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N° 939

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour,

 

 

 

 

Par Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 770


– 1 –

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. TRAVAILLANT EN HORAIRES DÉCALÉs, LES AGENTS DE LA PROPRETÉ SONT invisibilisÉs et exposÉs aux effets DÉLÉTÈRES de ces rythmes discontinus             

A. DES MÉTIERS FÉMININS, PLUTÔT ÂGÉS ET MARQUÉS PAR UNE FORTE PRÉSENCE DE SALARIÉS IMMIGRÉS OU ÉTRANGERS, ASSUJETTIS AU TEMPS PARTIEL             

1. Les caractéristiques sociodémographiques

2. Un temps partiel court et subi très largement répandu

B. des horaires atypiques ET FRACTIONNÉS, difficilement justifiables

C. des effets nÉfastes, bien documentÉs par la littÉrature scientifique, sur la santÉ et la vie sociale             

1. Des conséquences lourdes sur la santé

2. Des risques accrus d’insécurité

3. Des perturbations de la vie sociale et familiale

D. un manque de reconnaissance et de perspective proFessionnelle

1. Le nettoyage, un métier de repli

2. Un sentiment d’ignorance, toutefois accompagné d’une forme d’autonomie

3. Un faible accès à la formation continue qui freine les évolutions potentielles de carrières             


II. LA LÉGITIME REVENDICATION D’HORAIRES DE JOUR ET CONTINUS SE HEURTE À DES OBSTACLES STRUCTURELS             

A. DES DISPOSITIONS CONVENTIONNELLES PEU FAVORABLES À LA RÉORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL             

1. Le plancher minimal dérogatoire de 16 heures hebdomadaires

2. Les effets pervers de la transférabilité des contrats

3. La clause de mobilité

B. UNE RELATION TRIANGULAIRE ENTRE SALARIÉS, EMPLOYEURS ET DONNEURS D’ORDRE PARALYSANTE             

1. Un dialogue social fragilisé par la présence d’un tiers donneur d’ordre...

2. ... et d’employeurs peu respectueux de la législation sur le travail à temps partiel

3. Des travailleurs en grande précarité, peu à même de faire respecter leurs droits.

4. Une résistance culturelle au changement

C. une dÉfinition restrictive DES HORAIRES ATYPIQUES

III. l’OBJET DE LA PROPOSITION de loi : MIEUX ENCADRER LE RECOURS AUX HORAIRES ATYPIQUES ET DISCONTINUS             

A. Des ENGAGEMENTS PUBLICS et privÉs insuffisants POUR PROMOUVOIR LE TRAVAIL EN JOURNÉE             

1. Un État donneur d’ordre, encore loin d’être exemplaire

2. Des efforts de sensibilisation de la branche mais une mise en œuvre toujours inégale 

B. Des pistes de rÉflexion pour limiter le FRACTIONNEMENT DU travail

1. Allonger la durée minimale de période de travail

2. Instaurer une prime de coupure

3. Mieux reconnaître le temps de déplacement professionnel

C. LES effets vertueux ATTENDUS de la gÉnÉralisation du travail en journÉe

1. Accroître les plages horaires et les salaires

2. Freiner l’intensification du travail

3. Valoriser une communauté de travail

4. Lutter contre le travail dissimulé

Commentaire des articles

Article 1er : Interdire le travail de nuit pour les salariés des entreprises de propreté

Article 2 (nouveau) : Rapport au Parlement sur le recours aux horaires atypiques

Travaux de la commission

ANNEXE  1 : Liste des personnes ENTENDUEs par la rapporteure 

ANNEXE  2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi             

 


– 1 –

   Avant-propos

Adapter le travail à l’humain et non l’humain au travail. Voilà un principe fort reconnu par le droit français et international. La portée de ce principe est éminemment politique puisqu’elle oblige à faire des choix éthiques, humanistes quant à la place des travailleurs et travailleuses dans le système productif mais aussi des choix organisationnels. Notre arsenal législatif impose ainsi à l’employeur d’organiser et de garantir des situations de travail respectueuses de l’intégrité physique et mentale des travailleurs.

Dès lors, comment justifier que des milliers de travailleurs – qui sont avant tout, des travailleuses – se lèvent chaque matin aux aurores pour nettoyer, dans l’ombre, nos bureaux ? L’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, dénonçait cette situation dans son discours de politique générale du 30 janvier 2024 appelant l’État à montrer l’exemple pour « toutes ces personnes qui travaillent dur et se sentent invisibles ».

Subissant des journées de travail longues par leur amplitude mais fragmentées et peu rémunératrices, les travailleurs et travailleuses de la propreté endurent une double peine puisque leurs horaires atypiques sont, par bien des aspects, aussi pénibles que le travail de nuit ou dominical mais ne font l’objet d’aucune reconnaissance juridique. C’est pourquoi la présente proposition de loi entend défendre les intérêts de ces salariés de la branche des entreprises de propreté et services associés – que l’on nommera par souci de concision et simplicité « branche de la propreté ».

Il n’est pas simple pour le législateur d’agir sur une branche professionnelle sans rompre le principe d’égalité. Toutefois, certaines particularités de cette branche appellent aujourd’hui une réponse concrète qui ne peut se satisfaire des dispositions conventionnelles actuelles.

*

*     *

I.   TRAVAILLANT EN HORAIRES DÉCALÉs, LES AGENTS DE LA PROPRETÉ SONT invisibilisÉs et exposÉs aux effets DÉLÉTÈRES de ces rythmes discontinus

A.   DES MÉTIERS FÉMININS, PLUTÔT ÂGÉS ET MARQUÉS PAR UNE FORTE PRÉSENCE DE SALARIÉS IMMIGRÉS OU ÉTRANGERS, ASSUJETTIS AU TEMPS PARTIEL

1.   Les caractéristiques sociodémographiques

Dans son étude de 2019 sur les métiers du nettoyage ([1]), la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) dresse un portrait toujours d’actualité des salariés de la propreté. Nous qualifierons, dans ce rapport, de « nettoyeurs » les agents d’entretien de la branche de la propreté exerçant dans les métiers du nettoyage en entreprise, particulièrement ciblés par la proposition de loi. Ils représentent 18 % des métiers non qualifiés du nettoyage et se distinguent des agents de service et des employés auprès de particuliers ([2]).

les mÉtiers non qualifiÉs du nettoyage, PAR PROFESSION EN 2016

Lecture : En 2016, 5 % des salariés non qualifiés du nettoyage sont des agents de service travaillant dans des établissements d’enseignement autres que primaires.

Source : Insee, Enquêtes emploi de 2015, 2016 et 2017.

Les caractéristiques sociodémographiques de ces salariés sont les suivantes :

– les emplois du nettoyage sont majoritairement féminins (73 %). Cette caractéristique concerne un peu moins les « nettoyeurs » (68,5 % de femmes) ;

– ces emplois sont occupés par une population plus âgée que la moyenne des salariés : près d’un salarié sur deux a 50 ans ou plus contre un sur quatre parmi les autres métiers dits « non qualifiés » ;

– les salariés du nettoyage sont moins diplômés que les non-qualifiés : 44 % sont sans diplôme ou ont seulement le brevet des collèges, soit 10 points de plus que l’ensemble des salariés non qualifiés. Ce taux s’élève même à 58 % pour les seuls nettoyeurs ;

– la présence d’immigrés et d’étrangers est particulièrement forte : 20 % pour l’ensemble des métiers du nettoyage mais jusqu’à 37 % pour les nettoyeurs. Cette moyenne masque par ailleurs de grandes disparités territoriales puisqu’en région Île-de-France, près de 90 % des nettoyeurs sont immigrés ou étrangers.

À ces caractéristiques s’ajoute une forte représentation des familles monoparentales puisque 17 % des nettoyeurs (21,5 % des femmes) sont dans cette situation contre 9,5 % de l’ensemble des salariés (13 % des femmes). En Île‑de‑France, ce sont plus de 28,5 % des salariées qui sont en situation de monoparentalité.

SYNTHÈSE DES CARACTÉRISTIQUES SOCIODÉMOGRAPHIQUES DES SALARIÉS DU NETTOYAGE

 

Part de femmes
(en %)

Part de familles monoparentales (en %)

Âge moyen

Part de plus de 50 ans (en %)

Part d’immigrés (en %)

Emploi salarié total

50

9.5

41

29

10

Ensemble des salariés du nettoyage

73

15.5

45

43

20

dont « nettoyeurs »

68,5

17

42

44.5

37

Source : Insee, Enquête emploi, 2019.

2.   Un temps partiel court et subi très largement répandu

En 2023, 55,5 % des nettoyeurs (hors contrats d’apprentissage) étaient à temps partiel dans leur emploi principal, contre 17,4 % dans l’ensemble des secteurs. Les femmes constituent une très grande partie d’entre eux (82,6 %, contre 77,9 % pour l’ensemble des secteurs) ([3]).

Dans le détail, ces temps partiels sont à la fois plus courts et plus contraints dans la propreté qu’ailleurs. En effet, seuls 19,3 % des salariés travaillaient 80 % d’un temps plein ou plus contre 35,1 % dans l’ensemble des secteurs alors qu’une très grande majorité travaillent pourtant sur cinq jours.

SALARIÉS SELON LA QUOTITÉ DE TRAVAIL EN 2016

Lecture : En 2016, 53 % des salariés du nettoyage sont à temps partiel dont 14 % travaillant moins de 15 heures par semaine, 39 % travaillant 15 heures ou plus et 22 % à temps partiel subi.

Source : Insee, Enquêtes emploi de 2015, 2016 et 2017.

Par ailleurs, 46,2 % déclarent être à temps partiel principalement faute d’avoir trouvé un emploi à temps complet contre 24,4 % pour l’ensemble des salariés. Ils sont aussi beaucoup plus souvent en sous-emploi : 38,0 % contre 24,7 % ([4]).

Les salariés à temps partiel de la branche occupent, enfin, fréquemment plusieurs emplois : 20,6 % contre 13,7 % pour l’ensemble des secteurs.

B.   des horaires atypiques ET FRACTIONNÉS, difficilement justifiables

Reprenant la définition de l’Institut national d’études démographiques (Ined), nous entendrons par « horaires atypiques » les jours et horaires de travail non conventionnels, c’est-à-dire les horaires décalés dans la journée (soir, nuit, tôt le matin) et dans la semaine (samedi et dimanche) ([5]). Précisons d’emblée que la mesure de ces horaires varie selon les conventions statistiques et que toutes ces tranches horaires ne sont pas reconnues par la réglementation. Ainsi, dans l’enquête Emploi de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les horaires atypiques concernent les personnes déclarant avoir travaillé le soir (20 heures – minuit), la nuit (minuit – 5 heures), le samedi ou le dimanche, n’incluant donc pas les horaires très matinaux. Juridiquement, seuls le travail de nuit, le travail dominical et marginalement le travail de soirée sont reconnus (cf. infra).

D’après la définition plus large de l’Ined, en 2019, 36 % des salariés travaillent habituellement en horaires atypiques, situant la France dans la moyenne européenne. Si le travail du soir et de nuit a légèrement reculé entre 2013 et 2019, le travail du week-end et du matin reste en apparence assez stable mais masque de fortes disparités selon la catégorie socioprofessionnelle.

FRÉQUENCE DES HORAIRES ATYPIQUES SELON LE SEXE EN 2013 ET EN 2019

Lecture : En 2013, 19 % des hommes salariés travaillent le matin entre 5 heures et 7 heures.

Source : Dares, Enquête Conditions de travail.

En effet, en 2019, un cadre sur six (15 % des hommes cadres et 18 % des femmes cadres) travaille habituellement en horaires atypiques contre plus de la moitié des employés non qualifiés (60 % des hommes employés non qualifiés et 49 % des femmes employées non qualifiées), catégorie la plus exposée à ces horaires non conventionnels.

On observe, par ailleurs, une polarisation sociale de plus en plus marquée entre les femmes cadres et les salariées non qualifiées. Alors que la part des femmes cadres en horaires atypiques diminue de 23 % entre 2013 et 2019, elle augmente de 11 % pour les ouvrières non qualifiées.

S’agissant des agents de nettoyage plus spécifiquement, une analyse fine d’une journée type, répartie en trois quarts d’heures, fait apparaître une prévalence du travail très matinal et en soirée. En effet, le graphique ci-dessous ([6]) illustre parfaitement le chassé-croisé entre les travailleurs de la propreté et le reste des salariés qui s’opère dans les bureaux aux alentours de 8 heures 30 le matin et 18 heures le soir.

RÉPARTITION DU TEMPS DE TRAVAIL AU COURS DE LA JOURNÉE

Lecture : 31 % des salariés de la propreté travaillent à 6 heures du matin contre 8 % de l’ensemble des salariés.

Source : Dares, Conditions de travail, 2019.

Comparativement aux quatre autres branches très consommatrices de temps partiel analysées ([7]), le rapport de l’Igas sur les temps partiels et temps partiels contraints d’octobre 2024 soutient pour autant que les salariés de la propreté seraient finalement les moins exposés aux horaires atypiques puisque dans le détail :

– ils travaillent moins le dimanche (5,9 % contre 26 % pour l’ensemble des cinq branches et par exemple, 17,7 % pour les aides à domicile) ;

– ils travaillent moins le samedi (29,9 % contre 49,5 % pour l’ensemble et par exemple, 80,8 % pour la grande distribution) ;

– ils travaillent peu le soir (3,7 % contre 12,3 % pour l’ensemble et par exemple, 32 % des salariés des hôtels-cafés-restaurants) ;

– ils travaillent marginalement la nuit (1,8 % contre 2,8 % pour l’ensemble et par exemple, 5,4 % pour la restauration rapide) ;

– enfin, ces salariés bénéficient d’horaires plus stables d’une semaine à l’autre que le reste des autres branches puisque seuls 11,9 % des salariés de la propreté ont des horaires variables contre 35 % pour l’ensemble et par exemple, 49,3 % dans la grande distribution.

Toutefois, de telles conclusions se heurtent à deux écueils.

D’une part, le rapport de l’Igas retient une définition restrictive des horaires atypiques puisqu’il ne prend pas en compte les horaires très matinaux auxquels sont confrontés la plupart des nettoyeurs. Il est d’ailleurs apparu, au cours des travaux préparatoires, que cette tranche horaire de 5 heures à 7 heures est un véritable angle mort statistique et réglementaire puisqu’interrogée sur le nombre de salariés travaillant sur cette période, la direction générale du travail n’était pas en mesure de fournir ces données.

D’autre part, et c’est là un point encore plus substantiel, à la différence des autres branches étudiées par l’Igas, les horaires atypiques dans le secteur de la propreté ne sont pas justifiés. En effet, il est logique que les hôtels-cafés-restaurants soient ouverts en soirée et le samedi, tout comme la restauration rapide. Il est peut‑être plus discutable mais en tout cas compréhensible que les services de la grande distribution soient eux aussi accessibles en soirée pour que les salariés puissent faire leurs courses à la sortie du travail. En clair, ces horaires atypiques se justifient pour des besoins de continuité sociale.

En revanche, les horaires atypiques des nettoyeurs ne répondent, dans l’immense majorité des cas, à aucun impératif social. Bien entendu, des considérations techniques expliquent que l’on doive nettoyer des sites industriels à des moments précis de la journée tout comme les hôpitaux, mais qu’en est-il du nettoyage de bureaux ?

C.   des effets nÉfastes, bien documentÉs par la littÉrature scientifique, sur la santÉ et la vie sociale

Beaucoup des effets décrits ci-après, notamment sur la perturbation des cycles chronobiologiques, ont surtout été observés chez les travailleurs de nuit. Néanmoins, on peut légitimement penser que le fait de se lever aux aurores avec le stress de la panne de réveil a des conséquences similaires sur la santé. Pourtant – et c’est là la grande particularité des nettoyeurs – n’étant pas au sens de la loi des travailleurs de nuit, ils ne bénéficient d’aucune compensation en termes de repos ou de majoration tout en voyant leurs conditions de vie aussi altérées que les travailleurs de nuit.

1.   Des conséquences lourdes sur la santé

Dans son rapport d’expertise de juin 2016 sur l’évaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) classe trois niveaux d’effets du travail de nuit sur la santé ([8]) :

– des effets avérés : sur le sommeil, la somnolence et le syndrome métabolique ;

– des effets probables : sur la survenue de cancer (cancer du sein et de la prostate), la santé psychique (irritabilité, anxiété, dépression), les performances cognitives, l’obésité et la prise de poids, le diabète de type 2 et les maladies coronariennes (ischémie coronaire et infarctus du myocarde) ;

– des effets possibles : sur les dyslipidémies (concentrations trop élevées de certains lipides dans le sang), l’hypertension artérielle et l’accident vasculaire cérébral ischémique.

Sur le plan physiologique, comme l’a rappelé lors de son audition, Aude Cuny, responsable du laboratoire de recherche en ergonomie de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), l’homme est programmé pour fonctionner la journée et dormir la nuit ([9]). Or, les horaires décalés produisent une désynchronisation entre les rythmes circadiens (l’horloge interne) calés sur un horaire de jour et le nouveau cycle activité-repos/veille-sommeil imposé par le travail de nuit ou matinal. Cette désynchronisation est aussi favorisée par des conditions environnementales peu propices au sommeil de jour : la lumière, la température plus élevée, le niveau de bruit plus élevé, le rythme social et les obligations familiales.

Sans même entrer dans le détail de la pénibilité de l’activité de propreté avec le port de charges lourdes ou l’exposition à des produits chimiques, les seuls effets sanitaires des horaires décalés sont désastreux.

Dans ce contexte, il est alarmant que les nettoyeurs soient moins suivis par la médecine du travail que le reste des salariés du fait de leur situation de multi-employeurs et d’horaires décalés qui compliquent l’accès au médecin ([10]).

2.   Des risques accrus d’insécurité

En travaillant de manière décalée, les nettoyeurs sont confrontés à des enjeux de sécurité sur et en dehors de leur lieu de travail :

– en termes d’accidents du travail tout d’abord, le travail isolé, particulièrement développé dans cette profession, combiné aux troubles de sommeil qui entraînent une baisse de la vigilance, expose davantage ces travailleurs au risque d’accidents du travail ;

– les nettoyeurs étaient avant tout des nettoyeuses, la survenance de violences sexistes et sexuelles sur le lieu de travail est particulièrement forte, d’autant plus dans un contexte de travail isolé à des horaires décalés ;

– déjà relevé par le Conseil économique, social et environnemental en 2010 ([11]), le sujet des transports pose une double difficulté : lorsque les transports en commun existent, la sécurité des déplacements des femmes tard le soir est loin d’être garantie et lorsque ces transports n’existent pas, les déplacements en transports individuels ne sont pas sans risque puisque la probabilité d’avoir un accident d’automobile est sept fois plus élevée la nuit.

3.   Des perturbations de la vie sociale et familiale

L’emprise du travail sur la vie des salariés du nettoyage dépasse évidemment les quelques heures effectives de travail quotidiennes. Les travaux académiques montrent à quel point la discordance entre leur rythme de vie et le rythme du reste de la société a des implications majeures ([12]).

Travailler en horaires décalés engendre des difficultés à organiser des rencontres amicales, amenant dans le meilleur des cas à privilégier la fréquentation de collègues ayant un même rythme de vie, ainsi que des difficultés à accéder aux activités sociales dans un cadre formalisé (culturelles, sportives, associatives), ce qui renforce la solitude de ces salariés.

Sur le plan conjugal et familial, travailler en horaires décalés implique un temps limité de rencontre et de partage au sein du foyer, ce qui peut se traduire par des perturbations psychologiques liées à la culpabilité, la frustration, la récurrence des tensions intrafamiliales. Comment trouver sa place dans la famille lorsque l’on manque les moments du lever, des devoirs et du coucher ? Comme en a témoigné la sociologue Frédérique Barnier, lors des auditions, à partir de ses enquêtes de terrain, les femmes s’épuisent à mettre en place des stratégies pour accorder les temps familiaux et les temps de travail. Mais lorsque la voisine ne peut plus garder le petit dernier à la sortie de l’école, c’est toute une organisation qui s’effondre. À l’épuisement professionnel vient se greffer l’épuisement organisationnel.

Enfin, travailler de manière décalée freine l’intégration de ces travailleurs, très souvent d’origine étrangère, puisqu’en restant en marge d’une société qui ne veut pas voir leur travail, ils ne peuvent pas apprendre et pratiquer le français au quotidien. Alors que le travail devrait être une des premières voies d’intégration, ces travailleurs en étant isolés ou au contact de collègues parlant la même langue étrangère ne peuvent pas progresser dans leur apprentissage, d’autant moins que peu d’entre eux bénéficient de cours de français langue étrangère.

D.   un manque de reconnaissance et de perspective proFessionnelle

1.   Le nettoyage, un métier de repli

Toujours d’après les données de la Dares, seulement 17 % des salariés du nettoyage déclarent qu’ils seraient heureux que leurs enfants s’engagent dans la même activité professionnelle qu’eux : c’est deux fois moins que l’ensemble des salariés ([13]).

En pratique, peu de personnes s’orientent vers les métiers du nettoyage à la fin de leurs études. Contrairement aux autres salariés non qualifiés, la part des métiers du nettoyage augmente avec l’éloignement de la fin des études. Pour reprendre les mots de Frédérique Barnier lors des travaux préparatoires, il est même « aberrant » pour les agentes d’entretien qu’elle a interrogées lors de ses recherches que des étudiantes puissent s’orienter vers des BTS Hygiène, propreté et environnement puisque le nettoyage n’est, à leurs yeux, pas un « vrai métier ».

Pour François-Xavier Devetter et Julie Valentin, les métiers du nettoyage constituent souvent des « impasses » dans lesquelles les salariés doivent terminer leur vie professionnelle, ce qui se reflète à travers l’âge moyen bien plus élevé qu’ailleurs de ces salariés ([14]).

2.   Un sentiment d’ignorance, toutefois accompagné d’une forme d’autonomie

La relation avec les usagers est un point fondamental dans le travail de nettoyage puisqu’il s’agit, par essence, d’une profession de service. Ainsi que l’a identifié le sociologue François Reyssat ([15]), « l’élément le plus évident s’agissant des interactions entre les nettoyeurs et les clients ou les usagers est constitué par la nature problématique de la présence des uns et des autres dans un même lieu » et de poursuivre : « paradoxalement, bien qu’il soit là pour ranger, remettre de l’ordre, la présence du nettoyeur a toujours quelque chose de fondamentalement dérangeant pour ceux qui en sont, directement ou non, les témoins ».

L’agent de nettoyage, en particulier le nettoyeur en entreprise qui accomplit sa mission pour des donneurs d’ordre, étant d’abord perçu comme une potentielle perturbation dans le bon fonctionnement du service, voit son travail au mieux invisibilisé, au pire dévalorisé et considéré comme secondaire. Ainsi, 29 % des salariés du nettoyage en entreprise se sentent ignorés au cours de leur activité professionnelle, soit deux fois plus que l’ensemble des salariés non qualifiés ([16]).

Ce sentiment d’ignorance est renforcé par l’exercice souvent solitaire des tâches qui ne permet pas la constitution d’un collectif de travail, ni entre nettoyeurs répartis tout seuls sur différents sites, ni avec les salariés qui bénéficient des services de l’entreprise sous-traitante. Assez injustement, c’est lorsque le travail est mal fait qu’il est finalement reconnu par les autres, ce qui ne concourt évidemment pas à gratifier ce métier.

Néanmoins, les personnes auditionnées, corroborant les enquêtes sociologiques sur ce point, ont fait part de la relative autonomie dont elles jouissent dans leur métier, comparativement à d’autres salariés non qualifiés. Le fait de travailler en horaires décalés contribue à cette autonomie puisque les nettoyeurs effectuent leurs tâches sans que le bénéficiaire direct ne soit là pour en contrôler la bonne exécution. Cette situation peut toutefois devenir un cercle vicieux puisque plus un agent est efficace, plus il inspire confiance et se trouve laissé seul et finit in fine ignoré non seulement des bénéficiaires mais parfois de l’employeur lui-même.

3.   Un faible accès à la formation continue qui freine les évolutions potentielles de carrières

Les travaux académiques et statistiques sont unanimes : l’engagement des employeurs dans la formation professionnelle des nettoyeurs est plus que faible, pour ne pas dire inexistante ([17]). L’effort financier de la branche de la propreté est résiduel, de l’ordre de 0,5 % de la masse salariale contre 1 % à 1,5 % pour la branche de l’aide à domicile associative.

Du point de vue quantitatif, les nettoyeurs sont parmi les moins formés des métiers du nettoyage avec seulement 6 % des nettoyeurs externes ayant suivi une formation non formelle au cours des trois derniers mois.

TAUX DE RECOURS À LA FORMATION CONTINUE DANS LES MÉTIERS DU NETTOYAGE
en 2019

Lecture : En 2019, 21,5 % des agents de service des établissements primaires déclarent avoir suivi une formation non formelle au cours des trois derniers mois.

Source : Insee, Enquête emploi, 2019.

Sur le plan qualitatif, les formations des agents d’entretien sont peu nombreuses et essentiellement centrées sur les compétences linguistiques. Ce point n’est pas négligeable compte tenu du fort taux d’illettrisme parmi les nettoyeurs, issus très majoritairement de l’immigration et ne sachant ni lire, ni écrire le français. Toutefois, l’emploi du temps fragmenté de ces travailleurs s’accommode mal d’un suivi régulier d’une formation en français langues étrangères qui nécessite, comme tout apprentissage, une concentration et une disponibilité intellectuelle plus difficiles à mobiliser à 6 heures du matin qu’en journée.

Pourtant, l’accès à la formation continue est essentiel d’une part pour maîtriser complètement l’outil de travail et d’autre part pour espérer accéder à des emplois un peu plus qualifiés. Dans les métiers du nettoyage, un déficit de formation peut avoir des conséquences extrêmement graves lorsqu’il conduit à une mauvaise manipulation de produits chimiques ou d’équipements mécaniques faute de savoir parfaitement lire les instructions.

II.   LA LÉGITIME REVENDICATION D’HORAIRES DE JOUR ET CONTINUS SE HEURTE À DES OBSTACLES STRUCTURELS

A.   DES DISPOSITIONS CONVENTIONNELLES PEU FAVORABLES À LA RÉORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL

Plusieurs particularités de la branche professionnelle de la propreté freinent la possibilité d’obtenir une réelle amélioration des conditions de travail des salariés.

1.   Le plancher minimal dérogatoire de 16 heures hebdomadaires

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi ([18]) prévoit que la durée du travail à temps partiel est fixée librement par les parties sous réserve de respecter une durée minimale déterminée par accord collectif de branche étendu (article L. 3123-19 du code du travail). À défaut d’accord de branche, la loi de 2013 a fixé ce minimum à 24 heures par semaine (article L. 3123‑27 du code du travail).

La branche de la propreté était une des rares branches à avoir déjà adopté des dispositions conventionnelles avant la loi de 2013 pour fixer une durée minimale de travail, fixée à 10 heures par semaine.

Dans la foulée de l’adoption de la loi, la branche de la propreté a très rapidement conclu un accord fixant un seuil minimal à 16 heures par semaine, supérieur aux 10 heures prévues jusqu’alors mais bien inférieur au seuil de droit commun. La loi prévoit que la fixation d’une durée minimale doit permettre au salarié de « cumuler plusieurs activités afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à 24 heures par semaine » et que l’accord de branche doit déterminer les modalités selon lesquelles « les horaires de travail des salariés effectuant une durée de travail inférieure à 24 heures par semaine sont regroupés sur des journées ou des demi-journées régulières ou complètes » ([19]).

Ainsi que le souligne l’Igas dans son rapport précité, en pratique, ces garanties quantitatives et qualitatives ont été peu mises en œuvre ([20]). Les travaux préparatoires vont dans le même sens et n’ont pu que constater que les nettoyeurs restent fixés à ce plancher de 16 heures.

En effet, ce minimum de 16 heures n’incite pas les employeurs à proposer des plages horaires plus étendues aux salariés puisqu’il correspond approximativement à 3 heures de travail réparties sur cinq jours de la semaine, soit les créneaux 6 heures – 9 heures ou 18 heures – 21 heures constatés dans la branche.

Cette situation de sous-emploi aurait dû appeler une réponse des pouvoirs publics. En effet, en vertu de l’article L. 3123-32 du code du travail, « si, dans une profession ou dans une branche, la pratique du travail à temps partiel provoque un déséquilibre grave et durable des conditions d’emploi, des décrets, pris après consultation des organisations d’employeurs et de salariés intéressées, peuvent instituer des limitations du recours à cette pratique dans la branche ou la profession concernée ». Comme le souligne à nouveau le rapport de l’Igas, l’usage de cet outil entre les mains de l’administration du travail a été évoqué à plusieurs reprises au cours des dernières années dans le secteur de la propreté mais n’a pas été utilisé en pratique.

2.   Les effets pervers de la transférabilité des contrats

L’article 7 de la convention collective du 26 juillet 2011, reprenant l’ancienne « annexe 7 » de la convention collective de 1994, prévoit la continuité des contrats de travail lorsqu’une entreprise succède à une autre sur un même site. En clair, le contrat de travail du nettoyeur de l’entreprise A – sous réserve qu’il soit en CDI avec une affectation d’au moins six mois sur le marché et sans absence depuis quatre mois ou plus hors congé maternité – qui perd le marché est transféré à l’entreprise B qui l’a remporté.

Ce mécanisme vise d’une part à garantir la stabilité de l’emploi – tout en reconnaissant pourtant implicitement son instabilité structurelle – et d’autre part, à maintenir les avantages acquis du salarié, en termes d’ancienneté notamment. En théorie, cette mesure est donc protectrice pour les salariés. En pratique, elle contribue à la fragmentation du travail des nettoyeurs.

En effet, ces transferts de contrat sont très fréquemment partiels, ce qui oblige les nettoyeurs à chercher un second voire un troisième employeur pour maintenir le même niveau d’heures de travail qu’auparavant. En outre, de l’avis des organisations syndicales, on observe des abus patronaux de ce mécanisme puisque lorsqu’une entreprise de nettoyage sait qu’elle va bientôt perdre un marché, elle envoie sur ce chantier les salariés les plus précaires (faible ancienneté, en invalidité ou maladie professionnelle) parce qu’elle sait que leur gestion ne sera bientôt plus de son ressort mais de la nouvelle entreprise qui remportera le contrat et déploiera tous les moyens possibles pour se séparer de ces salariés moins efficaces.

Les chercheurs François-Xavier Devetter et Julie Valentin ne décrivent pas autre chose lorsqu’ils interrogent les employeurs sur cet article 7 ([21]), comme le montre le témoignage suivant : « Il faut savoir que, quand on reprend des salariés, il n’y en a que 50 % qui restent. Et sur ces 50 %, seulement la moitié qui, finalement, seront maintenus sur le site. Si un client change d’entreprise, en effet, c’est qu’il y avait un problème. Il y a beaucoup de sites sur lesquels on reprend des collaborateurs qui étaient livrés à eux-mêmes [...]. Dans la réalité, il y a donc une personne sur quatre qui reste. »

Un tel turnover, finalement organisé par les dispositions conventionnelles de la branche, ne favorise évidemment ni la syndicalisation qui permet aux salariés d’obtenir une amélioration de leurs conditions de travail, ni une réelle gestion des ressources humaines avec une politique de formation professionnelle plus ambitieuse.

3.   La clause de mobilité

Les contrats de travail des nettoyeurs contiennent dans leur immense majorité une clause dite de mobilité qui autorise l’employeur à modifier librement et unilatéralement le lieu de travail. Pour être valide, cette clause doit être écrite, préciser la zone géographique de mutation et démontrer que la décision de muter le salarié a été prise dans l’unique intérêt de l’entreprise, dans des circonstances non abusives.

En cas de contentieux, la jurisprudence établit que le juge doit rechercher si la mise en œuvre de la clause de mobilité ne porte pas une atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ([22]). Néanmoins, dans les faits, peu de travailleurs sont en capacité de contester la légitimité des clauses de leur contrat de travail.

Aussi de l’avis des organisations syndicales, cette clause contribue aujourd’hui à la fragmentation du travail des nettoyeurs puisqu’en Île‑de‑France, le critère géographique comprend toute la région. En clair, l’employeur peut décider que le nettoyeur ne travaille plus dans le centre de Paris mais dans une zone commerciale de l’Essonne aux mêmes horaires matinaux. En découlent naturellement des difficultés d’organisation, de transport, voire le renoncement à un autre emploi si les temps de trajet rendent impossible le cumul de deux chantiers dans la même journée.

B.   UNE RELATION TRIANGULAIRE ENTRE SALARIÉS, EMPLOYEURS ET DONNEURS D’ORDRE PARALYSANTE

1.   Un dialogue social fragilisé par la présence d’un tiers donneur d’ordre...

D’après l’Igas, l’activité conventionnelle, au vu des rapports annuels établis sur l’activité de la branche, est « assez fournie ». Si le rapport relève que « pour la fédération patronale, le dialogue social est mûr, mature et dynamique, l’appréciation des syndicats de salariés semble un peu différente » ([23]). Il est rappelé, en effet, que l’accord sur le temps partiel a été négocié avec difficulté en 2014, seule la CGT l’ayant signé, principalement par crainte de la multiplication des dérogations individuelles et parce qu’il comportait des mesures sur la rémunération des heures complémentaires et des compléments d’heures.

Fondamentalement, c’est la mécanique même de l’externalisation qui affaiblit le dialogue social. Du côté salarial, les nettoyeurs pâtissent d’une plus faible présence syndicale et du poids limité des institutions représentatives. À titre de comparaison, le taux de présence syndicale est cinq fois plus faible que chez les agents de service du secteur public ([24]).

À quelle communauté de travail appartiennent les nettoyeurs ?

La difficulté de positionnement de ces salariés entre l’entreprise de nettoyage qui les emploie et l’entreprise utilisatrice où ils travaillent se reflète à travers l’affrontement autour de la notion de « salariés mis à disposition » dans la branche de la propreté.

En effet, l’article 3 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail autorise les salariés mis à disposition, sous réserve de conditions de présence et d’ancienneté, à être électeurs et éligibles dans l’entreprise utilisatrice, tout en excluant les possibilités de double vote et la possibilité d’être éligibles au comité d’entreprise de l’entreprise utilisatrice. Cette mesure repose sur le principe d’une « intégration étroite et permanente à la communauté de travail » de ces salariés mis à disposition (1).

Or, un avenant à la convention collective de la propreté du 12 décembre 2008 refuse cette disposition légale et précise qu’un salarié de la propreté n’est pas mis à disposition et ne peut donc être ni électeur, ni éligible dans l’entreprise donneuse d’ordre. Comme le rappelle le sociologue Jean-Michel Denis (2), à cette occasion, la fédération Confédération générale du travail (CGT) des ports et docks, qui représente les salariés de la propreté dans les négociations de branche, s’est opposée à sa propre confédération, favorable comme les autres centrales syndicales à ce nouveau principe de la loi.

Cet avenant, contesté par les syndicats Confédération nationale du travail (CNT) et Solidaires, a été annulé par le tribunal de grande instance de Paris le 9 février 2010, au motif que ces dispositions conventionnelles étant moins favorables que les dispositions d’ordre public, elles privaient le salarié du choix offert par la loi.

Cette cristallisation autour des notions de salariés mis à disposition et de communauté de travail démontre bien la difficulté pour ces salariés d’être bien représentés et défendus.

(1)   Cette disposition, prévue à l’article L. 2314-18-1 du code du travail, a depuis été abrogée par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.

(2)    Jean-Michel Denis, « Asseoir la représentation sur la communauté de travail. À la recherche de la communauté perdue dans la branche de la propreté », Sociologie du travail, n° 60, 2018.

Du côté patronal, les employeurs font savoir que malgré leurs campagnes de sensibilisation, ils restent très dépendants de la bonne volonté des donneurs d’ordre de mettre en place des politiques de responsabilité sociale ambitieuses.

Aussi, les travaux préparatoires ont-ils mis en évidence la nécessité d’agir au sein de cette relation tripartite via les clauses sociales des marchés notamment. N’étant pas au cœur même de la proposition de loi, des préconisations en ce sens ne seront pas reprises dans le dispositif de la proposition de loi mais la rapporteure a pleinement conscience de l’efficacité de ce levier d’action. La transposition de la directive européenne du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, aujourd’hui suspendue, doit notamment être l’occasion d’intégrer des problématiques liées aux conditions de travail dans les entreprises sous-traitantes.

2.   ... et d’employeurs peu respectueux de la législation sur le travail à temps partiel

Selon les résultats de la campagne du système d’inspection du travail portant sur le respect des règles relatives au temps partiel dans trois branches, dont celle de la propreté, les employeurs appartenant à la branche du nettoyage ne respectent que très partiellement la réglementation relative aux salariés à temps partiel ([25]). La liste des irrégularités est assez lourde :

– seulement 40 % des employeurs ont mis en place un document de décompte individuel des heures de travail, obligatoire en l’absence d’horaires collectifs de travail ([26]). Lorsqu’un tel document de décompte est bien mis en place, il n’est conforme que dans 57 % des cas ;

– 12 % des employeurs contrôlés ne respectent pas les limites en matière d’heures complémentaires et 17 % ne les respectent qu’en partie ;

– 13 % des employeurs contrôlés ne versent pas les majorations de salaires pour ces heures complémentaires et 15 % ne les versent qu’à une partie seulement des salariés ;

– 22 % des employeurs contrôlés ne respectent pas les règles relatives aux coupures ;

– 56 % des employeurs contrôlés ne respectent pas ou partiellement leurs obligations de communication au comité social et économique (CSE) et aux délégués syndicaux du dernier bilan du travail à temps partiel.

Dans ce contexte, il est évidemment difficile d’engager avec confiance une négociation collective pour protéger davantage les salariés.

3.   Des travailleurs en grande précarité, peu à même de faire respecter leurs droits

Le secteur de la propreté a la particularité d’employer des salariés en grande vulnérabilité, du fait de leur très faible qualification et pour beaucoup d’entre eux, de leur mauvaise maîtrise de la langue française. À ce titre, la rapporteure tient à saluer les initiatives d’employeurs entendus lors des auditions, qui mettent à disposition de leurs salariés des livrets d’accueil en français et en portugais afin de les rendre accessibles aux salariés d’origine capverdienne très présents dans le secteur de la propreté.

De l’avis des organisations syndicales entendues, cette fragilité conduit à de nombreux abus puisque beaucoup de salariés peinent à déchiffrer leur contrat de travail et signent parfois des clauses illégales qui vont, par exemple, à l’encontre du minimum des 16 heures hebdomadaires. Ils sont, par conséquent, encore moins enclins à faire respecter des dispositions moins impératives de la branche.

Ainsi, alors que la convention collective prévoit en son article 6.2.5.1 que pour faciliter la prise en compte des demandes des salariés à un complément d’heures ou un emploi à temps plein, l’employeur transmet deux fois par an une fiche de souhaits à remplir par chaque salarié, cette disposition ne s’applique jamais.

4.   Une résistance culturelle au changement

Un dernier blocage – et pas le moindre à lever pour le législateur – réside dans la résistance culturelle au changement. Pourquoi les donneurs d’ordre ne souhaitent-ils pas que les prestations de ménage aient lieu en journée ? Par habitude, par confort, par inertie, par paresse de devoir s’adapter... Voilà les raisons prioritairement évoquées par les personnes auditionnées lors des travaux préparatoires en plus, bien entendu, d’idées reçues sur l’impossible cohabitation entre nettoyeurs et salariés.

Des considérations économiques de perte de productivité des salariés ne sont pas non plus à négliger même si elles restent extrêmement marginales si l’on compare le temps de passage d’un aspirateur qui nécessite de quitter son bureau à une pause cigarette

Pourtant, les enquêtes d’opinion menées par la Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés (FEP) auprès des entreprises et donneurs d’ordre qui ont adopté le travail en journée sont sans appel ([27]) :

– 95 % des entreprises qui sont passées au travail en continu et/ou en journée se déclarent satisfaites ;

– 81 % des donneurs d’ordre interrogés relèvent une meilleure identification des besoins de l’entreprise en matière de nettoyage et d’entretien, un sujet devenu fondamental depuis la crise sanitaire du covid-19 ;

– 68 % constatent des réponses plus rapides aux imprévus puisqu’assez logiquement, la coprésence des nettoyeurs et des salariés permet aux premiers de réagir immédiatement en cas de souci de propreté.

De l’avis des universitaires entendus, la pratique du nettoyage des bureaux en journée est d’ailleurs bien plus répandue dans d’autres pays comme l’Allemagne ou les pays scandinaves.

C.   une dÉfinition restrictive DES HORAIRES ATYPIQUES

En l’état actuel du droit, seuls la nuit conçue dans une acception assez restrictive et le dimanche sont reconnus comme des périodes de travail exceptionnelles. En effet :

– l’article L. 3122-1 du code du travail reconnaît que le recours au travail de nuit est exceptionnel et le définit, en vertu de l’article L. 3122-2, comme tout travail effectué au cours d’une période d’au moins 9 heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 5 heures, la période de travail de nuit commençant au plus tôt à 21 heures et s’achevant au plus à 7 heures ;

– l’article L. 3132-3 dispose quant à lui que « dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».

Par conséquent, seuls le travail de nuit et le travail dominical font l’objet de compensations en termes de congés ou de rémunérations supplémentaires. Le reste du temps étant considéré comme standard – ainsi des samedis ou des débuts et fins de journée – les travailleurs concernés par ces horaires échappent à toute majoration ou toute réglementation protectrice alors que ces temps de travail s’éloignent des temps sociaux dominants. Comme le résument François-Xavier Devetter et Julie Valentin, ces horaires sont « suffisamment fragmentés et décalés pour compliquer la vie, mais pas pour donner accès à des majorations salariales ([28]) ».

Concrètement, d’après les données de la FEP, en 2023, seuls 9 % des travailleurs de la branche étaient considérés comme des travailleurs de nuit et 19 % travaillaient en soirée, entre 20 heures et minuit. 25 % des travailleurs avaient eu au moins un travail de soirée ou de nuit.

On observe donc une dichotomie totale entre les conclusions de la recherche scientifique, qui distinguent nettement plusieurs périodes au sein d’une même journée et leurs effets sur les travailleurs, et la loi, qui ne reconnaît que le travail de nuit et marginalement de soirée. Il est clair que la définition trop restrictive des horaires non conventionnels empêche aujourd’hui de prendre en compte la pénibilité endurée par ces travailleurs.

III.   l’OBJET DE LA PROPOSITION de loi : MIEUX ENCADRER LE RECOURS AUX HORAIRES ATYPIQUES ET DISCONTINUS

A.   Des ENGAGEMENTS PUBLICS et privÉs insuffisants POUR PROMOUVOIR LE TRAVAIL EN JOURNÉE

1.   Un État donneur d’ordre, encore loin d’être exemplaire

Les orientations et principaux objectifs de l’État pour favoriser le développement des prestations de nettoyage en journée et en continu dans ses services ont été précisées dans trois circulaires prises respectivement en 2008, 2013 et 2022 :

– la circulaire du Premier ministre de décembre 2008 ([29]) retenait un objectif cible à atteindre en 2012 de « 40 % des horaires de travail en journée dans les marchés de prestations de nettoyage » ;

– la circulaire du Premier ministre de novembre 2013 ([30]) fixait un objectif de travail en journée pour 60 % des sites de chaque département ministériel et 30 % des prestations en sus du déploiement d’actions de sensibilisation des prescripteurs, donneurs d’ordre et utilisateurs ;

– enfin, la dernière circulaire de mars 2022 ([31]) est venue compléter et préciser les orientations et obligations inscrites dans les précédents textes. Elle a notamment précisé les notions de temps de travail continu (par exemple 6 heures en continu sur un site ou plusieurs sites de proximité au lieu de 3 heures le matin et 3 heures le soir) ainsi que la nécessité d’une prestation réalisée au moins partiellement en présence des occupants des bureaux pour limiter les horaires décalés tôt le matin ou tard le soir.

À ces circulaires s’ajoute la déclaration de politique générale du Premier ministre Gabriel Attal qui s’exprimait en ces termes le 30 janvier 2024 : « Oui, l’État doit donner l’exemple s’agissant de l’organisation du travail, notamment pour toutes ces personnes qui travaillent dur et se sentent invisibles. Je pense, notamment, aux personnes du ménage, parfois forcées à faire des heures de transports en commun au milieu de la nuit, tout ça pour éviter qu’elles ne travaillent en même temps que les salariés. Là aussi, je veux que l’État montre l’exemple et que, désormais, dans l’État, les personnels d’entretien de l’administration qui le souhaitent puissent travaillent aux mêmes horaires que tout le monde : aux horaires de bureau. »

L’expérimentation du travail en journée à l’Assemblée nationale

Depuis le début du mois de février 2025, le travail en journée des agents d’entretien est expérimenté sur plusieurs sites de l’Assemblée nationale. Cette expérimentation faisait partie des clauses du contrat entre les services de l’Assemblée nationale et l’entreprise sous-traitante lors du renouvellement du marché d’entretien et de nettoyage, en sus d’autres objectifs comme l’accroissement des recrutements à temps plein.

Si le recul manque évidemment à ce jour pour faire un bilan de cette expérimentation, dont il est prévu d’évaluer les effets à horizon de trois mois, force est de constater qu’aucune réclamation n’est parvenue sur la boîte mail ouverte par les services de l’Assemblée nationale pour recueillir les éventuelles plaintes des usagers.

Interrogées informellement sur leur volonté de voir le travail en journée pérennisé et étendu à tous les sites de l’Assemblée nationale au fur et à mesure du renouvellement des contrats de sous-traitance, les nettoyeuses ont toutes fait savoir qu’elles étaient favorables à ces nouveaux horaires qui leur permettraient de mieux concilier leur vie personnelle et professionnelle et de limiter les chantiers au cours d’une même journée.

Dans son rapport précité, l’Igas note l’absence de suivi consolidé de ces circulaires et a fortiori l’absence d’établissement d’un bilan d’ensemble de l’atteinte d’objectifs ([32]).

À ce stade, la direction des achats de l’État (DAE), entendue par la rapporteure, indique, d’après une première enquête conduite à l’été 2023, que 64 % des sites analysés pratiquent le travail en journée tandis que 83 % des sites ont recours au travail en continu. Près de la moitié des sites (54 %) combine travail en journée et en continu. Toutefois, l’échantillon d’études restant très limité (1 189 sites sur près de 150 000), la rapporteure souscrit à la volonté de la DAE de mettre en œuvre une enquête régulière annuelle pour consolider les données et la démarche.

2.   Des efforts de sensibilisation de la branche mais une mise en œuvre toujours inégale

Selon la Fédération de la propreté, 92 % des entreprises en 2023 déclaraient s’engager ou souhaitaient s’engager dans le développement du travail en continu et/ou en journée.

Pour mémoire, la promotion du travail en journée et continu est un objectif clairement affiché par la convention collective ([33]) : « Afin de sensibiliser les entreprises clientes à l’amélioration de l’organisation du travail et à la régularité des horaires, afin de permettre au salarié de cumuler plusieurs activités, il est convenu que, sur la base de ces pistes de progrès et en association avec les partenaires sociaux, des chartes partenariales seront élaborées et signées entre la branche et les représentants des donneurs d’ordres publics et privés dans les six mois de l’extension du présent avenant. Ces chartes partenariales auront également pour objectif de promouvoir le travail en journée / en continu. »

Depuis 2017, la Fédération de la propreté a ainsi mis en place un réseau national d’ambassadeurs du travail en journée qui a pour objectif de promouvoir le travail en continu et en journée auprès des entreprises et des parties prenantes de la branche. Elle a également développé un site Internet pour mettre à disposition des clients des entreprises de propreté des ressources concrètes pour mettre en place le travail en journée (par exemple, une clause type à insérer dans le cahier des charges).

Malgré ces initiatives, des disparités subsistent entre les grandes entreprises comme La Poste, Orange ou Danone, qui peuvent plus facilement intégrer ce critère dans leurs cahiers des charges puisque leurs sites sont suffisamment grands pour garantir 6 heures de nettoyage d’affilée, et les petites entreprises avec des locaux commerciaux de petite surface nettoyés en une heure à peine.

Par ailleurs, lors des auditions, une entreprise de propreté embauchant 500 nettoyeurs a constaté un retour en arrière de la part de certains donneurs d’ordre sur le travail en journée, dans un contexte économique dégradé. En effet, certaines entreprises avaient recours au travail en journée pour faire des « repasses » pour entretenir les sanitaires ou les tisaneries, les prestations plus lourdes comme l’aspiration ou le lavage des sols ayant toujours lieu le matin. Or, ces prestations étant devenues trop onéreuses, les donneurs d’ordre ont renoncé au travail en journée, ce qui s’est traduit pour cette entreprise de propreté par le redéploiement de quinze agents en horaires fragmentés.

B.   Des pistes de rÉflexion pour limiter le FRACTIONNEMENT DU travail

Beaucoup d’employeurs cherchent aujourd’hui moins à limiter le fractionnement des chantiers qu’à faire en sorte de ne pas supporter le coût des moments d’« inaction » qui reposent in fine sur le salarié et sur lui seul.

1.   Allonger la durée minimale de période de travail

La convention collective de la propreté reconnaît le travail dit en « vacation » comme une pratique courante du fait des besoins exprimés par les clients ([34]). Cette vacation est définie comme une période continue, comprenant le temps éventuel de déplacement entre les chantiers au sein de cette même vacation, sans qu’intervienne d’interruption non rémunérée. Toute vacation inférieure à une heure est payée comme une heure de travail.

En clair, la durée minimale de période de travail est fixée à une heure au sein de la branche de la propreté, une durée peu propice à la promotion du travail en continu. À titre de comparaison, la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité stipule qu’une « période de travail ne peut être planifiée et rémunérée pour une durée inférieure à 4 heures » ([35]).

Il pourrait ainsi être intéressant d’inciter les partenaires sociaux à renégocier cette durée minimale pour la porter au moins à 3 heures. C’est par exemple cette durée qui a été retenue par la branche de la propreté en Islande ([36]).

2.   Instaurer une prime de coupure

L’article L. 3123-23 du code du travail prévoit que la journée de travail du salarié à temps partiel ne peut comporter, au cours d’une même journée, plus d’une interruption d’activité ou une interruption supérieure à 2 heures, sauf accord de branche étendu, ou convention ou accord d’entreprise ou d’établissement définissant des amplitudes horaires et prévoyant des contreparties spécifiques. Ainsi, par dérogation, la branche de la propreté prévoit la possibilité de deux interruptions quotidiennes.

Or, les salariés de la branche de la propreté sont particulièrement pénalisés par le caractère fragmenté de leurs horaires de travail. Afin de dissuader ces interruptions, la rapporteure reprend à son compte la recommandation du rapport de l’Igas visant à inscrire, dans la loi, une obligation pour l’employeur d’instaurer une majoration salariale. Cette majoration, qui pourrait s’élever à 11 % comme la majoration fixée dans la branche pour les heures complémentaires, pourrait intervenir à partir de la deuxième coupure.

3.   Mieux reconnaître le temps de déplacement professionnel

Aux termes de l’article L. 3121-1 du code du travail, la qualification de temps de travail effectif résulte aujourd’hui de trois conditions cumulatives :

– la disponibilité du salarié ;

– sa conformité aux directives de l’employeur. Le temps de travail effectif étant le temps de travail effectué à la demande implicite ou explicite de l’employeur, les temps nécessaires à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont du travail effectif dès lors que le salarié est toujours à la disposition de son employeur (article L. 3121-2 du code du travail) ;

– l’impossibilité de vaquer librement à des occupations personnelles.

Il existe d’autres types de temps reconnus légalement :

– le temps qui n’est pas du temps de travail effectif mais qui est rémunéré ou indemnisé, comme le temps d’habillage, qui fait l’objet d’une contrepartie si la tenue est imposée et qu’elle se fait sur le lieu de travail (article L. 3121-3 du code du travail) ;

– le temps d’astreinte, défini à l’article L. 3121-9 du code du travail comme la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. La durée de l’intervention pendant l’astreinte, y compris le temps de déplacement, est considérée comme du temps de travail effectif, mais pas la période d’astreinte elle-même, qui doit néanmoins faire l’objet d’une contrepartie financière ou sous forme de repos ;

– le temps de pause, d’une durée minimale de 20 minutes consécutives dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures (article L. 3121-16 du code du travail).

Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif (article L. 3121-4 du code du travail). En principe, le temps de trajet entre deux lieux de travail constitue du travail effectif même si le salarié n’effectue aucune tâche professionnelle pendant ce temps-là ([37]). Toutefois, ce principe ne s’applique pas pour les salariés qui dépendent de plusieurs employeurs, chaque employeur étant considéré comme une entité différente et indépendante.

Ainsi, les nettoyeurs qui travaillent pour deux voire trois employeurs ne voient pas leur temps de trajet comptabilisé pour se rendre dans la même journée sur différents lieux de travail alors que ce temps serait considéré comme du temps de travail effectif s’ils se rendaient sur deux lieux de travail du même employeur. Cette situation injuste doit inciter à repenser la comptabilisation du temps de déplacement professionnel.

C.   LES effets vertueux ATTENDUS de la gÉnÉralisation du travail en journÉe

1.   Accroître les plages horaires et les salaires

L’emprise du travail sur la semaine des nettoyeurs dépasse sensiblement les 35 heures et pourtant ils perçoivent une gratification à peine équivalente à la moitié de ces heures. En effet, selon l’enquête Emploi de l’Insee de 2019, en moyenne les agents d’entretien de la branche de la propreté touchent, à peine plus de 50 % du revenu mensuel médian. Près de la moitié des salariés du secteur ont perçu une rémunération horaire inférieure à 1,1 Smic contre 23,5 % de l’ensemble des salariés et 35 % des ouvriers et employés. Par conséquent, près d’un tiers d’entre eux bénéficie d’un complément de revenu via la prime d’activité ou le revenu de solidarité active.

Le faible nombre d’heures de travail proposé aujourd’hui aux nettoyeurs a donc un coût pour la société et le contribuable qui doit compenser les carences des employeurs privés. Or, il est légitime d’escompter que la généralisation du travail en journée se traduise par un allongement des plages de travail des salariés et mécaniquement de leurs rémunérations.

En effet, l’intérêt du travail en journée est de garantir à ces salariés des plages horaires étendues qui leur permettent dans l’idéal de faire des « horaires de bureaux » et de se rapprocher si ce n’est du travail à temps plein, d’un travail à temps partiel plus proche de la durée légale de 24 heures que de la durée conventionnelle de 16 heures.

2.   Freiner l’intensification du travail

L’externalisation s’est traduite par une intensification des rythmes de travail. Pour remporter puis conserver un marché, les entreprises de nettoyage doivent être compétitives, ce qui se traduit par une sous-évaluation des chantiers. En clair, la promesse de réaliser en moins de 2 heures un nettoyage qui en nécessitera le double. La demande de rapidité des donneurs d’ordre est, bien sûr, liée à des raisons économiques mais aussi à la volonté que les nettoyeurs et les salariés de l’entreprise n’aient pas à partager l’espace de travail. Lors des auditions, un représentant d’une entreprise de nettoyage a d’ailleurs indiqué que la demande pour des prestations de nettoyage en soirée diminuait fortement ces dernières années avec l’allongement des journées de travail des salariés. Dans le cas précis de cette entreprise, 90 % des demandes de prestations sollicitent le créneau matinal de 6 heures à 9 heures.

On peut légitimement espérer que la banalisation du travail en journée et l’acceptation sociale d’une réorganisation des tâches s’accompagnera d’un ralentissement de ces cadences effrénées puisque si nettoyeurs et salariés sont désormais amenés à travailler simultanément, l’intérêt de condenser le travail de nettoyage sur 2 ou 3 heures en début de journée faiblira.

3.   Valoriser une communauté de travail

Toujours selon François-Xavier Devetter et Julie Valentin, « le seul fait de travailler en présence des usagers d’un site modifie la place symbolique occupée par les personnes chargées du nettoyage. Non seulement leur invisibilité en est directement réduite mais l’efficacité du travail en est potentiellement renforcée. » ([38]). En effet, les nettoyeurs ne sont plus simplement les exécutants abstraits d’un cahier des charges défini par la direction des achats mais des collègues avec un prénom que l’on croise et que l’on salue.

Le simple fait de devoir réorganiser l’espace et le temps implique une interaction entre le salarié et le nettoyeur pour s’accorder sur les tâches que peut réaliser l’agent en présence du salarié, comme vider les poubelles ou passer un coup de chiffon, et convenir des moments plus opportuns pour effectuer les tâches les plus bruyantes comme l’aspiration.

Les travaux académiques démontrent, par ailleurs, que le fait de connaître la personne qui nettoie vos locaux vous incite à être plus respectueux de votre environnement de travail.

4.   Lutter contre le travail dissimulé

Effet moins évident a priori, la lutte contre le travail dissimulé a pourtant été soulignée lors des auditions comme un effet de bord vertueux de la généralisation du travail en journée. Bien qu’il soit, par définition, difficile à évaluer et quantifier, il est certain que le travail dissimulé trouve un terreau favorable dans les professions s’exerçant en dehors des horaires standards. Il va de soi qu’il sera plus difficile pour un employeur peu scrupuleux d’embaucher un nettoyeur connu de ses collègues de manière irrégulière que lorsque celui-ci travaillait seul la nuit.

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– 1 –

   Commentaire des articles

Adopté avec modifications

Le présent article vise à interdire le travail de nuit pour les salariés de la branche professionnelle des entreprises de propreté, sauf dérogation justifiée auprès de l’inspecteur du travail.

  1.   Le droit existant
    1.   Dans un souci de protection des salariés, le travail de nuit est strictement défini et encadré par la loi

Aux termes de l’article L. 3122-20 du code du travail, tout travail effectué entre 21 heures et 6 heures est considéré comme un travail de nuit. Il est toutefois possible pour le définir de substituer à cette période une autre période de 9 heures comprise entre 21 heures et 7 heures mais intégrant obligatoirement l’intervalle entre minuit et 5 heures (article L. 3122-2) soit par accord d’entreprise ou d’établissement, soit à défaut par une convention ou un accord collectif de branche (article L. 312215).

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques permet, en outre, pour les établissements de vente au détail de biens et de services situés dans les zones touristiques internationales de reporter le début de la période de travail de nuit jusqu’à minuit. Dans ce cas, lorsque le début de la période de travail de nuit est fixé au-delà de 22 heures, la période de nuit est d’au moins 7 heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 7 heures (article L. 3122-4).

Ainsi, est considéré comme un travailleur de nuit en application de l’article L. 3122-5 du code du travail, le salarié qui accomplit soit :

 au moins deux fois par semaine, selon son horaire habituel, au minimum 3 heures de travail pendant la période allant de 21 heures à 6 heures ou pendant la période qui lui a été substituée ;

 au cours d’une période de référence donnée, un nombre minimal d’heures de travail de nuit. Ce nombre minimal et la période de référence sont fixés par convention ou accord collectif de branche étendu. À défaut d’accord, est considéré comme travailleur de nuit le salarié qui accomplit au moins 270 heures de travail sur une période de douze mois consécutifs (article L. 3122-23).

  1.   Le recours au travail de nuit doit rester exceptionnel et justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale

L’article L. 3122-1 du code du travail pose le principe d’un recours au travail de nuit qui doit être « exceptionnel ». Le caractère exceptionnel peut résulter, selon la circulaire ministérielle du 5 mai 2002 relative au travail de nuit ([39]), de la spécificité de certains secteurs d’activité (par exemple, les discothèques, les cinémas, la radio et la télévision, les casinos ou les hôpitaux) où le travail nocturne est inhérent à l’activité ([40]).

Par ailleurs, le recours au travail de nuit suppose qu’aient été préalablement examinées toutes les autres possibilités d’aménagement du temps de travail.

La mise en place du travail de nuit doit non seulement être justifiée par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale mais prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Des critères de rentabilité d’investissement ne peuvent, par conséquent, être retenus pour justifier le travail de nuit. Ainsi, la Cour de cassation a‑t‑elle précisé en 2014 dans le contentieux opposant la direction de la société Sephora aux syndicats de salariés quant à l’ouverture du magasin situé sur les Champs-Élysées jusqu’à minuit que le travail de nuit « ne peut être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et ne doit être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement » ([41]).

  1.   À l’exception des jeunes travailleurs, le travail de nuit peut s’appliquer à tous les salariés

Le travail de nuit peut s’appliquer en principe à tous les salariés.

L’interdiction de travail de nuit des femmes dans l’industrie qui avait cours jusqu’à la loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a été abrogée pour mettre le droit français en conformité avec la directive européenne du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’accès l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail.

Seuls les jeunes travailleurs font l’objet d’une protection spécifique, l’article L. 3163-2 du code du travail interdisant le travail de nuit pour ces jeunes travailleurs. En application de l’article L. 3163-1, est considéré comme travail de nuit :

– pour les jeunes travailleurs de plus de 16 ans et de moins de 18 ans, tout travail entre 22 heures et 6 heures ;

– pour les jeunes travailleurs de moins de 16 ans, tout travail entre 20 heures et 6 heures.

  1.   Le dispositif proposé

S’inspirant du principe d’interdiction du travail de nuit pour les jeunes travailleurs inscrit à l’article L. 3163-1 du code du travail, la présente proposition de loi vise à interdire le travail de nuit pour les salariés de la branche professionnelle des entreprises de propreté et services associés.

Son article unique introduit ainsi un nouvel article L. 3122-14-1 dans le code du travail, posant le principe d’une interdiction du travail de nuit, assorti de dérogations possibles.

En effet, par dérogation, le travail de nuit pourra être autorisé pour les salariés de cette branche professionnelle pour répondre à la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Ces dérogations devront pouvoir être justifiées auprès de l’inspecteur du travail.

  1.   Les modifications apportées par la commission

● Sur proposition de la rapporteure, le dispositif de l’article unique a été enrichi :

– d’une part, l’interdiction a été élargie aux horaires non conventionnels dits « atypiques » entre 19 heures et 7 heures 30 ([42]). En effet, la définition actuelle du travail de nuit est trop restrictive pour prendre en compte la réalité des conditions de travail des salariés de la branche professionnelle des entreprises de propreté et services associés puisque statistiquement, seuls 9 % des salariés de la branche travaillent de nuit. La notion « d’horaires atypiques » se fonde sur la définition de l’Institut national d’études démographiques (Ined). Les bornes de début (19 heures) et de fin (7 heures 30) reprennent, quant à elles, la définition du travail en journée tel que l’entend la direction des achats de l’État dans la circulaire du 16 mars 2022 relative aux engagements de l’État pour favoriser, par l’achat public, un emploi de qualité et responsable dans les filières de la propreté et de la sécurité privée ;

– d’autre part, un décret déterminera les caractéristiques particulières de l’activité tenant à la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale justifiant une dérogation ([43]).

● La commission a, en outre, précisé que :

– l’intervention de l’inspecteur du travail devait être préalable à l’autorisation de dérogation et s’accompagner de la consultation du comité social et économique ou, à défaut, des délégués du personnel s’il en existe, par l’adoption d’un amendement de Mme Karine Lebon et M. Yannick Monnet ([44]) (groupe Gauche démocrate et républicaine) avec un avis favorable de la rapporteure ;

– toujours avec l’assentiment de la rapporteure, ces dérogations comportent des majorations de rémunération ou de repos compensateurs par l’adoption d’un amendement de Mme Océane Godard et plusieurs de ses collègues du groupe Socialistes et apparentés ([45]). Les heures de nuit font l’objet d’une majoration salariale de 75 % sur proposition de M. Yannick Monnet et Mme Karine Lebon (groupe Gauche démocrate et républicaine) ([46]) ;

– enfin, les termes du contrat de sous-traitance ou de prestation de service liant une entreprise de propreté et de services associés et un donneur d’ordre ne peuvent constituer un motif de dérogation pour la seule nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique sur proposition de Mme Sarah Legrain et des membres du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire ([47]). Un sous-amendement de la rapporteure précise qu’il s’agit de l’activité économique « du sous-traitant » ([48]).

En cohérence avec le dispositif de l’article premier qui vise les salariés relevant de la branche professionnelle des entreprises de la propreté et services associés, le titre de la proposition de loi a été modifié pour substituer aux termes de « travailleurs et travailleuses » ceux de « salariés et salariées » ([49]).

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L’article 2 prévoit la remise d’un rapport sur le recours aux horaires atypiques et les effets des stipulations conventionnelles de la branche professionnelle des entreprises de propreté sur le temps de travail.

Sur proposition de la rapporteure ([50]), ce nouvel article introduit une demande de rapport du Gouvernement au Parlement, dans un délai d’un an, sur le recours aux horaires atypiques et fragmentés dans les entreprises relevant de la convention collective nationale des entreprises de propreté et de services associés ainsi que sur les effets des stipulations conventionnelles dérogatoires en matière de durée du travail. Ce rapport examinera notamment l’opportunité de subordonner ces dérogations à une compensation salariale.

En effet, le travail matinal demeure un angle mort statistique puisque la période de travail comprise entre 6 heures et 9 heures est aujourd’hui considérée comme un horaire conventionnel. Or, les effets néfastes sur la santé et la vie sociale du travail précoce ayant été démontrées, il convient de mesurer précisément le nombre de salariés concernés par ces horaires.

Par ailleurs, les travaux préparatoires ont mis en lumière les difficultés posées par certaines stipulations conventionnelles pour sortir du travail fragmenté. Le plancher minimal dérogatoire de 16 heures hebdomadaires (contre 24 heures dans le droit commun), la durée minimale de période de travail fixée à une heure (contre 4 heures dans certaines conventions collectives comme celle des entreprises de prévention et de sécurité) ainsi que la possibilité de deux interruptions quotidiennes contre une seule prévue dans le droit commun représentent manifestement des obstacles pour promouvoir le travail continu et en journée.

Il est ainsi proposé, entre autres recommandations, d’étudier l’opportunité de soumettre ces dérogations à une majoration salariale afin d’en dissuader le recours.

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   Travaux de la commission

Lors de sa première réunion du mercredi 12 février 2025, la commission examine la proposition de loi visant à protéger les salariés et les salariées du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 770) (Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure) ([51]).

Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Le présent texte aborde un sujet invisible : celui des personnes qui assurent le ménage dans les locaux professionnels, invisibilisées par leurs horaires. Prenons le temps de parler d’elles, de leurs conditions de travail : elles le méritent bien. J’ai une pensée particulière pour les femmes de ménage de l’Assemblée nationale, avec qui j’ai échangé encore ce matin, et que l’on croise trop peu souvent dans les couloirs puisqu’elles travaillent justement en dehors des horaires dits classiques.

Adapter le travail à l’humain et non l’humain au travail : la portée de ce principe fort, reconnu par le droit français et international, est éminemment politique, puisqu’elle oblige à faire des choix éthiques et humanistes quant à la place des travailleurs et travailleuses dans le système productif ; des choix organisationnels, aussi, car notre arsenal législatif impose aux employeurs d’organiser et garantir des situations de travail respectueuses de l’intégrité physique et mentale des travailleurs.

Dès lors, comment justifier que des milliers de travailleurs – très majoritairement des femmes – se lèvent chaque matin aux aurores pour nettoyer, dans l’ombre, nos bureaux ? Dans sa déclaration de politique générale, le 30 janvier 2024, l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, dénonçait cette situation et appelait l’État à montrer l’exemple pour « toutes ces personnes qui travaillent dur et se sentent invisibles ». Suite logique des travaux menés il y a quelques années par mon collègue François Ruffin, le texte que je vous présente vise à remettre la question à l’ordre du jour : il est désormais temps d’agir concrètement.

Deux tiers des travailleurs embauchés par les entreprises de propreté sont des femmes, une sur cinq élevant seule ses enfants. Près d’un salarié sur deux a plus de 50 ans : c’est deux fois plus que pour les autres métiers dits non qualifiés. En moyenne, plus d’un tiers sont d’origine étrangère ou immigrée – un taux qui masque, toutefois, de grandes disparités territoriales, puisqu’il atteint près de 90 % en Île-de-France. Bien souvent, les travailleurs s’orientent vers ces métiers par défaut et peinent à en retirer une quelconque satisfaction professionnelle et personnelle : 80 % d’entre eux déclarent qu’ils ne seraient pas heureux que leurs enfants s’engagent dans la même activité professionnelle, soit deux fois plus que chez les autres salariés.

En effet, comment être fier de son travail quand ni l’employeur, ni les usagers ne sont là pour le constater et le valoriser ? Aujourd’hui, le travail de nettoyage est au mieux invisibilisé, au pire déprécié et considéré comme secondaire. Ce sentiment d’ignorance est renforcé par un exercice souvent solitaire empêchant la constitution d’un collectif de travail entre les nettoyeurs, répartis sur différents sites, ou avec les salariés qui bénéficient des services de l’entreprise sous-traitante. Assez injustement, c’est lorsque le travail est mal fait qu’il est finalement reconnu par les autres.

Déjà plus âgés que la moyenne, les travailleurs du nettoyage n’ont quasiment aucune perspective d’évolution professionnelle, faute de formation continue régulière et ambitieuse. En 2019, les rares à avoir suivi une formation – ils n’étaient que 6 % – avaient, pour l’essentiel, assisté à des cours de langue. C’est très important, compte tenu du fort taux d’illettrisme, mais hélas insuffisant pour s’intégrer professionnellement et envisager une évolution de carrière.

Les salariés du nettoyage subissent davantage que les autres des temps partiels courts et contraints : beaucoup, pourtant, souhaiteraient travailler davantage et sont disponibles pour le faire. Seul un salarié sur cinq travaille à 80 % d’un temps plein, contre plus d’un tiers dans l’ensemble des secteurs, mais, pour la grande majorité, ils travaillent au moins cinq jours par semaine.

Ces travailleurs ont aussi la triste particularité de travailler en horaires décalés, tôt le matin ou tard le soir. Or ces horaires, que nous qualifions d’atypiques, ne sont aujourd’hui reconnus ni par la loi, ni par la convention collective : c’est là un point d’achoppement majeur de nos travaux. En effet, notre droit ne reconnaît aujourd’hui que le travail de nuit – et, marginalement, le travail en soirée. Parce que le travail de nuit perturbe les cycles chronobiologiques des travailleurs et entraîne des répercussions graves sur la santé et la vie sociale, son recours doit être exceptionnel et assorti de contreparties en termes de repos ou de majorations salariales. Or nombre des effets délétères observés chez les travailleurs de nuit – qu’ils soient avérés, comme l’altération du sommeil, ou probables, comme la survenue de cancers du sein – touchent aussi les travailleurs aux horaires non conventionnels : il est évident que le réveil récurrent aux aurores, avec le stress de la panne de réveil, engendre des troubles physiques et psychologiques chez les salariés. Pourtant, n’étant pas considérés comme des travailleurs de nuit au sens de la loi, ils ne bénéficient d’aucune compensation alors que leurs conditions de vie sont tout aussi altérées, sinon davantage.

L’emprise du travail sur la vie des salariés du nettoyage dépasse largement les quelques heures effectives de travail quotidiennes. La discordance entre leur rythme de vie, fait d’horaires de travail fragmentés et atypiques, et le rythme du reste de la société, a des conséquences majeures sur leur vie familiale et sociale. Comment nouer des amitiés, s’impliquer dans une activité sportive ou une vie associative lorsqu’on n’est jamais disponible le soir ? Comment trouver sa place dans la famille lorsqu’on manque le lever, les devoirs, le coucher ? Comment s’intégrer dans un pays dont on maîtrise à peine la langue si l’on ne peut jamais la pratiquer au contact des autres ? Bien des travailleurs du nettoyage s’épuisent dans des stratégies – souvent fragiles – pour concilier vie professionnelle et vie personnelle.

S’il est logique que les salariés de l’hôtellerie-restauration et des hôpitaux travaillent le soir et le week-end, s’il est discutable, mais compréhensible, que les salariés de la grande distribution travaillent plus tard le soir pour que les autres salariés puissent faire leurs courses, comment justifier que les nettoyeurs doivent impérativement quitter leur lieu de travail avant 9 heures ? Cette demande ne répond à aucun besoin de continuité sociale. Des considérations techniques peuvent justifier que des sites industriels ou les hôpitaux soient nettoyés à des moments précis de la journée, mais ils sont loin de représenter la majorité des cas. En réalité, ces travailleurs sont exclus de la journée de bureau standard par résistance culturelle au changement, par habitude, par confort, par inertie, parce qu’on ne veut pas voir le travail des autres, et singulièrement de ceux qui sont les plus fragiles dans notre société. Mais que représente le temps de nettoyage dans un bureau – le passage de l’aspirateur, le dépoussiérage, le vidage d’une poubelle ? Rien, ou presque. D’après les enquêtes d’opinion, 95 % des entreprises et donneurs d’ordre ayant adopté le nettoyage en journée s’en déclarent satisfaits. Cette pratique est d’ailleurs la norme chez nos voisins d’Europe du Nord.

À ces blocages culturels s’ajoutent au moins trois spécificités de la branche professionnelle des entreprises de propreté, qui n’encouragent pas la lutte contre le travail fragmenté en horaires atypiques.

Tout d’abord, les durées dérogatoires fixées par la convention collective sont peu protectrices pour les salariés : en 2013, la branche de la propreté s’est empressée de fixer à seize heures la durée minimale de travail hebdomadaire, bien en deçà des vingt‑quatre heures prévues dans le droit commun. Ce plancher, qui correspond à environ trois heures de travail quotidien sur cinq jours, n’incite pas les employeurs à proposer des plages étendues aux salariés. En outre, la durée minimale d’une vacation, fixée à une heure, et la possibilité de recourir à deux interruptions d’activité chaque jour sont peu propices à des journées de travail moins discontinues.

Ensuite, le dialogue social est particulièrement difficile en raison de l’absence du donneur d’ordre dans les discussions. La faible présence syndicale, confrontée à des employeurs peu respectueux de la législation sur le temps partiel, limite un dialogue social constructif et avancé sur l’encadrement des horaires fragmentés. Mais, fondamentalement, c’est le mécanisme même de l’externalisation qui affaiblit la portée des mesures qui pourraient être négociées entre partenaires sociaux. Pour faire bouger réellement les lignes, il est impératif d’agir au sein de cette relation tripartite, notamment à travers les clauses sociales des marchés. Je ne m’attarderai pas davantage sur la sous-traitance, qui n’est pas au cœur du dispositif proposé par le texte, mais je suis convaincue de la nécessité d’intégrer ces problématiques lors de la transposition de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – je regrette d’ailleurs que le Gouvernement en ait suspendu la transposition, car elle est fondamentale pour faire respecter les droits humains.

Enfin, les salariés, individuellement, n’ont que très peu de pouvoir pour défendre leurs droits. Nombre d’entre eux, qui vivent dans la précarité et ne parlent que très peu le français, signent des contrats de travail contenant des clauses illégales, qui méconnaissent, par exemple, la durée minimum de travail hebdomadaire de seize heures. Il est évident que, sans une intervention des pouvoirs publics, ces salariés n’ont pas les moyens de se protéger eux‑mêmes contre des horaires de travail inhumains.

Dès lors, comment le législateur que nous sommes peut-il agir ? S’il n’est pas évident de viser spécifiquement une branche professionnelle, je tiens à rappeler que les entreprises de la propreté sont aujourd’hui très rentables : elles réalisent entre 5 % et 8 % de marge, contre 2 % pour les entreprises de la sécurité privée, alors que ces deux secteurs ont pour particularité de ne reposer que sur l’humain et d’être peu menacés par la délocalisation.

De l’aveu même du patronat, la branche essaie en vain, depuis dix-huit ans, de convaincre les donneurs d’ordre de ne plus recourir aux horaires atypiques : il est temps d’agir. J’ai choisi de présenter un dispositif restreint, dont la modestie ne traduit pas celle de nos engagements, mais celle du temps qui nous est imparti pour poser la première brique d’un édifice juridique encore largement à construire. L’article unique du texte vise ainsi à interdire le travail de nuit pour les salariés de la branche des entreprises de propreté, sauf dérogations justifiées par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Pour consolider le dispositif, je vous proposerai d’élargir cette interdiction aux horaires s’étendant de 19 heures à 7 heures trente, puisque les travaux préparatoires ont révélé que les travailleurs de la propreté sont moins des travailleurs de nuit que des travailleurs du matin et du soir. Je serai également favorable aux amendements qui proposent la consultation du comité social et économique (CSE) et précisent que l’intervention de l’inspecteur du travail doit être préalable à l’autorisation de dérogation, qui doit faire l’objet d’une contrepartie en termes de repos ou de majoration salariale. Enfin, je vous proposerai que les activités liées à la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale soient définies par un décret pris en Conseil d’État.

Je souhaite surtout que, collectivement, nous continuions à avancer sur ce sujet au‑delà de l’examen en commission, afin de garantir à ces travailleurs les conditions de travail décentes qu’ils méritent. Après des années à tenter de convaincre les donneurs d’ordre, privés comme publics, il est temps de passer aux actes pour que ceux qui nettoient nos bureaux aient enfin une vie quotidienne digne.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Katiana Levavasseur (RN). Ce sujet me parle tout particulièrement, puisque je suis moi-même femme de ménage – un métier humble, discret, essentiel ; un métier de l’ombre que l’on oublie souvent, mais qui assure le bien-être et l’hygiène de tous.

Le texte ambitionne d’interdire le travail de nuit dans le secteur du nettoyage, afin d’améliorer les conditions de travail. Je le dis avec toute l’expérience de celle qui a passé des années à récurer bureaux, grandes surfaces et écoles : si l’intention est louable, interdire à une minorité de travailleurs d’exercer leur métier la nuit n’est pas la solution. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), seuls 6 % des employés du nettoyage travaillent entre minuit et 5 heures du matin, et 14 % entre 20 heures et minuit, contre 24 % dans d’autres branches : dans ce secteur, le travail de nuit reste donc une exception, le plus souvent justifiée par l’activité même de l’entreprise.

Dès lors, toute interdiction radicale risque surtout d’entraîner des pertes d’emploi. Certes, les horaires décalés sont difficiles et nous sommes trop souvent invisibles, mais cette interdiction aura des conséquences sur tous ceux qui, par choix ou par nécessité, travaillent la nuit. Beaucoup cumulent plusieurs emplois et ne pourraient pas maintenir leurs revenus si cette possibilité leur été retirée ; d’autres préfèrent ces horaires parce qu’ils leur permettent d’être plus autonomes dans leurs tâches, et d’éviter la pression et les regards parfois méprisants des autres employés en journée.

Surtout, les choses ont déjà progressé : la circulaire du 16 mars 2022, qui encourage le passage au travail en journée et en continu, a produit des résultats plutôt concluants. Plus qu’une interdiction brutale, c’est bien un accompagnement progressif qui permettra un changement durable et adapté à chacun. Au fond, ce ne sont pas tant les horaires de nuit qui posent problème, que le morcellement du temps de travail, les trajets interminables entre plusieurs lieux d’exercice, le matériel mal adapté ou manquant et les salaires trop bas pour vivre dignement d’un seul emploi.

Nous ne voulons pas d’une loi qui nous enferme dans un cadre rigide, sans tenir compte de nos réalités : nous voulons une vraie réforme.

Mme Annie Vidal (EPR). Lors de sa déclaration de politique générale, Gabriel Attal l’a affirmé : « Je veux que [...], désormais, au sein de l’État, les personnels d’entretien de l’administration qui le souhaitent puissent travailler aux mêmes horaires que tout le monde, c’est-à-dire aux horaires de bureau. »

François Ruffin, lui, déclarait : « Elles arrivent à 6 heures et repartent à 10 heures […]. Bénéficient-elles de tickets repas ? Non. Ont-elles un treizième mois ? Non. Des primes de panier ou de salissure ? Non. [...] Elles sont partout et, pourtant, elles sont absentes. »

Ces travailleuses et travailleurs essentiels, qui accomplissent chaque jour des tâches ardues et indispensables à notre société, sont invisibilisés. Je vois dans ces deux interventions une volonté partagée d’améliorer leurs conditions de travail, par-delà les clivages partisans. L’Assemblée nationale et le ministère chargé de l’écologie appliquent d’ailleurs d’ores et déjà des horaires de jour.

Si je m’associe au constat et aux valeurs véhiculées par ce texte, véritable appel collectif à faire mieux et à avancer sur la précarité, la pénibilité, les horaires atypiques et le manque de reconnaissance dont souffrent les agents d’entretien, trop souvent laissés pour compte, le dispositif proposé me semble, en l’état, inabouti. Ce texte, qui passe à côté du sujet, est une mauvaise réponse à un vrai problème.

Interdire aux salariés du nettoyage de travailler entre 21 heures et 6 heures du matin créerait une rupture d’égalité avec les autres travailleurs de nuit. Dans certains lieux, comme l’hôpital, les laboratoires ou les salles de classe, le travail de nuit et les horaires atypiques sont justifiés, mais rien ne s’oppose à ce que le nettoyage de bureaux dans les sièges sociaux soit réalisé en journée.

En outre, une telle interdiction compliquerait le travail de l’inspection pour autoriser les dérogations et contrôler les horaires. C’est d’ailleurs pour cette raison que la direction générale du travail est opposée à cette proposition.

Par ailleurs, le travail de nuit est très encadré et correctement majoré, ce dont les salariés concernés sont très satisfaits. Le vrai problème réside dans les horaires atypiques et l’invisibilisation qu’ils entraînent. Or, pour l’heure, les horaires atypiques ne sont toujours pas définis d’un point de vue juridique.

Défavorable au dispositif proposé, le groupe EPR partage néanmoins les valeurs et l’ambition véhiculées par le texte et appelle à un travail transpartisan pour améliorer réellement les conditions de travail et la reconnaissance des salariés du secteur du nettoyage.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Ce texte vise à ouvrir le débat sur l’amélioration, ô combien nécessaire, des conditions de travail dans le secteur de la propreté, où exercent à plus de 80 % des femmes, dont 65 % gagnent moins de 900 euros par mois. Il permet de mettre en lumière ces travailleuses qui, bien souvent, ne travaillent pas à la lumière du jour, puisqu’elles sont plus de 46 % à effectuer leurs tâches en soirée, en pleine nuit ou aux petites heures du matin. Résultat : la population française ne croisera pas la moitié des 1 700 000 professionnelles du secteur. L’invisibilisation a aussi des conséquences sur leur santé physique et mentale.

L’ambition du texte est claire : empêcher les employeurs du secteur de la propreté d’imposer le travail de nuit aux salariés. Malheureusement, en permettant aux employeurs de déroger à cette interdiction au motif d’assurer la continuité de l’activité économique, il manque sa cible. Une telle dérogation existe déjà dans le code du travail et s’applique à tous les travailleurs de nuit : l’impératif de continuité de l’activité économique ne recouvre en réalité rien d’autre que la poursuite d’objectifs privés et lucratifs.

Mon amie et camarade Rachel Keke a porté la voix de ces travailleuses jusqu’entre nos murs : à nous de continuer. Pour ces travailleuses, passons sans attendre au strict encadrement du recours du travail de nuit et en soirée, œuvrons pour une semaine de 32 heures et une compensation salariale du travail de nuit réellement dissuasive pour les employeurs – c’est tout l’objet de nos amendements.

Mme Océane Godard (SOC). Merci de mettre au cœur de ce texte les femmes et les hommes qui travaillent dans le secteur de l’entretien et de la propreté. Si nous avons eu beaucoup de gratitude et de reconnaissance pour ces premiers de corvée durant la crise de covid-19, nous n’avons que trop tardé à reconnaître leurs compétences, leur savoir-être et leur savoir‑faire : c’est tout l’objet du texte.

Il résonne d’ailleurs avec l’initiative prise par Dijon métropole, en lien avec la Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés (FEP), pour accompagner l’ensemble des donneurs d’ordre publics et privés et les amener à accepter le nettoyage en journée. Cette démarche a été concluante, illustrant toute l’importance de la dimension systémique pour changer les pratiques du secteur.

Paradoxalement, ces métiers si précieux sont encore trop invisibilisés : comme nous y invite le texte, nous devons leur redonner de la dignité et sécuriser les parcours professionnels en accordant à ces travailleurs – en Côte-d’Or, ce sont à 72 % des femmes – davantage de travail en journée et en continu. Il faut également rendre ces métiers, exercés par 6 % de jeunes, plus attractifs. N’oublions pas les conséquences de ces horaires sur la vie sociale : derrière ces travailleurs, il y a aussi des enfants qui restent seuls le matin ou tard le soir, pendant que leurs parents travaillent.

Malgré quelques réserves que nous aborderons à travers nos amendements, nous soutiendrons cette proposition de loi.

Mme Sylvie Dezarnaud (DR). Le groupe Droite Républicaine partage l’objectif de revaloriser les métiers du secteur du nettoyage en améliorant les conditions de travail. Je salue la rapporteure et le groupe Écologiste d’avoir inscrit ce texte dans leur niche et de mettre en lumière les salariés du secteur.

Si l’intention est louable, nous nous interrogeons sur la rédaction proposée, qui présente deux écueils principaux. Tout d’abord, le titre de la proposition de loi affirme que celle-ci garantit des horaires de jour ; c’est faux, puisqu’elle s’attaque uniquement au travail de nuit et non au travail en soirée ou tôt le matin, qui concerne davantage de travailleurs du secteur. La définition du travail de nuit est restrictive : il s’agit d’un travail réalisé entre 21 heures et 7 heures, incluant obligatoirement l’intervalle entre minuit et 5 heures. Un salarié travaillant pendant seulement une partie de cet intervalle n’est pas considéré comme un travailleur de nuit. Selon l’étude de la Dares citée dans l’exposé des motifs, seulement 6 % des salariés du secteur travaillent en horaires de nuit.

Par ailleurs, la justification du recours au travail de nuit auprès de l’inspection du travail n’est assortie d’aucune condition de vérification préalable. Vous ne posez pas clairement la question du contrôle de l’administration sur la bonne application de la dérogation. Le droit actuel prévoit un cadre plus strict : la mise en place du travail de nuit régulier est assortie d’une négociation collective. Tel qu’il est rédigé, le texte pourrait avoir pour effet d’élargir les possibilités de recours au travail de nuit, soit l’exact inverse de ce que vous recherchez.

Le groupe Droite Républicaine ne pourra donc voter ce texte en l’état. Il se tient à l’entière disposition de la rapporteure pour le retravailler dans la perspective de son examen en séance publique.

M. François Ruffin (EcoS). Merci, madame la rapporteure, d’avoir repris le flambeau, cinq ans après le dépôt de cette proposition de loi. C’était en 2020, au temps de la crise covid, un temps où le Président de la République déclarait : « Il faudra nous rappeler que notre pays aujourd’hui tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »

Que s’est-il passé, en cinq ans, pour les agents d’entretien et pour les femmes de ménage ? Rien. Un rapport remarquable sur les dix-sept métiers de la deuxième ligne, parmi lesquels les femmes de ménage et les agents d’entretien, a dit combien ils étaient, combien ils se sentaient utiles au pays, mais aussi combien leur métier était maltraité, sous-traité et écrasé. On le voit tous les jours dans les hôpitaux, dans les industries et dans les bureaux : on a transformé un métier en bouts de boulot qui rendent la vie impossible. Un petit bout de boulot le matin, et les enfants se lèvent tout seuls, prennent leur petit déjeuner tout seuls, partent à l’école tout seuls parce que maman a déjà pris le bus ou le métro ; un petit bout le soir, pour avoir un salaire correct, même si cela veut dire qu’on ne peut pas accompagner les devoirs.

L’objectif est évidemment de passer à temps plein et à salaire plein. Ce matin, nous avons rencontré une quinzaine de femmes de ménage du bâtiment du 101, rue de l’Université. Elles nous ont dit qu’elles étaient toutes volontaires pour abandonner les horaires tôt le matin et passer au travail de jour. Elles ont exprimé leur satisfaction d’avoir obtenu un treizième mois, mais surtout leur sentiment et de ne plus vivre dans la peur car on parle désormais d’elles au grand jour.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le secteur des entreprises de propreté et services associés regroupe 16 000 entreprises et 600 000 emplois en France et connaît une croissance importante. C’est un pilier de notre économie. Les conditions de travail y sont souvent précaires, avec des horaires décalés et une exécution des tâches en dehors des heures d’activité des lieux nettoyés. Il faut donc saluer les initiatives favorisant le travail en journée, comme le label On accepte de faire le ménage pendant les heures de bureau, développé par la FEP ou les expérimentations menées dans l’administration publique. Ces démarches améliorent durablement les conditions de travail et renforcent la prise en compte de l’impact des conditions de travail atypiques sur la santé des salariés du secteur et de la nécessité d’y réorganiser le travail afin de limiter le travail de nuit et d’améliorer la reconnaissance des métiers.

La proposition de loi introduit un principe général d’interdiction du travail de nuit – ce que vous appelez les horaires atypiques – dans le secteur de la propreté, avec une dérogation dans les cas où il est nécessaire de maintenir l’activité économique ou un service essentiel à la population. Cette interdiction générale nous paraît excessive. Certaines activités nécessitent des interventions en dehors des heures de bureau pour des raisons de sécurité et de continuité d’activité – je pense ici aux hôpitaux, aux transports et aux grandes infrastructures. Une situation unique pour tous les segments du secteur sans prendre en compte la diversité des métiers, les contraintes locales et les choix personnels des salariés basés sur le volontariat reviendrait à ignorer les réalités de terrain. Le code du travail encadre déjà le travail de nuit, qui doit être exceptionnel et ne peut excéder huit heures consécutives, avec des repos compensatoires et/ou une majoration salariale.

La voie législative n’apporte pas une réponse réaliste. Il nous semble plus pertinent de renforcer le dialogue social au sein des entreprises et de la branche professionnelle. C’est la meilleure manière d’améliorer significativement les conditions de travail et la reconnaissance de ces salariés tout en respectant les impératifs économiques et l’intérêt général. Nous sommes donc très réservés sur l’intérêt de la proposition de loi.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Le fait d’associer les métiers de la propreté au travail de nuit participe à l’invisibilisation sociale des salariés et entretient, avec d’autres facteurs, un manque de reconnaissance injustifiable. Outre une faible rémunération, la difficulté de ces métiers tient essentiellement à la pénibilité des conditions de travail. Les facteurs sont nombreux : l’utilisation de produits chimiques, les gestes répétitifs et les postures pénibles qui sont un vecteur de troubles musculo-squelettiques et, bien évidemment, les horaires atypiques.

La prise de conscience du caractère non nécessaire du travail de nuit a conduit à des engagements de la part d’organisations professionnelles comme le Medef ou la FEP. Ils prouvent qu’une autre organisation du travail est possible. L’engagement de Gabriel Attal pour les personnels d’entretien des administrations publiques montre combien la responsabilité de l’État est immense. Il faut donner l’exemple.

Poser dans la loi la règle de l’interdiction du travail de nuit pour les métiers de la propreté est certainement la manière la plus efficace d’aboutir à des changements de pratiques. Il n’y a que des avantages à cesser le travail de nuit, qui n’a de justification que celle d’éviter de croiser ou de gêner les autres salariés. Le premier est une meilleure conciliation avec la vie privée, notamment familiale. Les bienfaits en termes de santé sont eux aussi considérables, tant les dommages causés par le travail de nuit sur le sommeil, l’alimentation et les accidents de travail sont importants. La fin du travail de nuit permettra également aux salariés de retrouver une vie professionnelle plus épanouie, avec davantage d’interactions sur leur lieu de travail. Enfin, elle rend possible l’augmentation du temps de travail en journée, voire le passage à temps plein, plutôt que de subir un temps partiel non choisi, ce qui apporte aussi une réponse en termes de rémunération.

M. Yannick Monnet (GDR). La proposition de loi revêt l’intérêt de mettre de nouveau au premier plan la situation des travailleurs du nettoyage, dont les gouvernements successifs n’ont cessé d’annoncer, depuis la pandémie, qu’ils allaient réformer leurs conditions de travail. Ces travailleurs subissent également le travail haché en journée – ce que l’on appelle la journée fragmentée –, les jours fériés et le week-end.

Ma chère collègue, vous reconnaissez qu’il ne s’agit là que d’un premier pas et que l’enjeu des horaires de jour doit être articulé avec la question du temps partiel subi et un encadrement strict de la sous-traitance. Néanmoins, la proposition de loi est encore trop restrictive et elle pourra être facilement contournée au nom de la continuité de l’activité économique.

Le nœud du problème est précisément la nature et le manque d’encadrement de l’activité économique qui, conduite par le seul profit, a fini par imposer les conditions de travail atypiques comme une norme. En effet, selon la Dares, tous secteurs d’activité confondus, 19 % des Français travaillent de nuit ou en fin de semaine, 17 % à temps partiel, 10 % de façon occasionnelle et 10 % en horaires longs et flexibles. Une majorité travaille donc en horaires atypiques et seulement 37 % des Français ont des horaires de travail dits standard.

Afin de franchir ce premier pas, il convient donc de ne pas restreindre la proposition aux horaires de nuit mais de l’étendre aux horaires compris entre 18 heures et 9 heures afin de poser une véritable obligation d’horaires de travail standard. Si dérogation il doit y avoir, il faut fermement l’encadrer par une majoration salariale substantielle, par une consultation du CSE ou des délégués du personnel et par un accord de l’inspection du travail, faute de quoi la règle posée dans la loi restera une simple intention. Nous ne pouvons pas courir le risque qu’à terme, il soit définitivement considéré que les horaires atypiques sont nécessaires pour ces travailleurs du ménage, mais également pour tous les autres au motif des besoins de l’activité économique.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Puisque nous examinons un texte sur les travailleurs du nettoyage, il me semble impossible de ne pas avoir un mot pour Moussa Sylla. Moussa Sylla était salarié d’Europ Net, société sous-traitante de l’Assemblée nationale. Il est mort le samedi 9 juillet 2022 au matin, sous nos pieds, dans les sous-sols du palais Bourbon. Alors qu’il nettoyait le parking des députés, son autolaveuse s’est emballée dans une pente qu’il n’aurait jamais dû avoir à emprunter avec cette machine, le projetant contre un mur. Il était seul, sans aucun témoin. Son corps a été trouvé plus tard, par hasard. Ses collègues ont ensuite souligné qu’il devait faire en quatre heures le travail que le salarié qu’il remplaçait faisait en six heures. Moussa Sylla fait partie des plus de sept cents personnes par an, soit plus de deux par jour, tuées au travail en France.

Moussa Sylla, Mauritanien vivant en France depuis vingt ans, père de deux enfants, faisait partie de ces 73 % d’agents d’entretien d’Île-de-France issus de l’immigration. Moussa Sylla est l’un des noms de cette masse de travailleuses et de travailleurs étrangers qui assument les métiers les plus pénibles, les plus dévalorisés, et qui sont, ces jours-ci, insultés, déshumanisés, accusés de provoquer une « submersion migratoire ».

Malgré la procédure judiciaire en cours, l’Assemblée nationale a reconduit le marché d’Europ Net et l’a même étendu à des bâtiments supplémentaires. Le 24 janvier dernier, la société Europ Net a finalement été reconnue coupable d’homicide involontaire par le tribunal judiciaire de Paris. À cette heure, il n’y a eu aucune réaction de l’Assemblée nationale. Le groupe parlementaire La France insoumise a saisi la Présidente de l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, nous avons la possibilité de faire un petit pas en faveur de ces travailleurs et travailleuses de l’entretien en les protégeant des horaires abusifs. Par mes amendements, j’ai voulu y ajouter la question de la sous-traitance, qui permet aux donneurs d’ordre de se dédouaner des conditions de travail des employés, comme c’est le cas de l’Assemblée nationale et comme c’était aussi le cas du groupe Accor face à la grève historique des femmes de ménage de l’hôtel Ibis-Batignolles, menée par notre ancienne collègue Rachel Keke, que je veux également saluer. Elle nous rappelait souvent, entre ces murs, que sous-traitance rime bien trop souvent avec maltraitance.

Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je m’associe à la pensée de Sarah Legrain pour Moussa Sylla, décédé il y a quelques mois dans nos locaux, et pour sa famille. Les conditions de travail des agents de nettoyage sont difficiles. De surcroît, ils font l’objet d’un isolement qui accentue les risques. La proposition de loi essaie modestement de lutter contre cet isolement en luttant contre l’invisibilité de ces travailleurs ; être invisible, c’est par définition être isolé.

J’ai entendu plusieurs de nos collègues faire valoir qu’ils disaient bonjour aux personnes qui font le ménage dans nos locaux. Je ne doute pas de leur parole. Nous sommes peut-être des individus exemplaires ; je doute néanmoins que nous le soyons tous les jours. Lorsque j’ai auditionné les représentants des organisations syndicales, l’une d’entre elles a commencé par dire : « Si l’on pouvait juste nous dire bonjour ». Ce n’est pas une problématique individuelle, c’est un fait social auquel il convient de répondre. Toutes les organisations syndicales et tous les professionnels que j’ai rencontrés disent qu’ils sont méprisés dans leur travail au quotidien. Quand on fait société, on s’organise pour que celles et ceux qui font ce travail difficile et ingrat soient traités avec la dignité à laquelle ils ont droit.

Madame Levavasseur, permettez-moi de douter des progrès que vous évoquez. De l’aveu même de la FEP, qui travaille sur la base de la conviction depuis dix-huit ans, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Au contraire, on assiste au retour de certains types de contrat, par facilité, peut-être aussi par exigence d’une productivité toujours plus importante et par une intensification générale du travail qui fait du mal à de nombreux travailleurs. Les résultats ne sont pas plus concluants pour l’action de l’État : hier, les employeurs m’ont confié qu’ils attendaient une circulaire plus forte que celle de 2022 ; elle n’est jamais venue. La direction des achats de l’État a noté que l’une de ses enquêtes présentait un taux élevé de sites passés aux horaires de jour. Cependant, seulement 1 000 sites ont répondu au questionnaire, sur 150 000 sites dont l’État est propriétaire. Le travail à mener est immense. Il faut agir.

Madame Vidal, vous dites que le dispositif n’était pas abouti car l’inspection du travail sera dans l’incapacité d’appliquer les dispositions prévues. Je ne méconnais pas les graves difficultés que connaît l’inspection du travail, absente de nombreux territoires en raison d’un nombre de postes insuffisant et, pour ceux qui existent administrativement, d’un grand nombre de postes vacants. Il faut la renforcer en augmentant le nombre de postes et en donnant aux inspecteurs du travail davantage de force lorsqu’ils interviennent. Cependant, au vu de l’état général des services publics, s’il fallait s’arrêter à chaque fois que l’un d’entre eux rencontre des difficultés à remplir ses missions, nous ne ferions rien.

Madame Amiot, je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que les horaires de nuit sont souvent imposés aux travailleurs au détriment de leur santé, pour une compensation insuffisante. Cependant, ils sont dans certains cas justifiés par la continuité de l’activité économique, par exemple pour les entreprises assujetties à la réglementation sur la sécurité sanitaire, laquelle interdit de faire le ménage durant les horaires de production de produits alimentaires, ou à l’hôpital. La continuité de l’activité économique doit toujours être justifiée par des tâches réelles, et non par la profitabilité ou le rendement. Les tâches de nettoyage doivent toujours être réalisées le jour, quand elles peuvent l’être ; dans le cas contraire, la proposition de loi permet une dérogation accordée par l’inspection du travail pour qu’elles soient réalisées à un autre moment.

Madame Godard, l’exemple de Dijon est formidable. Toutefois, comme vous l’avez noté, la bonne volonté de certaines entreprises ou de certains commanditaires publics ne suffit pas. Elle se heurte à la réalité du terrain. Je partage votre souhait de favoriser le travail continu : l’interdiction des horaires atypiques procède d’une logique vertueuse qui dépasse la simple question du travail de nuit. Souvent, les entreprises de nettoyage envoient de grosses équipes sur un même site pour travailler en peu de temps. En allongeant la période de travail sur site, c’est-à-dire en envoyant moins de personnes qui travailleront plus longtemps, il y aura autant d’emplois, mais des journées moins hachées, donc un gain collectif. C’est un levier qui permet de lutter contre les journées discontinues et de se rapprocher du travail à temps plein.

Depuis quelques jours, une expérimentation est lancée au Palais‑Bourbon et nos locaux sont désormais nettoyés en horaires de jour ; de ce fait, les plages horaires ont augmenté et l’entreprise s’est engagée à passer à près de 50 % de temps plein. Je ne doute pas qu’elle recevra une évaluation positive.

Madame Dezarnaud, l’inspection du travail veillera à ce que les horaires atypiques ne soient pas utilisés par facilité, au détriment de la vie des salariés, mais en raison d’une nécessité liée à l’activité économique. Elle est donc dans son rôle : veiller au respect des conditions de travail, notamment à la santé des travailleurs et des travailleuses.

Monsieur Ruffin, je me doutais qu’une citation célèbre d’Emmanuel Macron serait prononcée aujourd’hui en ces lieux. Il est vrai que l’organisation actuelle du travail rend la vie impossible à ces gens et les enferme dans la pauvreté. En cumulant les bouts de boulot, comme vous le dites, ils arrivent à un salaire moyen de 800 à 900 euros net par mois, ce qui est notoirement insuffisant pour vivre.

Madame Colin-Oesterlé, vous jugez l’interdiction du travail de nuit excessive, mais n’est-ce pas la situation actuelle qui échappe au bon sens ? Il est de notre responsabilité de mettre fin à cette réalité sociale orthogonale au bon sens et de revenir la normalité, c’est‑à‑dire au ménage en journée continue chaque fois que cela est possible. Fallait-il en arriver là ? Visiblement, oui, car cela fait longtemps que nous en parlons et que rien ne change.

Je vous remercie, monsieur Colombani, pour votre soutien. Effectivement, à terme, l’objectif est que les entreprises n’aient plus besoin de demander l’autorisation à l’inspection du travail car les habitudes auront changé et ces pratiques insupportables auront cessé.

Monsieur Monnet, il est vrai que la question du temps de travail, des horaires atypiques et du temps partiel contraint dépasse largement la branche de la propreté. Cependant, un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales relevait six branches dans lesquelles le temps partiel contraint était le plus présent ; parmi ces six branches, celle de la propreté présente un taux de temps partiel contraint particulièrement élevé, sans aucune justification. Évidemment, il y a beaucoup à faire pour ces travailleurs aux conditions de vie difficiles : lutter contre le travail discontinu, respecter les droits afférents au fait de travailler en décalé par rapport à la majorité des salariés, revaloriser les salaires... Il faut avancer pas à pas.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en avons ainsi terminé avec la discussion générale de la proposition de loi. Nous en examinerons les articles cet après-midi.

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Lors de sa seconde réunion du mercredi 12 février 2025, la commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à protéger les salariés et les salariées du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 770) (Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure) ([52]).

Article unique : Interdire le travail de nuit pour les salariés des entreprises de propreté

Amendement AS11 de Mme Ségolène Amiot

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Les effets désastreux du travail de nuit sur la santé sont connus depuis longtemps : perturbations de l’horloge biologique, maladies cardiovasculaires, cancers, troubles de l’humeur, dépression. Les conséquences sociales sont grandes également : isolement, perte de sens du travail, invisibilisation constante.

En parallèle, la protection des travailleuses et travailleurs de nuit, qui sont très peu payés et souvent des femmes, est très faible. La protection théorique du licenciement en cas de refus de travail de nuit va mal avec la réalité du principe de subordination qui lie les salariés au patron et qui, de fait, les empêche bien souvent de refuser. Si le travail de nuit permet d’abonder le compte professionnel de prévention, les possibilités de reconversion ou de reclassement après une formation sont infimes. Nous proposons donc de sanctuariser l’interdiction du travail de nuit en précisant que les dérogations y sont strictement exceptionnelles.

Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je partage votre analyse sur les dangers du travail de nuit pour la santé, sur la tendance à y recourir de manière trop importante au regard des besoins de l’économie et sur l’insuffisance des protections et des compensations. Cependant, votre amendement d’appel dépassant largement le cadre de cette proposition de loi, je vous demanderai de le retirer.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Le travail de nuit nécessite un véritable débat de fond, et pas seulement dans le secteur de la propreté, même si celui-ci est particulièrement sensible en raison de l’invisibilisation de ses travailleurs. Toutefois, j’entends l’appel de la rapporteure et je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement AS1 de M. Yannick Monnet

M. Yannick Monnet (GDR). La définition des heures de nuit dans le code du travail est beaucoup trop restreinte car elle ne tient pas compte du travail en soirée ou tôt le matin. De tels horaires sont considérés comme typiques alors qu’ils sont contraignants pour ceux qui ont des enfants – il faut les emmener à l’école le matin, surveiller leurs devoirs le soir, etc. Nous proposons de considérer que la tranche horaire de 18 heures à 9 heures du matin est atypique, donc classée en horaires de nuit.

Mme la rapporteure. Il manque en effet, entre le travail de nuit et le travail de jour, une catégorie correspondant aux horaires décalés, qui entraînent une dégradation importante de la vie sociale et font courir les mêmes dangers sur la santé que le travail de nuit. Une définition globale des horaires atypiques est donc nécessaire, assortie de limitations et de compensations.

Je vous demande toutefois de retirer votre amendement au profit du mien, AS21, qui apporte une définition des horaires atypiques tout en préservant celle du travail de nuit, qui existe déjà et qui est claire. De plus, je préfère retenir la borne de 7 heures 30 pour définir un horaire atypique car elle correspond à celle du travail en journée.

M. Yannick Monnet (GDR). Une tranche horaire allant de 7 heures 30 à 19 heures est justement problématique, car elle incite les entreprises à faire travailler les gens à partir de 7 heures 30. Je maintiens donc mon amendement.

Mme la rapporteure. Mon avis sera donc défavorable. Démarrer la journée de travail à 9 heures me paraît bien tardif, si l’on pense à tous les écoliers et les enseignants qui commencent à 8 heures ! Cela concernerait une proportion de salariés trop importante. En tout état de cause, un travail d’ampleur doit être ouvert sur cette question.

M. Philippe Vigier (Dem). Il existe une convention collective des entreprises de propreté, qui date de 2011 et qui prévoit une tarification majorée pour les heures effectuées entre 21 heures et 6 heures du matin et des repos compensateurs. Je ne suis pas opposé à ce que l’on rémunère mieux les horaires atypiques, mais ne nous asseyons pas sur ce qu’ont fait les partenaires sociaux.

D’autres branches pratiquent le travail de nuit et ont conclu des accords. Veillons à ne pas créer trop de distorsions : on peut tenir compte des horaires atypiques, mais pas de façon désordonnée.

M. François Ruffin (EcoS). Les partenaires sociaux trouvent que cette convention est très déséquilibrée, parce que les forces syndicales représentant les salariés sont très émiettées. Par ailleurs, c’est justement parce qu’elle a fixé les horaires de nuit de 21 heures à 6 heures du matin que toutes les entreprises de propreté font commencer leurs salariés à 6 heures. C’est cela qu’il convient de corriger.

Enfin, nombreux sont ceux qui nous disent que nous posons la bonne question mais que nous n’avons pas la bonne réponse. Soit, mais qu’avez-vous fait depuis cinq ans ? Aucune solution n’a été proposée aux femmes de ménage et aux agents d’entretien pour améliorer leurs conditions de travail.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous soutenons cet amendement parce que l’extension de l’interdiction du travail de soirée et de nuit à la branche du nettoyage permet de renforcer le combat contre la fragmentation des horaires. Les horaires de jour fixés dans la convention collective sont très larges. Commencer sa journée de travail à 6 heures du matin, non seulement c’est tôt, mais cela signifie qu’on a dû faire une heure de trajet à un moment où il n’y a pas forcément de transports en commun. Il en va de même le soir : en région parisienne, on dispose de transports en commun à 21 heures, mais ce n’est pas le cas partout. Il faut tenir compte de tout ce que cela implique de travailler à partir de 6 heures et jusqu’à 21 heures.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5 de Mme Océane Godard

M. Jérôme Guedj (SOC). Il s’agit de remplacer à l’alinéa 2 le terme « salariés » par celui de « travailleurs » afin d’étendre l’interdiction du travail de nuit à l’ensemble des travailleuses et travailleurs du secteur du nettoyage, qui peuvent être aussi intérimaires ou travailleurs indépendants. Tous ceux qui travaillent la nuit sont concernés par les risques pour la santé et les déséquilibres sociaux et méritent, indépendamment de leur statut, une protection égale.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement car le texte vise expressément la branche professionnelle des entreprises de propreté et services associés : on ne peut donc reconnaître que les salariés couverts par les dispositions conventionnelles de cette branche. Cela dit, si elle est adoptée, la proposition de loi devrait avoir un effet d’entraînement et faire évoluer les pratiques de tout le secteur, et donc bénéficier à tous ses travailleurs.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je veux bien retirer cet amendement mais que fait-on alors des travailleurs indépendants, dans un secteur où l’ubérisation est très présente ?

Mme la rapporteure. Juridiquement, dès lors que le texte s’applique à une branche, il ne concerne que ses salariés. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement visant à modifier le titre de la proposition de loi en conséquence. Si l’on veut lutter contre l’ubérisation, qui recourt souvent à des travailleurs indépendants pour éviter de les salarier, il faut une démarche beaucoup plus globale.

M. Jérôme Guedj (SOC). Une entreprise, pour échapper aux dispositions de la loi, aura donc encore plus intérêt avec ce texte à inciter ses salariés à se déclarer autoentrepreneurs. En voulant bien faire, on risque paradoxalement d’accélérer un mouvement déjà très marqué.

L’amendement est retiré.

Amendement AS21 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme la rapporteure. La définition actuelle du travail de nuit – de 21 heures à 6 heures du matin – est trop restrictive pour prendre en compte la réalité des conditions de travail des salariés des entreprises de propreté, marquées, selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, par une prévalence du travail très matinal – de 5 heures à 8 heures du matin – et en soirée – de 19 heures à 22 heures. Or la littérature scientifique démontre que le travail précoce ou tardif a des effets tout aussi délétères que le travail de nuit sur la santé et la vie sociale.

L’amendement propose donc d’introduire la notion d’horaires atypiques, qui iraient de 19 heures à 7 heures 30, reprenant ainsi les bornes posées par une circulaire du 16 mars 2022 concernant l’emploi dans les secteurs de la propreté et de la sécurité privée. Tant le travail de nuit que le travail en horaires atypiques seraient interdits pour les salariés relevant de la branche professionnelle de la propreté, sous réserve de dérogations prévues par la loi.

Nous espérons que cette définition des horaires atypiques pourra ultérieurement être étendue à d’autres branches.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS2 de Mme Karine Lebon

M. Yannick Monnet (GDR). Cet amendement vise à encadrer les dérogations, bien trop simples à obtenir en l’état du texte. Une dérogation trop facile à obtenir devient très vite la règle.

Mme la rapporteure. Je suis très favorable à l’encadrement proposé, à savoir une consultation du comité social et économique ou, à défaut, des délégués du personnel, avec une autorisation préalable de l’inspecteur du travail.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement AS4 de Mme Karine Lebon tombe.

Amendement AS10 de Mme Sarah Legrain

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Il s’agit de réserver les possibilités de dérogation aux activités d’utilité sociale, alors qu’elles sont autorisées aussi lorsque le seul intérêt économique est en jeu. Ainsi, on peut comprendre que le nettoyage soit effectué en pleine nuit dans un hôpital, mais pas dans une entreprise lorsque ce n’est justifié que par son intérêt économique. Cela nous paraît être une mesure de bon sens.

Mme la rapporteure. L’utilité sociale est une raison évidente pour adapter les horaires de travail, comme dans un hôpital, mais l’activité économique peut en être une aussi. Il ne s’agit pas de prévoir des dérogations pour des raisons de profitabilité et de rendement à tout crin, mais de prendre en compte la réalité du travail. Ainsi, dans la restauration, les règles dites « HACCP » (Hazard Analysis Critical Control Point), qui ont trait à la sécurité alimentaire, interdisent de faire le nettoyage en même temps que la cuisine – sachant que l’on ne peut faire la cuisine pour le déjeuner que tôt le matin.

Je souhaite donc que vous retiriez votre amendement au profit du suivant, votre amendement AS14, qui précise utilement ce qu’est une nécessité liée à l’activité économique et que je me permettrai de sous-amender pour le rendre encore plus opérant.

L’amendement est retiré.

Amendement AS14 de Mme Sarah Legrain et sous-amendement AS26 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). L’amendement est défendu.

Mme la rapporteure. Je propose de préciser que c’est l’activité économique du donneur d’ordre, et non celle du sous-traitant, qui peut justifier une dérogation à l’interdiction du travail de nuit. Sinon, les entreprises n’auront qu’à dire que leurs clients le demandent pour y être autorisées.

M. François Ruffin (EcoS). Concrètement, entre 19 heures et 21 heures, ce serait du travail atypique ; entre 21 heures et 7 heures du matin, on serait en horaires de nuit, à condition que le travail soit constant entre minuit et 5 heures du matin. Et entre 7 heures et 7 heures 30, on s’y perd, parce que cela dépend des secteurs.

Quoi qu’il en soit, les horaires de nuit donnent lieu à une surpaye, même si elle est à mon avis insuffisante. Mais qu’en est-il pour les horaires atypiques ? Une compensation est‑elle envisagée ?

Mme la rapporteure. L’amendement AS7, auquel je donnerai un avis favorable, proposera que les dérogations accordées s’accompagnent de compensations.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sousamendé.

Amendement AS7 de Mme Océane Godard et sous-amendement AS25 de Mme Sophie Taillé-Polian ; amendement AS3 de M. Yannick Monnet

M. Jérôme Guedj (SOC). L’amendement AS7 prévoit des compensations lorsque des dérogations au travail de nuit sont accordées, sous la forme de majorations salariales et de repos compensateurs. C’est une mesure de sécurisation et de clarification qu’il convient de graver dans le code du travail.

Mme la rapporteure. J’y serai favorable sous réserve de remplacer le terme de « travailleurs » par celui de « salariés », par cohérence avec la discussion antérieure.

M. Yannick Monnet (GDR). Pour notre part, nous proposons une majoration salariale de 75 %, afin qu’il soit vraiment attractif de travailler la nuit. Le taux actuel de 25 % est bien insuffisant, ce qui explique sans doute pourquoi les entreprises peinent à recruter.

Mme la rapporteure. L’amendement AS3 ne mentionne pas le repos compensateur, contrairement à l’amendement AS7, qui me semble donc un peu plus protecteur.

M. Fabien Di Filippo (DR). Voilà un texte met du liant dans le NFP. On les laisse présenter leurs mesures tranquillement et on se retrouve avec un triplement de la majoration salariale du travail de nuit ! Autant l’interdire, ce sera plus simple ! Sans imaginer un instant l’effet que cela aura sur l’équilibre économique des entreprises et les conséquences en cascade qui s’ensuivront, vous vous trouvez très satisfaits de ce que vous proposez : il doit être bien agréable, ce monde parfait dans lequel vous vivez.

M. Philippe Vigier (Dem). Franchement, le modèle économique ne tiendra pas si la majoration passe de 25 % à 75 %. Sans doute faut-il accorder de nouveaux avantages aux travailleurs de nuit, mais vous êtes les premiers à avoir rappelé la fragilité de notre situation économique et la multiplication des plans sociaux ! Je redoute l’effet boule de neige de cette augmentation : pourquoi, dans les usines organisées en trois-huit, les salariés travaillant la nuit n’auraient-ils pas droit à 75 % aussi ? Ce n’est pas tenable.

M. François Ruffin (EcoS). Le droit en vigueur prévoit une majoration salariale uniquement pour le travail de nuit – soit des horaires qui ne sont pas ceux des femmes de ménage – et seulement à un taux de 25 %. Ainsi, actuellement, les femmes de ménage ne touchent aucune prime.

En majorant le salaire pour le travail effectué tôt le matin et tard le soir, nous donnerons aux entreprises de propreté un levier pour inciter les donneurs d’ordre à programmer les ménages en journée. En effet, les entreprises du secteur souhaitent largement ce type d’horaires, mais les donneurs d’ordre le leur refusent.

Le taux actuel de majoration, 25 %, n’est pas satisfaisant. Il faut passer à au moins 40 ou 50 % pour inciter au changement. La menace de la délocalisation est réelle dans des secteurs comme l’industrie, par exemple, mais pas dans ceux de la propreté ou de la grande distribution. Alors que nous disposons d’une marge de manœuvre dans ces secteurs, l’État ne joue pas son rôle pour peser en faveur des salariés.

M. Yannick Monnet (GDR). D’abord, nous devons inciter au travail de jour. Ensuite, si, pour une raison quelconque, les salariés doivent travailler la nuit, ils doivent être rémunérés correctement. Actuellement, au plus bas de l’échelle, le salaire horaire oscille entre 12 et 14 euros, et le temps partiel est fréquent.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous parlons de salariés qui gagnent en moyenne moins de 900 euros par mois et qui se lèvent à 3 ou 4 heures du matin parce qu’on veut être sûr de ne pas les croiser dans les bureaux.

Reprenez les études sur le travail de nuit ou en horaires décalés, que j’ai bien étudiées parce que j’étais concernée : on y voit qu’on perd jusqu’à quatorze ans de vie à subir ces horaires. Soyons sérieux. On repousse la retraite à 64 ans, on ne nous paye pas correctement, on nous demande de nous lever à 3 heures du matin et de mourir plus jeunes, et on nous refuse une majoration de 75 % pour les horaires de nuit ?

M. Fabien Di Filippo (DR). Pourquoi pas 125 % ?

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Pourquoi pas ! Nos années de vie perdues le valent.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous suspendons nos travaux pour aller voter en séance publique.

La réunion est suspendue entre dix-sept heures vingt-cinq et dix-sept heures trente-cinq.

Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Rappelons que ce texte concerne le seul secteur du nettoyage, où, le plus souvent, le travail de nuit est évitable car il n’est demandé par le client que par confort. Il est donc normal que les salariés concernés par ces horaires soient mieux rémunérés, d’autant qu’en général leur salaire est très faible, malgré une forte contrainte sur leur vie personnelle – il faut par exemple payer des gardes pour les enfants qui sont seuls le soir et le matin.

Surtout, l’objectif du texte est d’inciter au travail de jour. Les employeurs devront choisir entre payer plus ou programmer le travail la journée.

M. Damien Girard (EcoS). Oui, il faut inciter au maximum au travail de jour, même si le travail de nuit reste parfois inévitable. Lorsque c’est le cas, je rappelle que les métiers dont nous parlons sont principalement exercés par des femmes, dont certaines élèvent seules leurs enfants. Une majoration de salaire leur permettrait de couvrir leurs frais de garde, qui sont élevés à cause de ces horaires atypiques. Ceux qui s’inquiètent que la mesure renchérisse le travail de nuit voient donc qu’elle permettra en réalité de lever ce qui est souvent un frein à l’acceptation des emplois dans le secteur.

Mme la rapporteure. M. Di Filippo, qui avait raté le début de la discussion sur la définition des horaires atypiques, nous demandait tout à l’heure avec mépris à quelle heure ils s’achevaient. À 7 heures 30. On est assez loin de la grasse matinée.

Je voudrais souligner que le taux de profitabilité s’établit entre 5 % et 8 % dans le secteur de la propreté, contre 2 % seulement dans le secteur de la sécurité. Les deux secteurs sont pourtant comparables, au vu de l’importance qu’y prend la main-d’œuvre et de leur caractère non délocalisable. Puisque les entreprises de la propreté sont si profitables, il n’apparaît pas incroyable de demander qu’une partie des bénéfices aille aux salariés.

Par ailleurs, si les donneurs d’ordre ont externalisé le nettoyage, c’est pour faire des économies sur le dos des salariés. Ce faisant, ils ont dégradé leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Par exemple, le temps moyen alloué pour nettoyer une surface donnée se réduit : le travail s’intensifie.

Ceux qui sont obligés de travailler la nuit ou à des horaires atypiques, dans des conditions extrêmement difficiles, doivent absolument recevoir une compensation. C’est ainsi qu’ils seront respectés et que leur travail, qui est essentiel, sera valorisé.

La commission adopte successivement le sous-amendement AS25 et l’amendement AS7 sous-amendé.

Mme la rapporteure. Je pensais que ce vote ferait tomber l’amendement AS3. Puisque ce n’est pas le cas, j’émets un avis favorable sur ce dernier.

M. Philippe Vigier (Dem). Madame la rapporteure, vous prétendez que les entreprises externalisent les tâches pour réduire les coûts. Or quand elles paient un sous-traitant, elles doivent financer sa marge et ses charges sociales. Je vous mets au défi de trouver des cas où la sous-traitance d’une tâche coûte moins cher que la remplir en interne.

M. François Ruffin (EcoS). Si toutes les entreprises choisissent depuis vingt ans de sous-traiter, c’est donc par philanthropie ? Non, c’est parce qu’elles y gagnent !

Une femme de ménage salariée d’un hôpital bénéficie du statut et des salaires de la fonction publique. Ses horaires de travail sont encadrés et le comité d’entreprise s’assurera qu’elle bénéficie d’horaires en journée continue. Pendant des décennies, dans tous les collèges, les lycées et les hôpitaux, et même dans les usines du privé, les agents de nettoyage ont été salariés. Ils travaillaient en journée continue de 6 heures à 13 heures, avec le treizième mois et les avantages du comité d’entreprise. L’externalisation les a privés de ces protections et c’est pour cela que les entreprises et les services publics la choisissent.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Lorsqu’une structure, qu’il s’agisse d’un établissement scolaire ou d’une société d’assurance, emploie des agents de nettoyage en interne, ils bénéficient de sa propre convention collective, de sa grille de salaires, des conditions de négociation et des avantages qu’elle a prévus. Or la convention collective des entreprises de propreté n’est pas du tout aussi favorable que d’autres. Voilà le nerf de la guerre.

M. Philippe Vigier (Dem). Je vous invite à regarder les cadres d’emplois des hôpitaux. Nous pourrons comparer les grilles du public et du privé pour les personnels de catégorie C, notamment les personnels de nettoyage.

Mme la rapporteure. Les métiers du nettoyage sont pénibles. Ils exposent à des risques importants pour la santé, causent des troubles musculo-squelettiques et parfois des inaptitudes fortes, qui empêchent toute reprise d’emploi. En externalisant, les employeurs du secteur privé s’épargnent donc le coût de licenciements pour inaptitude, et ceux de la fonction publique s’exemptent de leur obligation de reclassement des personnes déclarées inaptes. Les employeurs se lavent ainsi les mains de la situation des agents de nettoyage et en font supporter les coûts à la société.

La commission adopte l’amendement AS3.

Amendement AS6 de Mme Océane Godard

Mme Sandrine Runel (SOC). Nous proposons que les modalités d’application du présent texte soient déterminées par un accord de branche négocié dans les six mois suivant sa promulgation, car les branches professionnelles sont les mieux placées pour adapter la réforme aux réalités du terrain. Elles pourront ainsi fixer précisément les horaires interdits, les modalités de passage aux horaires de jour et sensibiliser les autres salariés à ces questions. Au cas où les partenaires sociaux échoueraient à trouver un accord, le ministre du travail fixerait lui-même les modalités par arrêté.

Mme la rapporteure. C’est souvent à l’échelon des branches qu’il est possible d’avancer et je suis favorable au dialogue social – même si je regrette que dans certains cas, les accords collectifs puissent désormais déroger aux obligations légales alors que la loi devrait primer.

Toutefois, dans ce secteur particulier, les accords de branche ne permettront pas de régler le problème car les donneurs d’ordre ne sont pas représentés dans les négociations collectives, contrairement aux employeurs et aux salariés. De l’aveu même des responsables patronaux de la branche, cela fait dix-huit ans qu’ils tentent de convaincre les donneurs d’ordre de passer aux horaires de jour quand cela est possible. Prenons acte de cet échec et ne perdons pas six mois supplémentaires. Je vous demande de retirer votre amendement, pour que nous puissions agir.

Mme Sandrine Runel (SOC). Sans nier le rôle de la loi, le dialogue social est important et il vaut toujours mieux que les acteurs soient partie prenante des décisions. Toutefois, nous comprenons votre argument.

L’amendement est retiré.

Amendement AS22 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme la rapporteure. Un décret doit être pris pour encadrer les modalités d’intervention de l’inspection du travail, en cas de dérogation à l’interdiction du travail de nuit.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Pourquoi ne pas encadrer les dérogations dans la loi, plutôt que de déléguer cette tâche au Gouvernement ? Ce sont justement les ordonnances Macron qui ont inversé la hiérarchie des normes et facilité la conclusion d’accords collectifs dérogatoires au droit : je n’ai aucune confiance dans un tel gouvernement.

Mme la rapporteure. Avec ce décret, il s’agit de reprendre le modèle de la réglementation relative à l’interdiction du travail de nuit pour les jeunes travailleurs.

Il est difficile de définir précisément les choses au niveau législatif, et particulièrement dans une proposition de loi qui sera examinée lors d’une niche. Nous pourrons y revenir en séance publique, si nous en avons l’occasion.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique modifié.

Après l’article unique

Amendement AS16 de Mme Katiana Levavasseur

Mme Katiana Levavasseur (RN). Trop d’entreprises du secteur de la propreté ne tiennent pas correctement le compte des heures travaillées, si bien que les travailleurs ne sont pas rémunérés autant qu’ils devraient l’être.

Plutôt que d’attendre un contrôle qui est aléatoire et survient parfois trop tard, nous proposons que les employeurs transmettent chaque année un état détaillé des heures effectuées à l’inspection du travail. Cela permettrait d’anticiper les abus, de garantir aux salariés que leur paie correspond à leurs horaires et de faciliter l’insertion par le travail. Les manquements à cette obligation exposeraient les employeurs à une sanction administrative.

Mme la rapporteure. Je comprends que votre amendement se fonde sur les résultats de la campagne de l’inspection du travail de 2023 concernant le respect des règles relatives au temps partiel, qui sont loin d’être satisfaisants pour la branche de la propreté. Je ne suis pourtant pas certaine qu’il soit utile d’introduire un nouvel article dans le code du travail pour renforcer les contrôles, puisque c’est moins la réglementation qui fait défaut que les moyens concrets alloués à l’inspection du travail.

Je vous demande donc le retrait de cet amendement.

Mme Katiana Levavasseur (RN). Lorsque j’étais agente d’entretien et que j’étais supposée travailler de 6 heures à 9 heures, il arrivait que je termine à 9 heures 30, mais sans être payée pour cette demi-heure. Il faut vraiment mieux contrôler les heures de travail effectuées. Il y a des abus.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Oui, il y en a, mais votre amendement ne permettra pas d’y remédier. S’il est adopté, les employeurs ne déclareront pas davantage les heures réellement effectuées par leur salarié auprès de l’inspection du travail.

Le système actuel les arrange bien. Il faut trouver des modalités fiables et infalsifiables de déclaration des heures effectuées – peut-être un système de pointage à distance ? Il revient en tout cas à l’inspection du travail de vérifier sur pièces ces éléments.

M. François Ruffin (EcoS). L’inspection du travail ne pourrait rien faire des déclarations que vous demandez : ce serait juste un gros tas de papier. La question n’est pas de modifier le droit, mais de permettre aux salariés de peser face à leurs employeurs et de faire respecter leurs droits.

Il faut que les salariés cessent d’avoir peur, qu’ils osent contester le décompte des heures auprès de leur employeur, démarcher un syndicat, lancer une alerte auprès de l’inspection du travail. Il faut que, comme les salariés travaillant sur le site du 101, rue de l’Université que j’évoquais ce matin, ils puissent dire : « nous n’avons plus peur ».

Mme Katiana Levavasseur (RN). Dans le monde rural, où j’étais agente d’entretien, les structures ne comptent que cinq ou six personnes. Il n’y a pas de syndicat.

Mme la rapporteure. Votre témoignage est éclairant, et la campagne de 2023 de l’inspection du travail était très préoccupante. Par exemple, seuls 40 % des employeurs du secteur utilisent des documents de décompte individuel des heures de travail, alors que ceux‑ci sont obligatoires en l’absence d’horaires collectifs de travail. Et quand de tels documents existent, ils ne sont conformes que dans 57 % des cas.

L’inspection du travail doit porter une attention particulière à ce secteur, qui compte parmi les mauvais élèves sur ces questions. Pour cela, il faudrait plus d’inspecteurs du travail sur le terrain, alors que de nombreux postes restent vacants : un effort de recrutement doit donc être accompli. La baisse du budget du ministère du travail pour 2025 ne va pas dans le bon sens.

Par ailleurs, la direction générale du travail devrait enjoindre à ses agents d’aller sur ce terrain-là. Ils sont souvent orientés vers des questions moins importantes, dans un contexte général où les moyens de l’inspection du travail sont dégradés.

Nous sommes d’accord, la situation est délétère, mais la solution ne passe pas par une modification législative.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS12 de Mme Sarah Legrain, AS13 de Mme Ségolène Amiot et AS15 de Mme Sarah Legrain

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Ces trois amendements sont des demandes de rapports.

Le premier propose que l’on étudie les conséquences du travail de nuit et des facteurs de pénibilité sur la santé des travailleurs et travailleuses du secteur du nettoyage ainsi que les moyens de prévention mis en œuvre pour y remédier. Nous souhaiterions qu’un volet s’intéresse aux conséquences, notamment physiques et sociales, spécifiquement subies par les femmes.

L’amendement suivant concerne un rapport plus global sur l’opportunité de réduire le temps de travail à 32 heures dans tous les métiers pénibles, y compris effectués de nuit, notamment dans le secteur du nettoyage.

Le dernier invite à s’interroger sur la proportion et les conséquences des horaires décalés et fragmentés, en lien avec la question du temps partiel, surtout lorsqu’il est imposé.

Mme la rapporteure. Je suis toujours très favorable aux rapports, en particulier quand ils offrent une lecture féministe d’une problématique donnée, pour que la situation faite aux femmes ne soit pas noyée dans le reste. En l’occurrence, je vais pourtant demander le retrait de vos amendements, ainsi que de ceux de Mme Levavasseur, et vous proposer de vous rallier à mon amendement AS23, qui permettrait de rassembler tous les thèmes dans un unique rapport afin d’avoir une réflexion cohérente et de poursuivre les travaux déjà menés par François Ruffin. Il s’agirait en quelque sorte d’élargir la perspective tracée par cette proposition de loi.

Les amendements sont retirés.

Amendements AS17, AS18, AS19 et AS20 de Mme Katiana Levavasseur

Mme Katiana Levavasseur (RN). Nous demandons une série de rapports visant à dresser un bilan sur plusieurs aspects du secteur de la propreté, où les conditions de travail restent précaires et insuffisamment contrôlées.

L’amendement AS17 vise à évaluer l’application des obligations légales en matière de temps de travail dans les entreprises de propreté. En 2023, une campagne de contrôle du ministère du travail portant sur 1 300 établissements a fait apparaître que 40 % des entreprises du secteur ne tenaient pas le décompte des heures. Nous voulons instaurer un suivi plus rigoureux pour éviter ces abus et donner, si nécessaire, des moyens supplémentaires à l’inspection du travail.

L’amendement AS18 propose la remise d’un rapport sur les horaires fractionnés qui allongent les journées des travailleurs sans toujours mieux les rémunérer. Il serait temps d’avoir des données exhaustives et actualisées sur le sujet, l’Inspection générale des affaires sociales n’ayant pas abordé les spécificités du monde de nettoyage dans son rapport de 2024 sur le temps partiel. Il est essentiel d’identifier des solutions sur ce sujet.

L’amendement AS19 demande une analyse complète sur les conditions de travail dans le secteur de la propreté, qui sont souvent pénibles, favorisent la précarité et exposent à des risques sanitaires souvent invisibles.

Enfin, l’objet de l’amendement AS20 est d’évaluer la pertinence de la dérogation des seize heures, une exception au minimum légal de vingt‑quatre heures hebdomadaires prévu par le code du travail. Cette règle aide-t-elle vraiment les salariés ou les enferme-t-elle dans la précarité ? Nous manquons de données pour répondre à cette question. Pour pouvoir agir dans le bon sens, celui des travailleurs et des entreprises vertueuses, il ne faut pas avancer à coups d’interdictions ou dans la précipitation : nous avons besoin d’un diagnostic clair qui permette d’identifier les bonnes pratiques et de proposer des solutions adaptées.

Mme la rapporteure. Comme déjà indiqué, je vous propose de retirer ces amendements afin que nous puissions nous concentrer sur un seul et unique rapport synthétisant l’essentiel de vos requêtes, qui permettrait d’aller plus loin et de dégager de nouvelles pistes.

Il faut mieux documenter le recours aux horaires atypiques dans cette branche professionnelle : le travail matinal demeure un angle mort statistique, la période de 6 à 9 heures étant considérée comme un horaire conventionnel de travail alors que ses effets néfastes sur la santé et la vie sociale sont pourtant largement démontrés. Il convient de mesurer précisément le nombre de salariés concernés par ces horaires.

Autre sujet majeur : la fragmentation des horaires de travail. Les travaux préparatoires ont mis en lumière les difficultés posées par certaines dispositions conventionnelles pour sortir du travail fragmenté. Il faut s’interroger sur le plancher minimal dérogatoire de seize heures, alors que le seuil légal est fixé à vingt‑quatre heures dans les autres branches, sur la durée minimale des périodes de travail, fixée à une heure seulement contre quatre heures dans les autres branches, et sur le fait que deux interruptions quotidiennes soient possibles, contre une seule dans le droit commun – autant de caractéristiques qui font obstacle au travail continu en journée.

M. François Ruffin (EcoS). Le temps n’est plus aux rapports, il est à l’action. Il y a cinq ans, durant la crise sanitaire, nous avons applaudi les essentiels, les invisibles. Maintenant, à l’heure des décisions, je renvoie la balle dans le camp de la majorité. On sait que la navette d’une proposition de loi s’apparente à un parcours du combattant : il faut que la majorité s’empare de ce sujet des femmes de ménage, des agents d’entretien, parce qu’il s’agit de centaines de milliers de personnes des classes populaires qui vivent très mal leur travail. Il est nécessaire de stopper la constante dégradation de leurs conditions de travail. Depuis que le service public et les entreprises multiplient les opérations d’externalisation, ces emplois ont été dégradés et rendus invisibles, ce qui a contribué au sentiment de dégradation des classes populaires dans notre pays. Reprenez le flambeau pour que nous puissions vraiment faire évoluer la situation des femmes de ménage et des agents d’entretien.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 2 (nouveau) : Rapport au Parlement sur le recours aux horaires atypiques

La commission adopte l’amendement AS23 de Mme Sophie Taillé-Polian.

Titre

Amendement AS24 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme la rapporteure. Dans un souci de cohérence avec l’ensemble du texte modifié, il est proposé de remplacer « travailleuses et travailleurs » par « salariés et salariées ».

M. François Ruffin (EcoS). Mme la rapporteure fait ce choix pour des raisons de précision légistique que je comprends. Ce glissement sémantique consistant à remplacer travailleur par salarié, observé à partir des années 1970, n’est pourtant pas anodin : le travailleur est actif et acteur, tandis que le salarié est quelqu’un de passif qui subit un contrat de travail. La gauche et le pays doivent se réapproprier les mots travailleuses et travailleurs.

M. le président Frédéric Valletoux. Mais nous sommes là pour faire la loi.

Mme la rapporteure. Je souscris aux propos de François Ruffin. Nous devons nous intéresser davantage aux tâches concrètes qui constituent réellement le travail et à la protection de ceux qui les effectuent. En effet, celles et ceux qui travaillent ont envie de faire du bon travail.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/MqtDTq

–Texte comparatif : https://assnat.fr/m5Qdoy

 


– 1 –

   ANNEXE  1 : Liste des personnes ENTENDUEs
par la rapporteur
e

(par ordre chronologique)

 

      Table ronde réunissant les organisations syndicales :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  Mme Sandrine Villalon, secrétaire nationale, et M. M’Hamed Buhallut, secrétaire général de CFDT Propreté Île-de-France

 Collectif nettoyage CGT Paris  M. Benoît Martin, secrétaire général de l’UD CGT Paris, Mme Danielle Cheuton, membre du Collectif Nettoyage de l’UD CGT Paris, M. Youssef Pereira, salarié du nettoyage chez Utile et Agréable, et Mme Marie Chibaco, salariée du Nettoyage chez ONET et Maintenance Industrie

– Force ouvrière (FO) – Mme Nadia Jacquot, secrétaire fédérale FEETS-FO, secteur propreté, et M. Yvon Valère Malonga, membre FEETS-FO, secteur propreté

– Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  M. François Marbot, président du Syndicat national de l’encadrement des services (SNES), Mme Nadia Pavlik, secrétaire générale du SNES), et Mme Kelly Emmanuel, juriste en droit social

– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)  M. Samir Limam, président du syndicat SEPGICIF (propreté), chef de site, Mme Rahmouna Jeffal, chef de site, et Mme Élodie Martinez, responsable du service juridique de la Fédération CFTC CSFV

      Table ronde réunissant des entreprises de la propreté :

 Europ-net – M. Carlos De Moura, directeur général

 Bigjack – M. Baptiste Fradin, président

        Direction générale du travail  Mme Nadège Parfitt, chargée d’études Travail du dimanche et travail de nuit, M. Alexandre Salle, adjoint à la cheffe de bureau de la durée et des revenus du travail, et Mme Eva Jallabert, sous-directrice des relations du travail

        M. François-Xavier Devetter, professeur de sciences économiques Ires – Clersé, Université de Lille

        Table ronde réunissant des instituts de recherches et de statistiques :

 Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares)  M. Fabien Guggemos, sous-directeur Salaires, travail et relations professionnelles

 Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) – Mme Aude Cuny, cheffe de Pôle au département Sciences appliquées au travail et aux organisations (SATO)

        Mme Frédérique Barnier, maître de conférences en sociologie à l’université d’Orléans

        Inspection générale des affaires sociales (Igas) – M. Antoine Magnier et M. Louis-Charles Viossat, inspecteurs généraux

        Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique  M. François Adam, directeur des achats de l’État, Mme Émilie Martinand, cheffe du bureau achats responsables, sous-direction de la modernisation des achats de l’État, et M. Pierre Bouvignies, chef de projet expert achats socialement responsables

        Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés (FEP) GIE Monde de la Propreté*  M. Philippe Jouanny, président, Mme Patricia Charrier-Izel, directrice générale, et M. Loys Guyonnet, délégué général Politiques sociales et influences

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


– 1 –

ANNEXE  2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code du travail

L. 3122-14-1 [nouveau]

 

 


([1]) DARES Analyses, Aurore Desjonquères, Les métiers du nettoyage : quels types d’emploi, quelles conditions de travail ?, septembre 2019, n° 043.

([2]) 23 % si l’on inclut également les ouvriers non qualifiés de l’assainissement et du traitement des déchets et les employés d’étage et employés polyvalents de l’hôtellerie.

([3]) Igas, Antoine Magnier et Louis-Charles Viossat, Temps partiel et temps partiel contraint : des inflexions possibles pour un cadre rénové, octobre 2024, annexes au rapport, p. 24.

([4]) Au sens de l’Insee, le sous-emploi recouvre les personnes ayant un emploi à temps partiel qui souhaitent travailler plus d’heures et qui sont disponibles pour le faire, qu’elles recherchent ou non un emploi.

([5]) Ined, Anne Lambert et Laetitia Langlois, Horaires atypiques de travail : les femmes peu qualifiées de plus en plus exposées, avril 2022, Population et Sociétés, n° 599.

([6]) Ce graphique a été présenté lors des auditions par l’enseignant-chercheur François-Xavier Devetter à partir des données Conditions de travail de la Dares.

([7]) Il s’agit, en plus de la branche de la propreté, des branches de l’aide à domicile, de la grande distribution, de la restauration rapide et des hôtels-cafés-restaurants (HCR).

([8]) Anses, Rapport d’expertise collective sur l’évaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit, juin 2016, p. 11.

([9]) Voir également le dossier réalisé par Corinne Soulay et Céline Ravallec, Les horaires atypiques, Revue Travail & Sécurité de l’INRS, n° 860, juin 2024.

([10]) Voir les conclusions de la thèse de médecine de Sébastien Petit, Externalisation des agents d’entretien et santé au travail, université de Lille, septembre 2020.

([11]) CESE, Le travail de nuit : impact sur les conditions de travail et de vie des salariés, juillet 2010.

([12]) Anses, Rapport d’expertise, op.cit. p. 38.

([13]) DARES Analyses, Les métiers du nettoyage, op.cit.

([14]) François-Xavier Devetter et Julie Valentin, Deux millions de travailleurs et des poussières, L’avenir des emplois du nettoyage dans une société juste, 2021, p. 42.

([15]) François Reyssat, Dominations et résistances au travail. Enquête sur l’expérience corporelle des ouvrières et ouvriers du nettoyage, 11 décembre 2015.

([16]) DARES Analyses, Les métiers du nettoyage, op.cit.

([17]) Adèle Burie, François-Xavier Devetter et Julie Valentin, Pourquoi former des « non-qualifiés » ? Le cas des agents d’entretien et des aides à domicile, Formation Emploi, n° 166, avril-juin 2024.

([18]) Article 12 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.

([19]) Article L. 3123-19 du code du travail.

([20]) Igas, Temps partiel et temps partiel contraint, op.cit., annexes au rapport, p. 208.

([21]) François-Xavier Devetter et Julie Valentin, Deux millions de travailleurs, op.cit., p. 129.

([22]) Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 octobre 2008, n° 07-40.523.

([23]) Igas, Temps partiel et temps partiel contraint, op.cit., annexes au rapport, p. 328.

([24]) D’après l’enquête « Conditions de travail » de la Dares, les salariés du nettoyage externalisés sont moins de 3 % à être syndiqués contre 9 % des agents internes et 15 % des agents du secteur public.

([25]) Les actions de contrôle de l’inspection portent sur 1 300 établissements du secteur du nettoyage.

([26]) En application de l’article L. 3171-2 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Ce document est la base de tout contrôle de durée du travail par l’inspection.

([27]) FEP, Comprendre et mettre en œuvre le travail en journée et/ou en continu. Des bénéfices pour tous, 2023.

([28]) François-Xavier Devetter et Julie Valentin, Deux millions de travailleurs, op.cit., p. 47.

([29]) Circulaire du Premier ministre du 3 décembre 2008 relative à l’exemplarité de l’État au regard du développement durable dans le fonctionnement de ses services et de ses établissements publics.

([30]) Circulaire du Premier ministre n° 5688/SG du 3 novembre 2013 relative au développement des prestations de nettoyage en journée dans les services de l’État.

([31]) Circulaire MEFI-D22-03347 du 16 mars 2022 des ministres respectivement en charge du travail, de l’emploi et de l’insertion, de la transformation et de la fonction publiques et des comptes publics relative aux engagements de l’État pour favoriser, par l’achat public, un emploi de qualité et responsable dans les filières de la propreté et de la sécurité privée.

([32]) Igas, Temps partiel et temps partiel contraint, op.cit., annexes au rapport, p. 431.

([33]) Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, article 6.2.4.1 Durée minimale de travail.

([34]) Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, article 6.2.4 Organisation du travail de la convention collective de la propreté.

([35]) Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985, article 7.13. Durée minimale d’une période de travail.

([36]) Voir François-Xavier Devetter et Julie Valentin, Encadrer les temps partiels et fragmentés, La vie des idées, 13 septembre 2024.

([37]) Cour de cassation, Chambre sociale, 12 janvier 2005, n° 02-47, 505.

([38]) François-Xavier Devetter et Julie Valentin, Deux millions de travailleurs, op.cit., p. 99.

([39]) Circulaire DRT n° 2002-09 du 5 mai 2002 relative au travail de nuit.

([40]) Par exemple, Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt n° 2404 du 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-15.584, qui considère que le recours au travail de nuit est justifié à la Croix‑Rouge compte tenu de sa prise en charge continue des usagers et de sa permanence d’accueil d’urgence humanitaire 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

([41]) Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt n° 1703 du 24 septembre 2014, pourvoi n° 13-24.851.

([42]) Amendement AS21.

([43]) Amendement AS23.

([44]) Amendement AS2.

([45]) Amendement AS7.

([46]) Amendement AS3.

([47]) Amendement AS14.

([48]) Sous-amendement AS26.

([49]) Amendement AS24.

([50]) Amendement AS23.

([51]) https://assnat.fr/g0LVJj

([52]) https://assnat.fr/mzWEQP