N° 630
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants,
Par Mmes Marietta KARAMANLI et Isabelle RAUCH,
Députées.
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Voir les numéros : 484, 530.
SOMMAIRE
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Pages
I. L’addiction numérique, un phénomène d’ampleur entretenu par les plateformes
II. Auto-régulation, régulation, réglementation
ANNEXE : Liste des personnes ENTENDUEs par les rapporteures
Mesdames, Messieurs,
La commission des affaires culturelles et de l’éducation est saisie de la proposition de résolution européenne visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants. Déposée par la rapporteure Marietta Karamanli le 24 octobre 2024, en application de l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale, elle a été adoptée avec modifications par la commission des affaires européennes le 30 octobre 2024.
I. L’addiction numérique, un phénomène d’ampleur entretenu par les plateformes
Pour la clarté du propos, il convient ici d’indiquer que le terme « addiction » doit être compris comme le besoin irrépressible et excessif de l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux, manifestant une dépendance.
Qu’attend-on pour réellement prendre la mesure du danger qui nous guette collectivement, et d’abord les plus jeunes, les plus fragiles, les plus vulnérables ? Les réseaux sociaux, définis dans le droit de l’Union européenne comme une « plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter ainsi que de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils et, en particulier, au moyen de conversations en ligne, de publications, de vidéos et de recommandations » ([1]), constituent un lieu d’opportunités en ce qu’ils permettent aux utilisateurs d’entrer en relation avec autrui et de découvrir des contenus variés. Cependant, ces plateformes sont devenues des machines à capter, et monétiser, l’attention des utilisateurs. En effet, l’économie de l’attention repose sur un modèle de création de valeur fondé sur l’exploitation des données personnelles, qui sont vendues à des fins publicitaires. Les réseaux sociaux ne sont gratuits qu’en apparence, comme le rappelle cette formule désormais célèbre : quand c’est gratuit, c’est vous le produit.
Les réseaux sociaux sont porteurs de risques spécifiques, auxquels les mineurs sont les plus exposés. Ces risques sont désormais bien connus : cyber-harcèlement, exposition à des contenus préjudiciables comme les contenus violents ou pornographiques, fausses informations, dépréciation de l’estime de soi, atrophie des relations sociales et… addiction. Pourquoi les entreprises de réseaux sociaux inciteraient-elles les utilisateurs à adopter des comportements modérés, à limiter le temps passé sur leurs interfaces, pour, à la place, lire un livre, aller au cinéma, se détendre, se laisser aller, le temps d’un instant, à l’oisiveté, si importante chez les enfants dans la construction de l’imaginaire, de la créativité ? Les revenus publicitaires des plateformes dépendent directement du nombre de clics sur les contenus, et donc du temps passé en ligne. Ces entreprises cherchent donc à capter, autant que possible, et à retenir, l’attention des utilisateurs, pierre angulaire de leur modèle économique.
Pour rappel, la notion d’« addiction numérique » ne fait pas consensus au sein de la communauté scientifique, comme l’ont rappelé, au cours de leurs échanges avec les rapporteures, MM. Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef de la revue « Cerveau & Psycho », Stéphane Amato, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Toulon, et Medhi Khamassi, directeur de recherche en sciences cognitives au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). MM. Amato et Khamassi ont ainsi accordé leur préférence à la notion de « comportement compulsif » et M. Bohler a considéré que le terme « addiction » devait être réservé à certaines substances ou comportements. Cependant, ils ont tous reconnu le développement de l’usage problématique des écrans et des réseaux sociaux, particulièrement chez les plus jeunes, soulignant le recours croissant, par les grandes entreprises du numérique, à des mécanismes addictogènes (cf. infra). Au-delà du débat sémantique, ces chercheurs ont tous pointé le manque de données disponibles sur l’impact des réseaux sociaux sur la capacité de concentration et le développement neuronal des enfants, tout en relevant que l’on pouvait d’ores et déjà constater, empiriquement, les effets délétères d’un usage excessif d’internet : la durée d’attention se réduit toujours davantage. Enfin, M. Bohler a rappelé que les écrans pouvaient, en ce qu’ils constituent des stimuli extérieurs ou exogènes, miner la capacité d’attention « endogène » des individus. En effet, les écrans sollicitent l’attention « exogène », c’est-à-dire celle qui est provoquée par un événement extérieur, externe. Typiquement, un individu reçoit une notification sur son smartphone et s’en saisit. Par nature, l’attention exogène est courte. L’attention endogène, à l’inverse, constitue un acte volontaire, intentionnel. Elle s’exerce sur un temps plus long et permet donc l’accomplissement de tâches complexes.
Les services en ligne, au premier rang desquels les réseaux sociaux, ne risquent pas seulement de rendre dépendants leurs utilisateurs. Certains semblent avoir été spécifiquement pensés pour créer une addiction. Le phénomène de l’addiction numérique est désormais bien connu et les statistiques disponibles constituent un premier faisceau d’indices. La résolution du Parlement européen sur la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’Union européenne ([2]) indique ainsi que les jeunes de 16 à 24 ans, à l’échelle mondiale, passent en moyenne plus de sept heures par jour sur internet. On constate chez un enfant ou un jeune sur quatre une utilisation « problématique » ou « dysfonctionnelle » de son smartphone, « c’est-à-dire que ses schémas comportementaux indiquent une dépendance ». Il est également précisé que « les recherches font état d’une progression de l’utilisation problématique des smartphones et révèlent que de nombreux enfants ne se déconnectent que rarement des médias sociaux, les utilisent en permanence pendant la journée et se sentent mal à l’aise sans leur téléphone portable ». En outre, « les recherches indiquent également que l’augmentation des problèmes de santé mentale chez les adolescents pourrait être liée à une utilisation excessive des médias sociaux et que la pression des médias sociaux a été reconnue comme l’une des cinq causes principales de troubles de la santé mentale chez les enfants ». La dépendance au smartphone ou à internet peut provoquer de nombreux symptômes de souffrance mentale : dépression, faible estime de soi, troubles de l’image corporelle, troubles alimentaires, anxiété, stress, isolement social, troubles du sommeil, symptômes obsessionnels compulsifs, etc. Ces risques sont documentés : preuve en est, la résolution du Parlement européen précitée recense rigoureusement de nombreux travaux de recherche. L’utilisation excessive du numérique peut ainsi créer une addiction similaire à la dépendance à certaines substances. Les rapporteures insistent sur les risques majeurs de l’utilisation problématique des écrans : troubles de l’attention, hyperactivité, diminution de la matière grise dans certaines zones du cerceau, troubles de l’apprentissage et de la mémoire, sédentarité accrue…
Le risque de l’addiction au numérique devrait ainsi être traité de la même manière que l’addiction au tabac, à l’alcool ou à n’importe quelle substance dangereuse et faire l’objet d’une politique publique adaptée articulée autour de trois axes : sensibilisation, prévention, traitement. La comparaison avec le tabac est d’autant plus pertinente que cette industrie a été et reste le principal vecteur de la dépendance, niant pendant longtemps les risques ([3]) et visant, par divers moyens, à créer une addiction dès le plus jeune âge ([4]).
Quelles sont les causes de l’addiction numérique ? Pourquoi les utilisateurs consultent-ils sans cesse leur smartphone, pourquoi certains perdent-ils la notion du temps en naviguant sur les interfaces ? La réponse à ces questions est, pour une large part, à rechercher dans les caractéristiques de conception addictive des services en ligne, c’est-à-dire des caractéristiques techniques spécifiquement conçues pour capter toujours plus l’attention. Sur les interfaces et dans les caractéristiques et fonctionnalités de Facebook, TikTok, Instagram, etc., rien n’a été laissé au hasard. Au contraire, tout est fait pour solliciter le plus possible l’attention des utilisateurs et leur faire passer un maximum de temps sur la plateforme. À titre d’exemple, on peut mentionner :
– le défilement infini de contenus ou infinite scrolling : cette fonctionnalité est utilisée par de nombreux réseaux sociaux et permet d’afficher automatiquement de nouveaux contenus à la fin de la lecture d’une page, sans aucune opération de l’utilisateur. Ainsi, celui-ci n’a jamais le sentiment d’avoir « achevé » sa lecture ou son activité. Le but de cette fonctionnalité est simple : maximiser la durée d’utilisation du service en ligne. Sa responsabilité dans l’addiction numérique a été soulignée par de nombreux travaux et les institutions politiques en sont désormais bien informées. Par exemple, en 2019, le sénateur américain Josh Hawley a présenté une proposition de loi visant à interdire certaines fonctionnalités addictives, dont le défilement infini et la lecture automatique ([5]) ;
– la lecture automatique : cette fonctionnalité, de plus en plus présente par défaut, est connue de tous sur la plateforme de partage de vidéos YouTube. Dès qu’une vidéo s’achève, une nouvelle vidéo commence. L’utilisateur n’a même pas le temps de s’interroger sur le temps qu’il vient de consacrer au visionnage de vidéos ou sur son envie d’en regarder d’autres : la plateforme a déjà choisi pour lui ;
– les recommandations personnalisées : les algorithmes de recommandation « apprennent » les goûts des utilisateurs et sont en mesure de leur proposer des contenus qui capteront au mieux leur attention ;
– la multiplication des notifications visant à attirer l’attention des utilisateurs pour les faire revenir sur la plateforme ou le recours croissant aux jeux sur rendez-vous, destinés à créer une habitude chez les utilisateurs. De même, les restrictions temporelles de contenus, comme les fameuses stories, accessibles temporairement, visent à faire naître chez l’utilisateur une peur de manquer un contenu particulièrement intéressant (syndrome dit « Fomo », fear of missing out) ;
– les techniques de gratification sociale comme le bouton « j’aime » ou l’indication du nombre de personnes suivant un compte ou ayant lu un contenu.
Ces caractéristiques de conception addictive reposent sur des schémas psychosociaux et des biais psychologiques. En d’autres termes, les entreprises de réseaux sociaux ont recours à des techniques de manipulation visant à maximiser la durée d’utilisation de leurs services et, partant, leurs revenus. La résolution du Parlement européen précitée a bien identifié cette exploitation des vulnérabilités psychologiques : « Les caractéristiques de conception addictive jouent intentionnellement sur les vulnérabilités des consommateurs, afin de les amener à consacrer aux applications beaucoup plus de temps et à consommer davantage que prévu ». En particulier, les plateformes déploient de plus en plus des techniques de ludification, « c’est-à-dire une conception comportementale qui utilise la mécanique du jeu pour récompenser l’accomplissement de certaines tâches et donne aux utilisateurs l’illusion du choix et du contrôle, alors qu’ils sont soumis à un calendrier bien étudié ».
La résolution du Parlement européen dresse un parallèle entre les machines à sous et les réseaux sociaux, parallèle qui avait été établi par Mme Julie Albright ([6]), docteure en sociologie spécialisée dans la culture digitale et la communication, professeure à l’Université de Californie du Sud. Selon elle, les réseaux sociaux favorisent la montée de dopamine par l’utilisation de techniques de renforcement intermittent, un mécanisme de conditionnement comportemental bien connu des psychologues : la récompense est d’autant plus précieuse qu’elle est variable et intermittente. Un joueur de casino ne gagnant pas à tous les coups, c’est l’espoir de la récompense qui prolonge son expérience de jeu. De la même façon, l’utilisateur de TikTok ne consulte pas que des contenus qui lui plaisent. En revanche, il sait qu’il finira par consommer un contenu particulièrement intéressant : la certitude de la survenue prochaine de la récompense, et la montée soudaine de dopamine associée, le pousse à rester sur la plateforme.
Les rapporteures tiennent également à mentionner l’assignation en justice du réseau social TikTok par les procureurs de quatorze États américains, qui accusent la plateforme d’avoir délibérément conçu ses algorithmes pour créer une dépendance chez les enfants. Selon les procureurs, la plateforme « utiliserait des fonctionnalités manipulatrices visant à rendre dépendants les jeunes utilisateurs et à maximiser leur temps sur la plateforme. Ces paramètres exploitent les vulnérabilités psychologiques des enfants et sont déployés afin de retenir les enfants et les jeunes sur la plateforme le plus longtemps possible » ([7]). Des actions en justice contre TikTok ont également été engagées en France. Si ces actions peuvent être utiles, seule une réglementation appropriée permettra de protéger efficacement et durablement les enfants de l’addiction numérique.
II. Auto-régulation, régulation, réglementation
Les rapporteures sont convaincues que la logique d’autorégulation doit être définitivement abandonnée, du fait de ses insuffisances et de la disproportion des moyens entre les grandes entreprises de la tech et les utilisateurs. Les parents ne peuvent à eux seuls protéger leurs enfants de l’addiction numérique, par manque de temps, de connaissances, parfois aussi d’investissement.
En janvier 2021, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié les résultats d’un sondage et d’une consultation en ligne organisés en 2020 dans le cadre d’une réflexion sur la protection des données personnelles des mineurs et l’exercice de leurs droits numériques. Trois statistiques sont particulièrement alarmantes :
– 82 % des enfants de 10 à 14 ans se rendent régulièrement sur internet sans leurs parents, cette proportion atteignant 95 % pour les 15-17 ans ;
– 70 % des enfants de tout âge regardent seuls des vidéos sur internet ;
– la première inscription sur les réseaux sociaux semble intervenir en moyenne vers 8 ans et demi et plus de la moitié des 10-14 ans y sont présents.
Les parents sous-estiment très largement les activités numériques de leurs enfants, comment l’ont mis en évidence l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf) dans une étude conduite en 2022 par Ipsos sur les parents, les enfants et le numérique ([8]). Selon les parents, les enfants de 7-10 ans et 11-14 ans utilisent respectivement, en moyenne, 1,9 et 3,2 réseaux sociaux. Les enfants, en revanche, évoquent respectivement 2,5 et 3,6 réseaux sociaux.
Pourquoi faire peser sur les seuls parents la responsabilité de protéger les utilisateurs les plus vulnérables ? La protection de l’enfance doit être une priorité des pouvoirs publics et, de façon plus générale, de tout un chacun. Les caractéristiques de conception addictive doivent donc faire l’objet d’une réglementation stricte, pour protéger les enfants des visées des grandes plateformes numériques. Il y a urgence.
De nombreuses initiatives en matière numérique ont été lancées ces dernières années ou sont en cours. Les rapporteures pensent notamment à l’adoption par le Parlement, en juin 2023, de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Promulguée le 7 juillet 2023, cette loi impose aux fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne exerçant leur activité en France de vérifier l’âge de leurs utilisateurs et de refuser l’inscription à leurs services des mineurs de quinze ans, sauf si l’autorisation de cette inscription est donnée par l’un des titulaires de l’autorité parentale. Cette loi n’a pas été appliquée du fait d’une opposition de la Commission européenne, qui a estimé que ses mesures étaient susceptibles d’enfreindre l’applicabilité directe du règlement européen sur les services numériques (RSN) ([9]), en allant au-delà des obligations prévues par celui-ci, et de violer le principe dit du pays d’origine, selon lequel les services de la société de l’information doivent être réglementés à la source de leur activité, c’est-à-dire soumis au droit de l’État membre dans lequel les fournisseurs de ces services sont établis. Les rapporteures l’ont profondément regretté et constatent que l’Union européenne n’a toujours pas mis au point de technique de vérification de l’âge en ligne, malgré le lancement d’un exercice de coopération avec les États membres en vue d’aboutir à une solution à l’échelle européenne, qui pourrait s’imposer à certaines plateformes, conformément à l’article 35 du RSN, lequel comprend une série de mesures d’atténuation des risques devant être mises en place par les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, notamment « l’adoption de mesures ciblées visant à protéger les droits de l’enfant, y compris la vérification de l’âge et des outils de contrôle parental, ou des outils permettant d’aider les mineurs à signaler les abus ou à obtenir un soutien, s’il y a lieu ».
Selon les rapporteures, il conviendrait d’aller encore plus loin et de limiter drastiquement l’usage des réseaux sociaux des mineurs de quinze ans. Le gouvernement australien, pour sa part, souhaite aller encore plus loin, puisqu’il a récemment déposé sur le bureau du Sénat un projet de loi visant à interdire les réseaux sociaux aux mineurs de seize ans ([10]), sous peine d’amendes de 50 millions de dollars australiens (31 millions d’euros). La mise en œuvre de cette interdiction incomberait aux plateformes.
L’Union européenne a adopté plusieurs réglementations visant à limiter les externalités négatives du numérique, notamment le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) ([11]) et le règlement sur les services numériques. Ce dernier règlement, qui sera prochainement évalué par la Commission européenne en vue d’une éventuelle révision, contient de nombreuses mesures positives sur la transparence des systèmes de recommandation (article 27), la protection des mineurs en ligne (article 28), l’évaluation des risques (article 34) et l’atténuation des risques (article 35) sur les très grandes plateformes.
Cependant, en dépit de ces avancées, force est de constater que la problématique de la conception addictive n’est pas traitée par le droit de l’Union européenne, ou n’est traitée que de façon purement incidente.
Le règlement sur les services numériques (RSN) vise à rendre illégal en ligne ce qui est illégal hors ligne. Le texte oblige ainsi les fournisseurs de services numériques à prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre les contenus illicites et préjudiciables, qu’il s’agisse de la haine en ligne, de la pédopornographie ou de la désinformation. Cependant ce règlement ne traite pas ce qui est néfaste notamment pour la santé mentale ou psychologique… Les rapporteures l’ont rappelé, l’utilisation sans limites de réseaux numériques est néfaste pour la santé, et particulièrement pour celle des plus jeunes. On parle d’utilisation « problématique ». Mais au-delà, on sait que les grandes entreprises, qui sont propriétaires des plateformes d’accès et de diffusion, sont informées des effets néfastes de cette utilisation et ont volontairement laissé « prospérer » – le mot est faible – des fonctionnalités qui encouragent cette addiction.
En conséquence, les rapporteures soutiennent pleinement la position du Parlement européen exprimée dans la résolution précitée : la Commission européenne doit « examiner les initiatives stratégiques nécessaires et […] proposer, le cas échéant et si nécessaire, une législation contre la conception addictive ». Les caractéristiques de conception addictives ne devraient pas être simplement exposées avec transparence ou faire l’objet d’une sensibilisation mais bannies, purement et simplement, d’internet : l’heure n’est plus aux demi-mesures. En particulier, les rapporteures s’associent à la proposition de renversement de la charge de la preuve avancée par le Parlement européen, pour les pratiques dont la Commission ou les autorités de régulation nationales ont constaté ou supposé qu’elles sont addictives. Une législation européenne sur les caractéristiques de conception addictive pourrait également consacrer un droit numérique à ne pas être dérangé, qui permettrait aux utilisateurs de désactiver facilement toutes les fonctions attirant le plus l’attention. Enfin, une telle législation pourrait imposer aux fournisseurs de services en ligne une conception éthique des caractéristiques techniques. Pour ce faire, la Commission européenne pourrait établir une liste de bonnes pratiques en matière de caractéristiques de conception qui ne créent pas de dépendance ou de manipulation.
L’objectif de la présente proposition de résolution européenne est simple : soutenir les objectifs du Parlement européen par l’expression d’une position politique forte de l’Assemblée nationale. Elle vise également à inviter le Gouvernement à promouvoir, au sein des institutions européennes, l’élaboration d’une législation européenne interdisant les caractéristiques de conception addictive. C’est bien à l’échelle européenne que devra être traitée cette problématique. L’Union européenne en a les moyens ; elle doit désormais se doter d’une volonté.
Contre l’avis des rapporteures, la commission a adopté deux amendements à l’article unique de la proposition de résolution européenne :
– un amendement de M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP) et plusieurs de ses collègues ([12]), insérant un nouveau visa relatif à un forum citoyen sur les risques des écrans pour les enfants. Ce forum avait été organisé en 2023 à l’initiative de plusieurs députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, dont M. Arenas. Selon les rapporteures, la mention d’un tel forum, qui a abouti à des propositions consensuelles, n’avait pas sa place dans le texte. Pour rappel, les visas d’une résolution ont pour objet de se référer, de façon formelle, à des textes ou à des initiatives politiques ou institutionnelles fortes, afin de rappeler le cadre, réglementaire et politique, dans lequel s’inscrit la résolution. Le forum en cause ne répondait pas à une telle exigence ;
– un amendement de M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP) et plusieurs de ses collègues ([13]), insérant un nouveau considérant dans le texte rappelant l’importance du rôle de l’Éducation nationale dans la sensibilisation des enfants et des jeunes au risque des addictions numériques. Si les rapporteures ne contestent nullement le rôle éminent de l’école en faveur de la protection des enfants face aux dangers du numérique – cette responsabilité de l’école étant d’ailleurs inscrite dans le code de l’éducation ([14]) –, elles ont toutefois alerté leurs collègues sur l’absence de lien entre ce considérant et le texte de la proposition de résolution européenne. En effet, celle-ci a pour seul objet d’inviter les institutions de l’Union européenne à agir contre la conception addictive des services en ligne.
Lors de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024 ([15]), la commission procède à l’examen de la proposition de résolution européenne visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants (n° 530) (Mmes Marietta Karamanli et Isabelle Rauch, rapporteures).
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous examinons maintenant la proposition de résolution européenne (PPRE) visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants, dont les rapporteures sont Mmes Marietta Karamanli et Isabelle Rauch. Le texte a été déposé le 4 novembre dernier, en application de l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale. Le sujet étant particulièrement complexe et difficile à traiter au niveau national, il m’a semblé utile que nous en discutions.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Ma collègue et moi-même nous réjouissons de l’inscription de cette proposition de résolution européenne (PPRE) à l’ordre du jour de la commission. Le but est de définir une position publique et d’inviter l’exécutif à la défendre au niveau européen. L’Union européenne est en mesure d’imposer aux géants du net une réglementation protectrice et un dispositif juridiquement contraignant. Il nous semblait indispensable que l’Assemblée se saisisse pleinement d’un texte traitant d’un sujet grave et ô combien d’actualité, porteur d’enjeux éducatifs et de santé publique. Nous formons donc le vœu que la PPRE soit débattue en séance, après avoir été adoptée par notre commission, ce qui lui donnerait davantage de force et de portée. Cela permettrait en outre de sensibiliser nos compatriotes aux dangers de l’addiction aux écrans. Il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire ou non cette PPRE à l’ordre du jour de la séance publique, par exemple au début de l’année prochaine. Nous comptons sur la mobilisation de tous les présidents de groupe.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Nous pensons d’abord aux parents, souvent démunis face aux usages numériques, de plus en plus massifs et précoces, de leurs enfants. En 2021, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait présenté les résultats particulièrement alarmants d’un sondage. On y découvrait que 82 % des enfants de 10 à 14 ans se rendent régulièrement sur internet sans leurs parents, cette proportion atteignant 95 % pour les 15 à 17 ans. Par ailleurs, 70 % des enfants de tout âge regardent seuls des vidéos sur internet. La première inscription sur un réseau social semble intervenir en moyenne vers 8 ans et demi, et plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans y sont présents.
Face à cette massification des pratiques numériques des jeunes, les parents semblent mal armés voire désarmés. Dans une étude conduite en 2022 par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf), on apprenait que, selon les parents, les enfants de 7 à 10 ans et ceux de 11 à 14 ans utilisent respectivement en moyenne 1,9 et 3,2 réseaux sociaux. Les enfants, en revanche, évoquent respectivement 2,5 et 3,6 réseaux sociaux.
De toute évidence – et cela est aussi vrai pour les écrans que pour de nombreuses questions de santé publique –, nous ne pouvons pas tout attendre des parents, surtout quand la disproportion entre leurs moyens et ceux des grandes entreprises de la tech est aussi importante. Nous y reviendrons.
Le terme d’« addiction numérique », retenu dans le titre de la PPRE et son article unique, ne fait pas consensus. Nous en avons longuement débattu lundi dernier avec trois chercheurs, MM. Sébastien Bohler, Stéphane Amato et Mehdi Khamassi, en présence de nos collègues Ayda Hadizadeh et Thierry Perez, que nous remercions pour leur participation à nos travaux. Nous entendons le terme d’« addiction » comme le besoin irrépressible et excessif de l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux, manifestant une dépendance. Si les données sont encore insuffisantes pour caractériser précisément une addiction, on peut au moins relever une augmentation des comportements problématiques et compulsifs. Les témoignages se multiplient et sont alarmants : on observe notamment une baisse de la capacité de concentration, tandis que certains jeunes se montrent incapables de se détacher de leur smartphone plus de quelques minutes.
Quelques statistiques suffisent à prendre la mesure du problème. À l’échelle mondiale, les jeunes de 16 à 24 ans passent en moyenne plus de sept heures par jour sur internet. Un enfant ou un jeune sur quatre a une utilisation problématique ou dysfonctionnelle de son smartphone, c’est-à-dire un comportement indiquant une dépendance.
Le 12 décembre 2023, le Parlement européen a adopté une résolution sur la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’Union européenne. En adoptant cette proposition de résolution européenne, nous souhaitons que l’Assemblée nationale s’associe avec force à l’initiative du Parlement européen et invite le Gouvernement à soutenir les objectifs et les orientations de son texte.
Les risques des réseaux sociaux et les problèmes de santé mentale induits par une utilisation excessive d’internet sont connus. L’Assemblée a déjà eu l’occasion de les examiner lors de la discussion de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, adoptée au printemps 2023. La résolution du Parlement européen indique que « la pression des médias sociaux a été reconnue comme l’une des cinq causes principales de troubles de la santé mentale chez les enfants ». Les symptômes de souffrance mentale que peut provoquer la dépendance au smartphone sont nombreux : dépression, faible estime de soi, troubles de l’image corporelle, troubles alimentaires, anxiété, isolement social, et j’en passe.
Au-delà du débat sémantique sur le terme d’« addiction », qui nous semble approprié, au moins sur le plan politique, il est de notre responsabilité, en tant que législateur, de rechercher les causes du mal. Pourquoi l’addiction numérique ? Pourquoi cette incapacité, constatée chez certains enfants et chez des adultes, à se détourner ne serait-ce que quelques instants de leur smartphone ? Pourquoi de plus en plus de personnes regardent-elles un film ou lisent-elles un livre tout en « scrollant » ?
Un premier élément d’explication est à rechercher dans notre cerveau, qui aime les satisfactions simples et rapides. Entre une activité qui lui apportera une récompense rapide pour un moindre effort et une autre qui lui apportera une satisfaction différée ou qui lui demandera un effort plus important, notre cerveau aura toujours tendance à se précipiter sur la première. Comme l’a rappelé Sébastien Bohler lundi dernier en audition, notre cerveau aime ce qui est rapide, distrayant et peu coûteux en efforts. De ce point de vue, les écrans ne peuvent que lui plaire, en ce qu’ils provoquent une libération rapide de dopamine. Voilà pourquoi nous sommes, à tout âge, si vulnérables aux écrans.
Le second élément d’explication nous concerne davantage, car ni vous ni moi ne sommes – encore ? – en mesure de modifier la structure de notre cerveau. Tout démontre que les services numériques sont conçus intentionnellement pour capter l’attention des utilisateurs et créer une dépendance. La résolution du Parlement européen emploie l’expression de « caractéristiques de conception addictive », recensant plusieurs paramètres et fonctionnalités – les mêmes, d’ailleurs, que ceux relevés par quatorze procureurs américains dans leur action en justice contre TikTok. Ces caractéristiques sont désormais bien connues. Il s’agit notamment du défilement infini de contenus ou infinite scrolling, qui prive en quelque sorte l’utilisateur du sentiment de satiété ou de l’impression d’avoir achevé sa tâche, la page d’actualités ne prenant jamais fin.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il s’agit également de la lecture automatique, une fonctionnalité de plus en plus présente par défaut, qui vise à empêcher l’utilisateur d’effectuer un acte de volonté, en prenant le contrôle de sa consommation de contenus. On pense aussi à la restriction temporelle de contenus – les fameuses stories –, qui s’appuie sur un biais psychologique connu des comportementalistes : la peur de rater quelque chose (fear of missing out), plus connue sous le nom de syndrome Fomo. Enfin, les techniques de gratification sociale – tout le monde connaît le bouton « j’aime » – sont particulièrement efficaces pour capter l’attention des utilisateurs.
Ces caractéristiques de conception addictive constituent des techniques de manipulation, visant à maximiser la durée d’utilisation, c’est-à-dire, en définitive, les revenus des entreprises de la tech. Dans leur communiqué de presse, les quatorze procureurs américains n’ont pas dit autre chose, puisqu’ils ont accusé TikTok d’utiliser des fonctionnalités manipulatrices, qui exploitent les vulnérabilités psychologiques des enfants, afin de rendre dépendants les jeunes utilisateurs et de maximiser leur temps sur la plateforme.
La comparaison de cette addiction avec celle provoquée par le tabac est d’autant plus pertinente que c’est l’industrie qui a été et qui reste l’acteur principal d’une dépendance encouragée dès le plus jeune âge, après en avoir nié les risques pendant des décennies. Il a fallu quarante ans pour arriver à la loi Évin !
L’Union européenne n’est pas restée inactive dans le domaine de la réglementation du numérique. Nous pensons bien sûr au règlement général sur la protection des données (RGPD), à celui sur les marchés numériques (DMA) et à la stratégie de l’Union européenne sur les droits de l’enfant. Surtout, elle a adopté en octobre 2022 le règlement sur les services numériques (DSA), un texte historique qui représente le plus haut niveau de régulation numérique au monde. Il n’en reste pas moins qu’il n’est ni parfait ni exhaustif. Un processus de révision sera prochainement lancé par l’Union européenne, qui aboutira, au plus tôt, en 2026. C’est pourquoi nous souhaitons agir dès maintenant.
Le DSA, qui vise à rendre illégal en ligne ce qui est illégal hors ligne, ne traite malheureusement pas la problématique de l’addiction aux écrans, sinon de façon purement incidente. Alors que les grandes entreprises propriétaires des plateformes d’accès et de diffusion sont informées des effets néfastes que nous dénonçons, elles ont volontairement laissé prospérer des fonctionnalités qui encouragent les addictions. Aussi nous associons-nous pleinement à la résolution du Parlement européen, dont le principal objectif consiste à réclamer une initiative législative interdisant les caractéristiques de conception addictive des services en ligne.
C’est à l’échelon européen que nous pourrons agir efficacement, pour des raisons pratiques comme juridiques. Une telle législation pourrait interdire le défilement infini, la lecture automatique ou donner au moins à l’utilisateur la possibilité de désactiver ces paramètres de façon simple, dès qu’il s’inscrit à un service en ligne ou qu’il l’utilise pour la première fois. La législation consacrerait ainsi un droit numérique à ne pas être dérangé. Elle pourrait enfin imposer aux fournisseurs de services en ligne une conception éthique des caractéristiques techniques, notamment par le biais d’une liste de bonnes pratiques, pour éviter toute dépendance ou manipulation.
Chers collègues, nous vous invitons à adopter aussi largement que possible cette proposition de résolution européenne, déjà adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Christine Loir (RN). Ce texte, enrichi par la commission des affaires européennes, mérite pleinement son examen par la nôtre. Si le sujet doit être abordé à l’échelle européenne, le Parlement doit aussi assumer ses responsabilités, notamment en matière d’éducation. La surexposition au numérique pose de nombreux problèmes : troubles du langage, difficultés de concentration, troubles de l’attention et de l’apprentissage, dégradation de l’image de soi, du bien-être, du lien social, de la santé, de la vision ou du sommeil. Le rapport que j’ai présenté en mars 2023, adopté par la délégation aux droits des enfants, dresse un état préoccupant de l’addiction aux écrans chez nos jeunes – je suis heureuse que vous l’ayez cité dans votre rapport.
Malgré les lois visant à les protéger, les mesures restent insuffisantes face à une dépendance numérique croissante. Les dispositifs de contrôle parental sont contournés, exposant un adolescent sur deux âgé de 15 à 17 ans à des contenus pornographiques. À cet âge, de telles images altèrent la perception de la sexualité et des relations humaines, sans que les jeunes soient suffisamment éduqués aux risques ni formés à une utilisation responsable des outils numériques.
Il est urgent d’aller plus loin que les simples constats. Nous devons approfondir nos analyses, mener des études rigoureuses et légiférer pour protéger les plus jeunes. Si l’échelon européen est essentiel pour affronter les géants du numérique et garantir une régulation cohérente des acteurs, le comportement dans l’espace numérique est crucial pour protéger nos mineurs. Toute réglementation sans sanction adaptée risque d’être inefficace. Notre ambition doit être de permettre à chaque enfant de devenir un acteur autonome et éclairé. En ce sens, nous avons soutenu le texte du 12 décembre 2023 au Parlement européen sur la conception addictive des services en ligne. Par cohérence, le groupe Rassemblement national soutiendra également celui-ci.
M. Philippe Fait (EPR). Un nombre croissant de jeunes sont victimes en Europe d’addiction numérique. Je souligne l’importance de cette proposition de résolution et rappelle la nécessité d’une action collective, urgente et coordonnée pour protéger nos enfants. Les chiffres sont alarmants. Selon une étude récente, 95 % des enfants de 6 à 12 ans utilisent quotidiennement des écrans et 70 % des enfants de moins de 12 ans possèdent leur propre smartphone. En France, un enfant sur dix souffre déjà de troubles liés à une utilisation excessive des écrans, ce qui a des répercussions majeures sur le développement cognitif et émotionnel. Nous savons aussi que ces addictions ont un impact direct sur la santé mentale : 22 % des adolescents présentent des symptômes d’addiction numérique, avec des conséquences particulièrement graves pour leur sommeil, leur comportement social et leurs résultats scolaires. En outre, 60 % des collégiens affirment que l’usage excessif des écrans nuit à leur concentration en classe et à leur capacité à faire leurs devoirs. Ces chiffres ne sont pas une simple statistique, mais un cri d’alarme qui doit nous inciter à agir.
Depuis le début de mon mandat, je me suis engagé dans ce combat avec des acteurs locaux, comme l’association « Enfance-télé : danger ? » et sa présidente, Janine Busson-Baude, qui alerte au quotidien sur les dangers liés à l’exposition des jeunes aux écrans. Au sein de la délégation aux droits des enfants, nous avons tous mis cette question au cœur de notre action, en lien notamment avec le ministère de l’éducation nationale et celui du numérique. Nous travaillons, sous la présidence de Perrine Goulet, pour définir des solutions concrètes, sachant qu’il est essentiel d’adopter une approche globale combinant régulation, éducation et sensibilisation. Les actions doivent être multiples. Il nous faut imposer des limites de temps d’écran, d’accès aux outils et au matériel, promouvoir le contrôle parental et introduire des solutions pédagogiques dans les écoles afin que les jeunes soient formés à une utilisation responsable des technologies numériques.
Au-delà de l’action nationale, cette proposition de résolution constitue un levier essentiel pour harmoniser les efforts au niveau européen, afin de renforcer les mesures de régulation des contenus et des plateformes numériques. L’addiction numérique est un fléau qui transcende les frontières. Il est de notre devoir, en tant que législateur, de garantir à nos enfants un environnement numérique sûr, ce qui nécessite avant tout une prise de conscience nationale et européenne. Cette proposition de résolution en est un premier pas crucial.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Les hommes ont gagné trois heures et trente-sept minutes d’espérance de vie par jour par rapport à leurs ancêtres, soit exactement le temps quotidien passé en moyenne devant leur télévision, faisait remarquer il y a une dizaine d’années ce très grand philosophe qu’était Michel Serres. Il concluait, avec beaucoup d’humour et d’humanité : « L’espérance de vie qu’ils ont gagnée, ils la perdent à devenir cons. »
Depuis, notre réflexion s’est élargie à tous les écrans, qui peuvent être aussi bien des supports d’émancipation que d’asservissement. Ne nous y trompons pas : le fond du sujet, ce sont ces multinationales qui investissent des milliards de dollars pour développer des addictions aux écrans afin de nous vendre tout un tas de produits, comme le patron de TF1 nous l’expliquait il y a vingt ans : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »
Dans cette PPRE, il n’est plus question des ménagères de moins de 50 ans mais de nos enfants, qui sont les cibles privilégiées de ces multinationales. Les enfants âgés de 1 à 6 ans passent deux heures par jour devant un écran, les 7 à 12 ans trois heures et demie et les 13 à 19 ans un peu plus de cinq heures. Force est de constater que les efforts financiers engagés par les entreprises possédant des réseaux sociaux ou fabriquant des contenus sont couronnés de succès, sans que la puissance publique parvienne à réguler. Le législateur doit définir un cadre bien plus contraignant pour ces entreprises afin de protéger nos enfants.
Depuis une vingtaine d’années, une abondante littérature scientifique démontre le danger des écrans, en particulier pour les enfants de 0 à 3 ans. Il est aujourd’hui demandé au gouvernement français de soutenir un rapport de la Commission européenne visant à rendre les plateformes numériques moins addictives. S’il va dans le bon sens, il reste très général. Il est important de renforcer dès maintenant ses recommandations, en précisant ce qui pourrait être déjà mis en œuvre. Sous la précédente législature, avec neuf députés de groupes différents, nous avions organisé un forum citoyen « Nos enfants et les écrans ». Avec des citoyens de nos circonscriptions, nous étions parvenus à nous mettre d’accord sur plusieurs préconisations, allant de la prévention à l’interdiction.
Notre objectif, en votant cette proposition de résolution, est bien de préserver la santé physique et mentale de nos enfants, considérablement mise à mal par ces obscurs objets numériques du désir.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Il n’y a pas si longtemps, fumer dans un avion ou dans un hôpital était accepté par la société. Fumer en présence d’un bébé ne semblait pas poser plus de problèmes. Il a fallu plusieurs années pour comprendre que le tabac était l’une des causes de la mort subite du nourrisson. Il a fallu environ quarante ans pour reconnaître et agir contre les dangers du tabac. C’est pourquoi le terme d’addiction est important du point de vue politique, mais également scientifique. Les neurosciences ont démontré que, pour que notre cerveau admette et comprenne l’importance d’agir, il lui fallait des images fortes et des choses auxquelles se raccrocher. Nous savons tous ce qu’est une addiction, et à bien des égards, nous pouvons tous le confesser, nous sommes tous un petit peu addict à nos écrans. Néanmoins, à la grande différence de celui de nos enfants, notre cerveau est formé. Nous avons d’ailleurs eu de la chance qu’il le soit à une époque où nous n’étions pas soumis à une telle tentation.
Face au danger, nous voici rappelés à la mission fondamentale du législateur : élaborer une loi qui, dans un premier temps, retirera en apparence un peu de liberté à la population pour lui en donner davantage, en réalité. Quand nos enfants sont rivés à leurs écrans six à sept heures par semaine, par week-end pour certains, c’est d’autant de liberté qu’ils sont privés. Nous devons leur redonner la liberté d’être des enfants et de voir leur cerveau se développer correctement.
Cette proposition de résolution est un premier pas sur le long chemin que nous devons entreprendre pour préserver non seulement notre société, mais aussi notre modèle de civilisation. Une civilisation heureuse, ce n’est pas une civilisation où chacun a le nez sur son écran – il en est de même pour une bonne soirée en famille. Nous devons tous mener ce combat de civilisation, en prenant d’ores et déjà conscience de l’urgence du moment. Nos concitoyens nous attendent. Il ne faut pas faire uniquement de la prévention, de l’éducation et de la sensibilisation ; il faudra, comme dans la lutte contre le tabac, de la régulation.
Mme Frédérique Meunier (DR). Quel plaisir de voir que nous allons faire un carton plein ce matin ! Cette proposition de résolution s’inscrit dans le prolongement du rapport du Parlement européen, publié en octobre 2023. Celui-ci a pour objectif d’instaurer des règles européennes fortes afin d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs contre la conception addictive des services en ligne.
Nous sommes face à un véritable fléau : la dépendance numérique de nos enfants. D’après les récentes études, 87 % des enfants de 11 à 12 ans sont inscrits sur des réseaux sociaux censés être interdits aux moins de 13 ans. Les jeunes passent en moyenne deux heures par jour sur les réseaux sociaux, ce qui peut les exposer à des risques pour leur santé mentale, comme l’anxiété, la dépression et le harcèlement en ligne.
Les smartphones et les services numériques sont conçus dans le but de créer une dépendance et d’attirer l’attention des utilisateurs. Ces services s’appuient sur des astuces psychologiques pour que les consommateurs restent en ligne. Or ceux-ci doivent pouvoir bénéficier pleinement des services sans être ni manipulés ni rendus dépendants. S’il est donc important de sensibiliser les jeunes et leurs parents aux risques liés à l’addiction aux écrans, il est surtout nécessaire d’encadrer les pratiques commerciales visant à renforcer le caractère addictif. Nous devons nous assurer que les plateformes aient à cœur de protéger les plus jeunes en développant des outils permettant de restreindre l’utilisation addictive de leurs services. Notre législation doit être respectée, peu importe où est basée la société, sans quoi de lourdes sanctions devront être appliquées.
Le groupe Droite républicaine soutient donc cette proposition de résolution européenne.
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). La législation européenne a récemment avancé. Cependant, beaucoup reste à faire en matière de protection des consommateurs et de leurs données face aux Gafam. Mesdames les rapporteures, vous soulignez à juste titre que la dimension addictive de l’usage du numérique et ses effets néfastes, en particulier sur les jeunes et les très jeunes utilisateurs, nécessitent d’être pleinement pris en considération dans la réglementation européenne.
Le 16 mai dernier, l’Union européenne a ouvert une enquête contre le groupe Meta, dont les réseaux sociaux, Facebook et Instagram, sont soupçonnés de développer les comportements addictifs des mineurs. La Commission européenne considère que non seulement les plateformes agissent de manière peu volontariste et insuffisante pour limiter l’accès des mineurs aux contenus inappropriés, mais qu’elles les encouragent même parfois. Ouverte sur le fondement du DSA, cette enquête est un moyen de pression supplémentaire contre de grands groupes qui n’ont que faire des législations et des règlements, comme le montre la condamnation récente de Meta par l’Union européenne à verser une amende de 798 millions d’euros pour non-respect des règles de la concurrence.
Ils ne se soucient pas plus de la santé de leurs jeunes utilisateurs. Il a été démontré que ces groupes sont conscients des comportements addictifs qu’ils suscitent. Le combat national et européen pour la régulation de l’espace numérique doit donc se poursuivre avec force. Cette régulation est lente à se mettre en place, car les intérêts économiques sont tels, le poids des lobbys et de leurs activités antidémocratiques sont tels qu’il est difficile d’avancer.
L’élection de Donald Trump représente une grave menace pour les tentatives de régulation européenne du numérique. On a vu l’implication d’Elon Musk, propriétaire de X, dans sa campagne, et l’on sait comment ce dernier a déclaré la guerre au DSA. Nous devrons être extrêmement unis. Je salue notre unité ce matin pour affronter ces forces si puissantes et si déterminées contre notre jeunesse.
Si la protection des utilisateurs mineurs, notamment face à la haine en ligne ou aux contenus inappropriés, est prise en compte dans le DSA, il n’y est en revanche nullement fait mention de la lutte contre les comportements addictifs. La régulation de l’usage des réseaux sociaux par les mineurs ne peut reposer sur les épaules des seuls parents, qui sont bien souvent démunis face à l’utilisation croissante qu’en font leurs enfants. Une nouvelle réglementation très puissante et protectrice de la santé des mineurs s’impose. La France doit peser de tout son poids pour mener ce processus à terme.
Notre groupe s’associe donc à cette proposition de résolution européenne.
M. Frantz Gumbs (Dem). Nous sommes confrontés à un défi de taille, qui concerne nos familles, notre jeunesse et notre société : l’addiction numérique. Le numérique fait partie intégrante de notre quotidien ; c’est une révolution qui offre des possibilités formidables, mais nous donne aussi des responsabilités importantes, en particulier envers les plus jeunes.
Les enfants et les jeunes de 16 à 24 ans passent en moyenne plus de sept heures par jour sur internet. Cette surexposition aux écrans ou la gestion inappropriée de ces derniers mettent en danger leur santé, en raison de conséquences néfastes sur leur sommeil, leur vision, leur poids, donc sur leur santé mentale, leur éducation et leur avenir. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déjà reconnu la dépendance aux jeux vidéo comme un trouble de santé mentale. Les systèmes de recommandation hyperpersonnalisés des réseaux sociaux maintiennent les enfants captifs de leur écran, affectant leur estime de soi et les exposant à des troubles alimentaires, à l’anxiété et à la dépression. La multiplication des notifications dans une chambre d’adolescent a un effet désastreux sur la qualité du sommeil, donc sur la concentration en classe.
Nous avons le devoir d’agir. Le Parlement européen a adopté en décembre dernier une résolution majeure visant à lutter contre la conception addictive des plateformes numériques. Nous devons nous en inspirer et agir avec la même détermination, pour protéger le droit à une enfance équilibrée. Trois engagements sont primordiaux : nous devons éduquer les jeunes à un usage sain et responsable du numérique, soutenir les parents et les éducateurs, et investir dans la recherche et la prévention en encourageant la coopération européenne. C’est en mobilisant toutes les parties prenantes – parents, enseignants, professionnels de santé, entreprises et législateur – que nous pourrons protéger nos enfants et leur offrir un avenir dans lequel le numérique sera un espace de liberté et d’apprentissage, non un terrain de dépendance et une menace. Il y va de la santé mentale de nos enfants, de la cohésion de nos familles et de l’avenir de notre société.
Les députés du groupe Les Démocrates soutiennent fortement cette proposition de résolution européenne.
Mme Béatrice Piron (HOR). Les membres du groupe Horizons & indépendants voteront ce texte.
Le numérique occupe une place croissante dans le quotidien des jeunes générations ; leur bien-être et leur réussite sont les enjeux de ce texte crucial. L’an dernier, la loi visant à instaurer une majorité numérique a posé les jalons d’un encadrement destiné à protéger les mineurs de 15 ans des dérives des réseaux sociaux, mais le combat est loin d’être terminé. Près de 80 % des jeunes âgés de 10 à 14 ans possèdent un smartphone et sont sur les réseaux sociaux. Selon une étude européenne récente, 30 % des enfants passent plus de trois heures par jour en ligne, ce qui peut avoir des conséquences graves sur leur sommeil, leur réussite scolaire et leur santé physique et mentale. Il est urgent d’agir.
Il est donc crucial d’adopter une politique coordonnée à l’échelle européenne. La présente PPRE fournit des pistes précises et pertinentes, qu’il s’agisse de mesures applicables directement ou de recommandations susceptibles d’engager des travaux plus approfondis. Elle propose notamment de créer un droit numérique à ne pas être dérangé, permettant aux consommateurs de désactiver les fonctions attirant leur attention et de les réactiver de manière simple et accessible. La Commission européenne devrait également élaborer une liste de bonnes pratiques en matière de caractéristiques de conception éthique, en adéquation avec les pratiques actuelles. Ces initiatives seront à même de lutter contre les addictions numériques chez les enfants, véritable fléau du XXIe siècle.
Pensez-vous que l’Union européenne pourra mobiliser rapidement des moyens efficaces afin de responsabiliser les Gafam et TikTok ?
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Le temps que les enfants et les adolescents passent devant les écrans ne cesse de croître ; or il n’est plus à démontrer que cela est particulièrement néfaste pour leur développement, et pour leur santé physique et mentale. Notre assemblée a déjà examiné plusieurs textes visant à protéger les jeunes des risques d’internet et des réseaux sociaux, qu’il s’agisse du cyberharcèlement ou de l’exposition à la pornographie, aux images violentes et à la désinformation. Leur scolarité et leur rapport aux autres peuvent être affectés. L’addiction aux outils numériques constitue également un risque majeur, car les plus vulnérables sont souvent pris au piège d’une stratégie économique qui leur échappe.
Je salue le travail accompli lors de la précédente législature dans le cadre du forum citoyen « Nos enfants et les écrans ». À l’initiative de Rodrigo Arenas, ce projet transpartisan a réuni neuf députés et des citoyens pour réfléchir aux effets des écrans sur les jeunes. Après six mois de travaux riches et passionnants, au cours desquels nous avons auditionné différents acteurs économiques et scientifiques, nous avons rendu nos conclusions en mars 2023. Nous préconisions notamment de mieux former les professionnels, de la crèche au lycée, de mieux accompagner les parents, de proposer aux jeunes des activités alternatives, d’encadrer plus strictement les plateformes et de valoriser des modèles de fonctionnement qui ne soient pas fondés sur l’économie de l’attention. En résumé, il s’agissait de traiter le problème à la source, c’est-à-dire en imposant aux entreprises de modifier leur fonctionnement pour réduire l’effet addictif. En effet, internet et les réseaux sociaux sont conçus pour que les utilisateurs trouvent toujours un intérêt aux contenus, et qu’ils restent donc connectés. La surutilisation des outils numériques augmente l’affichage publicitaire et permet aux entreprises de s’enrichir sur les données personnelles des usagers. L’utilisateur devient le produit.
Internet est un outil formidable pour apprendre et s’ouvrir au monde, à condition d’en faire un usage raisonné, en prenant conscience de ses limites et de ses dérives. Il faudra tout mettre en œuvre pour que les grandes entreprises concernées jouent le jeu, et nous doter des moyens coercitifs nécessaires pour les y contraindre en cas de besoin.
Les membres du groupe GDR soutiennent cette proposition de résolution et se réjouissent de l’unanimité qu’elle suscite.
M. Bartolomé Lenoir (UDR). Les siècles passés ont montré la pertinence de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ; on constate déjà les dérives liées aux écrans. La croissance exponentielle de la place qu’ils occupent dans nos vies a des effets dramatiques sur les plus jeunes. Une étude récente du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) montre que les enfants de 0 à 30 mois qui passent deux heures par jour sur les écrans ont six fois plus de risques que les autres de développer un retard de langage. La surexposition aux écrans tend également à amplifier les troubles de l’attention et de la concentration, affectant les capacités d’apprentissage et de compréhension des enfants et des adolescents.
Il faut rétablir une hiérarchie : la lecture et l’écriture doivent venir avant les écrans. Cela passe par l’application de mesures restrictives, qui garantiront aux mineurs les conditions du bon développement de leur libre arbitre. C’est particulièrement vrai en France, car la tradition littéraire est constitutive de notre identité. Abandonner nos enfants aux écrans rendra plus difficile la transmission de notre culture. À cette inquiétude, on rétorque souvent qu’il faut vivre dans son temps et que nous serons dépassés par la révolution technologique. C’est faux. On maîtrise la technologie quand on la choisit ; quand on la subit, elle asservit. Steve Jobs, grand gourou de la tech, interdisait à ses enfants d’utiliser des écrans. La Suède envisage d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 16 ans.
Le groupe UDR est favorable à cette proposition de résolution. Il y va de la liberté de nos enfants et de l’indépendance de notre pays. Du reste, l’utilisation massive des écrans s’accompagne d’une baisse de la lecture, que nous devons favoriser chez les enfants.
(Présidence de Mme Frédérique Meunier, vice-présidente)
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je fais miens tous vos propos. En tant que parlementaire, je travaille à chercher ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise. Isabelle Rauch et moi-même aurons à cœur d’aller plus loin que l’adoption de cette proposition de résolution européenne. Certains éléments relèvent en effet de la loi. Pour aujourd’hui, nous nous concentrons sur cette invitation au Gouvernement à agir, aux côtés du Parlement européen, auprès de la Commission européenne, pour exercer une pression sur les plateformes. En effet, celles-ci provoquent volontairement les addictions, ce qu’elles ont d’ailleurs reconnu.
Madame Loir, je vous remercie d’avoir cité la résolution adoptée par le Parlement européen.
Monsieur Fait, je vous remercie également de votre engagement sur ce sujet.
Vous avez raison, monsieur Arenas, il faut changer de cap, et valoriser les initiatives citoyennes et transpartisanes.
Madame Hadizadeh, vous avez souligné à juste titre l’importance de la régulation.
Madame Meunier, vous avez évoqué un consensus : je retrouve dans votre intervention l’esprit du texte.
Madame Taillé-Polian, vous avez retracé les démarches entreprises par la Commission européenne : ce texte vise en effet à agir au niveau européen. Il y aura un temps pour travailler sur le droit français – nous y reviendrons.
Monsieur Gumbs, vous affirmez à raison que nous avons une responsabilité à l’égard des jeunes. Il ne s’agit pas uniquement d’interdire.
Madame Piron, vous avez évoqué le droit à ne pas être dérangé : cela va dans le sens de l’invitation que nous adressons à la Commission européenne, à qui nous demandons d’élaborer une proposition législative qui sera soumise au Parlement européen.
Madame Bourouaha, il faut trouver la juste mesure de contrainte, mais il faut aussi frapper suffisamment fort, car les plateformes défendent des intérêts puissants.
Monsieur Lenoir, il est vrai que la transmission de la culture est essentielle, comme celle de la langue et de l’esprit critique. Je pensais en vous écoutant à Aristote : l’homme est un animal politique, qui réfléchit, lit et dialogue. Il faut dire que les Grecs, les Romains et les philosophes qui nous ont précédés n’étaient pas confrontés au défi des écrans…
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Je vous remercie pour votre unanimité, qui sera utile à la poursuite de ce travail. L’investissement dans la recherche, en particulier dans les neurosciences, est essentiel. L’audition de lundi a montré combien il était important de mieux appréhender le fonctionnement du cerveau et de diffuser ces travaux. Comprendre les mécanismes à l’œuvre aide à combattre les conduites addictives et à rendre la régulation plus acceptable.
Mme Frédérique Meunier, présidente. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Les multinationales du numérique usent volontairement de stratégies pour capter l’attention des plus jeunes en déployant des algorithmes addictifs. Les pouvoirs publics commencent, à tâtons, à se saisir des problèmes d’addiction, mais le gouvernement ne dispose pas d’un plan de lutte efficace contre cet enrôlement toxique. Pire, malgré la connaissance du problème, l’usage des écrans à l’école s’est intensifié depuis la crise liée au covid‑19, encouragé même par le plan France 2030 qui accorde quelque 600 millions d’euros à la stratégie Enseignement et numérique. Ces crédits sont largement captés par les start-up high-tech, qui versent dans le solutionnisme numérique et favorisent un recours toujours accru aux écrans. Cela pose un problème de cohérence.
Comment responsabiliser, contrôler et sanctionner ces acteurs du numérique ? Comment faire sans écrans, dès lors que les enfants eux-mêmes ont déjà domestiqué la technologie aliénante ?
Mme Pascale Bay (DR). Ce texte vise un objectif légitime. Il est choquant de laisser les enfants s’enfermer dans des univers virtuels au point de développer une addiction à un âge si précoce. Ils doivent se construire en mettant leurs cinq sens à l’épreuve des éléments naturels, afin de découvrir le monde. Pour leur épargner de multiples troubles, le législateur a le devoir d’inciter les parents et le monde éducatif à fournir l’effort nécessaire pour proposer à la nouvelle génération autre chose que les écrans. Ne pas exposer l’enfant à un écran n’est pas le sanctionner, mais faire preuve de courage pour lui offrir la possibilité de découvrir la réalité de ses propres yeux. Au-delà de l’élaboration de normes relatives aux produits numériques, ne faudrait-il pas inclure une incitation à découvrir la nature et à pratiquer le sport dans la campagne de sensibilisation « Enfants et écrans » ?
M. Erwan Balanant (Dem). Pour résoudre le problème des addictions, il faudra un accompagnement, de la recherche, des contenus pédagogiques. Tout cela aura un coût. Le code de l’environnement institue le principe du pollueur-payeur : si vous polluez un écosystème, vous participez à le réparer. Puisque les entreprises et les outils numériques polluent l’écosystème médiatique et l’écosystème d’apprentissage des enfants, l’Union européenne ne pourrait-elle pas créer une taxe pour que les Gafam participent à les restaurer ?
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Mesdames les rapporteures, vous avez peut-être comparé l’action des différents pays membres de l’Union européenne. Quels dispositifs législatifs ont-ils adoptés pour lutter contre l’addiction des jeunes aux écrans ?
Faut-il encadrer la publicité, sur le modèle de la loi Évin ? Mme Piron m’a parlé d’une publicité récente d’un grand opérateur téléphonique, qui joue sur les codes des addictions. Cela soulève des questions.
M. Éric Liégeon (DR). L’addiction des enfants aux écrans mine le quotidien de millions de familles françaises. Vous soulignez l’urgence de dépasser la logique d’autorégulation des grandes entreprises technologiques et de réglementer strictement les caractéristiques des plateformes aux contenus addictifs, en impliquant les pouvoirs publics à l’échelle européenne. Compte tenu des blocages récents, notamment de l’opposition de la Commission européenne à la loi française visant à instaurer une majorité numérique, comment pouvons-nous agir pour mieux harmoniser les législations européennes et protéger les enfants ? Comment trouver un équilibre entre la régulation des plateformes et le respect des droits numériques des mineurs ? Je pense notamment au développement de mécanismes fiables et éthiques de vérification d’âge.
Mme Justine Gruet (DR). Le sujet qui nous occupe concerne la santé publique, ainsi que l’orientation que nous donnons à notre civilisation. L’équilibre à trouver entre le respect des libertés individuelles et le contrôle des contenus est subtil, dans un contexte de mondialisation des systèmes liés aux réseaux sociaux. Pour résoudre les problèmes d’addiction dont, par définition, nous n’avons pas toujours conscience, il faut responsabiliser les utilisateurs d’écrans. Au niveau national, comment le législateur et le gouvernement peuvent-ils sensibiliser les parents, qui doivent rester maîtres de l’accompagnement de leurs enfants, aux effets néfastes des écrans dès la naissance ? Comment peuvent-ils agir, en lien avec l’éducation nationale, pour surmonter les difficultés que posent les écrans dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux ? Que pensez-vous d’une sensibilisation aux dérives d’internet à tout âge de la vie ?
M. Fabien Di Filippo (DR). Outre les conséquences déjà évoquées sur les yeux et le cerveau, les écrans accroissent la sédentarité. Après les Jeux olympiques, nous nous sommes félicités de la présence des jeunes dans les clubs sportifs mais, quand ils n’y sont pas, ils sont rarement à l’extérieur en train de pratiquer des activités physiques. Les algorithmes en entonnoir des réseaux sociaux sont très inquiétants ; les successions de vidéos courtes, en particulier, influencent les modes de raisonnement. Nous avons parlé du temps consacré aux écrans, mais il faut également nous soucier des manières de contrôler l’accès aux contenus inadaptés – fallacieux, complotistes et pornographiques –, dont l’impact est réel.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Nous travaillons à l’échelon européen, le plus adapté pour discuter de la responsabilité des entreprises du numérique. Au niveau national, un comité d’experts a publié, à la demande du président de la République, un rapport intitulé « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu ». Plusieurs de ses recommandations pourraient tout à fait trouver une traduction dans un texte de loi.
De manière générale, nous vous renvoyons à l’échelon européen. Nous allons mener un lobbying – dans le bon sens du terme – auprès des parlements nationaux, afin de faire pression sur le Parlement européen pour aboutir de concert à une législation plus stricte.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il est certain, monsieur Saint-Martin, qu’il faut faire évoluer le dispositif Éducation et numérique. Toutefois, c’est d’abord aux plateformes que nous devons nous en prendre. Tant que nous ne parviendrons pas à leur imposer des règles de régulation européennes plus strictes, nous ne travaillerons pas efficacement à résoudre les problèmes que vous avez, les uns et les autres, soulevés.
Comment responsabiliser ? Nous pouvons certes agir à l’échelle nationale, notamment sur les contenus, en déployant des politiques publiques de prévention et de responsabilisation, mais c’est au niveau européen que nous serons le plus efficaces. Pour y parvenir, nous devons prendre des initiatives. Allons voir nos homologues des autres pays ! Dans les années qui ont précédé la création du parquet européen, il a fallu aller chercher un soutien – ce n’est pas impossible. J’ai été rapporteure à l’époque ; en adoptant une résolution commune à vingt-deux pays, nous avons réussi à imposer une vision à la Commission européenne et au Conseil, qui ne pouvaient faire autrement que d’écouter les parlements nationaux. C’est un travail de fourmi mais, pour de telles causes, il vaut la peine d’être accompli. Y parvenir demande du temps ; pour accélérer les décisions, il faut faire ce que nous faisons aujourd’hui, et favoriser toutes les initiatives nationales.
Monsieur Balanant, monsieur Patrier-Leitus, pour instaurer des taxes et contrôler la publicité, il faut trouver des leviers. Nous serons plus forts en recourant à un financement européen. Des politiques nationales sont possibles, mais elles s’inscrivent dans le cadre du droit européen.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Les autres pays européens n’ont pas adopté de législation contre les addictions numériques ; l’Australie envisage d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans. Au niveau national, nous voulons poursuivre le travail en défendant une proposition de loi transpartisane. Pour le reste, nous devons œuvrer avec les autres parlements nationaux et avec les députés européens, afin d’établir la meilleure législation possible, en favorisant la recherche.
Article unique
Amendement AC3 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Une proposition de résolution européenne vise à indiquer la position de la France sur un sujet ; il est donc bon d’y clarifier certains éléments. De la même manière, les votes exprimés par le Parlement français sur l’accord avec le Mercosur permettent d’éclairer la position de notre pays. Aussi me semble-t-il opportun de préciser, dans la présente PPRE, qu’un forum citoyen et transpartisan s’est tenu l’an dernier à l’Assemblée nationale, avec la participation d’experts. Ses travaux ont abouti à la rédaction d’un rapport.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Le visa que vous souhaitez insérer n’a pas de caractère européen : il s’agit donc plutôt d’un appel adressé au gouvernement français. Sans aller jusqu’à demander le retrait de cet amendement, je m’en remets à la sagesse de la commission.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Nous comprenons parfaitement le sens de votre amendement, mais nous préférerions que vous le retiriez. Il est possible d’ajouter ce visa, mais nous craignons qu’il ne vienne déséquilibrer le texte, dont la portée est strictement européenne.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). J’entends vos arguments, et je m’attends à les voir resurgir au cours des débats. Néanmoins, je ne retirerai pas mon amendement, par souci de préserver notre relation intime avec les citoyens, auxquels nous devons tout. Les conventions citoyennes voulues par le président de la République ont d’ailleurs fortement influencé plusieurs textes proposés au Parlement européen. Mesdames les rapporteures, je vous fais confiance pour aménager le texte avec bienveillance, de sorte à le rendre compatible avec le cadre européen.
M. Philippe Fait (EPR). Nous voterons en faveur de cet amendement et des suivants, même si certains soulèvent des questions en raison de la complexité de leur application.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AC1 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Nous voulons souligner le rôle majeur de l’éducation en ajoutant un considérant à ce sujet. L’usage du numérique se développe de plus en plus tôt chez les enfants ; aussi les acteurs du numérique et des réseaux sociaux adaptent-ils leurs plateformes pour capter, cannibaliser, vampiriser et même monétiser l’attention des enfants. Face à cela, l’éducation nationale et ses homologues européennes ont un véritable rôle à jouer en matière d’information, de prévention de ces risques et de traitement des conséquences qu’ils emportent. L’éducation et la socialisation au numérique doivent donc se faire le plus tôt possible et être prises en charge par ces institutions, auxquelles il faut évidemment donner les moyens de lutter contre les addictions numériques précoces.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Comme certains l’avaient anticipé, nous donnons un avis défavorable à cet amendement, dont nous approuvons pourtant les objectifs, car nous devons rester dans le cadre européen.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AC2 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Il s’agit de financer prioritairement les recherches publiques indépendantes et intègres dans la lutte contre les addictions numériques. Le projet de loi de finances pour 2025 et les annulations de crédits qui l’ont précédé ont entériné des années de diminution du budget de la recherche publique, alors que les recherches privées se multiplient et que les budgets alloués aux start-up et aux cabinets de conseil sont en constante augmentation. Disséminés par appels d’offres, ces budgets rognent sur la recherche publique et universitaire, qui devrait être mobilisée pour mieux connaître ces addictions et lutter contre leurs effets. La pertinence et l’efficacité des recherches publiques en neurosciences et en sciences sociales afin de constater et d’objectiver ces tendances ne sont plus à démontrer. Il est néanmoins nécessaire de les financer réellement et de les faciliter pour développer les travaux sur les usages et la socialisation numérique. Cette question de santé publique nécessite un investissement fléché et programmé, qui peut passer par des organismes européens tels que le Conseil européen de la recherche.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Même si je partage vos préoccupations, je vous mets en garde contre les effets d’un tel amendement excluant la recherche privée. Cette dernière est très présente dans certains pays, et l’on ne peut pas imposer une recherche publique. Je vous propose donc de retirer votre amendement et de le retravailler dans la perspective du dépôt d’une proposition de loi transpartisane.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Il s’agit de prioriser la recherche publique, pas d’exclure les recherches privées. C’est une question d’équilibre.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Votre rédaction n’est pas totalement conforme à cette intention, que nous avons bien comprise.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Les acteurs privés ne sont pas forcément les grandes entreprises et les grands capitalistes que la gauche imagine ; ils peuvent être petits et construits sur des modèles associatifs ou mutualistes. La majorité des think tanks européens sont d’ailleurs des associations privées. Même si votre amendement ne les exclut pas, l’exposé sommaire peut laisser penser qu’ils ne pourraient pas prendre part à ces recherches. Le groupe Horizons & indépendants votera contre cet amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC4 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Il vise à prendre en compte l’usage des écrans individuels dans les établissements scolaires de notre pays. Pour qu’il soit adapté à l’échelle européenne, nous n’avons pas fait référence au respect des programmes ni à la place de l’enseignant dans cet apport éducatif.
La liberté pédagogique est reconnue en France et dans d’autres pays européens. Aussi avons-nous préféré écrire que les dispositions s’appliquent sous l’autorité de l’enseignant : les outils numériques peuvent être utiles en fonction des programmes et des supports employés. Je pense évidemment aux supports collectifs et non pas individuels, mais il appartiendra au ministère de l’éducation nationale et au Conseil supérieur des programmes de le préciser. Dans un amendement à venir, nous préconiserons autre chose pour les enfants de moins de 3 ans.
Nous devons tirer les enseignements de l’expérience de certains pays d’Europe du Nord tels que le Danemark et la Suède, qui reviennent en arrière après avoir prôné le tout-numérique. Au Danemark, le ministre de l’éducation est même allé jusqu’à présenter ses excuses aux générations qui ont servi de cobayes numériques. La France doit être en phase, synchronisée à ces pays qui mènent ce combat pour les enfants.
Mme Béatrice Piron (HOR). Il faut certes limiter le temps que les enfants passent devant les écrans à la maison et à l’école, mais l’amendement me paraît très flou. Le tableau numérique interactif (TNI) est-il considéré comme un outil à proscrire ?
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). L’amendement fait référence à « des quotas journaliers », et j’ai précisé tout à l’heure qu’il n’était pas question d’interdire les outils numériques collectifs tels que le TNI. Nous précisons d’ailleurs que la limitation du temps numérique doit être « adaptée selon les classes d’âge », comme le préconise le ministère. Elle doit également être instituée dans le cadre de la liberté pédagogique, c’est-à-dire sous l’autorité des enseignants, en qui j’ai pleine confiance pour prendre soin des enfants dans ce domaine.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Une fois de plus, nous sommes d’accord sur le fond, mais nous ne discutons pas d’une proposition de loi française. Nous devons resituer le débat dans le cadre européen. Je vous invite donc à retirer votre amendement, qui aura toute sa place dans les débats sur la future proposition de loi transpartisane que nous appelons de nos vœux.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Si nous adoptions votre amendement, nous affaiblirions la portée de cette PPRE, par laquelle nous demandons au Gouvernement d’agir dans le cadre européen. Hier encore, preuve de notre détermination à travailler sur une proposition de loi transpartisane, nous avons rencontré le ministre à ce propos.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Les rapporteures font des remarques très pertinentes mais, contrairement à elles, je considère cette PPRE comme un moyen d’influer sur la manière dont le gouvernement va défendre ses positions au niveau européen. La représentation nationale ne va pas lui imposer une feuille de route ni lui faire des injonctions, mais elle peut orienter les discussions à venir. Il nous est déjà arrivé de border les interventions du pouvoir exécutif, notamment dans le cadre de la commission des affaires européennes.
Si la France montre qu’elle veut d’ores et déjà agir dans les écoles, cela peut encourager d’autres pays qui tergiversent mais prennent notre système scolaire en exemple, notamment en matière de lutte contre les addictions et le harcèlement scolaire à travers les réseaux sociaux. Aucune loi n’interdit l’usage des téléphones portables dans les écoles : les interdictions sont le fait des règlements intérieurs. J’avais d’ailleurs soutenu l’interdiction au collège, peu suivie dans la société.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Les mesures envisagées au niveau national peuvent relever de la loi, mais aussi du règlement, en application de l’article 37 de la Constitution. On ne peut pas intégrer de tels éléments dans le droit européen, comme vous le proposez dans cet amendement et les suivants, qui traitent du carnet de santé et de la formation des enseignants – autant de sujets qui relèvent du domaine réglementaire. Ces ajouts dans tous les sens ne seront pas pris au sérieux : ils ne feront qu’affaiblir le texte, qui n’est qu’une première étape.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC5 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Nous souhaitons préconiser au niveau européen l’insertion d’une charte parentale sur le numérique dans le carnet de santé. L’amendement est en partie satisfait, puisqu’une telle information figure déjà dans les carnets de santé en France, mais l’Assemblée nationale ne s’est jamais prononcée sur cette question. Elle aurait tout intérêt à le faire dans le cadre de cette PPRE, ce qui permettrait aussi d’adresser un signal à nos partenaires européens.
Au passage, je signale que tous ces amendements ont été déclarés recevables et que rien ne vous empêche, mesdames les rapporteures, de les sous-amender dans la perspective des débats dans l’hémicycle. Dans ce cas, je les retirerais volontiers en séance.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Malgré toute notre conviction, nous peinons à vous convaincre que ces mesures d’ordre réglementaire n’ont pas leur place dans le présent texte, dont la visée est européenne, mais qu’elles pourraient être utilement débattues dans le cadre d’une future proposition de loi. J’avais d’ailleurs considéré que vous aviez déposé des amendements d’appel. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC6 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Il s’agit d’instaurer une obligation de formation des enseignants aux dangers du numérique. La France pourrait ainsi jouer un rôle de précurseur à l’échelle européenne. Ce souhait d’une formation obligatoire est d’ailleurs partagé par les parlements, acteurs de la société civile et membres de la communauté éducative de nombreux pays européens. Je ne vois pas en quoi une telle disposition affaiblirait le texte. Quoi qu’il en soit, je vous tends une nouvelle fois la main : faites une proposition sur l’obligation de formation à laquelle je pourrais me rallier, ce qui me permettrait de retirer mon amendement. Si nous ne formons pas ces personnels aux dangers du numérique, comment pourrons-nous leur demander d’avoir une action éducative visant à les prévenir ?
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. En tant que membre habituelle de la commission des lois, je rappelle qu’une telle disposition relève du domaine réglementaire et non du droit européen. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC7 de M. Rodrigo Arenas
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Il vise à interdire l’exposition aux écrans des enfants de moins de 3 ans, comme cela se pratique déjà dans certains pays non européens. M. Saint-Martin a rappelé qu’une telle disposition, absente de la PPRE, faisait l’unanimité chez les scientifiques et ceux qui s’intéressent aux questions de santé publique. Elle a aussi fait l’unanimité des membres de notre commission, à chaque fois que la question a été abordée. Enfin, elle est avant tout incitative, puisqu’aucune sanction n’est prévue. Il serait intéressant que vous la repreniez dans la PPRE, quitte à ce que vous remplaciez la mention du « Gouvernement de la République française » par celle de notre Parlement national.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. L’adoption de l’amendement AC3, qui se réfère au forum citoyen « Nos enfants et les écrans », est suffisante : elle permet d’ouvrir le champ à toutes les propositions formulées dans le rapport remis au président de la République. Demande de retrait.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Les propositions de mes derniers amendements figurent aussi en partie – au moins au niveau de leur sens et de leur intention – dans les travaux du forum. Je maintiens toutefois mon amendement, quitte à ce qu’il soit rejeté, parce que je veux absolument que ce sujet soit discuté en séance.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’article unique modifié.
L’ensemble de la proposition de résolution européenne est ainsi adoptée.
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En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente résolution dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
– Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/CgqSD6
– Texte comparatif : https://assnat.fr/7ccZAR
ANNEXE :
Liste des personnes ENTENDUEs par les rapporteures
Table ronde :
– M. Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef de la revue « Cerveau & Psycho »
– M. Mehdi Khamassi, directeur de recherche en sciences cognitives au CNRS, chercheur à l’institut des systèmes intelligents et de robotique de Sorbonne Université, co-auteur de Pour une nouvelle culture de l’attention. Que faire de ces réseaux sociaux qui nous épuisent ?, paru chez Odile Jacob en 2024
– M. Stéphane Amato, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulon, chercheur au laboratoire IMSIC, psychologue
([1]) Article 2 du règlement (UE) 2022/1925 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (règlement sur les marchés numériques).
([2]) Cette résolution a été adoptée par le Parlement européen en séance plénière le 12 décembre 2023. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0459_FR.html
([3]) Voir la condamnation du cigarettier Philip Morris par la justice américaine en 2009 : https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-203/philip-morris-condamne-a-dedommager-la-veuve-d-un-fumeur
([4]) Voir la publication de 2013 du Collège des enseignants de pneumologie, consacrée à l’addiction au tabac : https://cep.splf.fr/wp-content/uploads/2015/01/item_73_ex_item_45_tabac.pdf
([5]) Il s’agit du Social Media addiction reduction technology Act (Smart Act), déposé au Sénat américain le 30 juillet 2019.
([6]) Voir notamment son ouvrage paru en 2019 : Left to their own devices : how digital natives are reshaping the American dream.
([7]) Voir le communiqué de presse des attorneys general Rob Bonta et Letitia James : https://oag.ca.gov/news/press-releases/attorney-general-bonta-attorney-general-james-lead-coalition-suing-tiktok
([8]) Du 9 juillet au 22 juillet 2021, Ipsos a mené une série de 2 012 entretiens avec des parents d’enfants âgés de 0 à 17 ans et une série de 600 entretiens avec des enfants âgés de 7 à 17 ans.
([9]) Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).
([10]) https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Senate/Environment_and_Communications/SocialMediaMinimumAge
([11]) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).
([14]) Article L. 312-9 du code de l’éducation.