N° 1018

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2025

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,


créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales,

PAR M. Jean MOULLIERE

Député

——

 

 

 

 


Voir les numéros :

 Sénat :  4, 324, 325 et T.A. 70 (20232024).

Assemblée nationale :  132


SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION..................................................... 5

Commentaire de l’article unique

Article unique (art. L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales) Abaissement de la participation financière minimale des collectivités territoriales maîtres d’ouvrage pour les communes rurales

Compte rendu des débats

Liste des personnes entendues

 

 


 

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales, déposée par les sénateurs M. Dany Wattebled et Mme Marie-Claude Lermytte, a été adoptée par le Sénat, sur le rapport de M. Hussein Bourgi, le 24 février 2024.

La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale du 11 février dernier l’a inscrite à l’ordre du jour de la séance publique du mardi 11 mars 2025, dans le cadre de l’ordre du jour dit « transpartisan » des semaines de l’Assemblée.

Cette proposition de loi modifie l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales, créé par l’article 76 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, dite loi « RCT », dans l’objectif d’encadrer les « financements croisés » entre plusieurs collectivités.

Ces derniers peuvent être définis comme la participation financière de plusieurs personnes publiques à un projet d’investissement commun. Ces financements croisés permettent notamment aux collectivités disposant de faibles ressources financières d’initier des projets d’investissement qu’elles ne seraient pas en mesure de financer seules.

Pour autant, ces financements croisés présentent un certain nombre d’inconvénients et de risques, qui ont conduit le législateur à les encadrer :

– ils peuvent ralentir certains projets d’investissements, en multipliant le nombre d’acteurs impliqués ;

– ils peuvent contribuer au financement de projets dont les coûts de fonctionnement ultérieurs ne pourront pas être financièrement assumés par la collectivité gestionnaire ;

– ils peuvent nuire à la lisibilité de l’action publique ;

– ils risquent, sans participation financière de la collectivité maître d’ouvrage, d’instaurer une forme de tutelle « de fait » d’une collectivité territoriale sur une autre.

Pour toutes ces raisons, l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales établit, depuis la loi « RCT », un principe de participation financière minimale pour toute collectivité territoriale ou groupement de collectivités assurant la maîtrise d’ouvrage d’un projet d’investissement.

Cette participation minimale est fixée à 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques au projet. L’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales abaisse toutefois cette participation :

– à 10 % en Corse, pour les projets d’investissement en matière d’eau potable et d’assainissement, d’élimination des déchets, de protection contre les incendies de forêts et de voirie communale ;

– à 15 % pour les opérations d’investissement financées par le fonds européen de développement régional dans le cadre d’un programme de coopération territoriale européenne.

Des dérogations à cette obligation de participation financière sont prévues par la loi, sur décision du préfet de département, pour les monuments protégés. Des dérogations sont également possibles, sous conditions, pour le patrimoine non protégé et, plus largement, pour des projets considérés comme structurants pour les collectivités, à savoir :

– les ponts et les ouvrages d’art ;

– les équipements pastoraux ;

– la défense extérieure contre l’incendie ;

– la construction, la reconstruction, l’extension et les réparations des centres de santé ;

– la réparation des dégâts causés par des calamités publiques ;

– la restauration de la biodiversité au sein d'un site Natura 2000 exclusivement terrestre ;

– la rénovation énergétique des écoles, des collèges et des lycées.

Malgré l’existence de telles dérogations, celles-ci ne sont que peu mises en œuvre, alors même que l’exigence d’une participation minimale de 20 % s’avère parfois disproportionnée pour les communes rurales.

La direction générale des collectivités locales (DGCL), que votre rapporteur a auditionnée, lui a ainsi indiqué qu’en 2022, seules quelques dizaines de projets ont bénéficié de dérogations sur le fondement de l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales. Le faible recours à ce dispositif peut s’expliquer par plusieurs raisons :

– une méconnaissance, par certains élus locaux, des mécanismes de dérogations existants ;

– un mécanisme qui, jusqu’en 2022, faisait l’objet, selon la DGCL, d’une validation systématique par l’administration centrale, décourageant les préfets d’y recourir ;

– des motifs d’octroi ou de refus de dérogation parfois peu explicités et ne semblant pas faire l’objet d’une application uniforme sur le territoire ;

– un montage des dossiers de demande de dérogation jugé complexe pour des petites communes peu outillées en matière d’ingénierie financière.

Ces difficultés peuvent conduire les communes rurales à différer, voire à renoncer à des projets d’investissement, en sachant qu’un report peut conduire, dans certains cas, à accroître les coûts futurs d’investissement. Ainsi, en matière de voirie et d’ouvrages d’art, le report des travaux de rénovation et de réparation peut conduire à la création d’une « dette grise », le coût de la réparation d’une chaussée ou d’un ouvrage endommagé étant significativement plus important que celui de son entretien préventif.

C’est à l’ensemble de ces difficultés que la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales vise à remédier.

Dans sa version initiale, l’article unique de la proposition de loi sénatoriale exemptait toutes les communes rurales de l’obligation de participation minimale au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage.

Il est apparu à la commission des Lois du Sénat :

– d’une part, qu’une exemption totale de participation risquait de déresponsabiliser les communes des projets qui sont les leurs ;

– d’autre part, qu’un financement minimal était nécessaire pour s’assurer que les communes seraient en capacité de financer les éventuels frais de fonctionnement futurs résultant de leurs investissements.

Pour ces raisons, la commission des Lois du Sénat a :

– transformé l’exemption de participation minimale en un abaissement de cette participation à 5 %, contre 20 % actuellement ;

– restreint cet abaissement aux seules communes de moins de 2 000 habitants, et non à l’ensemble des communes rurales.

En séance publique, le Sénat a à nouveau restreint le champ de l’abaissement de la participation minimale des communes rurales. Il a ainsi :

– d’une part, limité le champ des projets d’investissement concernés, dans l’objectif de cibler les projets les plus structurants pour ces communes. Il s’agit ainsi des projets de rénovation du patrimoine, de rénovation énergétique des bâtiments, d’eau potable et d’assainissement, de protection contre les incendies, de voirie communale ainsi que des projets concernant les ponts et les ouvrages d’art ;

– d’autre part, réduit le périmètre des communes rurales éligibles, afin de cibler les communes en ayant le plus besoin. Pour cette raison, le Sénat a réservé le bénéfice de la participation minimale de 5 % aux communes rurales dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 2 000 habitants.

Saisie du texte transmis par le Sénat, la commission des Lois de l’Assemblée a jugé le dispositif de la proposition de loi équilibré, celui-ci ciblant les communes rurales ayant financièrement besoin de dérogations – leur nombre s’élevant, selon la DGCL, à 28 500 – tout en s’assurant que les projets d’investissement éligibles ne risqueraient pas d’engendrer des frais de fonctionnement futurs trop importants au regard de leur capacité financière. Dans le cadre des projets de rénovation énergétique des bâtiments, la participation financière réduite des communes rurales permettra même de réduire leurs frais de fonctionnement futurs.

Espérant une adoption conforme de la proposition de loi et, ainsi, son entrée en vigueur rapide, votre commission des Lois l’a adopté à l’unanimité sans y apporter de modification.

 

 

 


   Commentaire de l’article unique

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi, dans sa version initiale, exonère les communes rurales de la règle leur imposant une participation financière minimale de 20 % pour les projets d’investissement dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage.

       Modifications apportées par le Sénat

La commission des Lois, à l’initiative de son rapporteur, Hussein Bourgi, a remplacé l’exonération de participation des communes rurales au financement de leurs projets d’investissement par une participation minimale de 5 %. Elle a en outre limité l’application de cette participation réduite aux communes de moins de 2 000 habitants.

En séance publique, le Sénat a restreint le champ des communes rurales pouvant bénéficier de cette participation réduite à celles ayant un potentiel financier par habitant deux fois plus faible que celui des autres communes de taille similaire. Il a en outre limité le champ des projets concernés à ceux considérés comme les plus structurants pour les communes rurales.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2024-279 du 29 mars 2024 ([1]) a abaissé la participation minimale du maître d’ouvrage pour le financement de projets d’investissement ayant pour objet la rénovation énergétique des bâtiments scolaires à 10 %, sur décision du préfet de département, lorsqu’il estime que la participation minimale de 20 % est disproportionnée au vu de la capacité financière du maître d’ouvrage.

       Position de la Commission

La Commission a adopté l’article unique sans modification.

  1.   L’état du droit

Dans l’objectif d’encadrer les financements dits « croisés » entre collectivités, le III de l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales établit un principe de participation financière minimale pour toute collectivité territoriale ou pour tout groupement de collectivités assurant la maîtrise d’ouvrage d’un projet d’investissement.

Les financements croisés entre collectivités

L’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales, tel qu’il résulte de l’article 76 de la loi dite « RCT » du 16 décembre 2010 ([2]), encadre les financements croisés entre plusieurs collectivités. Ceux-ci peuvent être définis comme la participation financière de plusieurs personnes publiques à un projet d’investissement.

Ces financements croisés permettent notamment aux collectivités disposant de faibles ressources financières d’initier des projets d’investissement qu’elles ne seraient pas en mesure de financer seules. Ils présentent toutefois plusieurs inconvénients ayant conduit à leur encadrement :

– ils peuvent ralentir certains projets d’investissements, en multipliant le nombre d’acteurs impliqués ;

– ils peuvent contribuer au financement de projets dont les coûts d’entretien et de fonctionnement ne pourront pas être financièrement assumés par la collectivité gestionnaire ;

– ils participent du « saupoudrage » de financements publics qui, in fine, peut nuire à la lisibilité de l’action publique ;

– ils risquent, sans participation financière de la collectivité maître d’ouvrage, d’instaurer une forme de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, même si l’article L. 1111‑4 du code général des collectivités territoriales dispose que « les décisions prises par les collectivités territoriales d’accorder ou de refuser une aide financière à une autre collectivité territoriale ne peuvent avoir pour effet l’établissement ou l’exercice d’une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur celle-ci ».

Le deuxième alinéa du III de l’article L. 1111-10 fixe la participation minimale de la collectivité maître d’ouvrage à 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques au projet. Autrement dit, cette disposition limite le cumul de subventions publiques à 80 % du montant du projet, en dehors de cas dérogatoires prévus par la loi ([3]). En complément, le maître d’ouvrage peut solliciter des fonds privés (auprès d’associations ou d’entreprises, par exemple) qui ne seront pas pris en compte pour le calcul de ce taux.

L’article L. 1111-9 du même code rehausse de 20 à 30 % cette participation minimale pour les collectivités territoriales « chefs de file » sur un projet d’investissement dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage.

  1.   Des exemptions absolues à la règle de participation minimale

L’obligation de participation minimale ne s’applique pas aux collectivités territoriales et aux groupements de collectivités de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Martinique, de Mayotte, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Elle n’est également pas applicable au financement des projets d’investissement visant à réparer les dommages directement causés par les émeutes survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, en application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2023-871 du 13 septembre 2023 ([4]).

  1.   Des dérogations possibles sur décision préfectorale

Le préfet de département peut accorder une dérogation à l’obligation de participation minimale pour les projets d’investissement en matière de rénovation des monuments protégés. Une telle dérogation est également possible pour les opérations qui concernent le patrimoine non protégé, lorsque le préfet l’estime justifiée par l’urgence ou par la nécessité publique ou lorsque la participation minimale du maître d’ouvrage est disproportionnée au vu de sa capacité financière.

Des dérogations préfectorales sont également possibles, si la participation minimale est disproportionnée par rapport à la capacité financière du maître d’ouvrage :

– pour les projets d’investissement concernant les ponts et ouvrages d’art ;

– pour les projets qui concernent les équipements pastoraux ;

– pour les projets en matière de défense extérieure contre l’incendie ;

– pour les projets qui concourent à la construction, à la reconstruction, à l’extension et aux réparations des centres de santé ;

– pour les projets d’investissement destinés à réparer les dégâts causés par des calamités publiques, au regard de l’importance des dégâts ;

– en application de l’article 62 de la loi du 21 février 2022 ([5]) dite « 3DS », pour les projets d’investissement destinés à restaurer la biodiversité au sein d’un site Natura 2000 exclusivement terrestre, au vu de l’importance de la dégradation des habitats et des espèces et des orientations fixées dans le document d’objectifs du site ([6]).

  1.   Une participation minimale réduite pour certains projets

Par ailleurs, l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales prévoit une participation minimale du maître d’ouvrage réduite :

– à 10 %, pour des projets d’investissement en matière d’eau potable et d’assainissement, d’élimination des déchets, de protection contre les incendies de forêts et de voirie communale qui sont réalisés par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP) de Corse ou par leurs communes membres ;

– à 15 %, pour les opérations d’investissement financées par le fonds européen de développement régional dans le cadre d’un programme de coopération territoriale européenne ;

– par décision du préfet de département, à 10 %, pour les projets d’investissement en matière de rénovation énergétique des bâtiments scolaires, lorsque celui-ci estime qu’une participation minimale de 20 % est disproportionnée au regard de la capacité financière du maître d’ouvrage ([7]).

  1.   Le dispositif proposé par le Sénat
    1.   La disposition initiale

L’article unique de la proposition initiale exempte les communes rurales de l’obligation de participation minimale au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Cette exemption a une portée générale et absolue, au même titre que celle prévue pour les collectivités territoriales et les groupements de collectivités de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Martinique, de Mayotte, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les communes concernées par l’article unique de la proposition de loi initiale sont les communes rurales au sens de l’article D. 3334-8-1 du code général des collectivités territoriales, c’est-à-dire celles énumérées par un arrêté du préfet de département et qui comptent, en métropole :

– au plus 2 000 habitants ;

– entre 2 000 et 5 000 habitants, si elles n’appartiennent pas à une unité urbaine – ou si la population de l’unité urbaine à laquelle elles appartiennent n’excède pas 5 000 habitants ([8]).

Dans les départements d’outre-mer – dont les communes sont déjà exemptées de l’obligation de participation financière minimale, en application du premier alinéa de l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales –, il s’agit des communes ne figurant pas à l’annexe VIII de ce code, c’est-à-dire toutes les communes autres que :

– en Guadeloupe, Les Abymes, Basse-Terre, Pointe-à-Pitre et Saint-Claude ;

– en Guyane, Cayenne ;

– en Martinique, Fort-de-France, Schœlcher et La Trinité ;

– à la Réunion, Le Port, Saint-Denis et Saint-Pierre.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat
    1.   En commission

À l’initiative de son rapporteur, la commission des Lois du Sénat a :

– transformé l’exemption de participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales en un abaissement de cette participation minimale à 5 %, contre 20 % actuellement ;

– restreint cet abaissement aux seules communes de moins de 2 000 habitants, et non plus à l’ensemble des communes rurales au sens de l’article D. 3334-8-1. Ce faisant, la commission des Lois du Sénat a supprimé la référence malheureuse à cet article réglementaire du code général des collectivités territoriales.

La commission des Lois du Sénat a également supprimé le II de l’article unique, qui prévoyait un gage financier prenant la forme d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs, destiné à garantir la recevabilité de la proposition de loi lors de son dépôt.

Elle a en effet estimé que le taux de participation minimale était apprécié au regard « des financements apportés par l’ensemble des personnes publiques et non par rapport au coût du projet », ce qui n’entraînait ni diminution des recettes, ni aggravation des charges pour l’État ou pour les autres collectivités territoriales.

  1.   En séance publique

À l’initiative du rapporteur, le Sénat a, en séance publique, à nouveau restreint le champ de l’abaissement de la participation minimale des communes rurales au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Le Sénat a ainsi :

– d’une part, limité le champ des projets d’investissement faisant l’objet de cet abaissement, dans l’objectif de cibler les projets les plus structurants pour ces communes. Il s’agit ainsi des projets de rénovation du patrimoine protégé ou non protégé, de rénovation énergétique des bâtiments, d’eau potable et d’assainissement, de protection contre les incendies, de voirie communale ainsi que des projets concernant les ponts et ouvrages d’art. Cet abaissement concerne donc, dans une large partie, des projets qui, en l’état actuel du droit, peuvent déjà faire l’objet soit d’une dérogation préfectorale à l’obligation de participation minimale – pour ceux de rénovation du patrimoine, ceux de défense extérieure contre l’incendie ainsi que ceux qui concernent les ponts et ouvrages d’art –, soit d’une participation réduite à 10 % au lieu de 20 % – pour les projets de rénovation énergétique des bâtiments scolaires ;

– d’autre part, réduit le périmètre des communes rurales éligibles à cette dérogation, afin de cibler les communes en ayant le plus besoin. Pour cette raison, le Sénat a réservé le bénéfice de la participation minimale de 5 % aux communes rurales dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 2 000 habitants.

Le potentiel financier des communes

Le potentiel financier d’une commune est l’un des critères de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l’État aux collectivités.

Le potentiel financier d’une commune est lui-même basé sur son potentiel fiscal, qui est un indicateur de richesse permettant d’apprécier les ressources fiscales libres d’emploi que peut mobiliser une commune de manière objective. Cet indicateur est composé de « produits potentiels », obtenus en multipliant les bases de fiscalité de la commune par les taux moyens nationaux correspondants ([9]), et de « produits réels », pour les ressources fiscales dont les collectivités ne fixent pas le taux. Sur la base de ce potentiel fiscal est calculé le potentiel financier, qui reflète de façon plus pertinente les ressources libres d’emploi dont une commune peut disposer. Il correspond au potentiel fiscal :

– majoré du montant de la dotation forfaitaire perçue par la commune, hors compensation de la part salaires (puisque celle-ci est déjà prise en compte dans le potentiel fiscal) ;

– minoré des différents prélèvements fiscaux résultant du calcul de la dotation forfaitaire.

Source : direction générale des collectivités locales.

  1.   LA POSITION DE LA COMMISSION

La Commission a adopté l’article unique sans modification.

 


   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du lundi 3 mars 2025, la Commission examine la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales (n° 132) (M. Jean Moulliere, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/sUbdKm

M. Jean Moulliere, rapporteur. Je salue M. Dany Wattebled et Mme Marie-Claude Lermytte, élus du Nord, qui ont déposé la présente proposition de loi au Sénat, où, sur le rapport de M. Hussein Bourgi, elle a été adoptée le 24 février 2024.

L’article 76 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT) a encadré la participation financière de plusieurs personnes publiques à un même projet d’investissement – on parle communément de « financements croisés ».

Ceux-ci permettent aux collectivités disposant de faibles ressources financières de lancer des projets d’investissement qu’elles ne seraient pas en mesure de financer seules. Néanmoins, ils présentent des inconvénients : ralentir des projets en multipliant les acteurs ; contribuer à réaliser des ouvrages dont la collectivité gestionnaire ne pourra pas assumer les coûts de fonctionnement ; participer au saupoudrage des financements publics, susceptibles de nuire à la lisibilité de l’action publique ; instaurer une forme de tutelle de fait d’une collectivité sur une autre, maître d’ouvrage mais dispensée de participation financière.

Pour ces raisons, l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales, créé par la loi RCT, dispose que toute collectivité territoriale ou tout groupement de collectivités assurant la maîtrise d’ouvrage d’un projet d’investissement devra contribuer à son financement à hauteur d’au moins 20 % des financements publics ; le cumul des subventions publiques est donc limité à 80 % du coût total.

La loi prévoit toutefois que le préfet de département peut accorder des dérogations pour les monuments protégés et, à certaines conditions, pour le patrimoine non protégé, ainsi que pour des projets structurants, comme les ponts et les ouvrages d’art, les équipements pastoraux, la défense extérieure contre l’incendie, les centres de santé, la réparation des dégâts causés par des calamités publiques, la restauration de la biodiversité ou la rénovation énergétique des écoles, des collèges et des lycées. La loi prévoit également un taux minimal de participation réduit pour certains projets en Corse et une exemption générale en outre-mer.

Néanmoins, une participation minimale de 20 % reste disproportionnée pour certaines petites communes rurales. Les dérogations sont très peu appliquées. J’ai auditionné la direction générale des collectivités locales (DGCL) : en 2022, seules quelques dizaines de projets en ont bénéficié. En effet, leur existence est trop peu connue, notamment des élus locaux ; les motifs d’octroi ou de refus ne sont pas explicités et ils semblent ne pas être partout les mêmes ; les dossiers sont complexes, tandis que les communes rurales ne disposent que d’une faible ingénierie financière. Ces difficultés conduisent parfois les communes à différer leurs projets d’investissement, voire à y renoncer, ce qui peut engendrer des coûts supplémentaires par la suite, notamment dans le cas de la rénovation du patrimoine ou des routes et des ponts – on parle dans ce dernier cas de « dette grise ».

La présente proposition de loi vise à remédier à ces difficultés. Dans sa version initiale, l’article unique exemptait toutes les communes rurales d’une participation minimale au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Il est apparu que ce n’était pas la meilleure solution : d’une part, une exemption totale risque d’ôter aux communes la responsabilité de leurs propres projets ; d’autre part, un financement minimal est nécessaire pour s’assurer que la commune pourra par la suite financer les éventuels frais de fonctionnement.

La commission des lois du Sénat a donc modifié le texte pour abaisser à 5 % le taux de financement minimal ; elle a également restreint le bénéfice du dispositif aux seules communes de moins de 2 000 habitants.

Lors de l’examen en séance publique, le Sénat a limité cette dérogation aux projets les plus structurants pour les communes concernées, à savoir ceux concernant les rénovations patrimoniales et énergétiques, l’eau potable et l’assainissement, la protection contre les incendies, la voirie, les ponts et les ouvrages d’art. Il s’agit de projets qui n’entraîneront que peu de frais de fonctionnement, voire pas du tout ; la rénovation énergétique des bâtiments permettra même de les réduire.

Par ailleurs, le Sénat a encore réduit le périmètre des communes rurales éligibles, afin de cibler celles qui en ont le plus besoin – soit celles dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 2 000 habitants.

Ce dispositif est équilibré. Je vous propose donc d’adopter conforme la proposition de loi pour qu’elle entre rapidement en vigueur dans l’intérêt des communes rurales. La modifier risquerait de retarder son adoption définitive : au Sénat, le groupe Les Indépendants-République et Territoires, auquel appartiennent ses auteurs, ne pourront plus inscrire de texte à l’ordre du jour pendant cette session.

Mme Pascale Bordes, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frédéric-Pierre Vos (RN). En abaissant le seuil de participation des collectivités, la présente proposition de loi répond à une nécessité. La participation minimale de 20 % en vigueur fait supporter directement une partie de l’investissement aux collectivités maîtres d’ouvrage sans recours possible aux financements croisés et aux subventions. Le seuil n’est toutefois pas adapté aux petites communes rurales, qui n’ont pas les moyens de l’autonomie que le dispositif est censé favoriser. Après une décennie de diminutions des ressources propres, décidées par les gouvernements qui se sont succédé, les communes peuvent à peine financer les services quotidiens – pour les plus petites, l’électricité est devenue une charge majeure. Dans ces conditions, les chantiers essentiels prennent un retard considérable. Quant aux dérogations, elles sont insuffisantes. Selon la DGCL, pour 22 000 projets d’investissement engagés en 2022, une centaine seulement aura été accordée.

Ce texte permet donc de faire un pas dans la bonne direction pour que les communes rurales bénéficient d’un soutien conforme à leurs capacités financières réelles. Plus qu’ailleurs, les élus locaux y sont les relais de l’action publique dont tous les Français sont en droit d’attendre qu’elle ne les abandonne pas. Le reste à charge de 5 % est justifié : il préserve la responsabilité des conseils municipaux dans le choix des projets à financer – quand il restera de l’argent pour le faire.

La présente proposition de loi recevra les suffrages des membres du groupe Rassemblement national.

M. Jean Terlier (EPR). Ce texte vise à remédier à un problème que nous connaissons tous : malgré les dispositifs de soutien, de nombreuses communes rurales peinent à financer leurs projets.

Face au recours excessif aux financements croisés, la loi RCT a instauré en 2010 une participation minimale obligatoire, que la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) a augmentée en 2014, afin de responsabiliser les collectivités territoriales. Il s’agissait de rendre l’action publique plus lisible, tout en réglant les problèmes de transparence, de complexification administrative et de dépendance aux financements extérieurs.

Cependant, cette exigence a créé des difficultés majeures pour les communes les plus modestes : trop souvent, faute de moyens, elles renoncent à des projets essentiels pour leur développement et la qualité de vie de leurs habitants. Pour assurer l’équité territoriale, il faut reconnaître que toutes les collectivités n’ont pas les mêmes capacités financières et adapter les règles en conséquence. Des dérogations existent, notamment en outre-mer, ou lorsque le préfet de département estime que la participation minimale du maître d’ouvrage est disproportionnée au regard de sa capacité financière.

Le texte offre aux territoires ruraux une souplesse adaptée. L’allégement de la participation obligatoire ne concernera que certains projets prioritaires. Ces ajustements sont nécessaires pour garantir que les communes rurales bénéficient d’investissements structurants. La participation des collectivités est essentielle, mais il faut l’ajuster aux réalités locales.

Les membres du groupe Ensemble pour la République voteront donc pour cette proposition de loi pragmatique.

M. Christophe Bex (LFI-NFP). Merci de m’accueillir dans votre commission.

Nous saluons ce texte, qui concerne 86 % des communes : celles comptant moins de 2 000 habitants. Dans une France où tous les regards sont fixés sur Paris, où la métropolisation aspire toutes les activités, où les grandes régions invisibilisent les départements, il nous offre une belle occasion de parler de ces 30 000 communes. Au cœur de la vie locale, elles assurent des services publics indispensables.

Pour elles surtout, le taux minimal de 20 % constitue une barrière insurmontable. En effet, elles sont prises dans un étau financier, entre la raréfaction de leurs ressources, conséquence de la suppression de la taxe professionnelle puis de la taxe d’habitation, et la forte hausse des dépenses, d’énergie et de fonctionnement en particulier. Le constat est sans appel : en 2022, seuls 0,45 % des projets ont bénéficié d’une dérogation. Cela montre la rigidité du système, la méconnaissance du dispositif et la complexité des démarches, notamment pour les communes qui ne disposent pas de l’ingénierie pour en faire la demande.

La présente proposition de loi constitue donc une avancée. Toutefois, nous regrettons les modifications apportées au texte initial, qui prévoyait une exonération totale, sans restriction ni périmètre financier. Les collectivités territoriales consentent 64 % de l’investissement public : sans elles, pas de rénovation des bâtiments publics, à l’origine de 76 % de la consommation énergétique des communes rurales et de près de 27 % des émissions de gaz à effet de serre – donc pas de transition énergétique. Il est urgent de leur donner les moyens d’agir.

Nous défendons la nécessité de diminuer encore le reste à charge des communes concernées, afin qu’aucun projet ne soit laissé de côté faute de financement. Nous nous opposons à la baisse des dotations, qui doivent être à la hauteur des missions transférées aux collectivités ; nous soutenons l’indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation et le rétablissement graduel de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont la suppression, voulue par le Président de la République, est une cause majeure de la situation budgétaire catastrophique des collectivités territoriales et du pays en général.

En fonction du sort réservé aux amendements, nous appellerons ou non à l’adoption de cette proposition de loi, afin de garantir la justice territoriale et de permettre aux communes rurales de continuer à jouer pleinement leur rôle au service des citoyennes et des citoyens.

Mme Marie-José Allemand (SOC). Nous sommes régulièrement interpellés au sujet des difficultés que rencontrent les élus locaux pour mener à bien les projets d’investissement dont leurs communes ont besoin. Les communes rurales en particulier, dont les budgets sont plus resserrés, souffrent de cette situation. Cela s’explique par la contraction des ressources financières des collectivités ainsi que par l’introduction, avec la loi RCT, de règles trop rigides. Le reste à charge, disproportionné pour de nombreuses communes rurales, les contraint à renoncer. Des dérogations peuvent être accordées au cas par cas dans certains domaines précis ; néanmoins, elles ne suffisent pas à résoudre les difficultés, d’autant que leur attribution est discrétionnaire, qu’elles sont largement sous-utilisées et qu’elles ne concernent qu’un nombre restreint de projets : les travaux de voirie et de rénovation énergétique des bâtiments publics sont exclus de leur bénéfice, alors qu’ils constituent une part importante des travaux d’investissement.

La présente proposition de loi vise à résoudre ces difficultés. Lors de son examen en première lecture, le Sénat a jugé utile de conserver un reste à charge minimal de 5 % afin de responsabiliser les collectivités quant au choix des investissements. II a également fait le choix de réserver le dispositif aux communes de moins de 2 000 habitants qui connaissent les difficultés financières les plus grandes et à une liste de projets, comme les travaux de voirie, de rénovation énergétique et les investissements relatifs à l’eau potable et à l’assainissement.

Même si ce texte ne remédiera pas à toutes les difficultés financières des communes rurales, les membres du groupe Socialistes et apparentés y souscrivent. Nous défendons une adoption conforme, afin qu’il soit rapidement adopté.

Mme Émilie Bonnivard (DR). La présente proposition de loi vise à soutenir les petites communes rurales, dont les ressources financières sont limitées, en réduisant le reste à charge pour les projets d’investissement. Dans ma circonscription, j’ai été témoin à plusieurs reprises de l’abandon de projets pourtant fondamentaux en matière d’aménagement du territoire, comme ceux qui concernent l’eau et l’assainissement ou la protection contre les incendies. Ainsi, la commune du Pontet, en Savoie, a dû renoncer à la rénovation énergétique de la mairie faute de pouvoir en financer 20 % – c’était le seul projet du mandat. Petit à petit, les bâtiments publics et le patrimoine, religieux en particulier, des territoires ruraux se détériorent. Le service public se dégrade ; ce texte tend à rétablir un équilibre, pour que l’État accompagne équitablement les communes et les citoyens, en fonction de leurs besoins et de leurs moyens : il est bienvenu.

Lors des précédentes réformes, je me suis beaucoup battue pour les dérogations. Je suis élue d’un territoire de montagne qui fait l’objet d’une prédation forte. En raison du retour imposé du loup, on a demandé aux communes de financer des abris de berger alors qu’elles n’en avaient pas les moyens. La dérogation dans ce domaine a le mérite d’exister, ce qui nous a permis d’avancer, mais ce n’est pas suffisant.

Nous voterons cette proposition de loi.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Cette proposition de loi est bienvenue, car elle rend automatique une dérogation que les préfets de département n’attribuaient qu’au cas par cas, s’agissant notamment de la rénovation des monuments protégés, de la réparation des dégâts causés par les calamités naturelles, des opérations relatives au patrimoine non protégé, des ponts et des ouvrages d’art, des équipements pastoraux, etc. Les dérogations restaient assez rarement demandées soit parce que les communes rurales n’en connaissaient pas l’existence, soit parce qu’elles n’en faisaient pas une priorité, la complexité administrative étant déjà ce qu’elle est.

Les élus locaux nous font régulièrement part de leurs difficultés à lancer des projets d’investissement pourtant indispensables. C’est particulièrement le cas des communes rurales qui, malgré leurs budgets contraints, ont besoin, comme les plus grandes, d’équipements et d’aménagements. La raréfaction des ressources fiscales et financières ainsi que la complexification des dispositifs rendent les finances locales de plus en plus imprévisibles et illisibles, ce qui entrave la capacité des élus à piloter leur budget et à programmer des investissements. Trois ressources fiscales ont disparu en quinze ans : la taxe professionnelle, la taxe d’habitation et la CVAE. Cette perte d’autonomie fiscale met à mal la libre administration des collectivités.

Outre ces aspects financiers, les communes rencontrent des obstacles en matière d’ingénierie : sans personnel technique capable de concrétiser les projets et sans aide extérieure, il leur est difficile de mener à bien des investissements pertinents. À cet égard, il est aussi nécessaire de pérenniser des ressources telles que la DGF : comment investir dans un équipement qu’on n’a pas les moyens de faire fonctionner, ni d’entretenir ?

L’autonomie financière des collectivités voudrait, selon l’adage, que « qui paie décide ». Est-il normal que les collectivités territoriales aient besoin de l’argent des autres pour exercer leurs compétences souveraines et assumer des missions aussi importantes que la protection contre les catastrophes naturelles ? La multiplication des fonds à tous les échelons – préfecture, département, région, intercommunalité – conduit à nous interroger sur leur autonomie financière réelle. Quand une commune voit un de ses projets intégralement financé par des subventions publiques, on peut se demander si elle a décidé de son opportunité et de sa mise en œuvre.

Pour finir, je déplore qu’une large part des amendements déposés sur ce texte aient été jugés irrecevables, alors qu’ils portaient sur le périmètre des dérogations et la taille des communes concernées. J’espère que nous aurons ce débat en séance.

M. Éric Martineau (Dem). La proposition de loi vise à favoriser l’investissement des communes rurales, qui sont pénalisées par les règles en vigueur. Il s’agissait, dans sa rédaction initiale, de les exonérer de l’obligation de participation minimale aux opérations dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage, sur le modèle de l’exonération intégrale et permanente dont bénéficient déjà les collectivités ultramarines. Les lois RCT et Maptam limitent les cumuls de subventions et les financements croisés : toute collectivité maîtresse d’ouvrage d’une opération d’investissement doit assurer une participation minimale de 20 % à son financement ; ce seuil est porté à 30 % pour les collectivités cheffes de file, dont le taux de participation est également apprécié au regard des financements apportés par des personnes publiques.

Cette règle paraît disproportionnée pour les communes rurales, qui ont des budgets très contraints et ne peuvent, en conséquence, lancer les projets dont elles ont besoin. Des dérogations sont certes accordées au cas par cas par les préfets de département – notamment pour la rénovation des monuments protégés, les opérations relatives au patrimoine non protégé, les ponts et les ouvrages d’art, les équipements pastoraux, la défense extérieure contre les incendies ou encore la construction, la reconstruction, l’extension et la réparation des centres de santé –, mais elles restent rares. Elles sont méconnues, complexes à obtenir, et leur champ est trop restreint – il n’inclut pas les projets touchant à la voirie, par exemple, dont le reste à charge atteint parfois 70 % à 80 % du montant total. Au-delà des freins que constituent la complexité administrative et la lourdeur des dossiers de dérogation, nombre de communes peinent à accéder à l’ingénierie. Elles sont alors contraintes de différer certains projets d’équipement, voire d’y renoncer.

La commission des lois du Sénat a remplacé l’exonération des communes rurales de l’obligation de participation minimale, prévue initialement, par une participation minimale de 5 %, et circonscrit la mesure aux communes de moins de 2 000 habitants. Les sénateurs ont ajouté un critère en séance publique : les communes concernées doivent également avoir un potentiel financier par habitant deux fois plus faible que celui des autres communes de taille similaire. Enfin, seuls sont visés les projets les plus structurants.

Malgré ces changements, la proposition de loi nous semble aller dans le bon sens, car elle offre aux communes rurales des solutions pour conduire plus facilement leurs projets. Il est important de leur donner les moyens de réaliser les investissements dont elles ont besoin, qui participent à leur dynamisme économique, social et culturel. C’est pourquoi le groupe Les Démocrates soutiendra la proposition de loi.

M. Jean-Michel Brard (HOR). En 2010, le législateur a choisi d’encadrer le cumul de subventions par les collectivités territoriales. Il a ainsi consacré le principe de participation minimale des collectivités et de leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre au financement des projets dont ils assurent la maîtrise d’ouvrage. Cette participation a été fixée à 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques.

Ces mesures ont porté leurs fruits, puisqu’elles ont limité la pratique des financements croisés, qui présente plusieurs inconvénients : une faible transparence de l’action publique ; la multiplication des acteurs mobilisés et, par conséquent, l’allongement des délais de réalisation des opérations ; la maîtrise insuffisante de la dépense publique ; la déresponsabilisation des collectivités territoriales dans les choix d’investissement. L’initiative du législateur était donc bienvenue ; elle l’est encore davantage dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.

Toutefois, l’introduction de principes structurants au niveau national n’est jamais sans effet de bord pour certaines collectivités. C’est pourquoi des dérogations ont été prévues. Certaines collectivités d’outre-mer en bénéficient de façon automatique, intégrale et permanente, comme la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte ou Saint-Martin ; pour les autres, c’est au cas par cas.

Dix ans d’expérience ont montré que le principe de participation minimale pouvait affecter de manière disproportionnée les communes rurales, souvent en proie à des difficultés budgétaires, qui doivent différer, voire abandonner, des projets d’équipements pourtant indispensables. Trop peu de dérogations leur sont accordées : d’après la DGCL, seule une centaine a été octroyée en 2022 sur 22 000 projets d’investissement lancés.

L’introduction d’une nouvelle dérogation pour les communes rurales est donc pleinement justifiée. Le groupe Horizons & Indépendants salue les travaux engagés par les sénateurs Dany Wattebled et Marie-Claude Lermytte et se réjouit de l’adoption d’amendements recentrant la dérogation sur les communes qui en ont le plus besoin et sur les projets les plus structurants. Nous remercions le rapporteur Jean Moulliere de s’être saisi aussi rapidement de cette proposition de loi, que nous voterons.

M. Paul Molac (LIOT). Les dotations des métropoles étant sans commune mesure avec celles des petites communes, il paraît justifié d’accorder à ces dernières un bonus sous conditions, comme le propose le texte. C’est en quelque sorte une mesure d’aménagement du territoire et de rééquilibrage. Les petites communes peuvent avoir à gérer un patrimoine important, comme des châteaux, des forteresses n’ayant plus d’utilité militaire, ou encore des ouvrages d’art et des routes, peu subventionnés, qui pèsent lourdement sur leur budget.

La proposition de loi semble tout à la fois équilibrée et responsabilisante, puisqu’elle porte la participation minimale des communes rurales de 20 % à 5 %. Le critère du potentiel financier moyen par habitant paraît toutefois trop complexe ; en effet, une commune de 150 habitants a beau être un peu riche, elle ne compte jamais que 150 habitants et ne dispose que de ressources très faibles. Certaines communes dont quelques résidents ont un potentiel fiscal élevé se retrouvent contributrices sans que ce soit véritablement justifié – j’en connais dans ma circonscription. Il me semblerait plus juste de retenir le critère du nombre d’habitants et de se concentrer sur certains types de projets. Le groupe LIOT est néanmoins favorable à la proposition de loi.

M. André Chassaigne (GDR). Je suis très impressionné de siéger de façon éphémère dans votre commission, tout comme je suis impressionné par les interventions fouillées que je viens d’entendre – le compte rendu écrit de nos débats, qui a toute son importance, en témoignera. Permettez-moi une confidence : moi qui ai été conseiller municipal dès 1977 et maire pendant vingt-sept ans, j’ignorais qu’une dérogation permettait de dépasser 80 % d’aide publique dans certaines circonstances. On en apprend toujours !

Comme nombre d’entre vous, j’ai coupé beaucoup de rubans. Depuis quelques années, je ne rencontre plus guère de maires qui bombent le torse, comme nous le faisions autrefois, fiers d’avoir réuni 80 % de subventions publiques. Quand, tels des druides auvergnats ou bretons revêtus de leur robe blanche et de leur cape rouge, ils partent collecter des subventions dans leur panier d’osier, ils reviennent le plus souvent bredouilles ; et quand ils en trouvent suffisamment, la première est déjà périmée et ils doivent reprendre leur parcours du combattant. La dérogation est donc fort utile.

Cette proposition de loi est une belle musique – nous la voterons évidemment –, mais, comme j’aime à le dire, il ne faut pas poéter plus haut que son luth ; en d’autres termes, elle a une portée extrêmement limitée. A-t-elle fait l’objet d’une étude d’impact ? Méfions-nous des lois s’apparentant à des couteaux sans manche qui auraient perdu leur lame ! En l’espèce, combien de communes satisfont aux critères retenus ? Je l’ignore. Je suis donc bien en peine de mesurer la portée du texte, en dépit de ses qualités.

Il reste beaucoup à faire. Un nombre croissant de départements ne peuvent plus apporter aucune aide aux communes, y compris aux plus petites, pour les aider à assumer les compétences qui leur sont assignées ; les projets sont donc bien loin de dépasser les 80 % de subventions publiques.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Ce texte vise à alléger la contrainte pesant sur les communes rurales en matière de participation financière aux projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Cette mesure de bon sens contribue à redonner aux collectivités des moyens d’agir, au moins financièrement, en respectant le principe de subsidiarité et en affirmant la place centrale des maires, y compris des petites communes, dans la conduite des politiques publiques.

Depuis des années, l’État ne cesse d’étendre son emprise sur la gestion des collectivités territoriales en diminuant leurs marges de manœuvre financières. Trop souvent, les maires sont contraints par des normes tatillonnes, des mécanismes bureaucratiques et une recentralisation rampante qui réduisent leur pouvoir d’action. Il est temps d’inverser la tendance. Nous avons toujours affirmé que les collectivités étaient les mieux placées pour décider de ce qui était bon pour elles. Ce texte va donc dans le bon sens.

Les communes rurales assument des services de proximité indispensables pour nos concitoyens ; elles préservent notre identité territoriale, notre culture et notre art de vivre. Pourtant, elles sont trop souvent délaissées par les politiques publiques, qui privilégient les grands ensembles urbains au détriment de la ruralité. Le texte apporte une réponse pragmatique à cette fracture territoriale. Les communes dont la participation minimale sera ramenée de 20 % à 5 % pourront investir dans des infrastructures essentielles : rénovation d’écoles, mise aux normes d’équipements publics, développement de projets agricoles ou environnementaux, réfection de la voirie… autant de réalisations concrètes qui amélioreront la vie quotidienne de nos concitoyens et renforceront l’attractivité et la compétitivité des territoires.

Contrairement à l’État, qui multiplie les dépenses et accumule les dettes, les maires assurent une gestion rigoureuse de leur budget. La présente réforme est d’autant plus nécessaire que l’État n’a cessé de réduire les dotations des collectivités ces dernières années, tout en leur imposant de nouvelles charges. Cette situation est intenable. Il est urgent d’assouplir les contraintes pour permettre aux communes d’investir, d’innover et de dynamiser leur territoire. En soutenant cette proposition de loi, nous affirmons notre volonté de replacer les communes au cœur de la République. Il est temps de reconnaître que la France ne se résume pas à ses grandes métropoles et qu’elle est avant tout une somme de territoires riches de leur diversité et de leur dynamisme.

M. Jean Moulliere, rapporteur. Je vous remercie pour vos interventions, qui démontrent que nos communes rurales nous rassemblent ; c’est un signal fort pour les élus locaux qui se démènent afin de rassembler un maximum de subventions et qui ne connaissent pas toujours l’existence des mécanismes de dérogation à la participation minimale. Le régime général qu’instaurera ce texte leur simplifiera la vie.

Le critère du potentiel financier par habitant peut paraître technique, voire technocratique, mais, en réalité, il concerne la quasi-totalité des communes de moins de 2 000 habitants : selon la DGCL, 28 500 communes y répondent sur les 29 000 communes de moins de 2 000 habitants. Les 500 communes restantes sont, pour l’essentiel, très touristiques et jouissent d’un potentiel financier élevé.

Certains amendements de La France insoumise, visant notamment à étendre le dispositif aux communes de moins de 5 000 habitants, ont été jugés irrecevables par le président de la commission des finances Éric Coquerel en application de l’article 40 de la Constitution. Les sénateurs me semblent toutefois avoir trouvé un juste équilibre en se concentrant sur les communes de moins de 2 000 habitants, qui sont nombreuses.

Je vous remercie d’être favorables à un vote conforme. Il permettra aux communes de bénéficier de la mesure dès le mois d’avril prochain. Elles n’atteindront certes pas toutes 95 % de subventions publiques, sachant qu’il est déjà difficile d’en obtenir 80 %, mais les quelques points supplémentaires les aideront à réaliser de petits projets : construire un bout de trottoir en plus, aménager le cadre de vie… Comme cela a été souligné, les maires doivent parfois renoncer à des projets de quelques dizaines de milliers d’euros en raison de la règle de participation minimale. Dans ma circonscription du Nord, certaines communes rurales n’ont pas pu profiter du fonds de relance créé par le département à la suite de la pandémie de covid-19, qui accordait à chacune quelque 70 000 euros, car elles ne pouvaient abonder les 20 % restants. La proposition de loi remédiera à ces situations. Il me paraît cependant important de maintenir un reste à charge minimal, en vertu du principe « qui décide paie » ; cela contribuera à responsabiliser les élus dans les projets d’investissement. J’ajoute que les investissements visés concernent plutôt la rénovation que la création d’équipements structurants ; ils n’alourdiront donc pas les coûts de fonctionnement des communes, voire les allégeront en cas de rénovation énergétique des bâtiments.

Enfin, nous allons examiner des amendements émanant de membres du groupe Socialistes et apparentés même si j’ai cru comprendre que le groupe souhaitait un vote conforme et je l’en remercie.

Article unique (article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales) : Abaissement de la participation financière minimale des collectivités territoriales maîtres d’ouvrage pour les communes rurales

Amendements CL8, CL9 et CL10 de Mme Sophie Pantel (discussion commune)

Mme Sophie Pantel (SOC). Merci de m’accueillir dans cette commission.

Cette proposition de loi constitue un premier pas vers la reconnaissance de la spécificité des territoires, en particulier pour les petites communes qui n’ont pas les moyens de contribuer à certains projets. Je regrette toutefois que le Sénat y ait apporté des restrictions. L’investissement des petites communes est essentiel pour l’exercice de leurs missions de service public, mais aussi pour la commande publique qui en découle.

Mes amendements visent à combler certaines carences. Ainsi, il est dommage que les vingt-deux départements hyper-ruraux ou montagnards, où les investissements dits de centralité sont souvent réalisés par des centres-bourgs de plus de 2 000 habitants, soient exclus du dispositif. Je retire cependant mes amendements afin que le texte soit voté conforme et entre en vigueur dès le mois d’avril.

Les amendements sont retirés.

M. Jean Moulliere, rapporteur. Je remercie Mme Pantel pour le retrait de ses amendements. Bien qu’il aille dans le bon sens, ce texte n’est pas la panacée. L’article L. 1111‑10 du code général des collectivités territoriales mériterait d’être toiletté et le code ne donne pas de définition précise des communes hyper-rurales.

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adoptée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales (n° 132) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


   Liste des personnes entendues

   M. Luc Waymel, vice-président, maire de Drincham

   M. Bertrand Hauchecorne, animateur de la commission « Finances », maire de Mareau-aux-Prés

   M. Maxime Machurat, conseiller technique « Planification, urbanisme et logement »

   M. Thomas Fauconnier, sous-directeur des finances locales et de l’action économique

   Mme Élise Dassonville, adjointe à la cheffe du bureau des services publics locaux

 

 


([1])  Loi n° 2024-279 du 29 mars 2024 tendant à tenir compte de la capacité contributive des collectivités territoriales dans l’attribution des subventions et dotations destinées aux investissements relatifs à la transition écologique des bâtiments scolaires.

([2])  Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

([3])  Cf. infra.

([4])  Ordonnance n° 2023-871 du 13 septembre 2023 visant à faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.

([5])  Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

([6])  Cette dérogation est uniquement applicable aux projets d’investissement qui sont entièrement compris sur le territoire d’une commune de moins de 3 500 habitants ou d’un groupement de collectivités territoriales de moins de 40 000 habitants qui en assure la maîtrise d’ouvrage.

([7])  En application de la loi n° 2024-279 du 29 mars 2024 tendant à tenir compte de la capacité contributive des collectivités territoriales dans l’attribution des subventions et dotations destinées aux investissements relatifs à la transition écologique des bâtiments scolaires.

([8])  L’unité urbaine de référence est celle définie par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). La population prise en compte est la population totale authentifiée à l’issue du recensement de la population.

([9])  Le choix de ne pas retenir les taux effectivement pratiqués par les collectivités permet de prendre en compte des inégalités de situation objectives, non liées à des différences de gestion.