N° 1004

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,


visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale (n° 823)

PAR Mme Louise MOREL

Députée

——

 

 

 

 


 


SOMMAIRE

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Pages

Introduction............................................... 5

I. l’indivision successorale est en principe une situation transitoire avant un partage

1. L’indivision successorale est en principe une situation transitoire

2. Pour faire face à l’allongement de certaines indivisions, la loi en a progressivement assoupli les modalités de gestion

3. L’indivision doit déboucher sur un partage

II. Face à la persistance de certaines indivisions, le législateur a prévu des régimes dérogatoires visant à en faciliter la sortie

1. L’aliénation à la majorité des deux tiers avec l’autorisation du tribunal judiciaire

2. Les autres procédures spéciales du droit commun pour surmonter un indivisaire taisant ou absent

3. La faculté de prendre des actes de disposition à la majorité des deux tiers pour les biens en indivision situés en Corse

4. L’aliénation à la majorité simple pour les biens situés dans certaines collectivités d’outremer

COMMENTAIRE des articles

Article 1er Rapport sur la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés

Article 1er bis (nouveau) (art. 809-1 du code civil) Publicité numérique de l’ordonnance judiciaire de désignation de l’État comme curateur dans une succession vacante

Article 2 (art. 815-5-2 [nouveau] du code civil) Favoriser la sortie des indivisions bloquées du fait d’une succession vacante

Article 3 (art. 815-5-1 du code civil) Extension à l’ensemble du territoire nationale du régime applicable dans certaines collectivités d’outremer institué par la loi dite « Letchimy »

Article 4 Institution d’un partage judiciaire par voie de juridiction gracieuse selon les modalités applicables dans le droit local alsacien mosellan

Article 5 (nouveau) Rapport faisant le bilan de la loi du 27 décembre 2018 dite « loi Letchimy »

Article 6 (nouveau) Rapport sur le partage judiciaire par la voie de juridiction gracieuse en AlsaceMoselle

Comptes rendus des débats

1. Première réunion du mercredi 19 février 2025 à 8 heures 30

2. Troisième réunion du mercredi 19 février 2025 à 17 heures 30

Personnes entendues

 


 

 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Les sujets les plus techniques peuvent parfois aussi revêtir des aspects très concrets pour nos concitoyens. C’est le cas de l’indivision, et particulièrement l’indivision successorale. Les élus locaux sont régulièrement confrontés à des biens immeubles qui ne sont manifestement plus entretenus et commencent à se délabrer sur le territoire de leur commune. Ces biens peuvent être bloqués dans des indivisions durables causées par la mésentente entre certains indivisaires, leur inertie ou même une identité ou une adresse inconnues. Et, au-delà des problématiques locales, toute personne peut se retrouver dans une situation d’indivision difficile à régler. C’est donc un important sujet d’intérêt général qui justifie une action législative.

Le caractère complexe, lent voire méconnu des procédures de sortie de l’indivision peut expliquer ces indivisions persistantes. D’abord, pour disposer d’un bien indivis, c’est-à-dire le partager ou le vendre, il faut en principe réunir l’unanimité des indivisaires. Ce principe ancien a connu certains tempéraments législatifs mais, dans un rapport de 2021, l’Inspection générale de la justice avait identifié les partages judiciaires des indivisions parmi les « dossiers civils lents et complexes » ([1]) qu’il conviendrait de réformer.

Plusieurs perspectives d’évolution existent. Des procédures plus souples et plus efficaces de sortie de l’indivision s’appliquent sur le territoire de certaines collectivités : en Corse, en Outre‑mer, ou en Alsace‑Moselle. Certes, les situations foncières locales particulières justifient ces droits dérogatoires, notamment en Corse et en Outre‑mer. Toutefois, cette proposition de loi a été déposée avec la conviction que la loi de la République peut s’inspirer de ces droits locaux qui fonctionnent parfois mieux que le droit commun.

Tout en préservant le droit de propriété, protégé par le bloc de constitutionnalité, cette proposition de loi propose donc de faciliter la sortie de l’indivision successorale en prenant appui sur des constructions juridiques qui ont réussi dans certains de nos territoires.

I.   l’indivision successorale est en principe une situation transitoire avant un partage

1.   L’indivision successorale est en principe une situation transitoire

L’indivision peut être définie comme la situation juridique qui existe, jusqu’au partage d’une chose (immeuble acquis en commun) ou d’un ensemble de choses (masse successorale, communauté dissoute), entre ceux qui ont sur cette chose ou cet ensemble un droit de même nature (propriété, nue-propriété, usufruit), chacun pour une quote-part (égale ou inégale), aucun n’ayant de droit privatif cantonné sur une partie déterminée et tous ayant des pouvoirs concurrents sur le tout (usage, jouissance, disposition) ([2])

L’indivision peut résulter d’une volonté des parties ; elle est alors souvent d’origine familiale, comme dans le cas du pacte civil de solidarité (PACS) ([3]) ou du mariage sous le régime de la séparation de biens ([4]). L’indivision peut également résulter de la dissolution de la communauté entre époux ([5]) ou de la mort, les héritiers du défunt qui ont accepté la succession se trouvant en situation d’indivision jusqu’au partage des biens.

L’indivision successorale est ainsi caractérisée par la coexistence de plusieurs personnes ayant des droits de même nature sur la même masse successorale et donc un intérêt commun. Elle constitue en principe une situation transitoire qui a vocation à s’achever par un partage.

En effet, le postulat économique historique qui a longtemps inspiré la loi était que l’indivision ne permettait pas d’exploiter correctement les biens : « dans un système « communiste » tel que l’indivision, l’initiative individuelle ne peut pas se développer librement et chaque indivisaire est incité à l’incurie » ([6]) . Dans le code Napoléon, « l’indivision était un état précaire, ni organisé, ni même réglementé ».

2.   Pour faire face à l’allongement de certaines indivisions, la loi en a progressivement assoupli les modalités de gestion

Dans les faits, l’indivision, particulièrement lorsqu’elle est successorale, peut s’inscrire dans la durée pour des raisons familiales ([7]) ou économiques ([8]). C’est pourquoi les réformes législatives successives de 1976 ([9]), 2006 ([10]) et 2009 ([11]) ont donné un véritable statut à l’indivision.

Contrairement à une société, l’indivision ne dispose pas de la personnalité morale, elle ne peut agir par elle‑même. Le principe traditionnel de l’unanimité prévoyait que la gestion de l’indivision nécessite le consentement de tous les indivisaires. La loi de 1976 a conservé ce principe en prévoyant quelques aménagements. Allant plus loin, les lois de 2006 et 2009 ont abouti à l’état actuel du droit, qui distingue trois catégories d’actes.

Les actes conservatoires peuvent être pris par un indivisaire seul sans habilitation particulière, même en l’absence d’urgence. Ce sont « les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis » ([12]). Ces actes ont pour objet de soustraire le bien indivis à un péril sans compromettre les droits des autres indivisaires. Il peut s’agit d’actes juridiques ou matériels.

Les actes d’administration exigent une majorité des deux tiers des droits indivis, depuis la loi du 13 juin 2006 ([13]), à charge d’en informer les autres indivisaires. L’abandon du principe d’unanimité pour les actes d’administration était destiné à « dynamiser la gestion des biens ». Il s’agit des actes qui relèvent de l’exploitation normale des biens indivis ([14]) . Avec cette même majorité, il est possible de donner à un indivisaire ou à un tiers un mandat général d’administration. Cette majorité couvre aussi deux catégories d’actes « à la lisière de l’administration et de la disposition » : la vente des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision, et la conclusion, le renouvellement des baux autres que ceux portant sur un usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Les actes de disposition sont toujours régis par le principe d’unanimité. Les actes de disposition sont définis comme ceux qui « ne ressortissent pas à l’exploitation normale des biens indivis » ([15]) . La sanction d’un acte de disposition pris de manière irrégulière devrait être la nullité, mais la sanction n’est pas toujours aisée à déterminer dans la jurisprudence.

 

3.   L’indivision doit déboucher sur un partage

La sortie d’une indivision ne se fait pas par l’aliénation d’un ou plusieurs biens ([16]), mais par le partage. En effet, en cas d’aliénation, les indivisaires restent en indivision sur le prix de vente. Le partage peut être fait en nature (partage par lot) ou, une fois le bien vendu, en valeur (partage des fruits de la vente).

Le partage est l’opération par laquelle les copropriétaires d’un bien ou d’une universalité (succession, communauté) mettent fin à l’indivision, en attribuant à chaque copartageant, à titre privatif, une portion concrète de biens (terrain, titres, argent liquide, bijoux) destinés à composer son lot ([17]). Le partage permet ainsi de remplacer des droits indivis par des droits privatifs, en constituant des lots et en les attribuant aux indivisaires, en fonction de leurs droits dans l’indivision.

Les règles du partage prévues dans le code civil concernent les partages de toute indivision, quelle qu’en soit la cause.

Pour pouvoir procéder au partage, il convient d’abord de chiffrer la masse à partager et les droits des indivisaires dans cette masse (phase appelée la « liquidation »). Dans cette phase, les droits des indivisaires sont déterminés soit par la loi ([18]) soit par le testament établi par le de cujus (le défunt). Une fois que les droits de chacun dans l’indivision ont été calculés, dans le cadre du partage, chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ([19]) .

La personne en charge de procéder aux opérations de partage constitue ensuite autant de lots qu’il est nécessaire pour répartir les droits entre les indivisaires, en s’efforçant d’éviter de diviser les unités économiques et autres ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait la dépréciation ([20]) .

Les héritiers répartissent ensuite les lots entre eux d’un commun accord ou par tirage au sort. Certains héritiers peuvent demander à bénéficier d’une attribution préférentielle de certains biens.

Le principe est que le partage a lieu à l’amiable. Dans ce cas, le partage peut intervenir dans la forme et selon les modalités choisies par les parties ([21]). La forme authentique est requise pour les actes de partage qui portent sur des immeubles ou des droits immobiliers. Toutefois, le défaut d’authenticité de l’acte n’affecte pas sa validité. Selon la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), « il y a des raisons de penser qu’une partie des partages amiables sont réalisés hors la présence d’un notaire, par acte sous seing privé ou même verbalement. »

En cas d’impossibilité de recourir au partage amiable, par exemple en raison du refus de l’un des indivisaires de consentir à ce partage, celui-ci est alors judiciaire ([22]). Étant précisé qu’à tout moment, les copartageants peuvent abandonner les voies judiciaires et poursuivre le partage à l’amiable si les conditions prévues pour un partage de cette nature sont réunies ([23]) .

Lorsque le partage judiciaire a lieu, la juridiction saisie choisie de recourir à l’une des deux procédures prévues par le code de procédure civile :

– le partage judiciaire dit « simple » dans lequel le tribunal ordonne le partage, ou la vente par licitation si tous les indivisaires sont capables et présents ou représentés ; la désignation d’un notaire est alors facultative ([24])  ;

– le partage judiciaire dit « complexe » dans lequel le tribunal désigne un notaire et un juge, nommés notaire commis et juge commis ([25]) .

Selon la DACS, en pratique, la procédure de partage judiciaire complexe est la plus utilisée.

 

Partage judiciaire selon la procédure « complexe »

Saisi par voie d’assignation au greffe du tribunal judiciaire, le tribunal désigne ensuite le notaire commis issu du choix effectué par les copartageants ou à défaut par la juridiction. En pratique, il est fréquent que les juridictions mettent en place des listes de notaires volontaires pour être désignés en qualité de notaires commis.

Le notaire commis doit parvenir à établir un projet de partage. Il n’agit pas ici comme conseil des parties mais comme auxiliaire du tribunal. Il peut instruire les demandes des parties pour favoriser le règlement amiable des désaccords.

Il convoque les parties, demande la production de tout document utile, rend compte au juge des difficultés rencontrées et également, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, s’adjoindre un expert.

Le notaire peut demander au juge commis de convoquer les parties pour tenter une conciliation devant le juge, en la présence du notaire.

Le notaire qui se heurte à l’inertie d’un indivisaire peut le mettre en demeure, par acte extrajudiciaire, de se faire représenter. Faute pour l’indivisaire d’avoir constitué mandataire dans les trois mois de la mise en demeure, le notaire peut demander au juge de désigner toute personne qualifiée qui représentera le défaillant jusqu’à la réalisation complète des opérations (article 841-1 du code civil). Il semblerait qu’en pratique, cette possibilité soit peu utilisée.

Dans un délai d’un an suivant sa désignation, le notaire est tenu d’établir un projet d’état liquidatif qui établit les comptes entre les copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir. Lorsque le notaire parvient à concilier les parties et à établir un acte de partage, les parties peuvent décider d’abandonner la procédure de partage judiciaire au profit d’un partage amiable, dès lors que les conditions prévues pour un partage de cette nature sont réunies (article 842 du même code). Dans ce cas, le notaire en informe le juge commis qui constate la clôture de la procédure.

Le juge commis veille au bon déroulement des opérations de partage réalisées par le notaire, et au respect des délais impartis. Il peut ordonner toute mesure de nature à faciliter le bon déroulement de la mission du notaire. Il peut tenter une ultime conciliation en cas de désaccord. En cas de désaccord persistant, c’est le tribunal qui statue en fin de procédure. Le tribunal homologue ensuite le projet d’état liquidatif établi par le notaire en s’assurant qu’il est conforme à sa décision.

Source : éléments transmis par la DACS.

Ce partage a un coût pour les parties : aux émoluments facturés par les notaires, il convient également d’ajouter pour les partages portant sur des biens immobiliers le « droit de partage », prélevé par l’administration fiscale, qui correspond à un pourcentage de la valeur de la succession.  En cas de partage judiciaire, la postulation par avocat est obligatoire. Il faut donc ajouter le coût de l’intervention de l’avocat, librement fixé entre celui-ci et son client.

Si le partage, en principe amiable, devient judiciaire, cela entraîne généralement un allongement de la durée du règlement de la succession.

Pour limiter le recours au partage judiciaire, le législateur a favorisé le partage amiable en l’autorisant dans des situations qui, sous le droit antérieur, impliquaient un partage judiciaire ([26]). Ainsi, l’article 837 du code civil permet désormais de surmonter la défaillance d’un indivisaire afin de procéder au partage amiable d’une indivision successorale. Un copartageant peut mettre l’indivisaire défaillant en demeure de se faire représenter au partage amiable dans un délai de trois mois. À défaut, le juge peut, sur demande de l’un des copartageants, désigner une personne qualifiée pour représenter l’indivisaire défaillant et autoriser celle-ci à consentir au partage au nom de cet indivisaire. Il en résulte une accélération du partage de la succession.

Si le partage est devenu judiciaire, et si le notaire commis se heurte à l’inertie d’un indivisaire, il peut aussi le mettre en demeure de se faire représenter. À défaut, le juge peut désigner une personne qualifiée qui représentera le défaillant jusqu’à la réalisation complète des opérations ([27]) .

Ces dispositions peuvent permettre de surmonter la situation dans laquelle un indivisaire se montre récalcitrant à se présenter au partage amiable et de favoriser la sortie d’une indivision. Mais selon les informations transmises par le Conseil supérieur du notariat, « ces procédures sont trop lourdes, trop longues et complexes, onéreuses et peu inefficaces car les acteurs les évitent. »

Le Gouvernement avait indiqué en 2023 avoir engagé une réflexion fondée sur le rapport de l’inspection générale de la justice sur le traitement des dossiers civils longs et complexes (décembre 2021) ([28]) , afin de simplifier les procédures de partage judiciaire des indivisions ([29]) .

 

II.   Face à la persistance de certaines indivisions, le législateur a prévu des régimes dérogatoires visant à en faciliter la sortie

Plusieurs procédures dérogent au principe d’unanimité pour favoriser la sortie d’indivisions, notamment issues de succession. En plus des dispositions visant à surmonter l’inertie d’un indivisaire dans un partage amiable ou judiciaire évoquées ci‑dessus (articles 837 et 841-1 du code civil), le législateur a institué plusieurs voies spécifiques dans le droit commun, ainsi que des régimes dérogatoires dans certains territoires affectés par des situations d’indivision très particulières (Outre‑mer et Corse).

1.   L’aliénation à la majorité des deux tiers avec l’autorisation du tribunal judiciaire

La loi du 12 mai 2009 ([30]) a introduit une nouvelle procédure assouplissant le principe de l’unanimité. Le nouvel article 815‑5‑1 du code civil, issu de cette loi, permet aux indivisaires titulaires de la majorité des deux tiers des droits indivis d’aliéner un bien avec l’autorisation du tribunal judiciaire. Ces derniers doivent au préalable exprimer leur intention devant un notaire. Dans un délai d’un mois, celui-ci fait signifier cette intention aux autres indivisaires. En cas d’opposition de ces derniers ou en l’absence de toute manifestation de leur part au terme d’un délai de trois mois, le notaire en dresse procès-verbal. Le tribunal judiciaire peut alors autoriser la vente de l’immeuble par licitation, s’il estime que « celle-ci ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires », c’est-à-dire ceux qui ne sont pas à l’initiative du projet.

Sur l’atteinte excessive aux droits des autres indivisaires, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation. « Le tribunal (...) pourrait refuser d’autoriser la vente, par exemple d’une maison de famille, si le préjudice moral causé aux indivisaires qui s’y opposent, alors qu’ils contribuent régulièrement à son entretien, était trop important » ([31]) .

L’aliénation effectuée dans les conditions fixées par le tribunal judiciaire est opposable à l’indivisaire dont le consentement fait défaut (sauf si l’intention d’aliéner le bien ne lui avait pas été signifiée selon les modalités exigées par la loi).

La DACS ne dispose pas de statistiques sur la mise en œuvre de cette disposition par les praticiens. Selon les éléments transmis par le Conseil supérieur du notariat, « la procédure n’est pas régulièrement ou très souvent utilisée. Le notaire arrive souvent à concilier les parties avant d’avoir à mettre en œuvre cette procédure ».

2.   Les autres procédures spéciales du droit commun pour surmonter un indivisaire taisant ou absent

En premier lieu, un indivisaire peut être habilité à passer « certains actes particuliers » lorsqu’un coïndivisaire est hors d’état de manifester sa volonté ([32]).

Un indivisaire peut être autorisé par la justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire si son refus met en péril l’intérêt commun ([33]).

Le président du tribunal judiciaire peut prescrire ou autoriser « toutes mesures urgentes que requiert l’intérêt commun » ([34]) .

Le juge peut désigner un mandataire successoral à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale ([35]).

Ce mandataire peut être autorisé à prendre des actes de disposition de la succession, donc le cas échéant à vendre des biens indivis, si c’est nécessaire « à la bonne administration de la succession » ([36])

Ces outils qui correspondent à des situations particulières ne paraissent pas de nature à répondre au problème général d’une indivision persistante liée à l’inertie d’un ou plusieurs indivisaires ou à une mésentente entre certains d’entre eux.

3.   La faculté de prendre des actes de disposition à la majorité des deux tiers pour les biens en indivision situés en Corse

Pour des raisons historiques, la Corse connaît une situation souvent qualifiée de « désordre foncier » caractérisée par l’existence de nombreux biens immobiliers à la situation juridique incertaine. Cette situation est le résultat de plus de deux siècles de législations d’exception.

 

Le désordre foncier en Corse

L’arrêté du 21 prairial an IX (10 juin 1801) dit « arrêté Miot » prévoyait pour la Corse un calcul forfaitaire des droits de succession (plutôt que sur la valeur des biens) et supprimait les pénalités pour défaut de déclaration d’héritage. Cet arrêté répondait notamment à la prédominance coutumière des indivisions et des successions orales. Cette législation d’exception a cependant favorisé un très faible taux de déclaration des successions en Corse, et donc des successions non réglées sur plusieurs générations. Presque un tiers des parcelles du territoire Corse sont aujourd’hui enregistrées comme appartenant à une personne née avant 1910, donc présumée décédée. Les terrains sont alors souvent partagés en indivisions de fait, impliquant parfois plusieurs dizaines d’héritiers potentiels, qui ne peuvent en conséquence exercer leurs droits sur les biens concernés.

Selon les termes du rapporteur de cette proposition de loi, « cette situation entrave l’application normale des règles du droit civil (en matière successorale et de donations entre vifs), limite les possibilités de recours au crédit (faute de pouvoir faire valoir un titre de propriété), fait obstacle à la mise en œuvre de certaines obligations légales (comme celle de débroussaillement pour la prévention des incendies), empêche l’exploitation et la mise en valeur des lieux concernés et réduit les recettes fiscales perçues par les collectivités publiques. »

Source : rapport de M. Xavier Albertini n° 843 sur la proposition de loi visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété.

 

Pour faciliter la gestion de ces indivisions, l’article 2 de la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété a assoupli les règles de gestion des indivisions constatées par un acte de notoriété établi dans les conditions de l’article 1er de la même loi (c’est-à-dire un acte notarié de notoriété acquisitive qui porte sur un bien situé en Corse).

Dans ce cas, la majorité simple (c’est-à-dire plus de la moitié des droits indivis) suffit pour accomplir les actes qui requièrent en principe la majorité des deux tiers. En outre, la majorité des deux tiers des droits indivis suffit pour effectuer les actes qui nécessitent en principe l’unanimité, c’est-à-dire les actes de disposition du bien indivis.

Votre rapporteure rappelle que ce régime dérogatoire sur l’indivision est assorti par la loi du 6 mars 2017 d’exonérations fiscales (sur les successions, les mutations et le droit de partage). Ces dispositions spécifiques étaient applicables jusqu’au 31 décembre 2027, et ont été prorogées jusqu’en 2037 par la loi n° 2025-115 du 7 février 2025.

Il n’y a pas d’élément disponible permettant d’isoler et d’évaluer l’efficacité précise de l’abaissement du seuil pour les actes de disposition d’un bien indivis en Corse. Mais cette disposition semble avoir contribué à un environnement juridique et fiscal local plus souple et favorable à la résorption du désordre foncier.

4.   L’aliénation à la majorité simple pour les biens situés dans certaines collectivités d’outre‑mer

En 2016, déjà, les difficultés de la situation foncière des outre-mer ont fait l’objet d’une étude approfondie de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Ce rapport a fait état, dans certains territoires ultramarins, d’une prépondérance de l’indivision, qualifiée de « fléau endémique largement répandu outre-mer et qui aboutit à un gel du foncier ».

 

« L’indivision généralisée » dans certaines collectivités d’outre‑mer

Cette situation résulte notamment de la confrontation entre la tradition locale en matière familiale et successorale, largement orale et transactionnelle, et le cadre juridique moderne, formaliste et rigide. « L’indivision généralisée » qui résulte de l’absence d’enregistrement formel des successions et des partages entraîne cependant de nombreux effets négatifs :

– frein au développement économique et à l’exploitation des biens ;

– effet de rareté sur le marché immobilier ;

– abandon de biens qui conduit à des phénomènes de dents creuses ;

– entrave l’aménagement du territoire ;

– difficulté pour identifier les propriétaires et donc pour prélever l’impôt local ;

– menaces sur la santé et l’ordre publics (certains immeubles en indivision ont été convertis en squats par une population délinquante ou sont devenus des foyers propices à la prolifération de maladies tropicales.

Source : rapport n° 547 de M. Serge Letchimy sur la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (Assemblée nationale, XVème législature).

 

Ce constat a suscité l’adoption de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, dite « loi Letchimy ». Son article 1er abaisse, pour les successions ouvertes depuis plus de 10 ans dans certaines collectivités ultramarines ([37]), les seuils de majorité et déroge, dans certaines conditions, à la règle de l’unanimité du droit commun.

Toutefois, à la différence du droit spécial applicable en matière successorale en Corse, cette loi n’abaisse pas simplement les seuils mais intègre cette dérogation dans une nouvelle procédure qui comporte une phase amiable devant un notaire.

Ainsi, l’article 2 de la loi du 27 décembre 2018 dispose que le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié en pleine propriété des droits indivis peuvent procéder, devant le notaire de leur choix, à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis situés sur le territoire des collectivités ultramarines concernées. Par cohérence, les actes d’administration, qui exigent en droit commun une majorité des deux tiers, peuvent aussi être accomplis à la majorité simple ([38]), comme par exemple la mise en location du bien indivis. Le notaire doit publier le projet d’acte de vente ou de partage et le notifier par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires qui disposeront d’un délai d’un mois pour préempter en cas de projet de cession à un étranger à l’indivision, et en toute hypothèse d’un délai de trois mois (augmenté d’un mois de « délai de distance » ou lorsque dix indivisaires ou plus sont identifiés) pour s’opposer le cas échéant à l’opération. À défaut d’opposition, la vente ou le partage sont opposables à ceux qui ne sont « pas à l’initiative du projet ». En cas d’opposition, la procédure devient judiciaire. Le tribunal doit vérifier le bien-fondé de l’opposition en recherchant si l’aliénation ou le partage porte « une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires »

Cette procédure apparaît dans son esprit assez proche à celle de droit commun instituée à l’article 815-5-1 du code civil. Toutefois, la procédure ne devient ici judiciaire qu’en cas d’opposition (alors que dans le cadre prévu par l’article 815‑5‑1, le juge doit dans tous les cas autoriser la vente et vérifier qu’elle ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires).

Il n’y a pas de bilan disponible sur les six années d’application de la loi Letchimy. Selon la DACS, certaines remontées semblent indiquer que les notaires locaux ne se sont pas saisis pleinement des nouveaux mécanismes prévus par cette loi.

À signaler également que, dans le cadre prévu par cette loi, en cas de désaccord entre les indivisaires pour procéder à un partage amiable, le partage judiciaire peut avoir lieu par souche, ce qui permet d’attribuer des biens à une lignée familiale plutôt qu’à une personne en particulier, comme c’est le cas en droit commun.

 

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   COMMENTAIRE des articles

Adopté par la commission avec modifications

Cet article propose que soit remis au Parlement un rapport gouvernemental sur la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés.

Le terme de « biens abandonnés » ne renvoie pas précisément à une catégorie juridique existante.

Le droit applicable prévoit plusieurs hypothèses où une personne publique (commune ou État, dans la majorité des cas) peut gérer un bien abandonné ou en devenir propriétaire :

– dans le cadre de la procédure de déclaration de parcelles en état d’abandon manifeste, ces parcelles pouvant être expropriées pour assurer leur réhabilitation ;

– les biens sans maître, issus d’une succession sans maître ou d’immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers ; es procédures ont en commun d’aboutir à l’appropriation du bien par la commune de situation du bien (ou par l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre, ou à l’État) dans un but d’intérêt général ;

– l’État peut aussi être conduit à gérer certains biens, sans en être le propriétaire : dans ce cas il agit comme curateur dans le cadre d’une succession vacante ;

– une succession vacante peut (exceptionnellement) déboucher sur une succession en déshérence, qui est déférée à l’État en l’absence d’héritiers.

 

  1.   La procédure de déclaration de parcelle en état d’abandon manifeste

Elle est mise en œuvre à l’initiative du maire de la commune et a pour objectif d’aboutir à la réhabilitation des biens abandonnés, soit par l’incitation des propriétaires qui souhaiteront agir pour éviter d’être dépossédés, soit par le biais d’une procédure d’expropriation simplifiée qui permettra la réalisation des travaux nécessaires par un nouveau propriétaire.

Déclaration de parcelles en état d’abandon manifeste

Le maire d’une commune dans laquelle se trouve un bien sans occupant à titre habituel et qui n’est manifestement plus entretenus engage la procédure de déclaration de la parcelle en état d’abandon manifeste (article L. 2243‑1 du code général des collectivités territoriales).

Dans un premier temps, par procès-verbal provisoire, le maire constate l’état d’abandon manifeste et indique la nature des désordres auxquels il convient de remédier. Ce procès-verbal est notifié aux propriétaires et fait l’objet de mesures de publication et d’affichage.

À l’issue d’un délai de trois mois, si le propriétaire n’a pas réalisé les travaux nécessaires ou ne s’y est pas engagé, le maire constate par un procès-verbal définitif l’état d’abandon manifeste de la parcelle. Le conseil municipal peut alors décider d’en poursuivre l’expropriation au profit de la commune ou d’une autre personne à des fins d’aménagement

Dans ce cas, une procédure d’expropriation simplifiée s’applique, sur la base d’un projet simplifié d’acquisition publique, mis à disposition pendant une durée minimale d’un mois pour que le public puisse formuler ses observations.

  1.   Les biens sans maître

Aux termes de l’article L. 1123‑1 du code général de la propriété des personnes publiques, il existe deux hypothèses de « biens sans maître ».

En premier lieu, ce sont ceux faisant partie d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté. Il s’agit d’une succession sans maître. Leur propriété est transférée de plein droit à la commune ou, éventuellement, à une autre personne publique (en dernier lieu, à l’État).

 

Successions sans maître

Aux termes de l’article L. 1123‑1 du code général des personnes publiques (CG3P), c’est la succession que personne n’a réclamée, ni l’État au titre des successions en déshérence (voir plus bas sur cette notion), ni aucun héritier et cette revendication n’est plus possible car le droit de l’accepter est prescrit.

Elle concerne les successions ouvertes depuis plus de trente ans, ou depuis plus de dix ans dans certaines zones définies par le CG3P (depuis l’article 98 de la loi n° 2022‑217 du 21 février 2022 dite « 3DS »).

Les biens qui dépendent de cette succession appartiennent de plein droit à la commune du lieu de situation des biens à l’issue de ce délai (article 713 du code civil). Sont concernées uniquement les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 relative à la réforme du droit des successions qui a également réduit à 10 ans, contre 30 ans auparavant, le délai d’option successorale des héritiers.

Si la loi ne prévoit aucune formalité d’acquisition, les communes sont invitées à prendre une délibération permettant de formaliser le transfert du bien dans leur patrimoine. Cette délibération sera également utile pour procéder à l’enregistrement du bien auprès des services de la publicité foncière.

La commune peut renoncer à ses droits au profit de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont elle est membre, qui peut lui aussi renoncer à ses droits, auquel cas la propriété est transférée de plein droit, suivant les cas, à un conservatoire de l’espace littoral lacustre ou à un conservatoire régional d’espaces naturels agréé, ou encore à l’État. Selon les éléments fournis par la DACS, « il semblerait toutefois qu’en pratique (…) l’appréhension de cette catégorie de bien par les communes reste prudente pour s’éviter toute difficulté ultérieure. »

Toutefois, dans les cas (prévus par l’article 780 du code civil) où le délai successoral peut courir au-delà de 10 ans, par exemple par ignorance du décès, le propriétaire ou ses ayants-droits, dont le bien a été acquis par la collectivité moins de 30 ans après le décès, seront en droit de revendiquer la restitution du bien ou, à défaut, d’obtenir une indemnisation (en application de l’article L. 2222-20 du GG3P).

 

La seconde catégorie de biens sans maître est constituée des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n’ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers. Ces biens peuvent être incorporés dans le domaine de la commune ou, à défaut de délibération, être attribués à l’État.

 

 

L’incorporation de biens sans maître
au domaine de la commune en dehors d’une succession

Ces biens sont soumis à une procédure d’acquisition prévue à l’article L. 1123-3 du CG3P se déroulant approximativement sur une année.

D’abord, un arrêté du maire, pris après avis de la commission communale des impôts directs, constate qu’un bien remplit la condition du non-paiement de la TFPB ou de la TFPNB pendant plus de 3 ans. L’article 99 de la loi « 3DS » a rendu pleinement effective cette première étape : il prévoit une dérogation expresse au secret fiscal, de sorte qu’il suffira à la commune de fournir aux services fiscaux les références cadastrales de la parcelle d’assise du bien concerné pour recevoir son état de situation d’imposition.

Ensuite, l’arrêté est affiché, publié et notifié aux derniers domiciles connus du propriétaire ainsi qu’à l’habitant ou l’exploitant de l’immeuble et au préfet du département.

À l’expiration d’un délai de 6 mois après l’accomplissement de la dernière mesure de publicité, le bien est présumé sans maître.

Enfin, dans les 6 mois suivants, le conseil municipal peut décider par délibération d’incorporer le bien dans son domaine privé, sinon le bien est attribué à l’État ou au Conservatoire du littoral ou encore au Conservatoire régional d’espaces naturels.

Le propriétaire dispose d’un droit de revendication ou d’indemnisation en vertu de l’article L. 2222-20 du CG3P.

Source : réponse du Gouvernement du 7 septembre 2023 à la question écrite n° 05989 du sénateur M. Jean‑Louis Masson.

Ensuite, sans qu’une personne publique devienne propriétaire du bien, l’État peut être conduit à gérer un bien dans le cadre d’une succession vacante.

  1.   Les biens gérés par l’État dans le cadre d’une succession vacante

Une succession est vacante lorsque personne ne la réclame ou ne s’en occupe, par exemple car elle est déficitaire. L’objectif des règles en la matière est de prévoir les modalités de gestion de cette succession, notamment pour payer les créanciers et ne pas laisser l’actif dépérir. La succession vacante est administrée par l’État.

 

Succession vacante

L’article 809 du code civil prévoit qu’une succession est vacante :

– lorsqu’il ne se présente personne pour réclamer la succession et qu’il n’y a pas d’héritier connu ;

– lorsque tous les héritiers connus ont renoncé à la succession ;

– lorsque, après l’expiration d’un délai de six mois depuis l’ouverture de la succession, les héritiers connus n’ont pas opté, de manière tacite ou expresse.

Dans ce cadre, l’État, via la direction nationale d’intervention domaniale (DNID) est désigné par le juge comme curateur aux successions vacantes. Selon la DNID, il faut trois ans et demi en moyenne pour qu’elle soit désignée et intervienne après le décès.

Le juge peut être saisi à la requête de tout intéressé : créancier, notaire, salarié, syndic, etc. L’ordonnance du juge fait l’objet d’une publicité dans un journal d’annonces légales diffusé dans le ressort du tribunal compétent (article 809-1 du code civil), « ce qui est très insuffisant », selon la doctrine ([39]), ce point ayant aussi été souligné par la DNID en audition.

La DNID est chargée de mobiliser l’actif de succession (notamment en vendant les biens qui dépendent de la succession) afin de régler les dettes de la succession, dans l’intérêt des héritiers qui pourraient se manifester a posteriori. Elle ne peut toutefois vendre les immeubles dépendant de la succession que si la vente des meubles n’est pas suffisante pour désintéresser les créanciers, sauf si la conservation de ces biens est difficile ou onéreuse (article 810-2 du code civil). La vacance de succession n’emporte aucun transfert de propriété au profit d’une personne publique, l’État étant uniquement en charge de la gestion des biens.

 

En pratique, les successions vacantes peuvent durer longtemps. Selon les informations transmises à la rapporteure, la DNID a été saisie de 18 000 dossiers de succession environ en 2023, le stock étant de 36 000 dossiers. En 2024, la DNID doit gérer 27 000 biens immobiliers (dont 8 821 en indivision, parmi lesquelles 61 % de bâtis). La charge augmente fortement (+ 70 % sur les dix dernières années), du fait de la démographie de l’après‑guerre, les personnes nées à cette période étant en âge de décéder. Or, ces générations ont eu des vies plus mobiles que les précédentes et ont accumulé davantage de patrimoine. Le pourcentage des successions vacantes est en revanche relativement constant du nombre de décès (autour de 2 %). La DNID a souligné la difficulté de l’identification des coïndivisaires, certains étant par exemple à l’étranger et ne répondant pas aux sollicitations. La présence de mineurs et personnes sous curatelle rallonge les délais de gestion, ainsi que les éventuelles mésententes. L’État est limité par les actifs de la succession. Il n’avance pas de fonds pour financer des éventuels travaux.

Il semble que « dans la pratique, la vacance de la succession tient moins à l’absence d’héritiers connus qu’à la situation obérée de la succession, qui détourne les successibles et les pousse à y renoncer : elle est en fait, une préparation à la déshérence (…) L’État a au moins deux raisons de porter intérêt à ce genre de successions : la déshérence à laquelle elle aboutira vraisemblablement et le fait qu’il est le principal créancier de ces successions, presque toujours obérées de dettes envers le fisc » ([40]) .

  1.   Les biens acquis dans le cadre d’une succession en déshérence

Une succession en déshérence est une succession déférée à l’État en raison de l’absence d’héritiers (article 811 du code civil). L’État doit se faire envoyer en possession pour devenir propriétaire des biens. Il s’agit d’une situation exceptionnelle, qui peut intervenir après une procédure de vacance de la succession. L’État n’a toutefois aucune obligation de solliciter l’envoi en possession. Il peut également solliciter l’envoi en possession dès l’ouverture de la succession, sans que la succession n’ait été déclarée vacante. En pratique, l’administration des domaines attend souvent que la succession soit déclarée vacante pour solliciter l’envoi en possession. Cela lui permet de s’assurer de l’existence d’un actif subsistant après le paiement des dettes.

Selon la DACS, le régime de la succession en déshérence (ainsi que celui de la succession sans maître exposé ci‑dessus) « sont peu mis en œuvre en pratique ». L’enjeu principal en matière de « biens abandonnés » serait donc celui des successions vacantes.

  1.   La poSition de la commission

La commission des lois a adopté un amendement de votre rapporteure ([41]) qui propose une nouvelle rédaction globale de l’article. Il est ainsi prévu de créer une base de données qui recense les biens en état d’abandon concernés par l’une des procédures présentées ci‑dessus : déclaration de parcelles en état d’abandon manifeste, appropriation par une personne publique de biens sans maîtres, gestion de biens par l’État agissant comme curateur dans le cadre d’une succession vacante, envoi en possession par l’État de biens dans le cadre d’une succession en déshérence.

Cette base de données recensera l’ensemble des biens concernés par l’ouverture de l’une de ces procédures. Ces biens posent les mêmes problèmes au niveau local : entrave aux opérations d’aménagement, absence de mise en œuvre d’obligations légales comme le débroussaillage, incertitude sur l’impôt foncier.

Cette base sera alimentée par les administrations dans l’exercice de leurs compétences et par certaines professions réglementées (comme les notaires) dans l’exercice de leurs activités. Elle sera accessible aux élus locaux, afin qu’ils puissent identifier la situation juridique d’un bien abandonné ou en voie de délabrement sur le territoire de leur commune, et donc prendre les mesures adéquates.

*

*     *

Introduit par la commission

Cet article résulte de l’adoption par la commission des lois d’un amendement de la rapporteure ([42]).

Pour une présentation des successions vacantes, le lecteur pourra se reporter au commentaire de l’article 1er ci‑dessus.

Cet article prévoit que la publicité de l’ordonnance du juge qui désigne l’État (en pratique, la DNID) comme curateur dans le cadre d’une succession vacante pourra légalement intervenir par voie numérique. En pratique, il pourra s’agir du portail des successions vacantes tenu par la DNID sur le site internet de la direction générale des finances publiques.

Ce portail numérique rend publique la nomination de la DNID (la personne qui consulte ce portail doit disposer de la date du décès). Lui est adjoint un fichier de l’Insee qui répertorie les décès en France. Il permet aux héritiers ou légataires de revendiquer les successions et aux créanciers à réclamer leurs créances.

Cette publicité modernisée et élargie serait donc de nature à favoriser le règlement des successions vacantes.

Cette modalité de publicité doit être entendue comme ayant vocation à s’ajouter à celle déjà prévue par le droit existant dans un journal d’annonces légales, non à s’y substituer nécessairement. Les deux modalités de publicité seront alternatives et auront la même portée légale.


Adopté par la commission avec modifications

  1.   Une indivision peut être bloquée par la vacance de la succession de l’un des indivisaires

Pour un exposé du régime des successions vacantes, le lecteur pourra se reporter au commentaire de l’article 1er.

Par essence, une succession vacante (ou en déshérence, ou sans maître) ne comporte pas d’indivisaire, puisqu’aucun héritier ne réclame la succession. En revanche, si une personne dont la succession a été déclarée vacante (ou en déshérence) est elle-même héritière dans le cadre d’une autre succession, l’actif de la succession vacante (ou en déshérence) comprend une quote-part des biens dépendant de cette autre succession, qui peut se retrouver bloquée.

La DNID agissant comme curateur de l’indivisaire en succession vacante est alors elle-même confrontée aux autres indivisaires décédés et à leurs héritiers inconnus.

Dans ce cas, la succession est bloquée en indivision.

Un schéma transmis par la DACS à la rapporteure expose ce cas :

 

 

Un ou plusieurs indivisaires peuvent être inconnus, injoignables ou s’opposer à la vente, auquel cas l’indivision persiste.

Comme l’a précisé la DACS, « un indivisaire peut être inconnu dans son identité, bien que son existence apparaisse certaine. À titre d’exemple, un indivisaire peut avoir déménagé, avoir informé les coïndivisaires de la naissance de ses enfants sans donner leur identité et avoir rompu les liens familiaux. Si cet indivisaire décède, les enfants dont l’identité est inconnue deviennent, par l’effet du décès, eux-mêmes indivisaires successoraux du bien. De même, il est possible que l’identité d’un indivisaire soit connue, mais que son adresse n’ait jamais été portée à la connaissance des autres indivisaires. Dans l’exemple précédent, l’identité des enfants serait connue, mais pas leur adresse. »

 

Source : DACS.

 

En l’absence de conjoint successible, d’enfants et leurs descendants, de père et mère, frères et sœurs de ses derniers, et autres ascendants (article 734 du code civil), l’indivision peut être constituée d’héritiers collatéraux jusqu’au sixième degré (article 745 du code civil).

Aucun mécanisme existant en droit positif ne permet de régler les successions lorsqu’il n’est pas possible d’identifier ou de connaître l’adresse d’un indivisaire.

  1.   Le dispositif proposé : un moyen pour l’administration de clore son mandat de curateur d’une succession vacante pour favoriser la sortie d’une indivision persistante

Cet article insère deux nouveaux articles dans le code civil qui permettent à l’administration chargée du domaine (la DNID) de vendre un bien indivis sur autorisation judiciaire, dans le cas d’une indivision constituée depuis au moins dix ans ou comprenant un indivisaire décédé depuis au moins deux ans dont la succession a été déclarée vacante :

– lorsque l’identité ou l’adresse d’un ou de plusieurs des indivisaires n’est pas connue (nouvel article 815‑5‑2) ;

– l’un des indivisaires s’oppose à la vente ou n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté (nouvel article 815‑5‑3). Dans ce cas, la vente ne peut concerner que des biens d’une valeur inférieure ou égale à un seuil fixé par décret.

Dans les deux cas, il est prévu que la vente ne peut intervenir que s’il n’est pas porté une atteinte excessive aux intérêts de ces indivisaires.

Le dispositif prévoit ensuite les modalités de publicité (dans le cas d’indivisaires inconnus) ou de notification (dans le cas d’indivisaires opposants à la vente ou qui ne peuvent exprimer leur volonté).

Dans le premier cas, les sommes obtenues sont partagées entre les indivisaires dont l’identité ou l’adresse sont inconnues puis consignées à la Caisse des dépôts, tandis que la vente et le partage leur sont opposables.

Dans le second cas, la vente ne peut intervenir qu’en l’absence de contestation, deux mois après les formalités de publicité. Après paiement des créanciers de l’indivision et en l’absence de partage dans les six mois de la vente le reliquat du prix de vente est consigné à la Caisse des dépôts et consignations.

L’objectif de ces deux propositions est de permettre à la DNID de clore son mandat de curateur d’une succession vacante dans les dossiers bloqués faute de pouvoir connaître l’identité ou l’adresse d’un ou plusieurs indivisaires, ou lorsque certains indivisaires s’opposent à la vente ou ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté.

  1.   L’articulation avec le droit de propriété des autres indivisaires

Le droit de propriété est consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Il est aussi garanti par le protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH). Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en l’absence de privation du droit de propriété, les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ([43]) .

En l’espèce, l’atteinte au droit de propriété constituée par une vente en présence d’indivisaires inconnus ou opposants s’inscrirait dans le cadre de la résorption du désordre foncier, qui constitue un éminent but d’intérêt général. Elle permettrait de contribuer à régler des situations de succession complexes et particulières, qui font en outre par elles‑mêmes obstacle à un usage normal de leur droit de propriété par les indivisaires qui, eux, souhaitent régler la succession. Le désordre foncier entraîne en effet des difficultés d’ordre multiple au niveau local : entrave aux opérations d’aménagement, salubrité, respect des obligations de débroussaillage, perception de l’impôt foncier, etc.

En outre, le dispositif proposé est entouré de certaines garanties protectrices des indivisaires inconnus ou opposants :

– cette nouvelle faculté serait réservée à des cas d’indivision constituée depuis au moins dix ans ;

– elle nécessiterait que la succession vacante soit ouverte depuis au moins deux ans ;

– elle interviendrait sur autorisation judiciaire ;

– une information (publicité ou notification, selon le cas) des indivisaires inconnus ou opposants est prévue ;

– ces derniers peuvent toujours contester la vente ;

– matériellement, le nombre de personnes affectées serait mesuré, dans la mesure où en tout état de cause les successions vacantes ne concernent que 2 % des décès (selon la DNID).

  1.   la position de la commission

La commission des lois a adopté un amendement de rédaction globale de la rapporteure ([44]) .

Cet amendement recentre le dispositif prévu par le présent article 2 sur le cas précis d’indivision bloquée où une succession est partagée entre plusieurs indivisaires mais que l’adresse ou l’identité de certains d’entre eux sont inconnus, et que l’un des héritiers indivisaires est décédé et que sa succession est vacante. La DNID agissant comme curateur est alors elle-même confrontée aux autres indivisaires décédés et à leurs héritiers inconnus.

Il est donc prévu que la DNID puisse débloquer ces successions en lui permettant de vendre le bien en indivision malgré le silence des indivisaires inconnus.

Par rapport au dispositif initial de l’article 2, les différences sont les suivantes :

– les conditions sont cumulatives (et non alternatives). La situation visée est donc celle d’une indivision constituée depuis au moins dix ans et comprenant un indivisaire décédé depuis au moins deux ans dont la succession est vacante ;

– il est précisé que le demandeur doit justifier de « diligences entreprises en vue d’identifier et de localiser les indivisaires dont l’identité ou l’adresse n’est pas connue », afin de renforcer les garanties de protection des intérêts de ces indivisaires ;

– la possibilité de vendre dans le cas où l’un des indivisaires s’oppose à la vente ou n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté est supprimée, car elle risquait de constituer une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété des indivisaires. En effet, certains indivisaires hors d’état d’exprimer leur volonté peuvent se trouver dans une situation vulnérable (indivisaires juridiquement protégés, etc.).

– le dispositif est simplifié, les modalités précises du recours ayant vocation à être, le cas échéant, précisées dans le code de procédure civile (qui ressortit au domaine réglementaire).

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Adopté par la commission avec modifications

  1.   la gÉnéralisation de la « loi letchimy » sur l’ensemble du territoire

Le lecteur pourra se reporter aux développements ci‑dessus qui exposent le cadre dérogatoire applicable dans certaines collectivités d’outre‑mer institué par la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, dite « loi Letchimy »

Le I du présent article propose d’introduire, dans le droit commun, les dispositions de la loi Letchimy relatives à la vente et au partage. Ces dispositions ont indirectement pour effet de supprimer dans le droit commun le principe de l’unanimité pour les actes de disposition d’un bien indivis. Toutefois, la rédaction actuelle supprimerait des dispositifs existant comme le partage amiable en cas d’indivisaire inerte (article 837 du code civil).

Le II du présent article abroge par conséquent les dispositions aujourd’hui spécifiquement applicables outre‑mer.

  1.   la position de la commission

La commission des lois a adopté un amendement de rédaction globale de la rapporteure ([45]), sous‑amendé par M. Sébastien Huyghe et plusieurs de ses collègues membres du groupe Ensemble pour la République ([46]) .

Cet article ne prévoit plus la généralisation de la « loi Letchimy » mais s’inspire de ses dispositions pour assoupir la procédure prévue en droit commun à l’article 815‑5‑1 du code civil.

Rappel de la procédure prévue à l’article 815‑5‑1, exposée ci‑dessus

Cet article permet aux indivisaires titulaires de la majorité des deux tiers des droits indivis d’aliéner un bien avec l’autorisation du tribunal judiciaire. Ces derniers doivent au préalable exprimer leur intention devant un notaire. Dans un délai d’un mois, celui-ci fait signifier cette intention aux autres indivisaires. En cas d’opposition de ces derniers ou en l’absence de toute manifestation de leur part au terme d’un délai de trois mois, le notaire en dresse procès-verbal. Le tribunal judiciaire peut alors autoriser la vente de l’immeuble par licitation, s’il estime que « celle-ci ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires », c’est-à-dire ceux qui ne sont pas à l’initiative du projet.

Sur l’atteinte excessive aux droits des autres indivisaires, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation.

L’aliénation effectuée dans les conditions fixées par le tribunal judiciaire est opposable à l’indivisaire dont le consentement fait défaut (sauf si l’intention d’aliéner le bien ne lui avait pas été signifiée selon les modalités exigées par la loi).

La DACS ne dispose pas de statistiques sur la mise en œuvre de cette disposition par les praticiens. Selon les éléments transmis par le Conseil supérieur du notariat, « la procédure n’est pas régulièrement ou très souvent utilisée. Le notaire arrive souvent à concilier les parties avant d’avoir à mettre en œuvre cette procédure ».

 

En effet, les auditions menées par la rapporteure ont montré que l’extension directe de la « loi Letchimy » entraînerait de nombreux effets de bords et emporterait des risques juridiques importants, notamment au regard de la différence de situation entre l’hexagone et les outre-mer s’agissant du foncier.

Cet article propose ainsi d’abaisser le seuil des droits indivis prévu par l’article 815-5-1 pour aliéner un bien indivis avec l’autorisation du tribunal judiciaire, de deux tiers à la majorité simple des droits.

Le sous‑amendement adopté par la commission précise que c’est la majorité simple des droits indivis qui est exigée pour activer cette procédure (et non la moitié).

Cet article pourrait donc contribuer à rendre plus attractif ce dispositif destiné à favoriser la sortie des indivisions gelées par des indivisaires « inertes ».

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Adopté par la commission avec modifications

  1.   Le droit local alsacien-mosellan

On appelle droit local alsacien‑mosellan l’ensemble des règles de droit particulières à l’Alsace et à la Moselle. À ce jour, ce droit particulier représente « sans doute moins de 5 % » ([47]) du droit applicable dans ces territoires, mais certaines de ses dispositions ont une portée pratique et symbolique importante.

Le Conseil constitutionnel, à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité sur une disposition de droit local, a consacré un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) selon lequel « tant qu’elles n’ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu’à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi » ([48]) 

Ce PFRLR ne consacre pas un droit constitutionnel au maintien des dispositions législatives ou réglementaires constituant le droit local alsacien‑mosellan. Le législateur ou le pouvoir réglementaire peuvent, à tout moment, modifier ou abroger des dispositions de droit local pour les remplacer par les dispositions de droit commun ou les harmoniser avec celles-ci. En revanche, ce principe permet d’écarter, comme inopérant, le grief tiré de ce que le droit local conduit à des différences de traitement dans les trois départements concernés ([49]) .

« De plus, si le législateur décide de maintenir le particularisme alsacien-mosellan, c’est à la condition de ne pas l’accentuer. En conséquence, le législateur ne saurait étendre, sans méconnaître le principe d’égalité, le particularisme du droit local à des domaines où il n’existe pas déjà, ni accroître les différences de traitement que ce particularisme implique. »  ([50])

En revanche, rien n’empêche au législateur d’étendre certaines dispositions du droit alsacien-mosellan à l’ensemble du territoire national (ou de s’en inspirer), notamment lorsqu’elles ont fait la preuve de leur efficacité dans ces territoires.

Le droit alsacien‑mosellan se compose de trois catégories de textes :

– des lois d’origine française d’avant l’annexion des départements du Rhin et de la Moselle de 1871 (comme celle mettant en œuvre le concordat de 1801) ;

– des lois d’origine allemande d’avant 1918 (comme celle relative aux associations) ;

– des lois postérieures à 1918 adoptées par les autorités françaises spécifiquement pour l’Alsace et la Moselle, comme la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Cette loi prévoit notamment une procédure spéciale pour le partage judiciaire d’immeubles.

  1.   Le partage judiciaire en droit local alsacien-mosellan

Le partage judiciaire en droit commun est exposé ci‑dessus. Le lecteur pourra utilement s’y reporter.

En droit alsacien-mosellan, la preuve de l’échec d’un partage amiable n’est pas nécessaire et la procédure de partage judiciaire est assimilée à une procédure « gracieuse », ce qui a notamment pour impact que la procédure est introduite par requête et que la représentation par avocat n’est pas obligatoire. Contrairement au sens habituel de ce terme en droit commun, en droit alsacienmosellan, la procédure de partage judiciaire « gracieuse », qui est en réalité une procédure sui generis, suppose l’existence d’un contentieux. En outre, la procédure de droit alsacien-mosellan, contrairement à la procédure de droit commun, n’est pas éligible à l’aide juridictionnelle.

Dans cette procédure, seuls deux acteurs interviennent : le tribunal de proximité et le notaire ; le juge commis n’existe pas. L’essentiel de la procédure se déroule devant le notaire : c’est le trait essentiel de ce droit local. Globalement, comme le précise le Conseil supérieur du notariat, les interventions du juge sont limitées à une surveillance générale du bon déroulement de la procédure, à la nomination du notaire, et à l’homologation de certains actes. Les « allers retours » avec le juge sont limités.

L’intégralité des débats se déroule dans l’étude du notaire, qui doit dresser un procès-verbal de chacune des réunions qui se tiennent devant lui ([51]). L’objectif de ces réunions est de concilier les parties pour pouvoir établir les masses, fixer les droits de chaque intéressé, former les lots et procéder ensuite au tirage au sort de ces lots par le notaire.

Le notaire dispose de moyens renforcés pour faire avancer la procédure. À titre d’exemples :

– une fois que l’ordonnance d’ouverture du partage n’est plus susceptible de recours, le notaire invite le demandeur à fournir toutes justifications utiles concernant l’objet de la demande et à faire des propositions précises sur le mode et les bases du partage qu’il provoque. Si dans les six mois après que la décision a obtenu l’autorité de la chose jugée, le demandeur ou une autre partie intéressée ne fournit pas les éléments demandés, la procédure est considérée comme éteinte ; ([52])

– le notaire convoque ensuite les intéressés à une ou plusieurs réunions de débats, autant que nécessaire. Avant la première réunion ou dans les quinze jours suivant celle-ci et seulement une fois, les parties peuvent demander le report des débats ([53]). Les parties sont averties qu’en cas de non-comparution à une réunion de débats organisée par le notaire, les absents sont présumés consentir à ce que l’on procède au partage et que le partage sera obligatoire pour eux malgré leur non-comparution. Néanmoins, jusqu’à l’ordonnance d’homologation du partage, les copartageants non comparants peuvent saisir le juge du partage pour obtenir le renvoi des parties devant le notaire dans la mesure où leurs droits ont été lésés, à condition qu’elles aient été empêchées de comparaître pour un motif légitime ([54]) .

S’il s’élève des difficultés, c’est-à-dire des obstacles de fait ou de droit, pendant les opérations devant le notaire, et si elles n’ont pas reçu de solution, le notaire dresse procès-verbal sur les contestations et renvoie les parties à se pourvoir par voie d’assignation. Le notaire peut procéder à un partage partiel concernant les points non litigieux, dans l’attente de la décision judiciaire sur les autres points ([55]) . Le notaire peut également décider de multiplier les réunions en vue de mettre les parties d’accord, et ne pas dresser de rapport de difficulté. Contrairement au droit commun, aucun délai n’est imposé au notaire pour réaliser les opérations de partage.

Un expert peut par ailleurs intervenir, à la demande des parties, pour déterminer la valeur des objets, pour indiquer si un partage en nature est possible et pour former les lots. Il est soit choisi par les parties (dans ce cas, il est désigné par le notaire dans un procès-verbal d’assermentation, ce qui suppose que l’expert se présente physiquement devant le notaire et prête serment devant lui ([56]) , soit désigné par le tribunal saisi du partage à la demande du notaire ([57]) . Une séance de débats sera consacrée à l’analyse du rapport d’expertise.

 

Tableau récapitulatif des principales différences entre le droit commun et le droit alsacien-mosellan

 

 

 

Droit commun

 

 

Droit alsacien-mosellan

 

Nature de la procédure

 

 

Contentieuse

 

Gracieuse

 

Éligibilité à l’aide juridictionnelle

 

 

Oui

 

Non

 

Nombre de procédures

 

Deux procédures (procédure simplifiée et procédure complexe)

 

 

Une procédure

 

Acteurs principaux

 

Trois acteurs : (pour la procédure complexe, la procédure simplifiée étant peu utilisée)

 

juge commis

notaire

tribunal judiciaire

 

 

Deux acteurs :

 

notaire

tribunal de proximité (en retrait)

 

Solutions à l’inertie d’un indivisaire ou aux difficultés pour résoudre le partage

 

Le notaire peut mettre l’indivisaire en demeure (par acte extrajudiciaire) de se faire représenter. Faute pour l’indivisaire d’avoir constitué mandataire dans les trois mois de la mise en demeure, le notaire peut demander au juge de désigner toute personne qualifiée qui représentera le défaillant jusqu’à la réalisation complète des opérations

 

 

Au début de la procédure devant le notaire : extinction de la procédure si le demandeur ne répond pas aux sollicitations du notaire dans un délai de six mois

 

En cas de non-comparution à une réunion de débats organisée par le notaire, les absents sont présumés consentir à ce que l’on procède au partage et le partage s’imposera à eux.

 

 

Durée de la procédure devant le notaire

 

Maximum un an, susceptible de prorogation et de suspension

 

 

Pas de délai maximum

Source : DACS.

 

 

 

  1.   Le dispositif proposé : étendre le régime alsacien-mosellan du partage judiciaire à l’ensemble du territoire national

Les différentes institutions auditionnées par la rapporteure ont fait état des difficultés, des lenteurs et de la complexité de la procédure de partage judiciaire. Le Conseil supérieur du notariat, auditionné par la rapporteure, avait déjà suggéré à l’Inspection générale de la justice (à l’occasion de son rapport sur le traitement des dossiers civils longs et complexes) de renforcer le rôle du notaire dans le partage et notamment « de procéder aux opérations de partage sous la forme gracieuse à l’instar du droit local alsacienmosellan ».

La DACS estime que l’extension des règles prévues en droit local à l’ensemble de la France constitue « une question particulièrement technique, qui nécessite des travaux approfondis, en lien avec des praticiens et des universitaires spécialisés dans le partage judiciaire de droit commun et de droit local. »

  1.   la position de la commission

La commission des lois a adopté un amendement de la rapporteure prévoyant une nouvelle rédaction globale de l’article ([58]) . Plutôt qu’une extension du droit alsacien mosellan sur le partage judiciaire à l’ensemble du territoire, il est proposé de procéder à une expérimentation.

Les auditions menées par la rapporteure ont fait état de préventions sur une généralisation pure et simple de ce régime de la part de certains praticiens. Celle‑ci nécessiterait des travaux préparatoires importants.

Il est ainsi prévu que le Gouvernement expérimente dans les départements volontaires, pour une durée de cinq ans, l’application du régime de partage judiciaire prévu aux articles 220 à 242 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Dans la mesure où la procédure civile ressortit au domaine réglementaire, les modalités précises de l’expérimentation sont renvoyées à un décret.

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Introduit par la commission

Cet article résulte de l’adoption par la commission des lois d’un amendement de M. Frédéric Maillot et plusieurs de ses collègues membres du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), après une demande de retrait de la rapporteure.

Il prévoit la remise par le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, d’un rapport au Parlement faisant le bilan de la loi du 27 décembre 2018 dite « loi Letchimy ».

Le lecteur pourra se reporter à la présentation de la loi Letchimy ci‑dessus pour plus de précisions.

Selon l’exposé sommaire, les auteurs de l’amendement ont relevé que cette loi « commence à être utilisée mais encore marginalement, de nombreux professionnels du droit - notaires, avocats, magistrats  n’étant pas familiers de la procédure. »

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Introduit par la commission

Pour une présentation du partage judiciaire en Alsace‑Moselle, le lecteur pourra se reporter au commentaire de l’article 4.

Cet article résulte de l’adoption par la commission des lois d’un amendement de Mme Céline Thiébault‑Martinez et plusieurs de ses collègues membres du groupe Socialistes et apparentés ([59]) , avec l’avis favorable de la rapporteure.

Il prévoit que dans un délai d’un an à compter de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur « le principe de la voie de juridiction gracieuse » applicable en Alsace‑Moselle. L’objectif est de permettre au Parlement de disposer « une évaluation approfondie » des effets du partage judiciaire alsacien‑mosellan, « notamment en termes de fluidité du marché immobilier et de résolution des situations d’indivision » (selon l’exposé sommaire).

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   Comptes rendus des débats

1.   Première réunion du mercredi 19 février 2025 à 8 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/U0tl2d

Lors de sa première réunion du mercredi 19 février 2025, la Commission examine la proposition de loi visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale (n° 823) (Mme Louise Morel et M. Nicolas Turquois, rapporteurs).

Présidence de M. Philippe Gosselin, vice-président.

M. Philippe Gosselin, président. Cette proposition de loi sera inscrite en sixième position lors de la journée réservée au groupe Démocrates, le 6 mars.

Mme Louise Morel, rapporteure. Monsieur le président, chers collègues, je suis heureuse de vous présenter le fruit de deux ans de travail. Les sujets les plus techniques peuvent parfois revêtir des aspects très concrets pour nos concitoyens. C’est le cas de l’indivision, particulièrement de l’indivision successorale.

Mon collègue Nicolas Turquois a le premier identifié la problématique des indivisions persistantes. Il y a été sensibilisé par des élus locaux qui avaient des biens en état d’abandon ou de délabrement dans leur commune et ont découvert qu’ils étaient bloqués dans des indivisions durables à cause de la mésentente entre certains indivisaires ou de leur inertie, voire parce que leur identité ou leur adresse était inconnue. Ces indivisions font obstacle à l’entretien et à la valorisation des biens de façon normale. Elles sont contraires à la logique même de l’indivision qui doit être une situation transitoire débouchant sur un partage. Un bien laissé à l’abandon cause divers problèmes : entrave aux opérations d’aménagement, risques pour la salubrité publique, absence d’application des obligations de débroussaillage ou encore difficultés de perception de l’impôt foncier. Au-delà des problématiques locales, tout Français, qu’il le veuille ou non, peut se retrouver dans une situation d’indivision difficile à régler. C’est donc un sujet d’intérêt général qui justifie une action législative.

Le caractère complexe, lent, voire méconnu des procédures de sortie de l’indivision peut expliquer ces situations persistantes. D’abord, pour disposer d’un bien indivis, c’est-à-dire pour le partager ou le vendre, il faut en principe l’unanimité des indivisaires. Dans un rapport de 2021, l’Inspection générale de la justice avait identifié les partages judiciaires des indivisions parmi les « dossiers civils longs et complexes » qu’il conviendrait de réformer.

Durant ses travaux, Nicolas Turquois a été orienté vers le droit alsacien-mosellan. Il m’a alors sollicitée en tant que députée d’Alsace. La procédure de partage judiciaire applicable dans ces territoires depuis la fin du XIXe siècle, qui confie des pouvoirs renforcés aux notaires pour faire avancer les dossiers, a fait la preuve de son efficacité. D’autres régions sont également dotées de droits dérogatoires en matière de sortie de l’indivision. En Corse, la loi du 6 mars 2017, récemment prorogée, permet aux titulaires des deux tiers des droits de vendre un bien indivis. Dans certaines collectivités d’outre-mer, la loi du 27 décembre 2018, dite loi Letchimy, prévoit qu’un bien peut être aliéné à la majorité simple des droits. Nous avons décidé de déposer ce texte afin que la loi de la République s’inspire, pour une fois, de nos droits locaux qui parfois fonctionnent mieux que le droit commun.

La proposition de loi tente de répondre à l’ensemble des préoccupations actuelles. L’article 1er vise ainsi à créer une base de données recensant les biens abandonnés, afin de dégager une vision d’ensemble et de mieux informer les élus locaux. L’article 2 propose de donner des outils supplémentaires à la direction nationale d’interventions domaniales (DNID), qui peut être amenée à gérer des biens en succession vacante, pour débloquer certaines situations particulièrement complexes. L’article 3 facilite la sortie de l’indivision en supprimant le principe d’unanimité, grâce à une transposition de la loi Letchimy dans le droit commun. Enfin, l’article 4 prévoit une extension du droit alsacien-mosellan en matière de partage judiciaire à l’ensemble de ce qu’on peut appeler « la France de l’intérieur ».

Les auditions me conduisent cependant à proposer une réécriture de ces différents articles pour garantir la solidité juridique du dispositif et, partant, sa bonne application. L’indivision est un sujet technique, qui fait l’objet d’une loi tous les quinze ans en moyenne – les dernières réformes législatives remontent ainsi à 1976, 2006 et 2009 –, et nous devons être attentifs à tous les effets de bord. Ces amendements de réécriture, s’ils sont adoptés, feront tomber les autres amendements. Je n’en remercie pas moins tous les collègues qui se sont saisis de cette question et ont voulu nous aider à améliorer le droit.

Mes amendements répondent à l’essentiel des préoccupations exprimées. Je souhaite notamment recentrer et simplifier l’article 2 pour éviter des risques juridiques excessifs compte tenu de la protection constitutionnelle du droit de propriété. À l’article 3, je proposerai un dispositif plus sécurisé et plus simple que la généralisation de la loi Letchimy, qui a vocation à répondre à une situation particulière d’indivision généralisée, propre à l’outre-mer. À l’article 4, nous pourrions commencer par une expérimentation dans les départements volontaires. Je remercie l’ensemble des interlocuteurs – avocats, notaires, administrations de la Chancellerie et du domaine – qui ont contribué à notre travail dans des délais contraints, et je resterai disponible d’ici à la séance publique pour continuer d’ajuster la rédaction.

Je fais partie des parlementaires qui estiment qu’il est souhaitable de s’inspirer des constructions juridiques qui ont réussi dans certains de nos territoires et que la diversité du droit fait sa richesse. Notre action législative, qui apparaît parfois trop parisienne, devrait aussi trouver sa source dans une histoire locale riche et inspirante.

M. Philippe Gosselin, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Michel Guiniot (RN). Cette proposition de loi vise à trouver des solutions à un problème que nous connaissons tous dans nos circonscriptions : la gestion des biens immobiliers en décrépitude touchés par des indivisions successorales. Pour ce faire, vous avez choisi d’étendre à l’ensemble de la France un système qui a fait ses preuves dans l’Est en facilitant la gestion des indivisions par les notaires et en misant sur l’implication des familles. Je tiens à vous remercier de m’avoir permis d’assister à vos auditions, très instructives, des représentants des différentes institutions directement concernées. Les mesures que vous proposez sont des réponses à des questions bien précises, mais elles sont peut-être encore perfectibles si nous voulons les rendre réalisables.

L’article 1er vise à demander au gouvernement un rapport sur l’opportunité de créer une base recensant les biens abandonnés. Si la notion de bien abandonné peut prêter à confusion, c’est surtout la mise en œuvre qui pose question : les représentants du domaine nous ont indiqué qu’elle ne pouvait passer que par ceux qui ont une connaissance du terrain, à savoir la DGFIP (direction générale des finances publiques) ou les mairies. Nous connaissons les difficultés auxquelles font face les personnels des mairies : il ne nous paraît pas concevable de leur imposer cette charge. Toutefois, il faut reconnaître qu’il serait intéressant d’avoir un tel rapport. Nous y sommes donc favorables.

L’article 2 est tout aussi intéressant, puisqu’il permet d’envisager des sorties d’indivision en passant par l’administration du domaine qui judiciarisera la procédure. La position d’un juge est plus neutre que celle des parties, étant entendu que les blocages relèvent parfois de causes plus humaines que juridiques. Cependant, la direction des affaires civiles et du sceau a estimé que l’une des dispositions proposées était inconstitutionnelle, dans la mesure où elle attenterait de façon trop importante au droit de propriété. Nous partageons cet avis et ne voterons pas l’article 2 dans sa rédaction actuelle.

L’article 3 tend à intégrer des dispositions propres à l’outre-mer, issues de la loi Letchimy de 2018, dans le droit national. Sans entrer dans le détail, nous ne pouvons qu’être opposés à cette proposition, puisque les particularités de l’outre-mer ne sont pas celles de l’Hexagone – un avis partagé par le sceau et le barreau. Si la loi se doit d’être la même pour tous, les territoires conservent leurs spécificités.

Enfin, l’article 4 propose d’intégrer dans le droit national une disposition qui semble efficace en Alsace-Moselle mais n’a pas d’équivalent ailleurs dans notre droit. Votre amendement de réécriture globale changerait radicalement le sens de cet article, puisque vous souhaitez commencer par une expérimentation dans les seuls départements volontaires. Nous sommes opposés à l’article 4 dans sa rédaction initiale.

En conclusion, le Rassemblement national trouve qu’il est louable de vouloir simplifier la sortie des indivisions successorales, afin de revitaliser nos campagnes et de répondre à une problématique du quotidien pour nos concitoyens. Néanmoins, en l’état actuel de la proposition de loi, nous nous abstiendrons.

M. Sébastien Huyghe (EPR). Selon l’Insee, 3,1 millions de logements étaient vacants en 2023 en France, hors Mayotte, soit 8,2 % du parc. De nombreuses raisons peuvent expliquer ce phénomène, parmi lesquelles les indivisions longues. Le diagnostic est aujourd’hui indiscutable : certaines indivisions successorales litigieuses peuvent durer jusqu’à dix, vingt, trente, voire quarante ans. Lorsqu’elles s’étendent sur plusieurs générations, la résolution des litiges est d’autant plus complexe. Il en résulte une multiplication du nombre de biens immobiliers à l’état d’abandon, qui peuvent être une source de nuisances préoccupantes : squats, occupations illégales, insalubrité, pollution visuelle. La procédure de partage est encadrée par les articles 816 à 842 du code civil, au sein du titre Ier, intitulé « Des successions », du livre III. Il est important de préciser, néanmoins, que les indivisions ne sont pas nécessairement successorales et peuvent être de tout autre nature, notamment post-communautaire.

Au-delà d’une nécessaire simplification, il est essentiel de réfléchir à ce que pourrait être une nouvelle procédure de partage. C’est l’objet de la proposition de loi de nos collègues, dont je salue le travail.

L’article 1er prévoit que soit remis au Parlement un rapport gouvernemental sur la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés. L’article 2 vise à mettre fin aux indivisions constituées depuis au moins dix ans ou comprenant un indivisaire dont la succession est déclarée vacante. Cet article permettra à l’autorité administrative chargée du domaine, agissant comme curateur, de vendre un bien indivis sur autorisation du tribunal judiciaire. L’article 3 a pour objet d’étendre à l’ensemble du territoire la possibilité pour les indivisaires – applicable aujourd’hui dans certains territoires d’outre-mer – d’exécuter des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration de l’immeuble vacant ou non occupé depuis plus de deux ans. Cet article permettra aussi aux indivisaires, lors d’un partage amiable, d’imposer la décision prise à ceux qui essaieraient de se soustraire à la négociation de manière dilatoire, et il autorisera les indivisaires d’une succession ouverte depuis plus de dix ans, qui détiennent la majorité des droits indivis, à provoquer la vente ou le partage des biens immobiliers concernés. L’article 4 étend le principe de la voie de juridiction gracieuse inscrit dans le droit local alsacien-mosellan dans notre droit civil afin de ne pas réserver la possibilité d’un recours en justice aux situations où une procédure de partage amiable a été menée.

Cette proposition de loi comporte des outils visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale : elle est donc un premier pas utile ; les travaux menés ont néanmoins démontré qu’une réforme complète de la procédure de partage était nécessaire. Notre groupe a déposé, pour sa part, plusieurs amendements visant à préciser le champ d’application de la proposition de loi. Nous soutiendrons les amendements de réécriture de la rapporteure et, évidemment, le texte dans son ensemble. En 2008, j’avais été à l’initiative, avec Jean‑Luc Warsmann, alors président de notre commission, d’une proposition de loi facilitant la sortie des indivisions. Elle avait été votée par notre assemblée, mais n’avait pas terminé son parcours législatif.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Votre proposition de loi, madame la rapporteure, vise à simplifier la sortie de l’indivision successorale. Vous avez souligné que des biens étaient laissés à l’abandon à cause d’indivisions conflictuelles ou de successions vacantes. Nous partageons cette analyse, qui concerne particulièrement les territoires ultramarins. Dès le premier paragraphe de l’exposé des motifs, vous évoquez la crise du logement, en mettant en avant que 91 300 logements vacants sont recensés en France hexagonale et dans l’outre-mer. Vous rappelez également le nombre de personnes mal logées en France, qui s’élève à 4,2 millions d’après le dernier rapport annuel de la Fondation pour le logement des défavorisés. Malgré les rappels des faits et des chiffres, rien dans votre proposition de loi ne permettra la réquisition des logements vacants, qui est pourtant un enjeu majeur. Alors que 2,7 millions de ménages sont en attente d’un logement social, le nombre des attributions évolue d’une façon inversement proportionnelle à la demande : 393 000 logements sociaux ont été attribués en 2023, c’est-à-dire 100 000 de moins qu’en 2016.

Il nous semble primordial d’aller plus loin en poussant à son terme la logique de la réquisition des logements vacants pour faire face à la crise et garantir le droit fondamental au logement. Nous voulons, à la France insoumise, que les biens en déshérence entrent dans le patrimoine public au bout de dix ans dans tous les cas, que le droit à la réquisition soit renforcé et étendu aux maires, que le parc hôtelier touristique soit également réquisitionnable, que les locaux appartenant à des personnes morales le deviennent après six mois de vacance au lieu de douze et qu’il ne soit plus possible d’échapper à une réquisition. C’est en ce sens que nous avons déposé, le 23 janvier 2024, une proposition de loi visant à moderniser la loi de réquisition des logements vacants.

Par ailleurs, il est impératif que les successions les plus importantes ne soient pas exclues de votre proposition de loi, comme le laisse entendre l’alinéa 3 de l’article 2. À défaut, il nous sera difficile d’envisager un vote favorable. Votre texte ne révolutionnera pas la réquisition des logements, mais il a au moins le mérite d’accélérer une procédure précise en ce qui concerne l’indivision successorale. Nous soutiendrons les amendements déposés par le groupe GDR à l’article 3 : il nous semble primordial de tenir compte du bilan de la loi Letchimy, mais aussi de conserver des dispositions spécifiques aux territoires d’outre-mer.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Certaines situations d’indivision posent clairement de nombreux problèmes. Faute d’accord entre les héritiers, des successions restent bloquées pendant dix, vingt, trente, voire quarante ans. Dans les territoires d’outre-mer, où le foncier est par définition limité, l’indivision est particulièrement problématique. La loi Letchimy a permis de grandes avancées mais des difficultés persistent. Le texte que nous examinons étend certaines dispositions de cette loi en en faisant le droit commun et les élargit. Il prévoit notamment de passer de la règle de l’unanimité à celle de la majorité pour la vente ou le partage d’un bien en indivision, d’autoriser un indivisaire à réaliser des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration, mais aussi de recenser les biens abandonnés pour mieux cartographier la vacance foncière. Ce texte permettra ainsi de réduire le nombre de biens immobiliers en état d’abandon. Il contient des avancées utiles, nous en convenons. Mais parlons franchement : il ne résoudra en rien les inégalités de patrimoine en France. Surtout, 4,1 millions de personnes restent mal logées.

Contrairement à ce qui est avancé au début de l’exposé des motifs, cette proposition de loi est bien loin de répondre aux véritables enjeux du logement dans notre pays. En effet, 350 000 personnes sont sans domicile, vivant à la rue ou en hébergement d’urgence, parmi lesquelles 2 000 enfants. La production de logements s’effondre : seulement 259 000 ont été mis en chantier en 2024, dont à peine 82 000 logements sociaux, un record – négatif – depuis vingt ans. Le nombre de ménages demandeurs d’un HLM explose, et plus de 19 000 ont été expulsés de leur logement cette année.

Ces chiffres sont accablants. Ils témoignent d’une crise du logement d’une ampleur inédite et insuffisamment prise en compte par les pouvoirs publics. S’il peut être utile de faciliter la sortie de l’indivision, nous devrions aujourd’hui légiférer sur la mise en place d’une véritable politique du logement, passant nécessairement par la construction massive de logements sociaux, par l’encadrement de la spéculation foncière, par la protection des locataires et par la taxation des plus grandes successions.

Nous voterons ce texte pour ce qu’il est : une proposition de loi technique dont l’impact sera insignifiant face à la réalité des besoins. Nous continuerons donc à nous mobiliser pour ce qui devrait être une priorité absolue : garantir un logement digne à toutes et tous.

M. Philippe Gosselin, président. J’interviens à présent au nom de mon groupe. Cette proposition de loi nous paraît aller dans le bon sens, sachant que l’enjeu n’est évidemment pas de résoudre la crise du logement en France. Je fais partie de ceux qui déplorent cette crise, marquée depuis sept ans par un déficit d’au moins 100 000 nouveaux logements chaque année. Au-delà de ce constat, l’Inspection générale de la justice a établi que la situation était marquée par des contentieux longs et complexes autour de l’indivision. Certaines collectivités se trouvent démunies face à la présence sur leur territoire, parfois en plein centre-ville, d’immeubles dangereux menaçant ruine et dont la réhabilitation est soumise à de lourdes contraintes.

Ce texte n’est pas la révolution que l’on pourrait souhaiter mais, s’inspirant de la loi Letchimy pour l’outre-mer, il constitue une avancée qui permettra sans doute de résoudre des situations très injustes. Des familles se trouvent prises au piège de l’indivision. Ce terme ne me semble pas trop fort, sachant qu’elles sont dans l’impossibilité de vendre, de rénover ou d’habiter, parfois pendant des dizaines d’années. C’est le cas dans tout le territoire, mais peut-être davantage encore dans l’outre-mer.

Cette réforme permettra sans doute d’améliorer l’offre de logements vacants, même si ce n’est qu’à la marge, et de réduire le nombre de biens à l’abandon. Peut-être pourra-t-on aussi récupérer parfois un peu de foncier ; c’est en tout cas l’un des objectifs. Les démarches des familles resteront sans doute un peu compliquées, mais elles seront néanmoins simplifiées et des collègues se réjouiront de voir que le travail des notaires et des tribunaux sera facilité. S’agissant des biens dont les propriétaires resteraient introuvables, en revanche, il n’existe pas de solution miracle.

Le dispositif ayant fait ses preuves dans l’outre-mer, il n’y a aucune raison qu’il ne nous inspire pas pour l’Hexagone. Je vois là un joli clin d’œil : pour cette fois, c’est l’outre-mer qui nous inspire.

Quelques points de vigilance devront néanmoins être pris en compte. En dépit de ses avantages, cette réforme pourrait entraîner certaines contestations juridiques : en permettant à une majorité d’indivisaires d’imposer une vente ou un partage, on s’expose au risque que certains héritiers minoritaires se sentent lésés et engagent – ce serait légitime – des recours judiciaires qui pourraient ralentir la procédure. Par ailleurs, le recensement des biens vacants prévu à l’article 1er nécessitera la création d’une base de données, un travail administratif conséquent auquel des moyens humains et financiers devront être consacrés. Même si des exceptions sont prévues par le texte pour les mineurs, les majeurs protégés et les conjoints survivants, il conviendra aussi de s’assurer que les mesures de protection des héritiers vulnérables sont suffisantes en pratique. Enfin, les collectivités et la DNID vont avoir besoin d’un accompagnement. Les communes, en particulier, seront en première ligne pour la mise en œuvre des nouvelles procédures. Un suivi législatif, réglementaire et pratique serait souhaitable afin d’adapter ensuite les dispositions en tant que de besoin et d’éviter ainsi de nouveaux blocages.

Le groupe DR votera ce texte, considérant qu’il constitue une étape nécessaire qui en appellera peut-être d’autres.

2.   Troisième réunion du mercredi 19 février 2025 à 17 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/lf4zv1

Lors de sa troisième réunion du mercredi 19 février 2025, la Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale (n° 823) (Mme Louise Morel et M. Nicolas Turquois, rapporteurs).

Présidence de M. Florent Boudié, président.

Mme Anne Bergantz (Dem). Loin d’être uniquement technique, le texte que nous défendons aujourd’hui intéresse de nombreux Français. En effet, beaucoup de foyers connaissent les problèmes successoraux liés à des situations d’indivision bloquées. Or « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué » : c’est ainsi que le principe général de liberté dans l’indivision est exposé dans le code civil.

L’indivision successorale est une situation juridique qui survient lorsque plusieurs héritiers se partagent la propriété d’un bien immobilier ou d’autres actifs après un décès. Cette situation est censée être une étape transitoire dans le règlement de la succession. Cependant, on observe que de nombreux biens immobiliers restent inoccupés pendant plusieurs années, voire des décennies, à cause d’indivisions bloquées ou de successions vacantes. Dans les territoires ruraux, cela entraîne une importante perte de foncier bâti. Les biens vacants sont, par ailleurs, souvent source de nuisances, telles que les squats, l’insalubrité ou les risques de ruine, qui affectent les riverains et représentent un coût pour les collectivités.

Votre proposition de loi entend répondre à cet enjeu en simplifiant la sortie des indivisions longues et persistantes, avec pour second objectif de récupérer du bâti foncier, contribuant ainsi à trouver une piste de réponse à la crise du logement.

Ce texte repose ainsi sur une logique pragmatique et s’inspire de bonnes pratiques dans nos territoires, en créant une base de données relative au recensement des biens abandonnés afin de disposer d’une cartographie précise permettant de mesurer l’ampleur du phénomène, en proposant un mécanisme favorisant la sortie des indivisions bloquées du fait d’une succession vacante et en étendant à l’ensemble du territoire les régimes applicables dans certaines collectivités d’outre-mer et en Alsace-Moselle, lesquelles permettront aussi de faciliter les sorties d’indivision et de relancer la politique du logement.

Alors que la gestion des biens en indivision peut entraîner des difficultés financières pour les héritiers et que la complexité de la gestion de ces biens peut rendre difficile leur mise en location ou en vente, ce qui réduit le nombre de logements disponibles sur le marché, le texte proposé peut endiguer ces difficultés. Cette proposition de loi apporte une solution pour réutiliser les biens existants, et donc économiser l’espace, mais également pour répondre à la demande de logement et revivifier les centres-bourgs et centres-villes. Le droit à la propriété est un droit fondamental, qu’il nous faut préserver pour tous, mais le libre choix de sortir d’une d’indivision doit aussi être garanti.

Enfin, si ce texte n’ambitionne pas de révolutionner la situation ni d’apporter toutes les réponses aux conditions d’accès au logement, car ce problème est très large, il permettra au moins d’en traiter une partie. Le groupe Les Démocrates le soutiendra donc.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Cette proposition de loi, technique à première vue, touche l’un des sujets les plus structurants pour la vie des Français : le logement, dans sa dimension successorale. Le caractère très concret de ce texte pour nos concitoyens et les questions importantes qu’il pose sur le droit de propriété, sans oublier la dimension affective de la succession, justifient un examen attentif.

Cette proposition de loi est d’autant plus sensible qu’elle intervient dans un contexte de crise du logement qui s’aggrave. En effet, alors que le nombre de personnes sans domicile est estimé à 350 000, la production de logements sociaux a connu une chute brutale en 2024, où 82 000 logements seulement ont été financés, ce qui est le pire résultat depuis vingt ans. Cette crise du logement est aggravée par une augmentation du nombre de logements vacants. Depuis 1990, en effet, le nombre de logements inoccupés a augmenté de près de 1,2 million, soit une hausse de 60 %, pour atteindre 3,1 millions. Notre pays se trouve donc dans une situation paradoxale : alors qu’un nombre croissant de nos concitoyens peinent à se loger, le nombre de logements vacants est en hausse. Si le groupe Horizons & indépendants regrette de ne pas disposer de chiffres précis, cette hausse du nombre de logements vacants semble, selon toute logique, en partie liée à un cadre juridique qui rend long et complexe le traitement des indivisions successorales.

Le groupe Horizons & indépendants soutien pleinement les objectifs de cette proposition de loi, dont le caractère sensible au regard du droit à la propriété privée justifie une analyse approfondie. En particulier, l’adoption de l’article 2 renforcerait significativement les prérogatives de la direction nationale d’interventions domaniales (DNID). Au vu des modifications importantes qu’entraîneraient de telles dispositions, éventuellement attentatoires au droit inviolable et sacré qu’est le droit à la propriété privée, il conviendra de nous assurer que leur application est assez restreinte pour en garantir la pertinence et la constitutionnalité.

Notre groupe proposera donc un amendement visant à prévoir que l’un des indivisaires doit être décédé depuis plus de cinq ans, au lieu de deux ans seulement dans la rédaction actuelle de l’article 2.

L’article 3 soulève selon nous plus de difficultés. D’une part, en effet, l’expérimentation ouverte aux collectivités d’outre-mer par la loi Letchimy de 2018 et sa prorogation de 2024 est très récente et ne donne pas le recul nécessaire pour évaluer son efficacité, et elle n’a, en outre, fait l’objet d’aucune évaluation. D’autre part, c’est la situation très particulière des outre-mer, notamment en matière cadastrale, qui a justifié de telles dérogations au droit de propriété et il n’est pas évident qu’une généralisation de ce dispositif à l’ensemble du territoire soit adaptée.

Pour ces deux raisons, le groupe Horizons & indépendants affinera sa position de vote sur l’article 3 dans le cadre des débats en commission des lois et en fonction des éventuels amendements déposés par les rapporteurs. Notre groupe tient par ailleurs à souligner que la constitutionnalité d’une telle généralisation n’est pas garantie puisque ni la loi Letchimy ni la prorogation de l’expérimentation n’ont fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel.

Enfin, si l’article 4 paraît satisfaisant intellectuellement, notre groupe regrette que la proposition de loi ne mentionne pas de rapport attestant de l’efficacité de ce dispositif en Alsace-Moselle et susceptible de contribuer à objectiver la nécessité de son élargissement à l’ensemble du territoire. Notre groupe souscrit toutefois à l’idée de développer des moyens alternatifs de règlement des différends permettant de soulager nos juridictions.

En conclusion, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi, qui pose la question nécessaire de la crise du logement et apporte une petite pierre à l’édifice en proposant des dispositions efficaces pour contribuer à y répondre.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Les députés d’outre-mer déplorent souvent que leurs territoires soient l’objet de toutes sortes d’expérimentations visant à tester certains dispositifs avant de décider de leur application sur le reste du territoire national. La situation est ici, pour une fois, un peu différente : c’est une proposition de loi rédigée à l’initiative d’un député d’outre-mer, Serge Letchimy, pour répondre à des difficultés particulières à l’outre-mer qui a inspiré nos collègues Démocrates. Cette démarche me plaît assez, mais il faut tout de même examiner le fond de ce texte.

L’essentiel du dispositif consiste à étendre l’application de la loi Letchimy au territoire national, avec quelques aménagements. Les articles 2 et 3 de la proposition de loi nous interrogent à plusieurs égards et nous avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements sur ces articles.

Nous sollicitons ainsi la suppression de l’article 2, qui prévoit la sortie de l’indivision avec la possibilité d’une expropriation par la DNID. On peut comprendre que, lorsque des indivisions durent indéfiniment, il faille pouvoir en sortir, mais cela ne justifie pas une expropriation pure et simple, dont le mécanisme, qui s’applique notamment lorsque l’un des indivisaires est décédé depuis au moins deux ans, nous semble soulever une question de constitutionnalité et répondre d’une manière assez ténue à l’impératif d’intérêt public. L’opportunité de ce dispositif, qui n’était du reste pas prévu par la loi Letchimy et n’existe pas en outre-mer, n’est pas évidente.

Nous proposons par ailleurs une réécriture totale de l’article 3. En effet, alors que le code civil prévoit un dispositif de droit commun permettant une sortie amiable de l’indivision, la loi Letchimy ouvre un régime dérogatoire du droit commun et votre rédaction de cet article opère une sorte d’amalgame entre le droit commun et l’exception.

Dans tous les cas, la position du groupe GDR sur cette proposition de loi dépendra évidemment du sort réservé à nos amendements et des débats que nous aurons. La question est technique, mais l’enjeu est d’importance dans nos territoires comme en Hexagone, et nous ne pouvons pas toucher à un droit aussi important sans en envisager toutes les conséquences.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). L’indivision successorale est parfois une entrave majeure à la gestion des patrimoines et au dynamisme économique de nos territoires. Trop souvent, les biens restent gelés pendant des années, voire des décennies, faute d’accord entre les héritiers et ce blocage nuit à la transmission du patrimoine familial, empêche l’exploitation des terres agricoles dans nos territoires ruraux et freine des projets d’aménagement nécessaires à la revitalisation de nos communes, favorisant les fameuses « dents creuses » dans nos villages.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à ces difficultés en simplifiant les modalités de sortie d’indivision et en assouplissant les règles de majorité pour les décisions de vente. En autorisant la cession d’un bien indivis à la majorité des deux tiers des indivisaires, elle offre une solution de bon sens, attendue par les notaires, aux situations de blocage, tout en maintenant un équilibre entre la protection des droits successoraux et la nécessité de fluidifier la gestion des biens.

Le groupe Union des droites pour la République soutiendra cette réforme, qui constitue une avancée pour de nombreuses familles et pour des territoires, en particuliers ruraux et montagneux. Il s’agit là d’un levier essentiel pour éviter l’enlisement de certains patrimoines et permettre une valorisation effective des biens.

Toutefois, nous devons veiller à ce que cette simplification ne se fasse pas au détriment des indivisaires les plus vulnérables, notamment ceux qui, pour des raisons diverses, ne sont pas identifiés ou localisables au moment des procédures de vente. Nous avons donc déposé un amendement qui vise à garantir les droits sans entraver la logique de fluidification qu’exprime ce texte.

Article 1er : Rapport sur la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés

Amendement CL28 de Mme Louise Morel et sous-amendement CL34 de M. Michel Guiniot

Mme Louise Morel, rapporteure. L’article 1er crée une base de données dont l’objectif est de recenser tous les biens en état d’abandon. À la suite des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons décidé de préciser ce périmètre à partir des dispositifs déjà fixés dans la loi. L’amendement vise donc à créer une base de données recensant toutes les différentes procédures de biens en état d’abandon, qu’il s’agisse de parcelles en état d’abandon, de biens sans maître, de successions vacantes ou de successions en déshérence, qui sont des objets législatifs différents. Il répond notamment à une préoccupation exprimée par les maires, confrontés par exemple à la présence dans leur commune d’un immeuble en état de délabrement et sans propriétaire identifié, et que cette base de données aidera à connaître la situation juridique du bien et à prendre la mesure la plus adéquate.

M. Michel Guiniot (RN). La notion d’état d’abandon existe dans le code général de la propriété des personnes publiques pour désigner les bateaux abandonnés sur le domaine public fluvial, ainsi que pour parler des terrains des associations foncières pastorales dans le code rural. Il existe également une procédure visant l’état d’abandon manifeste.

Ce sous-amendement vise à écarter toute possibilité de méprise dans l’interprétation, comme cela a été évoqué lors de l’audition de la direction nationale d’interventions domaniales. La formulation proposée permet également de ne viser que les immeubles, et non l’ensemble des biens meubles et terrains, tout en se fondant sur des critères objectifs et manifestes qui permettront de faciliter la récolte des informations.

L’amendement étant de bon sens, la précision proposée a pour seul but qu’il soit bien entendu.

Mme Louise Morel, rapporteure. Le dispositif de l’amendement, qui mentionne chacune des catégories juridiques de biens concernées, est assez précis : vous proposez plutôt une précision sémantique, sinon rédactionnelle, qui peut clarifier l’objectif d’ensemble. Sagesse.

Successivement, la commission rejette le sous-amendement et adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.

Après l’article 1er

Amendement CL29 de Mme Louise Morel et sous-amendement CL35 de M. Michel Guiniot

Mme Louise Morel, rapporteure. Cet amendement répond à une demande de la DNID, qui souhaite donner la publicité la plus large possible à des ordonnances judiciaires qui la désignent comme curateur d’un bien dans une succession vacante. Actuellement, cette publicité se fait dans un journal écrit et local d’annonces légales. La DNID, qui a déjà mis en place un portail internet plus largement accessible au public et permettant à des héritiers de réclamer une succession vacante, a demandé l’inscription cette modalité de publicité dans la loi.

M. Michel Guiniot (RN). Le sous-amendement vise à garantir l’existence des journaux d’annonces légales. Les propos des représentants de la DNID ont manifesté la nécessité d’une plus grande publicité des annonces légales, compte tenu des nouvelles mobilités de la population et de la baisse d’intérêt de la société pour la presse papier, et c’est cette nécessité que transcrit l’amendement CL29. La diffusion numérique doit toutefois coexister avec la publication dans la presse traditionnelle. S’il ne change pas le sens de la démarche, l’ajout du mot « également » en change les conséquences.

Je rappelle que, durant les auditions, la DNID a bien précisé que le portail numérique qu’elle utilise pour les successions vacantes n’avait pas vocation à devenir un journal d’annonces légales et qu’il fallait envisager de multiplier les possibilités de publicité. La presse papier a encore un pouvoir d’information et nous devons lui permettre de continuer à respirer.

Mme Louise Morel, rapporteure. L’amendement n’a pas pour objet d’écarter le recours au journal d’annonces légales, mais seulement de donner un effet légal au portail numérique. Le sous-amendement me semblant satisfait, j’en demande le retrait. À défaut, avis défavorable.

Successivement, la commission rejette le sous-amendement et adopte l’amendement.

Article 2 : Favoriser la sortie des indivisions bloquées du fait d’une succession vacante

Amendement de suppression CL22 de Mme Émeline K/Bidi

Mme Émeline K/Bidi (GDR). L’article 2, qui prévoit d’octroyer à la DNID des prérogatives d’expropriation des biens immobiliers, ne me semble pas poursuivre un objectif d’intérêt général et j’ai d’autant plus de mal à en comprendre l’intérêt que les délais applicables sont largement réduits, de telle sorte qu’une succession non réglée depuis deux ans et un mois peut faire l’objet d’une mesure exorbitante du droit commun. D’où cet amendement de suppression de l’article.

Mme Louise Morel, rapporteure. Mon amendement CL30 de réécriture globale de l’article 2 répond à vos préoccupations, que partagent plusieurs des personnes que nous avons auditionnées. Il recentre en effet le dispositif sur la possibilité pour les domaines de vendre un bien indivis dans une succession vacante qui bloque une autre succession lorsque l’identité ou l’adresse d’un ou plusieurs indivisaires est inconnue. Il supprime également la possibilité de vendre lorsqu’un ou plusieurs indivisaires ne se manifestent pas, qui était plus problématique au regard de la protection constitutionnelle du droit de propriété. Enfin, il ajoute des garanties, car le demandeur devra justifier d’avoir entrepris des diligences sérieuses en vue d’identifier et de localiser les indivisaires inconnus. Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). En rédigeant mon amendement, je n’avais pas encore connaissance votre amendement de réécriture, qui prend en compte mes craintes.

L’amendement est retiré.

Amendement CL30 de Mme Louise Morel, sous-amendements CL36 et CL37 de M. Michel Guiniot

Mme Louise Morel, rapporteure. Cet amendement, dont l’adoption ferait tomber les autres amendements à l’article 2, constitue un bon point d’équilibre entre les différentes préoccupations exprimées. D’abord, en effet, il recentre l’article sur un cas particulier de succession et d’indivision bloquée lorsqu’une succession est partagée entre plusieurs indivisaires mais que l’adresse ou l’identité de certains d’entre eux est inconnue. C’est par exemple le cas lorsqu’un héritier est lui-même décédé et que l’on ne connaît pas ses enfants. Dans certaines de ces successions, en effet, l’un des héritiers indivisaires est décédé et sa succession est vacante, c’est-à-dire qu’aucun héritier ne la réclame ou n’est connu. L’administration du domaine agit alors comme curateur des successions vacantes et elle est elle-même confrontée aux autres indivisaires décédés et à leurs héritiers inconnus – cas dans lequel la succession est bloquée en indivision et dont aucun mécanisme existant ne permet de sortir. L’amendement vise à permettre à la DNID de débloquer ces successions en vendant le bien indivis malgré le silence des indivisaires inconnus.

Enfin, le dispositif révisé prévoit des garanties fortes pour préserver le droit de propriété de ces indivisaires inconnus : l’indivision doit être constituée depuis au moins dix ans, elle doit comprendre un indivisaire en succession vacante décédé depuis au moins deux ans – délai que je suis prête à voir évoluer, en réponse à certains amendements déposés à ce propos –, la vente ne peut intervenir, sur autorisation judiciaire, qu’après vérification par le juge qu’il n’y a pas d’atteinte excessive aux droits des indivisaires et le demandeur doit justifier des diligences entreprises en vue d’identifier et de localiser les indivisaires inconnus.

M. Michel Guiniot (RN). Au cours des auditions, le Conseil supérieur du notariat a relevé dans la formulation initiale un problème quant à la juridiction désignée compétente pour contester. Le tribunal compétent n’étant pas précisé dans l’amendement, il faut l’indiquer afin d’éviter toute confusion entre le tribunal du lieu d’ouverture de la succession, le tribunal du lieu de situation de l’immeuble, le tribunal du ressort de l’autorité administrative concernée et le tribunal du ressort de l’indivisaire qui souhaite manifester son opposition à l’aliénation. Ce sous-amendement vise donc seulement à faciliter l’interprétation de votre amendement de bon sens.

Mme Louise Morel, rapporteure.  Le Conseil supérieur du notariat a relevé que ce type de précisions ont plutôt vocation à figurer dans le code de procédure civile. Je propose que nous traitions cette question assez technique lors de l’examen du texte en séance publique, afin d’éviter d’introduire une difficulté dans le dispositif.

Les sous-amendements sont retirés.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est ainsi rédigé et l’amendement CL15 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, les amendements identiques CL6 de Mme Céline Thiébault-Martinez et CL7 de Mme Sandrine Nosbé, de même que l’amendement CL27 de Mme Sophie Ricourt Vaginay tombent.

Article 3 : Extension à l’ensemble du territoire national du régime applicable dans certaines collectivités d’outre mer institué par la loi dite « Letchimy »

Amendement CL31 de Mme Louise Morel et sous-amendement AS33 de M. Sébastien Huyghe, amendement CL23 de Mme Émeline K/Bidi (discussion commune)

Mme Louise Morel, rapporteure. L’amendement CL31, qui vise à répondre aux diverses préoccupations exprimées, propose de recentrer le dispositif prévu à l’article 3 qui, à l’origine, étend la loi du 27 décembre 2018, dite loi Letchimy, à l’ensemble du territoire national.

Les auditions ont montré que l’extension directe de la loi Letchimy provoquerait des effets de bords et emporterait des risques juridiques importants, compte tenu de la différence de situation entre l’Hexagone et les outre-mer en matière de foncier.

L’amendement propose de garder le même objectif consistant à favoriser une sortie plus facile des indivisions longues, tout en mobilisant plutôt un outil du droit commun assez méconnu des praticiens et peu utilisé, inscrit à l’article 815-5-1 du code civil. Cet article permet à une majorité des deux tiers des indivisaires d’exprimer devant le notaire leur intention d’aliéner un bien indivis. Si les autres indivisaires se taisent ou s’opposent, le tribunal judiciaire peut autoriser l’aliénation.

L’amendement vise à assouplir encore le principe de l’unanimité en permettant que la majorité simple des droits indivis puisse obtenir l’aliénation. Ce dispositif s’inspire de ce qui a été prévu outre-mer avec la loi Letchimy, qui fixe elle aussi un seuil de majorité simple.

Enfin, le bureau de la commission des lois a prévu de lancer une mission d’évaluation de la loi Letchimy, qui s’applique depuis 2020. Je propose le retrait des amendements qui viseraient à modifier cette loi et qui, du reste, tomberont en cas d’adoption du mien.

M. Sébastien Huyghe (EPR). L’article 815-5-1 du code civil était issu de la loi de 2009 que j’ai eu l’honneur de rédiger avec M. Jean-Luc Warsmann, alors président de la commission des lois, et qui prévoyait la possibilité de vendre, à la majorité des deux tiers des indivisaires en cas de mise en péril de l’intérêt commun de ceux-ci.

Alors que l’amendement vise à ce que la vente soit désormais possible avec un vote de la moitié des indivisaires, le sous-amendement tend à préciser que cette décision doit être prise par une vraie majorité, c’est-à-dire par plus de la moitié de ces derniers.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Pour sortir de l’indivision, les coïndivisaires doivent aujourd’hui passer par une phase amiable, décrite aux articles 835 et suivants du code civil. La loi Letchimy, limitée aux outre-mer et qui ne s’applique qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et lorsque la moitié des coïndivisaires sont d’accord, n’a pas fait disparaître cette phase amiable. Mon amendement CL23 de réécriture de l’article vise à conserver dans le code civil la phase amiable qui y figure déjà et à y insérer les articles nouveaux 837-1 à 837-3 qui font entrer la loi Letchimy dans ce code tout en conservant le dispositif existant en outre-mer, que nous avons mis du temps à trouver et à faire adopter pour ces territoires.

Mme Louise Morel, rapporteure. Avis favorable au sous-amendement de M. Huyghe, qui précise l’intention de l’amendement.

Quand l’amendement CL23, j’en demande le retrait au profit de mon amendement de réécriture, qui préserve le droit actuellement en vigueur dans les outre-mer et se contente de faire évoluer le droit applicable dans l’Hexagone en s’inspirant de la loi Letchimy.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). J’avais déposé cet amendement en défense de l’article 837 du code civil, que cette proposition de loi entendait modifier. La rédaction du texte a évolué et c’est désormais l’article 815-5-1 qu’il entend modifier, sans reprendre exactement le dispositif de la loi Letchimy. L’objectif initial de la proposition de loi n’est plus le même, mais je maintiens mon amendement.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Mon amendement CL27, visant à compléter l’article 815-5-3 du code civil, prévoyait notamment des recours juridictionnels pour les indivisaires une fois la vente réalisée, ainsi que la consignation du montant de la vente.

J’entends que la mention de la Caisse des dépôts (CDC) dans cet amendement soulève une difficulté, mais dans les faits, les notaires consignent bien les montants sur des comptes de la CDC. Il me semble important que ces fonds soient consignés si des indivisaires étaient retrouvés après une vente, grâce notamment à des recherches généalogiques, ou si des recours juridictionnels imprévus et contestés étaient effectués.

Je regrette que tous les éléments qui figuraient dans l’amendement CL27, désormais tombé, n’aient pas été repris dans la nouvelle rédaction de votre propre amendement.

Mme Louise Morel, rapporteure. Nous avons été alertés par la CDC après le dépôt de votre amendement : elle n’est pas favorable à une consignation de ces sommes, qui poserait des problèmes juridiques. Elle serait en effet dans l’impossibilité de les restituer, dans la mesure où elle estime ne pas être habilitée à vérifier l’identité d’indivisaires qui se manifesteraient ultérieurement. C’est pourquoi nous avons préféré ne pas mentionner de consignation par la CDC dans le texte.

Cependant je me tiens à votre disposition pour revoir la rédaction sur ce point d’ici à l’examen du texte en séance ou dans le cadre de la navette.

La commission adopte successivement le sous-amendement CL33 et l’amendement CL31 ainsi sous-amendé.

En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé et les amendements CL17 de M. Sébastien Huyghe et CL8 de Mme Sandrine Nosbé, de même que les amendements CL24, CL25 et CL26 de Mme Émeline K/Bidi tombent.

Article 4

Amendement CL32 de Mme Louise Morel

Mme Louise Morel, rapporteure. Députée d’Alsace, je dois dire que l’article 4 est mon préféré. Mais plutôt qu’étendre le droit alsacien-mosellan sur le partage judiciaire à l’ensemble du territoire, le présent amendement prévoit de procéder dans un premier temps à une expérimentation.

S’il est sain que le législateur s’inspire des droits locaux et particuliers qui fonctionnent, une expérimentation satisfera nos collègues qui ont exprimé, dans la discussion générale, le souhait de ne pas aller trop vite.

En droit commun, le partage judiciaire après une indivision est long et complexe, alors que le droit alsacien-mosellan, appelé aussi droit local, est reconnu pour son efficacité en la matière. Il a pour caractéristique principale de donner des pouvoirs renforcés aux notaires pour faire avancer la procédure, notamment celui de convoquer les parties à des débats et à présumer qu’elles consentent si elles ne se manifestent pas. Ce dispositif a fait ses preuves en Alsace-Moselle, où il existe depuis 1888. L’expérimentation qui est proposée serait ouverte aux départements volontaires pour une durée de cinq ans.

M. Sébastien Huyghe (EPR). Je m’interroge sur la nécessité de procéder à une expérimentation, dès lors que le dispositif fonctionne depuis 1888 : l’expérimentation a déjà eu lieu, si je puis dire, et depuis suffisamment longtemps pour que l’on s’aperçoive d’éventuels dysfonctionnements.

Mme Louise Morel, rapporteure. À titre personnel je serais particulièrement fière que ce dispositif soit purement et simplement étendu à l’ensemble du territoire mais, après de nombreuses auditions et discussions, j’ai pris conscience qu’imposer autant de contraintes à l’administration chargée d’appliquer la loi et aux notaires était sans doute précipité. Une expérimentation dans des départements volontaires serait de nature à rassurer les autres départements, en permettant notamment de mener une évaluation et d’établir une comparaison entre les pratiques nouvelles et les pratiques précédentes.

M. Sébastien Huyghe (EPR). Vous dites que cette expérimentation se fera dans des départements volontaires : cela signifie-t-il que les conseils départementaux devront se porter candidats ? Pourquoi avoir choisi cette collectivité locale plutôt qu’une autre ?

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Je suis dubitative quant à la manière dont nous travaillons. Nous nous interrogeons sur la pertinence de proroger une expérimentation outre-mer, alors que nous ne disposons pas d’un véritable bilan de la loi qui existe depuis quatre ans, pour finalement ne pas reprendre le dispositif tel quel.

Plus largement, tous les articles de la proposition de loi ont été remaniés en profondeur par des amendements de la rapporteure que nous devons examiner en quelques minutes.

Nous nous interrogeons maintenant sur le bien-fondé de procéder à l’expérimentation de dispositions qui existent depuis 150 ans. Le fait qu’elles existent ne veut pas dire qu’elles fonctionnent bien : je serais curieuse de connaître le taux de règlement et la durée de résolution des successions en Alsace-Moselle par rapport au reste du territoire.

Quel dispositif fonctionne mieux : celui prévu par la loi Letchimy outre-mer ou le droit alsacien-mosellan ? Il me semble que nous légiférons à la va-vite sur un sujet pourtant très important.

Mme Louise Morel, rapporteure. Les modalités de l’expérimentation seront fixées par un décret notamment en ce qui concerne la manière dont les départements seront retenus.

Madame K/Bidi, après les différentes auditions que nous avons menées et après avoir pris connaissance des amendements, dont certains s’interrogeaient sur l’éventuelle inconstitutionnalité du dispositif, nous avons décidé de trouver un meilleur équilibre et nous avons déposé ces amendements de réécriture. Ce sujet étant particulièrement technique, nous avons préféré consolider les éléments juridiques, non seulement en fonction des auditions, mais aussi grâce au soutien des administrateurs de la commission des lois.

En tout état de cause, si cette proposition de loi est adoptée, elle ne modifiera la situation ni dans les outre-mer, ni en Alsace-Moselle. Elle concerne uniquement la France hexagonale hors Alsace-Moselle et vise à accélérer les procédures relatives aux indivisions constituées depuis longtemps.

Les deux dispositifs dont il a été question fonctionnent de manière satisfaisante. Nous proposons simplement que le dispositif d’abaissement du seuil figurant dans la loi Letchimy soit étendu au reste du pays, et que les dispositifs en vigueur en Alsace-Moselle fassent l’objet d’une expérimentation dans des départements volontaires, pour une durée de cinq ans. En 2021, à l’occasion de son audition pour un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ), le Conseil supérieur du notariat proposait que la législation s’inspire du droit alsacien-mosellan, afin de sortir des indivisions vacantes constituées de longue date.

Le sujet est technique et un peu de temps est peut-être nécessaire. Je me tiens à votre disposition, d’ici à l’examen du texte en séance publique, pour y apporter des améliorations. Cette proposition de loi n’a pas l’ambition de résoudre la crise du logement, mais de résoudre un problème précis par la généralisation de dispositifs qui ont fait leurs preuves, ce que les auditions ont confirmé.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé et les amendements CL19, CL20 et CL21 de M. Sébastien Huyghe tombent.

Après l’article 4

Amendement CL1 de M. Frédéric Maillot

Mme Louise Morel, rapporteure. Nous devrions attendre les résultats de la mission d’évaluation de la loi, actée par le bureau de la commission, avant de nous prononcer sur le contenu de cet amendement. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL16 de Mme Céline Thiébault-Martinez

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cet amendement vise à demander un rapport, remis par le gouvernement au Parlement dans un délai d’un an après la promulgation de la loi, au sujet du principe de la voie de juridiction gracieuse de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale (n° 823) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport

 

 

 

 


   Personnes entendues

   Mme Flavie Le-Tallec,sous-directrice du droit civile

   M. Valentin Raguin, adjointe à la sous-directrice

   Mme Raphaëlle Wach, cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille

   Mme Manon Fauvernier, adjointe au bureau

   Mme Douce Honorez, rédactrice au bureau

   Mme Isabelle Rouberol, directrice adjointe

   M. Joël Roch, juriste du pôle des successions vacantes

   Mme Sylvie Bonnello, responsable Division pilotage et animation

   Me Pierre Jean Meyssan, 1er vice-président du conseil supérieur du notariat

   Me Olivier Vix, notaire associé

   Me François Devos, directeur des affaires juridiques

   Mme Camille Stoclin, directrice des relations institutionnelles

Institut du droit local alsacien-mosellan

   M. Éric Sander, secrétaire général

Chambre des notaires du Bas-Rhin

   M. Gabriel Weyl, président maître

   Me Olivier Beltzung, notaire et membre des instances notariales, spécialistes des questions de partage de droit local

 


([1]) Rapport sur le traitement des dossiers civils longs et complexes, décembre 2021. Lien.

([2]) Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris : PUF – Quadrige, janvier 2024.

([3]) Article 515-5-1 du code civil

([4])  Article 1538 du code civil

([5]) Article 1441 du code civil

([6]) Philippe Malaurie et Claude Brenner, Droit des successions et libéralités, Paris : LGDJ, 2024.

([7]) Le partage peut ainsi être reporté après le décès du conjoint survivant ou à la majorité des enfants.

([8]) Pour éviter le morcellement des exploitations, en matière agricole, notamment.

([9]) Loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision.

([10]) Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

([11]) Loi n° 2009‑526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.

([12]) Article 815‑2 du code civil.

([13]) La majorité des droits indivis peut être distincte de la majorité des héritiers.

([14]) Article 815‑3 du code civil.

([15]) Même article.

([16])  L’aliénation est un terme général qui vise toute opération par laquelle celui qui aliène transmet volontairement à autrui la propriété d’une chose, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit. L’aliénation englobe ainsi, notamment, la vente amiable d’un bien, ou sa vente forcée.

([17])  Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, op. cit.

([18])  Articles 734 et suivants du code civil

([19]) Article 826 du code civil. Exemple : si la masse des biens à partager est de 100 et qu’un héritier a droit à un quart de ces biens, il reçoit des biens à hauteur de 25.

([20])  Article 830 du code civil.

([21])  Article 835 du code civil.

([22]) Article 840 du code civil

([23])  Article 842 du code civil

([24]) Article 1361 du code de procédure civile

([25]) Article 1364 du code de procédure civile

([26]) Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

([27]) Article 841‑1 du code civil.

([28]) Précité, Lien.

([29])  Réponse du Gouvernement publiée le 2 mars 2023 à la question n° 00979 du 14 juillet 2022 du sénateur M. Bruno Belin.

([30])  Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.

([31]) Exemple figurant dans le rapport n° 209 du 11 février 2009 de M. Bernard Saugey, rapporteur de la proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures,  fait au nom de la commission des lois du Sénat.

([32]) Article 815-4 du code civil.

([33]) Article 815-5 du code civil

([34]) Article 815-6 du code civil.

([35]) Article 813‑1 du code civil.

([36]) Article 814 du code civil.

([37])  Dans les départements et les régions d’outre-mer (Guadeloupe, la Réunion, Guyane, Martinique et Mayotte) ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

([38]) Afin d’éviter que le seuil requis pour les actes d’administration soit plus élevé que celui prévu pour les actes de disposition.

([39])  Philippe Malaurie et Claude Brenner, Droit des successions et libéralités, op. cit.

([40])  Droit des successions et libéralités, Philippe Malaurie, Claude Brenner, précité.

([41]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL28  

([42]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL29  

([43]) Par exemple décision 2010-60 QPC, 12 novembre 2010.

([44]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL30  

([45]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL31  

([46]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL33  

([47]) Site internet de la communauté européenne d’Alsace.

([48])  Décision 2011-157 QPC, 5 août 2011.

([49])  Par exemple, décision n° 2012-274 QPC, 28 septembre 2012.

([50]) Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Alsace-Moselle – Véronique Jaworski ; Marie-José Littmann‑Martin ; Caroline Lacroix– Juin 2020, Dalloz.

([51]) Article 225 de la loi du 1er juin 1924.

([52]) Article 224 de la loi du 1er juin 1924.

([53]) Article 225 de la loi du 1er juin 1924. Voir également, pour une explicitation du contenu de cet article : Olivier Vix, Le partage judiciaire de droit local alsacien-mosellan, LexisNexis, 2023 (§311).  

([54])  Article 234 de la loi du 1er juin 1924.

([55])  Article 233 de la loi du 1er juin 1924.

([56]) Olivier Vix, Le partage judiciaire de droit local alsacien-mosellan, LexisNexis, 2023 (§317).

([57])  Article 227 de la loi du 1er juin 1924.

([58]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL32  

([59]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0823/CION_LOIS/CL16