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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 547),
DE Mme SABINE THILLAYE
ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,
pour une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire et la création d’une catégorie statistique dédiée à l’échelle européenne,
PAR Mme Sabine THILLAYE,
Députée
Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président, MM. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, Nathalie OZIOL vice‑présidents ; MM. Henri ALFANDARI, Benoît BITEAU, Maxime MICHELET, secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, David AMIEL, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Mme Elsa FAUCILLON, M. Charles FOURNIER, Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, Mme Hélène LAPORTE, MM. Jean LAUSSUCQ, Didier LE GAC, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Alexandre LOUBET, Mathieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, M. Frédéric PETIT, Mme Anna PIC, MM. Thomas PORTES, Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, MM. Alexandre SABATOU, Sébastien SAINT-PASTEUR, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.
SOMMAIRE
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Pages
A. les eti sont des entreprises essentielles au dynamisme du tissu Économique français et européen
1. Les ETI sont un actif stratégique de premier plan
a. Des entreprises contribuant fortement à la croissance française et européenne
b. Des entreprises au cœur des transitions environnementale et numérique
2. Les ETI assurent la résilience du système productif et œuvrent à la cohésion territoriale
1. Pour lors, la diversité des définitions nuit à une politique européenne en faveur des ETI
b. Des divergences de définitions au sein même des institutions européennes
a. Généraliser un « réflexe-ETI » dans la conception des politiques économiques européennes
b. Décliner ce réflexe dans l’application et dans l’évaluation des politiques économiques
proposition de rÉsolution europÉenne
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteurE
MESDAMES, MESSIEURS,
La statistique publique influence la manière dont nous posons les problèmes et les réponses que nous y apportons.
Ses origines remontent au premier recensement de la population française réalisé en 1328 pour le compte du roi Philippe VI. L’état des paroisses et des feux visait à compter le nombre de « feux » (c’est-à-dire de foyers) et y associait un coefficient représentant le nombre moyen de personnes vivant sous un même toit. 2,4 millions de feux, 5 habitants en moyenne : la France comptait, au milieu du XIVe siècle, environ 12 millions d’habitants. Le recensement de la population avait déjà une fin économique : il visait la levée d’un impôt pour financer la guerre contre l’Angleterre.
Au-delà de l’anecdote, ce premier recensement traduit la permanence, jusqu’à nos jours, des enjeux liés aux statistiques : quelles catégories retenir ? quels seuils appliquer ? quels coefficients ? à quelles fins ? Le choix et la manière de décompter ont des implications nombreuses et façonnent nos décisions de politique économique.
Cette proposition de résolution européenne vise à combler une lacune : l’absence de définition harmonisée des ETI au niveau européen, empêchant la prise en compte de leurs spécificités dans les politiques économiques.
Ce constat est aujourd’hui largement partagé. Le rapport sur l’avenir de la compétitivité européenne remis à la présidente de la Commission en septembre dernier par Mario Draghi affirme ainsi que « les entreprises small mid-caps ont été largement absentes de la conception des politiques publiques européennes et des études d’impact » ([1]). Les spécificités des ETI, leurs atouts et leurs faiblesses ont été trop peu pris en compte et les mesures de soutien, insuffisamment ciblées. Trop souvent par le passé, les institutions européennes ont favorisé la concurrence plutôt que l’émergence d’entreprises européennes compétitives à l’international.
En contrepoint, la France fait figure de pionnière. Elle s’est dotée, dès 2008, avec la loi de modernisation de l’économie, d’une catégorie d’ETI désignant les entreprises qui emploient entre 250 et 4 999 salariés et génèrent soit un chiffre d’affaires égal ou inférieur à 1,5 milliard d’euros, soit un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros.
L’existence de cette catégorie statistique a permis la mise en place d’une politique publique volontariste de soutien au tissu des ETI, véritable colonne vertébrale de notre économie. Mentionnons notamment la stratégie Nation ETI lancée en 2020, le programme ETIncelles créé en 2023 ou encore les aides ciblées auxquelles les ETI ont pu prétendre durant les crises sanitaire et énergétique.
Au regard des objectifs de la Commission européenne en matière de réindustrialisation, de souveraineté et de transition écologique, il importe de mettre en place des politiques publiques qui puissent être pilotées avec des données fiables et précises mettant un terme à l’invisibilisation des ETI au niveau européen et harmonisant les diverses définitions qui coexistent.
L’objectif est ainsi de faire le premier pas vers la constitution d’un écosystème européen d’ETI, sur le modèle du Mittelstand allemand, de façon à assurer la prospérité et la résilience des chaînes de valeur européennes.
I. Essentielles au dynamisme économique de la France et de l’Union européenne, les entreprises de taille intermédiaire ont vu leur potentiel insuffisamment exploité jusqu’à present
A. les eti sont des entreprises essentielles au dynamisme du tissu Économique français et européen
1. Les ETI sont un actif stratégique de premier plan
a. Des entreprises contribuant fortement à la croissance française et européenne
En France, on compte 6200 ETI en 2021. Celles-ci emploient 3,5 millions de salariés – soit 25 % de l’emploi total – et sont présentes partout sur le territoire national, avec près de 120 000 implantations, dont 75 % situées en dehors des grands centres urbains. Il s’agit pour notre pays d’un véritable actif stratégique, tourné vers le long terme et fer de lance de la réindustrialisation. En effet, 38 % des salariés de l’industrie travaillent dans une ETI et ces entreprises participent à l’équilibre de notre balance commerciale puisqu’elles réalisent 32 % du chiffre d’affaires à l’export des entreprises françaises, contre 55 % pour les grandes entreprises et 13 % pour les petites et moyennes entreprises (PME).
Au niveau européen, à défaut de catégorie statistique officielle, la Banque européenne d’investissement ([2]) se fonde exclusivement sur le nombre de salariés pour définir les entreprises à moyenne capitalisation (mid-caps) comme celles qui emploient entre 250 et 2 999 personnes – soit bien en deçà des critères retenus pour la catégorie française d’ETI.
Comprises ainsi, les mid-caps représentent près de 17 % de l’emploi et 21 % du chiffre d’affaires de la totalité des entreprises de l’Union européenne. Elles génèrent plus de la moitié de la valeur ajoutée du secteur manufacturier, et soutiennent la balance commerciale européenne – 85 % des mid-caps du secteur manufacturier exportent. Leur rôle important dans l’investissement et l’innovation, leur niveau de productivité plus élevé que les PME et les grandes entreprises, ou encore l’effet d’entraînement qu’elles exercent sur leurs chaînes de valeur, en font des entreprises structurantes pour la compétitivité européenne. Véritables « champions cachés » ([3]), elles sont essentielles pour réaliser la triple transition environnementale, numérique et sociale de notre économie.
En particulier, le rapport de la BEI ([4]) estime que les mid-caps présentent un potentiel de croissance via trois leviers : les investissements, la R&D et la formation. En ce qui concerne les investissements et la R&D, le rapport note que les performances des mid-caps sont meilleures que celles des PME et comparables à celles des grandes entreprises. S’agissant de la formation, les mid-caps y accordent une plus grande place – tant en terme de nombre d’employés formés que d’intensité de formation – que les PME et les grandes entreprises
Ces entreprises ont également une productivité moyenne plus élevée que les autres catégories d’entreprises. Ceci s’explique par leur présence sur des segments de marché généralement caractérisés par une forte valeur ajoutée, tirant mieux parti des opportunités économiques de croissance que les PME et concentrant la création de valeur ajoutée sur un nombre inférieur d’employés en comparaison des grandes entreprises.
Source : Rapport de la BEI
Le rapport de la Commission européenne intitulé Study to map, measure and portray the EU mid-cap landscape, publié en 2022 ([5]) estime que la part des ETI européennes dans le PIB est supérieure à leur part dans l’emploi total : 28,8 % du PIB pour seulement 19,4 % de l’emploi total. Ces chiffres sont cohérents avec la plus grande productivité des ETI par rapport aux autres catégories d’entreprises.
Rapport de la Commission, 2022
b. Des entreprises au cœur des transitions environnementale et numérique
Les ETI sont en première ligne face aux transitions écologique et numérique. Elles doivent, à ce titre, faire l’objet d’un accompagnement spécifique et être moteur pour l’ensemble des chaînes de valeur au cœur desquelles elles s’inscrivent (spillover effect – effet d’entrainement).
S’agissant de la transition numérique, les résultats des enquêtes EIBIS ([6]) présentés dans le rapport de la BEI montrent que les mid-caps (catégorie est plus restreinte que la catégorie française des ETI) sont en avance par rapport aux PME et réalisent des performances comparables aux grandes entreprises. Ainsi, plus de 84 % des grandes entreprises ont investi dans au moins une technologie numérique, contre environ 75 % pour les mid-caps. En comparaison, seules 53 % des PME ont mis en œuvre au moins une de ces technologies.
S’agissant de la transition écologique, les investissements engagés par les mid-caps sont supérieurs à ceux des PME et presque équivalents à ceux des grandes entreprises. 55 % des mid-caps prévoient d’investir pour adapter leur modèle d’affaires au changement climatique, assez proche des 62 % de grandes entreprises, mais bien supérieur aux 40 % de PME. Les chiffres relatifs aux investissements déjà en cours sont similaires (40 % des PME, 57 % des mid-caps et 75 % des grandes entreprises).
2. Les ETI assurent la résilience du système productif et œuvrent à la cohésion territoriale
Les ETI font preuve d’une grande résilience. Cela ressort des données de la Banque de France dans son enquête mensuelle sur les défaillances d’entreprises parue le 15 novembre dernier ([7]). Ainsi, le nombre de défaillances d’ETI est généralement plus faible, en volume et en proportion, que pour les PME. Cela se traduit par une meilleure cotation Banque de France (qui évalue la capacité d’une entreprise à faire face à ses engagements financiers à un horizon de 1 à 3 ans) :
« De manière générale, au regard de la cotation Banque de France, les ETI‑GE peuvent être jugées plus résilientes que les PME. La part des PME (y compris microentreprises) non éligibles aux opérations de refinancement monétaire (i.e. les cotes dites « non éligibles », soit les cotes 4 à 8) dans l’ensemble des PME cotées par la Banque de France dépasse les parts respectives pour les ETI et GE. Cependant, au regard de l’évolution de ces parts sur les 5 dernières années, nous notons que les crises récentes n’ont pas bouleversé la capacité de remboursement des entreprises françaises ; la part entreprises ayant une cote inéligible, quelle que soit la taille d’entreprise, s’est en effet établie à la fin 2023 à un niveau proche à celui d’avant la crise Covid. » ([8])
% de cotes BDF non-éligibles
Source : Banque de France (base FIBEN)
Par ailleurs, les ETI participent à la cohésion territoriale et génèrent des externalités positives.
Les ETI contribuent de manière significative à l’économie locale et structurent les bassins d’emploi. Elles peuvent être fortement associées à un territoire et avoir une « responsabilité territoriale » à cet égard ([9]).
L’institut allemand spécialisé sur le Mittelstand insiste sur les externalités positives permises par ce tissu d’entreprises industrielles familiales. Cet ancrage territorial est à l’origine d’une « création de valeur sociétale » pour reprendre le titre de l’un de ses rapports ([10]).
B. Les entreprises de taille intermédiaire ont, jusqu’à présent, fait l’objet d’une valorisation variable par les politiques économiques des différents États membres
Jusqu’à présent, les obstacles au plein essor des ETI dans l’Union européenne ont tenu à un accès restreint aux marchés financiers, à un moindre soutien des politiques publiques et à une plus grande exposition aux perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Ces trois obstacles, identifiés par la BEI, méritent cependant d’être nuancés selon le pays considéré. Ainsi, les approches française et allemande ont grandement divergé ces dernières décennies.
1. En Allemagne, le Mittelstand a été un facteur de résilience territoriale dans la mondialisation et d’accélération des innovations
Comme le notent André Pahnke, Friederike Welter et David Audretsch dans une étude de 2022 ([11]) : « non seulement le miracle économique de l’Allemagne de l’Ouest des années 1950-1960 et la marque bien connue « made in Germany » sont attribuables au Mittelstand mais c’est encore le cas de la résilience de l’économie allemande pendant la crise financière ([12]). De ce fait, le Mittelstand est fréquemment décrit comme la colonne vertébrale de l’économie allemande et comme l’étendard des capacités d’innovation et d’exportation du pays. »
Ainsi, le nombre de PME et d’ETI dans le total des entreprises est bien plus élevé en Allemagne que dans les autres États membres.
Rapport de la Commission, 2022 (précité)
La création du Mittelstand s’inscrit dans le temps long ([13]). Ses origines remontent, d’après l’historien Hartmut Berghoff, à l’époque médiévale où apparait une classe de marchants et de commerçants. Le Mittelstand se cristallise ensuite véritablement au XIXe siècle, à partir de la révolution industrielle, avec l’émergence d’un capitalisme familial ([14]). La construction même du pays, caractérisée par un poids important accordé aux Länder, a favorisé l’émergence d’un tissu industriel homogène et dense.
En outre, les entreprises du Mittelstand ont montré de remarquables capacités d’adaptation. Les prédictions d’effondrement, qui ont cours depuis le XIXe siècle, ne les ont pas empêchées de prospérer ([15]). De nos jours, le modèle entrepreneurial américain alimente les critiques du Mittelstand en Allemagne, perçu, par certains, comme dépassé. Les mutations profondes du travail et le développement des formes d’entrepreneuriat individuel, mettraient à mal la vision de l’entreprise comme aventure pluri-générationnelle. Il en résulterait un moindre sentiment d’appartenance des jeunes entrepreneurs au Mittelstand.
Cependant, comme le fait remarquer Frederike Welter, ce modèle demeure plébiscité en France, en Grande-Bretagne (souhait d’un « Brittelstand » ([16])) et au niveau européen (appels à la création d’un « Mittelstand européen »).
Conscient de l’importance de ce tissu de PME et d’ETI, l’ancien ministre de l’économie allemand Peter Altmaier a détaillé, en 2019, une stratégie pour l’industrie à l’horizon 2030 ([17]). Cette stratégie prévoit de porter la part de l’industrie allemande dans le PIB de 20 % à 25 % d’ici 2030 en privilégiant le soutien aux PME, la promotion du dynamisme industriel national et des investissements dans l’intelligence artificielle.
2. En France, les délocalisations et la désindustrialisation ont affaibli le tissu des ETI à partir des années 1990, mais un tournant est à l’œuvre depuis 2015
Dans son livre intitulé La désindustrialisation de la France : 1995-2015, publié en 2022, Nicolas Dufourcq, le directeur général de la Banque publique d’investissements française Bpifrance, analyse la manière dont les politiques économiques menées sur cette période ont conduit à l’étiolement et à l’affaiblissement durable du tissu industriel.
Nicolas Dufourcq identifie une pluralité de facteurs : l’absence de patriotisme économique et le choix des délocalisations plutôt que de la montée en compétence au niveau national, la promotion du « fabless » (littéralement, « sans usine ») et la tertiarisation accélérée, le moindre accès aux financements à l’échelle régionale (contrairement aux Sparkassen pour les entreprises familiales allemandes et aux Banco popolare locales pour les PME lombardes).
Le dynamisme régional et l’existence d’une tradition entrepreneuriale et de l’état d’esprit l’accompagnant sont donc des conditions sine qua non pour un tissu industriel prospère :
« Si la France était une grande Vendée, elle aurait moitié moins de déficit extérieur. (Le territoire engendre des ETI familiales pérennes, donc rentables, exportatrices, qui à leur tour, parrainent les PME locales. Les entrepreneurs financent la formation professionnelle. Les clubs d’entrepreneurs fonctionnent. Les familles ont confiance et envoient leurs jeunes. La biodiversité industrielle est féconde. L’innovation est financée. » ([18])
Néanmoins, on observe un changement de cap depuis 2015 avec, notamment, le lancement du fonds SPI (sociétés de projets industriels) dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, doté de 800 millions d’euros et géré par Bpifrance. Ce fonds devait permettre aux projets industriels innovants les plus porteurs de perspectives d’activité et d’emplois de financer leur développement dans la phase critique du passage à l’échelle industrielle. L’objectif était de sélectionner les projets industriels risqués mais crédibles, qui récréeraient des usines en France et des emplois hautement qualifiés.
Depuis lors, à la faveur d’une politique volontariste continue menée par Bpifrance et les services de l’État, le tissu des ETI françaises est en croissance. Le rapport de la mission Midy ([19]) dresse le constat de l’importance de Bpifrance dans le renforcement de l’écosystème de PME-ETI :
« Depuis sa création en 2012, la Banque publique d’investissement a soutenu plus de 535 000 TPE-PME-ETI et grandes entreprises en contribuant à injecter 260 Md€ de financement/investissement et 190 Md€ d’assurance-crédit à l’export. Dans le cadre de la relance économique suite à la crise sanitaire, Bpifrance a mobilisé plus de 50 Md€ pour les entreprises. Grâce à des accords avec la Banque européenne d’investissement (BEI), elle a levé 4,5 Md€ pour financer les PME et ETI innovantes. Au total, Bpifrance a accompagné la création de 350 000 entreprises et a permis à 1 700 PME de devenir des ETI. »
La population d’ETI est ainsi passée de 4600 en 2009 à 5600 en 2015 puis 6200 en 2021 et 6700 en 2023 ([20]). En l’espace de 14 ans, leur nombre a augmenté de 46 %.
Comparée à l’évolution du nombre d’entreprises (nombre de PME et nombre total d’entreprises), la population d’ETI a cru de manière relativement homogène.
Date |
Nombre d’ETI |
Nombre de PME |
Nombre total d’entreprises |
Ratio ETI/PME |
Ratio ETI/total d’entreprises |
2009 |
4600 |
131 000 |
2,7 millions |
3,51% |
0,17% |
2015 |
5700 |
140 000 |
3,8 millions |
4,07% |
0,15% |
2021 |
6200 |
159 000 |
4,5 millions |
3,90% |
0,14% |
Source : Insee
Le lancement de la stratégie Nation ETI en 2020 puis du programme ETIncelles en 2023, visant à accélérer le développement des PME de croissance, ont permis, d’après le mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), la création d’une « culture ETI » au sein de l’administration, illustrant les bénéfices d’une catégorie statistique dédiée.
« La stratégie nation ETI a permis de créer dans chaque service déconcentré de l’État en région un référent ETI, porte d’entrée lorsque les ETI ont une demande sur le terrain. » ([21])
3. Les crises sanitaire et énergétique ont rappelé la place essentielle des ETI au sein du tissu productif européen
Face aux crises sanitaire et énergétique, le régime des aides d’État prévu par les articles 107 et suivants du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne a été assoupli pour assurer le soutien aux entreprises en général et aux ETI en particulier. L’élargissement temporaire des critères d’attribution a permis d’aider le tissu des ETI en évitant une hausse des défaillances qui aurait été délétère sur le long-terme et aurait provoqué une perte durable en compétence.
Cependant, comme le rappelle le METI : « les négociations ont été longues avec la Commission car elle n’avait pas la même grille de lecture s’agissant des ETI et de la nécessité de cibler les aides spécifiquement pour cette catégorie. » ([22])
En comparaison, l’existence en France d’une catégorie spécifique s’est avérée être un atout. Elle a par exemple permis de créer, lors de la crise énergétique, un guichet d’aide au paiement des factures d’électricité dédié aux ETI.
Ainsi, ces crises ont été des révélateurs des fragilités auxquelles sont exposés nos systèmes productifs et de la trop faible attention portée aux ETI au niveau européen.
II. cette proposition de rÉsolution europÉenne soutient la création d’une définition harmonisÉe des ETI au niveau europÉen, condition prÉalable a l’adoption de politiques Économiques prenant mieux en compte leur rôle clÉ dans l’innovation et les exportations
A. La crÉation d’une dÉfinition harmonisÉe au niveau europÉen est une nÉcessite ayant été mise à l’agenda de la nouvelle commission
1. Pour lors, la diversité des définitions nuit à une politique européenne en faveur des ETI
a. Les critères et les seuils retenus - lorsqu’une définition existe - divergent dans les principaux pays européens
En France, la loi de modernisation de l’économie a été adoptée le 4 août 2008. Son article 51 détermine, pour les besoins de l’analyse statistique, un classement des entreprises en quatre catégories : les microentreprises, les PME, les ETI et les grandes entreprises.
Le décret d’application n° 2008‑1354 définit plus précisément les seuils de chaque catégorie :
- les microentreprises comptent moins de 10 salariés et ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan qui n’excède pas 2 millions d’euros ;
- les PME hors microentreprises comptent moins de 250 salariés et ont un chiffre d’affaires annuel qui n’excède pas 50 millions d’euros ou un total de bilan qui n’excède pas 43 millions d’euros ;
- les ETI n’appartiennent pas à la catégorie des PME, comptent moins de 5 000 salariés et ont un chiffre d’affaires annuel qui n’excède pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan qui n’excède pas 2 milliards d’euros ;
- les grandes entreprises sont toutes celles allant au-delà de la catégorie des ETI.
Les débats parlementaires au sujet de la loi de modernisation de l’économie La création d’une typologie d’entreprises pour les besoins de l’analyse statistique et économique n’était pas mentionnée dans le projet de loi initial déposé par le gouvernement en avril 2008. Cette typologie a été ajoutée par la commission mixte paritaire (CMP) convoquée sur le texte avec la mention d’une catégorie « d’entreprises de taille moyenne ». Compte tenu du risque de confusion avec les « petites et moyennes entreprises », un amendement avait été adopté en CMP pour lever l’ambiguïté et consacrer la catégorie des « entreprises de taille intermédiaire ». En séance publique à l’Assemblée ([23]), la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi s’était félicitée de la création de cette catégorie, se fixant pour objectif la création et le développement de 2000 ETI. |
Aucun autre pays européen n’a de définition aussi précise que la France d’une catégorie équivalente aux ETI. Cela nous a été confirmé lors de l’audition d’Eurostat :
« Seule l’Espagne travaille à une définition d’entreprises de taille intermédiaire. En l’état, son projet incline plutôt dans le sens des réflexions européennes, avec une catégorie mid-caps qui irait de 250 à 1499 salariés et qui ferait une distinction entre small mid-caps de 250 à 499 salariés et large mid-caps de 501 à 1499. » ([24])
En Allemagne, il n’existe pas de définition officielle du Mittelstand mais trois critères peuvent être dégagés : la possession du capital, la taille de l’entreprise et le sentiment d’appartenance au Mittelstand.
Le Mittelstand diffère des PME dans la mesure où celles-ci se définissent par leur taille (nombre d’employés, montant du chiffre d’affaires) alors que le Mittelstand est caractérisé par la propriété de l’entreprise et la structure du management, n’incluant pas de limite de taille ([25]).
Ces critères permettent à Pahnke, Welter et Audretsch ([26]) d’établir un gradient allant du « pur Mittelstand » au « pur non-Mittelstand » :
Pur Mittelstand |
Entreprise gérée par le détenteur du capital + sentiment d’appartenance au Mittelstand |
Mittelstand hybride |
Entreprise gérée par le détenteur du capital et pas de sentiment d’appartenance |
Non-Mittelstand hybride |
Entreprise non gérée par le détenteur du capital + sentiment d’appartenance |
Pur non-Mittelstand |
Entreprise non gérée par le détenteur du capital et pas de sentiment d’appartenance |
Notons que Pahnke, Welter et Audretsch écartent le critère de la taille de l’entreprise dans la mesure où celui-ci recoupe de manière linéaire celui de la détention du capital (plus une entreprise est petite, plus elle a de chance d’être détenue par son gérant, et inversement).
b. Des divergences de définitions au sein même des institutions européennes
La diversité des définitions et seuils retenus a été analysée de manière approfondie par le rapport de la Commission européenne publié en 2022 ([27]).
Ce rapport identifie les principales définitions retenues pour les entreprises de taille intermédiaire. Il en ressort une grande hétérogénéité :
Source : Commission européenne, Study to map, measure and portray the EU mid-cap landscape, 2022
Le rapport note tout de même que les seuils les plus communément admis sont les suivants :
- entre 250 et 499 pour les « small mid-caps »
- entre 500 et 1499 pour les « large mid-caps »
Cette définition des mid-caps – entre 250 et 1499 salariés – est plus restreinte que la notion française d’ETI telle qu’établie par l’INSEE.
En outre, cette définition ne coïncide pas avec celle retenue par la Banque européenne d’investissement qui considère que les small mid-caps ont entre 250 et 499 salariés et que les large mid-caps vont de 500 à 2999 salariés.
2. À l’agenda de la Commission, la création d’une catégorie statistique unique pour les ETI doit aboutir au plus vite en s’inspirant de la définition française, pionnière en la matière
Les débats sur le sujet ont été catalysés par les crises sanitaire et énergétique qui ont souligné l’importance stratégique des entreprises de taille intermédiaire pour nos économies.
La proposition de résolution s’inscrit dans ce cadre et vise à faire peser la voix de la France dans les discussions européennes.
Tableau des dernières publications appelant à la création
d’une catégorie d’entreprises de taille intermédiaire au niveau européen
Septembre 2023 |
Proposition par la Commission d’un SME relief package. Son action 18 affirme que : « la Commission sera attentive aux besoins des entreprises dépassant les seuils fixés pour la définition des SME ainsi qu’aux small mid-caps, et (développera une définition harmonisée pour les small mid-caps » |
Décembre 2023 |
Acte délégué du 21 décembre 2023 adaptant à l’inflation les seuils financiers applicables aux PME dans la directive 2013/34/UE dite « directive comptable » |
Janvier 2024 |
Rapport de la Banque européenne d’investissement intitulé : Hidden champions, missed opportunities – mid-cap’s crucial roles in Europe‘s economic transition |
Février 2024 |
Rapport parlementaire remis aux ministres Bruno Le Maire et Olivia Grégoire, intitulé « rendre des heures aux Français » « La création d’un seuil à 1000 salariés, traduisant mieux la réalité économique des ETI françaises et européennes, devrait être soutenue au niveau européen. Certaines obligations valant aujourd’hui dès 251 salariés pourraient être reportés à ce nouveau seuil » |
Avril 2024 |
Rapport Letta sur l’avenir du marché unique : « La définition même des SME peut aussi être perçue comme restrictive par beaucoup d’entreprises et devrait être mise à jour pour refléter le paysage économique du XXIe siècle. De même, reconnaître une catégorie de mid-caps distincte des grandes entreprises dans les réglementations européennes permettra l’adoption de standards plus adaptés, favorisant leur croissance et leur pleine participation au marché unique, notamment durant les crises » |
Avril 2024 |
Organisation par la délégation aux entreprises et le président de la commission des affaires européennes du Sénat d’un débat sur les moyens de conforter l’existence d’un Mittelstand européen. |
Septembre 2024 |
Rapport Draghi : « La réglementation européenne fait peser un poids proportionnellement plus important sur les SME et small mid-caps que sur les grandes entreprises, pourtant l’UE manque d’un cadre pour évaluer ces coûts. (Il manque à l’Union européenne une définition commune harmonisée des small mid-caps ainsi que des données disponibles et exploitables sur ces entreprises » |
Septembre 2024 |
Lettre de mission de la présidente de la Commission à Stéphane Séjourné : « vous conduirez le travail visant à introduire une nouvelle catégorie statistique pour les small mid-caps et évaluerez la mesure dans laquelle les règles actuelles entravent leur croissance » |
Source : d’après le mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI)
Étant donné que l’option d’une catégorie small mid-caps semble celle actuellement privilégiée au niveau européen (cf. tableau) il serait possible de commencer par cette création avant d’envisager un élargissement de la nouvelle catégorie sur le modèle de la définition française élaborée dès 2008 avec la loi de modernisation de l’économie.
En tout état de cause, le suivi de ce dossier par M. Stéphane Séjourné et les services de la direction générale du marché intérieur de la Commission doit être saisi comme une opportunité pour promouvoir la définition française de l’ETI.
B. La mise en œuvre opérationnelle de cette catégorie statistique suppose un travail fin d’harmonisation dans l’optique d’une valorisation du potentiel des ETI europÉennes
1. Harmoniser : les seuils européens devront prendre en compte la situation économique de l’ensemble des États membres tout en étant suffisamment larges pour inscrire les ETI européennes dans une catégorie protectrice, de nature à favoriser leur développement
La ligne d’une harmonisation – potentiellement en deux temps – sur le modèle de la définition française est soutenue par le mouvement des entreprises de taille intermédiaire :
« Il serait cohérent de partir du seuil haut des PME telles que définies au niveau européen – 250 – pour aller jusqu’au seuil de 4999 tel que retenu dans la définition des ETI en France, qui a été pionnière sur le sujet. Certains pays s’y opposent en disant qu’ils seront disqualifiés et que cette catégorie serait trop large car ils n’ont presque pas d’entreprises au-delà de 5000 salariés. Notre catégorie d’ETI se prête bien à l’Italie, à l’Allemagne, à l’Espagne, à la Pologne… moins à l’Estonie ou à Malte…
Cependant l’équilibre n’est pas un objectif en soi : quand bien même certains pays seraient moins directement ciblés par une définition large des ETI au niveau européen, cela n’aurait aucune conséquence sur leur situation et on se donnerait toutes les chances d’atteindre l’objectif de création de champions européens et de simplification du régime applicable aux ETI. » ([28])
Corroborant cette analyse, les services d’Eurostat nous ont fait remarquer que Malte, par exemple, ne compte que 750 entreprises de taille intermédiaire. Il y a donc un arbitrage politique à trouver : certains États membres pourraient estimer dommageable qu’un seuil de 4999 salariés les prive, dans les statistiques européennes, de la moindre « grande entreprise ».
« Les PME comptent déjà pour 99,8 % ([29]) de l’ensemble des entreprises au niveau européen (incluant les 3 sous-groupes : micro, petites et moyennes entreprises) ; élargir la catégorie PME risquerait d’encore plus écraser la distribution. En l’état, la politique de concurrence européenne et les discussions menées portent sur la création d’une catégorie de small mid-caps qui irait de 250 à 499 salariés, soit bien en dessous de la définition française. Cependant, à la fin, il s’agit d’une décision politique qui pourrait conduire à la création d’une catégorie plus large de mid-caps. » ([30])
La crainte d’une distribution statistique trop écrasée est levée dans la mesure où il ne s’agirait pas d’un élargissement de la catégorie des PME ([31]), mais bien de la création d’une nouvelle catégorie qui apporterait une granularité statistique supplémentaire.
Le mouvement des entreprises de taille intermédiaire insiste sur le fait que la création d’une catégorie d’ETI au niveau européen ne doit pas être vue comme une dilution des moyens accordés à la catégorie des PME : il ne s’agirait pas d’un « combat catégoriel. » ([32])
In fine, votre rapporteure estime que les bénéfices d’une catégorie d’ETI allant de 250 à 4999 l’emportent sur les inconvénients.
La suppression des effets de seuil ([33]) et la possibilité donnée aux entreprises de s’inscrire dans un statut protecteur sur longue période sont propices à l’émergence de champions européens et sont pleinement en ligne avec les orientations stratégiques que s’est donnée la Commission.
Sur le modèle de la définition française et ainsi que le prévoit déjà la définition européenne des PME, la catégorie d’ETI européennes devrait aussi inclure des critères financiers en plus du nombre d’employés, pour mieux capter la diversité des situations existantes d’un secteur d’activité à l’autre.
Comme l’affirmait déjà la recommandation 2003/361/CE du 6 mai 2003 : « le critère du nombre de personnes occupées reste certainement l'un des plus significatifs et doit s'imposer comme critère principal, mais l'introduction d'un critère financier est un complément nécessaire pour appréhender la véritable importance d'une entreprise, ses performances et sa situation par rapport à la concurrence. Il ne serait pas souhaitable pour autant de retenir comme seul critère financier celui du chiffre d'affaires, notamment parce que le chiffre d'affaires des entreprises du commerce et de la distribution est par nature plus élevé que celui du secteur manufacturier. Le critère du chiffre d'affaires doit donc être combiné avec celui du total du bilan qui reflète l'ensemble de la richesse d'une entreprise, l'un des deux critères pouvant être dépassé. »
En outre, l’instauration d’une catégorie d’ETI européenne n’emporterait aucune obligation pour les États membres. Tout comme pour la catégorie de PME adoptée au niveau européen, les États seraient libres de la décliner au niveau national ou bien de conserver leur propre découpage.
« L’utilisation de la définition européenne de la catégorie ETI ne serait, comme pour la définition des PME, qu’une recommandation adressée aux États membres, pas une obligation. Ainsi, les États membres pourront conserver leur définition nationale en plus de la définition européenne s’ils le souhaitent et n’auront pas forcément à harmoniser leur système socio-fiscal en se calquant sur les seuils européens. » ([34])
Enfin, il convient de prévoir des dispositions transitoires comme ce fut le cas pour la recommandation 2003/361/CE du 6 mai 2003 à propos des PME. Était donnée aux États membres la possibilité d’informer la Commission de leur décision ou non de se conformer à la nouvelle catégorie statistique européenne au plus tard au 31 décembre 2004. Cela laissait un délai de plus d’un an et demi pour s’adapter.
La dénomination « mid-cap » dans les programmes européens actuellement en cours ne serait donc pas affectée : seuls seraient concernés les nouveaux programmes.
2. Cibler : à l’avenir, les politiques économiques et la réglementation européenne devront prendre en compte cette nouvelle catégorie et le rôle clé des ETI dans l’innovation et les exportations
La création d’une catégorie statistique peut et doit être perçue comme une mesure de politique économique qui aura des conséquences sur la manière dont les ETI seront accompagnées au niveau européen.
« L’existence d’une définition européenne des PME permet de cibler les aides de manière efficace, aussi bien via la politique de cohésion que via les aides d’État, des appels d’offres limités aux PME dans le cadre du programme Horizon et des marchés publics s’adressant précisément à ces entreprises. » ([35])
La catégorie doit donc être pensée de manière prévoyante, en anticipant d’une part les politiques publiques que nous souhaitons au niveau européen pour les ETI et, d’autre part, les données dont nous souhaitons disposer pour évaluer l’impact économique et social des ETI.
a. Généraliser un « réflexe-ETI » dans la conception des politiques économiques européennes
Cette valorisation des entreprises de taille intermédiaire passe par une meilleure prise en compte de leurs spécificités dans la conception et la mise en œuvre des instruments de politiques économiques (aides, subventions, exonérations, dispositifs de transmission).
La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) apporte une illustration d’une politique publique pensée pour les grandes entreprises et insuffisamment adaptée aux spécificités des autres types d’entreprises.
Le rapport Draghi estime ainsi que ses coûts de mise en œuvre pour les mid-caps représentent 12,5 % du volume de leurs investissements et risquent d’obérer leur croissance. La CSRD manquerait donc de proportionnalité du fait d’une application avant tout conçue pour les grandes entreprises.
Ce chiffre reprend une note ([36]) réalisée par le mouvement des entreprises de taille intermédiaire estimant que la directive coûterait 2 Mds€ par an sur 2 ans pour la catégorie ETI (périmètre français), soit 400 000 euros par an en moyenne pour une ETI. Cela équivaut à 12,5 % du volume d’investissement de la catégorie en 2023.
De manière générale, la mise en place d’un « réflexe-ETI » n’est pas encore acquise au niveau européen, comme cela nous a été souligné en audition par la direction générale du marché intérieur :
« Nous essayons de généraliser un réflexe du « think small first » auprès des législateurs européens, afin que les instruments ne soient pas conçus uniquement dans la perspective d’une application pour les grands groupes, mais renverser les manières de penser prend du temps. » ([37])
Cela doit permettre une simplification des règles applicables aux ETI, sans pour autant renoncer à la qualité des informations recueillies qui sont utiles aux instituts statistiques. À cet égard, la Commission s’est fixé un objectif de rationalisation des obligations déclaratoires des entreprises « en vue de réduire le nombre d’enquêtes et d’accroître le recours à des processus automatisés et simplifiés. » ([38])
Cet élément de simplification pourrait utilement être axé sur les PME et les ETI qui n’ont pas les moyens des grandes entreprises pour remplir ces obligations :
« Un exemple concret de l’effet des catégories est l’objectif de la Commission de réduire de 25 % les obligations d’information pour toutes les entreprises. En plus de cet objectif général, une cible plus ambitieuse de réduction de 35 % des obligations de déclaration a été décidée pour les PME. Ce chiffre de 35 % pourrait être étendu aux ETI. Bien sûr, une définition seule ne peut pas tout, mais les dérogations et mesures de soutien qui suivront auront des conséquences concrètes. » ([39])
Notons que le rapport Draghi va plus loin et recommande de réduire les obligations de reporting applicables aux entreprises de 50 % pour les PME en étendant cette mesure à la catégorie des small mid-caps.
b. Décliner ce réflexe dans l’application et dans l’évaluation des politiques économiques
Tout comme pour la conception, les lignes semblent bouger pour l’application et l’évaluation.
Dans son étude de 2022 ([40]), la Commission a par exemple évalué le programme de R&D Horizon 2020 par le prisme des catégories d’entreprises, arrivant à la conclusion qu’il sous dote les ETI :
« Nous constatons que la part des entreprises de taille intermédiaire parmi les participants à H2020 est de 5 %, ce qui est supérieur à leur part dans le nombre total d'entreprises. Cependant, la contribution moyenne que reçoivent les entreprises de taille intermédiaire semble assez faible par rapport aux grandes entreprises. (Les panélistes considèrent que les entreprises de taille moyenne sont clairement désavantagées par rapport aux grandes entreprises qui disposent d'experts qui savent comment demander un financement et qui ont les ressources nécessaires pour organiser de grands consortiums pour les demandes de projets ».
Source : Commission européenne, évaluation intermédiaire du programme Horizon 2020
De telles analyses catégorielles devraient être systématisées pour l’ensemble des politiques européennes au moment de leur évaluation.
À cette fin, la mise en place d’une catégorie d’ETI au niveau européen permettra un emploi optimal des fonds publics.
La Commission s’est réunie le mercredi 27 novembre 2024, sous la présidence de M. Laurent Mazaury, vice-Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.
M. le vice-président Laurent Mazaury. L'ordre du jour appelle à l’examen d’une proposition de résolution européenne pour une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire et la création d'une catégorie statistique dédiée à l'échelle européenne, présentée par l’auteure du texte, Sabine Thillaye.
Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Cette proposition de résolution européenne vise à adopter une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et à créer, au niveau européen, une catégorie statistique dédiée. Les ETI sont aujourd’hui insuffisamment prises en compte dans les politiques économiques européennes. Ce constat, largement partagé, a été rappelé par le rapport Draghi. Celui-ci affirme en effet que les entreprises small mid caps ont été absentes de la conception des politiques publiques européennes et des études d'impact. Trop souvent par le passé, les institutions européennes ont favorisé la concurrence plutôt que l'émergence de champions européens compétitifs à l'international.
En contrepoint, la France fait figure de pionnière. Elle s’est dotée dès 2008, avec la loi de modernisation de l'économie, d'une catégorie ETI désignant les entreprises qui emploient entre 250 à 4 999 salariés et génèrent soit un chiffre d'affaires égal ou inférieur à 1,5 milliard d'euros, soit un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros. L'existence de cette catégorie statistique a permis la mise en place d'une politique publique volontariste de soutien au tissu des ETI. On peut ainsi mentionner, au niveau national, la stratégie Nation ETI lancée en 2020, le programme ETIncelles créé en 2023, ou encore les aides ciblées auxquelles les ETI ont pu prétendre durant les crises sanitaire et énergétique.
Au regard des objectifs de la Commission européenne en matière de réindustrialisation, de souveraineté et de transition écologique, il importe de mettre en place des politiques publiques qui puissent être pilotées avec des données fiables et précises mettant un terme à l’invisibilisation des ETI au niveau européen et d’harmoniser les diverses définitions qui coexistent. L'objectif est ainsi de faire un premier pas vers la constitution d'un écosystème européen d’ETI, sur le modèle du Mittelstand allemand, de façon à assurer la prospérité et la résilience des chaînes de valeurs européennes.
L'importance économique des ETI a été rappelée par les crises sanitaire et énergétique. En France, on compte 6 200 ETI en 2021. Celles-ci emploient 3,5 millions de salariés, soit 25 % de l'emploi total et sont présentes partout sur le territoire national avec près de 120 000 implantations, dont 75 % situées en dehors des grands centres urbains. Il s'agit pour notre pays d'un véritable actif stratégique tourné vers le long terme et fer de lance de la réindustrialisation. En effet, 38 % des salariés de l'industrie travaillent dans une ETI et ces entreprises participent à l'équilibre de notre balance commerciale puisqu'elles réalisent 32 % du chiffre d'affaires à l'export des entreprises françaises.
Au niveau européen, on ne parle pas d'ETI mais de mid caps. Ce terme n'a pas de définition aussi précise qu’au niveau français. Il est issu du secteur financier dans lequel il fait référence au volume de capitalisation boursière. Son utilisation dans les statistiques économiques est donc trompeuse puisqu’elle n’est pas liée au niveau de capitalisation des entreprises mais à leur nombre d’employés et éventuellement à leur chiffre d’affaires ou à la taille de leur bilan, selon les définitions retenues. Par exemple, la Banque européenne d'investissement (BEI) considère que les mid caps comptent entre 250 et 3 000 employés. En retenant cette définition, les mid caps représentent près de 17 % de l'emploi et 21 % du chiffre d'affaires de la totalité des entreprises de l'Union européenne. D'après le rapport de la BEI publié en janvier 2024, ces mid caps génèrent plus de la moitié de la valeur ajoutée du secteur manufacturier et soutiennent la balance commerciale européenne. Leur rôle important dans l'investissement et l'innovation, leur niveau de productivité plus élevé que les PME et les grandes entreprises, ou encore l'effet d'entraînement qu'elles exercent sur leurs chaînes de valeur, en font des entreprises structurantes pour la compétitivité européenne. Les ETI ont aussi une certaine importance sociale. Elles contribuent de manière significative à l'économie locale et structurent les bassins d'emploi.
Malgré leur importance, les ETI semblent oubliées par les politiques économiques européennes. Elles ne peuvent ni prétendre aux aides et aux dérogations des PME et n'ont pas non plus les moyens des grands groupes pour remplir les différentes obligations administratives. En particulier, les ETI ne disposent pas d'une définition harmonisée au niveau européen. Cela nous a été rappelé en audition par l'organisme européen de statistiques, Eurostat, et la direction générale du marché intérieur, la DG GROW. Aucun pays européen n'a de définition aussi précise que la France en la matière. L'Allemagne, pourtant connue pour son tissu de PME et d’ETI familiales, n'a pas de définition précise du Mittelstand. Les éléments permettant de le définir ne sont pas le nombre de salariés ou la taille du chiffre d'affaires, mais plutôt la présence d'une gouvernance familiale et le sentiment d'appartenance au Mittelstand.
La France fait figure de pionnière avec sa définition d'ETI. La loi de modernisation de l'économie a déterminé quatre catégories d'entreprises pour les besoins de l'analyse statistique. La microentreprise compte moins de 10 salariés et a un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan qui n’excède pas les 2 millions d'euros. Les PME, hors microentreprises, comptent moins de 250 salariés et ont un chiffre d'affaires annuel qui n’excède pas 50 millions d'euros ou un total de bilan qui n’excède pas 43 millions d'euros. Les ETI n'appartiennent pas à la catégorie des PME, comptent moins de 5 000 salariés et ont un chiffre d'affaires annuel qui n’excède pas 1,5 milliard d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros. Les grandes entreprises sont toutes celles allant au-delà de la catégorie des ETI.
Au niveau européen, plusieurs définitions coexistent. La Commission européenne, dans ses Risk Finance Guidelines, définissant les règles de soutien des États membres aux start-ups et mid-caps, retient 2 seuils : entre 250 et 499 salariés pour les small mid-caps et entre 500 et 1 499 salariés pour les large mid-caps. Cette définition est plus restreinte que la définition française et ne coïncide pas avec celle de la Banque européenne d'investissement qui considère que les small mid-caps ont entre 250 et 499 salariés et que les large mid-caps vont de 500 à 2 999 salariés.
Cette proposition de résolution européenne soutient la création d’une définition harmonisée des ETI au niveau européen sur le modèle de la définition française. Les débats se sont accélérés sur le sujet depuis les crises sanitaire et énergétique qui ont rappelé l'importance des ETI pour la souveraineté européenne, le soutien à l'innovation et le développement de nos exportations. La nécessité d'une action rapide est le message que nous nous efforçons de véhiculer par cette proposition de résolution.
De ce point de vue, la confirmation de Stéphane Séjourné comme vice-président chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle à la Commission européenne doit être vue comme un atout pour porter ce dossier avec les services de la direction générale du marché intérieur.
Il convient donc d’agir rapidement et de tout mettre en œuvre pour la définition adoptée soit la plus fidèle possible à la définition française. L'option actuellement privilégiée semble celle d'une catégorie small mid-caps allant de 250 à 499 salariés. Il s’agit d’un premier pas, mais il est nécessaire d’aller au-delà. La catégorie des ETI françaises – de 250 jusqu’à 4 999 salariés, avec en plus des conditions liées au chiffre d’affaires et au bilan – supprime durablement l'effet de seuil que peuvent ressentir les PME en franchissant les 250 salariés et qu'elles ressentiraient de nouveau à 499. En allant jusqu'à 4 999 salariés, nous apporterons de la visibilité aux entreprises en leur assurant un statut protecteur tout au long de leur développement économique. L'harmonisation au niveau européen permettra de cibler précisément les mesures d’aides, de soutien ou de simplification à destination des ETI, comme cela est déjà fait pour les PME.
Enfin je tiens à rappeler, pour dissiper toute inquiétude concernant d’éventuelles difficultés de mise en œuvre d'un changement de définition, que la création d'une catégorie d’ETI au niveau européen ne sera pas contraignante pour les États membres. Il ne s'agira que d'une recommandation de l'Union européenne. À l’instar de la définition des PME mise en place par une recommandation de 2003, les États membres pourront choisir de se conformer ou non au standard européen et pourront tout à fait conserver leur classification nationale s'ils le préfèrent. Le standard européen sera simplement la référence retenue dans le cadre des politiques publiques européennes.
Cette définition permettrait d'avoir une catégorie statistique uniforme et des données précises sur les ETI pour mieux concevoir nos politiques publiques en faveur des ETI d'une part, et pour mieux les évaluer d'autre part.
Les données sont la boussole de l'action publique. Sans statistiques, il n'est pas possible d'objectiver les problèmes ou de se féliciter des améliorations. Cela explique pourquoi les ETI ont été invisibilisées jusqu’à présent au niveau européen.
L’adoption d’une définition harmonisée et d’une catégorie statistique que porte cette proposition de résolution permettra d’instaurer un véritable « réflexe-ETI » dans les politiques publiques européennes.
Au stade de la conception, ce réflexe-ETI n’est pas encore suffisant. On peut penser à la directive CSRD qui a manifestement été conçue pour des grandes entreprises, pas du tout pour des entreprises de taille moyenne. Le rapport Draghi reprend ainsi une étude du mouvement des entreprises de taille intermédiaire qui estime que la directive coûterait 400 000 euros par an en moyenne pour une ETI. Cela équivaut à 12,5 % du volume d’investissement de la catégorie en 2023…
Au stade de l’évaluation, il faut systématiser les évaluations des politiques publiques par catégories d’entreprises – grandes entreprises, ETI, PME – pour veiller à une application uniforme qui soit proportionnée aux moyens de toutes les entreprises dans l’ensemble des secteurs.
Ce « réflexe-ETI », auquel cette proposition de résolution apporte une première pierre, est la condition de l’émergence de champions européens capables de faire rayonner l’Europe à l’international.
M. le vice-président Laurent Mazaury. Je donne maintenant la parole aux orateurs de groupe.
Mme Isabelle Rauch (HOR). Les entreprises de taille intermédiaire jouent un rôle majeur dans la croissance et la création d’emplois et de valeur dans notre économie, comme l’a rappelé Madame la rapporteure. Elles sont 6 200 en France, elles emploient 3,5 millions de salariés en équivalent temps plein, elles réalisent 30 % du chiffre d’affaires, 24 % des investissements et 26 % de la valeur ajoutée de l’ensemble des entreprises.
Elles jouent un rôle majeur dans l’objectif de réindustrialisation de notre économie. 31 % des salariés des ETI travaillent dans l’industrie manufacturière. Leur rôle moteur pour la croissance et l’innovation est reconnu partout en Europe.
Dans un rapport publié cette année, la Banque européenne d’Investissements (BEI) reconnaît le rôle qu’elles jouent dans les principaux écosystèmes industriels, notamment l’électronique, la santé, l’énergie, les énergies renouvelables, l’aérospatiale et la défense, qui soutiennent la compétitivité de l’Europe.
Dans ce même rapport, la BEI regrette l’absence de définition cohérente et de précision des données statistiques concernant les ETI, qui entravent les analyses en la matière et la formulation de politiques ciblées.
Notre groupe soutient donc les conclusions du rapport de la BEI. Nous pensons que les États européens gagneraient à disposer d’une définition permettant d’ouvrir une réflexion ciblée sur leur apport pour la compétitivité du continent. Le rapport de Mario Draghi rendu en septembre sur la compétitivité insiste justement sur la nécessité de renforcer les politiques favorisant le développement d’entreprises innovantes. Après la stratégie « Nation ETI », c’est d’une véritable stratégie « Europe ETI » dont nous avons besoin. Cela ne permettra sans doute pas de créer un véritable Mittelstand européen – ce modèle correspondant plus à une culture d’entreprise intimement liée au fédéralisme allemand – cependant, une définition au niveau européen ouvrira la voie à une meilleure intégration aux problématiques propres aux ETI au sein des politiques européennes.
Le groupe « Horizons et Indépendants » votera donc en faveur de cette proposition de résolution européenne.
Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Merci pour ce soutien. Il semble effectivement nécessaire d’insister le plus possible sur notre définition française puisque la Commission européenne a mis l’accent sur les PME, mais les définit de façon extrêmement large, en considérant que 99 % des entreprises sont dans cette catégorie. Cela ne permet pas de bien cibler les politiques publiques.
M. André Chassaigne (GDR). J’écoutais dans l’exposé les objectifs recherchés. Il s’agissait de favoriser la souveraineté, et je pense notamment à la souveraineté industrielle, d’autant plus que l’oratrice précédente vient de rappeler l’importance de l’industrie manufacturière. Il est important de le rappeler, ainsi que de souligner l’importance du sujet au regard de la transition écologique. On se rend compte qu’en fin de compte, ces entreprises de taille intermédiaire sont dans une situation particulière. Contrairement aux PME qui arrivent souvent à être accompagnées par des agences de développement ou des services économiques de grandes agglomérations ou de conseils régionaux, ces entreprises-là n’ont pas forcément tous les outils pour pouvoir solliciter, en particulier auprès de l’Union européenne, les aides dont elles pourraient bénéficier.
Ainsi, si cela simplifie les choses et si cela donne de la lisibilité, je voterai en faveur de cette proposition de résolution européenne.
Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Il s’agit justement de simplifier, de donner une visibilité et de cibler un peu mieux les politiques, puisque les ETI sont effectivement prises en tenaille entre les PME et les grandes entreprises, alors que leurs besoins sont tout à fait différents. Si l’on veut parler de compétitivité, il faut mobiliser davantage de moyens pour que les PME se trouvant à la limite puissent sauter le pas vers la catégorie des ETI. Pour ce faire, il faut qu’elles soient accompagnées.
Mme Constance Le Grip (EPR). Au risque de répéter ce qui a déjà été dit, je veux à mon tour dire à quel point les entreprises de taille intermédiaire sont un maillon essentiel dans nos économies européennes. En France, elles regroupent 6 200 structures, emploient 3,5 millions de salariés, ce qui représente 25 % de l’emploi national. Elles jouent un rôle clef dans l’industrie, en concentrant notamment 35 % des emplois du secteur industriel. Elles génèrent 32 % du chiffre d’affaires à l’exportation des entreprises françaises, ce qui est considérable.
À l’échelle européenne, elles représentent 30 % de l’emploi, 21 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises de l’Union, où elles sont identifiées, vous l’avez dit, essentiellement sous le terme de mid caps.
Tous ces chiffres montrent bien l’importance très significative de ces entreprises et leur contribution essentielle à la création de richesse, à l’emploi, à l’exportation, à la compétitivité économique, mais aussi à l’innovation et à la transition écologique.
Pourtant, elles sont souvent rendues invisibles au sein des institutions européennes faute d’une définition harmonisée. Elles peinent à bénéficier d’outils réglementaires ainsi que d’un pilotage politique et législatif adaptés, et ne se voient pas octroyer d’outils financiers adaptés à leur taille et à leurs besoins. Par exemple, la directive CSRD, imposant la publication d’informations en matière de durabilité, représente des coûts de mise en conformité considérables pour les ETI.
Il nous faut donc examiner avec beaucoup d’attention et de bienveillance cette proposition de résolution européenne qui nous semble une initiative utile, puisqu’elle vise à doter ces entreprises d’une identité statistique européenne propre afin de mieux identifier leur rôle, de le reconnaître et de permettre ainsi la conception, puis le pilotage de politiques publiques adaptées. Nous allons donc voter en faveur de cette proposition de résolution, qui est un premier pas sur le chemin de l’amélioration du cadre légal et réglementaire qui permettra d’aller vers un accompagnement plus ciblé du développement de ces entreprises dynamiques dont nous avons besoin.
Il a beaucoup été fait allusion au Mittlestand allemand, mais il faut également souligner que la capacité d’exportation d’un pays comme l’Italie repose également beaucoup sur les entreprises de taille intermédiaire.
Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Il s’agit aussi d’améliorer l’accès de ces entreprises à la commande publique au niveau européen. En France, l’industrie et le bâtiment représentent 40 % des ETI, suivis par le commerce et par les services. Cet accès-là peut donc être assez décisif, surtout pour des entreprises qui sont souvent le fer de lance de l’innovation.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je vous remercie pour cet intéressant rapport qui me rappelle les travaux que nous avons menés dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA), à l’initiative de cette commission. Si nous avons vu sous les catégorisations existantes les données de qualification des Etats qui fixent la norme de 250 à environ 4 999, c’est un élément important, mais au-delà de cette catégorisation par le nombre de salariés, d’autres données économiques vous semblent pertinentes. J’aurais souhaité que vous puissiez les préciser, notamment l’appartenance à un groupe international, français ou étranger. Il y a également l’appartenance à un secteur économique, par exemple agricole ou financier qui peut être significative au regard de la standardisation que vous évoquez également dans le rapport. Par ailleurs, avons-nous une idée des catégories existantes à l’étranger ?
Globalement, nous ne pouvons que constater l’absence de catégorie statistique concernant les ETI. Le rapport Letta sur l’avenir du marché unique souligne d’ailleurs que la reconnaissance d’une catégorie distincte des grandes entreprises dans la réglementation européenne permettrait l’adoption de standards plus adaptés. C’est un élément prioritaire.
Le rapport Draghi relève quant à lui que les ETI ont été largement absentes de la conception des politiques publiques européennes et des études d’impact. Comme vous le soulignez, la statistique publique influence la manière dont nous posons les problèmes et les réponses que nous y apportons.
Le groupe Socialistes et apparentés partage totalement l’objectif de cette proposition de résolution. En attendant les réponses et les précisions que vous pourrez apporter aux trois questions que j’ai posées, je souhaite également insister sur le levier de la recherche et développement, et sur le fait que les ETI ont des performances comparables à celles des grandes entreprises. Pourriez-vous aussi développer ce point ?
Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Une deuxième étape devrait effectivement consister à examiner les ETI par catégorie. Les situations sont effectivement différentes selon qu’elles sont actives dans le commerce, l’industrie ou le BTP, par exemple. C’est un aspect qui devra être étudié au niveau européen pour que nous ayons une statistique la plus fine possible. Cette résolution est une première étape. Les questions que vous posez mériteraient presque qu’un nouveau rapport leur soit consacré afin de pouvoir aller plus loin et de promouvoir une meilleure compétitivité grâce à une lecture plus fine, notamment en matière d’innovation. Au niveau international, des tentatives ont eu lieu mais aucune définition harmonisée n’émerge.
C’est une lacune, mais nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur toutes ces questions. Nous avons travaillé ensemble sur l’Inflation Reduction Act et sur les réponses à y apporter, et la présente résolution est une façon de faciliter l’émergence de ces entités.
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution européenne est par conséquent adoptée.
La Commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport en vue de sa publication.
Mme Sabine Thillaye. Je vous remercie et espère pouvoir poursuivre ces travaux afin d’apporter des réponses plus détaillées à vos interrogations et à la problématique.
proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le Traité sur l’Union européenne, notamment ses articles 5 et 13,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 114, 115 et 173,
Vu la communication de la Commission européenne du 12 septembre 2023 intitulée « Train de mesures de soutien aux PME » (COM [2023] 535 final),
Vu la recommandation de la Commission européenne du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (2003/361/CE),
Vu la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil,
Vu la communication de la Commission européenne du 16 décembre 2021 sur les lignes directrices relatives aux aides d’État visant à promouvoir les investissements en faveur du financement des risques (2021/C 508/01),
Considérant qu’il est essentiel de bâtir un véritable écosystème européen d’entreprises de taille intermédiaire, sur le modèle du Mittelstand allemand ;
Considérant que les entreprises de taille intermédiaire, telles que définies par la Banque européenne d’investissement, représentent 17 % de l’emploi et 21 % du chiffre d’affaires des entreprises de l’Union européenne :
Considérant que le système européen de classification des entreprises, qui ne prévoit pas de catégorie intermédiaire entre les petites et moyennes entreprises et les grandes entreprises, ne permet pas de prendre en compte les spécificités des entreprises de taille intermédiaire ;
Considérant que les entreprises de taille intermédiaire, en l’absence de définition commune et de données statistiques accessibles, pâtissent d’une réglementation inadaptée qui affecte leur compétitivité et celle de l’économie européenne ;
Considérant que l’absence de définition harmonisée limite l’efficacité des politiques européennes à leur égard ;
1. Invite la France à jouer un rôle moteur dans l’adoption d’une définition européenne des entreprises de taille intermédiaire ;
2. Invite la Commission européenne à créer, dans les plus brefs délais, une identité statistique pour les entreprises de taille intermédiaire en collectant et publiant des données spécifiques afin de mieux évaluer leur impact économique et social ;
3. Invite à adapter la réglementation européenne à la taille des entreprises en développant des politiques et des instruments financiers dédiés aux entreprises de taille intermédiaire, tenant compte de leur rôle clé dans l’innovation et l’exportation.
annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteurE
- Mme Florence NAILLAT, déléguée générale adjointe
- M. David LAUVRAY, responsable des Relations Institutionnelles
- Mme Clara YAZI, stagiaire
- Mme Outi SLOTBOOM, directrice responsable de la stratégie et de l’analyse économique
- Mme Krista DE SPIEGELEER, responsable des mid-caps au sein de l’unité en charge des PME
- Mme Petra SNEIJERS, directrice ESTAT.G – Statistiques des entreprises et du commerce
Contribution écrite
([1]) The future of Européen competitiveness, partie B, septembre 2024.
([2]) Rapport de la BEI intitulé Hidden champions, missed opportunities : mid-caps’ crucial role in Europe’s economic transition, publié en 2024
([3]) Le terme « champions cachés » a été inventé par l'universitaire Hermann Simon dans son livre Hidden champions : lessons from 500 of the best world's unknown companies pour décrire les entreprises allemandes du Mittelstand qui occupent une position de leader régional ou mondial sur un marché de niche peu connu du grand public
([4]) Op.cit.
([5]) Commission européenne, Study to map, measure and portray the EU mid-cap landscape, 2022
([6]) Enquête annuelle de la BEI portant sur l’investissement et le financement de l’investissement et rassemblant des informations qualitatives et quantitatives sur environ 12 000 entreprises des 27 pays de l’UE et 800 entreprises implantées aux États-Unis.
([7]) https://www.banque-france.fr/fr/statistiques/entreprises/defaillances-dentreprises-2024-10
Voir aussi le bulletin de la Banque de France de mai-juin 2023 intitulé : « La résilience des entreprises de taille intermédiaire en 2022 : un atout pour affronter les défis de 2023 »
([8]) Contribution écrite de la Banque de France
([9]) Cf. Le livre éponyme écrit sous la direction de Maryline Filippi : La responsabilité territoriale des entreprises, Le bord de l’eau, 2022
([10]) https://www.ifm-bonn.org/fileadmin/data/redaktion/publikationen/ifm_materialien/dokumente/EN-IfM-Materialien-292_2022.pdf
([11]) André Pahnke, Friederike Welter, David Audretsch, In the eyes of the beholder ? Differentiating between SMEs and Mittelstand, 2022
([12]) Cette résilience a notamment été permise par le recours massif au chômage partiel : le kurzarbeit
([13]) Frederike Welter, The mittelstand : a specific entrepreuneurial profile of the social market economy, 2018
([14]) Hartmut Berghoff, The End of Family Business ? The Mittelstand and German Capitalism in Transition, 1949-2000, 2006
([15]) Frederike Welter, 2018. op.cit.
([16]) Ellyat, 2014
([18]) Nicolas Dufourcq, La désindustrialisation de la France : 1995-2015, 2022
([19]) Rapport remis au Gouvernement en juin 2023 - Soutenir l’investissement dans les start-ups, PME innovantes et PME de croissance. https://mission-midy.fr/assets/rapport.pdf
([20]) Pour 2023, le chiffre provient du fichier bancaire des entreprises (FIBEN) de la Banque de France
([21]) Audition du METI
([22]) Ibid.
([23]) Compte rendu intégral du 22 juillet 2008
([24]) Audition conjointe d’Eurostat et de la DG GROW
([25]) Friederike Welter, The mittelstand : a specific entrepreuneurial profile of the social market economy, février 2018
([26]) Article de 2022, op.cit.
([27]) Commission européenne, Study to map, measure and portray the EU mid-cap landscape, 2022, op.cit.
([28]) Audition du METI
([29]) Ce chiffre peut sembler très élevé : il comprend en réalité les microentreprises et les TPE (très nombreuses en volume), qui font l’objet d’une catégorie distincte en France mais sont comptées parmi les PME dans la définition européenne.
([30]) Audition conjointe d’Eurostat et de la DG GROW
([31]) Dans le détail, l’article 2 de l’annexe de la recommandation 2003/361/CE du 6 mai 2003, révisant la recommandation 96/280/CE du 3 avril 1996, définit les PME comme suit, dans les statistiques européennes :
([32]) Audition du METI
([33]) Comme le note le rapport parlementaire « Rendre des heures aux Français » remis en février 2024 : « Ces réflexions [catégorielles] doivent être l’occasion de réinterroger les conséquences du franchissement du seuil. Si un délai d’adaptation a été instauré pour certaines obligations, celui-ci ne s’applique pas systématiquement à l’ensemble des mesures portant sur ces entreprises. C’est le cas par exemple pour le prolongement du bénéfice du statut de jeune entreprise innovante (JEI) qui est moins-disant que la réglementation communautaire lors du franchissement du seuil de 250 salariés en n’exploitant pas pleinement le délai de 2 ans permis au sein de l’UE (un exemple de surtransposition du droit européen). »
([34]) Audition conjointe d’Eurostat et de la DG GROW
([35]) Audition conjointe d’Eurostat et de la DG GROW
([36]) Note de position du METI - Simplification des normes européennes, février 2024
([37]) Audition conjointe d’Eurostat et de la DG GROW
([38]) https://commission.europa.eu/document/download/cf15e2da-9548-41a0-bd00-0fbba0eb99f9_fr?filename=Factsheet_CWP_Burdens_FR.pdf
([39]) Audition du METI
([40]) op.cit.