Logo2003modif

N° 866

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 janvier 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à suspendre les allocations familiales aux parents de mineurs criminels ou délinquants,

 

 

 

 

Par M. Fabien DI FILIPPO,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro :  681.

 


SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

COMMENTAIRE de l’article unique

Article unique Suspension du versement des allocations familiales en cas de condamnation définitive d’un mineur à une peine ou à une mesure éducative

travaux de la commission

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR Le RAPPORTEUR

Annexe n° 2 : Textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

 


   Introduction

Les données disponibles, de même que les faits divers qui marquent régulièrement l’actualité, soulignent que la délinquance juvénile est un phénomène en progression dans notre pays et constitue un sujet de préoccupation majeur ([1]).

D’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les jeunes gens âgés de 10 à 24 ans représentent 21 % de la population de 10 ans ou plus mais 36 % des auteurs présumés d’une infraction pénale ([2]). Les statistiques établies par le ministère de l’intérieur sur la base des infractions élucidées annuellement par la police et la gendarmerie nationales confirment la surreprésentation des mineurs âgés de 13 à 17 ans parmi les personnes mises en cause pour vols, destructions et dégradations volontaires ou encore trafic de stupéfiants ([3]). Les mineurs représentent également jusqu’à 46 % des personnes mises en cause pour violences sexuelles sur mineurs et 30 % des coups et blessures volontaires sur des personnes de moins de 15 ans. Les séries longues consolidées par le ministère de l’intérieur soulignent qu’entre 2002 et 2019, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 350 % pour coups et blessures volontaires sur des personnes de moins de 15 ans, de 70 % pour les violences sexuelles sur mineurs et de 16 % pour les violences sexuelles sur majeurs. Le ministère de l’intérieur indique que la légère baisse de la proportion des mineurs mis en cause par rapport à l’ensemble de la délinquance tant pour les atteintes aux biens que les atteintes aux personnes s’explique en réalité par une augmentation très importante de faits commis par des majeurs ([4]).

En 2023, d’après le ministre de la justice, les affaires traitées par les parquets ont concerné 179 100 mineurs. Parmi ceux-ci, seuls 30 000 ont été condamnés par le juge à une peine ou à une mesure éducative ([5]).

Comme des initiatives parlementaires très récentes ont contribué à le mettre en évidence ([6]), la responsabilisation des parents à l’égard des incivilités et des faits de délinquance commis par leurs enfants demeure insuffisante alors même qu’elle constitue un levier éducatif de premier plan, au même titre que l’école, pour lutter contre la délinquance des mineurs.

Définie en droit, la responsabilité civile et pénale des parents est de fait rarement engagée. Elle procède juridiquement de l’autorité parentale par laquelle le législateur reconnaît aux parents un ensemble de droits et de devoirs dont ceux de « protéger [l’enfant] dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement » ([7]). L’infraction commise par un mineur peut engager à ce titre la responsabilité civile des parents à l’égard des dommages causés par le fait de leur enfant ([8]), voire pénale en lien avec de potentielles négligences, carences ou défaillances éducatives ([9]). Toutefois, lors de son audition, l’Union syndicale des magistrats a indiqué que l’engagement de poursuites contre les parents de mineurs délinquants ou criminels demeurait exceptionnel dans les faits. Le rapporteur estime pourtant que les parents ont un devoir éducatif à l’égard de leurs enfants et de la société et qu’ils ne devraient pas pouvoir les laisser s’engager dans des parcours de délinquance en toute impunité.

À ce titre, la modulation du droit aux allocations familiales peut constituer un instrument légitime de responsabilisation des parents face à des actes d’incivilités, des délits ou des crimes commis par leur enfant.

La priorité est de remettre les repères familiaux et éducatifs à leur juste place. L’objectif de cette proposition de loi n’est pas d’instrumentaliser des faits divers et d’entrer dans une logique d’accusation, mais d’avoir une vertu pédagogique, en rappelant le rôle essentiel de la famille dans la construction de l’enfant et les missions qui incombent aux parents. Il s’agit aussi de rétablir une certaine justice vis-à-vis de la société et des personnes à qui de jeunes délinquants ont causé du tort, alors que l’application de sanctions pénales à l’encontre de personnes mineures est souvent difficile en France. La suspension des allocations familiales permettra de sanctionner de façon plus tangible et rapide les mineurs et de renforcer l’effet dissuasif de la sanction.

Les prestations familiales versées aux familles ayant au moins deux enfants à charge âgés de moins de 20 ans représentent en 2023 plus de 13 milliards d’euros au bénéfice de plus de cinq millions de familles. Le droit en vigueur prévoit d’ores et déjà ponctuellement la possibilité de retirer le bénéfice de ces aides aux parents dans le cas du placement d’un enfant ([10]) ou de certains manquements éducatifs ([11]). En 2010, la loi n° 2010‑1127 du 27 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, dite loi « Ciotti », abrogée en 2013, instaurait une suspension du versement des allocations familiales en cas d’absence du mineur à l’école durant au moins quatre demi-journées pendant un mois.

L’article unique de la présente proposition de loi prévoit une suspension du versement des allocations familiales en cas de condamnation définitive d’un mineur à une peine ou à une mesure éducative. Un tel dispositif vise à responsabiliser les parents de mineurs délinquants ou criminels à travers une sanction financière immédiatement perceptible dans le foyer. Conformément au principe constitutionnel de nécessité et de légalité des peines, le dispositif repose sur une progressivité de la sanction : la durée de suspension est fixée en fonction de la gravité de l’infraction commise par le mineur.


   COMMENTAIRE de l’article unique

Supprimé par la commission

L’article unique de la proposition de loi vise à suspendre le versement des allocations familiales aux familles dont l’un des membres mineurs serait définitivement condamné à une peine ou à une mesure éducative. Il prévoit une durée de suspension comprise entre un mois et cinq ans selon la gravité de l’infraction commise et précise les conditions dans lesquelles le juge administratif contrôle la décision de suspension.

  1.   Le droit en vigueur
    1.   l’évolution de la délinquance juvénile en france, un problème de société

Les statistiques annuelles publiées par le ministère de l’intérieur soulignent la surreprésentation des mineurs âgés de 13 à 17 ans parmi les infractions élucidées par la police et la gendarmerie relativement à leur poids en population générale (5 %). En 2023, les mineurs âgés de 13 à 17 ans représentent ainsi 36 % des mises en cause pour vols violents sans arme, 30 % des mises en cause pour des vols de véhicule, 20 % des mises en cause pour destructions et dégradations volontaires (hors contraventions) et 19 % des mises en cause pour trafic de stupéfiants ([12]).

D’après les statistiques du ministère de la justice, les affaires relatives à la délinquance des mineurs traitées par les parquets au cours de l’année 2023 ont mis en cause 179 100 mineurs soit 3 % de la population âgée de 10 à 17 ans au 1er janvier 2024. Parmi ces mineurs, près de 90 % sont des garçons ; la moitié est âgée de 16 ans ou 17 ans ; 40 % ont entre 13 ans et 15 ans ([13]).

Les vols et recels simples (16 %) ou aggravés (9 %) ainsi que les violences volontaires (22 %) sont les catégories de contentieux les plus fréquentes parmi les mineurs mis en cause dans les affaires traitées par les parquets, devant les viols et agressions sexuelles (8 %), les destructions et dégradations (7 %), l’usage de stupéfiants (5 %) et la détention et le trafic de stupéfiants (5 %).

types d’affaires ayant mis en cause
des personnes mineures et majeures en 2023

Source : ministère de la justice.

Pour près d’un tiers des cas, l’examen de l’affaire n’a pas donné lieu à une poursuite. Parmi les mineurs dits « poursuivables », les mesures alternatives aux poursuites ([14]) occupent une place de plus en plus prépondérante dans la réponse pénale apportée avec 57 083 mineurs concernés en 2023.

La procédure pénale applicable aux mineurs présumés auteurs d’une infraction

Deux principes fondamentaux, reconnus par le Conseil constitutionnel (1), s’appliquent en matière de justice pénale des mineurs : l’atténuation de leur responsabilité pénale en fonction de leur âge d’une part, et la « nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » d’autre part. Conformément à ces principes, une infraction commise par un mineur donne lieu à une procédure spécifique au cours de laquelle la prise en charge éducative et l’accompagnement priment sur la logique répressive.

Depuis l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) le 30 septembre 2021, le juge statue d’abord sur la culpabilité (audience dite d’examen de la culpabilité) puis, six à neuf mois plus tard, sur la sanction (audience de prononcé de la sanction) à l’issue d’une période de mise à l’épreuve éducative (PMAEE) pendant laquelle le mineur bénéficie d’un accompagnement éducatif. Le juge peut également ordonner durant cette période des mesures éducatives provisoires et des mesures de sûreté.

À l’issue de la PMAEE, le juge peut ne pas ordonner de sanction si le dommage a été réparé et si le mineur a respecté son suivi éducatif ; il prononce alors une déclaration de réussite éducative (article L. 111‑6 du CJPM). Dans le cas contraire, le mineur peut être condamné à deux types de sanctions : une mesure éducative judiciaire ou une peine.

() Décision n° 2002461 DC du 29 août 2002 sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice.


En 2023, les juridictions pour mineurs se sont prononcées sur la culpabilité de 47 400 mineurs (+ 18 % par rapport à 2022) ; 29 700 mineurs ont été condamnés soit à une peine (emprisonnement avec une partie ferme et/ou sursis, travail d’intérêt général, amende, stage) (46 %) soit à une mesure éducative (50 %).

Peines, mesures et sanctions éducatives prononcées à l’encontre de mineurs condamnés entre 2019 et 2023

Unité : nombre de mineurs condamnés

Source : ministère de la justice.

Ces statistiques fondées sur les infractions relevées par la police ou la gendarmerie puis poursuivies par la justice ne reflètent toutefois qu’imparfaitement la réalité des faits de délinquance commis par les mineurs et perçus quotidiennement comme déviants par la population. Elles dépendent étroitement de la propension des victimes à porter plainte comme des pratiques des forces de l’ordre et du système judiciaire, pratiques qui évoluent en fonction du droit applicable et des priorités de l’action publique ([15]). Elles ne prennent également pas en compte les actes mineurs d’incivilités commis par des jeunes, dont les auteurs ne sont pas toujours connus. Le rapporteur souligne à cet égard la diffusion d’un sentiment d’impunité et, en particulier, l’absence de responsabilisation des parents à l’égard de faits de délinquance commis par leurs enfants.

  1.   La responsabilité parentale ou le parent pauvre du traitement de la délinquance des mineurs
    1.   L’autorité parentale

La responsabilité parentale procède en droit de l’autorité parentale définie aux articles 3711 et suivants du code civil comme un « ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Le législateur prévoit à ce titre qu’il appartient aux parents de « protéger [l’enfant] dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement ».

Des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice lorsque les parents manquent à leurs devoirs légaux, en particulier « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises » (article 375).

Les pères et mères peuvent être déchus de l’autorité parentale ou se voir partiellement retirer leurs droits s’ils sont condamnés comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de leur enfant, ou d’un crime ou délit commis par leur enfant (article 379) ou encore si leurs comportementaux mettent « manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant » (article 378‑1).

  1.   La responsabilité civile et pénale des parents

L’infraction commise par un mineur peut engager en droit la responsabilité civile voire pénale de ses parents.

 L’article 1242, alinéa 4, du code civil dispose que « le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

Sur ce fondement, l’engagement de la responsabilité civile des parents est subordonné à trois conditions : la minorité de l’enfant ; un fait dommageable causé par le fait de l’enfant (y compris non fautif) ; la résidence habituelle de l’enfant au domicile de ses parents ou de l’un d’eux. Récemment, la Cour de cassation a admis que les parents séparés demeurent tous deux solidairement responsables du dommage causé par leur enfant même s’il réside uniquement chez l’un de ses parents ([16]). La responsabilité civile des parents est de plein droit, c’est-à-dire que seule la force majeure ([17]) ou la faute de la victime peuvent en exonérer les parents.

En pratique, l’assurance de responsabilité civile des parents couvre le plus souvent l’indemnisation des dommages causés par l’enfant (article L. 1212 du code des assurances).

 La responsabilité pénale des parents peut également être engagée sur le fondement de l’article 22717 du code pénal. Celui-ci punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». La violation de la part du parent de ses obligations issues de l’article 3711 du code civil relative à l’exercice de l’autorité parentale doit être intentionnelle ([18]).

Toutefois, dans le cas de potentielles défaillances éducatives de parents de mineurs délinquants ou criminels, l’application de cet article soulève des difficultés de nature à en limiter la portée. En particulier, l’établissement d’un lien de causalité entre l’infraction commise par le mineur et une défaillance du parent n’est pas aisé ; l’existence d’un « motif légitime » peut également justifier, à l’appréciation du juge, que le père ou la mère ait pu se soustraire à ses obligations légales ([19]).

Lors de son audition, l’Union syndicale des magistrats a confirmé au rapporteur que l’engagement de poursuites pénales de parents de mineurs délinquants ou criminels au titre de carences éducatives demeurait rare. Seules 333 condamnations ont été prononcées sur le fondement de l’article 22717 du code pénal en 2022 ([20]). En outre, le principe de personnalité des peines en matière pénale exclut d’engager la responsabilité d’un parent pour l’infraction commise par son enfant ([21]).

En substitut ou en complément d’une sanction pénale, la loi n° 2007‑297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a par ailleurs créé un stage de responsabilité parentale dont l’objet est de « rappeler au condamné les obligations juridiques, économiques, sociales et morales qu’implique l’éducation d’un enfant » ([22]). Celui-ci peut être prescrit à un parent condamné pour un délit puni d’une peine d’emprisonnement conformément à l’article 131‑5‑1 du code pénal.

Lorsque des mineurs commettent des délits ou des crimes, l’arsenal juridique apparaît ainsi dans les faits trop limité pour permettre de mettre en cause réellement et efficacement la responsabilité des parents au titre de potentielles négligences, carences ou défaillances éducatives.

  1.   La suspension des Allocations familiales, un levier de responsabilisation des parents
    1.   13 milliards d’euros de prestations versées en 2023

L’article L. 512‑1 du code de la sécurité sociale dispose que « toute personne française ou étrangère résidant en France [...] ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France, bénéficie pour ces enfants [de] prestations familiales ». Ces prestations familiales listées à l’article L. 511‑1 incluent les allocations familiales dont les conditions de versement sont précisées aux articles L. 521‑1 à L. 521‑3 du même code. Elles sont attribuées aux personnes ayant au moins deux enfants à charge de moins de 20 ans ([23]). Leur montant varie selon le nombre et l’âge des enfants à charge mais également, depuis le 1er juillet 2015 ([24]), selon les ressources du ménage suivant un barème défini par décret et périodiquement révisé.

plafonds de ressources annuelles 2023
en vigueur du 1er janvier au 31 décembre 2025

(en euros)

Plafonds de revenus annuels en fonction de la composition du foyer

Première tranche

Deuxième tranche

Troisième tranche

Deux enfants

Inférieurs à 78 565 euros

Compris entre 78 565 et 104 719 euros

Supérieurs à 104 719 euros

Trois enfants

85 111

Entre 85 111 et 111 265

111 265

Quatre enfants

91 657

Entre 91 657 et 117 811

117 811

Par enfant supplémentaire

+ 6 546

Source : Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

barème des allocations familiales
en vigueur du 1er avril 2024 au 31 mars 2025

(en euros)

Nombre d’enfants à charge

Première tranche

Deuxième tranche

Troisième tranche

Deux enfants

148,52

74,26

37,14

Trois enfants

338,80

169,40

84,71

Par enfant en plus

190,29

95,15

47,58

Majoration pour les enfants de 14 ans et plus

74,26

37,14

18,57

Allocation forfaitaire

93,91

46,96

23,49

Source : Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

En 2024, une famille avec trois enfants et des ressources équivalentes à trois fois le salaire minimum de croissance (Smic) – soit le plafond de ressources le plus bas du barème – bénéficie de 338,80 euros d’allocations familiales par mois. Lorsque les enfants atteignent l’âge de 14 ans, les allocations familiales sont majorées ([25]) ; dans les conditions sus-décrites, la même famille bénéficiera de 74,26 euros par mois pour chacun de ses enfants âgés de 14 à 19 ans.

Pour les familles avec trois enfants dont les ressources annuelles dépassent 85 111 euros en 2023 (seconde tranche de revenus), les allocations familiales sont réduites de moitié (169,40 euros mensuels). Elles sont divisées par quatre (84,71 euros mensuels) au-delà de 111 265 euros (troisième tranche de revenus).

Source : rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) « Famille », édition 2024.

Une allocation dite forfaitaire est également attribuée pendant un an aux familles ayant au moins trois enfants à charge lorsque l’aîné atteint 20 ans – l’âge limite de versement des allocations familiales.

Les allocations familiales versées en 2023 représentent plus de 13 milliards d’euros ([26]). Elles bénéficient à un peu plus de cinq millions de familles, en majorité des familles nombreuses. Les couples avec trois enfants ou plus reçoivent en effet près de la moitié des allocations familiales versées ([27]). Elles constituent ainsi un soutien financier prépondérant de l’État et de la société aux parents qui assument la charge de leurs enfants. Lorsque des familles manquent manifestement à leurs devoirs éducatifs, le rapporteur estime que le droit à bénéficier de ces aides pourrait et devrait légitimement être remis en question.

  1.   Le retrait du bénéfice des allocations familiales en cas de défaillances éducatives

L’article L. 521‑2 du code de la sécurité sociale fixe le principe selon lequel les allocations familiales sont versées à « la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant ».

Le droit en vigueur prévoit à ce titre plusieurs cas dans lesquels les parents peuvent se voir retirer le bénéfice des allocations familiales. Ces situations reflètent pour la plupart l’existence de défaillances éducatives de la part des parents :

– dans le cadre d’une mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial prévue à l’article 375-9-1 du code civil, lorsqu’il apparaît que les prestations familiales « ne sont pas employées pour les besoins liés au logement, à l’entretien, à la santé et à l’éducation des enfants », le juge peut décider qu’une personne physique ou morale qualifiée, dite « déléguée aux prestations familiales », perçoit tout ou partie des prestations familiales dues au bénéficiaire de la mesure (article L. 552‑6 du code de la sécurité sociale) ;

 en cas de déchéance totale ou partielle de l’autorité parentale ou de condamnation de l’un des deux parents pour ivresse ou faits de maltraitance, le versement des prestations familiales est attribué à l’autre parent (article R. 5132 du même code) ;

 lorsqu’un enfant est placé auprès d’un service d’aide sociale à l’enfance (ASE) à la suite d’une mesure de protection de l’enfant en matière civile ([28]) ou d’une mesure éducative judiciaire en matière pénale ([29]), l’article L. 5212 du code de la sécurité sociale prévoit que la part des allocations familiales dues à la famille pour l’enfant placé est versée au service à qui il est confié ;

– de même, en cas de placement ordonné par le juge des enfants en matière pénale, notamment en centre éducatif fermé dans le cas d’une condamnation à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire ([30]), l’article L. 113-2 du code de la justice pénale des mineurs prévoit que les allocations familiales auxquelles le mineur ouvre droit sont versées à la personne ou à l’établissement d’accueil le temps du placement.

Toutefois, dans les deux cas, le juge peut également décider de maintenir le versement des allocations à la famille « lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer ». Dans les faits, les allocations familiales apparaissent rarement réallouées à l’organisme dans lequel le mineur est placé (moins de 10 % des cas) ; le maintien du versement à la famille reste la voie privilégiée par le juge.

  1.   Des précédents de suspension d’aides sociales aux niveaux national et local

La suspension d’aides sociales en cas de comportement fautif du mineur a déjà fait l’objet de dispositions législatives et réglementaires qui ne sont plus en vigueur aujourd’hui :

 La loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, dite « loi Ciotti », abrogée en 2013 ([31]), instaurait une suspension du versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire de l’enfant mineur.

Le dispositif, codifié à l’article L. 131‑8 du code de l’éducation, prévoyait qu’à l’issue d’un premier avertissement, en cas d’absence d’au moins quatre demi-journées constatée sur une période d’un mois, l’inspecteur d’académie puisse, « après avoir mis les personnes responsables de l’enfant en mesure de présenter leurs observations, et en l’absence de motif légitime ou d’excuses valables », saisir le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales de façon à suspendre immédiatement le versement de la part des allocations familiales dues au titre de l’enfant en cause.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) émanant de l’association « Justice pour toutes les familles », le Conseil d’État a rejeté ladite demande en considérant notamment que les dispositions de la loi « Ciotti » ne pouvaient être regardées comme portant atteinte aux principes d’égalité, de nécessité et de légalité des peines ainsi qu’aux droits de la défense (articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789). Le Conseil d’État rappelle dans sa décision « qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction, dès lors, d’une part, que la sanction susceptible d’être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d’autre part, que l’exercice de ce pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à assurer les droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu’en particulier doivent être respectés les principes de la nécessité et de la légalité des peines, ainsi que les droits de la défense » ([32]).

La loi « Ciotti » a fait l’objet d’une application limitée jusqu’à son abrogation en 2013. D’après le directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la suspension d’allocations familiales en raison d’une situation d’absentéisme scolaire aurait concerné moins de 1 000 familles entre 2011 et 2013.

 Au niveau local, au cours des dernières années, plusieurs collectivités ont également développé des dispositifs de suspension du versement d’aides sociales facultatives communales aux familles de mineurs qui auraient fait l’objet d’un rappel à l’ordre ou d’un jugement définitif suite à une infraction troublant l’ordre public ([33]). Leurs élus ont considéré ces sanctions financières comme un levier efficace pour responsabiliser les familles et lutter contre la délinquance des mineurs à l’échelle de leur territoire.


   travaux de la commission

Lors de sa première réunion du mercredi 29 janvier 2025, la commission a examiné la proposition de loi visant à suspendre les allocations familiales aux parents de mineurs criminels ou délinquants (n° 681) (M. Fabien Di Filippo, rapporteur) ([34]).

M. Fabien Di Filippo, rapporteur. Belle matinée pour notre commission : après avoir parlé de l’assistanat, nous allons évoquer la société des droits et des devoirs – un autre sujet essentiel au redressement de notre pays. Cette proposition de loi figure en sixième position de notre niche parlementaire du 6 février, entièrement consacrée à la restauration de l’autorité de l’État.

Une première réalité nous conduit à défendre ce texte : la délinquance des mineurs, sur laquelle nous ne pouvons plus fermer les yeux et qui, à en croire un magistrat que nous avons auditionné, est en hausse au point de devenir un phénomène structurel. Cette délinquance concerne des mineurs de plus en plus jeunes et pour des faits de plus en plus violents.

Les mineurs représentent en effet 18 % des personnes mises en cause pour des infractions pénales – un chiffre en augmentation constante. En 2023, plus de 110 000 mineurs ont été impliqués pour divers délits, parmi lesquels des violences volontaires, des vols avec violence et des dégradations. Le phénomène est particulièrement marqué dans les zones urbaines sensibles, dans lesquelles ils peuvent représenter jusqu’à 40 % des mis en cause pour des délits graves. Nous constatons donc l’ampleur du problème et de la sur-représentation des jeunes. Je rappelle que, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, les 10‑24 ans comptent pour 21 % de la population globale, alors qu’ils représentent 36 % des auteurs présumés des infractions pénales.

J’ajoute que la délinquance des mineurs s’étend également à d’autres territoires, y compris ruraux, de plus en plus concernés par des problèmes éducatifs, de tension sociale et d’isolement géographique de nature à exacerber les difficultés des familles.

Par ce texte, nous voulons affirmer la responsabilité de la famille et des parents dans le domaine éducatif – rôle qu’aucune institution, pas même l’école ni l’État, ne saurait suppléer. Le cadre parental constitue le premier rempart contre la marginalisation et les dérives des jeunes. Le cadre éducatif et l’implication des parents jouent un rôle déterminant dans le développement social et comportemental des enfants.

Malheureusement, il arrive que certains parents se désengagent ou ne disposent pas des outils pour assumer pleinement leur rôle éducatif. L’article 227‑17 du code pénal punit de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende « le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». Toutefois, en pratique, cette disposition n’est que rarement invoquée. Son application se heurte en effet à la nécessité d’apporter la preuve d’un élément intentionnel de l’infraction et de son lien direct avec l’élément matériel. Il existe des familles dans lesquelles les parents impliquent leurs enfants dans leurs infractions délictueuses ou criminelles mais, fort heureusement, ce n’est pas le cas dans l’immense majorité des faits commis par des mineurs – même si des manquements éducatifs peuvent être constatés.

Par ailleurs, le magistrat que nous avons auditionné a également insisté sur deux éléments très concrets, revenus dans un nombre important d’affaires qu’il a eu à traiter personnellement.

Le premier est l’absence du père. En effet, si dans une grande majorité des audiences, la mère accompagne son enfant, dans l’immense majorité des cas, le père, lui, est absent. Je sais que des débats traversent notre société bien au-delà de notre hémicycle et que certains voudraient gommer les repères familiaux, mais c’est un phénomène identifié par les magistrats eux-mêmes dont nous devons avoir conscience. La carence éducative, parentale, paternelle n’est pas quelque chose que nous pouvons mettre de côté.

Le second, également important, a trait à la temporalité de la sanction et à sa fonction. Gérald Darmanin a récemment évoqué cette question : le temps de la justice des mineurs est beaucoup plus long, en raison de la mise à l’épreuve et du délai précédant la matérialisation de la sanction. Ce fonctionnement ouvre la voie à la poursuite des dérives, dans une spirale infernale de délinquance. C’est pourquoi ce texte est également un moyen d’affirmer la nécessité d’une sanction immédiate, laquelle susciterait un choc pour tout le monde et, pour les parents, une prise de conscience de l’importance de reprendre son enfant en main.

En définitive, nous souhaitons encourager les parents à agir en amont, avant que ne s’enclenche la spirale délinquante que je viens d’évoquer. Parmi les mesures préventives pouvant être prises, je citerai le renforcement du suivi de la scolarité, le recours à des structures d’accompagnement, ou encore le signalement des comportements problématiques auprès des autorités compétentes quand les parents ne sont pas en mesure – et on peut le comprendre – de les juguler eux-mêmes. Nous essayons ainsi de combiner une approche de fermeté et de soutien.

L’article unique de la proposition de loi vise à responsabiliser les parents des mineurs délinquants ou criminels grâce à une sanction financière immédiatement perceptible sur les ressources du foyer, c’est-à-dire par une suspension des allocations familiales. Conformément au principe constitutionnel de nécessité et de légalité des peines, une progressivité de la sanction est prévue. La durée de la suspension des prestations serait fixée selon la gravité de l’infraction commise par le mineur, celle-ci pouvant aller d’un mois pour une contravention de première classe à cinq ans en cas de condamnation pour un crime.

Comme la Droite Républicaine l’a montré dans le cadre du texte précédent, elle ne cédera jamais rien aux tenants de la générosité sans limite ; jamais rien à l’idée d’une société de droits sans devoirs ; jamais rien à l’individualisme égoïste et égocentré. Notre pays rencontre de nombreuses difficultés : il faut que chacun se réapproprie le sentiment de responsabilité qui doit nous animer. Tout n’est pas évident, ni facile, mais on ne peut sans cesse invoquer la faute des autres ou de l’État, ni toucher des aides financées par la collectivité – et souvent à crédit – sans assumer un minimum de devoirs en contrepartie. Voilà le message que nous tenons à afficher ce matin, avec la plus grande fermeté.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

M. Bryan Masson (RN). Pour la deuxième fois en deux ans, nous abordons la thématique cruciale de la délinquance des mineurs et l’opportunité de supprimer ou suspendre les allocations que perçoivent leurs familles. J’ai déposé il y a un peu plus d’un an une proposition de loi en des termes quasi identiques sur cette question. C’est révélateur de l’urgente nécessité d’agir – même si les faits divers impliquant quotidiennement des mineurs devraient être une piqûre de rappel largement suffisante. De plus, cela signifie que nous n’avons pas travaillé pour rien et que nos travaux auront servi au groupe DR. La présence de certains de vos collègues au Gouvernement permettra peut-être de donner une suite favorable à cette mesure de bon sens, à moins que vos amis et alliés macronistes du moment ne jouent une nouvelle fois les frondeurs.

Je me souviens du soutien du groupe LR lors de l’examen de ma proposition de loi en commission, mais aussi de vos bancs déserts lors de sa discussion dans l’hémicycle, ce qui avait permis à l’alliance de la Macronie et de l’extrême gauche de faire adopter des amendements de suppression. C’est regrettable, tout comme, d’ailleurs, votre choix de placer ce texte en sixième position de votre niche, rendant quasi impossible son examen.

Cela étant, comme vous le savez, nous avons pour unique boussole l’intérêt général. Mon groupe n’est d’ailleurs pas complètement défavorable à la proposition de loi. Elle mérite des modifications absolument nécessaires, mais au-delà des correctifs que nous défendrons, nous en partageons la philosophie et surtout les constats.

Sur le fond, je note un excès de zèle dans le dispositif proposé, lequel va plus loin que le nôtre, dans la mesure où vous intégrez les contraventions de classe 1 à 5. Alors que l’objet du texte est de répondre de manière préventive et répressive aux carences éducatives, priver d’allocations familiales, ne serait-ce que pour un, deux ou trois mois, les parents d’un ado qui aurait mal garé son scooter, oublié d’activer un clignotant ou circulé sans vignette dans une zone à faibles émissions me paraîtrait un peu excessif. Nous en discuterons lors de l’examen des amendements.

M. Jean Terlier (EPR). Cette proposition de loi fait écho à un autre texte sur lequel la commission des lois, à laquelle j’appartiens habituellement, a été amenée à se prononcer en 2023. Ce texte était défendu par le Rassemblement national et si celui-ci n’est pas exactement identique, l’objectif poursuivi semble peu ou prou le même : priver d’allocations familiales les parents d’enfants ayant commis des actes de délinquance. Cette similitude conduit naturellement le groupe Ensemble pour la République à formuler les mêmes réserves que celles que nous avions faites valoir en 2023.

Sur la forme, le dispositif nous paraît inconstitutionnel eu égard au principe de responsabilité personnelle en matière répressive.

Sur le fond, nous nous interrogeons sur l’efficacité de la mesure. La « loi Ciotti » de 2010 avait introduit un mécanisme comparable de suspension des allocations afin de lutter contre l’absentéisme scolaire, mais ce texte a été abrogé en 2013, faute de résultats probants. De même, nous doutons que des effets vertueux puissent résulter d’une aggravation de la situation financière des ménages concernés, la grande majorité d’entre eux connaissant déjà une forme de précarité. Enfin, nous estimons que la proposition de loi ne répond pas à l’objectif visé – et que nous pourrions partager – qui est de sanctionner les parents défaillants dont les manquements à leurs obligations parentales ont conduit leurs enfants à commettre des actes de délinquance. Le mécanisme ici proposé sanctionnerait indistinctement ces individus, mais aussi les parents de bonne foi, ce qui n’est pas acceptable.

Le groupe EPR estime néanmoins que des réformes pénales sont à mener afin de lutter plus efficacement contre la délinquance des mineurs. C’est le sens de la proposition de loi défendue par Gabriel Attal et dont je suis le rapporteur, visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents ; elle sera débattue dans l’hémicycle à partir du 12 février. Son article 1er vise à élargir, pour les parents, le délit de soustraction à ses obligations légales.

Vous l’aurez donc compris, mon groupe ne soutiendra pas cette proposition de loi.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Une fois de plus, la droite revient avec son obsession punitive, recyclée de l’extrême droite, en l’occurrence celle de supprimer les allocations familiales aux parents de mineurs délinquants. C’est une vieille rengaine qui, comme toujours, cherche à masquer une incapacité à proposer des solutions efficaces, sociales, humaines ; une vieille rengaine qui, comme toujours, chercher à flatter la bêtise et les peurs.

Pourtant, la société française n’a jamais été aussi peu exposée à la délinquance juvénile. En 2023, 121 000 mineurs ont été mis en cause, contre près de 200 000 au début des années 2000. Cette proposition de loi n’a donc aucune raison d’être, si ce n’est d’illustrer les névroses caractéristiques d’une droite obsédée par les questions sécuritaires.

Vous voulez punir collectivement les familles qui ont le plus besoin de soutien, au risque d’enfermer des fratries entières dans la pauvreté. Vous le savez, pourtant : les études sociologiques ont démontré que la famille n’explique pas la délinquance juvénile. Quant à la « loi Ciotti », qui pénalisait les parents pour l’absentéisme scolaire de leurs enfants, elle a aggravé les choses et a dû être abrogée trois ans plus tard. Tout indique donc qu’une telle mesure produirait l’inverse des effets recherchés.

De deux choses l’une : soit vous êtes perdus dans des rives lointaines de fake news et de paresse intellectuelle, soit vous ne cherchez qu’à stigmatiser les pauvres et les habitants des quartiers populaires, trouvant ici un prétexte pour baisser les aides sociales. Je penche pour cette seconde hypothèse. D’ailleurs, votre texte est inconstitutionnel, dans la mesure où il viole les principes d’égalité et de proportionnalité des peines. Depuis quand puniton toute une famille pour les actes d’un seul de ses membres ?

Au lieu de protéger les enfants, vous les condamnez. Déjà sanctionnés par la justice, ils seraient ensuite pénalisés financièrement par les organismes sociaux, sur décision de l’État, ce qui accroîtrait la probabilité qu’ils soient de nouveau condamnés. Rappelons que dans notre pays, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Pour citer Sébastien Roché, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique, « contre la délinquance, le plus efficace, c’est l’État social ». Garantir des conditions de vie dignes  éduquer, nourrir, loger –, voilà les bases de la sécurité.

En conclusion, ce que vous proposez, ce n’est pas de la fermeté : c’est de la brutalité ; ce n’est pas de la fraternité : c’est de la division ; ce n’est pas une loi : c’est une honte. Avec un seul article, vous réalisez l’exploit de contrevenir à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, à la Constitution de la Ve République, au Préambule de la Constitution de 1946, à la convention internationale des droits de l’enfant et aux grands principes du droit pénal. Dit autrement, vous réalisez l’exploit de contrevenir aux principes de la République.

Mme Josiane Corneloup (DR). Dans le cadre du déploiement d’une politique visant à assurer la sécurité des Français et à restaurer l’autorité de l’État, cette proposition de loi vise à suspendre les allocations familiales aux parents de mineurs criminels ou délinquants. Je rappelle que 18 % des personnes mises en cause pour des infractions pénales sont mineures. Entre 2002 et 2019, d’après le ministère de l’intérieur, le nombre de mineurs mis en cause pour coups et blessures volontaires sur une personne de moins de 15 ans a augmenté de 350 %, et de 70 % s’agissant des violences sexuelles sur mineur.

Cette explosion des violences, des vols avec violence et des dégradations est particulièrement marquée dans les zones urbaines sensibles, même si le phénomène s’étend désormais aux territoires ruraux, où jusqu’à 25 % des délits sont commis par des mineurs. En 2023, selon le ministère de la justice, les affaires traitées par les parquets ont concerné 179 000 mineurs. Parmi ceux-ci, seuls 30 000 ont été condamnés à une peine ou à une mesure éducative.

Face aux incivilités et aux faits de délinquance impunis commis par les mineurs, la responsabilité des parents est insuffisante, alors même qu’elle constitue un levier éducatif de premier plan, au même titre que l’école. Pour remédier à cette situation, une modulation du droit aux allocations familiales est de nature à mieux responsabiliser les parents, qui doivent assumer leurs obligations éducatives. L’objet du texte est en effet de rappeler le rôle essentiel de la famille dans la construction psychologique et sociale de l’enfant.

La suspension rapide des allocations familiales en cas de condamnation définitive d’un mineur à une peine ou à une mesure éducative renforcera l’effet dissuasif de la sanction. Conformément au principe constitutionnel de progressivité, la durée de cette suspension sera fixée en fonction de la gravité de l’infraction commise.

Les Français attendent des actes forts face à la délinquance juvénile galopante. L’article unique de cette proposition de loi constitue une réponse juste et efficace, que le groupe DR soutiendra.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Après la proposition de loi de Gabriel Attal visant à sanctionner les parents de mineurs délinquants, nous voici confrontés à un texte du même acabit issu du groupe Droite Républicaine. Pour mémoire, cette mesure figurait déjà au programme de Jean-Marie Le Pen en 1986.

À la lecture du texte, plusieurs exemples viennent en tête. Prenons un jeune de 14 ans qui stationne son scooter de façon incorrecte et écope d’une amende de 38 euros. Sa famille – toute sa famille ! – se voit alors suspendre ses allocations familiales pendant un mois – mois au cours duquel vous mettrez en péril toute la cellule familiale, qu’il s’agisse de la santé physique et mentale ou de la sécurité, pour un scooter mal garé.

Prenons ensuite une fratrie de quatre enfants, dont les trois premiers réussissent bon an mal an leurs parcours de vie. Si le quatrième commet une faute, un délit ou un crime, c’est l’ensemble de la famille, parfois portée par une mère seule, qui est pénalisée. Imaginez‑vous les conséquences radicales pour ces familles qui s’enfonceront encore un peu plus, et ce au détriment de toute la société ?

À l’évidence, votre mesure ne ferait qu’aggraver la fragilité des familles, en induisant des effets en spirale désastreux. Et pour quels effets sur le mineur fautif ? Nuls, voire négatifs ! Je sais que vous avez hâte de les mettre en prison, vu que vous soutenez le texte de M. Attal, qui plaide pour la comparution immédiate des mineurs, mais souffrez que des points de vue plus sages et plus efficaces essaient de vous faire entendre raison.

Les allocations familiales sont plus qu’une simple traduction d’une politique nataliste ou familiale : elles sont un outil pour que les parents de familles nombreuses puissent subvenir aux besoins de leurs enfants, assurer leur épanouissement et préserver leurs chances d’émancipation. Aider les parents dans l’éducation de leurs enfants – ce à quoi aucun parent n’est jamais préparé avant de le devenir –, voilà une vraie ambition de service public et de politique sociale !

Car répondre aux besoins matériels et moraux des enfants n’est pas chose facile ; c’est même très difficile dans certaines configurations familiales. Les professionnels de justice sont formels : les solutions éducatives qui impliquent les enfants et des encadrants formés constituent la meilleure voie. Or cette année, cinq cents postes ont été supprimés au sein de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le taux d’encadrement devient donc intenable. Rien que dans la division Île-de-France et outre-mer, soixante suppressions de poste sont annoncées. Dans les budgets rabougris qui s’annoncent, la seule chose que vous financez, ce sont les solutions d’enfermement – au détriment des solutions d’éducation et de réparation.

Vous vous égarez, mais nous tenons la boussole du principe du droit et de l’esprit de 1945 et nous opposons à ce texte.

M. Philippe Vigier (Dem). Au Parlement, on peut et on doit parler de tout, y compris de la société, des problèmes qu’elle rencontre et des solutions que nous pouvons apporter. C’est en tout cas le message que j’entends de la part de mes concitoyens.

En ce qui concerne les mineurs délinquants, cela fait vingt ans que je me rends tous les deux mois dans un centre de détention de ma commune pour comprendre ce qui se passe – centre dans lequel j’ai d’ailleurs travaillé en tant que professionnel de santé. J’ai également eu la chance de passer quatre pleines journées, en tant qu’observateur, aux côtés d’un juge des enfants. Je vous invite à faire pareils exercices. Nous nous interrogeons tous : la mort de cet ado de 14 ans pour un téléphone portable a d’ailleurs été évoquée hier, lors des questions au Gouvernement. Je n’ai pas oublié Jean-Pierre Chevènement, qui parlait de sauvageons. Ce qui se passe actuellement est gravissime. Près d’une infraction sur quatre est commise par un adolescent.

Quelles sont les solutions ? Je répète d’abord que toutes peuvent être soumises sans faire l’objet d’anathèmes. Il n’y a pas ceux qui pensent bien et ceux qui pensent mal. Celle ici proposée pourrait-elle être efficace ? Mon collègue Isaac-Sibille suggère l’établissement d’un permis à points concernant l’autorité parentale : pourquoi pas ? N’est-ce pas brutal, pour une personne qui a multiplié les infractions routières et qui a donc perdu tous ses points, de ne plus pouvoir aller au travail qu’à pied ? Mais alors que 15 000 personnes mouraient sur les routes en 1975, elles ne sont désormais plus que 4 000 chaque année. L’efficacité éducative passe aussi par des contraintes, et si celle ici proposée est un chemin, alors il faut l’emprunter !

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants comprend et partage l’objectif de cette proposition de loi visant à répondre à la délinquance des mineurs : la gravité des infractions commises par ces derniers a beaucoup augmenté ces dernières années. Nous souscrivons à l’idée qu’il est essentiel de responsabiliser davantage les familles dans l’exercice de l’autorité parentale, conformément au cadre défini par le code civil.

Cela étant, le texte soulève plusieurs interrogations. D’abord, les allocations familiales visent à soutenir les parents dans l’entretien, l’éducation, les frais quotidiens liés aux besoins des enfants. Or, lorsqu’un mineur est placé ou incarcéré, il n’est justement plus à la charge effective de ses parents, ce qui questionne l’opportunité du maintien de l’aide. Ici réside, selon nous, le point d’entrée de notre réflexion. Pourquoi suspendre les allocations familiales aux parents dont l’enfant est condamné, mais continuer de les verser à ceux dont l’enfant est placé – enfant qui ne vit donc plus au sein du foyer et dont le lien affectif avec ses parents se résume parfois à quelques cartes postales par an ? Il y a là un manque de cohérence.

Ensuite, le texte repose sur une approche générale, sans tenir compte de la composition des foyers. Dans la mesure où les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant, cela signifie qu’elles ne pourraient être suspendues aux parents d’un enfant unique qui commettrait un délit, ce qui représente une inégalité de traitement. Il nous semblerait donc plus équitable de moduler le dispositif selon les réalités familiales.

Par ailleurs, en l’état actuel du texte, les allocations pourraient être suspendues sans aucune étape préalable, pas même un rappel à la loi. Une sanction aussi lourde devrait selon nous s’inscrire dans un processus plus progressif et pédagogique.

Enfin, en cas de recours, la charge de la preuve reposerait entièrement sur les parents, sans précisions sur les critères retenus, ce qui risquerait d’alourdir la gestion administrative et d’aboutir à des traitements inéquitables.

Ainsi, dans l’attente d’amendements visant à équilibrer le texte, mon groupe s’abstiendra. Nous soutiendrons des mesures adaptées et respectueuses à la fois des réalités familiales et du cadre juridique.

Mme Hanane Mansouri (UDR). Oui, la lutte contre la délinquance juvénile est une priorité absolue pour notre société. Les mineurs représentent 18 % des personnes mises en cause pour une infraction pénale – 40 % dans les zones urbaines dites sensibles. Le phénomène touche donc particulièrement les grandes agglomérations, mais s’étend désormais aussi aux territoires ruraux. Aussi bien dans les villes que dans les campagnes, les tensions sociales et l’isolement accentuent les difficultés éducatives. Le nombre de jeunes impliqués dans des délits aussi graves que des violences volontaires, des vols avec violence et des dégradations va croissant. Face à cette réalité alarmante, nous devons agir avec fermeté et détermination.

Si je me réjouis que le groupe DR s’empare du sujet de la responsabilité éducative des parents, je m’inquiète de la sincérité de sa démarche. En effet, pourquoi ne pas avoir soutenu, il y a quelques mois, le texte similaire de Bryan Masson, membre du Rassemblement national, si ce n’est par pure idéologie ? Cela étant, et parce que le groupe UDR ne souhaite pas user des mêmes méthodes dogmatiques, nous validons le constat posé par la proposition de loi. Oui, les parents ont un devoir d’éducation de leurs enfants. Non, les aides publiques ne sont pas un droit inconditionnel.

Il est évident que les parents des assassins d’Elias ne doivent plus jouir de la générosité nationale. Il faut un lien clair entre l’octroi des allocations familiales et l’implication effective de la famille dans l’encadrement des enfants. Le rôle de la famille est en effet fondamental dans la prévention de la délinquance. Il s’agit du premier cadre éducatif de l’enfant, celui qui forge les repères sociaux et le respect des règles. Or nous constatons que certains parents se désengagent de ce rôle. Dans ce cas de figure, il n’est pas acceptable que l’État continue de financer sans conditions ces familles qui ne font pas le job pour, au moins, éviter la récidive des comportements criminels ou délictuels de leurs enfants. Oui, pour vivre en société, l’éducation nécessite un cadre et des contraintes, n’en déplaise aux enfants pourris gâtés présents dans cette salle.

Voilà pourquoi nous approuvons cette proposition de loi – même s’il faut que la suspension des allocations soit proportionnée à l’infraction commise, selon un barème précis. Il ne s’agit certainement pas de fragiliser les familles innocentes qui rencontrent des difficultés, mais de les encourager à jouer pleinement leur rôle. Devons-nous alimenter un système où l’impunité et l’irresponsabilité sapent l’autorité parentale ? Je ne le crois pas. Nous avons ici l’occasion d’établir un cadre clair, de dissuader les mineurs d’assassiner pour un portable ou d’entrer dans le trafic de stupéfiants, et ainsi d’éviter qu’ils ne prennent une balle dans la tête, comme cela arrive à Grenoble ou à Marseille.

M. Arnaud Simion (SOC). Il faut s’écouter, nous dit M. Vigier car on ne peut opposer ceux qui pensent bien et ceux qui pensent mal. Soit, mais nous fondons-nous tous sur les mêmes valeurs et les mêmes principes ? Telle est la question.

Cette proposition de loi a le mérite de clarifier certaines connivences idéologiques persistantes. Il s’agit en effet d’une stricte reprise d’un texte défendu par le RN en 2023, qui visait à suspendre ou à supprimer les allocations familiales aux parents de mineurs condamnés.

Rappelons-le, les allocations familiales sont une prestation destinée à aider les familles les plus précaires à sortir de la pauvreté. C’est l’une des aides les plus efficaces, puisqu’elle réduit justement de près de 2 points le taux de pauvreté. Ces allocations permettent aux parents les plus vulnérables de subvenir aux besoins de leurs enfants.

En les utilisant comme levier, vous assumez donc d’appliquer des sanctions de manière différenciée, selon le niveau de vie. En effet, compte tenu de la progressivité des allocations, si la famille du mineur condamné est précaire, elle sera davantage pénalisée que si elle est plus aisée. Que réservez-vous donc, monsieur Di Filippo, aux familles qui ne perçoivent pas d’allocations familiales, mais dont l’un des enfants commet un crime ou un délit ? Proposez-vous de revenir sur leur éventuelle exonération d’impôt sur le revenu ou encore de leur retrancher une part fiscale ? Le texte ne le dit pas.

Au-delà de sa profonde injustice, le dispositif ici proposé soulève de nombreux enjeux juridiques. Il introduit un lien dangereux entre la sécurité sociale et le pouvoir judiciaire. Les personnes auditionnées ont pourtant été claires sur la difficulté qu’il y aurait à établir un mécanisme de partage d’informations.

Mais surtout, croyez-vous réellement que la suppression des allocations familiales aux familles de mineurs condamnés réglera le problème de la délinquance juvénile ? Ne faudrait-il pas plutôt lutter contre le décrochage scolaire, contre la précarité, pour l’accroissement des moyens alloués à l’école, pour la prévention spécialisée ?

Surveiller et punir n’a jamais fait société. Les élus socialistes s’opposeront donc fermement à cette proposition de loi.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Vous vous en doutez, je m’oppose complètement et farouchement à cette proposition de loi qui stigmatise les familles les plus vulnérables. Aucune aide ni soutien n’est inclus dans votre dispositif ; vous préférez la punition et la répression à la prévention. Adopter ce texte reviendrait à infliger une double peine : pour le mineur concerné, mais aussi pour toute sa famille.

Pour avoir travaillé pendant quarante ans dans les domaines de la protection de l’enfance et de la PJJ, je ne vous rejoins que sur un point : l’absence des pères aux côtés des enfants en situation de délinquance.

Par ailleurs, au cas où vous ne le sauriez pas, je rappelle que les juges des enfants peuvent déjà, s’ils l’estiment opportun, supprimer les allocations familiales. Ils se prononcent en fonction du contexte familial, social et culturel du mineur et le fait est que, le plus souvent, ils ne retiennent pas cette possibilité. Nous faisons confiance aux juges – dont nous manquons – et je suppose que vous aussi.

Je conclus en rappelant que contrairement à ce qu’affirme le rapporteur, la délinquance des mineurs ne monte pas : elle baisse.

M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Il y a, entre le texte que nous venons d’examiner et celui-ci, une vraie cohérence qui montre que la haine des pauvres est au fondement de votre idéologie. En vous attaquant aux allocations familiales, vous vous attaquez en réalité aux parents dont les enfants commettent des actes de délinquance. Mais encore faudrait-il établir le lien entre la faillite parentale et les actes commis par les enfants, car on peut être des mauvais parents et avoir des enfants qui se comportent bien, ou des bons parents et avoir des enfants qui sombrent dans la délinquance.

Qui a besoin des allocations familiales ? Ceux qui peinent à survivre et à nourrir leurs gosses. Or vous voulez leur infliger une punition collective, au mépris de nos règles de droit élémentaires – on ne punit pas des individus, des parents ou une fratrie pour des actes commis par quelqu’un d’autre. Au fond, vous vous attaquez donc non seulement aux plus pauvres, mais aussi à un principe essentiel de notre État de droit.

Pour avoir, depuis moins de deux mois, le bonheur d’être papa, je mesure ce qui vous échappe dans le fait d’élever un enfant, ce qui se dérobe à votre capacité de contrôle. Certes, mon enfant n’est pas encore au stade où il peut commettre des méfaits, mais je sens bien qu’il y a un moment où un individu vous échappe, s’autonomise et commence à construire sa vie – ce qui est normal. Je vois donc dans votre texte une proposition idéologique, malsaine et dangereuse qui dit tout de la conception que vous avez des familles et de l’éducation des enfants.

Encore une fois, vous allez frapper les familles les plus précaires, les plus en difficulté, et des fratries entières. En définitive, vous allez augmenter les souffrances, et même sans doute la délinquance – mais peut-être est-ce ce que vous cherchez en propageant un discours qui vise à faire peur, à stigmatiser et à créer un climat de guerre civile.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). J’aimerais que nous tenions tous, dans notre commission, des propos plus mesurés.

M. Vigier a exprimé son point de vue personnel, qui ne rejoint pas forcément celui de l’ensemble du groupe Les Démocrates. Si nous sommes plutôt opposés aux sanctions collectives, nous ne devons pas pour autant être naïfs. Il faut poser la question de la parentalité, et de l’autorité qui va avec : quand, dans une famille, cette autorité passe des parents aux enfants, c’est qu’il y a un problème ! Comment renforcer l’autorité parentale lorsque celle-ci commence à échapper au père ou à la mère ? La proposition de loi de M. Di Filippo n’apporte pas de réponse à cette question.

La délinquance routière était importante, mais nous avons su trouver les moyens de la réduire. De la même façon, comment pourrions-nous réduire la délinquance des mineurs ? Faudrait-il inventer une sorte de permis de parentalité ? Ce serait peut-être un peu maladroit. Faut-il mettre en avant certains modèles éducatifs ? Ce sera difficile. Toujours est-il que nous devons faire en sorte que l’autorité, dans une famille, revienne aux parents.

Mme Sylvie Bonnet (DR). Cette proposition de loi se veut un moyen supplémentaire de rappeler aux parents défaillants leur devoir éducatif. Ils le doivent à leurs enfants, en premier lieu, mais aussi à la société.

Nous ne voudrions évidemment pas que des parents de bonne volonté, qui font leur possible pour éduquer un enfant particulièrement difficile, se retrouvent dans une situation encore plus complexe, qui emporterait des conséquences pour les autres enfants de la famille. C’est pourquoi je salue l’alinéa 12 de l’article unique, qui instaure la possibilité d’un recours contre la décision de suspension, devant le juge administratif, lorsque les parents peuvent prouver leur implication sérieuse dans l’éducation de leurs enfants.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous vivons une situation de détournement de problème public visant à criminaliser les parents.

Il est intéressant d’examiner ce texte en même temps que le projet de loi de financement de la sécurité sociale, car on nous a inlassablement répondu hier, à chaque fois que nous voulions réguler les aides aux entreprises, qu’il fallait laisser ces dernières libres de bénéficier de leurs aides et de les utiliser en toute souveraineté et indépendance. On nous a expliqué que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le crédit d’impôt recherche, les exonérations de cotisations sociales, les prises de participation et le soutien au commerce extérieur devaient être accordés sans aucune condition. En revanche, dans la famille, non seulement nos concitoyens voient leurs aides conditionnées, mais ils sont également placés sous la subordination les uns des autres, car dès qu’un membre du foyer commettra une infraction, ceux qui n’ont rien à voir avec cet acte – par exemple les frères et sœurs du mineur délinquant, qui n’exercent pas de tutelle sur ce dernier et ne sont même pas tenus de se trouver à ses côtés au quotidien – en seront affectés. Cela me semble dangereux.

Il y a une demi-heure, nous avons entendu des déclarations d’attachement aux valeurs de 1945 et au régime de sécurité sociale issu de la Libération, qui repose justement sur une distinction absolue entre la responsabilité des mineurs et celle des majeurs. On ne peut donc pas poursuivre un foyer tout entier pour des infractions commises par l’un de ses membres.

Enfin, nous avons entendu notre collègue issue des rangs de l’Union nationale interuniversitaire – une association de vandales et de hooligans, pour ne parler que de ses éléments les moins violents, mais je pourrais aussi évoquer ses rapports avec le Groupe union défense – nous expliquer qu’il fallait supprimer les allocations et aides versées aux parents de mineurs délinquants. Pensez donc à vos propres parents ! Ils risqueraient d’y perdre beaucoup...

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Mes collègues ont déjà bien expliqué notre opposition à cette peine collective, ou à cette double peine – un principe qui n’est pas applicable en France. J’insisterai en revanche sur le caractère inéquitable de cette mesure : les parents ayant largement les moyens de ne pas bénéficier des prestations sociales dont il est question ne seront pas punis à la même hauteur que les parents pauvres.

Il a été dit que la délinquance juvénile augmentait en France. C’est faux. Les chiffres du ministère de l’intérieur, que l’on ne peut soupçonner de mensonge, montrent exactement l’inverse : les mineurs sont de moins en moins nombreux à être condamnés ou mis en cause, en dépit de l’augmentation du nombre d’infractions pour lesquelles ils pourraient l’être. En revanche, la prévention a, elle aussi, été revue à la baisse, puisque les moyens accordés à la PJJ, chargée d’accompagner les mineurs sur une pente glissante pour éviter qu’ils ne deviennent des délinquants, ont été drastiquement réduits. Il y a donc une triple peine : on n’accompagne plus les familles en difficulté dans leur mission d’éducation, mais on leur tombe dessus à bras raccourcis en cas de faux pas, en particulier lorsqu’elles sont pauvres. Tout cela dessine une société bien incapable de gérer les mineurs en difficulté.

Vous parlez de réarmement démographique, mais qui sera motivé pour fonder une famille nombreuse si chaque enfant risque de lui faire perdre ses allocations ?

Mme Sandrine Runel (SOC). Le groupe Droite Républicaine s’est surpassé ! Vous avez inscrit à l’ordre du jour du 6 février une proposition de loi visant à revenir sur le droit du sol à Mayotte, une autre visant à prioriser les travailleurs dans l’attribution de logements sociaux, une autre encore visant à supprimer le versement des allocations familiales aux parents de mineurs délinquants, sans parler de celle visant à plafonner le cumul de prestations sociales... C’est exceptionnel ! L’ordre du jour de votre niche est même meilleur que celui proposé par le Rassemblement national au début de la législature !

Qui peut croire en 2025 que la suppression du versement des allocations familiales aux parents de mineurs délinquants ou criminels aurait un quelconque effet positif ? Cette mesure pénaliserait davantage les familles, les mères isolées, les frères et sœurs. Pour notre part, nous voulons redonner des moyens à l’école, à la prévention spécialisée, et accompagner au mieux les familles concernées.

Finalement, cette proposition de loi n’a qu’un seul objectif : vous permettre de communiquer et de faire concurrence au Rassemblement national. Mais depuis hier, entre le Premier ministre, la Droite Républicaine et le Rassemblement national, je m’y perds un peu...

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Le sujet est récurrent puisque nous avons déjà discuté de cette proposition à de nombreuses occasions. On ne peut que constater que certains parents rencontrent des difficultés dans l’éducation de leurs enfants. Or, avec ce texte, vous leur demandez de prouver leur bonne foi, et vous renforcez leurs difficultés financières en leur supprimant le versement des allocations. Du reste, cette possibilité existe déjà : elle est à la main des juges, qui peuvent la mettre en œuvre dans certains cas, ce qui est plutôt une bonne idée. Enfin, ce texte tourne le dos aux principes qui fondent la justice des mineurs, qui favorisent la prévention et l’éducation plutôt que la répression. C’est fort dommage.

M. le rapporteur. Je remercie l’ensemble des orateurs de rester aussi longtemps en commission et de s’investir autant dans l’examen de ce texte, ce qui montre bien l’importance du sujet qui nous occupe ce matin.

Effectivement, nous sommes attachés à la famille, à la responsabilité individuelle, à la responsabilité parentale et à certaines valeurs que nous tentons de préserver parce que nous pensons qu’elles sont importantes pour notre société. Si c’est cela, être de droite, alors oui, excusez-moi, je suis de droite. Ne faites pas semblant de le découvrir !

Monsieur Masson, madame Mansouri, je vous remercie d’avoir salué une avancée – c’est en fait une mesure de bon sens au regard de l’évolution de notre société. Vous avez invoqué l’intérêt général et affirmé que vous ne vouliez pas faire de cette proposition de loi un sujet politicien. Cependant, je vous le dis, nous allons plus loin que votre propre texte. Je répondrai à vos amendements tout à l’heure. Quand on parle de ces sujets, on ne peut tolérer, ni de vous ni de personne, aucune forme de laxisme. Je déplore donc que, pour contester la crédibilité de notre texte, vous trouviez des excuses à la dérive délinquante de certains jeunes. Les contraventions, que vous voulez sortir du champ de notre texte, vont au-delà du scooter mal garé : je parle en réalité du trafic de stupéfiants, des excès de vitesse commis lors de rodéos urbains, des situations d’ivresse qui peuvent être dangereuses, ou encore des dégradations de biens publics. Nous devons être absolument fermes pour enrayer dès le départ le processus de la dérive délinquante. Je vois bien qu’à ma gauche, personne ne peut comprendre cela ; j’espère que vous, vous pourrez l’entendre.

Monsieur Terlier, notre texte n’est en rien inconstitutionnel. Nous avons évoqué cette question avec des magistrats et des représentants de la Cnaf. Seule l’impossibilité de s’expliquer devant l’autorité administrative qui prononce la sanction aurait pu constituer un motif d’inconstitutionnalité : je défendrai donc un amendement visant à lever toute ambiguïté. On ne pourra pas dire que l’on frappe indistinctement les familles ou les parents, car il sera possible de présenter des observations devant l’autorité préfectorale et de contester la décision de suspension devant le juge administratif. Vous avez vous-même évoqué, monsieur Terlier, un dispositif similaire qui a déjà existé : la loi dite « Ciotti », qui visait à sanctionner les parents d’élèves absentéistes et a concerné quelques milliers d’enfants. Elle n’a pas été abrogée, en 2013, parce qu’elle aurait montré son inefficacité, mais parce qu’une nouvelle majorité est arrivée au pouvoir, qui avait une vision très idéologique des choses – cette même vision que vous avez, aujourd’hui, à l’extrême gauche. Quoi qu’il en soit, les magistrats et les représentants de la Cnaf avec lesquels nous avons échangé ont confirmé que cette mesure était tout à fait applicable.

Madame Mesmeur, je ne reviendrai pas sur votre aveuglement idéologique. Vous semblez minorer tous les faits de délinquance qui peuvent exister. Or, quand des jeunes de 12 ou 13 ans sont dehors, en pleine nuit, et dégradent ou brûlent des monuments publics, il y a bien une responsabilité parentale, que vous le vouliez ou non. Sans répression, la prévention ne fonctionne pas forcément. Dans cette proposition de loi, nous voulons rendre les sanctions immédiates afin de susciter une prise de conscience.

Monsieur Lucas-Lundy, vous m’avez adressé très gentiment des leçons de parentalité. Vous n’avez pas dû vous renseigner sur ma situation familiale. Quoi qu’il en soit, je vous félicite pour votre contribution au réarmement démographique de notre pays. Je vous souhaite d’être heureux et d’avoir encore beaucoup d’enfants. Et du fond du cœur, je ne vous souhaite de rencontrer, en tant que parent, qu’un seul malheur : celui de voir vos enfants, arrivés à l’âge adulte, prendre une carte à la Droite Républicaine. (Sourires.)

Certains d’entre vous ont déploré un manque de proportionnalité. Il y a pourtant huit niveaux dans les sanctions proposées. Vous ne pouvez donc pas dire qu’elles frappent aveuglément, indistinctement, de manière automatique.

Madame Corneloup, madame Bonnet, je vous remercie d’avoir rappelé la réalité statistique. Effectivement, les faits graves comme le trafic de stupéfiants ou les délits sexuels concernent de plus en plus de mineurs. Certains manipulent les chiffres, avec la plus grande mauvaise foi, pour faire croire à une baisse de la délinquance juvénile. C’est faux, comme pourront vous l’expliquer les magistrats. Le fait que la délinquance des majeurs augmente encore davantage vous permet, par une petite gymnastique, de minorer celle des mineurs. Nous avons vraiment un problème de dérive délinquante dans notre pays ; le nier en essayant de manipuler les chiffres pour des raisons idéologiques n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux.

Monsieur Amirshahi, je m’inscris en faux contre vos propos. Les contraventions, que vous voudriez sortir du champ du texte, ne sont pas des faits mineurs. J’ai cité tout à l’heure, en répondant à d’autres orateurs, quelques-uns de ces méfaits qui peuvent être les prémices d’un parcours délinquant ou conduire à des comportements autrement plus graves, très coûteux pour la société et susceptibles de causer la mort d’autres citoyens. Je ne peux pas fermer les yeux là-dessus. Il n’y a pas toujours une bonne raison sociale de ne rien faire face aux problèmes de notre pays.

Effectivement, monsieur Vigier, nous avons l’impression que la réalité de nos territoires diffère de plus en plus de l’idéologie prônée par l’extrême gauche. L’éducation doit aussi passer, à un moment donné, par une forme de sanction à laquelle on ne peut échapper.

Oui, madame Colin-Oesterlé, nous avons également déposé une proposition de loi prévoyant le versement des allocations familiales à l’aide sociale à l’enfance ou au département pour les mineurs placés sur décision du juge. En effet, ces allocations doivent servir à l’éducation des enfants. D’ailleurs, la présente proposition de loi ne pénalisera pas toute la famille, puisque seul le versement de l’allocation correspondant à l’enfant concerné sera suspendu. Si mon groupe avait eu davantage de jours de niche, j’aurais bien voulu défendre aussi mon texte visant à verser les allocations directement à l’ASE lorsque les parents ne s’occupent pas de leurs enfants. Vous avez eu la gentillesse de dire que certains leur envoient une carte une fois par an. D’autres ne vont jamais les voir pendant plus de trois ans, sans que le juge prononce pour autant la suspension des allocations familiales, au motif que ces enfants retrouveront un jour leur foyer ! Voici d’ailleurs ce que j’aurais pu dire au sujet de la proposition de loi précédente : atteindre le seuil de trois enfants par foyer constitue pour certaines personnes un projet professionnel, car la perception des allocations familiales et du complément familial les dispense de travailler.

Article unique : Suspension du versement des allocations familiales en cas de condamnation définitive d’un mineur à une peine ou à une mesure éducative

Amendements de suppression AS1 de Mme Sandrine Runel et AS5 de Mme Mathilde Feld

Mme Sandrine Runel (SOC). Après avoir entendu et dénoncé tant d’horreurs, nous demandons la suppression de l’article unique. Cette proposition de loi est démagogique, car la réponse à la délinquance juvénile ne peut pas être la suppression des allocations familiales. Elle est aussi dangereuse, car elle fera encore plus tomber les ménages dans la pauvreté – un état dont on ne sort en moyenne qu’au bout de sept générations. Elle est enfin contraire à nos principes juridiques, comme l’ont rappelé les magistrats.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Comme Mme Runel, je trouve assez pénible d’entendre toutes ces horreurs. Je demande moi aussi la suppression de l’article unique de cette proposition de loi démagogique et malsaine. Vous vous êtes placés sur le terrain de jeu favori de l’extrême droite en faisant croire aux personnes déclassées et défavorisées que leur problème vient de celles et ceux qui le sont encore plus. Vous passez sous silence la délinquance des élites, qui coûte bien plus cher à la France, comme la corruption, le trafic d’influence, le financement illégal de campagnes électorales ou encore le pantouflage, une pratique illégale pourtant largement répandue au sein des gouvernements Macron.

De nombreuses recherches ont montré que la mesure proposée était inefficace et pouvait même aggraver les phénomènes contre lesquels vous prétendez vouloir lutter. Non seulement vous partez d’un constat biaisé, dont l’absence de démonstration empirique sape tout fondement, mais votre proposition de loi ne répond même pas à votre volonté affichée d’allier fermeté et soutien. Où est le soutien dans votre approche uniquement répressive ? Je reprends à mon compte les excellents arguments de mes collègues sur l’inefficacité de la loi Ciotti, sur l’atteinte directe aux droits de l’enfant, notamment à l’article 18 de la convention internationale des droits de l’enfant, et sur la rupture avec le principe de proportionnalité des peines, puisque vous prononcez contre des familles une sanction collective, qui touchera à la fois les parents et les autres enfants. En plongeant dans la précarité des familles souffrant déjà de conditions socioéconomiques difficiles, vous n’aurez aucune chance d’endiguer la délinquance.

M. le rapporteur. Mon avis est évidemment défavorable.

La modulation du droit aux allocations familiales nous paraît être un instrument légitime de responsabilisation des parents face aux actes d’incivilité, aux délits ou aux crimes commis par leurs enfants. Notre volonté n’est pas de taper sur les ménages pauvres – c’est vous qui faites cet amalgame, car ce phénomène peut en réalité toucher tous les milieux. Notre priorité est de remettre des repères familiaux et éducatifs à leur juste place dans notre société, et de rappeler le rôle essentiel de la famille et des parents dans la construction d’un enfant.

À aucun moment je n’ai instrumentalisé un fait divers particulier ou récent ; je m’y suis absolument refusé, parce que je conçois la mesure que je propose comme un principe global, qui s’impose à tous.

Ma proposition de loi vise aussi, en quelque sorte, à rétablir une certaine justice vis‑à‑vis de la société et des personnes auxquelles de jeunes délinquants ont causé du tort. L’application de sanctions pénales prend parfois des mois, voire des années ; nombreux sont donc ceux qui partent du principe que des actes délictueux ou criminels ne portent jamais à conséquence, qu’ils n’entraînent jamais de sanctions. Nous avons aujourd’hui, dans une certaine mesure, l’occasion de réparer cela. Je ne prétends pas que mon texte est parfait, ni qu’il répond à toutes les situations, mais il permettra au moins d’affirmer que des jeunes ne peuvent plus s’engager dans une dérive délinquante sans susciter une réponse immédiate et concrète de la société.

M. Jean Terlier (EPR). Votre proposition de loi n’est pas opérationnelle. Vous dites que vous ne voulez pas sanctionner financièrement les parents pauvres, mais votre dispositif ne fait pas la différence entre les parents défaillants et les parents de bonne foi. Ceux dont les manquements ont contribué à ce que leurs enfants commettent des délits doivent probablement être sanctionnés, mais au pénal et après qu’a été établi un lien de causalité entre leurs défaillances et le comportement des mineurs incriminés. Or votre proposition de loi est tellement générale qu’elle englobe les parents de bonne foi, dont les enfants ont sombré dans la délinquance alors qu’ils font de leur mieux pour essayer de les en sortir. Certes, vous expliquez que des commissions permettant aux parents de venir s’expliquer seront organisées a posteriori, mais vous allez suspendre par principe les allocations de tous les parents, sans chercher à faire de distinction. Nous pourrions d’ailleurs nous interroger sur la constitutionnalité de ce dispositif.

Par ailleurs, vous avez vous-même rappelé que l’article 227-17 du code pénal prévoit un délit de soustraction des parents à leurs obligations vis-à-vis de leurs enfants, qui permet déjà de sanctionner les défaillances des parents ayant directement conduit leurs enfants mineurs à commettre des délits, comme pendant les événements de l’été 2023. À ce propos, je vous donne rendez-vous le 12 février, dans l’hémicycle, pour voter la proposition de loi de Gabriel Attal, dont je suis le rapporteur.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Vous n’avez pas répondu à toutes les questions posées par des députés de différents bords.

En commission des lois, nous parlons beaucoup du principe de personnalisation de la peine : sauf en cas de complicité, nul ne peut être condamné pour un acte délictueux qu’il n’a pas commis. Par ailleurs, M. Terlier vient de rappeler la nécessité d’établir un lien de causalité entre la défaillance parentale supposée et l’acte lui-même. Vous en êtes loin ! Vous voulez condamner des parents pour une faute commise par l’un de leurs enfants, à laquelle ils peuvent être totalement étrangers.

Tout à l’heure, Hendrik Davi a expliqué qu’un certain nombre de vos propositions alimentaient un conflit de classe. En l’occurrence, c’est bien ce que vous faites ! Vous devriez vous inquiéter de la façon dont les Français vont percevoir votre proposition de loi. Si les enfants de M. Arnault, de M. Sarkozy ou de Mme Morano avaient été pris sur le fait en train de commettre un crime ou un délit, leurs parents, qui ne perçoivent sans doute pas d’allocations familiales, n’auraient pas été directement sanctionnés ; d’autres familles le sont pourtant, et parfois pour des faits moins graves... L’égalité de tous face à la peine n’est pas une petite question !

Enfin, vous avez vous-même souligné tout à l’heure que, lorsque des parents sont invités à accompagner un enfant mineur mis en cause, par exemple dans une procédure de comparution, le père est souvent défaillant – il l’est en tout cas plus souvent que la mère. La mesure que vous nous demandez d’adopter ne ferait donc qu’enfoncer encore plus les mères seules ; quant aux pères, vous ne les rappelez pas à leurs obligations. Ce sont des familles entières que vous plongeriez dans des difficultés inouïes, et les mères en premier !

Sans invectives ni attaques ad hominem, je vous appelle à la raison. Vous ne pouvez pas nous amener ainsi, pour céder à la facilité ou adopter une certaine posture, à voter des distorsions de droits aussi flagrantes.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). J’aimerais rectifier des chiffres erronés cités tout à l’heure. Selon les statistiques du ministère de l’intérieur, tous types d’actes confondus, on a compté 225 000 condamnations ou mises en cause de mineurs en 2011 ; ce chiffre est tombé à 161 000 en 2021, et à 121 000 en 2023, la dernière année pour laquelle les données sont disponibles. N’allez donc pas nous faire croire que la délinquance juvénile augmente ! En réalité, elle diminue drastiquement depuis plus de dix ans.

M. Gaëtan Dussausaye (RN). C’est toujours 121 000 condamnations de trop. Allez demander à la famille du jeune Elias ! Mais j’entends que mes propos vous dérangent, parce que vous n’avez jamais voulu vous attaquer à ce problème, que vous refusez même de voir.

Une certaine partie de l’hémicycle a toujours la volonté de bordéliser ou d’hystériser les débats ; je regrette que cette stratégie soit aujourd’hui adoptée par les macronistes et le parti de Gabriel Attal. Vous avez la manie de vouloir toujours tout systématiser. Je suis désolé, mais il y a un droit à la singularité. D’ailleurs, l’original RN est meilleur que la copie DR, puisque le texte de Bryan Masson comportait beaucoup plus de précisions sur les dispositions permettant aux préfets de suspendre le versement des allocations familiales aux parents de mineurs délinquants ou criminels.

Tous les parents ne sont pas nécessairement victimes des délits ou des crimes de leurs enfants. Parfois, ils en sont aussi la caisse de résonance. Certains proviseurs m’ont rapporté que, lorsqu’ils prennent une mesure disciplinaire à l’encontre d’un élève multirécidiviste dans la bordélisation de sa classe ou de la cour de récréation, il arrive que les parents débarquent dans la minute pour contester la sanction. Ce sont évidemment ces parents qu’il faut responsabiliser et sanctionner.

M. le rapporteur. Monsieur Terlier, je note que vous avez un petit conflit d’intérêts, puisque vous comptez défendre vous-même une autre proposition de loi dans quelque temps...

S’il est normal que les amendements de suppression soient examinés en premier, je regrette de n’avoir pas encore pu défendre mon amendement AS12, qui précise les possibilités de recours devant l’autorité administrative. Ainsi, monsieur Amirshahi, les parents de bonne foi auront deux possibilités pour faire valoir leurs arguments, prouver leur implication dans l’éducation de leurs enfants et mettre en avant ce qu’ils ont fait pour empêcher leur dérive délinquante : ils pourront présenter leurs observations devant l’autorité administrative, puis saisir le juge administratif.

Il est vrai qu’une sanction pénale existe déjà en cas de soustraction des parents à leurs obligations vis-à-vis de leurs enfants, mais elle n’est quasiment jamais prononcée. Elle nécessite en effet que la police et la justice parviennent à prouver l’implication des parents dans le fait délictueux ou criminel commis par leurs enfants. Vous conviendrez que c’est très compliqué, en dehors des cas où un mineur vendrait de la drogue qui lui aurait été fournie par ses parents ou pour obéir à leur consigne. Il existe par ailleurs également des procédures de réparation civile.

Enfin, je ne veux pas que l’on fasse de cette proposition de loi une affaire de lutte des classes. Les dérives délinquantes peuvent se produire dans tous les milieux. Si des parents n’ont qu’un seul enfant, ou s’ils gagnent trop d’argent pour toucher des allocations familiales, il est vrai qu’ils ne seront pas concernés par ce texte et qu’ils ne pourront donc être sanctionnés que dans le cadre des procédures pénales existantes. Je rappelle cependant notre opposition à ce que le versement des allocations familiales soit conditionné par les revenus des familles : nous sommes favorables à l’universalité de ces prestations. Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de ne pas tout faire pour que tous les milieux soient concernés à la même hauteur par notre proposition de loi !

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les amendements AS8 de M. Yannick Monnet, AS2 de M. Bryan Masson, AS12 de M. Fabien Di Filippo, AS6 de Mme Marie Mesmeur ainsi qu’AS4 et AS3 de M. Bryan Masson tombent.

La commission ayant supprimé l’article unique, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.


   ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR Le RAPPORTEUR

(Par ordre chronologique)

       Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)  M. Nicolas Grivel, directeur général, et Mme Klara Le Corre, chargée des relations institutionnelles

       Union syndicale des magistrats (USM) – M. Aurélien Martini, secrétaire général, vice-procureur au tribunal judiciaire de Melun


   Annexe n° 2 :
Textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs
À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

Unique

Code de la sécurité sociale

L. 521‑3‑1 [nouveau]

 


([1]) La notion de délinquance se distingue de celle de déviance et s’entend de toute transgression sanctionnée par une norme juridique.

([2]) Thierry Mainaud, « La délinquance des jeunes évolue avec l’âge, la réponse pénale aussi », Insee Références, édition 2016.

([3]) 8e édition annuelle du bilan statistique « Insécurité et délinquance » établi par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).

([4]) Rapport d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de la commission des lois du Sénat, « Prévenir la délinquance des mineurs, éviter la récidive », septembre 2022.

([5]) Édition 2024 du rapport statistique sur la justice des mineurs publié par le ministère de la justice, chapitre 17 « Les mineurs auteurs d’infractions pénales ».

([6]) Proposition de loi n° 448 visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents, déposée par M. Gabriel Attal et les membres du groupe Ensemble pour la République et examinée à partir du lundi 27 janvier 2025 en séance publique à l’Assemblée nationale.

([7]) Article 371‑1 du code civil.

([8]) Article 1242 du code civil.

([9]) Article 227‑17 du code pénal.

([10]) Articles L. 521‑2 du code de la sécurité sociale et L. 113‑2 du code de la justice pénale des mineurs.

([11]) Article L. 552‑6 du code de la sécurité sociale.

([12]) 8e édition annuelle du bilan statistique « Insécurité et délinquance », op. cit.

([13]) Édition 2024 du rapport statistique sur la justice des mineurs publié par le ministère de la justice, op. cit.

([14]) Rappel à la loi ou avertissement pénal probatoire, réparation, orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, régularisation, autre poursuite ou sanction de nature non pénale, etc. Ces mesures sont énumérées à l’article 41-1 du code de procédure pénale.

([15]) Laurent Mucchielli, « L’évolution de la délinquance juvénile en France », Sociétés contemporaines, 2004, n° 53.

([16]) Assemblée plénière de la Cour de cassation du 28 juin 2024, n° 22-84760.

([17]) Soit un dommage irrésistible et imprévisible pour les parents.

([18]) Article 121‑3 du code pénal : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

([19]) Pierre Rousseau, « La responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants ou criminels », Dalloz, juin 2021.

([20]) D’après le rapport n° 1698 fait par M. Bryan Masson au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à supprimer ou à suspendre les allocations familiales pour les parents d’enfants criminels ou délinquants, 4 octobre 2023.

([21]) Article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ; article 121‑1 du code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. »

([22]) Décret n° 2007‑1388 du 26 septembre 2007 pris pour l’application de la loi n° 2007‑297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et modifiant le code pénal et le code de procédure pénale.

([23]) Dans les départements d’outre-mer, les allocations familiales sont versées dès le premier enfant.

([24]) Article 85 de la loi n° 2014‑1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015.

([25]) En Guadeloupe, Guyane, Martinique et à La Réunion, la majoration débute à partir des 11 ans.

([26]) Drees, Minima sociaux et prestations sociales, fiche « Les prestations familiales », édition 2024.

([27]) Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) « Famille », édition 2024.

([28]) Article 375‑3 du code civil.

([29]) Article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs.

([30]) Article L. 122‑2 du code de la justice pénale des mineurs.

([31]) Loi n° 2013‑108 du 31 janvier 2013 tendant à abroger la loi du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire.

([32]) Conseil d’État, 1re et 6e sous-sections réunies, 15 juin 2011, n° 347581.

([33]) Par exemple, à Valence (décembre 2020, voir la décision n° 2022‑016 du Défenseur des droits, 11 février 2022), Poissy (février 2021, voir le jugement du tribunal administratif de Versailles, n° 2102944 et 2102985, 9 mars 2023), Caudry (avril 2021, voir Conseil d’État, 24 juin 2022, n° 454799), etc.

([34]) https://assnat.fr/B0vHyP