N° 845

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 janvier 2025.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI

 

visant à renforcer la lutte contre les violences

faites aux femmes et aux enfants (n°669)

 

 

PAR Mme Maud BREGEON

Députée

——

 

 

 

 

 

 


  SOMMAIRE

  ___

  Pages

INTRODUCTION....................................................... 5

I. Les spécificités des violences sexuelles et des violences au sein du couple…

1. Le caractère massif des violences sexistes et sexuelles

2. Les éclairages de la Ciivise s’agissant des violences faites aux enfants

3. Le contexte particulier des violences commises au sein du couple

II. … justifient de faire évoluer notre droit

1. Par l’imprescriptibilité des infractions sexuelles commises sur mineur en matière civile

2. Par l’élargissement de la prescription pénale glissante aux victimes majeures de viol

3. Par l’introduction de la notion de contrôle coercitif dans notre droit pénal

III. Les modifications apportées par la commission

COMMENTAIRE DES ARTICLES de la proposition de loi

Article 1er (supprimé) (art. 2226 du code civil) Imprescriptibilité civile des actes de torture ou de barbarie et des violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur

Article 2 (art. 7 et 9-2 du code de procédure pénale) Élargissement du principe de prescription glissante aux victimes majeures

Article 3 (supprimé) (art. 222-14-3 du code pénal) Précisions relatives à la notion de violences psychologiques

Article 4 (nouveau) Rapport sur la formation au traitement des violences sexistes et sexuelles sur majeurs et sur mineurs

Compte rendu des débats

Personnes entendues

 


   

  Mesdames, Messieurs,

S’inscrivant dans la continuité des nombreuses dispositions législatives et réformes réglementaires que la majorité présidentielle a mises en œuvre depuis 2017 pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, la présente proposition s’attache à résoudre plusieurs problèmes précis et identifiés.

Le texte initial comportait trois articles touchant au code civil, au code pénal et au code de procédure pénale. Les trois dispositions proposées étaient donc très différentes, mais poursuivaient un même objectif : améliorer notre arsenal juridique pour renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

I.   Les spécificités des violences sexuelles et des violences au sein du couple…

1.   Le caractère massif des violences sexistes et sexuelles

Parmi les violences sexistes et sexuelles, ce sont plus spécifiquement deux types qui sont ici visés par cette proposition de loi : d’une part, les violences sexuelles, et plus particulièrement les crimes de viol ; d’autre part, les violences commises au sein du couple.

● Particulièrement massives, ces violences font l’objet d’une attention spécifique des pouvoirs publics et sont régulièrement documentées par les statistiques ministérielles et par des enquêtes.

En 2023, les forces de sécurité ont ainsi enregistré 114 135 victimes de violences sexuelles. Selon le ministère de l’Intérieur, les victimes sont majoritairement des femmes (85 %) et plus de la moitié d’entre elles sont mineures (57 %) ([1]). Les mis en cause sont presque exclusivement des hommes (96 %).

Victimes de violences sexuelles enregistrées par la police et la gendarmerie de 2016 à 2023

Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieur, Interstats Info Rapide n° 32, février 2024.

S’agissant des victimes de violences commises par le partenaire ou ex‑partenaire, 271 263 ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie pour l’année 2023. La majorité des victimes sont des femmes (85 %) et les mis en cause sont avant tout des hommes (86 %). Il s’agit principalement de violences physiques (64 % des victimes), le plus souvent sans incapacité totale de travail (ITT) (41 % des victimes).

Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieur, Interstats Info Rapide n° 44, novembre 2024.

● Ces chiffres ne représentent que la partie recensée des violences subies. Les estimations globales sont bien plus importantes puisqu’une très large majorité des victimes ne dépose pas plainte. Selon le ministère de l’Intérieur, seules 6 % des victimes de violences sexuelles et 14 % des victimes de violences conjugales se tournent vers les forces de sécurité.

Selon le ministère de l’Intérieur, 1 452 000 personnes (âgées de 18 à 74 ans) ont déclaré avoir subi des violences sexuelles, physiques ou non physiques en 2021 ([2]). Les associations conduisent elles aussi un important travail de recensement. Selon Nous Toutes, 1 femme sur 6 ferait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti et non désiré ([3]). Cette association déduit en outre des chiffres du ministère de l’Intérieur qu’en 2021, les femmes majeures ont été victimes d’au moins 210 000 viols ou tentatives de viol.

Nous faisons donc face à des infractions extrêmement massives. Par ce texte de loi, nous débattons donc d’une dramatique réalité quotidienne qui meurtrit des centaines de milliers de victimes. Des centaines de milliers de femmes et d’enfants sont ainsi agressées dans leur chair et voient parfois leur vie détruite.

2.   Les éclairages de la Ciivise s’agissant des violences faites aux enfants

Créée en 2020 par le Gouvernement, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a publié, en 2023, son rapport qui avance des chiffres glaçants :

– 3,9 millions de femmes (14,5%) et 1,5 million d’hommes (6,4%) ont été confrontés à des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans, ce qui représente au total 5,4 millions de personnes victimes ;

– 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles. Autrement dit, un enfant est victime d’un viol ou d’une agression sexuelle toutes les 3 minutes ([4]).

La Ciivise nous éclaire également sur les conditions dans lesquelles ces violences sont commises : dans 81 % des cas, l’agresseur est un membre de la famille. En moyenne, les victimes avaient 8 ans et demi au début des violences. Près de 40 % des victimes ont subi un ou plusieurs viols. Dans 97 % des cas, l’agresseur est un homme et, dans 81 % des cas, il est majeur. Enfin, dans 97 % des cas, les pédo-criminels ne sont pas condamnés.

Elle insiste par ailleurs sur les très lourdes conséquences de ces violences. Dans le cas des victimes mineures, la Ciivise a déterminé que 90 % d’entre elles ont développé des troubles associés au psychotraumatisme, autrement appelés troubles du stress post-traumatique.

Ces violences sont particulièrement difficiles à dénoncer. En effet, plus l’agresseur est proche de la victime, plus la révélation des faits est difficile et, donc, plus elle est tardive. Selon la Ciivise, lorsque l’auteur est un proche, seuls 12 % des victimes dénoncent les faits au moment où ils sont commis ; et lorsque l’infraction est commise dans un cadre incestueux, ce chiffre tombe à 9 %.

3.   Le contexte particulier des violences commises au sein du couple

Parce qu’elles aussi se déroulent dans la sphère intrafamiliale, les violences conjugales se traduisent par les mêmes difficultés de dénonciation. De nature très variée – physique, sexuelle, psychologique, économique, administrative… –, ces violences se contextualisent dans des relations complexes, le plus souvent marquées par le pouvoir et la domination.

La stratégie mise en place par l’agresseur peut conduire à placer la victime dans une situation d’emprise, où elle se trouve privée de sa liberté et de sa capacité d’action et de défense.

Si tous les cas peuvent bien sûr exister, ces violences sont souvent récurrentes et cumulatives, évoluant par cycles successifs, augmentant généralement en intensité et en fréquence dans le temps.

Ces contextes accroissent la difficulté d’appréhender l’ensemble des violences conjugales.

II.   … justifient de faire évoluer notre droit

1.   Par l’imprescriptibilité des infractions sexuelles commises sur mineur en matière civile

L’article 1er de la proposition de loi, dans son texte initial, proposait de rendre certaines infractions imprescriptibles en matière civile. Il s’agit des crimes de tortures et d’actes de barbarie, ainsi que des infractions de violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur. Lorsqu’en 2008, les délais de prescription de l’action en responsabilité ont été réformés, le choix a été fait de fixer un délai dérogatoire pour ces infractions considérées comme particulièrement graves et engendrant des dommages corporels spécifiques.

La présente proposition de loi préserve cette cohérence de l’article 2226 du code civil, mais allonge le délai dérogatoire de prescription, le passant de vingt années à l’imprescriptibilité. Avec une telle évolution, l’ambition est de ne plus fermer la porte de la justice au nez de victimes. Il est insupportable, pour une victime de violences sexuelles, de s’entendre dire qu’il est trop tard pour être entendue par nos institutions judiciaires. Les crimes sexuels, notamment lorsqu’ils sont commis sur mineurs, sont particulièrement difficiles à révéler. D’une part, l’effet de l’amnésie traumatique peut tout simplement empêcher la victime de dénoncer les faits. D’autre part, les contextes et les conséquences de ces infractions répondent souvent à des logiques spécifiques et complexes, souvent enfermées dans la sphère privée, dont il peut être difficile de s’extraire.

Nous devons laisser aux victimes le temps de parler et de dénoncer les faits. Nous devons leur laisser ce temps en préservant leur possibilité d’avoir accès à la justice et d’obtenir, le cas échéant, réparation du préjudice qu’elles ont subi. Au-delà de la réparation, nous devons ainsi leur permettre de voir leur parole accueillie par nos institutions et de se voir reconnues comme victimes.

2.   Par l’élargissement de la prescription pénale glissante aux victimes majeures de viol

Donner du temps aux victimes, c’est l’objectif que poursuit également l’article 2 de cette proposition de loi.

En 2021, le principe de prescription glissante pour les victimes mineures de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle a été inséré dans le code de procédure pénale. Avant cette loi, lorsqu’un auteur violait ou agressait sexuellement plusieurs victimes, chacune d’entre elle se voyait appliquer un délai de prescription différent en fonction de la date de commission de l’infraction subie. Dans ces situations, lorsque l’auteur était finalement poursuivi en justice, les victimes les plus anciennes, dont l’affaire était prescrite, ne participaient au procès qu’en tant que simple témoin.

Grâce à la prescription glissante, dans les affaires mettant en cause des agresseurs sériels, notamment des violeurs en série, l’ensemble des faits commis peuvent dorénavant être jugés ensemble, car ils se voient appliquer un même délai de prescription, celui de la dernière infraction commise. Les victimes sont ainsi sur un pied d’égalité et les actes criminels de l’auteur sont appréhendés dans leur intégralité.

Pour l’heure, cette prescription glissante ne s’applique qu’aux victimes mineures. L’article 2 de la présente proposition de loi étend ce principe aux victimes majeures qui ont subi un crime de viol.

3.   Par l’introduction de la notion de contrôle coercitif dans notre droit pénal

L’article 3 de la proposition de loi initiale concernait quant à lui les violences commises au sein du couple.

En janvier 2024, la cour d’appel de Poitiers a produit cinq arrêts confirmant des condamnations pour violences, menaces ou harcèlement au sein du couple en analysant les faits dans leur ensemble « comme la mise en place d’un contrôle coercitif » dans lequel les différentes infractions venaient se contextualiser.

Largement inspirés du travail de plusieurs auteurs, notamment la psychologue Andreea Gruev Vintila, ces arrêts expliquent que les agissements considérés sont « divers et cumulés ». Si « pris isolément » ils pourraient être relativisés, ils forment en réalité un tout cohérent lorsqu’ils sont identifiés et analysés dans leur ensemble et conduisent au contrôle coercitif. Ces actes – qui peuvent être de nature variée, allant des violences physiques jusqu’au contrôle des sous-vêtements ou encore à la géolocalisation permanente – participent ainsi d’une stratégie de leur auteur visant à piéger la victime dans une relation où elle doit obéissance et soumission. Ces arrêts soulignent la gravité de ces agissements en considérant que « le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains ».

L’article 3 propose d’intégrer cette notion de contrôle coercitif dans le code pénal par l’insertion d’un nouvel alinéa, de nature interprétative, au sein de l’article relatif aux violences psychologiques.

III.   Les modifications apportées par la commission

● La Commission a adopté trois amendements :

– l’un modifie le titre de la proposition de loi afin de faire référence aux « violences sexuelles et sexistes », et non pas aux « violences faites aux femmes et aux enfants » ;

– l’autre insère un article additionnel fixant au 1er juin prochain la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur la formation au traitement des violences sexistes et sexuelles sur majeurs et sur mineurs ;

– à l’initiative de votre rapporteure, le dernier amendement modifie l’article 2 afin de corriger une erreur rédactionnelle.

● La Commission a par ailleurs choisi de rejeter l’article 1er, ce qui équivaut à une suppression de l’article dans le texte adopté, constatant à ce stade de la discussion l’absence de consensus sur la notion d’imprescriptibilité, les uns souhaitant aller plus loin et l’appliquer en matière pénale également, les autres souhaitant éviter cette notion.

● L’article 3 a également été rejeté, sa rédaction étant considérée comme insatisfaisante. Votre rapporteure a d’ailleurs, dès son propos liminaire, expliqué que la rédaction était inaboutie et devait faire l’objet d’une réécriture, pour plusieurs raisons :

– d’une part, sa formulation ne semble pas suffisamment claire et complète ;

– d’autre part, en s’insérant dans l’article du code pénal sur les violences psychologiques, cette rédaction réduirait la notion de contrôle coercitif à ce seul champ, alors qu’il s’agit, au contraire, d’un concept plus large ;

– enfin, le terme même de contrôle coercitif n’est pas employé, ce qui ne semble pas efficace. Pour votre rapporteure, si le législateur choisit d’intégrer cette notion dans notre droit positif, il importe de la nommer explicitement. 

Votre rapporteure espère que le débat en séance publique permettra de rétablir l’article 3 dans une écriture plus pertinente et consensuelle.

 

 


COMMENTAIRE DES ARTICLES de la proposition de loi

Article 1er (supprimé)
(art. 2226 du code civil)
Imprescriptibilité civile des actes de torture ou de barbarie et des violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article rend imprescriptible l’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, en cas de le préjudice causé par des actes de torture ou de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a modifié les délais de prescription en matière civile.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

 

  1.   L’État du droit
    1.   L’indemnisation du préjudice subi par la victime d’une infraction

La victime d’une infraction dispose de plusieurs voies pour obtenir l’indemnisation de son préjudice. Elle peut, à cette fin, saisir :

– le juge pénal, en cas de constitution de partie civile, celui-ci tranchant les demandes d’indemnisation après avoir statué sur la culpabilité et la peine de l’auteur de l’infraction ;

– le juge civil, en l’absence de constitution de partie civile devant le juge pénal ;

– la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), selon une procédure régie par le code de procédure pénale (CPP).

La CIVI

La CIVI est une commission ayant le caractère d’une juridiction civile, instituée dans le ressort de chaque tribunal judiciaire et composée de deux magistrats du siège et d’une personne française majeure qui s’est signalée par l’intérêt porté aux victimes (article 706‑4 du CPP). Elle traite environ 20 000 affaires par an.

La demande d’indemnité doit être présentée à la CIVI dans un délai de trois ans à compter de la date de l’infraction, ainsi que le prévoit l’article 706‑5 du CPP.

Si des poursuites pénales sont engagées, le délai de trois ans est prorogé et expire un an après la décision de la juridiction statuant définitivement sur l’action publique ou l’action civile. Par ailleurs, la CIVI peut relever la victime de la forclusion, et donc accueillir la demande, pour tout motif légitime.

En application du dernier alinéa de l’article 706‑9 du CPP, l’indemnité est versée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), dans un délai d’un mois. Le FGTI est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage le remboursement de l’indemnité. À ce titre, le FGTI peut se constituer partie civile.

Dans l’hypothèse où la victime s’est vu reconnaître par le juge des dommages et intérêts supérieurs à l’indemnité accordée par la CIVI, elle peut demander dans un délai d’un an un complément d’indemnité (article 706‑8 du CPP).

La victime se constituant partie civile ou engageant une action contre les responsables du dommage doit indiquer si elle a saisi la CIVI et si celle-ci l’a indemnisée, à peine de nullité des dispositions civiles du jugement (article 706‑12 du CPP).

Enfin, la décision de la CIVI peut faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel (article R. 50‑23 du CPP).

  1.   Les délais de prescription en matière civile

Réformé par la loi du 17 juin 2008 ([5]), le régime des prescriptions en matière civile définit plusieurs délais, prévoyant notamment que :

– la prescription de droit commun est de cinq ans ([6]) ;

– les actions en responsabilité en raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel sont prescrites par dix ans ([7]) ;

– les actions en responsabilité en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, sont prescrites par vingt ans ([8]).

  1.   Le dispositif proposé

Ce troisième délai est modifié par la présente proposition de loi.

L’article 1er réécrit pour cela le second alinéa de l’article 2226 du code civil, afin de rendre imprescriptible l’action en responsabilité pouvant être engagée par une victime à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, lorsque le préjudice subi a été causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur.

  1.   la position de la commission

La Commission a rejeté cet article.

 

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Article 2
(art. 7 et 9-2 du code de procédure pénale)
Élargissement du principe de prescription glissante aux victimes majeures

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article supprime des articles 7 et 9-2 du code de procédure pénale (CPP) les termes relatifs aux mineurs, élargissant l’application de leurs dispositions aux victimes majeures. Il prolonge ainsi le délai de prescription de certains crimes et élargit aux victimes majeures le principe de prescription glissante et les cas d’interruption du délai de prescription pour une autre procédure impliquant le même auteur.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 10 de la loi n° 2021‑478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a modifié les articles 7 et 9-2 du CPP en créant le principe de prescription glissante pour les victimes mineures de viol, ainsi que le mécanisme d’interruption de la prescription dans les autres procédures impliquant un même auteur pour la commission d’un viol, d’une agression ou d’une atteinte sexuelle.

       Position de la Commission

La Commission a modifié l’article 2 en supprimant l’allongement à trente années, au lieu de vingt, du délai de prescription pour les victimes majeures de crimes de meurtre ou d’assassinat commis en état de récidive légal, de tortures ou d’actes de barbarie ou de viol.

 

  1.   L’État du droit
    1.   Les délais de prescription en matière pénale

Fixés par le code de procédure pénale, les délais de prescription, dont l’expiration éteint la possibilité de poursuivre l’auteur d’une infraction, ont été réformés en 2017 ([9]).

● Dorénavant, l’action publique des crimes se prescrit par vingt années à compter du jour où l’infraction est commise ([10]). Certains crimes sont quant à eux soumis à un délai dérogatoire qui prévoit que l’action publique se prescrit :

– par trente années pour certains crimes ([11]) : actes de terrorisme ([12]), trafic de stupéfiants ([13]), infractions relatives aux armes nucléaires, chimiques, biologiques ou de destruction massive ([14]), crimes d’eugénisme et de clonage reproductif ([15]), disparition forcée ([16]) et crimes de guerre ([17]) ;

– depuis 2018 ([18]), par trente années également pour les crimes sexuels sur mineur ([19]), ce délai commençant à courir à compter de la majorité de la victime ;

– enfin, le dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale dispose que l’action publique des crimes de génocide et des autres crimes contre l’humanité ([20]) est imprescriptible.

● L’action publique des délits se prescrit par six années à compter du jour où l’infraction est commise ([21]). Certains délits sont soumis à un délai dérogatoire qui prévoit que l’action publique se prescrit :

 par dix ans, à compter de la majorité de la victime, pour certains délits lorsqu’ils sont commis sur un mineur : abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse ([22]), sujétion psychologique ou physique ([23]), agressions sexuelles, traite des êtres humains, proxénétisme, recours à la prostitution, corruption de mineur, proposition sexuelle ou encore les délits en lien avec la pédopornographie ([24]) ;

– par dix ans, à compter de la majorité de la victime, pour le délit de défaut d’information des autorités par quiconque ayant connaissance d’agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ([25]) ;

– par dix ans pour les délits liés aux armes chimiques, nucléaires, biologiques ou de destruction massive lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement ;

– par vingt ans, à compter de la majorité de la victime, pour certains délits commis sur un mineur de quinze ans : violences ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours ([26]), agressions sexuelles (autres que le viol) commises par violence, contrainte menace ou surprise ([27]), ainsi que les atteintes sexuelles ([28]) ;

– par vingt ans, à compter de la majorité de la victime, pour le délit de défaut d’information des autorités par quiconque ayant connaissance d’un viol commis sur un mineur ;

– par vingt ans pour les délits liés au terrorisme ([29]), au trafic de stupéfiants ([30]) et les délits de guerre ([31]).

● Par ailleurs, l’article 9-2 du CPP prévoit que la prescription est interrompue par différents actes d’enquête et de jugement ([32]), et que cette interruption est applicable aux infractions connexes ainsi qu’aux auteurs ou complices non visés par l’un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt.

  1.   La création en 2021 du principe de « prescription glissante »

L’article 10 de la loi n° 2021‑478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a complété l’article 7 du code de procédure pénale par une disposition spécifique aux crimes de viol commis sur un mineur. Pour un tel crime, si l’auteur commet, avant l’expiration du délai de trente années, un nouveau viol, une agression ou une atteinte sexuelle sur un autre mineur, le délai de prescription du premier viol est prolongé jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction, lorsque cette date est la plus tardive.

Les deux infractions se prescrivent alors à la même date, permettant ainsi de juger concomitamment l’ensemble des faits commis, dès lors que l’un d’entre eux échappe à la prescription.

Ce principe de prescription glissante s’applique également aux délits d’agression et d’atteinte sexuelle sur mineurs. L’article 8 du CPP prévoit que la commission d’un nouveau délit de ce type sur un autre mineur par le même auteur conduit à prolonger le délai de prescription de la première infraction jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction.

L’article 9-2 du même code a lui aussi été modifié par la loi du 21 avril 2021 afin de prévoir qu’un acte d’enquête ou de jugement interrompt la prescription non seulement dans l’affaire considérée, mais aussi dans les autres procédures dans lesquelles serait reprochée au même auteur la commission d’un autre viol, agression ou atteinte sexuelle sur un autre mineur.

  1.   Le dispositif proposÉ

Le présent article supprime des articles 7 et 9-2 du code de procédure pénale les termes relatifs aux mineurs, entraînant plusieurs conséquences :

– l’élargissement aux victimes majeures de viol du principe de prescription glissante ;

– l’élargissement aux victimes majeures de viol ou d’agression sexuelle des dispositions du dernier alinéa de l’article 9-2 prévoyant que l’interruption de la prescription concerne également les autres procédures dans lesquelles un de ces faits serait reproché au même auteur ;

– s’agissant des victimes majeures, allongement à trente années, au lieu de vingt, du délai de prescription pour les crimes de meurtre ou d’assassinat commis en état de récidive légal, de tortures ou d’actes de barbarie ou de viol. Cette troisième modification résulte toutefois d’une erreur rédactionnelle qui a vocation à être corrigée. Votre rapporteure proposera pour cela un amendement qui reviendra sur cette conséquence.

  1.   la position de la commission

La Commission a adopté l’amendement CL27 de votre rapporteure qui corrige une erreur rédactionnelle, supprimant ainsi l’allongement à trente années, au lieu de vingt, du délai de prescription pour les victimes majeures de crimes de meurtre ou d’assassinat commis en état de récidive légal, de tortures ou d’actes de barbarie ou de viol.

 

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Article 3 (supprimé)
(art. 222-14-3 du code pénal)
Précisions relatives à la notion de violences psychologiques

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article complète l’article 222-14-3 du code pénal pour définir certains comportements répétés constituant des violences psychologiques.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 222-14-3 du code pénal a été créé par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

 

  1.   L’État du droit
    1.   La notion de violences psychologiques
      1.   La notion de violences psychologiques est anciennement prise en compte par la jurisprudence de la Cour de cassation

Depuis un arrêt du 19 février 1892, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que les violences réprimées par la loi peuvent s’entendre de celles qui « sans atteindre matériellement la personne sont cependant de nature à provoquer une sérieuse émotion ».

Les actes destinés à provoquer un trouble psychologique sont donc pris en compte par le juge, comme le rappelle explicitement en 2005 la Cour de cassation : « le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique » ([33]). En 2008, la chambre criminelle confirme que « le délit de violences est constitué, même sans atteinte physique de la victime, par tout acte de nature à impressionner vivement celle-ci et à lui causer un choc émotif » ([34]).

  1.   En 2010, plusieurs modifications législatives permettent d’améliorer la prise en compte des violences psychologiques par le droit pénal

Les violences psychologiques, commises notamment au sein du couple, ont fait l’objet d’une attention spécifique dans le rapport de 2009 de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes ([35]). Puisqu’elles ne laissent pas de « traces aisément identifiables et médicalement objectivables », les violences psychologiques sont souvent difficiles à repérer. Celles-ci apparaissent pourtant comme massives. « Les psychologues et les acteurs de terrain entendus par la mission ont également fait mention de la fréquence des situations de violences psychologiques au sein du couple, qui se caractérisent par leur intensité et leur diversité, aboutissant à constituer un phénomène d’emprise » ([36]).

Face à ces constats et considérant que les violences psychologiques et l’emprise étaient insuffisamment cernées par le droit pénal, le rapport proposait d’introduire dans le code pénal un délit de violences psychologiques au sein du couple en se fondant sur la définition du harcèlement moral ([37]). Pour la mission d’évaluation, il est en effet nécessaire de « fixer les limites des chocs émotionnels qui peuvent constituer l’élément matériel des violences » ([38]).

Dans la continuité de cette recommandation, la loi de 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants procède à deux modifications législatives notables dans le code pénal ([39]) :

– d’une part, il est précisé, dans un nouvel article 222-14-3, que les violences sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ;

– d’autre part, le nouvel article 222-32-1 crée un délit de harcèlement au sein du couple, puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([40]), qui sanctionne les « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de conditions de vie [de la victime] se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».

  1.   La notion d’emprise

La notion d’emprise n’est entrée dans le code pénal qu’avec la loi du 30 juillet 2020 qui a rendu possible la levée du secret médical lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci se trouve sous l’emprise de son auteur ([41]). Cette notion est également insérée dans le code civil, notamment à l’article 255 pour exclure la médiation en cas de violence ou d’« emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint ».

Cette loi consacre ainsi pour la première fois au niveau législatif la notion d’emprise en matière de violences au sein de la famille.

  1.   Le dispositif proposÉ
    1.   La notion de contrôle coercitif

Si la notion d’emprise est dorénavant présente dans le droit positif, elle n’est toutefois pas définie et ne constitue pas une infraction en soi.

Comme le note le rapport de la députée Emilie Chandler et de la sénatrice Dominique Vérien remis au Garde des Sceaux en mai 2023, « il n’existe pas dans le code pénal de définition de la violence conjugale qui permettrait de différencier les confits de couple – où les personnes sont à égalité – des situations d’emprise ou de domination. L’emprise au sein du couple n’a pas de traduction juridique. La notion de contrôle coercitif, qui fait l’objet d’une infraction pénale spécifique dans certains pays, renvoie à un type de comportement contrôlant ou coercitif de la victime et peut potentiellement amener à une réflexion plus poussée sur ce qui définit les violences conjugales du côté de l’auteur, que sa traduction soit une infraction ou un outil d’évaluation » ([42]).

La jurisprudence a récemment fait sienne cette notion de contrôle coercitif. En effet, le 31 janvier 2024, cinq arrêts de la cour d’appel de Poitiers ont confirmé des condamnations pour violences, menaces ou harcèlement au sein du couple en analysant les faits dans leur ensemble « comme la mise en place d’un contrôle coercitif » dans lequel les infractions se contextualisent.

Ces arrêts expliquent que les agissements considérés sont « divers et cumulés » et que « pris isolément, ils peuvent être relativisés. Identifiés, listés et mis en cohérence, ils forment un ensemble : les outils du contrôle coercitif. Ils visent à piéger la femme dans une relation où elle doit obéissance et soumission à un individu qui s’érige en maître », selon les cas, du domicile, du fonctionnement familial ou encore de la relation.

La variété des agissements identifiés par les arrêts du 31 janvier 2024 :
quelques exemples

Comme l’expliquent les arrêts, les agissements des mis en cause doivent être analysés comme un ensemble. Pris isolément, ils peuvent être relativisés et ne sont pas nécessairement répréhensibles.

Ces agissements sont divers et c’est leur cumul qui en fait des outils du contrôle coercitif. Les arrêts du 31 janvier 2024 de la cour d’appel de Poitiers mettent en avant des agissements variés, tels que :

– enregistrements ;

– suivi des déplacements par GPS, pose de traceur sur un véhicule ;

– contrôle du linge et notamment des sous-vêtements ;

– jalousie, interdiction de parler à d’autres hommes ;

– confiscation du téléphone, vérification des messages envoyés ou reçus ;

– enfermement de la victime au domicile ;

– actes de violence : claque au visage, tirage de cheveux ;

– propos de dénigrement et de dévalorisation ;

– contrôle des ressources alimentaires ;

– sabotage stratégique des relations familiales, amicales, professionnelles ;

– insultes ;

– climat de violences, destruction de meubles, coups dans les murs ;

– menaces de mort...

Ces arrêts analysent, pour chacune des cinq affaires concernées, le cumul de certains de ces agissements comme la mise en place d’un contrôle coercitif. Ils rappellent que « la violence intrafamiliale doit être alors analysée comme une forme de violence sociale. Le cadre est l’affirmation du pouvoir sur l’autre. Le principe est la domination. Les moyens sont les tactiques diverses et cumulées. Le tout vise à contrôler, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer, contraindre » et expliquent que « la stratégie de l’auteur est fondée sur la micro-régulation du quotidien de la femme, par une série d’actes repérables dans les procédures judiciaires. La violence physique n’est que la partie la plus visible de cet échafaudage de comportements. Le contrôle coercitif est permanent et cumulatif. Ce schéma de conduite calculé est déployé pour contrôler la vie des femmes ».

Ils ajoutent que « les manœuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ont pour effet de diminuer la capacité d’action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion. Les conséquences en sont le psycho-traumatisme, le mal-développement ou la carence et donc le dommage moral. Elles aboutissent à une altération de la santé de la femme, notamment en la contraignant à vivre dans un climat de crainte pour sa sécurité et où celle de ses enfants, auquel elle s’adapte constamment ».

Ils précisent enfin que « le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains, en ce qu’il empêche de jouir de ses droits fondamentaux comme la liberté d’aller et venir, de s’exprimer, de penser, d’entretenir des liens familiaux » ou des « liens personnels, professionnels et sociaux ».

  1.   La définition retenue par la proposition de loi

S’inspirant directement de ces jurisprudences et de la notion de contrôle coercitif, l’article 3 de la proposition de loi insère dans le code pénal une précision qui caractérise certains actes, dont le cumul conduit à une forme de contrôle coercitif, comme étant constitutifs de violences psychologiques. Pour ce faire, l’alinéa suivant est ajouté à l’article 222-14-3 du code pénal :

« Les manœuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ayant pour effet de diminuer la capacité d’action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion constituent des violences psychologiques. »

  1.   la position de la commission

La Commission a rejeté cet article.

*

*     *

Article 4 (nouveau)
Rapport sur la formation au traitement des violences sexistes et sexuelles sur majeurs et sur mineurs

Introduit par la Commission

Introduit par l’adoption de l’amendement CL19 de Mme Élise Leboucher, cet article prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 1er juin 2025, un rapport sur une enquête organisée par l’inspection générale de l’administration ainsi que le ministère de la Justice, sur la formation au traitement des violences sexistes et sexuelles sur majeurs et sur mineurs. Le rapport porte notamment sur les besoins en formation initiale et continue concernant l’accueil des victimes et de la prise de plainte dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie, ainsi que les spécificités de ces infractions à l’attention des magistrats.


   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 22 janvier 2025, la Commission examine la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (n° 669) (Mme Maud Bregeon, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/1hK8JN

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Avant d’en venir aux dispositions de la proposition de loi, je souhaiterais rappeler quelques grands enjeux que nous devrons garder à l’esprit tout au long de nos débats. Le texte comporte trois articles qui touchent au code civil, au code pénal et au code de procédure pénale. Les dispositions proposées sont donc très différentes mais poursuivent un même objectif : améliorer notre arsenal juridique pour renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Deux types de violences sont ici visés : d’une part, les violences sexuelles, plus particulièrement les crimes de viol ; d’autre part, les violences commises au sein du couple. Je voudrais rappeler le caractère massif de ces violences. En 2023, les services de sécurité ont enregistré 271 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire et 114 000 victimes de violences sexuelles. Ces chiffres ne sont que la face émergée de l’iceberg : les estimations globales sont bien plus élevées, une très large majorité des victimes ne faisant pas la démarche de déposer plainte. Selon le ministère de l’intérieur, ce sont seulement 6 % des victimes de violences sexuelles et 14 % des victimes de violences conjugales qui se tournent vers les forces de sécurité. Que ce soit pour les violences sexuelles ou celles au sein du couple, au moins 85 % des victimes sont des femmes.

Selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles ; autrement dit, un enfant est victime d’un viol ou d’une agression sexuelle toutes les trois minutes. Dans 81 % des cas, l’agresseur est un membre de la famille ; en moyenne, les victimes avaient 8 ans et demi lorsque les violences ont commencé ; près de 40 % des victimes ont subi un ou plusieurs viols ; dans 97 % des cas, l’agresseur est un homme et dans 81 % des cas, il est majeur ; dans 97 % des cas, enfin, les pédocriminels ne sont pas condamnés.

Qu’elles soient commises à l’encontre des femmes ou des enfants, ces violences sont donc massives. C’est l’une des spécificités de notre discussion d’aujourd’hui : nous ne parlons pas de crimes rares, de victimes isolées, de cas particuliers et uniques, mais au contraire d’une dramatique réalité quotidienne. Nous parlons de centaines de milliers de victimes, de centaines de milliers de femmes et d’enfants qui sont agressés dans leur chair et voient parfois leur vie détruite.

C’est sans doute une autre spécificité de ces infractions : ces violences ont le plus souvent de très lourdes conséquences sur les victimes. Selon la Ciivise, 90 % des victimes mineures de violences sexuelles avaient développé des troubles associés au psychotraumatisme, autrement appelés troubles du stress post-traumatique. Ces troubles, et les conséquences psychiques et physiques qu’ils peuvent engendrer, appellent un traitement judiciaire spécifique.

L’article 1er de la proposition de loi (PPL) rend imprescriptibles en matière civile les crimes de torture et d’actes de barbarie, ainsi que les violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur. Lorsqu’en 2008, le législateur a modifié le code civil pour réformer les délais de prescription de l’action en responsabilité, il a fait le choix de fixer un délai dérogatoire pour ces infractions considérées comme particulièrement graves et causant des dommages corporels spécifiques. Il est proposé de respecter la cohérence de l’article 2226 du code civil mais de substituer au délai de prescription de vingt ans l’imprescriptibilité. Cette proposition relancera sans doute le débat sur l’imprescriptibilité de ces infractions en matière pénale. Nous aurons l’occasion d’en reparler plus précisément lors de l’examen des amendements.

Il est insupportable, pour une victime de violences sexuelles, de s’entendre dire : « C’est trop tard, la justice ne peut plus rien pour vous. » Les crimes sexuels, notamment lorsqu’ils sont commis sur mineurs, sont particulièrement difficiles à révéler. L’effet de l’amnésie traumatique peut tout simplement empêcher la victime de dénoncer des faits que son cerveau a refoulés. Et d’une façon générale, plus l’agresseur est proche de la victime, plus la révélation des faits est difficile, et donc tardive. Or, l’écrasante majorité des auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs sont des proches. La Ciivise donne des chiffres éclairants à ce sujet : lorsque l’auteur est un proche, seuls 12 % des victimes dénoncent les faits au moment où ils sont commis ; ce chiffre tombe même à 9 % lorsque l’infraction est constitutive d’un inceste.

Nous devons laisser aux victimes le temps de parler et de dénoncer les faits, en préservant leur possibilité d’accéder à la justice et d’obtenir, le cas échéant, réparation du préjudice qu’elles ont subi. Nous devons aussi faire en sorte que leur parole soit accueillie par nos institutions et qu’elles soient reconnues comme victimes. C’est un point incontournable sur lequel nous ne pouvons plus faire l’impasse.

Donner du temps aux victimes, c’est également l’objectif de l’article 2. Nous avons adopté en 2021, en matière pénale cette fois, une loi instaurant le principe de prescription glissante pour les victimes mineures de viol, d’agression ou d’atteinte sexuelle. Auparavant, lorsqu’un auteur violait ou agressait sexuellement plusieurs victimes, chacune d’entre elles se voyait appliquer un délai de prescription différent. Lorsque l’auteur était finalement poursuivi en justice, les victimes les plus anciennes, celles dont l’affaire était prescrite, ne participaient au procès qu’en tant que simples témoins – une réalité intolérable lorsque l’on a subi la même infraction.

Dans les affaires mettant en cause des agresseurs sériels, notamment des violeurs en série, la prescription glissante permet dorénavant que l’ensemble des faits commis puissent être jugés ensemble car ils se voient appliquer un même délai de prescription, celui de la dernière infraction commise. Les victimes sont ainsi sur un pied d’égalité et les actes criminels sont appréhendés dans leur intégralité. Pour l’heure, cette prescription glissante ne s’applique qu’aux victimes mineures ; il est proposé de l’étendre aux victimes majeures ayant subi un crime de viol. Une telle évolution me semble nécessaire pour deux raisons. D’une part – et c’est une triste réalité – parce que le plus souvent, le violeur ne s’arrête pas à un viol. De grandes affaires judiciaires récentes ou passées en attestent. Nous devons donner à notre droit les moyens de mieux réprimer ces infractions sérielles. D’autre part, en l’état du droit, une jeune femme de 18 ou 19 ans qui ferait partie des victimes d’un violeur en série, aux côtés de mineures, ne pourrait bénéficier pour sa part de la prescription glissante. C’est une situation injuste et incohérente, à laquelle nous devons remédier.

L’article 3 concerne les violences commises au sein du couple. Il y a environ un an, la cour d’appel de Poitiers a rendu cinq arrêts confirmant des condamnations pour violences, menaces ou harcèlement au sein du couple, dans lesquels les faits qu’elle contextualise et analyse dans leur ensemble révèlent un contrôle coercitif. Largement inspirés du travail de plusieurs auteurs, notamment de la psychologue Andreea Gruev-Vintila, ces arrêts soulignent que les agissements considérés sont divers et cumulés et que, s’ils peuvent être relativisés lorsqu’ils sont pris isolément, ils forment en réalité, si on les analyse dans leur ensemble, un tout cohérent qui conduit au contrôle coercitif. Ces actes, pouvant aller de violences physiques au contrôle des sous-vêtements ou à la géolocalisation permanente, participent d’une stratégie visant à piéger la victime dans une relation où elle doit obéissance et soumission à l’auteur des faits. Les arrêts de la cour d’appel soulignent la gravité de ces agissements, en considérant que « le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains ».

L’article 3 tente d’intégrer cette notion de contrôle coercitif dans le code pénal en insérant un nouvel alinéa dans l’article relatif aux violences psychologiques. Cet alinéa, de nature interprétative, précise simplement que certains actes, dont le cumul conduit à une forme de contrôle coercitif, sont constitutifs de violences psychologiques.

Je préfère le dire dès à présent : la rédaction actuelle ne me semble pas aboutie. D’abord, elle n’est ni suffisamment claire ni suffisamment complète. Ensuite, le fait d’introduire la notion dans l’article relatif aux violences psychologiques la réduit à ce seul champ alors qu’elle est beaucoup plus large. Enfin, il est contre-productif de ne pas utiliser les termes « contrôle coercitif » : pour intégrer cette notion dans notre droit positif, nous devons la nommer clairement.

Nous aurons donc à remanier cet article, et j’espère que nos échanges d’ici la séance nous permettront d’aboutir à une rédaction satisfaisante tant pour la cohérence de notre droit que pour une meilleure prise en compte de la situation des victimes.

Bien sûr, ce texte n’est pas une loi-cadre sur les violences sexuelles et sexistes. Il ne doit d’ailleurs pas occulter les autres mesures qui seront nécessaires pour réduire le nombre d’agressions sexuelles et pour mieux prendre en charge les victimes. Il ne doit pas non plus nous conduire à oublier les progrès réalisés ces dernières années dans l’accueil et l’accompagnement des celles-ci.

Ce texte s’attache à résoudre les problèmes précis qui ont été relevés par les spécialistes de terrain et par les associations de victimes. C’est un texte court, mais il traite de questions majeures. Je souhaite que notre débat soit l’occasion d’avancer de la façon la plus concrète possible.

À titre personnel, je pense que nous aurions gagné à disposer de davantage de temps pour réfléchir, échanger et auditionner – nous avons débuté nos auditions vendredi dernier. Je remercie les collègues qui se sont jointes à moi, notamment Émilie Bonnivard et Sandra Regol, pour essayer d’améliorer la proposition de loi ; nous pourrons continuer aujourd’hui en commission, puis dans l’hémicycle. Fort heureusement, le travail n’est pas terminé ; nous ne sommes qu’en première lecture. Je forme le vœu que nous disposions du temps nécessaire, dans la suite du parcours législatif du texte, pour étudier les notions complexes qu’il comporte.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Sophie Blanc (RN). La proposition de loi soulève des enjeux majeurs, tant sur le plan du traitement judiciaire que sur celui de la protection des victimes. Les violences qui touchent chaque année des centaines de milliers d’enfants et de femmes constituent une plaie béante dans notre société et il est de notre devoir de proposer des réponses efficaces et justes. Si certaines dispositions méritent d’être saluées, d’autres appellent une réflexion approfondie.

Rappelons que la France dispose déjà d’un arsenal juridique parmi les plus complets pour réprimer les violences sexuelles. Allongement des délais de prescription, mise en place du bracelet antirapprochement, criminalisation des relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans : autant de mesures importantes qui témoignent d’un effort continu pour mieux protéger les victimes. Pourtant, comme en attestent les chiffres, il reste encore un long chemin à parcourir. Face à ce constat, l’intention affichée par le texteest légitime mais la pertinence des mesures qu’elle prévoit doit être questionnée.

L’article 1er, qui prévoit l’imprescriptibilité civile des viols commis sur des mineurs, soulève une interrogation fondamentale : celle de la reconnaissance et de la réparation des préjudices subis par des victimes parfois réduites au silence pendant des décennies. Si l’objectif est louable, il nous semble cependant nécessaire de réserver l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité qui revêtent un caractère unique et universel. En ce qui concerne les crimes visés par cette proposition, nous estimons qu’un allongement du délai de prescription à trente ans permettrait de parvenir à un équilibre pertinent. Il permettrait à la fois de mieux répondre aux attentes des victimes et de garantir la sécurité juridique.

L’article 2, qui étend la prescription glissante des crimes sexuels à l’ensemble des victimes, constitue une piste intéressante. Ce mécanisme, déjà applicable pour les crimes commis à l’encontre de mineurs, permet de mieux appréhender les comportements criminels, notamment ceux des prédateurs sexuels.

L’article 3, qui introduit la notion de contrôle coercitif dans le code pénal, marque une avancée dans la reconnaissance des formes insidieuses de violences conjugales. Inspirée des législations britannique et canadienne, cette notion vise à mieux réprimer les comportements d’asservissement psychologique. Elle doit cependant être strictement définie pour éviter tout risque d’interprétation excessive ou abusive.

Si la proposition de loi entend combler certaines lacunes, elle ne traite pas le problème de fond : la faiblesse de la réponse pénale face aux violences sexuelles et conjugales. Les peines prononcées sont souvent trop légères au regard de la gravité des faits pour être réellement dissuasives. C’est encore plus vrai pour les peines exécutées, sous l’effet notamment des mécanismes de réduction de peine.

De plus, la surreprésentation des délinquants étrangers dans les infractions sexuelles ne fait l’objet d’aucun traitement spécifique. Le rapport du service statistique ministériel de la sécurité intérieure est sans appel : dans les réseaux de transport franciliens, 63 % de ces infractions sont commises par des étrangers.

Notons enfin l’idéologie sous-jacente de certaines dispositions. Si le contrôle coercitif est une réalité qu’il faut reconnaître et combattre, il ne faudrait pas que l’élargissement des définitions légales transforme notre droit pénal en un instrument de suspicion généralisée. La lutte contre les violences sexuelles et psychologiques doit reposer sur un principe fondamental : le seul responsable, c’est l’agresseur. La multiplication des nouvelles incriminations ou des dispositifs complexes ne compensera pas l’absence de moyens alloués à l’enquête et à la répression.

Si la proposition de loi contient des avancées notables, elle reste incomplète. L’amélioration de la lutte contre les violences exige plus qu’une accumulation de textes : elle passe par des moyens accrus pour notre justice, une réponse pénale ferme et une politique migratoire maîtrisée. Tout en saluant certains articles du texte, notre groupe continuera donc à défendre des mesures concrètes.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Chaque année, plusieurs centaines de milliers de femmes et d’enfants sont victimes de violences de la part d’un proche ou d’un ex‑conjoint dans notre pays. Cette réalité découle de la société patriarcale dans laquelle nous vivons depuis toujours. Le procès des cinquante et un violeurs de Gisèle Pelicot l’a tristement illustrée ; certains propos intolérables d’avocats de la défense sont l’exemple parfait de la banalisation des violences sexuelles et de la culture du viol dans notre pays. C’est cette réalité qu’il nous faut regarder en face et combattre.

La proposition de loi rédigée par Aurore Bergé, dont je tiens à saluer l’engagement permanent dans ce combat, s’inscrit dans la continuité de plusieurs autres lois importantes adoptées depuis 2017. Elle est marquante parce qu’elle fait de la lutte contre les violences faites aux femmes un prérequis non négociable à l’égalité entre les femmes et les hommes et parce qu’elle propose d’inscrire dans notre droit des mesures indispensables.

Les deux premiers articles prévoient l’imprescriptibilité civile des viols commis sur des mineurs et élargissent le dispositif de prescription glissante aux majeurs victimes de crimes ou de délits sexuels. S’agissant de la première disposition, je proposerai, avec d’autres collègues, de reconnaître également l’imprescriptibilité pénale des crimes et délits sexuels : c’est une mesure attendue par les personnes qui en ont été victimes dans leur enfance. La seconde disposition s’inscrit dans le prolongement de la loi Billon que nous avons adoptée en 2021 ; elle nous permettra de mieux protéger les victimes majeures en prenant mieux en compte la sérialité des crimes et la récidive.

L’objectif de ces deux premiers articles est de permettre à toutes les victimes de pouvoir obtenir réparation, quel que soit leur parcours, quel que soit le temps qu’il leur faudra pour briser l’omerta ou pour surmonter la dure réalité d’une amnésie traumatique. Ces personnes n’ont plus à prendre perpète pour les crimes qu’elles ont eu à vivre.

L’article 3 introduit dans le code pénal la notion de contrôle coercitif. Nous nous félicitons d’aborder ce sujet – une première pour notre commission. Nous ne parviendrons sans doute pas à une rédaction finale aujourd’hui mais il est essentiel que nous évoquions les nombreuses questions que soulève cette notion. Les travaux du collège thématique de l’observatoire des litiges judiciaires de la Cour de cassation, qui devraient être rendus d’ici juin, seront sans doute éclairants.

La rédaction proposée reprend les arrêts prononcés par la magistrate Gwenola Joly‑Coz, dont je tiens à saluer l’engagement. S’ils ne peuvent être retranscrits tels quels en droit – c’est ce qui ressort des auditions –, ces arrêts constituent un début de reconnaissance, par la jurisprudence, d’un mécanisme théorisé par le sociologue Evan Stark et déjà criminalisé dans d’autres pays. La notion de contrôle coercitif vient compléter celle d’emprise en se plaçant non plus du côté de la victime et des conséquences de la violence, mais du côté de l’auteur dont le comportement est analysé. Elle permet de mieux cerner les mécanismes à l’œuvre dans les violences intrafamiliales et d’identifier les signaux faibles de celles-ci. Elle permet aussi d’appréhender plus justement la période suivant une séparation, au cours de laquelle la violence se perpétue et peut atteindre un niveau de dangerosité extrême, voire aboutir à un féminicide.

Il nous appartient de définir un cadre clair pour sanctionner ce mécanisme criminel. Faut-il créer une infraction autonome ? Faut-il le définir comme une circonstance aggravante ? Devons-nous considérer le contrôle coercitif comme une clé de compréhension globale des violences sexuelles, ce qui nous conduirait à revoir en profondeur le traitement par le code pénal des violences sexuelles et sexistes, ainsi que des violences intrafamiliales ? Voilà les questions que nous aurons à aborder.

Après l’investiture de Donald Trump et alors que nous assistons à l’explosion des discours antidroits et masculinistes, il nous paraît indispensable de débattre de ce texte qui adresse en ces temps de crise un message fort et important à toutes les femmes et à tous les enfants victimes de violences : elles et ils ne sont pas seuls, car nous nous tenons à leurs côtés. C’est pour ces raisons que le groupe EPR votera ce texte.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles ; toutes les trois minutes, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agressions sexuelles ; trois enfants par classe sont concernés ; 97 % des agresseurs sont des hommes, qui ont en commun d’avoir profité d’une domination sur leur victime procurée par l’âge, l’autorité ou le statut. Derrière ces chiffres de la Ciivise, qui nous sidèrent toutes et tous et que nul ne peut plus ignorer, ce sont des vies percutées. Sur dix mineurs victimes de violences sexuelles, neuf développent des troubles du stress post-traumatique qui auront un impact sur leur vie adulte. À la violence des faits s’ajoute celle du déni de la société. Près d’un enfant sur deux n’est pas mis en sécurité et ne bénéficie pas de soins au moment où il révèle les violences. Seulement 3 % des viols et agressions sexuelles commis chaque année sur des enfants donnent lieu à une condamnation des agresseurs – 1 % même en cas d’inceste.

Au coût inestimable de l’atteinte à l’intégrité des enfants, il convient d’ajouter le coût des violences pour la société – 9,7 milliards d’euros selon la Ciivise. Outre les coûts immédiats – 34 millions pour les urgences et hospitalisations, 1 676 millions pour l’accueil et l’accompagnement des victimes et 821 millions pour la police et la gendarmerie –, il faut tenir compte des conséquences à long terme : la perte de productivité, estimée à 844 millions d’euros, et l’amplification des conduites à risque, à hauteur de 2 609 millions d’euros. Ces chiffres sont froids mais nécessaires pour prendre conscience de l’ampleur du fléau.

Comme le rappelle le magistrat Édouard Durand, une scène de violences sexuelles n’est pas un face-à-face privé entre victime et agresseur. Elle implique un troisième protagoniste : la société, avec ses institutions. Jusqu’à maintenant, ce tiers a failli à sa responsabilité. Il est donc urgent de renverser les choses, mais nous considérons que la proposition de loi n’atteint pas cet objectif. Elle soulève plusieurs inquiétudes quant à son efficacité d’abord. Les professionnels de la justice soulignent qu’avec le passage du temps, le risque de dépérissement des preuves augmente et, avec lui, celui du non-lieu ou de l’acquittement – d’autant plus que la justice civile ne dispose pas des mêmes moyens d’enquête et d’instruction qu’en matière pénale.

La PPL renvoie d’ailleurs à une justice civile exsangue, aux effectifs insuffisants. Face à l’état de délabrement de la justice française, nous ne pouvons que regretter le rejet de nos amendements qui visaient à augmenter ses moyens. Lors de l’examen du projet de loi de finances, vous vous êtes opposés en commission des lois au recrutement de 603 magistrats spécialisés dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et vous avez refusé la création de 500 postes de greffiers.

En quoi cette PPL permettra-t-elle une libération de la parole des victimes de violences sexuelles, alors que 80 % d’entre elles ne portent pas plainte et qu’un nombre important de ces plaintes sont en outre classées sans suite, faute de preuve ? Nous ne pouvons pas nous contenter d’ajustements marginaux de la procédure.

Il est urgent de passer d’une culture du déni et du silence à une culture de la protection et de la lutte contre l’impunité. C’est pourquoi nous défendons l’adoption d’une loi-cadre de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Il nous faut une approche globale : les victimes doivent bénéficier d’une protection face à leur agresseur et d’une prise en charge complète. Qu’il s’agisse de l’éducation nationale, des travailleurs sociaux, de la protection judiciaire de la jeunesse, des professionnels de santé ou de la justice, les acteurs qui accompagnent les enfants ont un rôle essentiel à jouer dans le repérage des violences, dans la lutte contre l’impunité et dans la prévention. Mais pour cela, ils ont besoin de moyens et de formation. L’objectif est que les violences cessent et que la culture du viol et de l’impunité disparaisse. Pour nos enfants, pour notre humanité, nous devons être plus ambitieux.

Sur les quatre-vingt-deux préconisations que compte le rapport de la Ciivise, vous n’en avez retenu qu’une. Allons plus loin en renforçant les moyens des services sociaux et des services de santé scolaire de la maternelle au lycée – préconisation 18 – ; en étendant la formation des magistrats sur les violences sexuelles faites aux enfants à tous les magistrats spécialisés – préconisation 59 – ; en garantissant la prise en charge par la solidarité nationale de l’intégralité du coût du parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme – préconisation 62 – ; ou encore en assurant la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective et en garantissant un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge – préconisation 80.

Vous l’aurez compris, nous voterons contre ce texte qui n’aura pas les effets escomptés dans la lutte contre les violences sexuelles sur mineurs. Nous appelons de nos vœux des politiques publiques à la hauteur de la protection que nous devons aux enfants.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Dans 91 % des cas, les victimes de violences sexuelles – principalement des femmes – connaissent leur agresseur ; une femme sur six fait son entrée dans la sexualité par un rapport sexuel non consenti ni désiré ; 96 % des plaintes pour viol sont classées. Ces chiffres font réellement froid dans le dos.

Les violences faites aux femmes devaient être la grande cause du premier quinquennat Macron, puis du second. Grande cause, petits effets. Quel décalage entre les ambitions affichées, les moyens réels et les mesures prises !

Cette proposition de loi, dont l’écriture nous semble bâclée, s’inscrit dans la droite ligne des mesurettes, des bricolages, voire des rafistolages des macronistes, là où nous attendions une grande loi-cadre avec les 140 mesures proposées par des associations, sur le modèle espagnol qui fait ses preuves depuis 2004.

L’article 1er, qui vise à rendre imprescriptibles sur le plan civil les infractions sexuelles sur mineurs, pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Les professionnels vous l’ont dit : il crée une rupture d’égalité entre les victimes selon  les auteurs de crimes. Qui va croire qu’en dehors d’un aveu, il serait plus facile d’apporter la preuve civile d’un viol ou d’une agression sexuelle quarante ans après les faits ? Quoi qu’il en soit, en matière civile, la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité doit être apportée. Ce n’est pas plus facile qu’en droit pénal, contrairement à ce qui a été dit, et il est mensonger de le faire croire aux victimes. Leur dire qu’elles pourront obtenir réparation, c’est de la poudre de perlimpinpin. Vous n’avez même pas prévu de faire intervenir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction.

Revenir encore sur la prescription pour ce sujet bien précis n’est satisfaisant ni juridiquement, ni philosophiquement. C’est un entre-deux que nous trouvons particulièrement gênant. Une réflexion globale doit être menée de façon transpartisane sur la question des prescriptions ; nous n’y sommes pas opposés. Mais le droit à l’oubli est un principal cardinal du droit français : seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Il n’est pas acceptable d’ouvrir dans ce texte la question des prescriptions, même au plan civil, pour certains crimes et délits et pas pour d’autres ; les professionnels vous l’ont dit.

S’agissant de l’article 2, il est très regrettable de ne pas disposer d’étude d’impact sur les lois de 2018 et 2021. Il est essentiel de savoir si la précédente réforme a soulevé des difficultés et si elle a permis d’avancer.

Enfin, l’article 3 a le mérite de poser la question du contrôle coercitif. Il y répond mal, vous l’avez reconnu, madame la rapporteure, car sa rédaction est insatisfaisante. Il reprend mot pour mot les célèbres arrêts rendus par la cour d’appel de Poitiers, montrant d’ailleurs que le droit existant pourrait peut-être suffire. Tel qu’il est rédigé, il ne reflète pas du tout la réalité fort complexe et étendue du contrôle coercitif, qui recouvre aussi les violences économiques, administratives et judiciaires.

Pour protéger réellement les victimes, il nous faut travailler à une rédaction minutieuse de cet article. Une rédaction imparfaite ou prolixe donne des armes aux auteurs de violences. Je me permets d’insister sur ce point : bien écrire, c’est donner aux victimes la possibilité d’engager une action contre les auteurs. N’oublions pas que les comportements répréhensibles visés par ce texte sont ceux de personnes redoutables. Je pense en particulier au tyran domestique, qui n’hésitera jamais à retourner une situation et à infliger une double peine à ses victimes. Laissons du temps au collège thématique de l’observatoire des litiges judiciaires de la Cour de cassation, qui a ouvert en septembre 2024 un atelier sur le contrôle coercitif et doit présenter ses conclusions en 2025 : elles nous aideront à mieux écrire la loi.

Mme Émilie Bonnivard (DR). En 2023, on a enregistré en France 7,4 millions d’incestes ; il y a eu 114 000 victimes de violences sexuelles, selon le ministre de l’intérieur ; 160 000 enfants, soit un toutes les trois minutes, ont été victimes de violences sexuelles – 80 % sont des filles et 20 % des garçons. Cette proposition de loi a le mérite de vouloir apporter une réponse à ce fléau qui donne lieu à trop peu de jugements. Elle présente toutefois une difficulté ontologique : il est en effet ressorti de toutes les auditions qu’une loi-cadre serait plus efficace et constituerait un meilleur outil pour faire évoluer des concepts et principes fondamentaux de notre droit.

Elle a cependant le mérite d’exister et de soulever les questions. Sur l’imprescriptibilité, les avis sont évidemment partagés. À titre personnel, je souhaite étendre la possibilité pour une victime mineure de viol d’être reconnue en qualité de victime et indemnisée. Cela va de soi, et cette mesure est très attendue par les associations de victimes. L’imprescriptibilité, pour les viols sur mineurs, se justifie par la temporalité psychique propre au psychotrauma, à la mémoire dissociative ou au contexte familial en cas d’inceste : très souvent, elle décale de nombreuses années, voire de décennies, la possibilité pour la victime de prendre la parole. Notre droit doit s’adapter à cette réalité psychique qui est différente de celle d’autres crimes aussi graves, voire plus graves, comme les meurtres d’enfants. D’autres pays l’ont fait et reconnaissent l’imprescriptibilité des viols sur mineurs.

Cette mesure se heurte à une première limite : quelle capacité effective la justice aura-t-elle de juger quarante ou cinquante ans après les faits, quand tous les éléments de preuve auront disparu ? Ce point a été unanimement relevé lors des auditions de magistrats, de procureurs et d’avocats. Veillons à ne pas consacrer une forme d’impuissance judiciaire qui serait dramatique et créerait les conditions d’une déception inévitable pour les victimes. Les temporalités se heurtent ; il y a le temps psychologique, le temps social et le temps judiciaire. D’un autre côté, lorsque des éléments de preuve subsistent, pourquoi priver la victime de reconnaissance ?

Autre réserve, sur la forme : le texte donne le sentiment de se rabattre sur une solution de repli, l’imprescriptibilité civile, à défaut de pouvoir agir sur l'imprescriptibilité pénale. Je ne suis pas certaine que cette méthode soit la bonne.

L’article 2 étend la notion de prescription glissante aux crimes sexuels commis sur les majeurs : il comble un vide juridique qui bénéficie aujourd’hui aux auteurs récidivistes de délits et crimes sexuels, et apporte une réponse aux victimes. C’est donc un bon article, qui ne soulève pas de question.

L’article 3, relatif au contrôle coercitif, est également intéressant par principe. Les magistrats à l’origine de la jurisprudence du 31 janvier 2024 se sont déclarés satisfaits que celle‑ci soit ainsi consacrée, tout en nous alertant sur deux points. D’abord, la définition du contrôle coercitif dans le texte est trop restrictive. Ensuite, faut-il en faire une infraction supplémentaire ? Le risque serait en effet qu’elle soit peu utilisée par les procureurs en raison du risque probatoire, comme c’est le cas d’autres infractions Ne faudrait-il pas plutôt établir une loi-cadre sur les violences intrafamiliales et donner la portée nécessaire au contrôle coercitif ?

Nous abordons les débats en étant plutôt favorables au texte, mais réservés sur un nombre important de points.

Mme Sandra Regol (EcoS). Les chiffres cités depuis le début de nos échanges rappellent à quel point les violences sexuelles – commises sur des mineurs ou des majeurs, incestueuses ou non – devraient être considérées comme un problème majeur pour notre société. Certains pays, comme l’Espagne, ont fait le choix de l’affronter, d’y consacrer des moyens financiers et humains, d’impliquer l’ensemble de la société. Ce n’est pas le cas de la France, qui ne met les moyens nécessaires ni dans la justice, ni dans la police, ni dans le soutien aux associations.

Cette proposition de loi aborde une question fondamentale du point de vue strictement juridique – ce qui n’est pas rien – mais elle fait l’impasse sur le travail de fond, sur les échanges et sur le débat. Cela transparaît même dans votre intervention, madame la rapporteure, puisque vous reconnaissez d’emblée que la rédaction n’est pas convenable et qu’elle comporte même des risques pour les victimes. Des travaux réalisés ici, à l’Assemblée, montrent que l’on peut avancer ensemble et trouver des solutions qui servent en priorité les victimes. Je pense notamment au travail transpartisan sur la définition du viol présenté hier par nos collègues Garin et Riotton.

Les représentants du Conseil national des barreaux que nous avons auditionnés ont déclaré que la rédaction de ce texte serait inutilisable et potentiellement préjudiciable à leur travail d’aide aux victimes. Cela doit nous mettre en garde. Beaucoup de textes pleins de bonnes intentions ont eu de mauvais effets : la responsabilité politique consiste à assumer de poursuivre l’objectif, et non à seulement afficher une volonté.

Les associations de victimes demandent une réponse politique et des outils adaptés. Les membres du groupe Écologiste et du NFP les soutiennent. Les juristes, les magistrats, les avocats soulignent que sans moyens, ce texte sera inapplicable. La justice est exsangue. Beaucoup trop souvent, les victimes voient leur procès, quand il y en a un, aboutir à un non‑lieu ; la justice restaurative, qui manque de moyens, est laissée de côté ; et je ne parle même pas de la prévention. On n’y arrivera pas avec de seuls outils juridiques.

Madame la rapporteure, vous dites que le texte pourrait être affiné. Peut-être faut‑il en suspendre l’examen, afin d’engager un travail transpartisan qui fera vraiment avancer la cause du siècle.

L’imprescriptibilité prévue à l’article 1er existe déjà de fait : pour les mineurs, le principe de consolidation fait débuter le délai de prescription à la date où l’effet des violences est reconnu. C’est déjà un bon outil. De façon générale, l’imprescriptibilité concerne les crimes majeurs, massifs : le texte tend à placer au même niveau un des moyens de les pratiquer – les viols, les tortures, les sévices, les violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur – ce qui pose un problème juridique.

La prescription glissante, elle, est un outil important, réclamé par les associations. Toutefois, la rédaction proposée pourrait avoir des effets de bord négatifs. Nous défendrons un amendement de réécriture. Mme la rapporteure semble l’apprécier puisqu’elle a également déposé un amendement, qui reprend le nôtre à deux mots près : nous devrions pouvoir avancer.

S’agissant du contrôle coercitif, objet de l’article 3, le rapport de Mme Josso, qui paraîtra au printemps, nous permettra de progresser. Il s’agit d’une question essentielle et complexe. Mme la rapporteure a souligné elle-même qu’en l’état, la rédaction proposée présentait un danger pour les victimes. Nous défendrons un amendement de réécriture. Si notre objectif est bien d’aider les victimes, nous pouvons travailler autrement.

M. le président Florent Boudié. Pour la clarté des débats, je souligne que la présente proposition de loi a été déclarée transpartisane à la suite d’un vote de l’ensemble des groupes en conférence des présidents, qui ont considéré qu’elle devait être la deuxième inscrite à l’ordre du jour, après la proposition de loi relative à l’assainissement cadastral.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Le groupe Les Démocrates est engagé dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Toutefois, si nous avons le devoir de protéger les victimes, en particulier les plus vulnérables, notre responsabilité politique consiste à construire un cadre juridique qui réponde à leur souffrance sans fragiliser les principes fondamentaux de notre droit. Pour que la loi soit forte et utile aux victimes, ses fondements juridiques doivent être solides – un édifice fragile ne pourrait que nuire aux victimes.

Pour ces raisons, quoique favorables au texte, nous émettons quelques réserves sur l’article 1er qui tend à rendre l’action civile imprescriptible en cas de viol sur mineur. La prescription est un principe essentiel pour garantir la sécurité juridique : elle limite les risques d’erreur judiciaire liés au dépérissement des preuves. Ce dernier étant un obstacle que nul système ne peut surmonter, l’imprescriptibilité risquerait de susciter chez les victimes de faux espoirs.

Par ailleurs, en l’état actuel, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, ce qui souligne leur gravité exceptionnelle. Il n’est évidemment pas question de nier la gravité des viols, mais étendre l’imprescriptibilité civile aux viols sur mineurs risquerait de dénaturer la hiérarchie des crimes. Cela nécessiterait aussi de revoir plus globalement l’échelle des peines.

Enfin, la jurisprudence de la Cour de cassation protège les victimes en faisant débuter le délai de prescription à la consolidation du dommage, soit parfois bien après la survenance des faits.

Nous soutenons sans réserve l’extension aux majeurs de la prescription glissante en cas de viol ou d’agression sexuelle : elle renforce la protection contre les récidivistes, favorise l’égalité de traitement entre les victimes et instaure entre elles un mécanisme de solidarité.

Nous sommes également favorables à l’intégration du contrôle coercitif dans le code pénal. Le dispositif proposé présente cependant une limite majeure : en complétant l’article relatif aux violences psychologiques, on risque de réduire le contrôle coercitif à cette seule dimension, alors que la notion tend à appréhender globalement les schémas de contrôle et de violence déployés pour rendre une personne dépendante et soumise ou pour la priver de liberté. Je salue ici le travail de Sandrine Josso, dont le rapport à venir nous sera précieux.

Nous estimons donc que la rédaction est perfectible, en vue d’offrir une protection complète et solide juridiquement. Les membres de notre groupe souhaitent participer à un travail commun pour y parvenir au cours de la navette parlementaire.

En 2022, 270 000 personnes, dont 230 000 femmes, ont été victimes de viol, de tentative de viol ou d’agression sexuelle : il est impératif de faire changer ces chiffres. Aussi soutiendrons-nous ce texte. Au-delà, nous appelons de nos vœux une grande loi-cadre.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Depuis les années 2000, la société porte une attention croissante aux violences qu’endurent trop de femmes et d’enfants. La parole des victimes a pu émerger et être entendue grâce à des mouvements essentiels comme MeToo et à la publication d’ouvrages marquants, à l’instar de La Familia grande de Camille Kouchner, sur l’inceste.

Les pouvoirs publics ont su prendre le relais afin de favoriser encore davantage la libération de la parole, en créant des institutions, notamment la Ciivise en 2021. De nombreuses évolutions législatives ont également eu pour objet de mieux protéger les femmes et les enfants et d’améliorer le traitement judiciaire de ces crimes et délits.

Le Grenelle des violences conjugales, que le premier ministre Édouard Philippe a ouvert en septembre 2019, a permis d’engager une réflexion commune en réunissant de nombreux acteurs – parlementaires, élus locaux, membres d’associations, proches de victimes, professionnels de la santé, forces de l’ordre – partout en France. Depuis, des avancées importantes ont été inscrites dans la loi. La loi Schiappa du 3 août 2018 a porté le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs à trente ans après la majorité de la victime présumée, afin de judiciariser davantage de situations. La loi du 28 décembre 2019 a introduit le port du bracelet antirapprochement en cas de condamnation pour violences conjugales.

Toutefois, les violences faites aux femmes et aux enfants demeurent prégnantes. On estime qu’en 2022, plus de 370 000 femmes ont subi des violences physiques, sexuelles, psychologiques ou verbales exercées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. La même année, 118 femmes sont décédées à la suite de violences conjugales et 267 ont été victimes d’une tentative de féminicide. Les enfants aussi sont au cœur de ces violences. Selon le ministère des solidarités, en 2022, 24 % d’un échantillon de 1 000 Français estimaient avoir été victimes de maltraitances graves au cours de leur enfance. Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, à 77 % au sein de la famille.

Le législateur doit trouver des solutions judiciaires et pénales pour mieux lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Les membres du groupe Horizons accueillent donc favorablement les initiatives parlementaires en ce sens, notamment la présente proposition de loi. L’article 2 permettrait de judiciariser plus de situations, donc d’apporter davantage de justice. Nous souhaitons que nos discussions éclairent la représentation nationale sur la nécessité des autres dispositions. Il faut du temps pour bien comprendre tous les enjeux. L’article 1er mérite un travail supplémentaire, eu égard aux effets possibles de son application. Aussi nous abstiendrons-nous.

La présente proposition de loi a le mérite de remettre sur le métier un ouvrage essentiel – je salue le travail d’Aurore Bergé. Il reste beaucoup à faire pour comprendre les violences faites aux femmes et aux enfants, et pour accompagner les victimes. Nous devons aussi réfléchir au choix du véhicule législatif, mais nous regardons ce texte avec bienveillance.

Mme Martine Froger (LIOT). Ces dernières années, les témoignages de femmes et d’enfants se sont multipliés concernant des violences physiques, sexuelles notamment, provoquant un choc dans la société. Mais, nous le savons, beaucoup de victimes n’ont pas encore parlé et certaines ne parleront jamais. Dans tous les témoignages, le sentiment d’injustice revient.

Sur le long chemin de la réparation, la prescription est sans doute le plus redoutable des obstacles : le délai épuisé, tout s’arrête, le couperet du classement sans suite tombe, l’agresseur ne sera plus inquiété et peut continuer en toute impunité. Dans les affaires de viol, le taux de classement sans suite se monte à 94 %. Néanmoins, une réforme de la prescription seule ne saurait résoudre le problème, puisque la majorité des décisions s’expliquent par une infraction insuffisamment caractérisée ou par un manque de preuves. Reste que la situation n’est plus acceptable. La présente proposition de loi ferait évoluer les procédures civile et pénale, en vue de faire cesser le sentiment d’injustice.

L’article 1er sera sans doute le plus discuté. Il vise à rendre imprescriptibles les actions en responsabilité civile pour les viols commis sur des mineurs. En principe, l’imprescriptibilité est réservée aux crimes contre l’humanité. Toutefois, l’article ne concerne pas la matière pénale : cela me semble une évolution juste et équilibrée. Il est essentiel de ne pas s’enfermer dans un débat de juristes. Chaque année, près de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles et d’inceste. L’ampleur du phénomène et la vulnérabilité des victimes justifient une évolution significative des procédures.

L’article 2 élargit opportunément la prescription glissante aux majeurs. J’y vois une logique de solidarité entre victimes, propre à lutter contre les prédateurs et les récidivistes.

Certains émettent des réserves sur ces réformes. Force est de constater que le droit ne protège pas suffisamment les victimes. Il nous revient de garantir qu’aucun enfant, aucune femme, ne peuvent être abusés. Il est temps que les agressions cessent, que soit mis un terme au silence et à l’impunité. Si nous voulons que les victimes puissent parler et aller en justice, nous devons leur en donner les moyens.

Pour ces raisons, les membres du groupe LIOT voteront pour la proposition de loi, sous réserve de modifications, notamment la réécriture de l’article 3 : il est nécessaire de détailler la définition du contrôle coercitif pour en faciliter la caractérisation.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). L’article 1er prévoit l’imprescriptibilité civile des viols commis sur mineurs. Or, il ne faut modifier les règles de prescription qu’avec la plus grande prudence. En 2022, la Cour de cassation a rendu deux arrêts étendant le début du délai de prescription à la consolidation de l’état de la victime, en particulier de son préjudice psychologique. Beaucoup de commentateurs s’étaient alors demandé si cela ouvrait la voie à l’imprescriptibilité civile en matière de viol. Avec cette jurisprudence favorable, est-il nécessaire d’inscrire l’imprescriptibilité dans la loi ? Je souligne que, dans l’affaire que j’évoquais, la victime avait obtenu des aveux de son violeur plus de trente ans après les faits. Le cas est très rare. En adoptant l’imprescriptibilité, nous risquerions de susciter chez les victimes l’espoir fou que la justice sera toujours au rendez-vous, alors que le temps joue contre elles, que les preuves s’effacent : il n’est quasiment jamais possible d’obtenir réparation quarante ans après les faits. J’ajoute que l’imprescriptibilité en matière civile appelle dangereusement son pendant en matière pénale, donc une profonde révision de notre conception du droit pénal. Nous sommes réservés. La question aurait demandé de plus amples débats.

L’article 2 vise à étendre la prescription glissante aux majeurs. L’ampleur du crime de viol dans la société, ses conséquences sur les victimes et sur leurs descendants, son incidence sur la représentation de la femme sont telles que cela ne soulève pas pour nous de difficulté majeure.

L’article 3 tend à créer une nouvelle infraction pour le contrôle coercitif. Là encore, la jurisprudence condamne déjà les comportements concernés – elle a trouvé les outils pour le faire. Il serait bon de légiférer, mais il faut éviter qu’une mauvaise rédaction restreigne les possibilités de sanction des juges. Tout le monde l’a dit, il faut mener un travail transpartisan pour améliorer la définition.

Ainsi, nous avons des doutes. Il faut poser les bonnes questions. Pourquoi les victimes portent-elles rarement plainte ? Pourquoi le système judiciaire est-il si lent ? Pourquoi la prévention n’est-elle pas suffisante ? Pourquoi n’existe-t-il aucun dispositif pour éviter la déperdition des preuves ? Un rejet du texte lors de l’examen en séance publique serait préjudiciable parce qu’il enverrait un signal négatif aux victimes ; cependant, nous ne pouvons pas voter une loi mauvaise.

Mme Brigitte Barèges (UDR). Il y a plus de 200 ans, Olympe de Gouges écrivait, dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : « Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. » Heureusement, la législation a beaucoup évolué. Toutefois, la juriste que je suis ne peut qu’approuver les orateurs qui l’ont précédée, en particulier Mme Capdevielle et Mme K/Bidi : soyons prudents.

L’imprescriptibilité est dérogatoire. Seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et, sans vouloir faire de hiérarchie dans la douleur ou dans l’horreur, il faut maintenir cette distinction. On me répondra que la réforme ne concerne que le droit civil, et il est vrai que la prescription civile est différente. Elle est, du reste, moins sollicitée : quand les victimes le peuvent, elles se font entendre par une action pénale. Un amendement vise à porter à trente ans le délai de prescription en matière civile, comme c’est le cas en matière pénale. Je suis réservée, mais on peut en débattre. En revanche, nous nous opposerons à l’imprescriptibilité, qui revient sur des principes juridiques intangibles.

L’article 2 aligne le dispositif concernant les majeurs sur les règles de la prescription glissante réservées aux mineurs. C’est intéressant. Je note qu’il est heureux que certains magistrats fassent des actes interruptifs de la prescription : le rôle de la justice est aussi de tenir le fil du temps. L’histoire du « Grêlé » en a offert un exemple récent, puisqu’il a été identifié plus de vingt ans après les faits.

L’article 3 est inabouti, comme vous avez eu l’honnêteté, madame la rapporteure, de le reconnaître. Il est vrai que la question est complexe, dès lors que les actes en cause sont d’ordre psychologique ou moral, donnant lieu à une appréciation subjective. On le voit en droit du travail : le harcèlement est difficile à établir. Le problème de la preuve est central en droit, en particulier en matière pénale.

Enfin, s’il faut évidemment renforcer les moyens de la justice et des enquêteurs, nous n’avons pas parlé de ceux de l’éducation nationale. Les mœurs se sont libérées. Il faut dire aux enfants que l’adulte aussi doit respecter des limites et que son autorité est bornée. Il faut agir, notamment en faisant de la prévention au cours de l’éducation – c’est fondamental pour lutter contre les agressions de mineurs.

M. le président Florent Boudié. Je le disais, aucun groupe parlementaire ne s’est opposé à l’inscription à l’ordre du jour de la présente proposition de loi. Nous avons donc collectivement jugé qu’elle était suffisamment transpartisane pour faire l’objet d’un accord, sinon d’un consensus. Nous pouvons y parvenir ce matin ou lors de l’examen en séance publique. Si tel n’était pas le cas, ce serait à mon sens un échec collectif. (Exclamations.) Je ne vous intime évidemment pas la consigne de voter le texte ; je suis simplement soucieux que nous parvenions à un compromis. Certes il y a des divergences, mais nous avons jusqu’à mardi pour essayer de nous entendre. Dans le cadre transpartisan, examen ne vaut pas blanc-seing, mais il me semble important de garder un état d’esprit qui nous permette d’aboutir.

Article 1er (art. 2226 du code civil) : Imprescriptibilité civile des actes de torture ou de barbarie et des violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur.

Amendement CL23 de Mme Sandra Regol

Mme Sandra Regol (EcoS). Le présent amendement vise à porter le délai de prescription de vingt à trente ans.

L’imprescriptibilité civile ne fait pas l’unanimité. D’abord, les victimes qui prennent tardivement conscience des violences subies, ou dont l’état se consolide très longtemps après les faits, bénéficient déjà d’une imprescriptibilité de fait. Ensuite, pour les victimes qui portent la charge du viol pendant longtemps sans sauter le pas de la plainte – parce que c’est trop difficile, qu’elles ne veulent pas que cela se sache, qu’elles ont l’impression que leur parole ne sera pas entendue, ou parce qu’elles connaissent les statistiques et savent que l’agresseur finira par s’en tirer – la fin du délai de prescription peut jouer un rôle déclencheur. Je crois donc que l’imprescriptibilité de fait doit rester adossée à la prescription inscrite dans la loi, essentielle à l’équilibre et à l’équité du droit.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Vous défendez une solution de compromis entre le statu quo et l’article 1er et je comprends le sens de votre démarche. Je reste pour ma part attachée à l’imprescriptibilité civile, qui élimine complètement ce couperet qui frappe la victime. Dans l’esprit comme dans l’application, c’est très différent. Avis défavorable.

Mme Émilie Bonnivard (DR). Les magistrats sont plutôt opposés à l’imprescriptibilité ; eux aussi mettent en avant l’effet déclencheur de la prescription. Mais les associations de victimes, elles, considèrent que ce n’est pas du tout ainsi que fonctionne le psychisme : pour elles, ce fameux effet déclencheur n’existe pas, car il s’agit de deux temporalités différentes.

Par ailleurs, nous ne mesurons pas la portée de cet amendement. Il faut continuer à améliorer le texte sur le temps long, pas avec un tel amendement.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Monsieur le président, ce sont le sujet et les questions que soulève cette proposition qui font l’unanimité. Pour le reste, nous sommes commissaires aux lois, il est normal que nous discutions en vue de bien rédiger la loi.

M. le président Florent Boudié. C’est naturellement mon état d’esprit. Toutefois, le texte ayant été jugé transpartisan, il serait bon de pouvoir trouver à un accord transpartisan, autrement dit des réponses communes.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Tant l’amendement CL23 que l’article 1er sont inutiles.

La Cour de cassation, par son arrêt du 7 juillet 2022, fixe le début du délai de prescription civile à la date de consolidation de l’état de la victime, et non à la date des faits. En l’espèce, ceux-ci avaient eu lieu entre 1972 et 1975, dans le collège d’une association diocésaine – il y a cinquante ans ! J’ajoute que pour une victime de viol, la consolidation ne se fait presque jamais, tous les spécialistes le disent. Pour que la victime entame un processus de réparation, il faut que l’auteur ait reconnu les faits et qu’elle-même, après peut-être des années de thérapie, remette les choses à leur place, en comprenant qu’elle n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé. D’ailleurs, les victimes saisissent la justice précisément parce que leur état n’est pas consolidé : l’action judiciaire fait partie du processus de réparation. Il faut le dire aux associations, elles peuvent engager des actions civiles – à condition de disposer d’un dossier musclé, avec des éléments de preuve.

En fait, le texte n’est pas satisfaisant parce qu’il donne des illusions aux victimes. C’est de l’affichage.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Je tiens à remercier Mme Regol d’avoir déposé cet amendement, qui était nécessaire pour poser le débat dès lors que l’on envisage d’instaurer l’imprescriptibilité en matière civile.

Je rejoins les arguments de mes deux précédentes collègues contre cet amendement, avec cependant une nuance par rapport à Mme Capdevielle : je considère que nous ne faisons pas un travail d’affichage, mais que nous poursuivons un combat. Il faut améliorer la rédaction du texte et faire vivre le débat.

Pour bien comprendre combien il est important de prévoir l’imprescriptibilité en matière civile, j’appelle votre attention sur un élément complémentaire. Les travaux du juge Édouard Durand ont montré que l’inceste est certainement un crime parfait, dans la mesure où 60 % des victimes souffrent d’amnésie traumatique. De ce fait, 75 % des victimes ayant témoigné auprès de la Ciivise ont déclaré que les faits en cause sont désormais prescrits.

Il est donc nécessaire d’avancer et c’est la raison pour laquelle notre groupe votera contre cet amendement.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Je comprends l’état d’esprit de notre collègue Sandra Regol, qui essaie de trouver une voie moyenne. Le débat que suscite cet article est parfaitement légitime.

Comme l’a expliqué Colette Capdevielle, la prise en compte de la date de consolidation par la jurisprudence permet déjà à la victime de bénéficier de délais très larges en matière civile, ce qui s’apparente de fait à une forme d’imprescriptibilité.

Nous pensons pour notre part que cet article et l’article 2 soulignent l’opportunité d’ouvrir un débat plus général sur la prescription, tant en matière civile que pénale. Notre assemblée considère unanimement que ce sujet mérite d’être discuté. Faisons-le donc de manière transpartisane, par exemple dans le cadre d’une mission d’information dont la création serait décidée par notre commission et qui porterait sur la prescription pénale, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes.

En revanche, ce qui nous est proposé dans le présent texte pose un problème, car il donne l’impression de chercher à avancer de manière indirecte vers l’objectif de l’imprescriptibilité.

Notre groupe s’abstiendra donc sur cet amendement et votera contre l’article 1er, car nous sommes opposés au fait d’augmenter le nombre d’infractions imprescriptibles et d’aller au-delà des exceptions qui existent déjà dans notre droit.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Nous nous abstiendrons sur l’article 1er et voterons contre cet amendement.

Ce dernier a cependant le mérite de montrer qu’il est nécessaire de prendre le temps de mener un travail de fond, transpartisan, sur cette question, notamment avec les associations de victimes. Il est important de bien évaluer les conséquences des mesures envisagées et de mieux comprendre le mécanisme même de l’amnésie traumatique qui est au cœur du problème.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je profite de ce débat pour répondre à votre remarque générale, monsieur le président.

Vous avez souligné que ce texte devrait bénéficier de l’état d’esprit qui a permis à la conférence des présidents de s’entendre pour le mettre à l’ordre du jour. On peut cependant estimer que l’on a peut-être été un peu vite en besogne en procédant de cette façon, et encore plus lorsqu’on a, comme l’a indiqué Colette Capdevielle, participé ce matin à une réunion avec les associations regroupées dans la coalition pour une loi intégrale contre les violences sexuelles.

Je ne crois pas que nous rendions service à la justice et aux magistrats en procédant par petites tranches sur un tel sujet. Agir de manière dispersée est un vrai problème : un coup on propose l’imprescriptibilité, un coup on s’intéresse aux violences sexuelles et sexistes dans un milieu bien particulier – comme le monde du cinéma et de l’audiovisuel pour la commission d’enquête qui est en cours… Tout cela contribue à nous éclairer, ce qui est précieux. Mais cela pose aussi un problème de méthode et ne me semble pas répondre aux attentes légitimes des victimes et de la justice.

Je suis plutôt partisan de la sagesse, c’est-à-dire d’aller au bout de cette discussion, amendement par amendement, et sans doute de surseoir à toute décision trop précipitée. L’attente de la société dans son ensemble est vraiment forte. J’en profite pour annoncer qu’une coalition parlementaire transpartisane a été créée ce matin pour faire écho à celle créée par les associations. Cela vaudrait le coup que l’on travaille en bonne intelligence les uns avec les autres.

Mme Sandra Regol (EcoS). Comme vous l’avez tous compris, j’ai déposé cet amendement d’appel pour souligner qu’il n’y avait pas de consensus, car il n’y a eu aucun travail en amont.

Monsieur le président, vous avez indiqué à plusieurs reprises que la conférence des présidents s’était accordée de manière transpartisane sur ce texte. Mais il n’y a pas d’accord puisqu’il n’y a pas eu de débat. La procédure consiste en fait à sélectionner au sein d’une liste d’une vingtaine de propositions celles qui seront mises à l’ordre du jour. Cela donne lieu à des négociations entre les groupes. On dit ensuite que les textes retenus l’ont été de manière transpartisane alors qu’ils n’ont fait au préalable l’objet d’aucun travail de cette nature. Je souligne cette différence car elle nous place dans une situation difficile.

Il n’y a pas de consensus sur l’imprescriptibilité au sein de cette commission, ni dans l’hémicycle, voire dans nos groupes respectifs. C’est une question juridique trop sensible et trop fondamentale pour être tranchée brutalement. Nous avons besoin de temps, faute de quoi nous ne serions plus des législateurs mais des commentateurs qui jouent avec le droit au lieu de l’améliorer. Ce n’est pas possible.

Comme l’ont dit beaucoup de collègues, les victimes ont besoin que la justice agisse pour reconnaître ce qu’elles ont subi et pour réparer les préjudices. Le dispositif proposé n’est pas l’outil adapté pour cela.

Enfin, M. Gouffier Valente a eu raison de souligner les effets terribles de l’amnésie traumatique chez les victimes d’inceste. Mais il y a désormais une imprescriptibilité de facto puisque la prescription court à compter de la date de consolidation, et donc seulement après la prise de conscience des faits. Si une personne qui a été violée à l’âge de 5 ans n’en prend conscience qu’à 45 ans, la prescription court à partir de ce dernier âge et la personne peut donc agir en justice.

Si les victimes ne portent pas plainte ou se sentent flouées lorsqu’elles le font, c’est parce qu’on n’accorde pas assez de moyens à la justice pour qu’elle soit en mesure de reconnaître le préjudice et de le réparer.

M. le président Florent Boudié. Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit sur la méthode : je rappelais simplement le contexte.

Mme Sandrine Josso (Dem). Nous nous trouvons confrontés à des lacunes concernant la compréhension globale de l’amnésie traumatique, mais aussi la réparation des victimes. Il faut donc continuer à en parler et à réfléchir en profondeur pour aboutir à la solution la plus juste possible.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Je suis largement d’accord avec ce qui a été dit, notamment à l’instant par Sandra Regol : nous avons besoin de davantage de temps pour discuter de notions qui, encore une fois, sont extrêmement complexes et suscitent beaucoup d’attentes parmi les victimes. Je répète que je regrette que nous n’ayons pas ce temps d’ici à la séance et à l’expiration du délai de dépôt des amendements, vendredi à dix-sept heures.

Je comprends qu’il s’agit d’un amendement d’appel, ce qui a permis d’avoir un débat en commission. Quelles que soient vos positions sur le sujet, je vous invite néanmoins à ne pas rejeter en bloc l’article 1er car cela reviendrait à mettre fin au débat sur un sujet qui mérite de continuer à être discuté, en séance et lors de la suite du parcours législatif du texte.

L’amendement CL23 est retiré.

La commission rejette l’article 1er.

Article 2 (art. 7 et 9-2 du code de procédure pénale) : Élargissement du principe de prescription glissante aux victimes majeures

Amendements CL27 de Mme Maud Bregeon et CL24 de Mme Sandra Regol ; amendements identiques CL2 de Mme Virginie Duby-Muller et CL11 de M. Guillaume Gouffier Valente (discussion commune)

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Alors que l’objectif d’Aurore Bergé lorsqu’elle a déposé cette proposition de loi était d’étendre la prescription glissante aux victimes majeures de viol, la rédaction actuelle de l’article allonge également à trente ans un certain nombre de délais de prescription. Mon amendement rédactionnel corrige cette erreur.

Mme Sandra Regol (EcoS). Il est dommage que n’ait pas été évoquée la possibilité de réécrire l’article 1er de manière collective, afin d’avancer. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir lancé des perches pour travailler ensemble. Elles n’ont jamais été saisies. Je suis obligée d’insister car ce n’est pas en procédant comme cela qu’on construit un travail parlementaire.

M. le président Florent Boudié. Il me semble que vous avez retiré votre amendement CL23. En outre, la rapporteure a signalé qu’il était possible de travailler sur la rédaction de l’article 1er d’ici à la séance mardi prochain.

Mme Sandra Regol (EcoS). Mon amendement de réécriture permet de clarifier l’idée de prescription glissante afin de la rendre la plus effective possible.

Mme Virginie Duby-Muller (DR). Comme je l’avais déjà fait dans une proposition de loi, je propose de rendre imprescriptibles les viols sur mineurs en supprimant la prescription glissante introduite par la loi Billon.

Cette mesure répond aux attentes des associations de victimes et de la Ciivise, qui soulignent l’importance de l’imprescriptibilité de l’action publique pour faire face à des crimes caractérisés par des délais de révélation qui sont souvent très longs. Les témoignages recueillis montrent que l’amnésie dissociative, la dépendance juridique des mineurs et la complexité des situations d’inceste nécessitent un cadre légal plus adapté.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Mon amendement propose également de supprimer la prescription de l’action publique pour les viols commis sur des mineurs, tout en conservant la prescription glissante pour les majeurs.

Certains d’entre vous ont fait part de craintes légitimes et il nous aurait fallu du temps pour traiter ce sujet plus en profondeur. Aussi cet amendement propose-t-il d’ouvrir ce débat nécessaire.

Je sais que certains craignent des procès de l’impossible, car la valeur des preuves s’amoindrit, et redoutent que les victimes ne puissent pas passer à autre chose. Cependant, je retiens des témoignages que j’ai lus que l’impossibilité de porter plainte est une réelle souffrance qui les empêche de se reconstruire et d’avancer.

Améliorer et augmenter les moyens d’enquête semble plus efficace que d’imposer une date de prescription, c’est-à-dire un compte à rebours pour ceux qui ont été victimes lorsqu’ils étaient mineurs.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Ces amendements ont le mérite d’ouvrir le débat sur l’imprescriptibilité en matière pénale, qui doit en effet être abordée dès lors que nous discutons de l’imprescriptibilité en matière civile.

Prévoir que les viols sur mineurs sont imprescriptibles suppose d’avoir préalablement une réflexion beaucoup plus large sur l’ensemble des délais de prescription en matière criminelle. Je suis hostile, en l’état, à cette modification qui crée une hiérarchie entre les crimes. Avis donc défavorable aux amendements identiques. Demande de retrait de l’amendement CL24, ou avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). Les amendements CL2 et CL11 font resurgir l’éternelle dichotomie entre, d’une part, le droit de la victime à voir reconnaître son statut pour pouvoir se reconstruire et, d’autre part, le droit à un procès équitable. Le temps qui file entraîne inévitablement la disparition des éléments de preuve : c’est une chose dont on ne peut faire abstraction, aussi louable que soit le souhait de reconnaître la victime.

En cédant à cette demande d’imprescriptibilité on risque à terme de bouleverser la hiérarchie des infractions, qui ne voudra plus rien dire.

C’est la raison pour laquelle l’imprescriptibilité est réservée depuis des lustres aux crimes contre l’humanité, dont le génocide. Les agressions et les crimes sexuels, aussi condamnables soient-ils, ne me paraissent pas relever de ce schéma.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Je m’abstiendrai sur ces amendements parce que cet article tente par un autre biais d’instaurer une imprescriptibilité, cette fois en matière pénale.

Plusieurs collègues ont estimé qu’il serait normal d’étendre aux majeurs ce que l’on avait prévu pour les mineurs, mais ce parallélisme n’est pas si évident : l’exception de minorité a un sens, et elle offre un motif de dérogation valable au principe d’imprescriptibilité.

Par ailleurs, les arguments concernant la déperdition des preuves et l’ensemble des difficultés liées à l’extension du délai de prescription sont tout aussi valables en la matière.

Le besoin d’une loi-cadre semble faire l’objet d’un consensus, selon quasiment toutes les interventions. Je rappelle que cette idée n’avait absolument pas été reprise lorsque nous l’avions avancée avec quelques collègues il y a sept ans. Il faut mettre au crédit des associations le fait d’avoir entretenu ce débat ces dernières années pour faire comprendre la nécessité d’une approche globale.

Il y a eu une avancée mais en fin de compte, les majorités ou minorités parlementaires successives n’ont jamais saisi l’occasion de présenter une loi-cadre, bien que nous ayons souligné les besoins de financement en matière de lutte contre les violences et de prévention lors des débats budgétaires. À chaque fois, il a été uniquement question d’alourdir les peines, alors que nous avons déjà un cadre répressif très strict par rapport à celui de nos voisins européens.

La commission adopte l’amendement CL27.

En conséquence, les trois autres amendements tombent.

La commission adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

Amendement CL10 de M. Guillaume Gouffier Valente

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Cet amendement vise à compléter la proposition d’imprescriptibilité civile des viols sur mineurs par une imprescriptibilité pénale des agressions sexuelles, tout en étendant aux majeurs le principe de la prescription glissante.

À l’instar du CL11, cet amendement a été travaillé avec l’association Face à l’inceste, que je remercie pour son engagement en faveur de la protection des droits des enfants et de l’accompagnement des victimes d’inceste. Plus généralement, il s’agit d’une demande unanime des associations de protection de l’enfance et des victimes, ainsi que de la Ciivise.

Je redonne les chiffres : 75 % des victimes ayant témoigné auprès de la Ciivise ont déclaré que les faits subis sont prescrits et 60 % ont souffert d’amnésie traumatique après. Il convient donc d’avancer vers une imprescriptibilité pénale, afin de laisser la possibilité aux victimes de porter plainte ultérieurement, même s’il n’existe pas d’autre victime connue.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Autant il me semble cohérent de débattre de l’imprescriptibilité pénale en matière criminelle, autant je considère que nous déstabiliserions profondément notre droit pénal en introduisant une imprescriptibilité en matière délictuelle. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 (art. 222-14-3 du code pénal) : Précisions relatives à la notion de violences psychologiques

Amendements CL13 de Mme Sandrine Josso, CL26 de Mme Sandra Regol et CL8 de Mme Colette Capdevielle

Mme Sandrine Josso (Dem). Pour ceux qui n’auraient pas encore compris toute la complexité du contrôle coercitif, je rappelle qu’il s’agit d’un piège, d’une cage dans laquelle on enferme une victime, en l’occurrence essentiellement des femmes et indissociablement des enfants. D’après les recherches scientifiques et les études de l’École nationale de la magistrature, ces actes caractérisent 75 % des violences conjugales et concernent, par voie de conséquence, 4 millions d’enfants scolarisés, c’est-à-dire un tiers d’entre eux.

Ces dernières décennies, des législateurs, des juristes, des forces de l’ordre et des associations de plusieurs pays ont reconnu l’échec de leur approche des violences conjugales, jusqu’ici définies comme des actes épisodiques. Un nombre croissant de pays ont donc adopté le concept de contrôle coercitif pour redéfinir ces violences comme des atteintes aux droits et aux ressources, plutôt que comme des agressions. Autrement dit, ces États reconnaissent qu’il s’agit d’actes délibérés et d’un schéma comportemental multidimensionnel et cumulatif de contrôle d’un partenaire ou d’un ex-partenaire.

Le contrôle coercitif a été conceptualisé sur la base des études des années 1950 sur les méthodes des tortionnaires pour soumettre des prisonniers de guerre, puis réarticulé en 2007 par Evan Stark, selon qui les violences conjugales sont davantage une captivité qu’une agression. Il met en évidence une atteinte grave aux droits fondamentaux et aux ressources des victimes, femmes et enfants, et définit cet acte comme une conduite calculée, malveillante, conçue pour s’approprier les ressources disponibles au sein de la relation, mais aussi de la famille.

Cette cage comprend des éléments stratégiques multiples qui représentent autant de barreaux : violences physiques et sexuelles ; intimidation, isolement, exploitation, contrôle, épuisement des victimes ; manipulation des droits parentaux ; procédures judiciaires ; soumission chimique ; utilisation des enfants, des tiers et des lacunes de formation des professionnels pour contrôler les comportements des victimes. Les enfants dont la mère subit un contrôle coercitif…

M. le président Florent Boudié. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Sandrine Josso (Dem). Il est nécessaire de continuer de travailler ensemble à la définition du contrôle coercitif.

Mme Sandra Regol (EcoS). À l’instar de Sandrine Josso, je propose, par l’amendement CL26, une réécriture de l’article 3, afin de faire du contrôle coercitif une infraction autonome. C’est ce que recommande la magistrate Gwenola Joly-Coz, à qui nous devons les arrêts de la cour d’appel de Poitiers sur lesquels notre travail se fonde. De cette manière, nous distinguerions cette notion du harcèlement conjugal et de la sujétion psychologique et nous permettrions aux juges de mieux l’appréhender. La définition du contrôle coercitif, en l’état actuel du texte, retirerait davantage de droits aux victimes qu’elle n’en procurerait. Dans cette démarche, nous pouvons nous appuyer sur les exemples de l’Angleterre et du Pays de Galles, pays pionniers en la matière depuis une dizaine d’années.

Nous sommes tous d’accord : un travail de fond est à fournir. Le droit doit garantir aux victimes d’être sur un pied d’égalité dans les jugements. Quant aux professionnels, ils veulent éviter le mille-feuille juridique ; le législateur doit leur donner les moyens d’appliquer la loi, afin de mieux rendre justice aux victimes.

Dans l’optique de rendre les dispositions les plus effectives possibles, la rédaction de l’article que je propose est plus simple que celle de Mme Josso, mais son amendement est également très intéressant.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Mon amendement tend à supprimer le mot « délibérées », qui est inutile car tout délit est intentionnel. Mais c’est l’ensemble de la rédaction de l’article 3 qui ne convient absolument pas. Elle ne couvre pas toute la réalité du contrôle coercitif, qui est très complexe.

Il faut prendre le temps de la réflexion, d’autant que, je le répète, la Cour de cassation et l’observatoire des litiges judiciaires travaillent actuellement sur cette question. Ces travaux sont menés par des praticiens du droit – magistrats, avocats et universitaires – et il me semblerait très utile que le législateur y participe.

Il est d’autant plus important de correctement rédiger ces dispositions que les auteurs de ce type d’infraction sont par définition redoutables et cherchent toujours à retourner la situation, de sorte que la personne qui a souvent mis des années à comprendre qu’elle avait été victime d’un contrôle coercitif soit finalement présentée comme la responsable des faits. Pour bien connaître ces mécanismes qui peuvent s’enclencher dans le huis clos conjugal, j’insiste sur le fait que chaque mot aura son importance. Il est hors de question que la victime subisse une double peine en voyant l’auteur se glorifier de ne pas avoir été condamné pour les faits qui lui sont reprochés.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. J’ai bien compris que l’actuelle rédaction de l’article 3 ne convient pas, qu’elle n’est pas suffisamment claire, qu’elle ramène le contrôle coercitif aux seules violences psychologiques, ce qui est trop restrictif, et qu’elle n’inclut d’ailleurs pas les termes mêmes de contrôle coercitif.

Outre ces considérations rédactionnelles, un autre élément reste à trancher : la qualification ou non du contrôle coercitif comme infraction spécifique, comme le propose l’amendement CL26.

En ce qui me concerne, j’en viens à adhérer à la position de Mme Regol. Introduire un concept de manière abstraite dans le code pénal ne me semble pas complètement efficace. Si nous voulons que le contrôle coercitif y figure, il faut aller au bout de la démarche en créant une infraction spécifique.

Je demande donc le retrait des trois amendements et propose de nous accorder, d’ici à l’examen du texte en séance, sur une rédaction efficiente qui convienne à tout le monde. Il me semble qu’aucune des réécritures ici proposées n’est aboutie.

Mme Émilie Bonnivard (DR). Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont mis en garde concernant la création d’une infraction spécifique, au motif que cela risquerait d’amoindrir la portée du contrôle coercitif comme grille de lecture facilitant la qualification juridique de toutes les infractions ayant trait aux violences faites aux femmes.

Une magistrate a souligné qu’un grand nombre d’infractions ne sont pas invoquées par les procureurs car elles sont difficiles à établir, craignant qu’il n’en aille de même s’agissant du contrôle coercitif.

Il faut que nous nous posions ces questions afin de ne pas diminuer la portée de cet outil important. Il doit être consacré dans la loi, mais attention à la manière de le faire.

Mme Sandra Regol (EcoS). Je saisis la main tendue par Mme la rapporteure et retire mon amendement CL26. En revanche, mon groupe s’abstiendra sur l’article 3.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Le groupe LFI-NFP est totalement opposé à cet article, même si nous reconnaissons les efforts pour définir précisément cette notion importante. L’idée d’intégrer le contrôle coercitif dans les procédures judiciaires est bienvenue, mais comme certains l’ont dit, cette démarche se heurte à des écueils majeurs. À cet égard, les retours d’expérience des pays européens ayant emprunté ce chemin sont plus que mitigés – je pense à l’Écosse, mais aussi à la Belgique, où l’introduction de cette notion a eu lieu dans le cadre d’une loi plus globale. Nous n’avons pas encore assez de recul et adopter cet article en l’état serait vraiment problématique.

Le gouvernement devrait saisir le Conseil d’État et réaliser une étude d’impact. Il nous faut des éléments bien plus consolidés pour engager une action législative sur ce sujet.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Je peine à suivre le positionnement du groupe LFI-NFP. Le contrôle coercitif est un élément majeur de la lutte contre les violences que subissent les femmes. Pour ma part, je me félicite que nous en débattions au sein de cette commission, puis, je l’espère, en séance.

La rapporteure demande du temps : nous en avons, nous ne sommes pas en procédure accélérée – nous nous y sommes peut-être trop habitués ! Nous pouvons réécrire l’article d’ici à l’examen du texte en séance. Celui-ci sera ensuite transmis au Sénat et lorsqu’il reviendra à l’Assemblée, la Cour de cassation aura achevé ses propres travaux.

Le contrôle coercitif est une réalité dramatique, un système élaboré par les auteurs pour dominer leurs victimes. Nous devons à ces dernières de parvenir à une définition juridique de cet acte, que les associations et juristes ont déjà bien cerné, et de lui donner sa juste place dans le code pénal. Le groupe EPR votera cet article, étant rappelé que si nous le rejetons, il sera compliqué de le réécrire.

Mme Sandrine Josso (Dem). Nous manquons d’acculturation sur cette notion. Je retire mon amendement pour le retravailler avec la rapporteure d’ici à la séance.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). J’estime également qu’il convient d’adopter cet article, puis de le réécrire ensemble – ce qui sera sans doute plus facile que pour l’article 1er. Guillaume Gouffier Valente l’a dit, nous avons du temps, il faut en profiter.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Je répète que c’est une chance extraordinaire que la Cour de cassation et l’observatoire des litiges judiciaires travaillent concomitamment sur cette question fondamentale du contrôle coercitif. Ces travaux seront conclus dans le courant de l’année et je pense que nous devons y contribuer.

En définitive, peut-être ne sera-t-il pas utile d’inscrire cette qualification dans la loi : après tout, la cour d’appel de Poitiers a bien prononcé une condamnation ! Quoi qu’il en soit, reprendre quatre lignes d’un arrêt rendu par cette juridiction pour en faire un article de loi n’est pas satisfaisant. Compte tenu de l’infraction dont il s’agit et de la malignité de ceux qui la commettent, il faut apporter le plus grand soin à l’écriture du texte ; on ne peut pas faire n’importe quoi.

Il n’y a effectivement pas d’urgence. Je retire également mon amendement.

Les amendements sont retirés.

M. le président Florent Boudié. Avant de mettre l’article 3 aux voix, je précise, pour que les choses soient claires, qu’il est bien possible de réécrire en séance un article ayant été rejeté en commission.

Le délai de dépôt des amendements en vue de l’examen du texte en séance a été fixé à vendredi, dix-sept heures. Cela étant, jusqu’à l’examen des amendements au titre de l’article 88 de notre règlement, qui aura lieu avant la séance de mardi, il est possible d’inclure une rédaction élaborée par la rapporteure avec l’ensemble des groupes, qu’il s’agisse d’ailleurs de cet article ou de l’article 1er.

Enfin, M. Gouffier Valente a eu raison de rappeler que le texte n’est pas soumis à la procédure accélérée. Une deuxième lecture pourra donc avoir lieu après celle du Sénat.

La commission rejette l’article 3.


Après l’article 3

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CL9 de Mme Colette Capdevielle.

Amendement CL15 de Mme Sandrine Josso

Mme Sandrine Josso (Dem). Cet amendement vise à demander une évaluation et un suivi des dispositions du texte après son adoption.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. Avis défavorable. D’abord, l’amendement fait référence à l’infraction de contrôle coercitif, qui n’est pas encore dans le texte. Ensuite, j’estime qu’il revient au Parlement de contrôler la loi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL19 de Mme Élise Leboucher

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Par cet amendement nous demandons un rapport sur un problème que nous soulevons depuis sept ans aux côtés de nombreuses associations et institutions telles que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et la Défenseure des droits : la formation des professionnels de la police et de la justice chargés de la répression des violences sexuelles et sexistes.

Avancée importante à mettre au crédit des associations et des collectifs : les violences sexistes et sexuelles sont désormais vues comme un phénomène systémique et massif contre lequel il importe que nos agents publics et toutes les personnes au contact avec les victimes, à toutes les étapes de l’instruction des faits, soient pleinement outillés. J’insiste donc sur l’importance de la formation, qui est un enjeu de prévention ; il ne faut pas se contenter de reconnaître les préjudices et de les réparer.

Cet amendement est un appel à poursuivre cette discussion dans les semaines à venir, en incluant les questions budgétaires car, je le répète, les moyens que nous y consacrerons seront la véritable preuve de notre volonté de faire avancer les choses.

Contre l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

Titre

Amendement CL7 de Mme Colette Capdevielle

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le titre de la proposition de loi vise les violences « faites aux femmes et aux enfants ». Il me semble pourtant que son objet est véritablement de lutter contre les violences « sexuelles et sexistes ». Ce texte doit défendre toutes les victimes, parmi lesquelles figurent aussi des hommes.

Hier, nous avons reçu les représentants de la fondation Le Refuge, dont les études font froid dans le dos. Les femmes représentent 80 % des victimes de violences sexuelles et sexistes ; les autres sont des hommes, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, ainsi que des personnes transgenres. J’ajoute que les hommes ont encore plus de mal à déposer plainte que les femmes lorsqu’ils subissent ce type d’agression – c’est encore moins admis par la société. Et que dire de la manière dont ils sont reçus par les services de police ! Il y a parfois même un rejet de leur plainte. Le chiffre gris les concernant est encore plus élevé.

Je ne demande pas grand-chose : que le titre du texte soit généraliste et cible indistinctement les femmes, les enfants et les hommes, qui tous peuvent subir des violences sexistes et sexuelles.

Mme Maud Bregeon, rapporteure. J’entends vos arguments, même si je n’adhère pas à votre critique du travail des forces de l’ordre, qui n’est d’ailleurs pas étayée de chiffres. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (n° 669) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


   Personnes entendues

   Mme Florence Bouvier, secrétaire générale de la Conférence, présidente du tribunal judiciaire de Bayonne

   Mme Nathalie Bretillot, membre du conseil d’administration, présidente du tribunal judiciaire de Bar-le-Duc

   M. Marc Jean-Talon, président de la Conférence, premier président de la Cour d’appel de Nancy

   Mme Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme

   Mme Nawel Oumer, présidente de la commission Égalité

   M. Alexis Werl, président de la commission Textes

   M. Arnaud de Saint-Remy, responsable du groupe de travail « droits des enfants »

   Mme Mona Laaroussi, chargée de mission affaires publiques

Table ronde d’associations

   Mme Aude Doumenge, chargée de plaidoyer

   Mme Maïlys Talbi, chargée de plaidoyer

   Mme Auriane Dupuy, chargée de plaidoyer

   Mme Claire Bourdille, fondatrice du Collectif Enfantiste


([1]) Concernant les violences sexuelles commises au sein de la famille, les enfants de 5 à 9 ans affichent la part la plus élevée de victimes enregistrées (18 victimes pour 10 000 habitants), avec un taux de victimes bien plus élevé parmi les filles que parmi les garçons (28 victimes pour 10 000 habitantes contre 8 victimes pour 10 000 habitants).

([2]) Ministère de l’Intérieure, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure Enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité, 2022.

([3]) Enquête #NousToutes Consentement dans les rapports sexuels, 2020.

([4]) Source : Ciivise, « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit », novembre 2023.

([5]) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

([6]) Article 2224 du code civil.

([7]) Article 2226 du même code.

([8]) Ibid.

([9]) Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale : celle-ci a notamment doublé les délais de droit commun en matière de prescription pénale pour les délits et les crimes.

([10]) Article 7 du code de procédure pénale.

([11]) Deuxième alinéa de l’article 7.

([12]) Crimes mentionnés à l’article 706-16 du même code.

([13]) Crimes mentionnés à l’article 706-26 du même code.

([14]) Crimes mentionnés à l’article 706-167 du même code.

([15]) Crimes mentionnés aux articles 214-1 à 214-4 du code pénal.

([16]) Crime mentionné à l’article 221-12 du code pénal.

([17]) Crimes mentionnés au livre IV bis du même code.

([18]) Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

([19]) Crimes mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale : meurtre, assassinat, tortures, actes de barbarie, viol, agressions sexuelles, traite des êtres humains, proxénétisme.

([20]) Crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 du code pénal.

([21]) Article 8 du code de procédure pénale.

([22]) Délit prévu à l’article 223-15-2 du code pénal.

([23]) Délits prévus à l’article 223-25-3 du même code.

([24]) Délits mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale.

([25]) Délit prévu à l’article 434-3 du code pénal.

([26]) Délit prévu à l’article 222-12 du code pénal.

([27]) Délit prévu à l’article 222-29-1 du même code.

([28]) Délit prévu à l’article 227-25 du même code.

([29]) Délits mentionnés à l’article 706-16 du code de procédure pénale, à l'exclusion de ceux définis aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du code pénal.

([30]) Délits mentionnés  à l’article 706-26 du code de procédure pénale.

([31]) Délits mentionnés au livre IV bis du code pénal.

([32]) Le délai de prescription de l’action publique est ainsi interrompu par tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l’action publique (1°), tout acte d’enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal tendant à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction (2°), tout acte d’instruction tendant à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction (3°), ou tout jugement ou arrêt, même non définitif, s’il n’est pas entaché de nullité (4°).

([33]) Cour de cassation, chambre criminelle, 04-87.046, 2 septembre 2005.

([34]) Cour de cassation, chambre criminelle, 07-86.075, 18 mars 2008.

([35]) Assemblée nationale, Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Présidente Danielle Bousquet, Rapporteur Guy Geoffroy, rapport d’information n° 1799, 7 juillet 2009.

([36]) Ibid.

([37]) Ibid (proposition n° 55).

([38])  Ibid.

([39]) Article 31 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

([40]) Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

([41]) Article 226-14 du code pénal, modifié par l’article 12 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

([42]) Plan rouge vif - Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, rapport de la députée Emilie Chandler et de la sénatrice Dominique Vérien, remis au Garde des Sceaux le 22 mai 2023.