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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 février 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant l’ouverture avancée des données judiciaires (n° 806)
PAR M. Philippe LATOMBE
Député
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 5
I. Un principe de publicité des jugements, dont l’effectivité a longtemps été limitée pour les tiers
II. La consécration récente de la mise à disposition à titre gratuit des décisions de justice
IV. Les modifications apportées par la commission
Article 3 (nouveau) Entrée en vigueur différée de la loi
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES REçUES
La publicité de la justice constitue un principe fondamental de notre État de droit. Nos concitoyens doivent pouvoir accéder librement aux décisions de justice, dès lors que celles-ci sont rendues en leur nom ([1]). La Cour européenne des droits de l’homme met ainsi en exergue qu’une telle publicité « protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux » ([2]).
Ce principe de publicité se traduit en l’état du droit par la publicité des audiences judiciaires, d’une part, et la publicité des décisions des juridictions, d’autre part. En pratique, la publicité des audiences concerne les seules parties au procès, ainsi que certains journalistes spécialisés pour les grandes affaires judiciaires. En conséquence, seule la mise à la disposition du public des décisions des juridictions est de nature à assurer une véritable transparence du système judiciaire au bénéfice de nos concitoyens.
Or, cette mise à disposition du public des décisions de justice a longtemps été limitée aux décisions des plus hautes juridictions (Conseil constitutionnel, Tribunal des conflits, Cour de cassation, Conseil d’État), ainsi qu’à certaines décisions majeures des juridictions de fond.
La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, telle que précisée par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, a opéré un changement de paradigme bienvenu.
Celle-ci prévoit en effet la mise à disposition à titre gratuit, sous format électronique, de l’ensemble des décisions de justice, y compris celles rendues par les juridictions de fond. Ce processus de diffusion est en cours et devrait s’achever à la fin de l’année 2027. Il s’agit d’une étape majeure pour favoriser l’accessibilité du droit.
Cependant, à l’heure du développement de l’intelligence artificielle et de l’émergence d’acteurs économiques spécialisés dans le traitement des données judiciaires, il est impératif d’amplifier cette politique d’ouverture. Il convient notamment d’élargir ce processus de diffusion aux autres actes judiciaires qui participent pleinement à l’activité juridictionnelle.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi. Celle-ci prévoit la mise à disposition à titre gratuit, sous format électronique, des conclusions des rapporteurs publics des juridictions administratives, ainsi que des rapports des conseillers rapporteurs et des avis des avocats généraux près la Cour de cassation, dans le prolongement des dispositions du rapport annexé de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 ([3]).
Ces actes préparatoires à la décision de justice constituent en effet des éclairages précieux sur les enjeux juridiques de l’affaire jugée. Ils sont également susceptibles de contribuer à la bonne compréhension de la décision de justice, en restituant les détails du raisonnement ayant présidé à la solution adoptée par les juges.
L’accès libre et gratuit à de tels documents constituerait donc une véritable opportunité pour les magistrats, les justiciables, les universitaires et chercheurs en droit, et plus largement pour tout citoyen intéressé.
Cette politique de transparence doit naturellement s’accompagner de dispositifs qui, d’une part, protègent la vie privée des personnes concernées (parties, tiers, magistrats) et, d’autre part, encadrent la réutilisation des données mises en ligne. C’est la raison pour laquelle la proposition de loi prévoit que ces rapports et avis seront diffusés dans les mêmes conditions que les décisions de justice.
Enfin, il est proposé que les arrêts de rejet non spécialement motivés et de non-admission de la Cour de cassation comportent, lors de leur mise à la disposition du public, les moyens invoqués par le demandeur au soutien de son pourvoi. Cela contribuera à renforcer l’intelligibilité de ces arrêts.
L’adoption de la présente proposition de loi renforcerait ainsi la transparence du processus décisionnel et favoriserait par conséquent la confiance de nos concitoyens dans leur système judiciaire.
I. Un principe de publicité des jugements, dont l’effectivité a longtemps été limitée pour les tiers
● La publicité des audiences et des jugements est consacrée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme comme une composante essentielle du droit au procès équitable ([4]).
En droit interne, cette publicité constitue un principe général du droit ([5]), qui s’applique aussi bien aux juridictions de l’ordre administratif ([6]) qu’à celles de l’ordre judiciaire ([7]).
En pratique, la publicité d’une décision de justice auprès des parties est assurée soit par sa lecture en audience publique, soit par la mise à disposition à titre gratuit ([8]) d’une copie aux greffes de la juridiction, ainsi que l’a confirmé la jurisprudence ([9]).
● Les tiers aux procès peuvent quant à eux se faire délivrer copie des décisions de justice par le greffe de la juridiction concernée ([10]). Toutefois, une telle communication est effectuée « sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique » ([11]). À titre d’exemple, le Conseil d’État a validé le refus de faire droit à la demande de communication de « l’intégralité des minutes des jugements rendus par le tribunal correctionnel de Bobigny entre 1971 et 1987 » ([12]).
En outre, la doctrine a mis en exergue la complexité de la procédure relative à la demande de communication d’une décision de justice par un tiers, ainsi que le caractère aléatoire de son issue. Un auteur a ainsi pu relever que « rien n’est satisfaisant dans cette procédure. D’abord, elle fait peser une charge de travail importante sur les greffiers, qui ont certainement mieux à faire. Ensuite, elle est soumise à des délais incompatibles avec la publicité des décisions de justice, si d’ailleurs la décision finit par être communiquée. Enfin, elle nécessite de la part du tiers d’avoir connaissance de certains éléments (noms des parties, numéro de rôle, formation ayant rendu la décision, date de la décision) qui constituent des obstacles à l’accès à la décision » ([13]).
Quant à la mise à disposition sous format électronique des décisions de justice, le portail « Légifrance », institué en 2002 ([14]), n’a vocation à diffuser que les décisions des plus hautes juridictions nationales et européennes, ainsi que certaines décisions des juridictions de fond sélectionnées pour leur intérêt jurisprudentiel ([15]).
II. La consécration récente de la mise à disposition à titre gratuit des décisions de justice
● Le principe d’une mise à la disposition du public de l’ensemble des décisions de justice a été introduit par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
Pour les décisions des juridictions de l’ordre administratif, l’article L. 10 du code de justice administrative prévoit ainsi que « sous réserve des dispositions particulières qui régissent l'accès aux décisions de justice et leur publicité, les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique » ([16]).
Le champ d’application de ce dispositif est particulièrement large. Il vise toute décision publique ([17]), définitive et rendue par une juridiction non spécialisée ([18]). En revanche, seules les décisions prononcées par les juridictions à compter des dates de mise à disposition fixées par arrêté sont diffusées ([19]), à l’exclusion du stock de décisions antérieures.
● Cette mise à disposition des décisions de justice est réalisée sous format électronique sur les portails « Judilibre », pour les décisions de l’ordre judiciaire, et « opendata.justice-administrative.fr », pour les décisions de l’ordre administratif. Ces plateformes sont respectivement administrées par la Cour de cassation et le Conseil d’État ([20]).
La diffusion effective des décisions de justice sur les portails précités est réalisée selon le calendrier établi par arrêté du 28 avril 2021 ([21]). Celui-ci prévoit une mise à disposition progressive, en fonction des ordres judiciaires et des degrés de juridiction, jusqu’au 31 décembre 2027.
calendrier de mise à disposition des décisions de justice
Ordre administratif |
|
Conseil d’État |
30 septembre 2021 |
Cours administratives d’appel |
31 mars 2022 |
Tribunaux administratifs. |
30 juin 2022 |
Ordre judiciaire |
|
Cour de cassation |
30 septembre 2021 |
Cours d'appel – matières civile, sociale et commerciale |
30 avril 2022 |
Tribunaux de commerce |
31 décembre 2024 |
Conseils de prud'hommes |
30 septembre 2025 |
Tribunaux judiciaires – matière civile |
30 septembre 2025 |
Cours d'appel - matière pénale, procédures contraventionnelles et délictuelles |
31 décembre 2025 |
Juridictions criminelles |
31 décembre 2025 |
Tribunaux de premier degré - procédures délictuelles |
31 décembre 2026 |
Tribunaux de premier degré - procédures contraventionnelles |
31 décembre 2027 |
Au 1er février 2025, 1,6 million de décisions ont été mises en ligne selon le ministère de la justice, dont 1,1 million de décisions de l’ordre judiciaire ([22]) et 575 000 de l’ordre administratif ([23]). L’année 2024 a été marquée par la publication des premiers jugements des tribunaux judiciaires.
À terme, ce seront environ 300 000 décisions des juridictions administratives et trois millions de décisions de l’ordre judiciaire qui seront chaque année mises à la disposition du public à titre gratuit sur les portails précités.
Ce dispositif rencontre un succès important. La plateforme « Judilibre » a ainsi comptabilisé près de 6 500 000 consultations entre novembre 2023 et novembre 2024, selon les données communiquées à votre rapporteur ([24]).
● La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a précisé les dispositions relatives à la protection de la vie privée des personnes visées dans les décisions.
Il est tout d’abord prévu une occultation obligatoire des noms et prénoms des personnes physiques parties ou tiers à l’instance préalablement à la mise à disposition du jugement. À titre complémentaire, peut être également occulté tout élément permettant d'identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe « lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage » ([25]).
Dans cette perspective, un groupe de travail a été créé le 4 février dernier par le ministère de la justice, pour mener une réflexion approfondie sur le périmètre des données occultées, notamment quant à l’anonymisation des magistrats et des membres du greffe. Ce groupe de travail doit rendre son rapport en juin 2025.
Enfin, la réutilisation des données issues des décisions de justice est strictement encadrée, avec la prohibition de toute activité de « profilage » des magistrats et greffiers. Les articles L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire et L. 10 du code de justice administrative disposent ainsi que « les données d'identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l'objet d'une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ».
III. La proposition de loi a pour objet d’élargir cette mise à disposition aux documents favorisant l’intelligibilité de la décision de justice
● Il est impératif de poursuivre et d’approfondir cette politique d’ouverture et de transparence de notre système judiciaire, au-delà de la seule publicité des décisions de justice. Plusieurs facteurs militent en effet pour un élargissement des documents judiciaires mis à la disposition du public à titre gratuit, sous forme électronique.
Tout d’abord, le développement des outils d’intelligence artificielle est de nature à permettre la diffusion massive des documents judiciaires, grâce à des logiciels de traitement automatisés plus performants et efficaces que par le passé, notamment pour assurer la protection des données personnelles.
En outre, l’émergence d’acteurs spécialisés dans le traitement de ces données judiciaires, tels que les « legaltech », est susceptible de donner davantage d’intelligibilité à cette masse de données, au bénéfice des professionnels du droit.
Enfin, nos concitoyens doivent être en mesure de comprendre le processus juridictionnel qui a abouti aux décisions de justice. Ainsi que le souligne un auteur, « l’exigence de motivation [des décisions de justice] semble avoir un corollaire qui peut s'énoncer à travers un principe général du droit, selon lequel le justiciable a désormais le droit, non seulement à une décision de justice motivée, mais à disposer de supports qui lui permettent de mieux comprendre la décision juridictionnelle rendue. Ainsi, la CJUE met en ligne, de manière systématique, les conclusions de ses avocats généraux, et ce d'ailleurs avant même que l'arrêt ne soit rendu » ([26]).
Or, des documents judiciaires tels que les conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives, les rapports des conseillers rapporteurs de la Cour de cassation et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation contiennent des précisions utiles sur les enjeux juridiques de l’affaire, qui sont davantage détaillés que dans les décisions de justice elles-mêmes. Ils permettent ainsi aux justiciables de mieux comprendre le raisonnement ayant abouti à la solution retenue par les tribunaux.
S’agissant des conclusions du rapporteur public, la Cour européenne des droits de l’homme a par exemple reconnu que « compte tenu du fait que les arrêts du Conseil d'État sont toujours rédigés de manière très elliptique, souvent seule la lecture des conclusions du commissaire du gouvernement permet, lorsqu'elles sont publiées, de comprendre la ratio decidendi des arrêts rendus » ([27]).
● C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a introduit un amendement au rapport annexé de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui prévoit la mise à disposition de ces documents judiciaires : « Afin de permettre au justiciable de mieux comprendre et de s'approprier la justice, et conformément à l'objectif d'intégrer la donnée au cœur des réflexions, de nouveaux jeux de données seront publiés en données ouvertes, notamment les conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives ainsi que les rapports publics des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation » ([28]).
La présente proposition de loi a pour objet de concrétiser cet engagement dudit rapport annexé.
L’article 1er prévoit la mise à la disposition du public à titre gratuit, sous forme électronique, des conclusions du rapporteur public intervenant devant les juridictions administratives, dans les mêmes conditions que les jugements.
L’article 2 instaure une mise à disposition similaire pour les rapports publics des conseillers rapporteurs et des avis des avocats généraux près la Cour de cassation.
Il prévoit également que la mise à disposition des arrêts de rejet non spécialement motivés et des arrêts de non-admission rendus par la Cour de cassation, prévus aux articles 1014 du code de procédure civile et 567-1-1 du code de procédure pénale, s’accompagne de la publication des moyens invoqués par le demandeur au soutien de son pourvoi.
IV. Les modifications apportées par la commission
La commission a modifié l’article 1er, pour préciser que les dispositions en matière de droit de la propriété intellectuelle ne font pas obstacle à la mise à la disposition du public des conclusions du rapporteur public. Elle a en outre adopté un amendement de votre rapporteur qui prévoit qu’un décret précise les conditions d’application du présent article.
Elle a également adopté l’article 2, tel que modifié par un amendement de votre rapporteur visant, d’une part, à supprimer la référence à un article spécifique du code de procédure civile et, d’autre part, à exclure les arrêts de non-admission rendus en matière pénale par la Cour de cassation de l’obligation de reproduction des moyens invoqués par le demandeur.
La commission a enfin introduit, à l’initiative de votre rapporteur, un nouvel article 3 pour différer l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi au 1er janvier 2028.
Adopté par la commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article complète l’article L. 7 du code de justice administrative pour prévoir la mise à la disposition du public à titre gratuit, sous forme électronique, des conclusions du rapporteur public intervenant devant les juridictions administratives (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et Conseil d’État).
Dernières modifications législatives intervenues
L’article L. 7 du code de justice administrative a été modifié par l’article 1er du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions, pour substituer l’appellation « rapporteur public » à celle de « commissaire du gouvernement » ([29]).
S’agissant de la mise à la disposition du public des actes judiciaires, la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a instauré le principe d’une mise à la disposition du public à titre gratuit de l’ensemble des décisions de justice. L’article 33 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a précisé les dispositifs visant à protéger le droit à la vie privée des personnes concernées par ces décisions.
Modifications apportées par la commission
La commission a modifié l’article 1er, pour préciser que les dispositions en matière de droit de la propriété intellectuelle ne faisaient pas obstacle à la mise à disposition du public des conclusions du rapporteur public. Elle a également adopté un amendement de votre rapporteur qui prévoit qu’un décret fixe les conditions d’application du présent article.
● Le rapporteur public est un membre d’une juridiction administrative qui « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent » ([30]).
Le Conseil d’État a précisé en ces termes la mission du rapporteur public : « le rapporteur public (…) a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient » ([31]).
Le rapporteur public joue un rôle éminent dans la procédure juridictionnelle, en ce qu’il est souvent à l’initiative des revirements jurisprudentiels. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi souligné que « le commissaire du gouvernement joue un rôle traditionnellement très important dans la formation de la jurisprudence administrative : la plupart des grandes innovations jurisprudentielles sont intervenues à la suite de conclusions célèbres du commissaire du gouvernement » ([32]). Ce rôle du rapporteur dans l’élaboration de la jurisprudence est d’autant plus déterminant que le droit administratif reste largement prétorien.
L’importance du rapporteur public est également illustrée par le fait que son avis est suivi par la formation de jugement dans la très grande majorité des affaires : « Le rapporteur public est généralement suivi. Sans pouvoir donner un taux précis, on peut formuler un ordre de grandeur : dans plus des trois quarts des affaires, le rapporteur public est suivi par la formation de jugement sur l’issue générale à donner au litige (rejet ou annulation) » ([33]).
L’intervention du rapporteur public n’est toutefois pas systématique, puisqu’il peut être dispensé de conclure dans certaines matières contentieuses, en application de l’article R. 732-1-1 du code de justice administrative ([34]).
● Le rapporteur public présente ses conclusions à l’audience. La forme de ses conclusions n’est régie par aucun texte, de sorte qu’elle est laissée à la libre appréciation du rapporteur.
Si le rapporteur est tenu de communiquer le sens de ses conclusions aux parties avant la tenue de l’audience, les conclusions elles-mêmes ne font en revanche l’objet d’aucune diffusion préalable ([35]). Le Conseil d’État juge en effet que le rapporteur public « n’est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l’instruction » ([36]).
Il convient enfin de relever que les rapporteurs publics des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel n’assistent pas au délibéré, contrairement à ceux du Conseil d’État qui y assistent sans toutefois y prendre part ([37]).
● Postérieurement à l’audience, la communication d’une copie des conclusions du rapporteur public aux parties ainsi qu’à tout tiers constitue une simple faculté laissée à la libre appréciation du rapporteur, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État ([38]).
La haute juridiction administrative considère à ce titre que ces conclusions « constituent des actes non détachables de la procédure juridictionnelle », de sorte qu’elles ne revêtent pas le caractère de document administratif au sens de la loi du 17 juillet 1978 relative à la communication des documents administratifs ([39]).
En outre, la communication des conclusions des rapporteurs publics par les juridictions administratives est soumise à une redevance d’un montant de cinq à dix euros selon les juridictions ([40]).
Selon les données transmises à votre rapporteur, le Conseil d’État a délivré près de 7 000 conclusions de rapporteurs en 2024, en réponse à une demande de communication individuelle.
● Quant à la diffusion sous forme électronique, elle ne concerne que certaines conclusions des rapporteurs du Conseil d’État, notamment celles présentées dans les « affaires les plus importantes, c’est-à-dire présentant à juger des questions de droit nouvelles » ([41]).
En pratique, les conclusions des rapporteurs publics sont diffusées lorsqu’elles concernent les seules affaires traitées par les formations de jugement du Conseil d’État les plus solennelles : « chambres réunies », « section du contentieux » et « assemblée du contentieux ».
Ainsi, au 1er janvier 2025, près de 8 000 conclusions de rapporteurs publics du Conseil d’État ont ainsi été mises à la disposition du public sur la plateforme Ariane Web depuis 2010. Sur la période la plus récente, entre 700 et 800 conclusions publiques sont rendues publiques par le Conseil d’État chaque année.
En revanche, les conclusions des rapporteurs publics des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ne font l’objet que d’une diffusion très restreinte, et ce uniquement sur les bases de données internes des juridictions. En 2024, seules quinze conclusions ont été diffusées sur ces bases internes pour les tribunaux administratifs, pour 255 000 jugements.
● Les conditions pour la mise à disposition des jugements visant à protéger la vie privée, prévues à l’article L. 10 du code de justice administrative, s’appliqueront aux conclusions du rapporteur public.
En conséquence, les noms et prénoms des personnes physiques, lorsqu’elles sont parties ou tiers, seront occultés préalablement à la mise à la disposition du public des conclusions du rapporteur public. Pourront également être occultés tout autre élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe, lorsque leur divulgation serait de nature à porter atteinte à la sécurité ou à la vie privée de ces personnes ou de leur entourage.
De même, l’encadrement de la réutilisation des données prévue audit article pour la mise à disposition des jugements a vocation à s’appliquer également aux conclusions du rapporteur public. Les données d’identité des magistrats et des membres du greffe indiquées dans ces conclusions ne pourront ainsi « faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées » ([42]).
● La mise à disposition des conclusions des rapporteurs permettra au justiciable de disposer d’un élément explicatif précieux de la décision de justice administrative ([43]).
Comme l’indique Isabelle de Silva, présidente de chambre au Conseil d’État, « les conclusions permettent de mieux faire comprendre la décision rendue. Celle-ci est explicitée, mise en perspective. Lorsque le commissaire a été intégralement suivi, les conclusions deviennent a posteriori, un commentaire, une justification, une forme "d'exposé des motifs" de la décision rendue. Dans le cas contraire, les conclusions livrent néanmoins des clefs d'interprétation sur les points nodaux du raisonnement » ([44]).
La commission a adopté un amendement de M. Emmanuel Duplessy, qui exclut expressément l’application du dernier alinéa de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ([45]).
La finalité de cet amendement est de sécuriser juridiquement le dispositif de mise à disposition à titre gratuit des conclusions des rapporteurs publics, en prévenant toute opposition à celle-ci fondée sur le droit de propriété intellectuelle du rapporteur public.
En effet, le code de la propriété intellectuelle prévoit le principe d’une cession de plein droit au profit de l’État du droit d'exploitation d'une œuvre créée par un agent public dans le cadre d'une mission de service public ([46]).
Cependant, l'alinéa 4 de l'article L. 111-1 dudit code précise que cette cession de plein droit ne s'applique pas aux « agents auteurs d'œuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique ».
Or, malgré l’absence de jurisprudence en la matière, il est généralement admis que cette exception s’appliquerait aux conclusions du rapporteur public, puisque celles-ci ne sont pas soumises à un tel « contrôle préalable hiérarchique » ([47]).
L’amendement adopté par la commission permet par conséquent de mettre à la disposition du public à titre gratuit les conclusions des rapporteurs publics, en neutralisant toute revendication de ces derniers au titre de leur droit d’auteur.
Enfin, la commission a adopté un amendement de votre rapporteur qui prévoit que les conditions d’application du présent article seront précisées par un décret ([48]), de la même façon que des décrets ont été nécessaires pour fixer les modalités de mise en œuvre de la diffusion en « open data » des décisions de justice ([49]).
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Adopté par la commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
Le présent article instaure un régime de mise à disposition, à titre gratuit, sous forme électronique, des rapports publics des conseillers rapporteurs et des avis des avocats généraux près la Cour de cassation, dans les mêmes conditions que les jugements.
Il prévoit également que la mise à disposition des arrêts de rejet non spécialement motivés et des arrêts de non-admission rendus par la Cour de cassation, prévus aux articles 1014 du code de procédure civile et 567-1-1 du code de procédure pénale, s’accompagne de la publication des moyens invoqués par le demandeur au soutien de son pourvoi.
Dernières modifications législatives intervenues
La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a instauré le principe d’une mise à disposition du public à titre gratuit de l’ensemble des décisions de justice. L’article 33 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a précisé les dispositifs visant à protéger le droit à la vie privée des personnes concernées par ces décisions.
Modifications apportées par la commission
La commission a adopté l’article 2, tel que modifié par un amendement de votre rapporteur, qui exclut les arrêts de non-admission rendus en matière pénale par la Cour de cassation de l’obligation de reproduction des moyens invoqués par le demandeur.
● La Cour de cassation compte un peu plus de 200 conseillers, magistrats du siège, répartis entre les six chambres de la Cour.
Lorsqu’une affaire est soumise à une chambre de la Cour de cassation, le Président de celle-ci désigne un de ces conseillers en qualité de rapporteur ([50]).
Celui-ci établit un rapport dit « objectif », en ce qu’il n’a pas pour vocation à proposer une solution au litige, mais à présenter une analyse des enjeux juridiques soulevés par l’affaire : « ce document est une pièce neutre, objective, exposant les éléments de fait nécessaires à la compréhension du dossier, les moyens soulevés, les questions de droit posés, ainsi que les références de doctrine et de jurisprudence s’y rapportant » ([51]). Ce rapport est communiqué aux parties, à l’avocat général et à la formation de jugement.
Outre, ce « rapport objectif », le conseiller rapporteur élabore également une note dans laquelle il donne son avis sur le dossier et propose une solution, ainsi qu’un ou des projets de décisions. Ces deux documents, couverts par le secret des délibérés, sont transmis uniquement aux magistrats de la formation de jugement, à l’exclusion de l’avocat général et des parties.
À l'audience, le conseiller rapporteur expose les faits et la procédure. Lors du délibéré, il est le premier à prendre la parole pour mettre en lumière les points essentiels de ses travaux.
Il résulte de ce qui précède que le rôle du conseiller rapporteur est essentiel dans la procédure de cassation. Comme le résume un magistrat de la Cour, « c’est sur la base des travaux du conseiller rapporteur que sont prises les décisions rendues collégialement par la chambre » ([52]).
● La Cour de cassation compte un peu plus de 50 avocats généraux.
En vertu des dispositions du code de l’organisation judiciaire, l’avocat général « rend des avis dans l'intérêt de la loi et du bien commun. Il éclaire la cour sur la portée de la décision à intervenir » ([53]).
Le parquet de la Cour de cassation n'est pas en charge de l’action publique et ses membres sont indépendants du garde des Sceaux. L’avocat général rend ainsi ses avis en toute indépendance et impartialité.
Ainsi que le résume un ancien avocat général de la Cour, « loin de requérir contre quiconque, il a pour seule mission de dire ce qui, dans une décision, lui paraît conforme à la loi au regard des moyens développés par un demandeur au pourvoi ou, le cas échéant, en soulevant lui-même un moyen d’office (…) l’avocat général saisi d’un dossier est entièrement libre de ses conclusions et il ne peut recevoir aucune instruction de quelque sorte que ce soit quant à la proposition de solution du pourvoi, dont la détermination n’appartient qu’à lui » ([54]).
Par son avis, l’avocat général apporte ainsi son éclairage sur le sens et la portée de la décision à intervenir, en examinant les enjeux et l’incidence possible des solutions pouvant être envisagées, après avoir effectué le cas échéant des consultations auprès d’autorités ou d’institutions extérieures.
L’intervention de l’avocat général n’est toutefois pas systématique. En pratique, il rend essentiellement ses avis sur les pourvois en matière pénale, et dans certaines affaires d’importance en matière civile.
ii. …dont les travaux ont une publicité limitée
En l’état, la Cour de cassation ne met à la disposition du public que certains rapports des conseillers rapporteurs et avis des avocats généraux qui concernent exclusivement des affaires ayant donné lieu à une décision publiée au Bulletin des arrêts de la Cour.
La décision de publier un arrêt au Bulletin est prise, compte tenu de son intérêt juridique, par le président de la formation de jugement, conformément à l’article R. 433-4 du code de l’organisation judiciaire.
Selon les chiffres communiqués par la Cour de cassation, sur les plus de 20 000 pourvois formés chaque année, seuls un peu plus d’un millier donnent lieu à une publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.
Depuis le lancement du portail « Judilibre » en septembre 2021, 397 avis des avocats généraux et 387 rapports des conseillers rapporteurs ont ainsi été mis en ligne. Il sera toutefois relevé une croissance notable de la diffusion de ces documents ces dernières années (166 avis et 182 rapports diffusés en 2024 contre respectivement 57 et 43 en 2021).
● La Cour de cassation a la possibilité de statuer sur un pourvoi par une décision de rejet non spécialement motivée, en matière civile, ou par une décision de non-admission, en matière pénale.
La décision de rejet non spécialement motivée est régie par l’article 1014 du code de procédure civile, aux termes duquel « cette formation décide qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu'il n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Toute formation peut aussi décider de ne pas répondre de façon spécialement motivée à un ou plusieurs moyens irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ».
La décision dite de non-admission, qui ne fait pas non plus l’objet d’une motivation approfondie, est quant à elle prévue par l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, qui dispose que « la formation déclare non admis les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation » ([55]).
● Le caractère non motivé de ces décisions se justifie par le fait que celles-ci sont fondées non sur l’interprétation d’une règle de droit, mais sur la seule application des règles régissant le pourvoi en cassation. Ainsi, « dans le cas de ces rejets non spécialement motivés ou de ces non-admissions, le pourvoi est écarté sans que soit examiné le moyen de cassation (par exemple pour les pourvois irrecevables) ou l’argumentation juridique que ce moyen de cassation développe » ([56]).
Le recours à ces décisions est quantitativement important. Il ressort en effet des données communiquées à votre rapporteur qu’environ la moitié des affaires tranchées par les chambres de la Cour de cassation donnent lieu à une décision de rejet non spécialement motivé ou de non-admission.
Selon la Cour de cassation, le recours à ce type de décisions « permet d’assurer les missions dévolues à une cour suprême, tout en jugeant la totalité des affaires dont elle est saisie. La Cour de cassation a en effet la particularité, pour une cour suprême, d’être saisie d’un contentieux de masse, avec plus de 20 000 pourvois formés chaque année » ([57]).
Depuis 1986, la Cour reproduisait intégralement les moyens soutenus par le demandeur au pourvoi en annexe de ses arrêts rendus en matière civile.
La Cour a abandonné cette pratique en mars 2023, de sorte que les arrêts rendus par les chambres civiles ne comportent désormais plus l’annexion des moyens invoqués par le demandeur au pourvoi.
La Cour justifie cette décision par l’enrichissement de la motivation des décisions intervenues depuis 2019 : « La décision [de 1986] était liée à un contexte où les motivations des arrêts pouvaient être extrêmement brèves. Depuis lors, la situation a considérablement évolué, en particulier à compter d’octobre 2019, date à laquelle la Cour a adopté de nouvelles règles pour la rédaction de ses décisions : pour l’ensemble des décisions motivées, le moyen est désormais systématiquement reproduit dans l'arrêt et la motivation plus détaillée. L’annexion des moyens a donc perdu tout intérêt pour la compréhension des arrêts motivés » ([58]).
En ce qui concerne la chambre criminelle, les moyens n’ont en revanche jamais été annexés. En effet, selon la Cour, « les pourvois formés en matière pénale, se caractérisent par l’absence de représentation [obligatoire] par un avocat, de sorte que le mémoire personnel n’est assujetti à aucun formalisme (pas même le recours à un support électronique), ce qui exclut toute annexion » ([59]).
● L’article 2 de la proposition de loi instaure pour les rapports publics des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation un régime de mise à disposition identique à celui établi par l’article 1er.
En application de cet article, l’ensemble de ces rapports et avis seraient donc diffusés sur la plateforme « Judilibre ». Cette mise à disposition obéira aux mêmes conditions que celles précédemment exposées pour la mise à disposition des décisions de justice, notamment quant aux règles d’anonymisation et de réutilisation.
● En outre, l’article 2 prévoit que les arrêts de rejet non spécialement motivés et les arrêts de non-admission de la Cour de cassation comportent les moyens invoqués par le demandeur au soutien de son pourvoi lors de leur mise à la disposition du public.
L’absence de reproduction des moyens invoqués par le demandeur peut certes se justifier lorsque ceux-ci sont exposés dans la motivation de l’arrêt lui-même. En revanche, pour les arrêts à la motivation succincte visés par l’article 2 de la proposition de loi, seule la reproduction des moyens soulevés par le demandeur est susceptible de donner des éléments de contexte précieux à la compréhension desdits arrêts.
La commission a adopté un amendement proposé par votre rapporteur ([60]).
Celui-ci supprime tout d’abord la référence à un article spécifique du code de procédure civile – l’article 1014 – dès lors que ce code est de nature réglementaire.
En second lieu, il abandonne l’exigence de reproduction des moyens pour les arrêts de non-admission rendus en matière pénale.
En matière pénale, la représentation n'est en effet pas obligatoire, de sorte que les moyens du demandeur ne sont soumis à aucun formalisme précis. Dans ces conditions, la reproduction des moyens en annexe de l’arrêt de non-admission constituerait une importante charge de travail pour les greffes de la Cour de cassation.
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Introduit par la commission
La commission a introduit un article 3, en adoptant un amendement de votre rapporteur reportant au 1er janvier 2028 l’entrée en vigueur de la présente loi ([61]).
Dans le cadre de ses travaux, votre rapporteur a été alerté sur le fait que la mise à la disposition du public des documents prévus dans la présente proposition de loi se heurterait en l'état à d'importantes contraintes techniques. Il serait en effet nécessaire d'adapter de façon significative les outils d'intelligence artificielle utilisés actuellement pour le traitement des décisions de justice.
En outre, les services du ministère de la justice sont d'ores et déjà fortement mobilisés sur le chantier de mise à disposition des décisions de justice, qui ne sera achevé qu'au 31 décembre 2027, selon le calendrier établi par l'arrêté du 28 avril 2021.
À moyens constants, le processus de diffusion des décisions de justice risquerait par conséquent d’être obéré par le chantier parallèle de mise à disposition des documents visés dans la proposition de loi.
Dans ces conditions, à l’initiative de votre rapporteur, la commission a décidé de différer l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi au 1er janvier 2028, c'est-à-dire après la mise à disposition effective de l'ensemble des décisions de justice.
Lors de sa réunion du mercredi 19 février 2025 à 8 heures 30, la Commission examine la proposition de loi visant l’ouverture avancée des données judiciaires (n° 806) (M. Philippe Latombe, rapporteur).
Présidence de M. Philippe Gosselin, vice-président.
Lien vidéo : https://assnat.fr/U0tl2d
M. Philippe Gosselin, président. Nous examinons la proposition de loi visant l’ouverture avancée des données judiciaires que le groupe Les Démocrates a inscrite à l’ordre du jour de sa journée réservée du 6 mars prochain. La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure de législation en commission.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Le principe de publicité de la justice est au fondement de notre État de droit. Les décisions de justice étant rendues au nom du peuple français, il est impératif que nos concitoyens y aient accès de façon libre et gratuite. Or, jusqu’à une période récente, cet accès n’était pas effectif pour les personnes qui n’étaient pas parties au litige. La communication des jugements à des tiers obéit en effet à une procédure complexe dont l’issue est incertaine. Quant à la diffusion de la jurisprudence à titre gratuit, elle s’est longtemps cantonnée aux décisions rendues par les plus hautes juridictions, à l’exclusion des décisions de premier degré ou d’appel.
Des évolutions sont fort heureusement survenues. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a ainsi instauré le principe de mise à disposition à titre gratuit, sous forme électronique, de l’ensemble des décisions de justice. Ce processus de longue haleine est en cours ; il se poursuivra jusqu’à fin 2027.
À ce jour, plus de 1,6 million de décisions de justice ont été diffusées sur les deux plateformes dédiées, gérées respectivement par le Conseil d’État pour les juridictions administratives, et par la Cour de cassation pour l’ordre judiciaire.
En 2024, nos concitoyens ont accédé pour la première fois gratuitement à des décisions rendues par les juridictions de première instance, telles que les tribunaux judiciaires. À terme, plus de 3 millions de décisions de justice seront diffusées chaque année. Cette ouverture répond à un véritable besoin, comme en témoigne le succès du dispositif : la plateforme qui diffuse les décisions des juridictions judiciaires a comptabilisé près de 6,5 millions de consultations entre novembre 2023 et novembre 2024.
Cette politique d’open data dans le domaine judiciaire constitue une véritable révolution dans l’accès au droit. Je tiens à rendre hommage à l’ensemble des acteurs du ministère de la justice mobilisés par cet important chantier.
Il faut toutefois aller plus loin dans l’ouverture et la transparence de notre système judiciaire, en tirant parti des évolutions technologiques. Le développement des outils d’intelligence artificielle permettra de diffuser les données judiciaires de façon massive bien plus aisément qu’autrefois. L’émergence d’acteurs spécialisés dans leur traitement conférera davantage d’intelligibilité, et donc de plus-value, à cette masse brute d’informations, au bénéfice des professionnels du droit. Enfin, et surtout, nos concitoyens doivent pouvoir comprendre le processus juridictionnel qui aboutit aux décisions.
C’est sur ce fondement que notre assemblée a introduit un amendement au rapport annexé au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Il prévoit la mise à disposition à titre gratuit, sous forme électronique, de trois types de documents judiciaires : les conclusions du rapporteur public devant les juridictions administratives, les rapports des conseillers rapporteurs à la Cour de cassation et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation. La présente proposition de loi vise à concrétiser cet engagement.
Pourquoi viser spécifiquement ces documents ? Parce qu’ils ne sont pas détachables de la procédure juridictionnelle, qu’ils contiennent des précisions sur les enjeux juridiques de l’affaire bien plus détaillées que les décisions de justice, et qu’ils permettent de mieux comprendre le raisonnement ayant abouti à la solution retenue par les juges. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’ailleurs souligné – certes, à une époque où les décisions étaient plus elliptiques – que seule la lecture des conclusions du rapporteur public permettait de comprendre la ratio decidendi des arrêts du Conseil d’État. Les justiciables ont le droit de comprendre l’environnement explicatif des décisions ; la proposition de loi entend y contribuer.
Au-delà, la diffusion de ces documents représenterait une avancée majeure pour la recherche et le travail d’investigation, ainsi que l’ont souligné des universitaires et des journalistes dans leurs contributions écrites à mes travaux.
S’agissant de la mise en œuvre du dispositif, je souhaite insister sur un point : la diffusion des documents suivra le même régime que la mise à disposition des décisions de justice. Ce régime est protecteur de la vie privée, puisqu’il impose la pseudonymisation et permet d’occulter tout autre d’élément d’identification. Il encadre strictement le droit à la réutilisation des données, et interdit notamment toute activité de profilage.
Je tiens donc d’ores et déjà à répondre à certaines craintes exprimées dans vos amendements : la proposition de loi ne vise pas une diffusion sauvage des documents judiciaires, mais une diffusion encadrée dans les mêmes conditions que les décisions de justice, selon une pratique qui a fait ses preuves.
J’ai toutefois entendu les points de vigilance exprimés par les magistrats que j’ai auditionnés : la crainte d’une surcharge de travail liée à la formalisation et à la diffusion des documents ; la crainte de contraintes techniques liées à l’adaptation des outils d’intelligence artificielle actuellement utilisés pour traiter les décisions de justice ; la crainte que la diffusion des documents ne ralentisse, voire n’entrave la mise à disposition des décisions de justice.
C’est pourquoi je vous proposerai d’adopter un amendement visant à différer l’entrée en vigueur de la proposition de loi au 1er janvier 2028, date à laquelle le chantier de mise à disposition des décisions de justice sera achevé. Cette période de transition permettra au ministère de la justice de mieux s’organiser techniquement et humainement.
Si je suis ouvert à la discussion concernant l’entrée en vigueur de la mesure, j’estime en revanche qu’il faut rester ferme quant au champ des documents visés. Je suis en effet convaincu que la proposition de loi contribuera à renforcer la transparence du processus décisionnel, et par conséquent la confiance de nos concitoyens dans le système judiciaire.
M. Philippe Gosselin, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Cette réformette ne servira à rien mais ne fera pas de mal. Elle ne permettra pas d’atteindre l’objectif louable qu’elle vise : rapprocher les citoyens de la justice.
Seules 12 % des affaires jugées en France relèvent des juridictions administratives. Quant aux pourvois en cassation, ils ne représentent que 2 % des décisions en appel et 0,75 % des autres dossiers. Autrement dit, la publication des données ne concernera que 13 % des affaires.
Cette mise à disposition ne servira qu’à certains étudiants en droit, avocats et magistrats qui utiliseront Mistral AI – espérons-le – ou bien ChatGPT pour comprendre les rapports publics des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation. Pour nos concitoyens, qu’en sera-t-il ? Le justiciable moyen ignore ce qu’est un conseiller rapporteur ou un avocat général. Le problème auquel sont confrontés les chefs d’entreprise, les personnes qui se battent contre l’administration, les victimes qui cherchent à comprendre une décision, c’est la complexité du droit, la lenteur de la justice et l’éloignement des juges, regroupés dans le chef-lieu du département. La publication de ces données ne rendra pas la justice plus rapide et plus proche.
Si le Modem veut se servir de sa niche pour améliorer le fonctionnement de la justice, pourquoi ne propose-t-il pas une vraie réforme ? Vous aurez beau mettre en ligne tous les jugements, avis et rapports des avocats généraux possibles, vous ne réussirez pas à réduire d’un pouce l’écart avec le justiciable moyen si personne ne peut comprendre ces documents sans avoir un diplôme de droit de niveau bac + 7. La justice a besoin d’autre chose. Dans ma circonscription, trois tribunaux ont été supprimés en 2007, et à Paris les vingt tribunaux d’instance d’arrondissement ont connu le même sort en 2017. Les pôles civils de proximité censés traiter des petits litiges restent éloignés des justiciables. Il faut réinstaller de véritables tribunaux à proximité des justiciables, ce qui suppose d’allouer des moyens financiers suffisants, décision qu’aurait pu prendre dans le dernier budget le premier ministre qui, sauf erreur de ma part, appartient à votre parti.
Nous voterons en faveur de ce texte, même s’il fait figure de gadget. La transparence qu’il promeut est un enjeu d’importance mais soyez bien conscients que tout cela ne profitera qu’aux juges, aux avocats et aux étudiants en droit.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). La mise à disposition sous forme électronique des documents que vous visez marquerait, selon vous, une avancée considérable : améliorer l’accès des citoyens aux décisions de justice renforcerait la confiance qu’ils placent en elle. Votre objectif est louable mais votre argument fallacieux. Malheureusement, comme souvent, vous occultez un point central : ces dispositions alimenteraient de manière disproportionnée le secteur de la LegalTech, ces start-up qui font de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine du droit leur fonds de commerce. La publication de ces documents aurait pour conséquence directe de venir grossir considérablement leurs bases de données au détriment du principe de l’égalité de tous devant la justice.
Ces entreprises se saisiront immédiatement de l’occasion offerte par l’ouverture croissante des paramètres procéduraux et l’on peut craindre qu’une diffusion non contrôlée, alliée à un manque de régulation des algorithmes utilisés, ne les conduise à mener des analyses comparatives des juridictions et des avocats. Si les données judiciaires dans leur ensemble sont publiées en open data, les algorithmes pourront déterminer quelle juridiction est la plus encline à prendre la décision la plus favorable. Cela encouragera le forum shopping, l’élection de juridiction, pratique consistant pour une partie à saisir le tribunal le plus susceptible de lui donner raison, forme de justice prédictive dangereuse au regard du principe d’égalité des justiciables.
Cette diffusion des données ne contribuera pas à restaurer la confiance des citoyens en la justice car c’est d’abord le manque de moyens et de célérité dont elle souffre qui est en cause : 62 % des Français sondés estiment que la justice fonctionne mal, faute de moyens. L’urgence se situe donc ailleurs. Nous devons nous concentrer sur le budget consacré à la justice au lieu de participer à un bavardage de mauvaise foi dont le but ultime est d’alimenter des entreprises privées et de favoriser le traitement algorithmique des données judiciaires à des fins financières.
Les dérives liées à votre proposition de loi ne s’arrêtent malheureusement pas là. Elle fait peser de nombreux risques sur la vie privée des justiciables, compte tenu de la diversité des données figurant dans les décisions de justice et de l’ampleur du champ qu’elles couvrent. Le traitement algorithmique des données personnelles sera forcément utilisé à des fins de profilage.
En outre, ces dispositions créeront pour les juridictions une charge de travail supplémentaire, incompatible avec les moyens dont elles disposent.
Elles soulèvent aussi un enjeu de souveraineté. Étant donné que la France a recours, pour le stockage de ses données, aux clouds américains et donc à des centres de données américains, ne sommes-nous pas exposés à des risques d’ingérence ?
L’accessibilité des avis et rapports publics ne saurait se faire au mépris des enjeux colossaux auquel renvoie le recours à l’open data. Nous ne nous opposons pas à la transformation numérique dès lors qu’elle est assortie des garanties nécessaires ; en revanche, nous nous opposons à la justice prédictive et à la mise en concurrence des juridictions.
Enfin, nous déplorons fortement que deux de nos amendements aient été déclarés irrecevables. Nous ne voyons pas en quoi prévoir que l’État et le ministère de la justice stockent eux-mêmes ces données ne serait pas conforme à l’article 40 de la Constitution.
M. Philippe Gosselin, président. Je rappelle que cette décision a été prise par M. Coquerel, en sa qualité de président de la commission des finances.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Pour reprendre les termes de la Constitution de la IIe République, « La justice est rendue gratuitement au nom du peuple français ». L’accès au droit et sa compréhension par les justiciables sont des questions fondamentales dans une démocratie. Cette proposition de loi tend à renforcer la confiance dans le système judiciaire par une transparence accrue, objectif que nous partageons même si nous mesurons l’ampleur de la tâche. Selon une récente enquête du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), 7 % des Français ont « très confiance » dans la justice et 34 % n’ont « plutôt pas confiance » en elle.
De nombreux magistrats, notamment de l’ordre administratif, contestent les dispositions de ce texte, estimant qu’elles se heurtent à des obstacles juridiques et matériels, qu’elles seront complexes à mettre en œuvre et qu’elles n’interviennent pas à un moment opportun.
L’article 1er vise à rendre accessibles les conclusions du rapporteur public dans les mêmes conditions que les jugements. La question de l’alourdissement de la charge de travail des magistrats doit être prise en compte. Ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’obliger les rapporteurs à formaliser par écrit leurs conclusions alors qu’elles prennent très souvent une forme orale, notamment dans le cadre des contentieux sériels qui se sont multipliés ces dernières années. La tâche serait quasiment insurmontable.
Rappelons par ailleurs que seul le jugement est revêtu de l’autorité de la chose jugée. Le rapporteur public ne fait que formuler un avis juridique sur un dossier : il ne délibère pas avec la formation de jugement et n’est pas doté de la fonction de juger. Son avis peut donc différer de la décision de justice, laquelle est seule à s’inscrire dans l’État de droit. Il importe d’éviter que la publication des conclusions du rapporteur public ne crée de la confusion dans l’esprit du justiciable.
En outre, l’ouverture des données devrait se faire au bénéfice de tous les justiciables et non au seul profit d’entreprises du secteur privé, comme Doctrine, qui utiliseront l’intelligence artificielle pour ajouter une plus-value à leurs services, auxquels auront principalement recours les cabinets d’avocats les mieux lotis. Cela risque de créer, en ce qui concerne les justiciables mais aussi les magistrats, une inégalité.
Il faudra également être attentif à la question de la justice prédictive, qui risque de se nourrir de l’analyse des données : il conviendra de se pencher sur un encadrement en la matière.
Enfin, la rédaction des décisions est un des enjeux de la bonne compréhension de la justice, qui implique de faire œuvre de pédagogie auprès des acteurs du procès.
La proposition de loi n’est pas révolutionnaire, mais nous la trouvons intéressante.
M. Olivier Marleix (DR). Ce texte constitue une avancée utile. La diffusion des conclusions des rapporteurs publics en open data facilitera l’accès du plus grand nombre aux bases de données, qu’il s’agisse des professionnels du droit, des étudiants ou encore des journalistes travaillant en province qui n’ont pas forcément la possibilité d’assister aux audiences du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Les conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives, les rapports des conseillers rapporteurs ou les avis des avocats généraux près la Cour de cassation, toujours de très grande qualité, faciliteront la compréhension de la jurisprudence.
Un autre enjeu de la proposition de loi est la construction d’outils d’intelligence artificielle, chantier engagé depuis la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui prévoit la mise à disposition du public de l’ensemble des décisions de justice. Trois millions de décisions devraient être concernées chaque année. Je ne crois pas, à cet égard, qu’il faille craindre la LegalTech. Une forme de contrôle, n’ayons pas peur des mots, exercé par les citoyens sur la justice pourra se déployer, étape nécessaire pour restaurer la confiance, assez dégradée, dans l’institution judiciaire.
Les députés de la Droite républicaine soutiendront cette proposition de loi.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’article 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice prévoit la mise en ligne gratuite par la Cour de cassation et le Conseil d’État de l’ensemble des décisions de justice en première instance, en appel et en cassation. Le rapport annexé à la loi de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui n’a certes pas de valeur contraignante, prévoit qu’« afin de permettre au justiciable de mieux comprendre et de s’approprier la justice, et conformément à l’objectif d’intégrer la donnée au cœur des réflexions, de nouveaux jeux de données seront publiés en données ouvertes, notamment les conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives ainsi que les rapports publics des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux près la Cour de cassation. » C’est dans la stricte continuité de ce texte que se situe la proposition de loi : la publication de ces conclusions, rapports et avis est susceptible de contribuer à une meilleure compréhension des décisions de justice, en apportant certains éclairages, en levant des ambiguïtés sur un jugement ou un arrêt, ou bien en fournissant des informations complémentaires sur le contexte d’un litige.
Nous avons entendu les arguments avancés par les magistrats, notamment sur le caractère oral des conclusions. Nous proposerons dans l’un de nos amendements qu’en l’absence de conclusions écrites du rapporteur public, une retranscription de ses propos soit mise à la disposition du public pour éviter toute charge de travail supplémentaire aux magistrats.
Nous sommes également attentifs aux risques liés à l’exploitation algorithmique des données par les acteurs privés, rejoignant le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux qui, dans un communiqué commun publié le 6 juillet 2020, ont insisté sur la nécessité d’une régulation face à de possibles dérives. Dans un autre amendement, nous proposons que soit remis au Parlement un rapport sur la régulation de l’utilisation de ces données par la LegalTech.
Aider à mieux comprendre les décisions de justice est une nécessité. Il n’est pas rare malheureusement que le public n’en ait qu’une vision partielle et partiale renvoyée par les médias et certaines forces politiques, ce qui est source de confusion. Nous l’avons constaté récemment lorsque Bruno Retailleau a placé en porte-à-faux des magistrats qui n’avaient fait qu’appliquer la loi, issue d’une disposition qu’il avait lui-même soutenue un an auparavant lorsqu’il était sénateur.
Pour toutes ces raisons, nous voterons pour cette proposition de loi.
M. Éric Martineau (Dem). « La justice est rendue au nom du peuple français », cette affirmation gravée dans notre droit ne saurait demeurer une déclaration d’intention. Elle engage notre responsabilité collective : il importe de garantir aux citoyens un accès effectif et éclairé aux décisions de justice, socle fondamental de l’État de droit et de la confiance démocratique en nos institutions. Or, si le principe de la publicité des décisions judiciaires est consacré par la loi, leur diffusion demeure incomplète en dépit de nos engagements. La présente proposition de loi veut combler cette lacune en inscrivant une ouverture plus avancée des données judiciaires au cœur de notre politique de transparence. C’est avec détermination que nous affirmons l’ambition suivante : rapprocher la justice de nos concitoyens, leur donner les outils pour mieux la comprendre, c’est contribuer à renforcer leur confiance dans l’institution judiciaire.
Ce texte tend à enrichir les données ouvertes dans le domaine judiciaire en rendant accessibles au public, sous format électronique et à titre gratuit, des documents essentiels à la compréhension des décisions de justice, jusqu’ici trop souvent confinées aux salles d’audience. Elle prévoit ainsi la diffusion des conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives, des rapports publics des conseillers rapporteurs et des avis des avocats généraux près la Cour de cassation, ainsi que l’annexion des moyens invoqués par le demandeur en cassation aux arrêts de rejet non spécialement motivés et aux arrêts de non-admission.
Si cette évolution nous apparaît nécessaire, c’est que de tels documents ne sont pas de simples annexes. Ils apportent des éclairages essentiels sur les décisions rendues : ils expliquent, ils contextualisent, ils contribuent à la compréhension des enjeux juridiques ; ils donnent à la justice une lisibilité qui lui fait trop souvent défaut et réduisent son opacité, source d’incompréhension et de défiance. Cette avancée est attendue bien au-delà du cercle juridique. Elle répond à une exigence croissante de transparence exprimée par les citoyens, les chercheurs, les médias et l’ensemble des acteurs engagés dans la diffusion du savoir juridique. Dans d’autres démocraties européennes, ces données sont déjà accessibles. La France ne peut se permettre de rester en retrait.
Le rapporteur a bien entendu les réserves exprimées par certaines juridictions et organisations de magistrats qui redoutent la charge de travail qu’induirait cette réforme et insistent sur la nécessité d’un cadre protecteur pour les données sensibles. Mon collègue a su apporter des réponses pragmatiques. Est ainsi prévue une entrée en vigueur progressive du dispositif qui laissera aux juridictions le temps de s’adapter et aux algorithmes d’anonymisation celui d’être pleinement opérationnels.
Cette proposition de loi ne sacrifie pas la protection des données personnelles sur l’autel de la transparence. Notre collègue a veillé à encadrer strictement la publication des informations par l’occultation des noms des parties, des magistrats et des tiers lorsque leur divulgation est susceptible de nuire à la sécurité ou à la vie privée des personnes concernées. De même, les règles de réutilisation des données garantissent qu’aucune dérive ne compromette l’intégrité du système judiciaire.
Nous vous proposons un texte reposant sur un équilibre entre l’impératif démocratique de transparence et la nécessité d’une mise en œuvre maîtrisée et sécurisée. Cette proposition de loi incarne une vision résolument moderne de la justice dans laquelle la technologie n’est pas une menace mais un levier au service de l’intérêt général. En soutenant le présent texte, nous affirmons notre volonté de rendre la justice plus accessible, plus intelligible et plus proche de celles et ceux qu’elle concerne avant tout, les justiciables. Parce qu’une justice transparente est une justice en laquelle on croit, parce qu’une démocratie forte est une démocratie qui donne à chacun les moyens de la comprendre, nous défendrons avec conviction cette avancée nécessaire.
M. Jean Moulliere (HOR). La publicité est un principe fondamental du fonctionnement de la justice en France. Il irrigue notre pratique judiciaire depuis la Révolution française : depuis 1789, la justice rend ses décisions « au nom du peuple français ». L’exigence essentielle de la publicité garantit la transparence de la justice, développe la confiance des citoyens en elle tout en assurant son bon fonctionnement dans un État de droit. Ce principe a une vocation universelle : il s’applique aux procédures internes civiles, pénales et administratives comme aux différents systèmes européens et internationaux. Le droit européen le protège en en faisant à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) une composante du droit à un procès équitable.
Ce principe implique la publicité des débats mais aussi des décisions de justice. Alors que se multiplient les demandes d’une plus grande transparence de la justice et d’une confiance retrouvée dans notre système judiciaire, le ministère de la justice avait inscrit dans le rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation pour 2023-2027 sa volonté de permettre aux justiciables de mieux comprendre et de mieux s’approprier les décisions de justice.
Des solutions technologiques offrent des leviers pour agir en ce sens, grâce à la publication sous forme électronique de nouveaux jeux de données judiciaires, consultables par tous. Ces solutions doivent être mobilisées pour répondre à la demande croissante de transparence qui émane de nos concitoyens. C’est pourquoi le groupe Horizons & indépendants salue l’initiative du groupe Les Démocrates d’inscrire à l’ordre du jour de sa niche parlementaire la présente proposition de loi qui prévoit la mise à disposition du public, sous forme électronique et à titre gratuit, des conclusions des rapporteurs publics, des rapports publics des conseillers rapporteurs et des avis des avocats généraux près la Cour de cassation, ainsi que l’annexion aux arrêts, lors de leur mise à disposition, des moyens invoqués en soutien des pourvois. Nous voterons en faveur du texte.
M. Jean-Luc Warsmann (LIOT). Nous considérons avec beaucoup de sympathie cette proposition de loi qui renforce l’accès libre et gratuit aux décisions judiciaires. Les principales réserves qu’elle suscite portent sur sa mise en œuvre matérielle et je remercie donc le rapporteur d’avoir déposé un amendement pour fixer l’entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2028. Des juges, notamment de l’ordre administratif, ont exprimé des inquiétudes. Sera-t-il possible, dans ce délai, d’améliorer la publicité des décisions sans alourdir le fonctionnement de la justice ? Qu’en sera-t-il des conclusions non écrites ?
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le développement de l’open data pour les décisions de justice, s’il favorise une meilleure transparence de l’action publique, ne suffira pas à restaurer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire. Dans une tribune publiée récemment dans Le Monde, un collectif de magistrats alerte sur l’ampleur du « délabrement de la justice », comme d’autres l’avaient fait avant eux sans être entendus. La « justice va dans le mur », soulignent-ils, car « loin d’être réparée », elle « ne rend plus les services que sont en droit d’attendre les Français ». Ils appellent à une réforme profonde en insistant sur la nécessité d’allouer des « moyens humains, matériels et informatiques » « pour que puisse être rendue une justice indépendante, humaine, efficace et de qualité ».
On ne peut que soutenir la volonté de transparence qui sous-tend ce texte. Il importe de renforcer l’accès du public aux documents importants du système judiciaire, mais sans oublier de préserver les règles spécifiques qui encadrent la publicité des décisions.
Vous inscrivez votre démarche, monsieur le rapporteur, dans la continuité des états généraux de la justice et de la loi d’orientation qui ont mis en avant la nécessité de rapprocher les citoyens de leur justice en leur permettant de mieux comprendre et de mieux s’approprier ses décisions. Vous rappelez la position de la CEDH selon laquelle la publicité « protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ». Le texte propose ainsi que certains documents judiciaires habituellement réservés aux seules parties prenantes soient rendus accessibles sous la forme d’open data. Cela permettrait à tous les justiciables, ainsi qu’à des chercheurs, des étudiants et des journalistes, de mieux comprendre les décisions rendues et d’analyser les raisons qui les sous-tendent.
Nous approuvons l’objectif de rendre plus transparentes et accessibles les décisions de justice tout en affirmant la nécessité d’assurer le respect de la vie privée dans la réutilisation des données publiées sur internet. L’ouverture des données présente en effet des risques pour les droits, libertés et intérêts des personnes concernées. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la Cnil, insiste sur les précautions particulières qui s’imposent pour éviter que la réutilisation massive d’informations ne porte atteinte aux droits des personnes. Il importe de bien encadrer les documents publiés pour que seules les informations non sensibles soient mises à la disposition du public. La régulation et le contrôle des algorithmes utilisés pour le traitement des décisions de justice apparaissent également indispensables.
La publication en données ouvertes des décisions de justice représente une avancée en matière de transparence judiciaire, mais elle appelle la mise en place de garde-fous pour protéger la vie privée des individus, préoccupation qui semble aussi vous animer, monsieur le rapporteur.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Notre justice est parfois perçue comme lointaine, incompréhensible voire opaque. Combien de citoyens se sentent perdus face à une décision de justice faute de pouvoir la comprendre pleinement ? Il est temps d’y remédier : l’ouverture des données judiciaires est avant tout un outil de confiance. Une justice qui se cache affaiblit la démocratie ; une justice qui s’ouvre, qui s’explique, qui éclaire, renforce l’État de droit.
Cette proposition de loi s’inscrit dans une dynamique plus large, celle des états généraux de la justice, qui ont souligné l’urgence d’une modernisation. Elle rejoint également la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027 qui place la transformation numérique au cœur de la réforme judiciaire. Concrètement, ce texte facilitera l’accès aux décisions de justice pour que chacun puisse mieux comprendre et s’approprier la jurisprudence. Il favorisera une meilleure diffusion des décisions, très utile au monde judiciaire, notamment aux chercheurs, avocats et magistrats. Enfin, il accélérera la modernisation numérique en s’appuyant sur des outils innovants.
Certains redoutent que ces dispositions n’aboutissent à surcharger les tribunaux ; toutefois, l’intelligence artificielle et la numérisation offrent des solutions efficaces. L’open data, s’il est bien encadré, ne doit pas être un fardeau. Il est déjà largement utilisé dans les administrations et offrira la possibilité de rendre notre justice plus accessible. Bien sûr, cette ouverture doit être maîtrisée. Il nous faut veiller à protéger les magistrats contre toute pression extérieure et à encadrer strictement la diffusion des décisions pour éviter toute dérive, notamment en matière de respect de la vie privée – transparence ne signifie pas exposition sans limites.
Cette proposition de loi constituera une avancée démocratique : elle rapprochera la justice des citoyens et renforcera leur confiance dans nos institutions. C’est pourquoi le groupe UDR la soutiendra avec conviction.
M. Philippe Latombe, rapporteur. L’objectif de cette proposition de loi n’est pas de susciter un « grand soir » pour le ministère de la justice, pas plus que d’améliorer le fonctionnement de la justice. Nous ne saurions viser de telles ambitions dans le cadre d’une niche. Nous voulons simplement donner une traduction concrète aux pistes ouvertes lors des états généraux de la justice, en nous situant dans la continuité de la loi de programmation. La publication des conclusions, rapports et avis visés fera comprendre par quel raisonnement les magistrats sont parvenus à leur décision, ce qui sera d’autant plus utile dans le cas de revirements de jurisprudence.
Monsieur Coulomme, je reviens sur vos deux amendements déclarés irrecevables. Les décisions de justice, actuellement stockées sur un cloud fourni par l’hébergeur français Scaleway, basculeront en 2025 sur un cloud du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur ayant reçu la qualification SecNumCloud. Les données ne seront donc pas exposées aux risques afférents à un hébergement sur des clouds appartenant à des sociétés extérieures, notamment celles des géants du numérique, les Gafam. La souveraineté me préoccupe tout comme vous et les vérifications auxquelles nous avons procédé peuvent nous rassurer.
La proposition de loi ne change rien en ce qui concerne la pseudonymisation et la protection des données personnelles : le texte renvoie à un dispositif validé par la Cnil. D’après ceux qui s’occupent de la diffusion des décisions de justice à la Cour de cassation et au Conseil d’État, il faudra que les algorithmes d’intelligence artificielle utilisés en la matière soient un peu retravaillés pour les adapter au traitement des documents visés dans la proposition de loi. Cela demandera un peu de temps, mais une entrée en vigueur en 2028, comme je le propose, paraît acceptable à ces interlocuteurs.
Par ailleurs, il n’est pas possible d’utiliser les données judiciaires en open data à des fins de profilage de magistrats ou de comparaison entre tribunaux. C’est interdit par la loi. Le ministère de la justice, que nous avons interrogé, a lancé un groupe de travail interne sur la protection de la vie privée dans le cadre de l’open data des décisions de justice. Celui-ci fera des propositions pour optimiser le périmètre des informations protégées, afin de garantir le cas échéant l’anonymisation complète des magistrats. C’est effectivement une question qui se pose et dont nous aurons à débattre dans un deuxième temps. La proposition de loi, je l’ai dit, ne change rien à cet égard.
Vous objectez que les mesures proposées pourraient entraîner une surcharge de travail liée à la formalisation des documents concernés. C’est aussi pour prévenir ce risque que nous différons l’application du texte à 2028, étant entendu que la mise à disposition de l’ensemble des décisions de justice doit s’achever en 2027. En outre, de nouveaux outils permettront aux magistrats de diffuser plus facilement l’ensemble des conclusions à l’horizon 2028.
Par ailleurs, la plupart des conclusions, notamment devant le tribunal administratif, sont écrites ; les parties peuvent déjà demander qu’elles leur soient transmises sous cette forme à l’issue de l’audience. Il existe donc, d’ores et déjà, un travail de formalisation. La proposition de loi vise à ce que l’on dispose d’un support écrit qui sera diffusé dans les semaines suivant la décision. Cela modifiera peut-être un peu les habitudes de certains magistrats, mais le changement sera très marginal.
Comme on nous l’a dit lors des auditions, les conclusions du rapporteur public ont pour objet de susciter le débat au sein du tribunal. Il est donc nécessaire d’en avoir connaissance pour comprendre les échanges qui ont eu lieu. La communication des conclusions participe, à ce titre, à la publicité des débats, ainsi que l’a relevé la CEDH dans plusieurs arrêts, notamment au sujet de la France. On ne doit pas s’attendre avec ce texte, je l’ai dit, à un « grand soir » : l’objectif est simplement de rapprocher un peu plus les justiciables de la justice et, surtout, de donner une traduction aux propositions issues des états généraux de la justice et aux dispositions de la loi de programmation. La mise à disposition des documents visés par la proposition de loi se fera, je le répète aussi, dans des conditions identiques à celles applicables aux décisions de justice.
Article 1er (art. L. 7 du code de justice administrative) : Mise à la disposition du public à titre gratuit, sous forme électronique, des conclusions du rapporteur public
Amendement de suppression CL2 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué tout ce que cette proposition de loi ne contient pas, mais nous aimerions savoir quels bénéfices elle apportera réellement aux justiciables. En quoi l’accès automatisé aux documents leur sera-t-il profitable ? En réalité, ce texte servira à alimenter un business, à fournir toujours plus de données à la LegalTech, ce qui risque de donner lieu à une sorte de benchmarking, de comparaison, entre juridictions et ressorts. En outre, cela pourrait conduire à l’élaboration de statistiques relatives aux données ethniques, aux opinions politiques, aux orientations philosophiques ou syndicales, aux informations liées à la santé, aux antécédents judiciaires, etc. Des algorithmes seraient en mesure de sérier les approches juridiques et d’établir un profilage. Nous y sommes évidemment opposés car la justice doit privilégier une approche individualisée de chaque cas, de chaque justiciable.
Le droit à l’oubli nous paraît également essentiel. Le MIT (Massachusetts Institute of Technology) a travaillé sur les récépissés de paiement par carte bancaire de plus de 1 million de personnes et a montré qu’un nombre réduit de données, telles que la date, l’heure et la géolocalisation, permettait d’identifier les clients dans 90 % des cas. On peut imaginer qu’un dispositif similaire soit appliqué aux justiciables.
En outre, l’Union syndicale des magistrats administratifs a appelé notre attention sur le risque de normalisation et de standardisation des conclusions des rapporteurs publics. Ce que vous proposez entraînerait non seulement une surcharge de travail, mais mettrait également fin à l’unicité de traitement de chacune des affaires.
La certification SecNumCloud peut, à terme, représenter une garantie – que nous proposons de renforcer par plusieurs amendements – en matière de souveraineté et de propriété intellectuelle, mais cet apport est loin d’être suffisant.
M. Vincent Ledoux (EPR). Un magistrat me disait que, dans son tribunal, on jugeait des dossiers, non des hommes. Tout ce qui va dans le sens des propositions du rapporteur, autrement dit tout ce qui rapproche la justice de l’humain et l’usager de la justice, est de nature à conforter le caractère de service public de la justice. Les professionnels du droit qui y travaillent se mettent au service des usagers et, plus généralement, de nos compatriotes. En dehors de la matière pénale, la justice traite des problèmes du quotidien, auxquels nous pouvons tous être confrontés, qu’il s’agisse de troubles de voisinage, de nuisances sonores, de conflits avec un locataire ou de questions liées à un divorce, à une pension alimentaire ou au travail.
Les actes qu’il est proposé de communiquer aux parties sont susceptibles d’éclairer la décision de justice, la position du juge, les choix du tribunal. C’est essentiel car la décision est l’aboutissement de tout qui s’est passé au cours du procès. Bien que cela dépende des cas et des juridictions, les tribunaux suivent souvent les conclusions du rapporteur public ; elles donnent souvent une direction et peuvent guider la décision finale. Elles peuvent d’ailleurs influencer la jurisprudence en éclairant les juges sur les questions juridiques soulevées.
Un meilleur accès à ces documents marquerait un progrès incontestable, qui pourrait être accompagné d’autres avancées, comme la communication des conclusions avant l’audience, ce qui permettrait aux parties de mieux préparer leurs arguments et favoriserait une plus grande transparence et un débat plus éclairé. De même, la rédaction d’un résumé serait utile pour comprendre les points clés de l’affaire et remédier au caractère parfois abscons de la parole juridique. Le groupe Ensemble pour la République soutient donc ce texte de bon sens.
M. Philippe Latombe, rapporteur. La diffusion des conclusions du rapporteur public présente un double intérêt. D’une part, le rapporteur joue un rôle essentiel dans la procédure administrative contentieuse : ses conclusions sont suivies dans l’immense majorité des cas, comme nous l’ont indiqué les magistrats que nous avons auditionnés. L’accès aux conclusions éclairerait donc la décision. D’autre part, le rapporteur public est souvent à l’initiative des grandes innovations jurisprudentielles, le droit administratif demeurant en grande partie prétorien. Comme l’a affirmé la CEDH, ces conclusions sont l’un des seuls moyens dont nous disposons pour comprendre le raisonnement qui a conduit à la décision du juge. Les diffuser sera donc précieux pour les justiciables.
Vos objections sont légitimes, mais il me semble que la proposition de loi y répond. Il est prévu que la mise à disposition des conclusions soit réalisée « dans les mêmes conditions que les jugements ». Autrement dit, la protection de la vie privée et la sécurité des magistrats seront garanties de la même façon. On pourrait inférer de votre raisonnement que vous êtes opposé à la diffusion en open data des décisions de justice. La protection repose sur deux piliers : d’une part, l’occultation obligatoire des noms et prénoms des parties ; d’autre part, l’occultation possible de tout autre élément permettant l’identification des parties, des magistrats et des greffiers s’il existe un risque pour la sécurité ou la vie privée de ces personnes.
Les représentants de la Cour de cassation m’ont indiqué qu’un groupe de travail avait été institué afin d’optimiser le régime de protection dans le cadre de la diffusion des décisions de justice. Les solutions techniques qui seront proposées s’appliqueront naturellement à la diffusion des conclusions des rapporteurs publics.
Quant à la réutilisation des données, le régime prévu pour les décisions de justice aura, là encore, vocation à s’appliquer aux conclusions des rapporteurs publics. Ce dispositif prévoit l’interdiction de tout profilage et de toute analyse comparative des tribunaux et des magistrats, sous peine de sanctions pénales, en application de l’article L. 10 du code de justice administrative. Je comprends vos inquiétudes, mais la proposition de loi y répond. Même si le régime applicable peut évoluer à la marge, il est protecteur et a été validé par la Cnil à l’occasion de la publication des décrets d’application.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je ne suis pas convaincu par vos arguments. Je ne vois pas en quoi le dispositif proposé sera utile au justiciable. Vous n’avez pas dit comment cet outil serait utilisé, ni à quelles fins. S’il s’agit d’en faire une sorte d’outil jurisprudentiel, nous y sommes évidemment opposés. En outre, des algorithmes très puissants peuvent croiser les données avec, par exemple, les informations relatées dans la presse quotidienne régionale, ce qui suffirait à identifier les affaires concernées.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL15 de Mme Colette Capdevielle
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le contentieux devant les tribunaux administratifs s’est développé sans que des moyens humains suffisants n’aient été accordés pour faire face à cette évolution. Aussi proposons-nous que les conclusions ne soient mises à la disposition du public que lorsque le rapporteur public les a effectivement déposées par écrit. Il s’agit de rétrécir légèrement le champ de la communication pour tenir compte des préoccupations des magistrats administratifs, qui nous ont alertés sur les difficultés qui se présenteraient lorsque les conclusions du rapporteur public sont présentées oralement. L’oralité est fréquente dans le contentieux de masse, tant en droit des étrangers qu’en droit de l’urbanisme.
M. Philippe Latombe, rapporteur. La rédaction de votre amendement est trop large. Elle laisserait aux magistrats la possibilité de déposer ou non leurs conclusions, ce qui n’est pas l’objet du texte. Il faut distinguer en l’état deux hypothèses.
La première est celle où le rapporteur est dispensé par le président de la formation de jugement de prononcer des conclusions, en application de l’article L. 732-1 du code de justice administrative. Cela concerne notamment certaines affaires peu complexes, qui relèvent du traitement de masse que vous avez évoqué. Dans un tel cas de figure, il n’y a pas de conclusions et donc, par définition, pas de diffusion. Sur ce point, votre amendement est satisfait.
La seconde hypothèse est celle où le rapporteur doit exposer ses conclusions. Certes, les textes ne prévoient pas de formalisme particulier mais les rapporteurs ont quasiment tous un support écrit lorsqu’ils présentent leurs conclusions à l’audience. Comme nous l’ont confirmé les personnes auditionnées, il est très rare qu’un rapporteur public improvise ses conclusions à l’audience.
La plupart du temps, les conclusions sont intégralement rédigées : leur diffusion ne nécessitera donc pas véritablement un travail supplémentaire, d’autant que les parties peuvent demander la communication écrite des conclusions à l’issue de l’audience. Comme nous l’ont dit les magistrats, des avocats demandent les conclusions après la décision pour envisager, éventuellement, de former un appel. La plupart des conclusions sont donc déjà pré-écrites.
Toutefois, un travail de formalisation peut se révéler nécessaire. C’est pourquoi nous vous proposons de différer l’application du texte au 1er janvier 2028, le temps, pour le ministère de la justice, de finaliser la publication des décisions de justice et de développer ou d’améliorer les outils qui permettront aux magistrats de s’affranchir d’un travail supplémentaire – lequel serait assez marginal, d’après les magistrats et les professionnels du droit auditionnés.
Par conséquent, demande de retrait ou avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendement CL16 de M. Jiovanny William
M. Jiovanny William (SOC). Cet amendement vise à ajouter à la liste des documents concernés les avis du Conseil d’État consécutifs à une requête soulevant une question de droit nouvelle. Il est en effet quasiment impossible – même aux professionnels du droit – d’avoir accès à ces avis alors qu’ils enrichissent le droit et sont de nature à prévenir le contentieux, ce qui rejoint l’objectif de la proposition de loi.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Le champ d’application de la proposition de loi ne s’étend pas à l’activité consultative du Conseil d’État : le texte se limite à la diffusion des documents visés par le rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, à savoir, pour l’ordre administratif, les conclusions des rapporteurs publics et, pour l’ordre judiciaire, les rapports des conseillers rapporteurs et les avis des avocats généraux. L’objectif est de se concentrer sur ces documents, afin de concrétiser les engagements du rapport annexé avant d’envisager une nouvelle étape de diffusion, qui inclurait notamment l’activité consultative du Conseil d’État. Si nous introduisions cette disposition dès à présent, cela demanderait un travail supplémentaire important au ministère de la justice : je ne doute pas que vous soyez sensible à cet argument que votre groupe m’a opposé lors de la discussion générale. Avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendement CL17 de Mme Colette Capdevielle
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet amendement vise à préciser que les données sont publiées dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable au moyen d’une machine, afin de faciliter leur utilisation au bénéfice du plus grand nombre.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Votre amendement semble satisfait car les conclusions des rapporteurs seront diffusées dans les mêmes conditions que les décisions de justice administrative, autrement dit sur une plateforme dédiée gérée par le Conseil d’État, à l’issue d’un traitement par des outils d’intelligence artificielle, notamment pour assurer la protection de la vie privée tout en permettant la réutilisation des données. C’est pourquoi nous confions à un décret le soin de préciser les conditions d’application de ces dispositions. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendements CL22, CL21 et CL20 de M. Emmanuel Duplessy (discussion commune)
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement CL22 vise à ce qu’en cas d’absence de conclusions écrites du rapporteur public, une retranscription des propos tenus par ce dernier soit établie et mise à disposition dans les mêmes conditions que celles applicables à la diffusion des conclusions écrites. En outre, l’amendement vise à préciser que le quatrième alinéa de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle n’est pas applicable à ces conclusions afin de mettre un terme au débat théorique sur ce sujet.
L’amendement CL21 ne reprend que le premier volet de l’amendement CL22, et l’amendement CL20 le second.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Je ne suis pas certain qu’il soit pertinent de fixer dans la loi elle-même les modalités de formalisation des conclusions écrites. Il faut laisser de la latitude au rapporteur public. En effet, il souhaitera parfois formaliser ou, à tout le moins, développer ses conclusions à la lumière des propos qu’il a tenus à l’audience tandis que, dans d’autres cas, il préférera que le greffe retranscrive ses propos in extenso. Je ne crois pas qu’il appartienne au législateur de trancher ce point : il doit plutôt faire l’objet d’un texte réglementaire ou être réglé par les magistrats eux-mêmes.
L’application du quatrième alinéa de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle aux conclusions des rapporteurs publics est en effet débattue. Je rappelle que ce code prévoit la cession de plein droit au profit de l’État du droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent public dans le cadre d’une mission de service public. Cependant, l’alinéa 4 de l’article L. 111-1 précise que cette cession ne s’applique pas aux « agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise [...] à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique ». Tel est le cas des rapporteurs publics. Pour autant, il ne ressort pas de mes travaux qu’une exclusion de cette disposition du code de la propriété intellectuelle soit nécessaire pour assurer la diffusion prévue par la proposition de loi. Avis défavorable aux amendements CL22 et CL21. Sagesse quant à l’amendement CL20.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement CL21 vise seulement à ce que, dans le cas où il n’y a pas de conclusions écrites, celles-ci soient in fine publiées, sans prévoir spécifiquement qui sera chargé de leur retranscription. Compte tenu des interrogations que l’on peut avoir sur la volonté de rendre publiques les conclusions du rapporteur lorsqu’elles ne sont pas écrites, nous avons tout intérêt à voter cet amendement pour clarifier les choses.
M. Philippe Latombe, rapporteur. La disposition que vous proposez ne serait pas applicable dans les cas où le rapporteur est dispensé de prononcer des conclusions. Il me paraît préférable de conserver de la flexibilité en s’en tenant à la rédaction actuelle.
L’amendement CL22 est retiré.
La commission rejette l’amendement CL21.
Elle adopte l’amendement CL20.
Amendements CL3, CL6, CL7, CL4 et CL5 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). L’amendement CL3 tend à ce que la publication des conclusions soit subordonnée à l’obtention expresse, en début d’audience, du consentement des parties et du rapporteur public. En effet, le stockage numérique concernera des données personnelles dont traiteront nécessairement les conclusions du rapporteur public. Il faut veiller à la protection de la vie privée des personnes en cause.
L’amendement CL6 prévoit que les conclusions mises à la disposition du public ne mentionnent pas l’identité des parties, leur lieu de résidence, leur activité professionnelle, leur origine ethnique, leurs convictions religieuses, philosophiques et politiques, non plus que le déroulement des faits ou tout autre élément qui pourrait permettre d’identifier les parties.
L’amendement CL7 demande que le budget de la justice soit porté à 0,31 % du PIB, soit le niveau qui, selon nous, permettrait de financer le dispositif proposé. Le budget de la justice a certes augmenté significativement en 2024, mais les crédits sont essentiellement destinés à la construction de places de prison.
L’amendement CL4 a pour objectif que le stockage soit centralisé et ne repose pas sur des bases de données faisant appel à des technologies telles que la blockchain, dans un objectif de préservation de notre souveraineté et de conservation de la propriété de données sensibles.
L’amendement CL5 vise à ce que la base de données ne puisse pas être aspirée par d’autres organisations que le ministère de la justice, lesquelles pourraient les répliquer et les faire échapper aux propriétaires des données.
M. Philippe Latombe, rapporteur. S’agissant de votre souhait de porter le budget à 0,31 % du PIB, j’ai déjà eu l’occasion de dire que la proposition de loi n’a pas pour objet de mener à un « grand soir » en ce qui concerne le ministère de la justice. En revanche, je suis attentif à la charge de travail que peut représenter le dispositif proposé. C’est la raison pour laquelle j’ai pris en compte la demande, formulée par les magistrats au cours des auditions, d’un report de l’application de la loi pour permettre au préalable la mise en œuvre du plan de diffusion des décisions de justice, qui doit s’achever en 2027.
En ce qui concerne l’amendement CL3, la proposition de loi a pour objet d’assurer la diffusion systématique des conclusions du rapporteur public, alors qu’en l’état du droit cette diffusion dépend du bon vouloir du rapporteur. Adopter votre amendement reviendrait à choisir le statu quo. Ces conclusions étant des actes non détachables de l’activité juridictionnelle, il me semble injustifié de faire dépendre leur diffusion du consentement du rapporteur public. Avis défavorable.
S’agissant de l’amendement CL6, j’entends vos craintes, mais je vous rappelle que le régime actuel prévoit, d’une part, l’occultation obligatoire des noms et prénoms des parties et, d’autre part, l’occultation possible de tout autre élément permettant l’identification non seulement des parties mais aussi des magistrats et des greffiers, en cas de risque pour la sécurité ou la vie privée de ces personnes. Je vous propose d’attendre les conclusions du groupe de travail que la Cour de cassation a instauré dans le but d’affiner les dispositifs de protection de la vie privée. Les mesures proposées, qui seront mises en œuvre le cas échéant par la voie réglementaire, s’appliqueront aux décisions de justice comme aux conclusions des rapporteurs publics. Avis défavorable.
Pour ce qui est de l’amendement CL4, la base de données du traitement interne est hébergée sur les serveurs de la Cour de cassation, qui sont intégrés à l’architecture informatique du ministère de la justice. Les données publiques sont hébergées par une société française, Scaleway, dans un centre de données situé en France. La Cour de cassation a pour objectif de faire migrer en 2025 les composants du portail Judilibre vers l’infrastructure Cloud PI sous la responsabilité du ministère de l’intérieur, par le biais d’une convention. Cette infrastructure répond aux exigences de souveraineté et de sécurité définies par le référentiel SecNumCloud, élaboré par l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information). Demande de retrait ou avis défavorable.
Quant à l’amendement CL5, notre objectif est de moderniser la justice, d’offrir un accès aux conclusions des rapporteurs publics et de favoriser, ce faisant, la compréhension des décisions de justice. Cela permettra aux universitaires, aux professionnels du droit et aux journalistes de déterminer si, par exemple, les conclusions des rapporteurs publics sont inspirées par des logiques différentes selon les tribunaux administratifs, à propos d’affaires quasiment identiques. Les magistrats eux-mêmes reconnaissent l’intérêt d’avoir accès aux affaires traitées par les juridictions de première et de deuxième instance, pour mieux appréhender les litiges existants dans les territoires et leur traitement judiciaire. Ils nous demandent de pouvoir utiliser ces systèmes pour travailler sur les enjeux qui émergent. Avis défavorable.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, vous dites qu’un observateur extérieur aurait la possibilité de comparer les logiques ayant prévalu lors de l’examen de tel et tel cas. Votre outil pourrait donc bien être utilisé à des fins prédictives ! Malgré vos explications, je ne vois pas l’intérêt pour le justiciable de rendre les données accessibles. Nous tenons, par ailleurs, à ce que la rédaction retenue intègre des garanties afin d’éviter toute mention relative à l’activité professionnelle, au déroulement des faits, à l’origine ethnique ou aux éléments permettant une identification. Il serait aisé de faire des rapprochements avec des faits mentionnés par la presse quotidienne régionale.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL23 de M. Philippe Latombe
M. Philippe Latombe, rapporteur. Un décret précisera les conditions d’application de cet article, comme c’est le cas pour la mise à disposition des décisions de justice.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 (art. L.7 du code de justice administrative) : Mise à la disposition du public à titre gratuit, sous forme électronique, des rapports des conseillers rapporteurs et des avis des avocats des généraux près la Cour de cassation et enrichissement des modalités de diffusion des arrêts de rejet non spécialement motivés et de non-admission
Amendement de suppression CL8 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous cherchons à protéger le système judiciaire d’une diffusion non contrôlée des données. La proposition de loi poursuit un seul objectif : servir les intérêts de la LegalTech, au risque de fragiliser la sécurité et l’efficacité du système. Ces entreprises ont connu une croissance quasiment exponentielle au cours des dernières années – un essor principalement dû à la loi de 2016 pour une République numérique qui a imposé la mise à disposition du public des décisions de justice en open data, ensuite confortée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Une technologisation dogmatique et sans contrôle imprègne l’ensemble de la proposition de loi et, de manière générale, la politique menée depuis quelques années.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Je reprends les mêmes arguments que précédemment : l’ensemble des dispositifs de protection de la vie privée prévus dans le cadre de la mise à disposition des décisions de justice s’appliqueront à la diffusion des rapports des conseillers rapporteurs et des avis des avocats généraux ; de même, l’encadrement strict de la réutilisation des données vaudra pour ces rapports et avis ; des algorithmes qui auraient pour objet de comparer les pratiques des magistrats ou de faire du benchmarking de tribunaux tomberaient sous le coup de la loi pénale. Vos craintes me semblent donc infondées.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je m’étonne toujours que vous ne cherchiez jamais à mettre des garde-fous à des dispositifs qui n’ont pas de limites. Soit, le benchmarking est interdit mais encore faudra-t-il réussir à prouver que des gens y ont recours, ce qui sera impossible. Fixer des garde-fous est d’autant plus nécessaire en des temps sujets à des tentations répressives à l’égard des citoyens.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL18 de Mme Émeline K/Bidi
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Nous proposons d’ajouter aux différents documents à publier les opinions dissidentes des juges de la Cour de cassation. Il existe une sorte de défiance du justiciable vis-à-vis de la justice : on reproche de plus en plus aux juges les décisions rendues, suspectant des accords qui ne seraient pas l’expression de la loi. Cet amendement permettrait d’enrichir le débat et de lever le doute.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Cela ne fait pas partie de notre tradition juridique. Le Conseil constitutionnel ne publie pas les opinions divergentes de ses membres, contrairement à la Cour suprême des États-Unis, par exemple. L’institutionnalisation d’une telle pratique ne saurait se faire au détour de cette proposition de loi. Notre commission doit mener une réflexion plus poussée, et sans doute des consultations, dans la mesure où l’évolution que vous proposez toucherait au principe même de la collégialité.
Mme Colette Capdevielle (SOC). C’est en effet une tradition française de ne pas publier des opinions séparées. Un débat sur ce sujet anime, néanmoins, toute la communauté judiciaire et juridique. Diffuser des conclusions d’un rapporteur public qui n’auraient pas été suivies ne serait pas forcément une atteinte à la collégialité. Publier une opinion dissidente serait également intéressant si l’on veut qu’il y ait un débat et que la jurisprudence évolue. Nous voterons cet amendement afin que la question soit posée en séance.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Je rappelle que nous appliquons la procédure de législation en commission. Pour le reste, nous devons en effet ouvrir le débat mais pas dans le cadre de cette proposition de loi. Je redis également que le rapporteur public ne participe pas à la formation de jugement. Vous demandez la publication d’éventuels avis divergents de magistrats qui, eux, y participent. Cela toucherait à la collégialité par la personnalisation d’une partie du jugement. Nous avons besoin à cet égard de l’avis du Conseil d’État et d’auditions spécifiques.
M. Philippe Gosselin, président. La volonté de réfléchir à cette question est actée.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL9, CL13, CL14, CL11 et CL12 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). J’ai déposé la même série d’amendements qu’à l’article 1er, afin de prévoir des protections pour les parties et les magistrats, de limiter les risques de recours de justiciables ou de professionnels de la justice en raison de détournements des données et d’exiger le consentement préalable de tous les intéressés. Cette proposition de loi, dont l’objectif réel continue à m’échapper, risque sinon d’être mise en défaut.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Pour les mêmes raisons que précédemment, je vous suggère de retirer l’amendement CL11. Avis défavorable aux autres.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Si vous voulez que cette proposition de loi soit efficiente, il faut absolument l’assortir de garanties.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL25 de M. Philippe Latombe
M. Philippe Latombe, rapporteur. Cet amendement vise, d’abord, à supprimer une référence à un article du code de procédure civile, qui est de nature réglementaire. Il ne serait pas opportun d’avoir à changer la loi à chaque fois que le pouvoir réglementaire apporte une modification en la matière.
Je propose aussi de supprimer une référence au code de procédure pénale. L’objectif est de permettre de rendre plus intelligibles les arrêts de la Cour de cassation qui ne donnent pas lieu à une motivation approfondie. Nous prévoyons ainsi que les moyens invoqués par le demandeur soient annexés aux arrêts, comme c’était le cas de 1986 à 2023. Cependant, il ressort de mes travaux que, durant cette période, les moyens ne faisaient l’objet d’une reproduction que pour les arrêts rendus en matière civile. En matière pénale, la représentation n’est pas obligatoire, de sorte que les moyens du demandeur ne sont soumis à aucun formalisme précis – le recours à un support électronique n’est même pas exigé. Dans ces conditions, il est délicat de demander la reproduction des moyens, comme le fait la proposition de loi.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement CL24 de M. Philippe Latombe
M. Philippe Latombe, rapporteur. Je propose que la loi entre en vigueur le 1er janvier 2028, afin de laisser au ministère le temps de finir le déploiement de la diffusion des décisions de justice et de disposer des outils qui permettront aux magistrats de travailler dans de bonnes conditions.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL19 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Nous proposons que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’opportunité de créer une autorité chargée de contrôler l’utilisation des données, afin de répondre aux alertes lancées par le Conseil d’État, le Conseil national des barreaux et l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation sur la nécessité de réguler l’exploitation algorithmique des données judiciaires.
M. Philippe Latombe, rapporteur. Le Parlement a les moyens d’enquêter sur ce sujet, par le biais d’une mission d’information, par exemple. Qui plus est, l’autorité de contrôle à laquelle vous faites référence existe déjà : il s’agit de la Cnil, qui a rendu un avis, le 7 décembre 2023, sur le dispositif de traitement automatisé institué pour la mise à disposition des décisions de justice. Toute modification fera l’objet d’une délibération de la Cnil, qui pourra mener les contrôles ad hoc et, le cas échéant, sanctionner un dispositif qui ne serait pas conforme en matière de protection des données personnelles. Par conséquent, demande de retrait.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Il ne s’agit pas que de la protection des données personnelles. Je ne suis pas convaincu que la Cnil couvre l’ensemble des risques induits par ce texte. Si vous dites que c’est le cas et que la Cnil remplit parfaitement ses missions en la matière, très bien, mais pourquoi refuser un rapport du gouvernement ?
M. Jordan Guitton (RN). Nous nous opposerons à cet amendement. La Cnil existe déjà. Au lieu de multiplier les autorités indépendantes, nous devrions faire un peu de ménage parmi les 1 200 qui sont déjà en place et appliquer un moratoire. Tout cela nous coûte un pognon de dingue, pour reprendre une formule bien connue – mais c’est le propre de la gauche de dépenser.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Encore une incohérence du Rassemblement national ! Il faudrait rejeter cet amendement parce que la Cnil permettra d’éclairer les effets de la proposition de loi ; dans le même temps, vous ne cessez de dire sur les plateaux de télé qu’il faut se débarrasser des autorités administratives indépendantes, comme la Cnil, la Défenseure des droits, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et l’Office français de la biodiversité (OFB).
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant l’ouverture avancée des données judiciaires (n° 806) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport
M. Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général
M. Rémy Schwartz, conseiller d’État, président adjoint de la section du contentieux
M. Alexandre de Bosschère, secrétaire général adjoint
M. Jean-Régis Catta, chef de service adjoint au service de l’expertise et de la modernisation (SEM)
M. Gildas Berthelot, directeur projet OPEN au service de l’expertise et de la modernisation (SEM)
Mme Sandrine Zientara, directrice
Conseil national des Barreaux (CNB)
Mme Hélène Laudic Baron, vice-présidente
Mme Anne-Charlotte Varin, directrice des affaires publiques
Barreau de Paris
M. Antoine Lafon, avocat
M. Simon Dubois, avocat
Conférence des bâtonniers
M. Serge Deygas, avocat
Mme Anne-Sophie Picque, présidente
M. Nicolas Connin, secrétaire général
M. Hervé Cozic, secrétaire général adjoint
M. Virgile Nehring, secrétaire général
Mme Gabrielle Maubon, membre du conseil
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES REçUES
([1]) Article L. 111-1 du code de l’organisation judiciaire : « Les juridictions judiciaires rendent leurs décisions au nom du peuple français ». Article L. 2 du code de justice administrative : « Les jugements sont rendus au nom du peuple français ».
([2]) CEDH, Axen c. RFA, 8 décembre 1983, paragraphe 25.
([3]) Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, rapport annexé, § 2.6.1.
([4]) Article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
([5]) CE, 4 octobre 1974, Dame David.
([6]) Article L. 6 du code de justice administrative : « Les débats ont lieu en audience publique » ; article L. 10 du même code : « Les jugements sont prononcés publiquement. Ils mentionnent les noms des juges qui les ont rendus. (…) ».
([7]) Articles 11-1 et 11-2 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l'exécution et relative à la réforme de la procédure civile, en matière civile ; articles 306, 400 et 535 du code de procédure pénale, en matière pénale.
([8]) Loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 instaurant la gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives.
([9]) Cass. civ. 1, 25 avril 2006, n° 05-16 345. Voir aussi CEDH, 22 février 1984, Sutter c. Suisse, paragraphe 34.
([10]) Articles L. 111-14 du code de l’organisation judiciaire et L. 10-1 du code de justice administrative.
([11]) Ibid.
([12]) CE, 30 avril 2024, n° 468513. Voir Baptiste Nicaud, « Nouveau coup de frein à l'accès de masse aux décisions judiciaires en matière pénale », Dalloz actualité, 4 juin 2024.
([13]) Jérémy Jourdan-Marques, « La publicité des décisions de justice en matière civile à l’épreuve de la numérisation », 1er juillet 2021, Lexbase : « Pour l’anecdote, nous avons déposé en janvier 2020 quatre demandes de communication de décisions devant un tribunal judiciaire. Un an plus tard, nous n’avons reçu qu’une seule des quatre décisions. Et encore a-t-il fallu que le greffier nous contacte pour demander la raison de notre demande et de vérifier auprès de son magistrat s’il était possible de l’envoyer. Autrement dit, c’est du temps perdu pour tout le monde et l’ajout d’exigences contraires au code ».
([14]) Décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par internet.
([15]) Ibid.
([16]) Pour l’ordre judiciaire, le même principe est énoncé à l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire.
([17]) L’article 11-2 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l'exécution et relative à la réforme de la procédure civile dispose que les jugements suivants ne sont pas prononcés publiquement : « 1° En matière gracieuse ; 2° Dans les matières relatives à l'état et à la capacité des personnes déterminées par décret ; 3° Dans les matières intéressant la vie privée déterminées par décret ; 4° Dans les matières mettant en cause le secret des affaires dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 153-1 du code de commerce ».
([18]) Ce qui exclut par exemple les décisions rendues par la Cour nationale du droit d’asile.
([19]) Arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l'article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.
([20]) Décret n° 2021-1276 du 30 septembre 2021 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Décisions de la justice administrative » et « Judilibre ».
([21]) Arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l'article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.
([22]) 541 000 décisions de la Cour de cassation ; 415 000 des cours d’appel ; 100 000 des tribunaux judiciaires.
([23]) 27 000 décisions du Conseil d’État ; 76 000 des cours administratives d’appel ; 472 000 des tribunaux administratifs.
([24]) Les consultations sont en revanche plus limitées pour les décisions de justice administrative, avec 75 000 visites du portail « opendata.justice-administrative.fr » de février 2024 à février 2025.
([25]) Articles L. 111-13 et R. 111-12 du code de l’organisation judiciaire ; articles L. 10 et R. 714-14 du code de justice administrative.
([26]) Eric Sagalovitsch, « Pour une évolution du statut juridique des conclusions du rapporteur public », AJDA 2018. P. 607.
([27]) CEDH, Kress c./ France, 7 juin 2001, n° 39594/98. Arrêt certes rendu à une époque où la motivation des décisions du Conseil d’État était plus succincte qu’aujourd’hui.
([28]) Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, rapport annexé, § 2.6.1.
([29]) Le Conseil constitutionnel a en effet, par une décision n° 2006-208 L du 30 novembre 2006, considéré que cette appellation avait un caractère réglementaire.
([30]) Article L. 7 du code de justice administrative.
([31]) CE, 21 juin 2023, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352427.
([32]) CEDH, Kress c./ France, 7 juin 2001, n° 39594/98.
([33]) Réponses du Conseil d’État au questionnaire de votre rapporteur. Le Conseil d’État précise qu’« il est en revanche impossible de dire, même de manière approximative, les cas où la formation de jugement a suivi le même raisonnement que son rapporteur public (on peut en arriver à rejeter ou annuler comme il le proposait, mais pour des raisons différentes ou en suivant un autre chemin) ».
([34]) Article R. 732-1-1 du code de justice administrative : « Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : 1° Permis de conduire ; 2° Refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ; 3° Naturalisation ; 4° Entrée, séjour et éloignement des étrangers, à l'exception des expulsions ; 5° Taxe d'habitation et taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel au sens de l'article 1496 du code général des impôts ainsi que contribution à l'audiovisuel public ; 6° Prestation, allocation ou droit attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi ; 7° Désignation des électeurs sénatoriaux ; 8° Injonctions de retrait prises sur le fondement des articles 3 et 4 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 ».
([35]) Article R. 711-3 du code de justice administrative.
([36]) CE, 21 juin 2023, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352427 : « Considérant que l'exercice de cette fonction [de rapporteur public] n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction ; qu'il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public -qui peuvent d'ailleurs ne pas être écrites- n'ont à faire l'objet d'une communication préalable aux parties ».
([37]) Articles R. 732-2 et 733-3 du code de justice administrative.
([38]) CE, ord. 20 janvier 2005, Hoffer, n° 276625 : « Considérant que si lors de leur prononcé, les conclusions du commissaire du gouvernement revêtent un caractère public, le texte écrit qui leur sert, le cas échéant, de support n'a pas le caractère d'un document administratif (…) qu'il est loisible cependant au requérant comme à toute personne d'en solliciter la communication auprès du commissaire du Gouvernement qui a porté la parole à l'audience, lequel restera cependant libre d'apprécier la suite à donner à une pareille demande ».
([39]) CE, 26 janv. 1990, Vincent, n° 104236 : « Considérant que les conclusions du commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives constituent des actes non détachables de la procédure juridictionnelle, qui, au même titre que les jugements, ordonnances et décisions rendues par ces juridictions n'ont pas le caractère de documents administratifs ».
([40]) Décret n° 94-980 du 14 novembre 1994 relatif à la délivrance de documents par le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs et arrêté du 24 octobre 2005 fixant le montant des redevances perçues en contrepartie de la délivrance de documents par le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs. Les catégories de demandeurs suivants sont toutefois exonérées de ces redevances : les institutions et les services de l’État ; les universités et autres établissements d’enseignement supérieur ; les organes de presse écrite et audiovisuelle ; les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour les conclusions prononcées devant le Conseil d'État et le Tribunal des conflits.
([41]) Présentation d’Ariane Web sur le site du Conseil d’État.
([42]) Article L. 10 du code de justice administrative.
([43]) Éric Sagalovitsch, Pour une évolution du statut juridique des conclusions du rapporteur public, AJDA 2018, 607.
([44]) Isabelle de Silva, « Les conclusions, fragments d'un discours contentieux », in Mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois. Le dialogue des juges, Dalloz, 2008, p. 361, cité dans Éric Sagalovitsch, « Pour une évolution du statut juridique des conclusions du rapporteur public », AJDA 2018, p. 607.
([45]) Amendement n° CL20.
([46]) Article L. 131-3-1 du code de la propriété intellectuelle : « Dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, le droit d'exploitation d'une œuvre créée par un agent de l'État dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l'État ».
([47]) Réponses du Conseil d’État au questionnaire de votre rapporteur.
([48]) Amendement n° CL23.
([49]) Décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.
([50]) Articles 1012 et 1013 du Code de procédure civile.
([51]) Didier Boccon-Gibod, « Le rôle du paquet général de la Cour de cassation », Les Cahiers de la justice 2015/3.
([52]) François Cachelot, « Le rôle du conseiller rapporteur à la Cour de cassation », Justice et Cassation 2008, p.175.
([53]) Article L. 432-1 du code de l’organisation judiciaire.
([54]) Didier Boccon-Gibod, « Le rôle du paquet général de la Cour de cassation », Les Cahiers de la justice 2015/3.
([55]) Réponses de la Cour de cassation au questionnaire de votre rapporteur.
([56]) Ibid.
([57]) Ibid.
([58]) Réponses de la Cour de cassation au questionnaire de votre rapporteur.
([59]) Ibid.
([60]) Amendement n° CL25.
([61]) Amendement n° CL24.