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N° 1006

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France (n° 787 rectifié).

PAR M. Charles RODWELL

Député

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 787 rect.

 


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Mesdames, Messieurs,

M. Alexandre Loubet, Mme Marine Le Pen et les membres du groupe Rassemblement national ont déposé, le 20 janvier 2025, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France (n° 787 rectifié).

En application de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette proposition.

Par ailleurs, lors de la conférence des Présidents du 21 janvier 2025, Mme Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national, a indiqué faire usage du pouvoir confié à certains présidents de groupe par l’article 141 du Règlement, qui prévoit que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Dans le cadre de ce « droit de tirage », comme le prévoit l’article 140 du Règlement, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de la commission d’enquête. Aucun amendement au texte de la proposition de résolution n’est recevable.

Par la suite, si la commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la Conférence des Présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête.

Ces conditions sont au nombre de trois :

1° Tout d’abord, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose, à son I, que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l’article 137 du Règlement, qui prévoit que les commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Dans le cas présent, l’article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête « chargée d’établir les freins à la réindustrialisation de la France », en soulignant que les travaux s’attacheront en premier lieu à analyser « les raisons structurelles de la désindustrialisation de notre pays ces quatre dernières décennies », pour identifier ensuite les difficultés – et leurs causes – que rencontrent actuellement les industriels pour mener et développer leurs activités ou créer des entreprises dans notre pays, et formuler des propositions pour lever ces freins.

L’exposé des motifs de la proposition de résolution explicite les faits justifiant, selon ses auteurs, la demande de cette commission d’enquête, à savoir l’important recul du secteur industriel en France entre 1995 et 2024, la dégradation de la balance commerciale qui en a découlé et l’apparition de « dépendances » révélées notamment par les crises financières, sanitaire et énergétique.

Tout en reconnaissant que les mesures gouvernementales prises depuis quelques années ont permis un « rebond de l’industrie en 2022 et 2023 », avec des résultats positifs notamment en matière d’attractivité économique, d’emplois et d’implantations industrielles, les auteurs de cette proposition de résolution considèrent que ces mesures restent « insuffisantes » pour « relever le défi de la réindustrialisation ».

Après avoir rappelé que les causes de la désindustrialisation de la France sont partiellement conjoncturelles, l’exposé des motifs évoque ce qui serait, selon les auteurs de la proposition de résolution, les causes structurelles du déclin industriel français depuis plusieurs décennies : « l’absence de stratégie industrielle nationale, les dépendances énergétiques de notre pays, la dégradation de la compétitivité, la lourdeur fiscale, le poids de la bureaucratie, l’instabilité normative, les réglementations européennes », etc., citant en particulier la crise du secteur automobile comme révélatrice des difficultés de l’industrie française.

Votre rapporteur considère en conséquence que les faits qui seraient visés par une enquête sont décrits avec une précision suffisante, et que l’identification des causes structurelles du déclin de l’industrie française durant ces quatre dernières décennies et des difficultés à réindustrialiser notre pays s’inscrit bien dans le cadre d’une commission d’enquête ;

2° En deuxième lieu, l’article 138 du Règlement prévoit l’irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité, même s’il peut être relevé que des travaux de contrôle sur des sujets proches sont en cours ou ont été achevés depuis moins d’un an, tels que la mission d’information de la commission des affaires européennes sur la souveraineté industrielle européenne, dont le rapport a été publié le 22 mai 2024, et les travaux préparatoires de la séance de débat thématique inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale du 4 mars prochain, qui sera consacrée à la perte de la souveraineté industrielle de la France ;

3° Enfin, le I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

L’application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l’article 139 du Règlement :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. »

Interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale, M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par un courrier en date du 10 février qu’à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n’était actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

En conclusion, selon votre rapporteur, la création d’une commission d’enquête chargée d’établir les freins à la réindustrialisation de la France est, d’un point de vue juridique, recevable.


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   Examen en commission

La commission des affaires économiques a examiné, lors de sa réunion du jeudi 13 février après-midi, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France (M. Charles Rodwell, rapporteur).

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous examinons ce matin la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France, déposée le 20 janvier 2025 par M. Alexandre Loubet et pour laquelle le groupe Rassemblement national a souhaité faire usage de son droit de tirage, en application de l’article 141 du règlement de l’Assemblée nationale.

Je rappelle que notre commission ne se prononce pas sur l’opportunité de cette demande de commission d’enquête : il nous revient uniquement de vérifier si les conditions requises pour sa création sont réunies. Par ailleurs, aucun amendement au texte de la proposition de résolution n’est recevable.

M. Charles Rodwell, rapporteur. Si notre commission estime aujourd’hui que les conditions requises sont réunies, la conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête. Ces conditions sont au nombre de trois.

Tout d’abord, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. ». Cette condition est réitérée à l’article 137 de notre règlement, qui prévoit que les commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

L’article unique de la proposition de résolution dit viser à créer une commission d’enquête « chargée d’établir les freins à la réindustrialisation de la France », en soulignant que les travaux s’attacheraient, en premier lieu, à analyser « les raisons structurelles de la désindustrialisation de notre pays ces quatre dernières décennies » pour identifier ensuite les difficultés, et leurs causes, que rencontrent actuellement les industriels pour mener et développer leurs activités ou créer des entreprises dans notre pays, et enfin pour formuler des propositions afin de lever ces freins.

L’exposé des motifs de la proposition de résolution explicite les faits justifiant, selon ses auteurs, la demande de cette commission d’enquête : l’important recul du secteur industriel en France entre 1995 et 2024, la dégradation de la balance commerciale qui en a découlé et l’apparition de dépendances révélées par les crises successives. Les auteurs du texte reconnaissent que les mesures gouvernementales prises depuis quelques années pour relancer notre industrie ont permis un rebond en 2022 et 2023, mais considèrent qu’elles demeurent insuffisantes pour relever le défi de la réindustrialisation – ces points feront sans aucun doute débat. Après avoir rappelé que les causes de la désindustrialisation de la France sont partiellement conjoncturelles, l’exposé des motifs évoque un certain nombre de raisons qui constitueraient les causes structurelles du déclin industriel français et de sa persistance.

Je considère que les faits visés sont décrits avec une précision suffisante et que l’identification des causes structurelles du déclin de l’industrie française et des difficultés à réindustrialiser notre pays s’inscrit bien dans le cadre d’une commission d’enquête.

En second lieu, l’article 138 du règlement prévoit l’irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 1451 ou qu’une commission d’enquête antérieure avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité, même si des travaux de contrôle sur des sujets proches sont en cours ou ont été achevés depuis moins d’un an, tels que ceux de la mission d’information de la commission des affaires européennes sur la souveraineté industrielle européenne, dont le rapport a été publié en mai dernier.

Troisièmement, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Interrogé par la présidente de l’Assemblée nationale, M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par un courrier en date du 10 février qu’à sa connaissance aucune poursuite judiciaire n’était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

La création de la commission d’enquête demandée par le groupe Rassemblement national est donc, d’un point de vue juridique, recevable.

M. Alexandre Loubet (RN). Merci pour votre soutien à la recevabilité de cette demande de création d’une commission d’enquête. Il existe, depuis dix ou vingt ans, une prise de conscience de la nécessité de réindustrialiser notre pays. Des mesures ont été prises, mais elles restent très largement insuffisantes et beaucoup ratent leur cible.

L’année 2024 a été noire pour l’industrie. Pour la première fois depuis 2016, nous avons constaté plus de fermetures que d’ouvertures d’usines et 24 000 emplois industriels ont été perdus. Lors d’une audition récente, des acteurs de la filière automobile nous ont appris que près de cent mille emplois pourraient disparaître dans ce secteur au cours des dix prochaines années.

Nous devons nous saisir de ce sujet. Le Rassemblement national a choisi d’en faire le thème prioritaire du début de la législature en lançant cette commission d’enquête, dont j’aurai l’honneur d’être le rapporteur. Je souhaite qu’elle devienne la caisse de résonance des acteurs de l’industrie, publics comme privés – salariés, industriels, élus, administrations.

Cette commission devra aussi proposer des solutions concrètes et applicables. La réindustrialisation sera le défi de notre génération. L’industrie est le moteur de la puissance d’un pays, parce qu’elle permet de réduire les dépendances. Elle est aussi le moteur de la prospérité sociale : plus on crée de la valeur ajoutée, mieux on peut répartir la richesse, améliorer la qualité de nos services publics et assurer la soutenabilité de notre système de retraite. L’industrie est enfin le moteur du progrès technique et technologique : l’essentiel des dépenses en matière de recherche et développement (R&D) s’y concentrent.

L’industrie est également, j’en suis convaincu, le meilleur moyen de relever les défis écologiques du XXIᵉ siècle. L’impact carbone de la France est ainsi lié pour moitié à nos importations. Pour recycler le plastique, par ailleurs, des innovations industrielles seront nécessaires.

J’espère que cette commission d’enquête saura dépasser les clivages politiques et nous réunir autour de l’enjeu de la réindustrialisation. J’aimerais que nous puissions dire à l’issue de nos travaux que, pour une fois dans cette assemblée, l’intérêt du pays a primé sur celui des partis.

M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). S’agissant de la recevabilité, nous nous en remettons aux conclusions du rapporteur.

Nous espérons que cette commission d’enquête permettra un examen en profondeur non seulement du déficit d’investissement dans la R&D, publique et privée, mais aussi de l’impact de nos politiques économiques et fiscales, de la pénurie de compétences dans certains secteurs industriels, de la rareté du foncier et de l’objectif « Zéro artificialisation nette » en 2050, ainsi que de la robotisation et de l’intelligence artificielle.

M. Charles Fournier (EcoS). Il me paraît utile de travailler sur la réindustrialisation. Je suis moins d’accord, en revanche, avec le raisonnement qui sous-tend la proposition de résolution. Il a en effet été question des quatre dernières décennies, alors que des séquences différentes se sont succédé au cours de cette période. J’aurais beaucoup à dire, pour ma part, sur les dernières années, en particulier sur la politique de l’offre et ses limites.

Il me semble que vous placez l’écologie – je m’adresse à nos collègues du Rassemblement national – au rang des problèmes et que vous considérez l’industrie comme une solution aux problèmes écologiques. C’est l’inverse, je crois : l’écologie est une solution aux problèmes de l’industrie.

On sent également chez vous une volonté de fragiliser l’édifice français, mais aussi européen en remettant en cause le Green Deal. Votre lecture de la souveraineté, qui est nationale au lieu de s’inscrire dans une perspective européenne – ce qui est, à mon sens, une erreur fondamentale –, vous conduit à préférer une approche très localiste et identitaire en matière industrielle.

Lors des débats sur le projet de loi « Industrie verte », vous avez dit qu’un crapaud ne pouvait pas arrêter une usine. Il me semble au contraire que l’industrie doit devenir réellement « verte » et je regrette que la loi n’ait pas prévu une définition de cette notion, qui doit tenir compte des ressources – pas seulement de l’énergie, mais aussi de la biodiversité et des matières premières… bref, des flux entrants et sortants, comme les déchets et les émissions de gaz à effet de serre. C’est en allant dans ce sens que nous devrions penser la réindustrialisation et c’est parce que nous n’avons pas engagé cette réflexion que des freins assez majeurs existent.

Cette commission d’enquête est nécessaire, mais j’ai un peu peur que vous n’en ayez déjà tiré les conclusions. Je défendrai d’autres analyses et j’espère vous faire entendre que s’il n’y a plus de crapauds, il n’y aura plus d’usines.

M. Charles Rodwell, rapporteur. Nous aurons ces débats politiques au sein de la commission d’enquête.

 

La commission déclare recevable la proposition de résolution.