N° 2729
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE
ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à accroître la part des résidents nationaux parmi les détenteurs de la dette publique
(n° 2546),
PAR M. Michel CASTELLANI,
Député
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Voir le numéro : 2546.
SOMMAIRE
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Pages
A. la dette de l’État est très largement dÉtenue par des non-rÉsidents
B. cette situation prÉsente des avantages mais aussi de rÉels inconvÉnients
B. les efforts pour favoriser la dÉtention de dette publique par des rÉsidents sont insuffisants
3. Les exemples internationaux
liste des personnes auditionnÉes
Alors que la situation de nos finances publiques est toujours plus préoccupante, le déficit public ayant atteint 154 milliards d’euros et le stock de dette 3 101 milliards d’euros ([1]), l’épargne des Français continue d’être très abondante, tant en flux qu’en stock : les Français ont épargné, en 2023, 315 milliards d’euros, pour un patrimoine financier brut total de 6 186 milliards d’euros ([2]). C’est un signe de bonne santé financière, dont on ne peut que se réjouir.
Pourtant, la mise en regard du besoin de financement croissant de l’État et des disponibilités dégagées par les ménages ne laisse pas de susciter la réflexion ; cela d’autant plus qu’une part majoritaire de la dette de l’État est détenue par des non-résidents : 53 % à la fin de l’année 2023, et même 72 % si l’on soustrait les titres détenus par la Banque de France au titre des opérations de politique monétaire.
Or la dette publique produit, pour les créanciers, des intérêts dont on pourrait souhaiter qu’ils restent en France afin d’alimenter la consommation et l’investissement et, partant, la croissance et les rentrées fiscales nationales. Si la forte part de résidents étrangers parmi les créanciers de la France témoigne de la confiance des investisseurs internationaux dans nos fondamentaux économiques, il n’en demeure pas moins qu’elle implique une fuite de sommes d’argent importantes hors du circuit de l’économie nationale.
De plus, l’appétit des Français pour les placements peu risqués ne se dément pas. À la fin 2023, sur les 6 186 milliards d’euros d’épargne des Français, 45 % sont dirigés vers des dépôts bancaires rémunérés et vers l’assurance-vie et l’épargne retraite en euros ; 12 % – soit 751 milliards d’euros – sont même détenus en numéraire et dans des dépôts à vue ([3]).
Aussi le rapporteur juge-t-il qu’il faut trouver un moyen d’encourager les Français à placer leur épargne au service de la collectivité, en facilitant la souscription des obligations émises par les entités publiques. C’est le sens de la présente proposition de loi, qui propose de confier cette mission à la Caisse de la dette publique. Celle-ci, dont les missions sont aujourd’hui cantonnées au remboursement de la dette contractée pour faire face à la crise du Covid-19, se verrait ainsi confier un service d’investissement consistant à acquérir des titres de dette publique et à les placer auprès des particuliers et des entreprises résidents à travers un service d’investissement spécifique. Cette épargne, bloquée pendant la durée du contrat, donnerait lieu à rémunération à la clôture.
Ce service encouragerait la direction de l’épargne vers la dette de l’État et donnerait à l’investissement en titres de dette publique un caractère civique de contribution à l’intérêt général.
I. la forte proportion de non-rÉsidents parmi les dÉtenteurs de la dette de l’État prÉsente des avantages, mais aussi des inconvÉnients
A. la dette de l’État est très largement dÉtenue par des non-rÉsidents
● Selon l’enquête de la Banque de France, la dette de l’État était détenue, à la fin de l’année 2023, majoritairement par des non-résidents, puisque ceux-ci détenaient 53,2 % de cette dette à cette date.
● Cette part a connu une évolution contrastée depuis la création de la zone euro. Si cette dernière a, à l’évidence, entraîné une très forte augmentation de la proportion de la dette de l’État détenue par des non-résidents, celle-ci étant passée de 28 % fin 1999 à plus de 70 % début 2010, la crise des dettes souveraines en zone euro a provoqué une baisse de cette proportion, qui a atteint son minimum, à 47,9 %, fin 2021.
Le graphique ci-dessous retrace la part de la dette de l’État détenue par des non-résidents depuis 1999.
DÉtention par les non-rÉsidents de la dette nÉgociable de l’État
(en pourcentage)
Source : commission des finances d’après les données de la Banque de France.
La baisse observée de 2010 à 2021 s’explique par les politiques monétaires non conventionnelles menées par les banques centrales pendant cette période. L’achèvement des politiques d’assouplissement quantitatif depuis 2021 explique la hausse, depuis cette date, de la part des non-résidents.
● La part détenue par les non-résidents se répartit à peu près également entre non-résidents situés en zone euro et non-résidents situés hors zone euro.
Le diagramme ci-dessous illustre les parts respectives des obligataires résidents et non-résidents et précise la répartition des détenteurs résidents par type d’investisseur.
RÉpartition de la DÉtention de la dette nÉgociable de l’État au 4Ème trimestre 2023 ([4])
Source : Banque de France.
OPCVM : organismes de placement collectif en valeurs mobilières.
● Toutefois, la part des non-résidents est encore plus importante si on soustrait la part de la dette détenue par la Banque de France au titre des opérations de politique monétaire : elle est alors de 72 %.
Le tableau ci-dessous indique la part de la dette de l’État détenue par des non-résidents depuis 2014 et la part de cette dette détenue par des non-résidents hors montants détenus par la Banque de France au titre des opérations de politique monétaire.
DÉtention par les non-rÉsidents de la dette nÉgociable de l’État
et impact de la politique monÉtaire
(en pourcentage)
Année |
Part des non-résidents |
Part des non-résidents |
Fin 2014 |
63,6 |
66,5 |
Fin 2015 |
61,9 |
67,6 |
Fin 2016 |
58,3 |
67,9 |
Fin 2017 |
54,6 |
67,6 |
Fin 2018 |
52,7 |
66,5 |
Fin 2019 |
53,6 |
67,1 |
Fin 2020 |
50,1 |
66,4 |
Fin 2021 |
47,9 |
66,9 |
Fin 2022 |
50,1 |
70,5 |
30 juin 2023 |
52,9 |
72,0 |
Source : rapport sur la dette publique annexé au PLF pour 2024.
Il en ressort que la part des non-résidents hors montants détenus par la Banque de France au titre des opérations de politique monétaire a augmenté de six points depuis 2014.
● La part des non-résidents parmi les détenteurs de la dette publique est également importante en termes relatifs.
Le graphique ci-dessous montre la part de la dette publique détenue par des non-résidents depuis 2013 dans sept pays européens.
Part de la dette publique dÉtenue par des non-rÉsidents depuis 2013
Source : Banque de France.
Sur l’ensemble de cette période, la France figure parmi les pays dont la dette est la plus fortement détenue par des non-résidents.
● Il faut souligner que les données concernant les détenteurs de la dette de l’État souffrent de certaines limites.
L’enquête de la Banque de France, qui constitue la source principale sur les détenteurs du stock de dette, ne permet d’appréhender au mieux que la première contrepartie, qui peut être un intermédiaire financier dont la nationalité diffère de celle de l’investisseur final, alors que la chaîne de conservation peut impliquer plusieurs intermédiaires financiers.
S’agissant des flux de dette, l’État n’est, en général, pas informé des attributaires de ses émissions en raison des caractéristiques de la technique d’émission majoritaire, qui est l’adjudication. Celle-ci met, en effet, en relation l’État avec des intermédiaires financiers spécifiques – les établissements spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) – et non avec les acheteurs finaux.
De manière générale, la dette de l’État français se distingue par son haut degré de liquidité et le fort volume de transactions dont elle est l’objet. En réponse à une question parlementaire, le ministre de l’économie et des finances indiquait en mai 2021 : « on estime à 20 milliards d’euros (soit 1 % de la totalité de la dette) le montant moyen de titres changeant de détenteurs chaque jour, via de multiples canaux (transactions de gré à gré ou sur diverses plateformes multi-acteurs) » ([5]) .
● La dette publique ne se confond pas avec la dette de l’État, puisqu’elle comprend aussi la dette des collectivités territoriales et la dette des organismes de sécurité sociale.
Les données concernant la géographie des détenteurs de la dette des collectivités territoriales et de la dette sociale sont moins précises que celles disponibles sur la dette de l’État ([6]) .
Toutefois, la dette de l’État constitue l’essentiel de la dette publique : en 2023, la dette des administrations publiques au sens de Maastricht s’élevait à 3 101,2 milliards d’euros dont 2 513,5 pour l’État, selon les chiffres publiés par l’INSEE ([7]) . La dette de l’État représente donc 81 % de la dette publique totale. De ce fait, les données relatives à ses détenteurs peuvent être considérées comme une approximation satisfaisante de celles relatives aux détenteurs de la dette publique.
B. cette situation prÉsente des avantages mais aussi de rÉels inconvÉnients
La forte présence d’investisseurs non-résidents parmi les détenteurs de la dette publique présenterait certains avantages, selon ce qu’affirme, notamment, l’organisme en charge des émissions pour le compte de l’État, à savoir l’Agence France Trésor.
Selon cette agence, que votre rapporteur a entendue, la diversité géographique des investisseurs offrirait deux avantages. Tout d’abord, elle constituerait une protection contre un choc qui pourrait frapper une zone ou un type d’investisseur spécifique. Ensuite, elle renforcerait la concurrence entre les acheteurs, permettant à l’État de se financer au meilleur prix.
Toutefois, une forte part d’investisseurs non-résidents comporte aussi des risques. En effet, les résidents constituent une base d’investisseurs beaucoup plus stable que les non-résidents, en raison de leur bonne connaissance de l’économie concernée, qui les immunise, dans une certaine mesure, contre les mouvements de panique qui peuvent s’emparer des marchés, de l’absence, pour eux, de tout risque de change, et d’une communauté d’intérêts avec leur État de résidence. De plus, l’État peut les contraindre de manière directe en cas de crise.
À l’inverse, une forte proportion de créanciers résidents constitue, pour un État, une forme de protection contre l’irrationalité des marchés, dont on a vu, avec l’exemple grec, qu’elle pouvait déboucher sur une crise économique et sociale durable pour un pays. Elle constitue également un avantage économique, puisque la rémunération versée aux créanciers ne quitte ainsi pas le territoire national et vient alimenter, de manière vertueuse, la consommation et l’investissement et, partant, la croissance.
II. malgrÉ une Épargne abondante, les mÉnages français demeurent faiblement dÉtenteurs de la dette publique en raison de l’insuffisance des mÉcanismes existants
L’épargne des Français continue d’être très abondante, tant en flux qu’en stock : les Français ont épargné, en 2023, 315 milliards d’euros, pour un patrimoine financier brut total de 6 186 milliards d’euros ([8]).
Ce montant est en grande partie dirigé vers des placements peu risqués, et demeure même, pour une part significative, dormant. À la fin 2023, sur les 6 186 milliards d’euros d’épargne des Français, 45 % sont dirigés vers des dépôts bancaires rémunérés et vers l’assurance-vie et l’épargne retraite en euros ; 12 % – soit 751 milliards d’euros – sont détenus en numéraire et dans des dépôts à vue ([9]).
En termes comparés, le taux d’épargne des Français est nettement supérieur à celui de nos voisins. Au dernier trimestre 2023, il était de 17,5 % du revenu disponible brut contre 14,6 % en zone euro.
B. les efforts pour favoriser la dÉtention de dette publique par des rÉsidents sont insuffisants
Face à cette épargne abondante, les efforts pour favoriser la détention directe de titres de dette publique par les résidents sont insuffisants.
À titre liminaire, il faut rappeler que les particuliers peuvent déjà détenir indirectement des titres de dette souveraine, ou à tout le moins une épargne en partie indexée sur leur rendement, par exemple par l’intermédiaire de contrats d’assurance-vie ou des livrets réglementés que sont le livret A et le livret de développement durable et solidaire.
Les investisseurs finaux et la part des particuliers parmi eux ne sont en revanche pas connus, les statistiques publiées par la Banque de France étant relatives aux détenteurs directs des titres – la compagnie d’assurance ou l’organisme de placement collectif (OPC) proposant des contrats aux particuliers notamment.
En 1993, dans le cadre du plan de relance économique conduit par le gouvernement d’Édouard Balladur, un emprunt a été lancé par l’État auprès des particuliers. Les titres proposés, d’une maturité de quatre ans, ont rencontré une demande très soutenue, puisque 110 milliards de francs ont été collectés auprès de 1,4 million d’épargnants. Malheureusement, ce programme s’était révélé coûteux pour l’État en raison des commissions de placement réglées aux intermédiaires financiers, qui ont atteint 850 millions de francs, et des réductions d’impôt offertes, qui ont entraîné une perte de 2,2 milliards de francs de recettes fiscales.
Par la suite, en 1994, un programme réservé aux particuliers a été lancé, leur permettant d’acheter auprès des principaux réseaux bancaires des OAT au prix de la dernière adjudication, plus une commission de 2 % reversée à la banque. Ces OAT d’une maturité de dix ans, bien que dépourvues d’avantage fiscal, ont réussi à attirer beaucoup d’épargnants français en raison du taux élevé proposé, autour de 7 %. Cependant, la baisse des taux d’intérêt et donc du rendement de ces titres les a rendus moins attractifs au fil des années. Par conséquent, les montants collectés dans le cadre de ce programme n’ont cessé de baisser, ce qui a entraîné sa suppression en 2005.
Depuis 1994, des OAT sont placées auprès des particuliers par l’intermédiaire des réseaux bancaires (OAT dites Alphandéry). À compter de 2006, le marché secondaire des OAT pour les particuliers a été rénové par l’AFT, Euronext et les spécialistes en valeurs du Trésor, afin de permettre « aux investisseurs individuels d’acheter et de vendre des OAT aussi simplement qu’une action, avec les mêmes garanties de transparence, de liquidité et d’information, et ceci au même titre que les professionnels » ([10]).
Malgré cette rénovation, les personnes entendues par le rapporteur ont indiqué que la part des OAT détenues en direct par des particuliers demeurait très faible.
3. Les exemples internationaux
Interrogées sur ce point, les personnes entendues par le rapporteur ont indiqué que des mécanismes visant à favoriser la détention directe d’obligations d’État par des particuliers existaient dans plusieurs pays européens :
L’Italie émet des bons du Trésor (Buoni Poliennali del Tesoro, BTP) réservés aux particuliers, qui bénéficient d’un taux d’intérêt bonifié, d’un avantage fiscal et d’une prime s’ils sont conservés suffisamment longtemps.
Au Royaume-Uni, les particuliers peuvent souscrire un livret réglementé, dénommé National Savings & Investments, permettant de défiscaliser les intérêts des obligations d’État.
Des mécanismes spécifiques existeraient également en Belgique et en Espagne.
*
* *
Lors de sa réunion du mercredi 5 juin 2024, la commission a examiné la proposition de loi visant à accroître la part des résidents nationaux parmi les détenteurs de la dette publique (n° 2546) (M. Michel Castellani, rapporteur)
M. le président Éric Coquerel. Cette proposition de loi doit être examinée en séance publique au cours de la journée réservée au groupe LIOT, le jeudi 13 juin.
M. Michel Castellani, rapporteur. Cette proposition de loi traite de la façon dont la dette publique française est répartie dans le monde. Désormais supérieure à 3 100 milliards d’euros, elle donne lieu, je le rappelle, à des émissions d’obligations extrêmement importantes – autour de 185 milliards d’euros cette année. Cela conduit, en plus du règlement du capital, au paiement d’intérêts qui seront de l’ordre de 54 milliards en 2024, montant que je vous laisse apprécier. La majorité de cette dette, à peu près 55 %, est détenue par des non-résidents.
Face à cette situation, la France dispose, ce qui est très heureux, d’une épargne également importante. Nos compatriotes ont épargné à peu près 315 milliards d’euros en 2023, et le patrimoine financier brut de la France est estimé à presque 6 200 milliards, dont 715 milliards détenus en numéraire ou sous forme de dépôts à vue, c’est-à-dire d’une façon très faiblement ou pas du tout rémunératrice.
L’idée de cette proposition de loi est d’encourager les Français à mieux diriger leur épargne, vers des obligations d’État. Tout reposera sur une liberté totale d’action de la part des détenteurs d’épargne. Notre raisonnement est que si 54 milliards d’euros d’intérêts sont versés cette année pour 55 % à des non-résidents, cela signifie une hémorragie de 27 ou 28 milliards. Il s’agit d’essayer d’en retenir une partie dans le circuit français, de façon à alimenter la consommation, l’investissement et donc la croissance, et in fine de générer des rentrées fiscales – qui minimiseraient de surcroît le recours à l’endettement les années suivantes.
Le dispositif que nous proposons à cette fin est de confier à la Caisse de la dette publique, un appendice de l’Agence France Trésor aujourd’hui cantonné, pour l’essentiel, au remboursement de la dette covid, une mission consistant à acquérir des titres de la dette publique et à les placer auprès des particuliers et des entreprises résidant en France, dans le cadre d’un service d’investissement spécifique. L’épargne serait bloquée pendant la durée du contrat et donnerait lieu à rémunération à la clôture. Il s’agirait, vous l’aurez compris, de comptes à terme dont les modalités concrètes – montant initial du dépôt, durée, pénalités en cas de retrait anticipé, taux d’intérêt – seront précisées par décret.
Le mode actuel d’adjudication met en relation l’État non avec les acheteurs finaux, mais avec des intermédiaires financiers spécifiques, les spécialistes en valeurs du Trésor. La dette devient ainsi un objet de spéculation : on estime à 20 milliards par jour le montant moyen des titres de dette française qui changent de main. Chacun est libre d’en penser ce qu’il veut, mais je trouve qu’il y a quelque chose de malsain dans le fait que la dette publique devienne une sorte de matière première. Quand on échange de l’argent contre de la farine pour fabriquer du pain, on crée de la richesse, mais quand on échange de l’argent contre de l’argent, c’est de la spéculation.
Cette situation a des aspects positifs. Le premier est que, la dette française étant très demandée, les taux sont relativement faibles. L’autre est que la diversité des investisseurs est une protection contre une éventuelle crise régionale.
À l’inverse, le fait de disposer d’une plus forte proportion de créanciers résidents protégerait contre l’éventuelle irrationalité des marchés et contre des crises comme celle que nous avons pu voir en Grèce. À cela s’ajoutent les effets macroéconomiques que j’ai évoqués tout à l’heure, liés au fait que l’argent des intérêts circulerait sur le marché intérieur.
Nous n’avons pas la prétention de régler le problème de la dette avec cette modeste proposition de loi, ni même de modifier en profondeur les équilibres de gestion ou les procédures afférents. Nous voulons simplement agir à la marge et faire évoluer une situation particulière qui ne nous semble pas être optimale.
M. le président Éric Coquerel. Ce texte me semble opportun. Invité à m’exprimer dans le cadre de la commission d’enquête sur la dette, j’ai pu exposer pendant une heure mon point de vue à ce propos. Il me semble qu’il faut examiner la dette en pourcentage du PIB et non pas en valeur absolue, ce qui relativise l’épouvantail qu’on en fait. J’observe d’ailleurs que, malgré la dégradation de la note attribuée à la France par Standard & Poor’s, la demande d’emprunts français a été, voilà quelques semaines, deux fois supérieure à l’offre sur les marchés et que la dégradation n’a pas eu la moindre incidence sur le taux d’intérêt.
Trois vraies questions se posent néanmoins. La première est de savoir pourquoi la dette gonfle – à cet égard, la baisse des recettes, largement documentée depuis 2017 hors dette liée au covid, est un problème. La deuxième est de savoir à quoi sert la dette et la troisième, dont traite la proposition de loi, de savoir qui la détient. Cette dernière question est fondamentale car, depuis les années 1980, ce sont désormais les marchés financiers qui détiennent la dette de la France, principalement hors Union européenne, ce qui est préoccupant. De nombreux pays, comme l’Italie ou le Japon, évitent de se trouver dans une telle situation. La proposition de loi ne résoudra pas la question de fond, mais elle a au moins l’avantage de la mettre en lumière et je la trouve donc utile et intéressante.
Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. David Amiel (RE). Notre groupe sera défavorable à cette proposition de loi, pour deux raisons : la possibilité de détenir directement des titres de la dette publique française existe déjà, et l’élargissement de cette faculté n’est pas la bonne manière de renforcer notre souveraineté financière.
Au-delà de la détention indirecte par le biais de livrets ou d’assurance vie, la faculté d’achat direct existe donc déjà : ce sont les OAT (obligations assimilables du Trésor) aux particuliers. Elles ne sont toutefois pas très utilisées, car la grande majorité d’entre nous n’a ni le temps, ni les ressources financières nécessaires pour analyser les fluctuations de valeur ou maîtriser le risque de liquidité. Il faut veiller à ne pas créer de fortes inégalités dans l’accès à la dette publique entre les citoyens qui auraient les moyens de réaliser des arbitrages fructueux et ceux qui ne les auraient pas et seraient trompés par les mouvements des marchés financiers. C’est une question de justice sociale.
Par ailleurs, nous partageons l’objectif de renforcer la souveraineté financière de notre pays, mais il faut prendre garde de ne pas fragiliser le financement des entreprises françaises. Aujourd’hui, la principale difficulté n’est pas de placer la dette publique française sur les marchés financiers, où elle est très demandée, en France comme l’étranger, mais de pallier la pénurie de financement pour nos entreprises, qui fragilise la croissance des petites et expose les grandes à des prises de contrôle par des étrangers. C’est sur cela que doit s’exercer la vigilance de ceux qui sont attachés à la souveraineté de notre pays.
Le Japon est souvent cité comme un exemple de pays où la dette publique est presque intégralement détenue par des résidents domestiques, ce qui est vrai, mais le pays dispose surtout d’une épargne et d’excédents courants considérables, qui lui permettent de financer sans difficulté ses entreprises et sa dette privée. Cela a été très bien rappelé par Xavier Ragot, président de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), lors de son audition par la commission d’enquête sur la dette. Si donc nous voulons renforcer notre souveraineté financière et accroître la part de la dette publique et privée française détenue par les résidents, la priorité est de réduire le déficit extérieur et ainsi nos besoins de financement depuis l’étranger.
Un élément plus technique, enfin : si même nous voulions adopter cette disposition, la Caisse de la dette publique ne serait évidemment pas le bon instrument, car elle ne dispose ni des ressources humaines, ni du cadre juridique nécessaires.
M. Kévin Mauvieux (RN). Après le Printemps de l’évaluation et mon rapport sur la détention de la dette de l’État par des résidents étrangers, je souscris aux intentions et aux constats du groupe LIOT. La dette française est effectivement détenue à 53 % par des non-résidents, et même à 72 % si l’on exclut la part que détient la Banque de France. Nous devons donc retrouver notre souveraineté tant sur la dette que, comme l’a souligné M. Amiel, sur la gestion des entreprises, mais ces deux aspects ne sont pas opposés. Le déficit extérieur est certes un problème majeur dans la gestion du financement des entreprises et peut l’être aussi dans celle de la dette, mais il ne peut être reproché ni à LIOT ni au Rassemblement national : ce déficit est le vôtre.
Il ne coûte rien de tester le dispositif proposé, qui a l’avantage de ne pas fermer la porte aux émissions de titres actuelles. Il ne s’agit pas d’une restructuration totale ni d’une fermeture aux non-résidents, mais d’une tentative d’ouverture plus importante de notre dette à nos résidents domestiques. Nous serons donc plutôt favorables à cette proposition de loi.
Je regrette cependant qu’elle ne prévoie pas de modifier le code de commerce, qui interdit aujourd’hui à une personne publique – et donc à l’État – de connaître la cartographie des détenteurs de sa dette. Je déposerai en séance un amendement en ce sens. En effet, si nous savons que 53 %, voire 72 % de notre dette souveraine sont détenus par des résidents étrangers, nous sommes incapables de savoir dans quel pays ils se trouvent.
M. Michel Sala (LFI-NUPES). Plusieurs objectifs intéressants sont posés par ce texte. Le premier est celui d’alimenter l’économie réelle avec la dette détenue par les résidents français. De façon générale, l’endettement est nécessaire pour investir dans des secteurs d’avenir, en particulier pour accélérer notre bifurcation écologique. Les résidents injecteraient également les intérêts de la dette dans notre économie.
Le deuxième objectif est la transparence et l’attractivité de la dette française. Cette proposition de loi permettrait de lever en partie la confidentialité des détenteurs de la dette et révélerait son attractivité. Elle encouragerait aussi les particuliers et les établissements de crédit français à investir directement et sans intermédiaire dans les bons du Trésor. C’est ce que nous avions proposé de faire, avec Hadrien Clouet, dans le cadre d’un autre texte.
Malgré ces objectifs louables, nous gardons de légers doutes quant à l’application concrète de ce texte. Premièrement, il manque de détails et de matérialité. La typologie des contrats à terme n’est pas clairement déterminée et il sera difficile de proposer ce nouveau produit sans passer par un réseau déjà existant, notamment celui des banques. Plusieurs pays européens ont créé des dispositifs de ce type, comme l’Italie, la Belgique ou le Royaume-Uni, mais il existe en France un risque de mise en concurrence avec les contrats à terme et le livret A.
Deuxièmement, une incertitude demeure quant à l’impact réel de ce nouveau dispositif financier. Faciliter l’acquisition de bons du Trésor peut avoir un effet positif sur la demande de titres de dette française, mais la réalisation de ce scénario reste incertaine, car la France n’a pas de difficultés pour s’endetter. Les taux d’intérêt de notre dette sont stables et comparables à ceux de l’Allemagne, et la Banque de France détient déjà près de 25 % des titres, qui appartiennent donc aux Français.
Il n’est donc pas certain que les particuliers français se rabattent sur la dette française, à moins de rendre ce nouveau dispositif très attractif par rapport aux assurances vie ou au livret A. Notre groupe demandera par amendement des rapports susceptibles de lever le doute à propos de certains chiffres et de dépassionner le débat sur la dette.
Malgré ces réserves, nous voterons pour la proposition de loi.
M. Fabrice Brun (LR). Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à souligner l’intérêt de ce texte d’appel. En effet, notre dette devient insoutenable : elle s’est accrue de 900 milliards d’euros depuis 2017 et son service est désormais le premier poste budgétaire de l’État, estimé à 81 milliards à l’horizon 2027. Nous consacrons ainsi plus d’argent à rembourser les intérêts de la dette qu’à éduquer nos enfants.
Il serait temps de se réveiller et de penser à la dépense publique, plutôt que de faire les poches des Français – un coup avec l’assurance chômage, un coup avec les pensions des retraités. Cerise sur le gâteau : on ne sait pas précisément qui détient cette dette. Tout au plus peut-on constater qu’il s’agit, pour la moitié, de créanciers étrangers.
Il est donc temps de renforcer la détention de notre dette publique par les Français et les entreprises françaises. Il faut à cet égard voir cette proposition de loi comme un texte d’appel dont nous partageons la philosophie et que nous soutiendrons pour permettre la poursuite du débat, à l’instar de ce que nous avons fait en prenant l’initiative de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette depuis l’élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d’achat des Français.
M. Mohamed Laqhila (Dem). Bien que motivée par des intentions apparemment louables, cette proposition de loi repose sur des craintes infondées. Contrairement à ce que certains peuvent penser, la répartition actuelle des détenteurs de notre dette publique n’est pas un risque pour notre souveraineté. Au contraire, cette diversité est un atout, car elle permet d’obtenir des coûts de financement avantageux et de sécuriser nos émissions en nous protégeant contre des chocs économiques spécifiques à une région ou à un investisseur. Concentrer la dette chez les résidents nationaux au lieu de la diversifier pourrait en fait augmenter les risques pour notre économie en liant trop étroitement le risque souverain et le risque bancaire, ce qui nous exposerait à de nouveaux chocs internes.
De plus, même si nous acceptions l’idée qu’il faut augmenter la part des résidents nationaux, le dispositif proposé aurait une efficacité limitée. En effet, rien n’interdit aujourd’hui aux résidents français d’investir dans la dette publique. Ils peuvent le faire directement sur un marché secondaire géré par l’Agence France Trésor en partenariat avec Euronext, ou indirectement avec des produits comme l’assurance vie ou les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Créer un nouveau service d’investissement dans la dette publique engendrerait des coûts importants pour nos finances sans garantie d’efficacité. La mise en place de l’infrastructure nécessaire serait une charge financière supplémentaire, alors que notre stratégie permet déjà d’émettre de la dette au meilleur coût pour le contribuable.
Enfin, pour atteindre vraiment l’objectif de ce texte, il faudrait rendre notre dette plus attractive pour les particuliers, ce qui impliquerait des dispositifs coûteux pour nos finances publiques et alourdirait nos coûts de financement. Nous ne pouvons pas nous le permettre dans la situation actuelle.
Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate votera contre ce texte.
M. Philippe Brun (SOC). La dette française est détenue à 53,2 % par des investisseurs étrangers, à 28 % par des résidents français, à 9,5 % par des fonds d’assurance français et à 7,7 % par des établissements de crédit français. Confier à la Caisse de la dette publique cette nouvelle mission la rapprocherait du rôle des spécialistes en valeurs du Trésor. Elle deviendrait une sorte de spécialiste public en valeurs du Trésor, qui tirerait vers le bas les taux de la dette française grâce à une plus grande concurrence sur le marché primaire.
La comparaison avec le Japon ne me semble pas tout à fait exacte car, si l’énorme dette publique du Japon est détenue à 93,3 % par les Japonais, elle l’est surtout à 53,8 % par la Bank of Japan, qui en achète les titres à des taux très faibles. C’est là une différence fondamentale entre les politiques monétaires japonaise et européenne.
Nous saluons le travail réalisé et le débat qui s’engage à l’initiative du groupe LIOT, et soutenons la proposition de loi. Nous proposerons par amendement d’ouvrir aux investisseurs individuels la possibilité d’acheter des obligations dès leur émission.
Mme Lise Magnier (HOR). Monsieur le rapporteur, vous proposez la création d’un instrument financier permettant à des entreprises et des particuliers français d’acquérir des titres de dette publique française. Selon vous, ce nouveau livret permettrait de renforcer la part des résidents parmi les détenteurs de la dette française et de baisser son coût de financement, tout en offrant aux particuliers un produit d’épargne sûr et rémunérateur. Si ces objectifs sont évidemment louables, il faut toutefois relever plusieurs limites.
Tout d’abord, la cession d’obligations du Trésor à des non-résidents est un facteur d’élargissement de la demande du marché, et donc de baisse du taux d’émission. Surtout, une obligation ne confère à l’investisseur, qu’il soit résident ou non-résident, aucun droit ni aucun pouvoir d’influence sur l’État.
Par ailleurs, la dette publique française est déjà accessible aux particuliers résidents : l’Agence France Trésor, qui la gère, a notamment mis en place un marché secondaire à leur destination, afin de leur permettre d’acheter et de vendre facilement des OAT.
Enfin, votre proposition de loi poursuit deux objectifs somme toute contradictoires. Pour que le produit financier que vous appelez de vos vœux soit attractif pour les investisseurs français, il faudrait en effet proposer au minimum un taux bonifié, ce qui renchérirait pour les finances publiques le coût de la charge de notre dette.
Pour ces raisons, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.
Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Au-delà de notre niveau d’endettement public élevé et de la part qu’y prennent des non-résidents, cette proposition de loi met en lumière la question essentielle du lien entre dette publique et souveraineté nationale. La situation de nos finances publiques et le récent abaissement de la note de la France par la plus puissante agence de notation du monde sont des signaux qui appellent de notre part des réponses adaptées. C’est la logique poursuivie par ce texte, qui veut accroître la part des acteurs nationaux parmi les détenteurs de la dette publique. Nous ne pouvons que souscrire à cette proposition, qui peut participer au panier de solutions nécessaires à l’amélioration de nos comptes publics.
Parmi les nombreux signaux figure le coût de la dette, qui s’élève à 54 milliards d’euros en 2024 et devrait atteindre 71 milliards en 2027, devenant ainsi le premier poste de dépenses de l’État. Compte tenu de la qualité de la signature française, mondialement reconnue, il serait donc plus intéressant de payer des intérêts à des détenteurs résidents qu’aux prêteurs non-résidents, car cela produirait un retour sur investissement domestique, conformément au mécanisme du multiplicateur keynésien. En outre, l’État serait ainsi soumis à une pression de la part des citoyens, qui seraient également ses créanciers et pourraient chercher à influer en faveur de politiques budgétaires plus responsables et plus durables.
Nous soutiendrons donc cette proposition de loi, qui n’est toutefois que l’une des pistes qui pourraient être explorées parmi d’autres, dont toutes celles que nous proposerons à nouveau dans le cadre de l’examen de la loi de finances, tant en recettes qu’en dépenses.
Nous déterminerons notre vote sur la proposition de loi en fonction du sort des amendements très pertinents déposés par nos collègues de La France insoumise et socialistes.
M. Charles de Courson (LIOT). La part de notre dette détenue par des résidents nationaux n’est que de l’ordre de 47 %. La dette de l’État, qui atteint les 2 600 milliards d’euros, représente 80 % des 3 100 milliards de dette publique. Son montant aura augmenté, entre 2017 et la fin de cette année, de 1 000 milliards, dont 260 seulement sont imputables, selon les chiffres du Gouvernement lui-même, à la crise covid et à la crise ukrainienne. Les trois quarts de cette augmentation s’expliquent donc par le manque de maîtrise des finances publiques.
Cette proposition de loi, modeste comme l’a dit le rapporteur, ne vise qu’à proposer un canal complémentaire, qui ne détériore pas la signature de la France et qui intéresse les épargnants. Cet outil ne concurrencera pas le livret A car le dispositif proposé est tout autre, sans aucun avantage fiscal : les revenus des placements seront soumis au prélèvement fiscal unique, soit 30 %, ils seront moins liquides, et les dépôts ne seront pas garantis.
Il n’est pas exact de dire que, puisqu’on peut déjà y souscrire, ces placements n’intéresseront personne, car la souscription n’est actuellement possible que sur le marché secondaire et non sur le marché primaire, comme le prévoit la proposition de loi. Les taux étant actuellement de l’ordre de 3 % et le Gouvernement faisant, à tort ou à raison, l’hypothèse, dans le programme de stabilité, qu’ils devraient se maintenir encore un an ou deux à ce niveau, le placement peut donc intéresser les épargnants.
Essayons ce dispositif. Cette proposition de loi n’est pas révolutionnaire, mais elle va dans la bonne direction.
M. Michel Castellani, rapporteur. Les réserves et les doutes que nous venons d’entendre ont déjà été exprimés au cours des auditions, mais il faut rester à la bonne échelle : il n’est pas question ici de traiter au lance-flammes l’ensemble de la question de la dette, d’ailleurs considérable, mais de proposer un mécanisme qui jouera sur les marges, sans prétention particulière, mais dont nous continuons à penser qu’il peut avoir un effet positif.
On nous objecte que les souscripteurs nationaux sont déjà assez nombreux et que la situation actuelle contribue à faire baisser les taux. Et alors ? Notre proposition ne peut que renforcer la demande de dette française et ne nuit aucunement aux autres souscripteurs, qui sont partout dans le monde et dont on ignore qui ils sont. Du reste, il serait assurément utile, comme le relevait M. Mauvieux, de connaître la cartographie de la dette française. Que deviennent les obligations du Trésor qui s’échangent à chaque seconde partout dans le monde ? Où vont-elles, au bout du compte ? Nous n’en savons rien. Mais en tout état de cause, même s’il faudrait mieux les contrôler, la proposition ne s’oppose aucunement aux mécanismes existants.
En revanche, personne ne s’est opposé à notre proposition du point de vue du circuit économique, à moyen terme. Ce serait d’ailleurs difficile : interrompre une hémorragie financière dont nous nous passerions volontiers, compte tenu de l’état de notre commerce extérieur, et investir ces milliards dans le circuit intérieur ne peut être que bénéfique et générer ipso facto de la consommation, de l’investissement et de la croissance. Personne ne peut le nier, et c’est tout l’intérêt du texte.
Certes, la diversification est un outil, mais la proposition ne ferait que l’amplifier, sans aucunement la limiter.
Il est de fait que le Japon dispose d’une épargne intérieure considérable ; c’est précisément ce qui lui permet de gérer une dette qui s’élève à 240 % du PIB. Mais la France, sans en être à un tel niveau, heureusement, dispose, elle aussi, d’une épargne intérieure. À ce propos, nous ferions bien de nous inspirer de l’exemple italien.
Chacun votera selon sa conscience et nous prenons acte des positions qui s’expriment. Nous n’avons, je le répète, pas de prétention particulière en présentant cette proposition de loi, mais nous considérons qu’elle va dans le bon sens.
Article unique
Création d’un service d’investissement fourni par la caisse de la dette publique aux résidents français et portant sur la détention de titres de dette publique française
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article unique crée un service d’investissement, assuré par la Caisse de la dette publique, permettant de faciliter l’acquisition de titres de dette publique française par les résidents nationaux.
Position de la commission des finances
La commission des finances a rejeté cet article.
Le présent article crée un service d’investissement destiné aux résidents nationaux, assuré par la Caisse de la dette publique et portant sur la détention de titres de la dette publique française.
Le fonctionnement de ce service d’investissement, prévu par le I (alinéas 1 et 2) est le suivant :
● La Caisse de la dette publique acquiert des titres de dette publique française, soit sur le marché primaire auprès de l’Agence France Trésor, qui est l’organisme chargé d’émettre la dette de l’État, soit sur le marché secondaire, auprès de certains intermédiaires financiers (alinéa 2).
L’encadré ci-dessous rappelle les missions actuelles de la Caisse de la dette publique.
La Caisse de la dette publique
La Caisse de la dette publique est un établissement public à caractère administratif créé par l’article 125 de la loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 de finances pour 2003 et modifiant la loi de finances rectificative pour 1986. Elle résulte de la transformation de la Caisse d’amortissement de la dette publique, qui avait été créée en 1986.
Elle a pour objet de soutenir sur les marchés financiers la qualité de la signature de l’État. Elle peut à cette fin acheter des titres émis par l’État, garantis par lui ou émis par des établissements ou des entreprises publics, en vue de leur conservation, leur annulation ou leur cession. Elle peut également se voir attribuer tout titre de dette négociable émis par l’État dans le cadre de l’autorisation donnée annuellement au ministre chargé de l’économie et elle est autorisée à prêter et à vendre ces titres.
Elle est administrée par un conseil d’administration composé de deux représentants du ministère de l’économie et des finances, dont le président, d'un membre du Conseil d’État, d’un membre de la Cour des comptes et d’un membre de l’inspection générale des finances. La gestion administrative de la Caisse de la dette publique est confiée à la cellule post-marché et suivi des risques de l’Agence France Trésor.
La Caisse de la dette publique assure notamment le remboursement du surcroît de dette lié à la crise du Covid, estimé à 165 milliards d’euros, et programmé entre 2022 et 2042 (1).
La dotation de la Caisse de la dette publique est calculée chaque année en fonction de la prévision du surplus de recettes fiscales nettes entre l’année de référence et 2020 et modulée par la croissance attendue pour l’année. En 2022, cette dotation s’est élevée à 1,9 milliard d’euros (1).
(1) Source : rapport d’activité 2022 de l’Agence France Trésor.
Les intermédiaires financiers concernés sont ceux mentionnés aux 2° à 7° de l’article L. 542-1 du code monétaire et financier, qui dresse la liste des types d’établissements détenant le monopole de la tenue de compte-conservation d’instruments financiers.
Il s’agit des intermédiaires suivants :
– les établissements de crédit établis en France (2° de l’article L. 542-1 du code monétaire et financier) ;
– les entreprises d’investissement établies en France (3° du même article) ;
– les personnes morales dont les membres ou associés sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes et engagements, à condition que ces membres ou associés soient des établissements ou entreprises mentionnées aux 2° et 3° habilités en vue de l’administration ou de la conservation d’instruments financiers (4° du même article) ;
– les personnes morales établies en France ayant pour objet principal ou unique l’activité de conservation ou d’administration d’instruments financiers, ainsi que celles ayant pour objet exclusif d’administrer une ou plusieurs institutions de retraite professionnelle collective (5° du même article) ;
– les institutions mentionnées à l’article L. 518-1 du même code, à savoir le Trésor public, la Banque de France, La Poste, l’institut d’émission des départements d’outre-mer, l’institut d’émission d’outre-mer et la Caisse des dépôts et consignations (6° du même article) ;
– dans des conditions fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et les personnes morales ayant pour objet principal ou unique l’activité de conservation ou d’administration d’instruments financiers qui ne sont pas établis en France (7° du même article).
● Le service d’investissement confié à la caisse de la dette publique est destiné aux personnes résidant en France, que celles-ci soient des personnes physiques ou morales (alinéa 1) :
– les personnes physiques concernées sont celles mentionnées à l’article 4 B du code général des impôts, à savoir celles ayant leur domicile fiscal en France et étant, à ce titre, passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. Il s’agit, plus précisément, des personnes suivantes :
▪ les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
▪ les personnes qui exercent en France une activité professionnelle ;
▪ les personnes qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.
– les personnes morales concernées sont celles immatriculées au registre national des entreprises.
L’encadré suivant précise la définition de ce registre.
Le registre national des entreprises
L’article L. 123-36 du code de commerce prévoit : « Il est tenu un registre national des entreprises, auquel s'immatriculent les entreprises exerçant sur le territoire français une activité de nature commerciale, artisanale, agricole ou indépendante ». Cette disposition découle de l’article 2 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (dite « PACTE ») et est en vigueur depuis le 1er janvier 2023.
Le registre national des entreprises (RNE) s’est substitué aux registres d’entreprises qui existaient auparavant :
– le registre national du commerce et des sociétés pour les entreprises commerciales ;
– le répertoire national des métiers pour les entreprises artisanales ;
– et le registre des actifs agricoles pour les entreprises agricoles.
Le registre unique résultant de cette fusion contient l’intégralité des entreprises présentes en France, qu’elles soient commerciales, artisanales, agricoles ou libérales.
La tenue du RNE incombe à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).
● Le II du présent article (alinéa 3) détaille certaines modalités de ce service d’investissement.
Tout d’abord, il est précisé qu’il s’agit d’un service d’investissement au sens de l’article L. 321-1 du code monétaire et financier.
L’encadré suivant reproduit la définition des services d’investissement tels que définis par cet article.
Les services d’investissement
L’article L. 321-1 du code monétaire et financier dispose que les services d’investissement portent sur les instruments financiers énumérés à l’article L. 211-1 du même code, à savoir les titres financiers (titres de capital émis par les sociétés par actions, titres de créance et parts ou actions d’organismes de placement collectif) et les contrats financiers (c’est-à-dire les instruments financiers à terme), et sur les unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, c’est-à-dire les quotas d’émission de gaz à effet de serre.
Les services d’investissement comprennent les services et activités suivants :
– la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers ;
– l’exécution d'ordres pour le compte de tiers ;
– la négociation pour compte propre ;
– la gestion de portefeuille pour le compte de tiers ;
– le conseil en investissement ;
– la prise ferme ;
– le placement garanti ;
– le placement non garanti ;
– l’exploitation d'un système multilatéral de négociation ;
– l’exploitation d'un système organisé de négociation.
De plus, ce service d’investissement porte sur un contrat à terme au sens du III de l’article L. 211-1 du code monétaire et financier.
L’encadré ci-dessous précise la définition des contrats à terme et des contrats financiers.
Contrats à terme et contrats financiers
Un contrat à terme constitue un engagement d’acheter (pour l’acheteur), de vendre (pour le vendeur) un actif sous-jacent à un prix fixé dès aujourd’hui mais pour une livraison et un règlement à une date future.
L’actif sous-jacent peut être un produit physique (matières premières), un instrument financier (actions, obligations, taux d’intérêt, cours de change) ou encore un indice boursier ou climatique.
L’article L. 211-1 du code monétaire et financier prévoit, à son III, que les contrats financiers, également dénommés « instruments financiers à terme », sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret.
L’article D. 211-1 A du même code contient cette liste, qui comprend les contrats suivants :
– les contrats d’option, contrats à terme fermes, contrats d’échange, accords de taux futurs et tous autres contrats à terme relatifs à des instruments financiers, des devises, des taux d’intérêt, des rendements, des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, à des indices financiers ou des mesures financières qui peuvent être réglés par une livraison physique ou en espèces ;
– les contrats d’option, contrats à terme fermes, contrats d'échange, accords de taux futurs et tous autres contrats à terme relatifs à des matières premières qui doivent être réglés en espèces ou peuvent être réglés en espèces à la demande d’une des parties pour des raisons autres qu’une défaillance ou d’autre incident conduisant à la résiliation ;
– les contrats d’option, contrats à terme fermes, contrats d’échange et tous autres contrats à terme relatif à des matières premières qui peuvent être réglés par livraison physique, à condition qu’ils soient négociés sur un marché réglementé, un système multilatéral de négociation ou un système organisé de négociation ;
– les contrats d’options, contrats à terme fermes, contrats d’échange et tous autres contrats à terme relatifs à des matières premières qui peuvent être réglés par livraison physique, non mentionnés par ailleurs ci-dessus, et non destinés à des fins commerciales, qui présentent les caractéristiques d’autres instruments financiers à terme ;
– les contrats à terme servant au transfert du risque de crédit ;
– les contrats financiers avec paiement d’un différentiel ;
– les contrats d’options, contrats à terme fermes, contrats d’échanges, accords de taux futurs et tous autres contrats à terme relatifs à des variables climatiques, à des tarifs de fret ou à des taux d’inflation ou d’autres statistiques économiques officielles qui doivent être réglés en espèces ou peuvent être réglés en espèces à la demande d'une des parties pour des raisons autres qu’une défaillance ou d'autre incident amenant la résiliation ;
– tout autre contrat à terme concernant des actifs, des droits, des obligations, des indices et des mesures, non mentionné par ailleurs précédemment, qui présente les caractéristiques d’autres instruments financiers à terme, en tenant compte de ce que, notamment, il est négocié sur un marché réglementé un système multilatéral de négociation ou un système organisé de négociation.
Enfin, il est précisé que toute souscription à ce produit donne lieu à une rémunération lors de sa clôture.
● Le III du présent article (alinéa 4) prévoit que les modalités de mise en œuvre du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.
Ce décret devra notamment préciser les éléments suivants :
– la durée pendant laquelle l’épargne investie sera bloquée ;
– les caractéristiques du produit en termes de taux ;
– ses modalités de distribution au sein du public.
● Le IV (alinéa 5) contient, à des fins de recevabilité, le gage rendu nécessaire par l’article 40 de la Constitution, qui dispose que les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d'une charge publique. En l’espèce, il est prévu que la charge pour l’État résultant de la nouvelle mission confiée à la caisse de la dette publique soit compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.
II. La position de la commission
La commission des finances a rejeté cet article.
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* *
Amendement CF1 de M. Michel Sala
M. Michel Sala (LFI-NUPES). Cet amendement vise à empêcher que la vente directe des contrats à terme proposés donne lieu, sous prétexte d’attractivité, à de nouvelles exonérations fiscales qui grèveraient le budget de l’État et de la sécurité sociale. Nous soutenons l’objectif d’accroître la part des résidents dans la dette française pour la gérer plus facilement, mais cela ne doit pas se faire au détriment des recettes fiscales et des cotisations. Concrètement, nous regrettons que le renvoi des modalités à un décret laisse trop de pouvoir à l’exécutif, risquant de saboter les initiatives parlementaires.
Nous reconnaissons que le problème est complexe et qu’un encadrement détaillé nécessite une réforme de plus grande ampleur. Il faut prévoir des garde-fous pour garantir que le décret ne contredise pas l’objectif de mettre fin à la rente des spécialistes en valeurs du Trésor et d’encourager l’emprunt populaire. De nouvelles exonérations fiscales seraient une trahison de l’esprit du texte et renforceraient l’impuissance de l’État.
M. Michel Castellani, rapporteur. Je comprends et je respecte ce raisonnement. Cependant, toute exonération d’impôts et de cotisations ou tout crédit d’impôt relève du domaine de la loi, conformément à l’article 34 de la Constitution. Il serait donc inconstitutionnel de prévoir une telle mesure par décret.
Sur le fond, il faut garder les options ouvertes pour augmenter la part de résidents détenteurs de la dette, mais peut-être faut-il, en effet, éviter les exonérations. Sagesse.
M. Daniel Labaronne (RE). Les résidents ont déjà la possibilité d’acheter des OAT, que ce soit indirectement par le biais des placements réglementés, de l’assurance vie par les fonds euros, ou directement par Euronext. Ce nouveau produit de placement des particuliers en faveur de la dette de l’État devrait être attractif par rapport à ce qui existe aujourd’hui, ce qui peut passer par des dispositifs fiscaux, par une garantie de remboursement du capital à tout instant ou par des taux bonifiés. On voit donc bien la contradiction : si vous ne recourez pas à des mesures fiscales, vous ne rendrez pas le dispositif attractif et cela ne fonctionnera pas.
Par ailleurs, ce nouveau véhicule, avec ses taux bonifiés et ses mesures fiscales, serait beaucoup plus coûteux que les dispositifs existants, lesquels d’ailleurs ne fonctionnent pas très bien, à en juger par le marché Euronext permettant aux particuliers d’acheter directement de la dette de l’État.
M. Philippe Brun (SOC). Je suis en désaccord avec M. Labaronne sur plusieurs points. Non, il ne faudrait pas appliquer des taux particulièrement favorables et des exonérations car, en réalité, la Caisse de la dette publique ne se rémunérerait pas comme le ferait un spécialiste en valeurs du Trésor. En outre, nous débattons souvent dans cette commission de certains de nos produits très attractifs, comme les OAT indexées sur l’inflation. De nombreux Français seraient favorables à l’idée de bénéficier de cette rémunération très attractive.
Quant à l’amendement, il est inspiré par la crainte que le décret ne crée des exonérations fiscales ou sociales ; or de ce côté, nous sommes protégés par l’article 34 de la Constitution. Nous ne le voterons donc pas.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). J’ajoute que l’amendement est mal rédigé : il ne s’agit pas de prévoir une exonération, mais une réduction d’impôt.
Mme Marie-Christine Dalloz (LR). Tout de même, prévoir un nouveau dispositif en l’assortissant d’office de nombreuses interdictions, c’est un non-sens. Peut-être cet amendement s’explique-t-il dans certaines visions, mais dans la mienne, il faut le rejeter.
M. Charles de Courson (LIOT). Je crois que notre collègue serait sage de retirer cet amendement. Le texte de la proposition de la loi (PPL) ne prévoit pas d’avantage fiscal. Le décret ne pourra pas en créer un, puisqu’il faut pour cela une loi. Quant aux cotisations sociales, également mentionnées par l’amendement, il n’en existe pas sur les revenus de placements mobiliers.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article unique non modifié.
Amendement CF10 de M. Philippe Brun
M. Philippe Brun (SOC). Nous proposons d’ouvrir au grand public la possibilité – aujourd’hui réservée à quinze institutions bancaires spécialistes en valeurs du Trésor –d’acheter des obligations dès leur émission. Les particuliers auront ainsi accès au marché du neuf, en quelque sorte, et non pas seulement à celui de l’occasion.
M. Michel Castellani, rapporteur. Il semble, sur la forme, qu’il y ait une erreur d’insertion. L’article L. 213-23 du code monétaire et financier, visé par votre amendement, dispose en effet : « Les établissements de crédit, les sociétés de financement et les entreprises d’investissement doivent déposer à la Banque de France les bons du Trésor leur appartenant, si le montant nominal de ces bons dépasse au total 750 euros ».
Sur le fond, je ne suis pas certain que le moyen que vous proposez soit le plus efficace pour accroître la part des résidents parmi les détenteurs de la dette. On peut craindre en effet que seuls les particuliers les plus familiers des opérations boursières utilisent cette possibilité. Il nous semble préférable de favoriser un circuit de distribution présent dans les territoires, comme La Poste ou comme les services du ministère de l’économie dans les préfectures.
Je ne peux donc pas soutenir cet amendement.
M. David Amiel (RE). Pour dissiper toute ambiguïté, le marché secondaire n’est pas un marché d’occasion au sens où on l’entend pour les voitures par exemple. Un titre de dette publique y conserve la même rentabilité que sur le marché primaire. La différence tient à la fixation des prix, qui est opérée de façon publique par le marché secondaire et qui dépend d’un mécanisme d’adjudication sur le marché primaire.
Les institutions financières spécialistes en valeurs du Trésor, comme il en existe chez tous nos voisins européens, ne bénéficient pas d’une possibilité indue de s’enrichir : leur rôle est de faciliter l’émission d’obligations et de structurer le marché. Ouvrir aux particuliers la possibilité d’acheter sur le marché primaire, ce serait leur faire courir le risque de les mettre en concurrence avec des institutions aux moyens considérables : au mieux, ils feraient aussi bien qu’elles ; au pire, ils se feraient avoir.
M. Philippe Brun (SOC). Seuls quinze acteurs peuvent aujourd’hui acheter des obligations lors de leur émission. L’ouverture du périmètre des acheteurs potentiels ferait naturellement baisser les taux et permettrait ainsi d’améliorer le financement de la dette. Compte tenu de l’argument de forme avancé par le rapporteur, je retire néanmoins mon amendement.
L’amendement est retiré.
Amendements CF2, CF3, CF4 et CF5 de M. Hadrien Clouet
M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). Nous souhaitons réactiver le circuit du Trésor qui, des années 1940 aux années 1960, obligeait les banques françaises à acheter des titres de dette publique. L’amendement CF2 propose ainsi que les banques soient tenues d’employer au moins 15 % de leurs fonds propres en OAT, et les autres sont dégressifs.
Une telle mesure permettrait de prévenir les risques systémiques puisqu’elle rehausserait les règles de sûreté imposées aux banques – car je ne doute pas que nos collègues de la majorité, notamment, jugent la dette française bien gérée ?
En nationalisant une partie de la dette, elle permettrait aussi de réduire l’influence des agences de notation et d’accroître les marges de manœuvre de l’État en matière de taux d’intérêt.
M. Michel Castellani, rapporteur. Nous voulions justement éviter l’intermédiation bancaire. Par ailleurs, la portée de votre amendement dépasse largement le cadre de cette proposition de loi, puisqu’il implique de modifier les obligations relatives à la composition des bilans bancaires. Mais on peut en discuter. Avis de sagesse.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CF8 de M. Michel Sala
M. Michel Sala (LFI-NUPES). Nous proposons que l’efficacité du nouveau dispositif financier fasse l’objet d’un rapport dans deux ans, puis dans cinq ans. Ces rapports analyseront les contrats à terme de la Caisse de la dette publique, la demande dont ils font l’objet ainsi que leur impact sur l’économie réelle et sur la part de la dette détenue par les résidents nationaux.
Alors que les particuliers détiennent des obligations au travers des placements réalisés en leur nom sur le livret A et sur les contrats d’assurance vie, l’efficacité du nouveau dispositif reste incertaine : permettra-t-il une relocalisation de la dette française ? Aura-t-il une influence positive sur les taux d’emprunt ? Le Gouvernement émettra-t-il suffisamment de comptes à terme ?
Aujourd’hui, la dette française est détenue à 47 % par des résidents français et à 25 % par la Banque centrale européenne (BCE). Il faudra déterminer si la relocalisation des 28 % restants accroît la stabilité et réduit les risques de spéculation, ou si ces problèmes tiennent plutôt à une dépendance excessive aux marchés financiers et aux agences de notation.
M. Michel Castellani, rapporteur. Avis favorable, bien sûr. Un rapport d’évaluation de la présente proposition de loi permettrait de cerner son efficacité et de déterminer si elle a atteint ses objectifs.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF11 M. Philippe Brun
M. Philippe Brun (SOC). Nous demandons la remise d’un rapport sur le sujet qu’abordait déjà mon amendement précédent : l’ouverture au grand public de la possibilité d’acheter, dès leur émission, des titres de dette souveraine française. Nous pensons en effet que cette possibilité permettrait de faire baisser les taux et d’améliorer le financement de la dette.
M. Michel Castellani, rapporteur. Il faut toujours avoir des doutes sur les dispositifs que l’on propose et veiller à en analyser la faisabilité. En l’occurrence, il s’agirait d’étudier une amélioration éventuelle du dispositif. Avis favorable.
Mme Marie-Christine Dalloz (LR). Je suis plutôt favorable, en règle générale, à la remise de rapports, car l’évaluation des politiques est essentielle – et je déplore au passage le faible nombre de collègues présents lors des commissions d’évaluation des politiques publiques. En six mois cependant, le dispositif n’aura pas encore produit ses premiers effets : la remise d’un rapport aurait du sens au bout d’un délai plus long, par exemple dans deux ans.
Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Je suis tout à fait favorable à cette demande de rapport.
Pour revenir à notre débat antérieur, je voudrais souligner que l’identité des prêteurs sur un marché secondaire n’est pas connue. Or le présent texte a précisément pour objectif de mieux connaître ceux qui investissent dans la dette française et pourraient porter atteinte à notre souveraineté nationale.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF6 M. Michel Sala
M. Michel Sala (LFI-NUPES). Pour que le débat puisse être rationnel et dépassionné, notre groupe appelle à une plus grande transparence et à une plus grande clarté sur la détention de la dette publique française. La question de la dette est souvent sujette à conjectures et spéculations, en dépit de l’attrait qu’elle exerce sur les prêteurs. On entend souvent dire que son caractère flottant menace notre financement de long terme et justifie des réductions dans les moyens dédiés à nos services publics et à la sécurité sociale.
Pourtant, 47 % de la dette sont détenus par des résidents français, particuliers ou entreprises. Il est crucial d’aller plus loin dans l’analyse. Il est trompeur de regrouper la part détenue par des résidents de l’Union européenne avec celle détenue par des Américains ou des Chinois. De plus, la part importante de notre dette qui est détenue par la BCE – 25 % – n’est pas exposée aux investisseurs étrangers. Si on la retranche du calcul, la part des Français représente 62,4 % de la dette.
Aujourd’hui, l’Agence France Trésor elle-même manque de visibilité sur les détenteurs de la dette publique. Nous demandons la remise d’un rapport détaillant leur identité, afin de corriger cette situation injustifiable qui fausse nos débats et sape la confiance des citoyens dans les décisions politiques.
M. Michel Castellani, rapporteur. Il serait intéressant, effectivement, que l’État dispose d’une meilleure connaissance des détenteurs finaux de la dette – quoique je ne sois pas certain que cela soit possible, compte tenu de la complexité du marché.
S’il disposait de ces informations, faudrait-il encore qu’il les divulgue ? Je ne le crois pas, car cela risquerait de détourner certains investisseurs de la dette française. Je laisse la discussion ouverte à ce sujet.
M. Kévin Mauvieux (RN). Notre groupe est favorable à une meilleure connaissance des personnes qui détiennent la dette française, sans prévoir de seuil d’ailleurs, forcément arbitraire. Malheureusement, quand bien même l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que tout citoyen peut demander des comptes précis à son administration, le code de commerce interdit à l’État de connaître les détenteurs des titres de dette. Même s’il était adopté, le présent amendement serait donc sans effet tant que le code de commerce ne serait pas modifié. De ce fait, nous nous abstiendrons.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF7 M. Michel Sala
M. Michel Sala (LFI-NUPES). Nous demandons ici la remise d’un rapport évaluant l’intérêt d’une plus grande transparence dans la détention de la dette publique française, afin de clarifier les enjeux de sa gestion.
M. Michel Castellani, rapporteur. Avis favorable sur cette proposition qui vise en particulier l’article L. 228-2 du code de commerce, lequel interdit aujourd’hui aux personnes publiques de connaître l’identité des détenteurs de la dette.
La commission rejette l’amendement.
La commission rejette l’ensemble de la proposition de loi.
liste des personnes auditionnÉes
Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :
– Agence France Trésor
M. Antoine Deruennes, directeur général ;
M. Mathieu Marceau, chef de bureau.
– Service du financement de l’économie de la direction générale du Trésor
M. Christophe Bories, chef de service ;
M. Jean Dalbard, chef du pôle d’analyse économique du secteur financier (PAESF).
([1]) Source : Comptes nationaux des administrations publiques – premiers résultats – année 2023, INSEE.
([3]) Source : ibidem.
([4]) Les zones bleutées correspondent à la part de la dette détenue par des non-résidents.
Les zones d’une autre couleur que le bleu correspondent à la part de la dette détenue par des résidents.
([5]) Question n° 33127 de M. José Evrard, député, au ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance.
([6]) Toutefois, concernant la dette portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), certaines données concernant la répartition par zone géographique des acquéreurs des titres de dette à leur émission sont publiées par cette institution. Pour les titres émis en 2022 et en 2023, ces informations sont accessibles ici.
([7]) « Comptes nationaux des administrations publiques – Premiers résultats – année 2023 », INSEE, p. 5 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/version-html/8061907/IR74_APU_2023.pdf.
([9]) Source : ibidem.
([10]) AFT, communiqué de presse du 5 décembre 2005 : https://www.aft.gouv.fr/fr/publications/communiques-presse/20051205-marche-secondaire-oat.