre, lors du changement de statut.
Il faudra veiller à mettre en place un tuilage pour assurer leur pérennité. Dans le cadre des politiques que nous mènerons, il faudra faire attention à ne pas sacrifier certaines MC PAJE vertueuses qui existent aujourd’hui.
III- Les angles morts du rapport :
- Simplifier le cadre normatif :
Bien que cela soit évoqué dans la première partie, il eut été bon d’avoir une recommandation spécifique relative à la simplification du cadre normatif.
L’ensemble des acteurs interrogés dans et hors de la commission d’enquête ont mis en évidence le poids considérable que représentait le cadre normatif français. Ce cadre est beaucoup plus souple dans les modèles étrangers, tout en respectant l’intérêt supérieur de l’enfant. Sortir de la vision hygiéniste, assouplir les normes sans abaisser les critères, et consolider la confiance entre le professionnel et les parents me semble indispensable à l’avenir.
Contribution de Mme MARIE-CHARLOTTE GARIN, dÉputÉe du rhÔne
Je veux tout d’abord remercier M. William Martinet du groupe La France insoumise (LFI-NUPES) d’avoir pris l’initiative de demander la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements.
La proposition de résolution du groupe LFI-NUPES faisait suite aux dérives constatées par le rapport de l’inspection générale de l’action sociale (IGAS) commandité à la suite du décès d’une fillette de 11 mois dans une entreprise de crèche appartenant au groupe People & Baby en 2022.
Le groupe LFI souhaitait que soit particulièrement investigué le cas des crèches privées bénéficiant de financements publics. Je regrette que la commission n'ait pas retenu cet objet initial en retenant un champ plus large du secteur de la petite enfance alors que 80 % des nouvelles places de crèche appartiennent au privé lucratif soutenu par des financements publics.
Néanmoins, je salue, au nom du groupe écologiste, le travail important d’auditions réalisées par le président et la rapporteure de la commission d’enquête, qui ont permis de faire un état des lieux nécessaire du service de la petite enfance et d’identifier les alertes et dysfonctionnements de celui-ci.
Nous saluons la majorité des constats et préconisations établies et espérons que celles-ci seront suivies d’actions concrètes pour améliorer la qualité d'accueil et le bien-être des professionnels au sein des structures de la petite enfance. Nous serons vigilants à ce que les moyens budgétaires soient prévus pour mettre en avant les préconisations.
Face aux constats dessinés par la commission d’enquête, la présente contribution vise à apporter des recommandations complémentaires nécessaires à une politique publique de la petite enfance renouvelée.
Dans le cadre de la prochaine COG entre l'État et la CAF en 2027, les objectifs d’encadrement poursuivis seront déterminants pour rétablir une qualité d'accueil satisfaisante dans tous les établissements. Des objectifs trop faibles ou trop tardifs n'engageraient pas véritablement à l’amélioration de la qualité d'accueil, mais se contenteraient de revenir à une situation antérieure non acceptable. Il en va de la dignité des enfants accueillis et de leur bien-être ainsi que celui des professionnels.
Le taux d’encadrement ciblé doit être celui d'un professionnel pour quatre enfants, qu’ils marchent ou non. La taille des sections au sein des EAJE doit être limitée à 12 enfants maximum. Le taux d’encadrement obligatoire des enfants par des puéricultrices, des éducateurs de jeunes enfants, des infirmières ou psychomotriciens doit être relevé à 60 %, et ce, dès 2027.
Ces objectifs permettraient d’engager pleinement l’ouverture de place de formation, la revalorisation de l’attractivité du métier, notamment par la hausse des salaires, pour pouvoir y parvenir. Sans cela, la situation des crèches restera inacceptable, avec une charge trop élevée sur les professionnels pour exercer un accueil serein des enfants dans les structures.
La suppression du Crédit d’impôts Famille dans le cadre de la prochaine COG doit permettre le développement des établissements publics. L’économie générée par sa suppression doit contribuer au rééquilibrage des ouvertures de nouvelles places en crèches entre les établissements publics et privés.
2- Instaurer un congé parental ambitieux
Les établissements du service de petite enfance faisant face à des tensions qui pèsent sur les conditions de travail des professionnels et sur la qualité d'accueil, il est nécessaire de mettre en place un vrai congé parental, par exemple de 12 mois cumulés pour les deux parents, rémunérés à hauteur de 70% du revenu brut. La charge de la parentalité étant exercée majoritairement par les mères, de fait désavantagées économiquement, la moitié des 12 mois de congé parental devront obligatoirement être pris par le père. Ce congé parental permettrait aux parents d’assurer la garde des enfants sereinement sur une plus longue durée.
3- Une politique de petite enfance, premier pilier de la politique d’éducation
Les métiers de la petite enfance sont avant tout des métiers éducatifs et doivent sortir du seul giron du soin et des personnes vulnérables; le tronc commun de la formation doit être étendu à des métiers éducatifs et de l’enfance. Cet objectif permettrait de favoriser les passerelles entre le secteur de la petite enfance et de l’éducation. Ainsi, ce changement de paradigme permettrait d’améliorer l'attractivité des métiers de la petite enfance.
4- Consolider la politique de petite enfance à l’échelle communale
Dans un objectif de clarification des compétences en matière d’organisation du service public de la petite enfance, le suivi de la construction du service doit être réalisé par une commission communale sur chaque territoire. La construction du service de la petite enfance doit poursuivre un objectif de nivelage par le haut de la qualité d'accueil au sein de l'ensemble des crèches, qu'elles soient municipales, associatives ou privées.
Cela nécessite d'avoir les éléments d'appréciation de la qualité du projet d'accueil et du projet pédagogique de chaque établissement. Pour cela, il est nécessaire d’octroyer une mission de contrôle sur le projet et la qualité d'accueil des établissements subventionnés, en lien avec la PMI et la CAF. Une régularité de contrôle différenciée doit être actée sur les établissements ne répondant pas à la qualité d'accueil attendue.
5- Instaurer la pédagogie de plein air au sein des établissements
La pédagogie de plein air est absente des travaux de la commission d’enquête. Pourtant, l’accès au plein air instauré dans chaque établissement permettrait l’amélioration de la qualité d'accueil et du bien-être des professionnels. Les expériences sensorielles en plein air stimulent les sens des jeunes enfants et contribuent à leur développement sensoriel, moteur et cognitif ainsi que l’amélioration de leur santé.
Contribution de Mme VIRGINIE LANLO, dÉputÉe des hauts-de-seine
CONTRIBUTION AU RAPPORT COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE MODELE ECONOMIQUE DES CRÈCHES ET SUR LA QUALITE DE L’ACCUEIL DES JEUNES ENFANTS
30 mai 2024
Suite à la présentation du rapport de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants du 27 mai 2024, veuillez trouver ci-après mes remarques / contributions par rapport aux recommandations qui nous ont été présentées.
- S’il est convenu que nous devons préserver les taux d’encadrement, et surtout les améliorer, en fonction de l’âge des enfants ; il me parait indispensable de conserver également un taux d’encadrement au niveau de l’établissement en sus. En effet, s’il devait y avoir des absences de professionnels, cela empêcherait le maintien de l’accueil des enfants au niveau de la section concernée par l’absence.
- S’il est convenu qu’il est nécessaire que les jeunes enfants aient des référents, il n’en demeure pas moins que pour stabiliser les professionnels au sein de l’unité de vie, il nous faut valoriser ces professionnels afin de les fidéliser dans les structures d’accueil du jeune enfant.
- Si nous actons de la possibilité de revenir, en 2027, au recrutement, à titre exceptionnel, de personnel non diplômé au sein des EAJE, il faut impérativement y associer une formation obligatoire dont les modalités seraient à déterminer.
- Si nous devons recentrer les missions des PMI en les déchargeant des contrôles bâtimentaires et administratifs en les confiant aux CAF ; les collectivités territoriales (municipalités) qui donnent les autorisations d’ouverture des établissements recevant au travers des commissions de sécurité peuvent également être en charge des contrôles bâtimentaires
Dans le cadre des contrôles bâtimentaires, nous devrons veiller à ce que d’un contrôle à l’autre les normes ne soient pas interprétées de manière différenciée.
Dans l’attribution des compétences nous devons éviter un empilement des missions identiques de chaque entité.
- Si la recommandation d’affecter un logement social au personnel de crèches est louable dans son principe, elle ne pourra être mise en œuvre que si la main est redonnée aux Maires dans l’attribution des logements sociaux ; ces derniers ayant la connaissance des besoins de leur territoire. Par ailleurs, pour se faire, il pourrait être envisagé que le logement soit associé au professionnel dans le cadre de son contrat de travail permettant ainsi de fidéliser ces professionnels
- La création d’un congé de naissance de deux fois 3 mois pour chaque parent peut sembler une réponse à apporter à certaines familles en fonction de leurs aspirations professionnelles et personnelles.
Pour autant, quelques remarques :
A ce stade, il ne faut pas oublier que nous avons également des familles monoparentales, ainsi il faudra qu’une maman, ou papa, seule puisse ainsi bénéficier de 6 mois de congé de naissance.
Par ailleurs, il est suggéré dans cette recommandation de transformer le congé parental de 3 ans en congé de naissance de 2 x 3 mois avec une meilleure rémunération. Il est à rappeler, que certains parents font un choix réel et engagé du congé parental afin de rester au plus proche de leurs enfants pendant 3 ans. Nous pourrions même imaginer un partage du congé parental entre les deux parents.
Ainsi, à ce stade, je recommanderais de laisser le choix aux parents entre le congé de naissance ou le congé parental.
- Il est préconisé de soutenir une préscolarisation des enfants (les moins de 3 ans) pour favoriser leur socialisation. Il est à rappeler que la préscolarisation est déjà possible dans les REP et REP +, ainsi que dans les QPV.
Scolariser les enfants de moins de 3 ans, obligent à une organisation différenciée par rapport aux enfants de 3 ans ; tant au niveau du bâti et des aménagements, que de l’encadrement des enfants et de leur accompagnement qui sont de la responsabilité des villes et de l’Education Nationale, la préscolarisation impliquant une pédagogie différenciée.
Pour autant, il pourrait être envisagé en fonction des territoires et surtout de l’analyse de la situation individuelle autour de l'enfant, un dialogue entre la crèche, l’école et la collectivité pour envisager, ou pas, son accueil à l’école sans pour autant le généraliser, comme cela se fait déjà sur certains territoires. Si cela doit se faire, les moins de 3 ans devront être comptabilisés dans les effectifs notamment quant il s’agira des discussions de la carte scolaire.
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Liste des personnes auditionnées
(par ordre chronologique)
24 janvier 2024
Inspection générale des affaires sociales (Igas) – Dr Nicole Bohic, M. Christophe Itier et M. Thierry Leconte, membres de l’Igas, au titre du rapport « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches » (mars 2023).
31 janvier 2024
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – M. Romain Roussel, sous-directeur « Industrie, santé et logement », Mme Virginie Gallerand, cheffe du bureau « Produits et prestations de santé et des services à la personne » et M. Daniel Leplat, adjoint de Mme Gallerand, au titre de l’enquête réalisée par la DGCCRF en 2021 et 2022 sur les prix et contrats des micro-crèches
Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale – Mme Michèle Peyron et Isabelle Santiago, députées, corapporteures de la mission d’information « flash » sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches.
Mme Nathalie Casso-Vicarini, fondatrice, déléguée générale d’Ensemble pour la petite enfance, membre de la commission sur les 1000 premiers jours de l’enf ant.
Table-ronde réunissant :
– Mmes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, journalistes, auteures de Babyzness
– Mme Daphné Gastaldi et M. Mathieu Périsse, journalistes, auteurs de Le Prix du berceau
6 février 2024
Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA)
Mme Sylviane Giampino, présidente
Inspection générale des finances / Inspection générale des affaires sociales
M. Francois Werner, inspecteur général des finances, et Mme Gaëlle Turan-Pelletier, inspectrice des affaires sociales, au titre de la Revue de dépenses de juin 2017 sur la politique d’accueil du jeune enfant.
7 février 2024
Mme Christine Schuhl, universitaire, auteure du livre Vivre en crèche. Remédier aux douces violences
Table-ronde réunissant :
– M. Philippe Dupuy, directeur de l’Association des collectifs Enfants parents professionnels (ACEPP)
– Mme Julie Marty Pichon, déléguée du collectif « Pas de bébés à la consigne »
– Mme Valérie González, co-présidente de l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance (A.NA.PSY.pe), et Mme Lucineia Martins Dos Santos, psychologues cliniciennes
28 février 2024
Association des maires de France (AMF)
Mme Clotilde Robin, adjointe au maire de Roanne, vice-présidente de Roanne Agglomération, présidente du groupe de travail « Petite enfance » de l’AMF, Mme Nelly Jacquemot, responsable du service action sociale, éducation, culture et sport de l’AMF, et Mme Sarah Reilly, conseillère santé et petite enfance.
Régions de France
Mme Françoise Jeanson, vice-présidente de la Région Nouvelle-Aquitaine, et Mme Laura Lehmann, conseillère « Santé, Social et Enseignement supérieur » à Régions de France
Intercommunalités de France
M. Thomas Fromentin, président de l’agglomération du pays de Foix Varilhes, vice-président d’Intercommunalités de France, M. Thomas Fromentin, vice président d’Intercommunalités de France, président de l’agglomération du pays de Foix-Varilhes, Mme Marie Morvan, conseillère cohésion, et Mme Montaine Blonsard, responsable des relations avec le Parlement
6 mars 2024
Mme Carole Chrisment, présidente du collectif des crèches associatives du Grand Est
France urbaine
Mme Annick Bouquet, adjointe au maire de Versailles en charge de la petite enfance, présidente de la commission « petite-enfance », et M. Etienne Chauffour, directeur en charge de l’éducation et de la petite enfance, maire honoraire de Juvisy-sur-Orge
Familles rurales*
Mme Rita Ciccarella Vanderbeke, membre du bureau de Familles Rurales, référente petite enfance, présidente de la Fédération des Bouches‑du‑Rhône
M. Vincent Clivio, directeur du développement et de la vie associative
M. Mickaël Philippe, conseiller technique Solidarité et cohésion sociale
Fédération nationale de la mutualité française (FNMF)*
Mme Séverine Salgado, directrice générale
Mme Anais Perelman, responsable « petite enfance et initiatives sociales »
Mme Julie Doye, directrice nationale « Enfance »
Fédération française des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (FEHAP)*
Mme Elodie Hémery, directrice de l'autonomie et des parcours de vie
Mme Sophie Urban, directrice de l'association AGE, membre de la commission petite enfance de la FEHAP
Mme Agnès Blondeau, conseillère petite enfance
Union nationale des associations familiales (UNAF)
Mme Véronique Desmaizières, administratrice, département Parentalité-Enfance
Mme Guillemette Leneveu, directrice générale
19 mars 2024
Fédération française des entreprises de crèches (FFEC)*
M. Jérôme Obry, président
Mme Elsa Hervy, déléguée générale
20 mars 2024
Babilou *
M. Xavier Ouvrard, président-directeur général
M. Vincent Bulan, directeur général
Mme Sabine Mirault, directrice de l'offre d'accueil
Les Petits Chaperons rouges – Grandir*
M. Sacha Tikhomiroff, directeur général France
Mme Elodie Colas, directrice régionale Ile-de-France Nord
People&Baby
M. Christophe Durieux, président fondateur
Mme Odile Broglin, cofondatrice
La Maison Bleue
Mme Claire Laot, directrice générale
M. Riad Bouchekioua, directeur régional Ile-de-France Est
26 mars 2024
Départements de France
Mme Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, viceprésidente Enfance de Départements de France et présidente du GIP France Enfance Protégée
Mme Laurette Le Discot, conseillère Enfance et Famille Départements de France
Mme Violaine Blain, directrice générale adjointe France Enfance Protégée
Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI)
M. Pierre Suesser, co-président, Mme Elisabeth Jude-Lafitte, Mme Marie-Christine Colombo et Mme Agnès Lacassie-Dechosal
27 mars 2024
Fédération du service aux particuliers (FESP)*
M. Brice Alzon, président
M. Hacène Habi, président de la commission Accueil collectif
M. Mehdi Tibourtine, directeur général adjoint
Regroupement des entreprises de micro-crèches (REMi)
Mme Fanny Schosseler, présidente
Mme Alycia Jankowski, vice-présidente
Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE)
Mme Véronique Escames, co-secrétaire générale
Mme Lucie Robert, co-secrétaire générale
M. Cyrille Godfroy, co-secrétaire général
Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE)
Mme Julie Marty Pichon, co-présidente
M. Saber Benjima, co-président
Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)
M. Nicolas Grivel, directeur général
M. Vincent Nicolle, sous-directeur en charge du département gestion et financement de l'action sociale
M. Damien Ranger-Martinez, directeur de la communication et des relations institutionnelles
28 mars 2024
Table ronde avec des représentants des sections « Petite enfance » des organisations syndicales nationales :
– CFDT : Mme Jocelyne Cabanal
– CGT : Mme Myriam Lebkiri, M. Joël Raffard et M. Stéphane Fustec
– FO : M. Léo Lasnier et Mme Stéphanie Prat-Eymeric
– CFE-CGC : M. Jean-Yves Delannoy, Mme Mireille Hajar et M. Louis Delbos
– CFTC : Mme Aline Mougenot
MM. Édouard et Rodolphe Carle, fondateurs de Babilou
2 avril 2024
Inspection générale des finances / Inspection générale des affaires sociales
M. Philippe Vinçon, inspecteur général des finances, et Mme Véronique Guillermo, inspectrice générale des affaires sociales, au titre de l’évaluation du crédit d’impôt famille, réalisée conjointement en juillet 2021, par IGF et l’Igas.
3 avril 2024
M. Sylvain Forestier, président fondateur de La Maison Bleue, accompagné de Mme Claire Laot-Billet, directrice générale
Les Parents Zens
M. Tanguy Desandre, président fondateur
M. Bertrand Dubois, directeur des opérations
Horizon crèche
Mme Marie-Sophie Saoudi, fondatrice
Mme Anne Faguer, directrice du développement
M. Pierre-Yves Nauleau, avocat
M. Jean-Emmanuel Rodocanachi, président et fondateur du groupe Grandir-LPCR (Les Petits Chaperons Rouges)*
4 avril 2024
Mme Nadine Morano, secrétaire d’État chargée de la famille de 2008 à 2010
M. Vincent Levita, président de Infravia Capital
Antin Infrastructures Partners
M. Alain Rauscher, président-directeur général
Mme Angelika Schöchlin, associée gérante, en charge des infrastructures sociales
9 avril 2024
Dr Jean-Philippe Bertocchio, néphrologue, dirigeant de Skezi
Léa & Léo
M. Frédéric Thomas, président fondateur
Mme Veronique Mancini, directrice marketing et développement
Inspection générale des finances / Inspection générale des affaires sociales
M. Simon Arambourou, inspecteur des affaires sociales, Mme Pauline Callec, inspectrice des finances et M. Pierre Prady, inspecteur des finances, au titre du rapport « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil » (mars 2024)
Direction de la sécurité sociale (DSS)
M. Morgan Delaye, chef de service adjoint au directeur
Mme Marion Muscat, adjointe à la sous-directrice de la direction de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail
M. Vincent Malapert, chef de bureau de la direction prestations familiales et aides au logement
Mme Elisa Bazin, cheffe de projet service public de la petite enfance
10 avril 2024
M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale (DGCS)
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé de 2012 à 2017
Bpifrance*
M. José Gonzalo, directeur exécutif de Bpifrance, en charge du capital développement
M. Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des relations institutionnelles
M. Christian Jacob, ministre délégué chargé de la famille de 2002 à 2004.
29 avril 2024
People&Baby / Alcentra
M. Philippe Tapié, président de la société Ridge Consulting, nouveau président du Groupe People and Baby
MM. Nicolas Besson et Amos Ouattara, représentants de la société Alcentra Limited
Towerbrook
M. Karim Saddi, directeur général
M. Daniel Bernard, membre et représentant de TowerBrook au conseil d’administration de La Maison Bleue
Mme Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière petite enfance, rapporteure générale de la concertation sur le SPPE, membre du collège défense et promotion des droits de l’enfant
30 avril 2024
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles (2019-2022)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, ancienne ministre des solidarités et des familles (juillet 2023-janvier 2024)
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, et Mme Sarah El-Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des Sceaux, ministre de la justice, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
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rencontres effectuées par la rapporteure et le président lors de leurs déplacements de février 2024
(par ordre chronologique)
1. Meurthe-et-Moselle, 12 et 13 février 2024
– Union départementale des associations familiales
– Commune de Rosières-aux-Salines / ADMR
– Commune de Ville-en-Vermois
– Commune de Fléville-devant-Nancy
– Crèche Achille et Camille, à Saint-Nicolas-de-Port
– Mme Carole Chrisment
– Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle / PMI
– Caisse d’allocations familiales de Nancy
– Commune de Lunéville
– Multi-accueil du centre social les Épis, à Lunéville
– Communauté de communes Meurthe Mortagne Moselle (CC3M) à Blainville-sur-l’eau
2. Rhône et Métropole de Lyon, 15 et 16 février 2024
– Micro-crèche associative Mes yeux d’enfants, à Meyzieu
– Crèche privée Les petits Baobabs, à Décines-Charpieu
– Multi-accueil La Câlinerie, à Saint-Bonnet-de-Mure
– Crèche municipale multi-accueil Pirouette, à Chassieu
– Crèche inter-entreprises Les Lionceaux-Babilou à Saint-Priest
– Tables-rondes organisées à la préfecture de région :
– Élus :
Mme Martine Penard, Adjointe petite enfance de Décines
Mme Marielle Marty, responsable petite enfance
M. Jean-Jacques Selles, Maire de Chassieu,
Mme Christine Javelot, Adjointe petite enfance
Mme Bénédicte Place, Adjointe petite enfance de Meyzieu
Mme Affeif Chlaika, directrice de la petite enfance de la ville de Lyon (représentant M. Steven Vasselin, adjoint petite enfance de Lyon)
Mme Lucie Vacher, vice-présidente de la métropole de Lyon en charge de l’enfance, de la famille et de la jeunesse.
– Institutions :
PMI : Dr Marie-Sophie Barthet-Derrien, directrice santé de la PMI Métropole du Grand Lyon
CAF : Mme Sandrine Roulet, Directrice adjointe en charge des pôles social et territorial
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Ville de Paris
Hexopée
Label Vie
Institut de formation, d’animation et de conseil (IFAC)
Association Léo Lagrange
([1]) La composition de la commission d’enquête se trouve au verso
([2]) Commission des 1000 jours, « Les 1000 premiers jours. Là où tout commence. », Septembre 2020.
([3]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([4]) Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, Babyzness, Ed. Robert Laffont, septembre 2023 ; Daphné Gastaldi et Matthieu Périsse, Le prix du berceau : ce que la privatisation des crèches fait aux enfants, Ed. Le Seuil, septembre 2023.
([5]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([6]) Michèle Peyron, Isabelle Santiago, Les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, Rapport d’information n° 1842, 2023.
([7]) Pour obtenir les éléments de comparaison décrits supra, la rapporteure a sollicité le centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), par l’intermédiaire des services de l’Assemblée nationale.
([8]) Articles 17 et 18 de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi.
([9]) Article L. 2324‑3 du code de la santé publique.
([10]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([11]) Michèle Peyron, Isabelle Santiago, Les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, op. cit.
([12]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([13]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses » 2017.
([14]) Igas et IGF, « Évaluation du crédit d’impôt famille », Rapport au Premier ministre, juillet 2021.
([15]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([16]) Christine Schul, Vivre en crèche. Remédier aux douces violences, Chronique sociale, 2003.
([17]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([18]) Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, Babyzness, Ed. Robert Laffont, septembre 2023.
([19]) Daphné Gastaldi et Matthieu Périsse, Le prix du berceau : ce que la privatisation des crèches fait aux enfants, Ed. Le Seuil, septembre 2023.
([20]) Onape, « L’accueil des jeunes enfants », 2023.
([21]) Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), « La qualité de service des crèches en France – 11e édition du baromètre de satisfaction », Communiqué de presse, 13 juin 2023.
([22]) FFEC, « Baromètre de satisfaction 2023. La qualité de service des crèches », 13 juin 2023.
([23]) Cnaf, « Baromètre de jeune enfant en 2021 », 2022.
([24]) Onape, « Rapport 2021 de l’observatoire national de la petite enfance », Dossier de presse, décembre 2021.
([25]) Onape, « Rapport 2021 de l’observatoire national de la petite enfance », Ibid.
([26]) Onape, « L’accueil des jeunes enfants », op. cit.
([27]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans : relancer la dynamique », 2023.
([28]) Compte rendu de l’audition de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants du 27 mars 2024.
([29]) Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), « Statistiques annuelles de la création de places de crèches par les adhérents de la FFEC », 11 mars 2024.
([30]) Cnaf, Restitution des résultats de l’enquête nationale « Pénurie de professionnels en établissement d’accueil du jeune enfant », 11 juillet 2022.
([31]) Le Progrès, « Il y a 200 berceaux gelés à Lyon dans les crèches, faute de personnel », 13 septembre 2023.
([32]) Compte rendu de l’audition de France Urbaine le 6 mars 2024.
([33]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans : relancer la dynamique », 7 mars 2023.
([34]) Onape, « L’accueil des jeunes enfants », op. cit.
([35]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans : relancer la dynamique », op. cit.
([36]) Onape, « L’accueil des jeunes enfants », op. cit.
([37]) Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi.
([38]) Berger L. M, Panico L., Solaz A., The Impact of Center-Based Childcare Attendance on Early Child Development : Evidence From the French Elfe Cohort. Demography, Springer Verlag, 2021.
([39]) Drees, « Le choix de la crèche comme mode d’accueil, entre bénéfices pour l’enfant et adaptation aux contraintes », 2017.
([40]) Le seuil de bas revenu correspond à 60 % du revenu médian des allocataires Caf par unité de consommation.
([41]) Karine Ishii, Per Yann Le Floc’h, Adrien Massebieau, Baptiste Royer, « Les inégalités d’accès aux crèches et leurs enjeux économiques », Trésor-éco n° 322, janvier 2023.
([42]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans : relancer la dynamique », op. cit.
([43]) Compte rendu de l’audition de Sylviane Giampino du 6 février 2024.
([44]) Conseil d’État, section, 9 mars 1961, n° 92004, Société des concerts du conservatoire, publié au recueil Lebon.
([45]) Jeanne Fagnani, « La politique d’accueil de la petite enfance en France : ombres et lumières », Travail, genre et sociétés, 2001/2, n° 6, pp. 105-119.
([46]) Compte rendu de l’audition de Nadine Morano du 4 avril 2024.
([47]) Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), Accroître l’offre de places en crèche : peu d’effet sur l’emploi, une baisse du recours aux autres modes de garde, Insee analyses, n° 55, 7 septembre 2020.
([48]) Patricia Schillinger, Collectivités territoriales et la petite enfance, rapport d’information n° 700, déposé le 8 juillet 2014.
([49]) Compte rendu de l’audition de Nadine Morano, op. cit.
([50]) Compte rendu de l’audition de Marisol Touraine du 10 avril 2024.
([51]) Insee, « Accroître l’offre de places en crèche », op. cit.
([52]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans », op. cit.
([53]) Compte rendu de l’audition de Nadine Morano, op. cit.
([54]) Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.
([55]) Onape, « L’accueil des jeunes enfants », op. cit.
([56]) Onape, « L’accueil des jeunes enfants », ibid.
([57]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses » 2017.
([58]) Au moment de l’étude menée par les deux inspections, le taux de l’impôt sur les sociétés était de 33,3 %. Il est aujourd’hui fixé à 25 %, ce qui signifie que la prise en charge de ces dépenses par l’État s’établit à 75 %.
([59]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses » 2017.
([60]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses », ibid.
([61]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses », ibid.
([62]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans », op. cit.
([63]) Classement des 500 plus grandes fortunes de France 2023, Challenges.
([64]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses » 2017.
([65]) Compte rendu de l’audition de l’Association des maires de France (AMF) le 28 février 2024.
([66]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([67]) Compte rendu de l’audition de l’AMF, op. cit.
([68]) Décret n° 2007-230 du 20 février 2007 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique.
([69]) Manon Harguindeguy, Frédéric Vabre, « Réguler le développement des microcrèches en milieu urbain. Le cas des Hauts-de-Seine », Revue des politiques sociales et familiales, 2015, n° 120, pp. 89-95.
([70]) Manon Harguindeguy, Frédéric Vabre, « Réguler le développement des microcrèches en milieu urbain. Le cas des Hauts-de-Seine », Ibid.
([71]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([72]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », Ibid.
([73]) Compte rendu de l’audition de l’AMF, op. cit.
([74]) Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi.
([75]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », op. cit.
([76]) Contribution écrite d’Alcentra en réponse au questionnaire adressé par la rapporteure.
([77]) Contribution écrite d’Infravia en réponse au questionnaire adressé par la rapporteure.
([78]) Compte rendu de l’audition d’Alcentra du 29 avril 2024.
([79]) Compte rendu de l’audition d’Alcentra, op. cit.
([80]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », op. cit.
([81]) La théorie de l'attachement permet d'étudier la façon dont l'enfant déstabilisé, stressé demande et obtient du réconfort de la part d'un adulte, sa figure d'attachement. Ces interactions précoces vont modeler les représentations concernant l'image de soi d'autrui.
([82]) DGCCRF « Prix et contrats des micro-crèches : la DGCCRF enquête pour garantir une meilleure information des parents », Communiqué de presse, le 25 août 2022.
([83]) Le Snoezelen est une activité vécue dans un espace spécialement aménagé, éclairé d'une lumière tamisée, bercé d'une musique douce, un espace dont le but est de recréer une ambiance agréable faisant appel aux cinq sens.
([84]) Compte rendu de l’audition du groupe Les Petits Chaperons Rouges du 20 mars 2024.
([85]) Compte rendu de l’audition de Sylviane Giampino, op. cit.
([86]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([87]) Cnaf, « Pénurie de professionnels en établissements d’accueil du jeune enfant », Enquête nationale, 2022.
([88]) HCFEA, « Accueil des enfants de moins de 3 ans », op. cit.
([89]) Cnaf, « Baromètre de l’accueil du jeune enfant », 2022.
([90]) Compte rendu de l’audition de l’AMF, op. cit.
([91]) Compte rendu de l’audition de l’Anapsy-Pe le 7 février 2024.
([92]) Arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant.
([93]) Compte rendu de l’audition de Christine Schul, op. cit.
([94]) Comité de filière « Petite enfance », Propositions du comité de filière « Petite enfance », Communiqué de presse, juin 2022.
([95]) Ministère du travail, de la santé et des solidarités, Comité de filière « Petite enfance », mai 2022
[URL : https://solidarites.gouv.fr/comite-de-filiere-petite-enfance#anchor-navigation-54]
([96]) Réponse écrite de Force Ouvrière au questionnaire de la rapporteure
([97]) Réponse de l’Ifac au questionnaire adressé par la rapporteure.
([98]) Réponse de Force Ouvrière au questionnaire adressé par la rapporteure.
([99]) Igas, Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches, mars 2023.
([100]) Commission des « 1 000 premiers jours », op. cit.
([101]) Compte rendu de l’audition des journalistes Bérangère Lepetit, Elsa Marnette, Daphné Gastaldi, Mathieu Périsse du 31 janvier 2024.
([102]) Bérangère Lepetit, Elsa Marnette, Babyzness, op. cit.
([103]) Compte rendu l’audition de l’Anapsy-PE, op. cit.
([104]) Compte rendu de l’audition de l’Anapsy-PE, ibid.
([105]) Les douces violences sont des attitudes qui mettent l’enfant dans une situation d’insécurité affective.
([106]) Référence évoquée par Christine Schul, compte rendu de son audition, op. cit.
([107]) Jean-Baptiste Frossard, Nicole Bohic, « Les risques de maltraitance dans les crèches : retour sur le rapport de l’Igas », Les Tribunes de la santé, 2023/3.
([108]) Jean-Baptiste Frossard, Nicole Bohic, « Les risques de maltraitance dans les crèches : retour sur le rapport de l’Igas », Ibid.
([109]) Compte rendu de l’audition de Sylviane Giampino, op. cit.
([110]) Compte rendu de l’audition de Marisol Touraine du 10 avril 2024.
([111]) Compte rendu de l’audition de Marisol Touraine, ibid.
([112]) Compte rendu de l’audition de Marisol Touraine, ibid.
([113]) Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.
([114]) Décret n° 2021-1131 du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux établissements d’accueil du jeune enfant.
([115]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([116]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([117]) Ibid.
([118]) Article R. 2324-46 du code de la santé publique.
([119]) Articles R. 2324-34-1 et R. 2324-46-1 du code de la santé publique.
([120]) Articles R. 2324-40, R. 2324-46-2 et R. 2324-48-2 du code de la santé publique.
([121]) Articles R. 2324-41 et R. 2324-46-3 du code de la santé publique.
([122]) Ce référentiel est détaillé à l’annexe 1 du décret du 31 août 2021 créant un référentiel national relatif aux exigences applicables aux établissements d'accueil du jeune enfant en matière de locaux, d'aménagement et d'affichage.
([123]) Consultable avec l’URL : https://fr.indeed.com/conseils-carrieres/trouver-un-emploi/travailler-creche-sans-diplome
([124]) Réponses de l’Ifac en retour au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([125]) Daniel Verba, « Une politique de la petite enfance est une contribution notable et peu coûteuse à la prévention des inégalités sociales », Le Monde, 24 octobre 2022.
([126]) Compte rendu de l’audition d’Aurore Bergé du 30 avril 2024.
([127]) Réponses de l’Ifac op. cit.
([128]) Michèle Peyron, Isabelle Santiago, Les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, rapport d’information n° 1842, 2023.
([129]) Défenseur des droits, De la naissance à 6 ans : au commencement des droits, 2018.
([130]) Compte rendu de l’audition de Sylviane Giampino, op. cit.
([131]) Contribution écrite de Sylviane Giampino au questionnaire adressé par la rapporteure.
([132]) Compte rendu de l’audition de Sylviane Giampino, op. cit.
([133]) Commission des 1 000 premiers jours, op. cit.
([134]) Pour se développer et créer des figures d’attachement, l’enfant doit avoir un adulte de référence, c’est-à-dire que, dans les accueils collectifs des jeunes enfants, chaque enfant doit établir un système de référence auprès d’un adulte, ce qui n’est pas possible lorsque le turn-over des équipes est important.
([135]) Organisation de cooperation et de développement économiques (OCDE), Providing early childhood quality and care – results from the starting strong survey, 2019.
([136]) Commission des « 1 000 premiers jours », op. cit.
([137]) Contribution écrite de Nathalie Casso-Vicarini en réponse au questionnaire adressé par la rapporteure.
([138]) Réponse à la question n° 02150 de M. Hugues Saury, sénateur, publiée au journal official du Sénat le 22 décembre 2022.
([139]) 70 PMI en comptant Saint-Barthélemy, où il n’y a cependant aucun EAJE.
([140]) Cour des comptes, L’accueil des enfants de moins de trois ans : une politique ambitieuse, des priorités à mieux cibler, 2013.
([141]) Michèle Peyron, « Pour sauver la PMI : agissons maintenant ! », 2019.
([142]) Drees, PMI : un recul de l’activité et une forte baisse des effectifs de médecins entre 2016 et 2019, Études et résultats, n° 1227, 2022.
([143]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([144]) Cnaf, Lettre-circulaire n° 2011-105 du 29 juin 2011 relative à la prestation de service unique.
([145]) Cour des comptes, « L’accueil des moins de 3 ans : une politique ambitieuse, des priorités à mieux cibler », Rapport public thématique, novembre 2013.
([146]) Contribution écrite de Mme Marisol Touraine adressée à la rapporteure.
([147]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([148]) Les droits PSU correspondent aux sommes auxquelles peuvent prétendre les EAJE du territoire au regard de l’activité réalisée.
([149]) Marie-Thérèse Hermange, Philippe Steck, « Prestation d’accueil du jeune enfant », Rapport du groupe de travail, février 2003.
([150]) Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.
([151]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([152]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([153]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([154]) Commission des comptes de la sécurité sociale, « Le modèle tarifaire des principaux modes d’accueil des jeunes enfants », Fiche éclairage, juillet 2022.
([155]) Les dispositions de l’article 18 de la loi pour le plein-emploi n’entrant en vigueur que le 1er janvier 2025.
([156]) Éléments transmis par l’Association des maires de France (AMF) à la rapporteure.
([157]) Compte rendu de l’audition de l’AMF le 28 février 2024.
([158]) Réponses d’Intercommunalités de France au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([159]) Réponses de la FNMF au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([160]) Réponses de la Fehap au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([161]) Réponses de la FNMF, op. cit.
([162]) Ibid.
([163]) Fehap « Crèches associatives. La Fehap tire la sonnette d’alarme et craint pour leur pérennité », Communiqué de presse, 11 mars 2023.
([164]) Réponses de la Fehap, op. cit.
([165]) Compte rendu de l’audition de la Fehap le 6 mars 2024.
([166]) Bruno Johannes, « Focus – Les délégations de service public dans le secteur de la petite enfance », Informations sociales n° 179, 2013.
([167]) Compte rendu de l’audition de l’AMF, op. cit
([168]) Réponses de Familles rurales au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([169]) Réponses de la Fehap, op. cit.
([170]) Réponses de la FNMF, op.cit.
([171]) Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.
([172]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([173]) Igas et IGF, « Évaluation du crédit d’impôt famille », Rapport au Premier ministre, juillet 2021.
([174]) Igas et IGF, « Évaluation du crédit d’impôt famille », Rapport au Premier ministre, juillet 2021.
([175]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([176]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([177]) Igas et IGF, « Évaluation du crédit d’impôt famille », Rapport au Premier ministre, juillet 2021.
([178]) Cnaf, Circulaire n° 2020-011, « Le bonus « inclusion handicap » dans le financement des établissements d’accueil du jeune enfant, 2020.
([179]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([180]) Cnaf, Circulaire n° 2018-002, « Mise en place des bonus « inclusion handicap » et « mixité sociale » dans le financement des établissements d’accueil du jeune enfant, 21 novembre 2018.
([181]) Seuil permettant de toucher le montant maximal du bonus « mixité sociale » en 2019.
([182]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([183]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([184]) Réponses de la FNMF au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([185]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([186]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
([187]) Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
([188]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([189]) Compte rendu de l’audition du Remi du 27 mars 2024.
([190]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([191]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([192]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([193]) Réponses adressées par les entreprises de crèches auditionnées au questionnaire écrit de la rapporteure.
([194]) Réponses de l’AMF au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([195]) Réponses de People&Baby au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([196]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([197]) Dans le cadre des auditions et dans leurs réponses au questionnaire écrit de la rapporteure.
([198]) Réponses du cabinet de conseil Horizon Crèches au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([199]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([200]) Réponses de La Maison Bleue au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([201]) Réponses de Babilou au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([202]) Compte de l’audition de Mme Élisabeth Laithier le 29 avril 2024.
([203]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([204]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([205]) Réponses de l’ANAPSY au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([206]) Réponses de Babilou au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([207]) Réponses de la FNMF au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([208]) Réponses de Babilou au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([209]) Réponses de France urbaine au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([210]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([211]) Ibid.
([212]) Réponses du Remi au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([213]) Réponses de la Cnaf au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([214]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([215]) Ibid.
([216]) Ibid.
([217]) Ibid.
([218]) Igas et IGF, « Évaluation du crédit d’impôt famille », Rapport au Premier ministre, juillet 2021.
([219]) Réponses de Babilou au questionnaire écrit adressé par la rapporteure.
([220]) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([221]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([222]) Article L. 2324-1 du code de la santé publique.
([223]) Article L. 7231-1 du code du travail.
([224]) Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein-emploi.
([225]) Compte rendu de l’audition de la fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje) du 27 mars 2024.
([226]) Compte rendu de l’audition de la Fneje, ibid.
([227]) Compte rendu de l’audition de la Fneje, ibid.
([228]) Sylviane Giampino, « Développement du jeune enfant. Mode d’accueil, formation des professionnels », 2016.
([229]) Contribution écrite de Sylviane Giampino en réponse au questionnaire adressé par la rapporteure.
([230]) Convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la Cnaf 2023-2027.
([231]) Cnaf, Instruction au réseau n° IT-2024-064, « Revalorisation du bonus « territoire CTG » en faveur des EAJE et du contrat réservataire employeur entre 2025 et 2027 », 28 mars 2024.
([232]) Contribution écrite de la Cnaf au questionnaire adressé par la rapporteure.
([233]) Cnaf, Circulaire n° 2024-078, « Création du bonus « trajectoire de développement » au bénéfice des EAJE financés par la prestation de service unique », 11 avril 2024.
([234]) Ibid.
([235]) HCFEA, « L’Accueil des enfants de moins de 3 ans », op. cit.
([236]) Igas et IGF, Évaluation du crédit d’impôt famille, 2021 ; Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([237] ) Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([238]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([239]) Institut national d’études démographiques (Ined), L’évolution démographique récente de la France 2022, Collection conjuncture démographique, 2022.
([240]) Insee, Bilan démographique 2023, Insee première, n° 1978, 2024.
([241]) Michèle Peyron, Isabelle Santiago, Les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, op. cit.
([242]) À partir du troisième enfant, les 26 semaines totales se divisent en 8 semaines en prénatal et 18 semaines en postnatal.
([243]) Loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002.
([244]) Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.
([245]) Loi n° 77-766 du 12 juillet 1977 instituant un congé parental d’éducation.
([246]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
([247]) Le Monde, Agence France Presse (AFP), « Moins de 1 % des pères prennent un congé parental, malgré une réforme en 2015 », Le Monde, 2021.