N° 1021

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mars 2025.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal

PAR MME Constance LE GRIP,

Députée

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir les numéros : 852 rect. et 914.


SOMMAIRE

Pages

Introduction

I. La détention arbitraire de Boualem Sansal s’inscrit dans le contexte d’une relation franco-algérienne fortement dégradée

A. Le cas Boualem Sansal constitue une atteinte flagrante aux droits fondamentaux

1. Une instrumentalisation de l’article 87 du code pénal algérien

2. Une inadmissible entrave à la protection consulaire et au libre exercice des droits de la défense

B. Une crise diplomatique aggravée par des tensions régionales et mémorielles

1. Le durcissement des positions algériennes à la suite de la reconnaissance française de la marocanité du Sahara occidental

2. L’instrumentalisation de la figure de Boualem Sansal comme bouc émissaire des différends franco-algériens

II. Agir à court et long termes : propositions institutionnelles pour une sortie de crise

A. À court terme, des actions immédiates pour aboutir à une libération

1. L’Algérie face à ses obligations internationales

2. La souhaitable implication de l’Union européenne

B. À long terme, ancrer la défense des libertés dans le partenariat franco-algérien

1. Des droits humains qui doivent être mieux intégrés dans les futures négociations avec l’Algérie

2. Vers un dialogue parlementaire renforcé

Examen en commission

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

 


   Introduction

« Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » ([1]).

La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité, avec abstention de deux groupes politiques, le 5 février 2025, une proposition de résolution européenne déposée sur le fondement de l’article 88‑4 de la Constitution ([2]) et des articles 151‑4 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale. Cette proposition de résolution appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de M. Boualem Sansal.

En application de l’article 151-6 du Règlement, la commission des affaires étrangères a été saisie au fond pour examiner cette proposition de résolution, sur la base du texte légèrement amendé par la commission des affaires européennes.

La détention arbitraire de Boualem Sansal, qui se prolonge depuis plus de trois mois, suscite une vive émotion et une inquiétude profonde au sein de la communauté internationale. Cet écrivain franco-algérien, reconnu pour son engagement en faveur de la liberté d’expression et des valeurs démocratiques, se trouve aujourd’hui victime d’une répression qui bafoue les principes fondamentaux du droit international. Son arrestation et sa détention illustrent les dérives d’un régime qui, sous prétexte de préserver la sécurité de l’État, sacrifie la dignité humaine.

Face à cette situation inacceptable, il apparaît impératif d’agir immédiatement. La libération de Boualem Sansal doit être obtenue sans délai, en mobilisant tous les moyens de pression à la disposition de la France et de l’Union européenne.

Parmi ces leviers peuvent être envisagées des restrictions sur l’accès aux facilités de mobilité pour les détenteurs de passeports diplomatiques ou de service algériens, une politique d’octroi de visas revisitée, une mise à plat et un réexamen des différents accords bilatéraux entre nos deux pays, voire leur suspension.

À plus long terme, il est essentiel d’envisager des perspectives de dialogue structuré et durable pour rééquilibrer les relations franco-algériennes. Le renforcement d’un partenariat fondé sur le respect mutuel et l’intégration explicite des droits humains dans les négociations futures apparaît comme une condition sine qua non pour instaurer un climat de confiance. La mise en place de mécanismes de suivi réguliers et d’un comité de dialogue bilatéral serait en outre un moyen de garantir que l’Algérie respecte ses engagements internationaux, tout en facilitant une réconciliation progressive et constructive.

Il est dès lors urgent de conjuguer des actions immédiates et des perspectives à long terme afin de restaurer non seulement la liberté d’un citoyen français, mais aussi la crédibilité de nos engagements communs en matière de droits de l’Homme et d’État de droit. Ce rapport se propose d’examiner en détail ces leviers de pression et les mesures à envisager pour faire évoluer la situation et rétablir un dialogue respectueux et équilibré entre la France, l’Union européenne et l’Algérie.


I.   La détention arbitraire de Boualem Sansal s’inscrit dans le contexte d’une relation franco-algérienne fortement dégradée

A.   Le cas Boualem Sansal constitue une atteinte flagrante aux droits fondamentaux

1.   Une instrumentalisation de l’article 87 du code pénal algérien

L’arrestation de Boualem Sansal repose sur l’application d’un article du Code pénal algérien – l’article 87 bis – qui, dans sa version récemment durcie, est utilisé pour qualifier de « terroriste » ou « subversif » tout acte ou propos susceptibles de remettre en cause la stabilité de l’État. Cette disposition, conçue à l’origine pour protéger la sécurité nationale, est aujourd’hui instrumentalisée de manière systématique afin de museler toute forme de critique ou d’opposition.

Dans le contexte de durcissement politique actuel, l’article 87 bis du code pénal algérien se présente comme un outil juridique permettant de criminaliser la liberté d’expression. Les autorités algériennes, en recourant à cette disposition, semblent souhaiter instaurer un climat de peur où toute divergence d’opinion est perçue comme une menace à l’intégrité de l’État. Ainsi, l’usage abusif de cet article conduit à une interprétation extensible et arbitraire des notions de « sûreté de l’État » et de « stabilité institutionnelle », au détriment de la liberté individuelle et de la pluralité des opinions.

Le cas de Boualem Sansal, reconnu internationalement pour son engagement en faveur de la liberté d’expression et de la critique des dérives autoritaires et des avancées de l’islamisme radical, est ici utilisé comme prétexte pour renforcer le contrôle des discours et des opinions dans un pays en proie à des tensions internes. La gravité de l’accusation, qui ouvre la voie à des peines maximales allant jusqu’à la prison à vie ou même la peine de mort (même si un moratoire est en vigueur), traduit l’intention manifeste de l’appareil répressif algérien de dissuader toute voix dissidente. Cette démarche, en plus d’être contraire aux principes du droit international, déroge manifestement aux engagements pris par l’Algérie dans le cadre de conventions internationales et d’accords bilatéraux avec la France et l’Union européenne.

Enfin, il est important de noter que l’instrumentalisation de l’article 87 bis du code pénal algérien ne se limite pas au cas de Boualem Sansal mais s’inscrit dans une stratégie plus large de répression politique, où de nombreux intellectuels, journalistes et opposants politiques se voient accusés de terrorisme ou de subversion pour avoir exprimé des opinions critiques à l’égard du régime en place. Ce phénomène, en banalisant l’utilisation d’un texte pénal aux conséquences si lourdes, porte atteinte non seulement aux droits individuels mais également aux fondements mêmes d’un débat démocratique. Il s’agit ainsi d’un revirement juridique qui transforme un instrument de protection en un outil de contrôle social, compromettant l’État de droit et érodant la confiance des citoyens dans la justice.

2.   Une inadmissible entrave à la protection consulaire et au libre exercice des droits de la défense

Parallèlement à l’utilisation que nous jugeons abusive de l’article 87 bis du code pénal algérien, la situation de Boualem Sansal se trouve aggravée par le refus des autorités algériennes d’assurer la protection consulaire à laquelle il devrait normalement avoir droit en tant que citoyen français.

La protection consulaire constitue, dans le cadre du droit international et des conventions bilatérales, une garantie essentielle pour tout ressortissant en détention à l’étranger. Elle vise à permettre aux citoyens de bénéficier de l’assistance des services consulaires du pays dont ils sont ressortissants, notamment en ce qui concerne la vérification des conditions de détention, l’accès à un avocat compétent et la facilitation des contacts avec leurs proches.

Dans le cas présent, l’Algérie a systématiquement empêché l’intervention des autorités consulaires françaises, empêchant ainsi à Boualem Sansal d’accéder à une défense efficace et de faire valoir ses droits. Ce refus manifeste constitue une violation flagrante du droit à un procès équitable et du principe fondamental de la protection des droits de la défense. En niant l’accès à un conseiller juridique de son choix et en interdisant les visites consulaires, le régime algérien compromet gravement la capacité de l’écrivain à se défendre, en violation directe des normes internationales établies par la convention de Vienne du 22 avril 1963 sur les relations consulaires.

L’entrave à la protection consulaire ne se limite pas à une question de procédure administrative ; elle symbolise également l’isolement imposé à Boualem Sansal, renforçant ainsi le caractère arbitraire de sa détention.

En refusant à un citoyen français la possibilité de bénéficier d’une assistance consulaire, l’Algérie montre une indifférence totale aux obligations internationales qu’elle a contractées et aux principes de respect des droits humains.

Ce manquement aggrave d’autant plus la situation que l’état de santé de M. Sansal, âgé de 80 ans et atteint d’un cancer, s’avère déclinant. Les conditions de détention, dures et manifestement peu adaptées à une personne malade, et qui, de plus, a entamé il y a quelques jours une grève de la faim, se combinent avec cette privation de protection pour constituer un double fardeau sur un homme déjà vulnérable.

De plus, l’impossibilité d’un accès régulier à un avocat de son choix – en raison du refus d’octroi de visas ou de restrictions procédurales – empêche toute remise en question effective des chefs d’accusation et entrave la mise en œuvre d’un débat contradictoire indispensable à l’exercice d’un droit fondamental. L’absence d’une assistance juridique adéquate, combinée à la rétention d’informations sur les charges retenues contre lui, traduit un état de fait inadmissible dans un système qui se veut respectueux de la dignité humaine et des garanties judiciaires. Les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que dans diverses conventions internationales ratifiées par l’Algérie (v. infra), sont ici clairement bafoués, compromettant la crédibilité du système judiciaire algérien et le respect de l’État de droit.

B.   Une crise diplomatique aggravée par des tensions régionales et mémorielles

1.   Le durcissement des positions algériennes à la suite de la reconnaissance française de la marocanité du Sahara occidental

La décision de la France de reconnaître la marocanité du Sahara occidental s’inscrit dans une dynamique diplomatique hautement symbolique et a provoqué, dès son annonce, l’ire de la classe politique algérienne.

Cette reconnaissance, qui se veut une confirmation du positionnement marocain sur un territoire historiquement contesté, représente pour Alger bien plus qu’une simple prise de position sur une question territoriale : elle est perçue comme une remise en cause des principes de justice historique et de souveraineté nationale, rappelant les séquelles du passé colonial et l’engagement de l’Algérie pour la décolonisation.

Cette décision française, annoncée en juillet 2024 dans un contexte de renouvellement des relations bilatérales, a eu pour effet immédiat de renforcer la posture défensive du régime algérien. Les autorités algériennes, qui avaient longtemps affiché une position modulable vis-à-vis du dossier sahraoui, se sont rapidement repliées sur une rhétorique nationaliste et intransigeante. Pour Alger, le Sahara occidental n’est pas seulement un différend territorial : il symbolise une question d’honneur national et de continuité historique, ancrée dans l’expérience de la lutte pour l’indépendance et dans la mémoire collective des populations algériennes.

Le régime algérien a ainsi multiplié les dénonciations publiques contre la France, accusée de favoriser les intérêts marocains au détriment des principes de justice et de respect des droits des peuples. En outre, cette décision a servi de levier pour mobiliser l’opinion publique en Algérie, exacerbant le sentiment d’injustice et la méfiance à l’égard de la politique étrangère française. Les médias étatiques algériens ont relayé cette nouvelle avec une intensité particulière, qualifiant la reconnaissance française d’« ingérence inacceptable » et appelant à une réaction ferme de l’État pour protéger les intérêts nationaux.

Sur le plan diplomatique, cette position intransigeante a entraîné une dégradation rapide du climat de confiance entre Alger et Paris. Des échanges tendus et parfois acrimonieux se sont multipliés dans les sphères bilatérales, où chaque geste et chaque déclaration publique sont désormais scrutées et interprétées à l’aune de ce différend. La décision française a ainsi cristallisé une série de tensions qui, auparavant, pouvaient être atténuées par un dialogue nuancé et une approche pragmatique. Aujourd’hui, les positions se sont radicalisées, rendant toute tentative de compromis ou de réconciliation complexes.

Par ailleurs, la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France a également des répercussions sur le plan régional. Dans un contexte où les enjeux géopolitiques au Maghreb restent sensibles, ce geste renforce la polarisation entre les différents acteurs de la région, notamment entre le Maroc et l’Algérie, et contribue à aggraver l’isolement diplomatique d’Alger. Par ailleurs, l’élection de Donald J. Trump à la présidence des États-Unis – qui avait reconnu la marocanité du Sahara occidental en décembre 2020 – a pu accroître, vu d’Alger, ce sentiment d’isolement.

Ce durcissement ne se limite donc pas à un simple différend bilatéral, mais s’inscrit dans une dynamique plus large de rivalités régionales.

2.   L’instrumentalisation de la figure de Boualem Sansal comme bouc émissaire des différends franco-algériens

La situation de Boualem Sansal ne saurait être appréhendée uniquement comme une mesure de répression isolée ; elle doit être analysée dans le contexte plus large d’un différend mémoriel profondément ancré dans l’histoire complexe entre la France et l’Algérie. Le régime algérien exploite le cas de cet écrivain pour cristalliser et amplifier les tensions historiques et identitaires qui subsistent entre les deux nations.

Dès son arrestation, l’affaire Sansal a rapidement été détournée du débat sur la violation flagrante des droits fondamentaux pour devenir le vecteur d’une instrumentalisation politique et mémorielle. En accusant M. Sansal d’avoir « usé de sa liberté d’expression » de façon subversive, les autorités algériennes ne cherchent pas seulement à légitimer des mesures de répression, mais également à rappeler aux opinions nationale et internationale les blessures historiques de la période coloniale et post-coloniale. Le cas est ainsi transformé en un symbole, un bouc émissaire sur lequel repose la discorde franco-algérienne.

Dans ce contexte, l’instrumentalisation de la figure de Boualem Sansal s’inscrit dans une dynamique de mobilisation mémorielle. En effet, le récit officiel du régime algérien puise dans la mémoire collective des conflits passés pour justifier son positionnement actuel. La référence à des engagements historiques, tels que les accords d’Évian et les principes de décolonisation, est fréquemment invoquée, renforçant par là même l’image d’un État souverain qui se sert de son passé pour infléchir la perception des relations actuelles.

Enfin, l’utilisation symbolique de la détention de Boualem Sansal s’inscrit dans une stratégie plus large de renforcement du récit identitaire algérien. En transformant ce cas en un symbole de résistance contre une ingérence perçue comme étrangère – en l’occurrence, la politique française –, le régime tente de consolider un pacte identitaire auprès de sa population. Cette démarche vise à légitimer, aux yeux du public, un positionnement radical et inflexible qui s’appuie sur la mise en avant d’un passé douloureux et sur la valorisation d’une souveraineté inattaquable. Ainsi, l’affaire Sansal devient un miroir déformant des relations franco-algériennes, où le différend mémoriel se trouve exacerbé par l’instrumentalisation politique.

Cette stratégie, qui vise à détourner le débat de la violation des droits fondamentaux pour le concentrer sur des différends historiques et identitaires, illustre la complexité des relations entre la France et l’Algérie et souligne la nécessité d’un dialogue qui prenne en compte non seulement les réalités politiques actuelles, mais également les traces indélébiles d’un passé commun.

 


II.   Agir à court et long termes : propositions institutionnelles pour une sortie de crise

A.   À court terme, des actions immédiates pour aboutir à une libération

1.   L’Algérie face à ses obligations internationales

Les engagements internationaux auxquels l’Algérie a souscrit 
– notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi que divers accords bilatéraux et multilatéraux – imposent à l’État algérien des obligations strictes en matière de protection des droits fondamentaux.

Dans le cas de Boualem Sansal, ces obligations se traduisent par le devoir impératif de garantir la liberté d’expression, l’accès à un procès équitable et la protection consulaire pour les ressortissants étrangers.

Or, le régime algérien a manifestement failli à ces engagements en procédant à une arrestation et à une détention arbitraires, fondées sur l’application que nous qualifierons d’abusive de l’article 87 bis du code pénal, lequel a été instrumentalisé pour criminaliser toute forme de dissidence. Cette instrumentalisation de l’article 87 bis du code pénal constitue une violation manifeste des principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, et plus particulièrement de l’article 19 qui garantit la liberté d’expression, ainsi que dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966, dont l’article 9 protège le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, et l’article 19 assure le droit de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées sans ingérence. En appliquant l’article 87 bis du code pénal pour justifier l’arrestation de Boualem Sansal, le régime algérien contrevient ainsi à ces normes internationales fondamentales, transformant un instrument censé préserver la sécurité en un moyen de répression politique.

De surcroît, l’Algérie, en refusant d’accorder la protection consulaire à Boualem Sansal, viole des principes fondamentaux reconnus par le droit international et les engagements pris dans le cadre de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie.

D’une part, cette pratique contrevient aux dispositions de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, qui garantit que toute personne arrêtée ou détenue doit être immédiatement informée de son droit à contacter les représentants consulaires du pays dont elle est ressortissante, lesquels doivent ensuite lui être accessibles pour assurer sa défense et veiller au respect de ses droits.

D’autre part, ce refus va à l’encontre des obligations que l’Algérie a contractées dans le cadre de l’Accord d’association Union européenne-Algérie du 22 avril 2002, lequel comporte des engagements en matière de respect des droits de l’homme et de garantie d’un traitement équitable des ressortissants étrangers, notamment en assurant leur accès aux services consulaires. Ces engagements imposent à l’Algérie de mettre en œuvre des mesures concrètes pour préserver les droits fondamentaux, dont le droit à la protection consulaire, considéré comme un élément clé de la sécurité juridique et de la justice.

Il est impératif qu’une mobilisation internationale, associant des actions juridiques et diplomatiques, soit envisagée pour contraindre le régime algérien à se conformer, y compris pour son propre intérêt, aux normes internationales.

Des mécanismes de pression – tels que la suspension, la révision ou le réexamen de certains accords bilatéraux, la mise en œuvre d’une politique de visas revisitée, ou la conditionnalité de certaines aides européennes - pourraient être envisagés afin de démontrer que le non-respect des engagements internationaux n’est pas admissible.

Éventail des ACtiONS possibles

Mesures

Description

Suspension ou révision des accords bilatéraux et multilatéraux

– Suspension de l’accord d’association UEAlgérie (22 avril 2002) : Conditionner la poursuite de l’accord à l’engagement effectif de l’Algérie à respecter ses obligations en matière de droits fondamentaux.

 

– Révision des accords bilatéraux de coopération (économique, culturel, sécuritaire) : Intégrer des clauses réversibles ou des pénalités en cas de non-respect, afin de signaler clairement que tout manquement aux engagements internationaux aura des conséquences immédiates.

Actions ciblées contre des responsables du régime

– Gels d’avoirs et interdictions de voyager : Imposer des mesures individuelles aux hauts responsables algériens impliqués dans la détention arbitraire de Boualem Sansal, en bloquant leurs avoirs dans des institutions européennes et en restreignant leur accès aux pays de l’espace Schengen.


– Suspendre temporairement l’accord de dispense de visa pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service algériens, conformément à l’article 8 de l’accord du 16 décembre 2013.

Mesures de pression diplomatique renforcées

– Retrait partiel ou limitation des délégations officielles : Réduire temporairement la présence diplomatique auprès de l’Algérie lors des sommets et des rencontres bilatérales, afin d’envoyer un signal fort sur le non-respect des engagements.


– Conditionnement des partenariats stratégiques : Intégrer des clauses de réversibilité dans les accords en vigueur, exigeant un rétablissement immédiat des garanties juridiques et des droits fondamentaux pour poursuivre la coopération.

 

Approche combinant sanctions économiques et incitations diplomatiques

– Sanctions économiques ciblées : Restreindre l’accès des entités étatiques algériennes aux marchés financiers européens et limiter les échanges commerciaux dans des secteurs stratégiques.


– Incitations diplomatiques réversibles : Mettre en place des mesures incitatives pour récompenser toute initiative crédible de dialogue et de réforme, permettant ainsi une réintégration progressive d’un dialogue constructif et le respect effectif des droits fondamentaux.

Activation de procédures devant les instances internationales

– Saisine des Nations Unies et de la Cour africaine des droits de l’homme : Déclencher des procédures formelles visant à dénoncer les manquements de l’Algérie en matière de respect des droits humains.


– Recours aux mécanismes de suivi de l’Union européenne : Conditionner l’aide financière et la coopération commerciale à la mise en œuvre de réformes concrètes, en établissant des mécanismes de contrôle stricts pour évaluer l’amélioration des droits fondamentaux en Algérie.

Source : commission des affaires étrangères.

2.   La souhaitable implication de l’Union européenne

Dans un contexte où les relations franco-algériennes connaissent une dégradation marquée, l’Union européenne apparaît comme un levier stratégique majeur pour sortir de la crise et restaurer un équilibre propice au dialogue et au respect des droits fondamentaux. L’Union, en tant qu’instance supranationale fondée sur des valeurs démocratiques et le respect de la dignité humaine, possède à la fois les moyens institutionnels et diplomatiques nécessaires pour exercer une pression coordonnée sur le régime algérien.

Le Parlement européen, par l’adoption le 23 janvier 2025 d’une résolution condamnant la détention arbitraire de Boualem Sansal, a déjà affiché une position claire en faveur de la liberté d’expression et de la justice, soulignant ainsi l’urgence d’agir dans ce dossier.

Pour intensifier son implication, l’Union européenne pourrait engager une série de mesures concrètes, dont certaines viseraient à conditionner la poursuite des négociations bilatérales et commerciales à l’engagement effectif de l’Algérie à respecter ses obligations internationales en matière de droits humains.

L’Union européenne pourrait ainsi insérer dans les futurs accords d’association ou les projets de coopération des clauses spécifiques imposant des réformes judiciaires et des garanties claires en faveur de la protection consulaire et du droit à un procès équitable. Ces dispositions conditionnelles, assorties de mécanismes de suivi rigoureux, permettraient de créer une incitation réelle pour que le régime algérien modifie ses pratiques répressives et se conforme aux normes internationales.

B.   À long terme, ancrer la défense des libertés dans le partenariat franco-algérien

1.   Des droits humains qui doivent être mieux intégrés dans les futures négociations avec l’Algérie

Dans le contexte actuel de dégradation des relations franco-algériennes mais aussi de durcissement du régime à l’encontre d’opposants, de journalistes, de militants des droits de l’homme, il apparaît indispensable d’inscrire la défense des droits humains au cœur de toute négociation future.

Les engagements internationaux auxquels l’Algérie a souscrit
– notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981 – imposent à l’État algérien de garantir des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la protection consulaire.

Or, la détention arbitraire de Boualem Sansal met en lumière une divergence criante entre ces engagements et les pratiques effectives du régime.

Il est hautement souhaitable que les futures négociations bilatérales et multilatérales intègrent explicitement des clauses contraignantes visant à renforcer la protection des droits humains. Ces dispositions pourraient inclure des mécanismes de suivi indépendants, des procédures de révision périodique et des sanctions automatiques en cas de non-respect des engagements. Ainsi, un système de conditionnalité pourrait être mis en place dans lequel la poursuite des relations commerciales et diplomatiques serait subordonnée à la réalisation d’objectifs mesurables en matière de réformes judiciaires et de respect des garanties de la défense, telles que prévues par les instruments internationaux mentionnés.

L’intégration des droits humains dans le cadre des négociations constituerait également un moyen de rééquilibrer les rapports bilatéraux. En liant les avantages économiques et diplomatiques à des progrès concrets dans la mise en œuvre des engagements internationaux, la France et l’Union européenne pourraient créer un incitatif fort pour que l’Algérie s’engage dans une réforme structurelle. Cette approche, en faisant des droits humains un pilier indissociable de tout accord de partenariat, permettrait d’installer une nouvelle dynamique relationnelle fondée sur le respect mutuel et la coopération durable.

Enfin, pourrait être mis en place un dialogue structuré entre les institutions européennes et les autorités algériennes, qui se traduirait par l’établissement d’un calendrier précis de réformes. Ce dialogue, piloté par des hautes instances européennes – telles que le président de la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et les représentants du Parlement européen – pourrait s’appuyer sur des consultations régulières et des évaluations conjointes des progrès réalisés. Ce cadre de dialogue offrirait une plateforme pour échanger sur les réformes nécessaires et permettrait d’instaurer une dynamique de coopération qui contribuerait à rétablir la confiance mutuelle. En outre, des sanctions ciblées, telles que des restrictions sur l’accès aux marchés financiers européens pour certaines entités étatiques ou des gels d’avoirs, pourraient être envisagées en parallèle, afin de renforcer la pression sur le régime algérien sans pour autant compromettre les relations économiques dans leur ensemble.

2.   Vers un dialogue parlementaire renforcé

Dans le contexte de la dégradation persistante des relations franco‑algériennes et des tensions qui en découlent, le renforcement du dialogue parlementaire apparaît comme un levier essentiel pour travailler à instaurer un climat de confiance. Mais l’objectif que nous poursuivons est clair : la libération immédiate et sans condition de la part des autorités algériennes de Boualem Sansal ! À moyen et long terme, il s’agirait de créer une plateforme d’échanges institutionnels où les représentants des deux Parlements pourraient aborder de manière régulière et structurée les enjeux liés aux droits humains, à l’État de droit et aux réformes nécessaires en Algérie.

À court terme, il apparaît souhaitable d’instaurer des séances de dialogue bilatéral entre la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et de l’Assemblée populaire nationale algérienne, afin de définir un calendrier commun de consultation pouvant conduire à des réformes. Ce dialogue devrait être assorti de mécanismes de suivi transparents et d’un engagement ferme de la part des deux parties à respecter leurs obligations internationales. Encore faut-il, néanmoins, que la partie algérienne y consente, ce que ne semble pas attester l’annonce par le bureau du Conseil de la nation de la suspension de ses relations avec le Sénat français, concomitamment à ce qu’il a qualifié de « visite irresponsable, provocatrice et ostentatoire » du président Gérard Larcher et d’une délégation de sénateurs au Sahara occidental à l’occasion de leur déplacement au Maroc, du 23 au 26 février derniers.

Sur le long terme, la mise en place d’un comité de dialogue parlementaire renforcé, composé de représentants des deux Parlements, s’avérerait pertinent pour garantir une coopération institutionnelle durable. Ce comité pourrait avoir pour utilité d’évaluer, sous l’angle législatif, les dispositions privilégiées de part et d’autre de la Méditerranée dans un certain nombre de secteurs, de mesurer l’impact des orientations retenues dans chaque pays et de formuler, le cas échéant, des propositions. Un tel dispositif institutionnel serait susceptible de favoriser une meilleure compréhension mutuelle des contraintes et aspirations sur les deux rives de la Méditerranée et de contribuer à faire émerger des solutions innovantes et adaptées aux enjeux communs actuels. Mais, pour nous, il est clair que la libération de Boualem Sansal, qui peut et doit s’envisager pour des raisons humanitaires, est un préalable indispensable !

Le temps presse, l’état de santé de Boualem Sansal, âgé, malade, privé de plusieurs de ses droits fondamentaux, en grève de la faim, inquiète fortement, bien au-delà de la communauté des écrivains et des éditeurs, bien au-delà des membres, nombreux, de son comité de soutien, bien au-delà de notre pays, il inquiète toutes celles et tous ceux qui, à travers le monde, sont attachés à la liberté d’opinion, à la liberté d’expression, et au respect de la dignité humaine.

 


   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mardi 4 mars 2025, à 16 heures 30, la commission a procédé à l’examen de la proposition de résolution européenne appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal (n° 914), et au vote sur celle-ci.

M. le président Bruno Fuchs. Je remercie celles et ceux qui ont participé au débat sur l’Ukraine dans l’hémicycle ce lundi 3 mars 2025. Ces derniers se sont déroulés dans l’esprit constructif qui caractérise notre commission, au-delà des divergences de vues. Un consensus s’est fait jour sur un certain nombre de sujets. Je me suis entretenu, tout à l’heure, avec l’ambassadeur du Canada. Il a rappelé l’engagement de son pays au côté de l’Union européenne (UE), qu’il considère comme son premier partenaire. Je me suis entretenu, hier, avec le président de la commission des affaires étrangères du Parlement d’Estonie, pays accoutumé à la présence de la Russie, mais aussi avec l’ambassadrice de Serbie. La situation provoquée par les prises de position du président Trump s’est traduite par une volonté de plus en plus forte de coopération au sein de l’Europe, aux effets vertueux sur la France et sa position dans l’UE.

La proposition de résolution européenne que nous examinons ce jour a été déposée sur le Bureau de l’Assemblée nationale, le 27 janvier dernier, puis adoptée par la commission des affaires européennes, le 5 février. En application de l’article 151-6 du règlement de l’Assemblée nationale, toute commission permanente compétente au fond sur une proposition de résolution européenne dispose d’un délai d’un mois à compter de son renvoi à l’issue de l’examen par la commission des affaires européennes pour, le cas échéant, l’examiner à son tour et adopter, éventuellement, un texte modifié.

La situation personnelle de l’écrivain Boualem Sansal, arrêté à Alger le 16 novembre 2024 et détenu depuis, en dépit de son âge, a provoqué un élan de mobilisation partout en France. La proposition de résolution européenne dont nous allons débattre propose d’acter un engagement de l’Assemblée nationale, afin d’alerter nos concitoyens sur l’urgence de la situation de notre compatriote. Nous souhaitons sa libération immédiate.

Les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie ne sauraient entraîner de répercussions sur les destins ou les droits des individus. Pour cette raison, il importe de dissocier le cas de Boualem Sansal de toute raison d’État.

L’attaque de Mulhouse, voici une dizaine de jours, a ravivé les tensions avec l’État algérien. Les discussions entre la France et l’Algérie sont aujourd’hui crispées, sans doute plus que jamais depuis 1962. La résolution que nous allons examiner ne doit pas affecter les relations entre les deux Exécutifs ni entraîner de répercussion sur les populations, sachant que quatre à six millions de citoyens en France et en Algérie se revendiquent d’une appartenance culturelle à l’un et l’autre pays. Enfin, il serait malvenu que la résolution dont nous allons débattre entraîne des conséquences dans les nombreux domaines où la France coopère avec l’Algérie.

Nonobstant le rappel du respect de nos valeurs et de nos convictions, il importe de conserver une voie ouverte au dialogue, sans lequel la résolution du problème ne saurait aboutir. Pour que Boualem Sansal soit libéré, des discussions devront se nouer avec les autorités algériennes.

Vingt-trois amendements ont été déposés sur ce texte et seront discutés en commission aujourd’hui.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je vous présente ce jour une proposition de résolution européenne que j’avais initiée au nom du groupe Ensemble pour la République. La commission des affaires européennes a adopté cette proposition à l’unanimité, le 5 février, malgré l’abstention de deux groupes.

Je rappelle que M. Boualem Sansal est un talentueux écrivain franco‑algérien, engagé, courageux, reconnu par ses pairs et couronné par de nombreux prix littéraires. Cet amoureux de la langue française a depuis longtemps choisi d’écrire en français. Il s’est vu décerner le grand prix du roman de l’Académie française, en 2015, pour son roman 2084, La fin du monde, fable glaçante sur la soumission, la foi et l’ignorance. Il a également reçu le prix Jean Zay, le prix international de la laïcité, décerné par le comité Laïcité République ou encore le prix de la paix des libraires allemands, Boualem Sansal étant lu dans le monde entier. Il est édité par la maison Gallimard depuis la publication du Serment des barbares, voici vingt-cinq ans. Il incarne, en somme, une grande voix internationale de la francophonie et de l’universalisme républicain. Cet écrivain s’est engagé, à travers ses romans et essais, en faveur de la paix et de la tolérance, à l’encontre de tous les obscurantismes.

Il a été arrêté, le 16 novembre 2024, lors de sa descente d’avion à Alger, puis incarcéré et inculpé. Il est actuellement détenu dans la prison de Koléa, en vertu de l’article 87 bis du code pénal algérien récemment durci, relatif au terrorisme. Boualem Sansal est accusé d’avoir commis « un acte terroriste visant la sûreté de l’État, l’unité nationale, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ». Cet article 87 bis prévoit la condamnation à mort en tant que peine maximale, même si un moratoire suspend l’exécution de cette peine depuis 1993, celle-ci – lorsqu’elle est prononcée – étant automatiquement commuée en détention à perpétuité.

Boualem Sansal serait sous le coup d’autres chefs d’inculpation mais nous ne disposons pas de plus amples informations à cet égard. Cet homme de lettres, intellectuel engagé, a été incarcéré pour avoir exercé sa liberté d’opinion, d’expression et de création. À nos yeux, rien ne saurait justifier une telle privation de droits fondamentaux, une telle persécution d’un homme à l’esprit libre, ayant toujours eu à cœur de porter haut et fort les valeurs de la démocratie, en lutte contre toutes les formes d’obscurantisme et de soumission.

Boualem Sansal, âgé de 80 ans et atteint d’un cancer, est détenu dans des conditions sans doute éprouvantes et certainement peu adaptées à son état de santé. Il a entamé, voici quelques jours, une grève de la faim. Privé de plusieurs de ses droits fondamentaux, il s’est vu refuser, alors qu’il est citoyen français, la protection consulaire française. Les autorités algériennes n’ont pas donné suite à la demande de l’ambassadeur français de rencontrer M. Sansal. Dans une récente interview donnée à L’Opinion, le 3 février, le président Tebboune a rappelé que « Sansal n’est français que depuis cinq mois » : un bien étrange propos !

Boualem Sansal se voit également refuser son droit à la défense. Les avocats algériens commis d’office ont certes eu la possibilité de le rencontrer mais son avocat français, Me François Zimeray, n’a pas pu lui rendre visite en prison, faute d’avoir obtenu un visa. Me Zimeray ne peut donc pas consulter le dossier de son client ni mener un travail sérieux avec ses confrères algériens.

J’aimerais en profiter pour évoquer des pressions, dont la presse s’est fait l’écho, exercées sur M. Sansal, dans sa cellule même, en vue de l’amener à changer d’avocat, la confession juive de Me François Zimeray semblant ici en cause. Une telle manœuvre détestable revêt un caractère clairement antisémite.

Tous les engagements internationaux et bilatéraux de l’Algérie obligent les autorités algériennes à respecter les libertés, les principes démocratiques et les droits de l’Homme, la déclaration universelle des droits de l’Homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, la convention de Vienne sur les relations consulaires, la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, le protocole de l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie, signé en 2022, ainsi que les accords d’Évian de 1962.

L’arrestation et la détention de M. Boualem Sansal, la violation flagrante de plusieurs de ses droits fondamentaux, relèvent de l’arbitraire d’un régime soucieux de faire taire un opposant et de museler un intellectuel engagé.

Nous ne saurions évoquer le traitement inique réservé à M. Boualem Sansal sans le placer dans le contexte de la forte dégradation des relations entre la France et l’Algérie, encore que cette forte dégradation ne saurait servir de prétexte à priver un homme de ses droits fondamentaux. Boualem Sansal ne saurait être la victime sacrificielle ou le bouc émissaire de la mésentente entre les autorités françaises et algériennes.

J’ai détaillé, dans mon rapport destiné à la commission des affaires européennes et dans celui qui accompagne la proposition de résolution que je vous présente maintenant, quelques-uns des derniers épisodes de la relation franco‑algérienne. En juillet 2024, la France a reconnu la marocanité du Sahara occidental, quelques semaines avant un voyage officiel du président Macron au Maroc, en octobre 2024. Le prix Goncourt a été attribué à Kamel Daoud pour son roman Houris, le 4 novembre 2024. Enfin, quelques mois plus tard, la nationalité française a été octroyée à Boualem Sansal, sur décision du chef de l’État français.

Nous ne saurions admettre que des tensions diplomatiques fortes entre deux États entraînent des répercussions aussi dramatiques sur le destin et les droits d’individus. Le respect des droits et de l’État de droit s’impose à tous les États ayant pris des engagements en ce sens, a fortiori à un État lié par un accord d’association avec l’UE et qui a souhaité récemment moderniser cet accord afin de l’adapter à certaines réalités économiques nouvelles. Pour cette raison, le Parlement européen a adopté, le 23 janvier, à une écrasante majorité, une résolution condamnant l’arrestation et la détention arbitraire de Boualem Sansal et appelant à sa libération immédiate.

Je voudrais revenir sur l’état de santé et l’âge avancé de Boualem Sansal, qui a effectué de nombreux allers-retours entre l’hôpital Mustapha et la prison de Koléa. Il aurait subi des soins de radiothérapie, sans que des informations précises ni fiables nous aient été transmises à ce propos. Pour cette raison, j’ai tenu à inscrire, dans la proposition de résolution que nous nous apprêtons à examiner, l’envoi d’une mission médicale internationale.

Je conclurai en rappelant notre attachement aux liens entre l’Algérie et la France, l’histoire commune de nos deux pays, leur relation intense, passionnelle, douloureuse à certains égards, quoique toujours riche, sans oublier nos intérêts communs de part et d’autre de la Méditerranée.

Je citerai les propos tenus par le chef de l’État devant la conférence des ambassadeurs, voici quelques semaines, qualifiant Boualem Sansal de combattant de la liberté : « L’Algérie, que nous aimons tant, et avec laquelle nous partageons tant d’enfants et tant d’histoire, entre dans une histoire qui la déshonore en empêchant un homme gravement malade de se soigner. Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est. Nous aimons le peuple algérien et son histoire. ».

Il importe de restaurer un climat de dialogue propice à la confiance. Pour y parvenir, il est nécessaire de se parler, de se respecter, de respecter les règles de droit, dont le droit à une défense équitable, loyale, sereine et le droit à la protection consulaire.

J’évoque, aux pages 15 et 16 de mon rapport, le levier que pourrait constituer un dialogue parlementaire renforcé, sans concession mais respectueux, susceptible d’impliquer, dans un premier temps, les deux commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française et de l’Assemblée populaire nationale algérienne.

Comme l’a dit Jean-Pierre Chevènement, quelques jours après l’arrestation de Boualem Sansal : « Je presse l’Algérie, un pays qui connaît le prix de la liberté, de respecter la liberté d’expression et d’opinion, en particulier celle d’un écrivain. Les autorités algériennes s’honoreraient à libérer sans tarder M. Boualem Sansal. ». M. Chevènement a ajouté, quelques jours plus tard, en référence aux fameux propos prononcés par De Gaulle en 1960, à propos de Jean‑Paul Sartre : « On n’emprisonne pas Voltaire ». Puissent les autorités algériennes s’inspirer de tels propos.

M. le président Bruno Fuchs. Depuis l’arrestation de Boualem Sansal, en novembre 2024, j’échange régulièrement avec les autorités algériennes, proposant notamment qu’une délégation de notre commission puisse se rendre en Algérie. J’attends qu’un contexte propice à une discussion s’instaure.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Malgré leur prétention à soutenir la liberté d’opinion et d’expression, ni votre proposition de résolution européenne ni le rapport qui l’accompagne ne feront avancer la situation de M. Sansal et n’apaiseront les relations entre Paris et Alger, bien au contraire, et ce alors même que le besoin s’en fait sentir.

Votre résolution est formulée de façon trompeuse car vous posez plusieurs conditions à la libération de Boualem Sansal. Votre proposition de résolution aurait pu poser les jalons d’un apaisement entre Paris et Alger afin de reconstruire les bases d’une entente cordiale, solide et durable. Au vu de l’histoire que partagent la France et l’Algérie, par égard pour les Français vivant en Algérie et les Algériens vivant en France, nos concitoyens binationaux, nous devons apaiser les relations diplomatiques entre nos deux pays. En tant que députés, nous sommes en mesure de participer à la diplomatie de notre pays.

Votre proposition de résolution n’œuvre pas dans le bon sens. Nous pouvons tout à fait dénoncer les régressions des droits humains et lancer l’alerte à ce propos mais tel n’est pas le but que poursuit en premier lieu votre texte.

Notre groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine incite l’Algérie à libérer M. Sansal. Nous demandons par ailleurs à tous les pays de respecter les droits fondamentaux. Aussi exigeons-nous la libération immédiate de Boualem Sansal. Nous l’avons d’ailleurs fait savoir. De fait, nous exigeons la libération des détenus politiques, en Algérie comme partout ailleurs. En l’état actuel de la proposition de résolution et pour les raisons que j’ai évoquées, nous ne la soutiendrons pas.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je prends acte du positionnement de votre groupe en faveur de la libération immédiate de Boualem Sansal. Je ne saurais vous laisser dire que la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale n’a pas pour objectif de demander fermement la libération d’un écrivain franco‑algérien en détention arbitraire pour avoir exercé sa liberté d’écrivain engagé.

Notre objectif premier consiste bel et bien à obtenir sa libération. Je ne doute pas que des contacts avec les autorités algériennes aient déjà été noués en ce sens par les uns et les autres. Une résolution de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale rappelant un certain nombre de vérités – dont le non-respect, par les autorités algériennes, de leurs engagements internationaux, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, du droit à la défense ou encore à la protection consulaire – ne me semble pas inutile, au contraire.

M. Guillaume Bigot (RN). Thomas Jefferson a dit : « Tout homme libre a deux patries : la sienne et la France ». C’est ce qu’espère encore l’écrivain Boualem Sansal et ce que nous espérons tous. Pourtant, notre compatriote croupit depuis quatre mois dans les geôles algériennes. Cet homme de 75 ans, affaibli, mène une grève de la faim face à l’acharnement d’un régime qui lui dénie jusqu’au droit de choisir son propre avocat. Le président Tebboune exige de Boualem Sansal qu’il choisisse « un avocat non juif », ajoutant ainsi l’infamie à la persécution.

Cette attitude illustre le mépris de ce régime pour la culture, les droits de l’Homme et la France et signe sa déchéance morale et politique. C’est ce même régime qui refuse de reprendre ses ressortissants expulsés et qui, à quatorze reprises, a refusé de rapatrier le criminel qui a ensanglanté Mulhouse. Il est donc temps non seulement d’exiger mais d’obtenir la libération immédiate de Boualem Sansal, comme il est temps d’obtenir la récupération par l’Algérie de tous ses ressortissants sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Face à tant de cynisme et de provocation, le texte de notre collègue Le Grip constitue une réponse – à notre sens – beaucoup trop timorée. Pourtant, face à l’urgence vitale dans laquelle se trouve notre ami Boualem Sansal et dans une optique transpartisane, notre groupe votera cette résolution et se montrera vigilant vis-à-vis de toute tentation de l’amollir.

Nous devrions en réalité aller plus loin en actionnant des leviers à notre portée. Il est temps de suspendre ce qui reste de notre aide au développement, de prononcer des sanctions économiques, de restreindre les visas et les déplacements diplomatiques, de fermer des consulats, si nécessaire, et de rappeler notre ambassadeur au besoin. Nous ne pouvons plus nous dérober face à ce rapport de force qui nous est unilatéralement imposé.

Il est temps de dénoncer les accords de 1968 et non d’implorer Alger de cesser de bafouer ceux de 1994. Paradoxalement, il est reproché au président Trump ce qu’est justement en train de faire le président Macron : capituler avant même de négocier. Une telle attitude apparaît inacceptable et compromet notre crédibilité, comme notre sécurité. Il est temps de répondre avec fermeté pour défendre nos intérêts et nos valeurs. En effet, tout homme libre a deux patries, la sienne et la France.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’ai tendance à considérer que ce qui est excessif est insignifiant…

M. Guillaume Bigot (RN). C’est ainsi que vous qualifiez toute son œuvre ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Si nous partageons l’objectif d’aboutir à la libération de notre compatriote Boualem Sansal, nous ne sommes manifestement pas d’accord quant à la pertinence des moyens à déployer pour y parvenir. Je souhaite que cette proposition de résolution soit à la fois ferme, juste et utile, au-delà des formules à l’emporte-pièce.

M. Vincent Ledoux (EPR). « Les peuples devraient toujours pouvoir suivre leur voie. En elle est leur génie et leur substance vitale. Il est triste de les voir dérailler parce que, quelque part, à l’étranger, un mage, un roi, un empereur, un calife, un président l’a décidé. ». Je vous cite ici le Petit éloge de la mémoire de Boualem Sansal.

Lui qui s’est lancé dans l’écriture comme on enfile une tenue de combat est aujourd’hui l’une des victimes expiatoires et emblématiques du déraillement du pouvoir autoritaire algérien. Face à l’arbitraire implacable de ce régime, qui réprime journalistes et militants et que Reporters sans frontières a classé au 139ème rang sur 180 des pays respectant le mieux la liberté de la presse en 2024, il importe de tout mettre en œuvre pour sauver notre compatriote Sansal.

Cette proposition de résolution européenne constitue un engagement de plus – celui de la représentation nationale française – vers la libération immédiate et inconditionnelle de cet écrivain francophone. Ne nous y trompons cependant pas : ces actions sont engagées contre un système répressif et non contre le peuple algérien, qui en est la première victime. Comme l’écrit Boualem Sansal : les peuples devraient toujours pouvoir suivre leur voie ; en elle est leur génie et leur substance vitale. Telle est la position de la France et la position de notre groupe EPR, qui soutient ce texte présenté par Constance Le Grip.

Si le premier ministre a fixé, jeudi dernier, un agenda pour la redéfinition de nos accords bilatéraux avec l’Algérie, et notamment celui de 1968, notre engagement total en faveur de Boualem Sansal vise la libération immédiate d’un citoyen franco-algérien, âgé, malade, engagé dans une grève de la faim, victime arbitraire des autorités en raison de sa liberté de penser et de s’exprimer. « La liberté appartient à ceux qui l’ont conquise » disait Malraux. Sansal a fait sa part ; il revient à l’Assemblée nationale de faire la sienne.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Merci à M. Ledoux pour sa prise de parole et son soutien. Je tiens, comme lui, à souligner que cette proposition de résolution européenne n’est pas dirigée contre le peuple algérien. J’ai d’ailleurs accepté que le texte qui vous est soumis rappelle les liens d’amitié et de respect entre nos deux peuples. Nous sommes parfaitement conscients que le peuple algérien lui-même souffre de l’arbitraire et de la dérive autoritaire du pouvoir actuel. Le nombre de prisonniers politiques, de militants associatifs et de journalistes embastillés par les autorités algériennes actuelles en atteste. Nous nous battons pour le respect du droit international, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dans l’intérêt de Boualem Sansal et du peuple algérien.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Boualem Sansal doit être libéré. Le groupe de la France insoumise ne saurait accepter qu’un écrivain soit détenu pour ses idées ou ses propos. Nous réprouvons totalement ceux de Boualem Sansal, qui le placent, depuis plusieurs années, du côté de l’extrême droite tant ils attisent la peur d’une prétendue islamisation et le fantasme du grand remplacement. Mais un principe reste un principe. Nous ne transigeons pas avec les libertés fondamentales ; nous demandons donc sa libération.

Cependant, la résolution que nous examinons aujourd’hui va bien au-delà. Elle nous engagerait dans une folle surenchère de par sa rhétorique martiale, sa posture d’ingérence teintée de paternalisme néocolonial, menaçant les liens de coopération qui unissent les pays de l’Union européenne avec l’Algérie. Nous refusons catégoriquement cet engrenage mortifère. Le dialogue avec Alger, déjà fort abîmé, serait rompu. Les peuples innocents en paieraient le prix. La libération de Boualem Sansal n’aurait, en outre, pas avancé d’un iota.

Nous ne sommes pas dupes du soudain intérêt de nos collègues de la majorité pour le sujet. Ils instrumentalisent la situation de M. Sansal au service d’une stratégie de la tension avec l’Algérie, adoptée, depuis des semaines, par le gouvernement qu’ils soutiennent, au nom duquel s’expriment MM. Bayrou et Retailleau. Cette stratégie les conduit aux manœuvres les plus infâmes, comme lorsque le premier ministre envisage de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 ou que le ministre de l’intérieur propose de ralentir les procédures d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français menés dans le désert algérien durant les années 1960.

Dans l’espoir de racoler à l’extrême droite, ils font de l’Algérie un bouc émissaire ; ils livrent au passage des millions d’Algériens, de binationaux, de Français d’origine algérienne à la vindicte. La manœuvre est délibérée, grossière, cynique et nous répugne profondément. Cette escalade, aussi ignoble qu’insensée, n’a rien à voir avec la défense des droits de M. Sansal et des libertés fondamentales.

Nous disons oui à la libération de Boualem Sansal, non à l’algérophobie. Nous voulons emprunter la voie de l’apaisement, traiter les différends par le dialogue pour bâtir une relation de respect mutuel et d’amitié entre deux peuples frères : les peuples algérien et français. C’est dans ce sens que nous avons cherché à amender ce texte. Dès lors que celui-ci resterait en l’état, nous ne pourrions malheureusement pas le voter.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Encore une fois, tout ce qui est excessif est insignifiant. Vous parlez de honte, mais la véritable honte est celle que doit éprouver un régime détenant arbitrairement un grand écrivain, lui refusant des droits fondamentaux tels que le droit à la protection consulaire et à une défense équitable et loyale.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Cela n’a rien à voir…

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je prends vos critiques sur cette proposition de résolution européenne, que j’ai entièrement rédigée, comme autant d’attaques personnelles. Appeler à la libération immédiate et inconditionnelle d’un grand écrivain et rappeler des faits avérés n’a rien de grossier, d’ignoble, ni d’insensé.

Mme Pascale Got (SOC). L’arrestation de Boualem Sansal en dit long sur ce qu’est l’État de droit en Algérie. Le président Tebboune s’emmure face aux nombreuses critiques en déclarant que « Boualem Sansal n’est pas un problème algérien mais un problème pour ceux qui l’ont créé, une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie ». Il ne s’agit pas d’un coup d’essai pour le pays. En 2009, Ahmed El Khalil, haut dirigeant du Front Polisario, a été arrêté. Il n’a toujours pas été jugé. Ce précédent n’est pas de bon augure pour Boualem Sansal, pas plus que la détention de deux cents activistes, journalistes et défenseurs des droits en Algérie.

Face à la dégradation croissante du respect des droits humains en Algérie, le groupe Socialistes et apparentés réitère ses appels à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal par les autorités algériennes. Il importe que son avocat puisse exercer pleinement ses droits de défense. L’Algérie doit en outre garantir le respect des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression et d’opinion, ainsi que les droits de la défense. Enfin, l’Algérie ne doit pas se détourner des engagements qu’elle a pris en ratifiant les conventions et traités internationaux relatifs aux droits humains.

Le groupe Socialistes et apparentés soutient cette proposition de résolution en faveur de la libération de Boualem Sansal mais il déposera deux amendements en vue de la suppression de certains alinéas. Il nous semble en effet difficile de réclamer une libération inconditionnelle en la conditionnant au futur versement de fonds européens. La suspension du versement de ces fonds pénaliserait et fragiliserait la population algérienne bien plus qu’elle n’exercerait de réelle pression sur les autorités.

Nous devons mener des efforts diplomatiques et concertés pour obtenir la libération de Boualem Sansal mais ces efforts ne doivent pas faire obstacle à notre engagement en faveur des droits humains. Dans un contexte international tendu face à des régimes autoritaires, nous devons réfléchir à la manière dont la France et l’Union européenne peuvent s’armer pour prévenir la répression et mieux protéger les défenseurs des libertés. Le Haut‑Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme s’inquiète, lui aussi, des discours et des actes qui sèment la division et suscitent la peur.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je remercie Mme Got pour ses propos. J’aurai moi-même l’occasion de présenter certains amendements. Nous verrons ainsi, au fil de nos discussions, comment cheminer ensemble vers quelques améliorations de mon texte. Je vous remercie en tout cas pour votre soutien à la cause de Boualem Sansal.

M. Michel Herbillon (DR). Le groupe Droite républicaine soutiendra évidemment la proposition de résolution de Mme Le Grip, que j’aimerais remercier et féliciter pour son initiative.

Il ne s’agit pas de réécrire l’histoire de la guerre d’Algérie, ni d’établir le récit des relations riches et complexes entre nos deux pays, mais de mobiliser l’Assemblée nationale en vue de la libération d’un écrivain âgé, malade, emprisonné. Voici plusieurs mois déjà que la France, ses citoyens et ses parlementaires réclament la libération de Boualem Sansal.

Les raisons invoquées par un certain nombre de groupes politiques pour ne pas voter la proposition de résolution aboutissent à ce qu’ils ne demandent pas la libération de Boualem Sansal. Les droits de la défense se trouvent bafoués ; les droits humains ne sont pas respectés ; la dignité humaine est rejetée. L’histoire entre nos deux pays est dévoyée. Les relations entre les peuples français et algérien se voient instrumentées.

Face à cette situation, il me paraît nécessaire de soutenir votre proposition. Je crois à la nécessité d’établir un rapport de force. Il n’est pas question de se contenter d’incantations. Nous devons utiliser un certain nombre de moyens à notre disposition pour mettre un terme à cette situation inacceptable. Le reste me paraît superflu. J’aimerais insister auprès du président de la commission sur l’importance cruciale d’une réunion entre notre commission et celle des affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale algérienne. Nous ne saurions nous contenter d’une absence de réponse de la part de celle-ci.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je remercie le groupe de la Droite républicaine pour son soutien. Nous partageons depuis longtemps des valeurs et des principes communs.

Le comité de soutien à Boualem Sansal est coprésidé par Me Noëlle Lenoir et M. Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. De très nombreuses personnalités y ont adhéré, dont plusieurs anciens présidents de la République et ministres, des éditeurs, des journalistes et de nombreux parlementaires. Le mouvement de soutien à Boualem Sansal se propage à d’autres pays européens, tels que l’Allemagne et l’Espagne, et même à des pays d’Amérique latine où sont traduites ses œuvres.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Nous appelons à la libération inconditionnelle de Boualem Sansal comme à celle de tous les prisonniers politiques, y compris en France. Je songe ici à Christian Tein, indépendantiste kanak, en prison à Mulhouse.

Cependant, cette proposition de résolution n’a rien à voir avec la liberté d’expression. Elle ne constitue qu’un épisode de plus de l’opération de sabotage méthodique des relations franco-algériennes menée par Bruno Retailleau et ses alliés. Nous voilà loin d’un soutien sincère à Boualem Sansal. Nous assistons bien plutôt à une énième tentative de surenchère politicienne, où l’indignation est sélective et dont l’objectif réel consiste à envenimer les tensions au lieu de les apaiser.

Bruno Retailleau, dans sa volonté de se créer une image de ministre à poigne, est prêt à tout, y compris à devenir ministre des affaires étrangères et, pourquoi pas, président de la République. À l’entendre, il dispose de tous les pouvoirs, y compris celui de révoquer les traités pour, au final, se faire retoquer par les tribunaux et en appeler, de dépit, à remettre en cause l’État de droit. Dans son obsession algérienne, il souffle sur les braises à la moindre occasion. Notre ministre de l’intérieur vient d’être recadré par le président de la République, qui a rappelé être le seul à pouvoir dénoncer l’accord de 1968.

Au lieu d’œuvrer à un dialogue intelligent et apaisé, le ministre de l’intérieur et ses alliés jouent la carte du ressentiment et du repli, préférant agiter la peur plutôt que de construire des ponts, au mépris de notre intérêt national. Ils ne sont malheureusement pas les seuls à se ranger derrière cette démarche et sont rejoints par les députés du bloc central, de droite et d’extrême droite, dans un même élan réactionnaire.

Il ne vous suffit donc pas d’avoir, depuis 2017, quasiment réduit à néant toute la présence française en Afrique par votre amateurisme. Vous voulez la faire reculer dans un pays de plus, avec lequel nous avons tant de liens. Nous refusons de cautionner cette tentative grossière d’embrasement diplomatique. Cette résolution n’apporte rien de plus que celle qui a été adoptée par le Parlement européen en janvier dernier, hormis qu’elle nourrit un affrontement stérile et dangereux.

Demander une libération inconditionnelle implique de ne pas imposer de conditions à une telle libération, à l’inverse de la résolution qui nous est proposée. Le groupe Écologiste et Social ne la votera pas, à moins d’en révoquer les conditions, même s’il plaide depuis le début pour la libération de Boualem Sansal.

M. Michel Herbillon (DR). Cela, il faut le prouver par son vote !

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je ne vous laisserai pas dire que des prisonniers politiques sont détenus en France. Une telle assertion est fausse.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Pas du tout.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). C’est au contraire parfaitement exact !

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Tout ce qui est excessif est insignifiant.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Votre développement me semble très politicien, Mme Sebaihi. Vous y avez largement critiqué des membres du gouvernement. De telles attaques politiciennes ne me semblent pas à la hauteur de l’enjeu dont nous traitons aujourd’hui.

Mme Maud Petit (Dem). Voilà cent neuf jours exactement que l’écrivain franco‑algérien Boualem Sansal, âgé de 80 ans, est détenu dans une geôle, à Alger. Son crime réside dans ses écrits et prises de position en faveur de la liberté d’expression et des valeurs démocratiques, et notamment sa position sur le Sahara occidental. Les autorités algériennes y voient une atteinte à la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire et la stabilité des institutions. Boualem Sansal encourt une peine de prison à perpétuité, selon l’article 87 bis du code pénal algérien.

Son arrestation et son incarcération, jugées arbitraires, ont été dénoncées par le président de la République, Emmanuel Macron, le premier ministre et le gouvernement, de même que par la grande majorité de la classe politique française. Cette situation scandalise et mobilise nos compatriotes mais aussi la communauté internationale. La libération de Boualem Sansal est demandée sans délai. Son état de santé a lieu d’inquiéter. La protection consulaire à laquelle il a droit et les droits de sa défense sont bafoués. Malgré les multiples appels à sa libération, le pouvoir algérien fait la sourde oreille.

Cette affaire s’inscrit dans un contexte diplomatique particulièrement tendu entre la France et l’Algérie, aggravé par la reconnaissance, par l’État français, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En emprisonnant Boualem Sansal, l’Algérie déroge aux engagements qu’elle a pris dans le cadre de conventions internationales et d’accords bilatéraux avec la France et l’UE.

Dans ce contexte, pour ne pas rompre le dialogue ni nos liens avec le peuple algérien, il apparaît nécessaire de répondre par des actions graduées, mêlant fermeté et dialogue. Notre groupe soutiendra bien évidemment la proposition de résolution européenne. Nous devons rappeler à l’Algérie les responsabilités et devoirs qui découlent de ses engagements internationaux. Il apparaît nécessaire d’associer à cette démarche l’Union européenne qui, en tant qu’instance supranationale, dispose de moyens institutionnels, diplomatiques et de coopération pour exercer une pression sur le régime algérien.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Merci pour votre soutien. J’estime également nécessaire d’adopter une approche alliant fermeté et dialogue. Je souhaite que la libération immédiate de Boualem Sansal, citoyen européen, soit demandée au nom des valeurs et principes européens.

M. Bertrand Bouyx (HOR). Boualem Sansal, écrivain et intellectuel franco-algérien, dont la qualité du travail est largement reconnue et saluée, a été arrêté, en Algérie, le 16 novembre dernier. Le groupe Horizons & indépendants est profondément inquiet de l’arrestation et de l’inculpation de Boualem Sansal.

Ingénieur, enseignant, écrivain de langue française, il incarne ce que nous chérissons : l’appel à la raison, la liberté et l’humanisme, contre la censure, la corruption et l’islamisme. Avec un immense courage et un immense talent, Boualem Sansal dénonce les failles et les abus de pouvoir. Il n’a cessé de dénoncer les dérives autoritaires, l’islamisme radical et les tabous de la société algérienne, dans ses œuvres telles que 2084, La fin du monde, ou Le village de l’Allemand.

Dans une Algérie où la violation des droits fondamentaux reste malheureusement trop fréquente, Boualem Sansal se voit la cible d’une répression politique pour avoir exercé son droit à la libre expression, jugée insupportable par le régime. Victime d’une mise au secret et d’un emprisonnement arbitraire, son arrestation sans justification relève d’une violation flagrante de ses droits fondamentaux. La situation des droits humains et de la liberté d’expression en Algérie apparaît préoccupante. Une dissonance s’observe entre la Constitution de l’Algérie, qui garantit la liberté d’opinion, et les dispositions de son code pénal, qui permettent aux autorités d’utiliser une définition malléable du terrorisme pour réprimer toute forme de contestation. Au-delà de l’aspect purement juridique, c’est une dégradation de l’ensemble de ces libertés que l’on observe en Algérie. Le pays a reculé à la 139ème place du classement mondial de la liberté de la presse en 2024. Selon les organisations non gouvernementales (ONG) et les observateurs des droits humains en Algérie, les journalistes y sont soumis à une pression croissante. Certains sont même détenus et poursuivis.

L’UE est un partenaire majeur de l’Algérie, ayant signé avec elle un accord d’association en 2002. Nous souhaitons que l’aide que l’UE accorde à l’Algérie dans ce cadre soit conditionnée au respect de l’État de droit et de la liberté d’expression. La situation de Boualem Sansal appelle à une mobilisation urgente des autorités européennes et françaises pour qu’il puisse bénéficier d’une protection consulaire et d’une libération immédiate et inconditionnelle.

L’Europe a, par le passé, défendu avec force des figures emblématiques comme Alexeï Navalny, Vladimir Kara-Mourza, ou encore Osman Kavala, victimes de régimes autoritaires pour avoir osé dénoncer l’arbitraire et la corruption. L’ensemble de nos démocraties européennes s’est toujours mobilisé d’une même voix pour dénoncer ces atteintes et exiger la libération de ceux que des régimes dictatoriaux ou autoritaires réduisent au silence.

À 75 ans, Boualem Sansal n’est pas seulement un écrivain. Il élève une voix courageuse contre l’autoritarisme et le fanatisme. En le défendant, nous défendons la liberté de pensée et l’universalisme des droits humains. Notre mobilisation ne doit pas s’arrêter là. Tous les artistes, écrivains et citoyens épris de liberté doivent s’unir pour défendre et faire entendre leur voix. La France doit faire entendre fermement sa voix auprès de l’État algérien, sans trembler. Un accord ne saurait être respecté par une seule des parties qui l’a conclu, faute de quoi, il n’aurait plus lieu d’être.

Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de la proposition de résolution européenne.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je remercie le groupe Horizons & indépendants pour son soutien. Vous avez d’abord exprimé votre inquiétude par rapport à l’état de santé et l’âge avancé de Boualem Sansal. Vous avez replacé la mobilisation en faveur de sa libération dans le contexte global des combats que nous devons mener pour tous les défenseurs de la liberté d’expression et ceux qui se mobilisent pour le respect des droits humains. L’état de santé de Boualem Sansal préoccupe les membres de son comité de soutien ainsi que son avocat français, Me Zimeray, bien que nous ne disposions, à cet égard, que d’informations parcellaires. Le temps presse.

M. Sébastien Chenu (RN). Boualem Sansal est français. Il incarne l’honneur de la France. Cet immense écrivain combat l’obscurantisme et l’islamisme. Il représente une certaine idée de la liberté. Les habituels signataires de pétitions, donneurs de leçons et marchands de morale ne se mobilisent pas en sa faveur, préférant réclamer la fermeture d’une chaîne de télévision que la libération d’un innocent.

Mme Dieynaba Diop (SOC). C’est quoi ce parallèle honteux !

M. Sébastien Chenu (RN). Boualem Sansal se meurt en prison. Il est malade et n’entend pas nos appels, trop faibles, trop furtifs et, probablement même, trop lâches. Parce que sa détention affecte durement les relations franco‑algériennes, parce que le temps des palabres est révolu – pour reprendre le couplet hostile rétabli par décret, en 2022, dans l’hymne national algérien – il apparaît nécessaire de se mobiliser avec plus d’audace.

Monsieur le président, j’aimerais connaître la teneur de vos échanges avec les autorités algériennes pour le compte de notre commission et les informations que vous avez pu recueillir concernant la situation de Boualem Sansal.

Mme Alexandra Masson (RN). La démarche du gouvernement algérien consistant à envoyer des émissaires auprès du prisonnier politique Boualem Sansal afin de le pousser à changer d’avocat français, parce que celui-ci est juif, est odieuse et inacceptable. Alors que l’écrivain franco-algérien est retenu dans une unité de soins hospitaliers après son arrestation arbitraire et son incarcération illégale, le 16 novembre 2024, ces menaces déguisées en conseils apparaissent totalement délirantes.

Après le refus de sa demande de libération conditionnelle, cette requête antisémite marque une étape supplémentaire dans l’escalade à la provocation et la surenchère du gouvernement algérien. Boualem Sansal, écrivain courageux et opposant résolu à l’islamisme, est victime d’une répression politique inacceptable. Cette situation constitue un affront direct à la liberté d’expression et aux valeurs fondamentales que la France défend.

Madame la rapporteure, de quels moyens la France peut-elle user envers l’Algérie pour l’amener à respecter les droits internationaux fondamentaux et mettre fin à cette détention totalement arbitraire ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je vous renvoie à la lecture de mon rapport, dans lequel j’énumère un éventail d’actions possibles. Je vous renvoie également aux déclarations du chef du gouvernement, François Bayrou, le 27 février, lors du comité interministériel de contrôle de l’immigration.

Mme Christine Engrand (NI). Le 23 janvier 2025, le Parlement européen a adopté une résolution exigeant la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Cependant, les autorités algériennes ont vivement critiqué cette ingérence, qualifiant la résolution d’attaque flagrante contre l’Algérie. M. Sansal se retrouve aujourd’hui enfermé pour avoir osé dénoncer les dérives d’un régime autoritaire. L’Algérie, signataire de la déclaration universelle des droits de l’Homme, piétine sans vergogne ses engagements internationaux. Son propre droit interne garantit la liberté d’expression et l’inviolabilité de la dignité humaine mais, dans les faits, ces principes ne sont que des illusions brisées par un pouvoir qui traque ses opposants avec acharnement.

Les chiffres sont éloquents : en 2024, l’Algérie a reculé à la 139ème place du classement mondial de la liberté de la presse. Plus de deux cent quinze personnes y sont actuellement détenues pour délit d’opinion : journalistes, écrivains, militants ou blogueurs, emprisonnés pour avoir osé s’exprimer et dénoncer. Comment la communauté internationale peut-elle soutenir efficacement la liberté d’expression en Algérie face à la répression croissante des voix dissidentes ? Quel rôle la France doit-elle jouer dans le soutien aux journalistes et écrivains, notamment par des initiatives législatives ou des actions internationales ?

M. Michel Guiniot (RN). Hier, dans la presse, Emmanuel Macron a affirmé que l’accord de 1968 sur les relations entre l’Algérie et la France ne relevait que du président de la République. Cette déclaration marque une dissonance certaine entre le chef de l’État et le chef du gouvernement. Ceci laisse peu d’espoir quant à cette proposition de résolution européenne interpellant le gouvernement de la République française.

Madame la rapporteure, comment interpréter l’affirmation du président de la République, plaçant au-dessus de tout la sécurité des Français, tout en refusant d’agir fermement pour défendre nos ressortissants incarcérés à l’étranger ? Vous soulignez que M. Boualem Sansal est reconnu pour son courage et sa détermination dans la défense des droits et des libertés face aux dérives du radicalisme religieux, au point de subir la privation de sa liberté. L’ambivalence du président de la République annonce-t-elle un renoncement, un abandon progressif de notre autorité et de nos principes face à la menace du radicalisme religieux ? L’heure est à la clarté et à l’action. La parole présidentielle engage la nation. Elle ne saurait se satisfaire d’ambiguïtés ou de postures diplomatiques au détriment de nos concitoyens.

M. Belkhir Belhaddad (NI). Il y a lieu de s’inquiéter du sort réservé à l’écrivain Boualem Sansal par les autorités algériennes. L’atteinte portée par l’intimidation policière ou la privation arbitraire de liberté à toute forme d’expression émanant d’un écrivain, d’un journaliste ou d’un simple citoyen cherchant à exprimer librement un point de vue, demeure inacceptable.

Cependant, je tiens à condamner l’instrumentalisation de la situation de Boualem Sansal, tant par l’extrême droite que par une partie de la droite. J’ai la conviction que la mémoire souvent évoquée dans les relations entre la France et l’Algérie n’est pas monolithique. Elle constitue un héritage qu’il importe d’examiner sous toutes ses facettes et dans toute sa complexité pour bien vivre ensemble et écrire la suite de l’histoire de nos deux peuples.

La colonisation n’a pas été bienfaitrice. Elle a nié des droits humains fondamentaux. Cela ne doit pas nous empêcher de nous projeter vers l’avenir. Français et Algériens entretiennent des liens affectifs. Ils partagent un avenir commun. Cette réalité humaine et culturelle, qui ne saurait être ignorée, doit rester au cœur de nos échanges bilatéraux. Il me semble urgent de rétablir rapidement les accords politiques et diplomatiques permettant des coopérations durables de part et d’autre de la Méditerranée, où nos deux pays jouent un rôle central.

M. le président Bruno Fuchs. Avant de débattre des vingt‑trois amendements déposés sur ce texte, pour répondre à l’interpellation de M. Chenu, sachez que je me suis entretenu avec des proches de Boualem Sansal, et notamment son avocat toujours empêché de se rendre en Algérie. Selon eux, M. Sansal semble traité de façon correcte d’un point de vue médical.

S’agissant du dialogue franco-algérien, le retour que j’ai est que la crispation majeure, très forte, des relations entre les deux pays ne permet pas actuellement d’engager des discussions de fond. Le Conseil de la nation algérien ne souhaite d’ailleurs pas poursuivre de relations avec les sénateurs français depuis le déplacement du président du Sénat, M. Gérard Larcher, au Sahara occidental. Les conditions ne sont donc pas totalement réunies mais nous allons continuer à formuler des propositions.

C’est précisément la raison pour laquelle, au-delà de l’engagement que collectivement nous entendons prendre en faveur de la libération immédiate de Boualem Sansal, je suis moi-même à l’origine de quelques amendements de nature à porter des éléments dans le débat public et à engager un débat entre nous sur plusieurs sujets en vue de nouer ultérieurement – pas dans les heures qui viennent, évidemment, mais peut-être après l’examen de ce texte – un dialogue, notamment au niveau parlementaire, avec la partie algérienne.

M. Sébastien Chenu (RN). Je déduis de vos propos que vous n’avez pas eu d’échanges direct avec les institutions ou les autorités algériennes.

M. le président Bruno Fuchs. Sur la situation sanitaire de M. Sansal, c’est avec ses proches et son avocat que je me suis entretenu. Sur la question des relations avec l’Algérie, j’ai bien eu des échanges avec des autorités algériennes, dont je viens de vous livrer l’esprit.

Venons-en, à présent, à l’examen du texte et des amendements déposés.

*

Article unique

Amendement n° AE14 de M. Bruno Fuchs

M. le président Bruno Fuchs. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

La commission adopte l’amendement.

Amendement n° AE5 de Mme Nathalie Oziol

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Madame la rapporteure, les arguments que nous avançons ne sont pas des arguments personnels. Notre collègue Bastien Lachaud vous a présenté un certain nombre d’arguments politiques et c’est sur cet aspect politique que nous attendons vos réponses et que nous proposons des amendements. Nous estimons votre texte ambigu dans un contexte de surenchère médiatique et politique. Nous avons cité, à ce titre, les propos du ministre Retailleau, membre du gouvernement que vous soutenez, qui souhaite remettre en question les accords de 1968 – sans parler de l’instrumentalisation manifeste, par l’extrême droite, de votre proposition de résolution.

Compte tenu de ce contexte, nous ne saurions faire preuve d’ambiguïté en demandant la libération inconditionnelle de Boualem Sansal. Notre amendement vise à lever l’ambiguïté des arguments à visée politicienne disséminés dans le texte parmi les déclarations de principe et d’attachement au respect des droits fondamentaux. Nous proposons d’appeler à la libération immédiate de Boualem Sansal au nom de la liberté d’opinion et d’expression garantie par la déclaration universelle des droits de l’Homme.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Vous souhaitez, par votre amendement, écraser le texte de ma proposition de résolution européenne. Les développements dont je l’ai enrichie ne sont en rien politiciens. Je ne vois pas en quoi il est indécent ou politicien de rappeler la régression de la liberté d’expression en Algérie, d’appeler à la mise en place d’une mission médicale internationale afin d’évaluer l’état de santé de M. Sansal, de demander que son avocat français puisse se rendre à son chevet ou encore de rappeler aux autorités algériennes leurs propres engagements. Je récuse vos arguments, que je ne juge pas opportuns, et me prononce en défaveur de votre amendement.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Il ne s’agit plus d’une demande de libération inconditionnelle, quand les conditions s’accumulent. Les propos du ministre Retailleau alimentent l’ambiguïté de votre proposition de résolution. Vous entendez les arguments du Rassemblement national, qui s’engouffre dans la brèche et érige Boualem Sansal en modèle à sauver.

M. Sébastien Chenu (RN). Tout à fait !

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Les écrits de Boualem Sansal sont proches des discours tenus par l’extrême droite. Je ne vois pas quelle difficulté pose une formule corroborant votre demande de protection des droits fondamentaux.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Le sujet apparaît propre à enflammer les esprits, compte tenu de la complexité des relations entre la France et l’Algérie. J’appelle mes collègues à faire preuve de réserve dans leurs propos. Un député de l’extrême droite a rétorqué à ma collègue, Mme Oziol : « Boualem Sansal est plus français que vous ». De tels propos n’ont pas à être tenus en commission des affaires étrangères.

Nous demandons la libération inconditionnelle et immédiate de Boualem Sansal, ce qui implique que la proposition de résolution n’impose pas de conditions. Les sanctions financières que vous envisagez dans votre texte porteraient préjudice au peuple algérien. Nous estimons nécessaire d’y supprimer les passages qui conditionnent la libération de Boualem Sansal, sans quoi nous ne parviendrons pas à engager un dialogue apaisé entre nos deux pays.

M. Vincent Ledoux (EPR). Nous nous opposons à ce type d’amendement, ajoutant de la confusion à un texte limpide et équilibré. Madame Sebaihi, vous avez employé tout à l’heure le terme « réactionnaire ». Ceci me rappelle la phrase de Dutronc selon laquelle le réactionnaire est celui qui prend des lanternes pour des vessies. En l’occurrence, vous essayez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Nous sommes opposés à cet amendement qui dévitalise le texte de la résolution.

M. Pierre Pribetich (SOC). À plusieurs reprises, madame la rapporteure, vous avez cité Talleyrand. Je vous rappellerai ce qu’a dit Nicolas Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément ». Dès lors que vous réclamez une libération inconditionnelle, ce qui a trait, dans votre résolution, à des conditions n’a pas lieu d’être. De grâce, supprimez de votre résolution les conditions qu’elle impose.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. La libération que nous réclamons doit être décidée par les autorités qui détiennent Boualem Sansal en prison. Ces autorités ne sauraient poser de conditions à sa libération. C’est en ce sens que le Parlement européen entend le terme « inconditionnel » que nous employons ici.

La commission rejette l’amendement.

Amendement n° AE21 de Mme Constance Le Grip

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Cet amendement introduit un considérant faisant explicitement référence à des propos récemment tenus par le chef du gouvernement, le 26 février, lors de la conférence de presse ayant suivi les travaux du comité interministériel de contrôle de l’immigration. Le premier ministre a ainsi fait état de la grande inquiétude de la France quant à l’état de santé de Boualem Sansal. Il a réaffirmé l’importance accordée par notre pays à la personnalité de Boualem Sansal et au respect qui lui est dû.

La commission adopte l’amendement.

Amendement n° AE15 de M. Bruno Fuchs

M. le président Bruno Fuchs. L’amendement que je propose consiste en une reformulation de l’alinéa 23, à propos du classement de l’Algérie en matière de liberté de la presse en 2024. Il s’agit de ne pas stigmatiser le pays afin de faciliter le dialogue.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je n’y suis pas favorable. La régression de la liberté d’expression en Algérie, dont atteste son 139ème rang au classement mondial des pays en matière de liberté de la presse, me semble importante à souligner.

La commission rejette l’amendement.

Amendement n° AE16 de M. Bruno Fuchs

M. le président Bruno Fuchs. Cet amendement vise à renforcer l’affirmation du partenariat durable entre l’UE et l’Algérie.

M. Guillaume Bigot (RN). Nous assistons, depuis le début de ce débat, à une sorte d’inversion accusatoire, partant du principe que la France voudrait dégrader ses relations avec l’Algérie. Il n’en est absolument pas question. L’Algérie, de manière unilatérale, s’en prend à nos intérêts et à nos ressortissants, en particulier à un écrivain de renommée mondiale. Nous ne saurions rester sans riposter.

Dans le domaine des renseignements, la France reçoit peu d’aide de l’Algérie. Par ailleurs, nous réduisons notre dépendance au gaz d’Algérie. Il me semble donc erroné de présenter l’Algérie comme notre partenaire privilégié.

Nous devons résister à la tentation d’établir un lien entre l’affaire qui nous occupe et les Franco-Algériens, ou le peuple algérien. Celui-ci n’a rien à voir avec le régime en place.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. L’expression de « partenaire privilégié » de l’Algérie n’est pas employée à propos de la France mais de l’UE, qui a versé 213 millions d’euros dans le cadre du programme indicatif pluriannuel. Sagesse.

La commission adopte l’amendement.

Amendement n° AE17 de M. Bruno Fuchs

M. le président Bruno Fuchs. Cet amendement vise à opérer une clarification rédactionnelle.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement n° AE18 de M. Bruno Fuchs

M. le président Bruno Fuchs. Je propose ici de supprimer l’alinéa 31 de la proposition de résolution européenne.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je n’y suis pas favorable. Je ne souhaite pas la suppression de cet alinéa condamnant les méthodes d’intimidation du régime algérien.

M. Sébastien Chenu (RN). Un partenariat implique la mise en commun d’efforts en vue d’un objectif partagé. Il me semble que l’UE aide financièrement l’Algérie mais je ne vois pas de réciprocité de la part de ce pays. Nous voterons contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement n° AE1 de Mme Nathalie Oziol

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Nous proposons de condamner la surenchère médiatique et politique dans laquelle s’inscrit la proposition de résolution. L’alinéa 26 mentionne le contexte tendu des relations entre France et Algérie. Laisser planer le doute et l’ambiguïté risque de remettre en question la libération de Boualem Sansal sans apaiser en rien les relations diplomatiques entre les deux pays. Les déclarations redondantes de ministres, de représentants ou d’élus de l’extrême droite alimenteront la surenchère médiatique et politique.

Nous proposons d’inscrire dans la résolution notre condamnation de l’agressivité et de l’escalade irresponsables vis-à-vis de l’Algérie, que s’emploient à créer depuis des mois des responsables politiques français.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement. Où voyez-vous de l’agressivité dans les récentes déclarations du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, du chef de l’État ou du premier ministre ?

M. Sébastien Chenu (RN). Je ne vois pas non plus où réside l’agressivité irresponsable que l’extrême gauche nous invite à condamner. L’écrivain Boualem Sansal a été emprisonné sans motif par les autorités algériennes. Nous ne saurions nous contenter de demander, autour d’une tasse de thé, au gouvernement algérien d’éventuellement le libérer, un jour, quitte à ce qu’il rende l’âme auparavant. Jeter en prison l’un de nos compatriotes sans raison constitue en revanche un geste d’agressivité.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Madame la rapporteure n’a pas cité les propos du ministre de l’intérieur, peut-être en raison de l’agressivité dont ils témoignent vis-à-vis de l’Algérie…

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Ce n’est qu’un oubli. J’aurais dû le mentionner également, vous avez raison.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Un consensus existe sur la nécessité d’apaiser les tensions entre France et Algérie et de rétablir le dialogue entre les deux pays pour obtenir la libération la plus rapide possible de Boualem Sansal. Or, depuis des semaines, à la commission des affaires économiques notamment, certains ont parlé des Algériens comme de kleptomanes, qualifiant l’Algérie d’« État voyou ». Si ces propos ne sont pas agressifs, comment les qualifier ?

Si nous voulons avancer vers la libération de Boualem Sansal, nous devons réinstaurer de la diplomatie entre nos deux États. Si certains membres du gouvernement peinent à s’exprimer de manière apaisée, les parlementaires que nous sommes pourront peut-être servir de relais en réactivant la diplomatie entre nos deux pays.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Il me paraît plus que temps de nous efforcer d’apaiser la discussion. Nous souhaitons tous et toutes la libération de notre compatriote. Or nous ne l’obtiendrons pas en jetant l’anathème sur les Algériens ni en tenant des propos injurieux à l’égard du peuple algérien. Les prises de parole de certains de nos dirigeants ou même de quelques-uns de nos collègues à l’Assemblée nationale ne visent pas l’apaisement. Nous vous demandons de revoir la formulation de votre résolution, qui ne vise aucunement l’apaisement.

M. Vincent Ledoux (EPR). Nous ne sommes pas sur un plateau de télévision. Le texte de la résolution me semble respectueux. Il ne s’agit pas d’entamer l’amitié entre deux peuples, ni de stigmatiser le peuple algérien. Votre amendement dévitaliserait un texte équilibré, de diplomatie parlementaire.

M. Guillaume Bigot (RN). La question des relations amicales empreintes d’un respect mutuel entre les peuples algérien et français apparaît entièrement hors sujet par rapport à la position d’un régime en rien démocratique. La diplomatie implique de traiter avec les gouvernements en place mais cela ne signifie pas que les peuples soient impliqués dans ce dialogue.

Jean-Pierre Chevènement, que nous ne saurions accuser de ne pas être attaché à la relation franco-algérienne, a déclaré au Figaro : « Avec l’Algérie, Bruno Retailleau ne cherche pas la surenchère mais le dialogue ». L’apaisement est de sinistre mémoire dans les relations diplomatiques.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Ce que le collège du Rassemblement national qualifie de dialogue apaisé inclut les propos de Bruno Retailleau plaidant pour un rapport de force avec l’Algérie. Madame la rapporteure, vous n’ignorez pas que le premier ministre a lancé un ultimatum à l’Algérie, menaçant de dénoncer l’accord de 1968 si celui-ci n’était pas respecté. Une surenchère politique et médiatique a bien eu lieu, au point qu’un maire de mon département, celui de Béziers, soutenu par M. Retailleau, s’est permis de décider quels mariages autoriser ou non, au mépris des lois de la République et sous les acclamations de M. Chenu.

M. Sébastien Chenu (RN). OQTF signifie départ du territoire national !

La commission rejette l’amendement.

Amendement n° AE2 de Mme Nathalie Oziol

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Cet amendement vise à affirmer que les désaccords entre Paris et Alger, ainsi qu’entre l’UE et l’Algérie, doivent se régler par la discussion et la diplomatie.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’y suis défavorable car il n’a pas de raison d’être. Mon rapport met en avant l’équilibre entre fermeté et dialogue que notre commission a tout intérêt à prôner. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est, encore récemment, déclaré prêt à se rendre à Alger si une telle démarche s’avérait utile.

M. Sébastien Chenu (RN). Voilà ce que j’appelle un « amendement prétexte ». Le groupe Rassemblement national n’a jamais jeté l’anathème sur le peuple algérien, à ne pas confondre avec le régime algérien. Vous ne comptez pas exercer de pression sur le régime algérien, or les moyens de pression font partie de l’arsenal diplomatique. Boualem Sansal finira par mourir en prison. En persistant à ne pas user des moyens de pression que prévoit le droit, vous assumerez une responsabilité lorsqu’il rendra l’âme dans les geôles algériennes.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je soutiens cet amendement. Il me paraît essentiel de rappeler le rôle primordial de la discussion et de la diplomatie. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères tient un discours équilibré, qui n’est pratiquement pas entendu, étouffé par les propos d’autres membres du gouvernement, évoquant des sanctions à tour de bras. Il a été question de suspendre les vols d’Air Algérie. Jusqu’ici, aucune avancée n’a cependant été obtenue, faute de graduer les pressions exercées sur l’Algérie. Nos diplomates seront ravis d’apprendre que certains membres de cette commission considèrent que la diplomatie consiste à pratiquer le yoga. Ceci me choque, compte tenu de la qualité de la diplomatie française à travers le monde.

Certains, ici, ne trouvent pas votre proposition de résolution équilibrée. Je trouve dommage que nous ne parvenions pas à un consensus sur sa formulation.

M. Pierre Pribetich (SOC). Je suis surpris que vous refusiez cet amendement. Il appartient à cette commission de faire avancer les dossiers à force de diplomatie et de favoriser des discussions à même d’aboutir à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.

M. Guillaume Bigot (RN). Je salue les percées conceptuelles au sein de cette commission, où nous apprenons que la diplomatie consiste à user de diplomatie et donc à dialoguer. Cet amendement s’avère superfétatoire et parfaitement inutile.

M. Pierre Pribetich (SOC). Vos propos ne paraissent pas appropriés.

M. Guillaume Bigot (RN). C’est une paraphrase !

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Que voyez-vous de contestable à la proposition de passer par la discussion et la diplomatie ? Pourquoi ne pas inscrire noir sur blanc le fait qu’une seule solution reste possible, non seulement pour obtenir la libération de Boualem Sansal mais aussi pour préserver les relations entre l’Algérie et la France ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement n° AE11 de M. Xavier Breton

M. Xavier Breton (DR). Cet amendement vise à explorer la possibilité d’un levier en appelant le gouvernement ainsi que la Commission européenne à nommer Boualem Sansal ambassadeur, d’une organisation internationale comme l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), par exemple. Boualem Sansal bénéficierait ainsi d’une protection diplomatique efficace.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Votre proposition, de prime abord intéressante, me laisse quand même sceptique. Les autorités algériennes ne respectent déjà pas la convention de Vienne de 1963, puisqu’elles refusent la protection consulaire à Boualem Sansal. Nous peinons à imaginer ce qui pourrait amener le régime algérien à en respecter l’article 29, traitant de l’immunité du personnel diplomatique.

Plus grave encore pourrait être l’instrumentalisation, par le régime algérien, de l’élévation de Boualem Sansal au rang d’ambassadeur, susceptible, paradoxalement, d’aggraver sa situation. Les autorités algériennes pourraient en effet considérer que M. Sansal contrevient aux articles 61 et 62 du code pénal algérien, proscrivant la mise au service d’une puissance étrangère considérée comme hostile.

Bien que j’entende la portée symbolique de votre amendement, je vous demanderai de le retirer, eu égard aux dangers qu’il ferait courir à M. Sansal.

M. Sébastien Chenu (RN). Je proposerais pour ma part d’élever Boualem Sansal au rang d’ambassadeur de la francophonie.

M. Vincent Ledoux (EPR). Au-delà de la générosité dont témoigne cet amendement, il pourrait bien s’avérer contre-productif. Boualem Sansal est un écrivain francophone. Il me semblerait superfétatoire de lui conférer un titre d’ambassadeur de la francophonie ; d’autant que d’autres, dans une situation comparable, pourraient à leur tour revendiquer un tel titre.

M. Xavier Breton (DR). Le quai d’Orsay a brandi l’argument d’une limite temporelle à la protection diplomatique, celle-ci ne s’appliquant pas aux faits antérieurs à son octroi. De plus, la protection diplomatique ne vaut que dans les limites géographiques d’un État de résidence, de sorte qu’elle ne concerne pas un ambassadeur de l’UNESCO ou de la francophonie. Pour ces raisons, je retire mon amendement.

L’amendement AE11 est retiré.

Amendements n° AE19 de M. Bruno Fuchs et AE22 de Mme Constance Le Grip soumis à une discussion commune

M. le président Bruno Fuchs. Je propose par mon amendement d’inviter le gouvernement de la République française et la Commission européenne à unir leurs efforts pour renforcer l’État de droit et les libertés fondamentales dans leurs échanges avec l’Algérie.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Mon amendement reformule l’alinéa 34 pour inscrire la promotion de l’État de droit et des libertés fondamentales au cœur du dialogue avec l’Algérie, veillant à ce que celle‑ci respecte ses engagements en la matière. J’ai une préférence pour ma proposition sur celle du président de la commission.

Mme Stella Dupont (NI). Je suis favorable à l’idée qui sous-tend ces amendements mais je m’étonne de certaines velléités récentes de revenir sur des principes entérinés par la France, à travers son adhésion à la convention européenne des droits de l’Homme, concernant le mariage des étrangers sous OQTF. Je ne comprends pas comment il est possible de soutenir le respect de cette convention européenne et, en parallèle, d’envisager d’y contrevenir.

M. Guillaume Bigot (RN). Nous avons affaire à une succession d’amendements dont le rôle consiste à faire diversion. L’un de nos ressortissants se voit privé de ses droits fondamentaux en Algérie, où beaucoup de citoyens se trouvent, eux aussi, privés de leurs droits fondamentaux. Je vois quelque hypocrisie à remettre cette question au cœur du dialogue entre l’Union européenne, la France et l’Algérie, alors que seule l’Algérie contrevient au respect des droits fondamentaux.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je soutiens Mme Dupont. En effet, certains droits ne sont pas respectés en France. Je souscris à l’idée que défendent les deux amendements qui nous sont soumis. Le mariage entre un étranger sous OQTF et un ressortissant français relève d’un droit fondamental, sur lequel souhaitent néanmoins revenir certains parlementaires. Il me semble compliqué d’appliquer de doubles standards en matière de relations internationales.

M. le président Bruno Fuchs. Je retire l’amendement AE19.

L’amendement AE19 étant retiré, la commission adopte l’amendement AE22.

Amendements identiques n° AE3 de Mme Nathalie Oziol et AE6 de M. Pierre Pribetich

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). L’objet consiste en l’espèce en la suppression d’un alinéa conditionnant à des progrès substantiels en matière d’État de droit et de libertés fondamentales en Algérie le versement à cet État de fonds européens. Il n’est plus ici question de la libération de Boualem Sansal mais de la nature des relations entre la France et l’Algérie. Dès qu’une telle brèche est ouverte, l’extrême droite s’y précipite en prétendant expliquer aux autres pays comment ils devraient gouverner et traiter leurs peuples. L’histoire des relations entre la France et l’Algérie doit au contraire nous inciter à la prudence dans ce domaine.

M. Pierre Pribetich (SOC). Nous souhaitons la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal, d’où cet amendement que nous proposons. Il ne s’agit pas d’un sophisme. Il n’est pas envisageable d’imposer des conditions à l’Algérie pour obtenir la libération de M. Sansal, à moins de ne pas souhaiter sa libération immédiate et inconditionnelle.

M. Sébastien Chenu (RN). Il ne s’agit pas de décider comment le gouvernement algérien doit traiter son peuple mais quel traitement il doit réserver à l’un de nos ressortissants.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Étant donné que je propose par ailleurs une réécriture simplifiée des alinéas 35 et 36 au travers de l’amendement AE23, je me prononce en défaveur de ces amendements.

La commission rejette les amendements AE3 et AE6.

Amendement n° AE23 de Mme Constance Le Grip

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). J’adresse à madame la rapporteure le même reproche que précédemment à propos de cet amendement. Vous débordez du cadre de la libération de Boualem Sansal.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Les alinéas 35 et 36 posent problème, dans la mesure où ils conditionnent la libération de M. Boualem Sansal. Vous complexifiez la notion de libération conditionnelle avec cet amendement. Nous ne l’approuverons pas.

M. Pierre Pribetich (SOC). Imposer une exigence préalable revient à poser une condition. Je ne comprends pas votre logique.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AE12 de Mme Laurence RobertDehault, AE4 de M. Bastien Lachaud et AE7 de M. Pierre Pribetich tombent.

Amendement n° AE8 de M. Guillaume Bigot

M. Guillaume Bigot (RN). Nous proposons de faire respecter, par le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire et par les juridictions algériennes, les décisions de justice s’imposant au terme des accords bilatéraux et du droit international. Il s’agit de faire respecter la souveraineté des États européens.

La faiblesse de notre pays face à l’Algérie n’est plus seulement une affaire de réputation ou de crédibilité diplomatique mais une question de sécurité intérieure. Voilà pourquoi nous voulions amender la résolution de Mme Le Grip en y mentionnant la nécessité de faire respecter les décisions de justice et les décisions administratives de notre pays, comme de nos partenaires européens, par l’Algérie, en application du droit international.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je ne suis pas favorable à cet amendement, que je juge inopportun. Je rappelle, sur le sujet migratoire, le travail de remise à plat engagé par le gouvernement à l’issue du comité interministériel de contrôle de l’immigration.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Je reste estomaquée par cet amendement, qui relève de l’ingérence. De quel droit comptez-vous dicter à l’Algérie ce qu’elle doit faire ou ne pas faire ?

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). À partir d’une proposition de résolution appelant à la libération de Boualem Sansal, nous aboutissons à des explications sur la façon dont il conviendrait de gouverner l’Algérie. Notre groupe a lancé l’alerte à propos de telles dérives dans son discours initial.

Votre amendement ne ferme par la porte aux ambiguïtés. Par ailleurs, prétendre ériger l’Europe en modèle revient à fermer les yeux sur l’absence de respect des libertés fondamentales dans certains États membres de l’UE comme la Hongrie.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Cet amendement montre bien que certains ici n’ont pas pris conscience que la colonisation était terminée et que l’Algérie était un État indépendant et souverain. Le ministre de l’intérieur nous expliquait, voici quelques jours encore, que l’Algérie attaquait la France en choisissant des entreprises non françaises dans le cadre de marchés publics, lui reprochant par ailleurs de renforcer l’apprentissage de l’anglais à l’école au détriment du français. Il ne nous revient pourtant pas de dicter à l’Algérie ce qu’elle devrait décider en matière économique ou éducative. Certains ici auraient intérêt à réétudier notre propre histoire.

M. Guillaume Bigot (RN). Parce qu’elle est un État souverain, l’Algérie fait partie du concert des nations. Elle ne se situe pas au-dessus du droit international. Elle se doit de respecter ses propres engagements à notre égard comme à celui des pays auxquels des accords internationaux la lient. Or l’Algérie s’est engagée à récupérer ses ressortissants sous le coup d’une OQTF.

La commission rejette l’amendement.

Amendements n° AE9 de M. Sébastien Chenu et AE10 de M. Michel Herbillon soumis à une discussion commune

M. Sébastien Chenu (RN). Nous appelons, par cet amendement, le gouvernement français à défendre auprès du Conseil européen la décision de suspendre la délivrance, aux ressortissants algériens, de visas pour l’UE, tant que Boualem Sansal n’aura pas été libéré.

M. Michel Herbillon (DR). Nous invitons, par notre amendement, le gouvernement à utiliser la délivrance de visas comme moyen de pression. Il importe d’établir un rapport de force, certes proportionné, sans quoi le risque se ferait jour que la proposition de résolution demeure au stade de l’intention.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à ces deux amendements. Le gouvernement a entamé un travail de réexamen des accords bilatéraux conclus entre la France et l’Algérie, comme l’a annoncé le premier ministre, le 26 février. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a déjà annoncé la réduction d’un certain nombre de facilités d’accès au territoire français pour des dignitaires algériens. Il se tient d’ailleurs prêt à aller plus loin encore dans cette voie.

M. Sébastien Chenu (RN). Exercer des pressions ne gêne pas l’extrême gauche quand La France insoumise appelle au boycott d’Israël. Les pressions font partie des outils de la diplomatie. Le gouvernement algérien devra rendre des comptes à son peuple.

Mme Pascale Got (SOC). Plus nos discussions se poursuivent, plus Boualem Sansal devient l’otage de considérations partisanes et peu glorieuses vis‑à-vis du peuple algérien.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Rappelez-vous que l’amendement AE1, rejeté à une voix près, proposait d’éliminer toute ambiguïté en insistant sur la nécessité de protéger la liberté d’opinion et d’expression, garantie par la déclaration universelle des droits de l’Homme. Nous assistons une fois de plus à la campagne médiatique de l’extrême droite, encouragée par le ministre Retailleau, à laquelle le maire de Béziers s’est hâté de se joindre. Il est hors de question pour nous de cautionner un tel amendement.

M. Belkhir Belhaddad (NI). Je pensais naïvement qu’un rapport de force pourrait faire avancer la situation. Il me semble maintenant que de telles dispositions mènent à une impasse. Les Algériens n’ont que faire du montant de l’aide versée par l’Agence française de développement (AFD). Le montant des échanges entre nos deux pays atteint environ 11 milliards d’euros.

Le raidissement des autorités algériennes, par suite de la décision du président de la République de reconnaître la marocanité du Sahara occidental, rend improbable l’issue positive des dispositions contenues dans les amendements AE9 et AE10. Il ne reste pas d’autre solution qu’un retour au dialogue, ferme sur les principes, mais sans instrumentalisation.

M. Vincent Ledoux (EPR). Laisser entendre que proposer un amendement à un texte implique qu’il est intrinsèquement mauvais relève de la mauvaise foi. Proposer des amendements fait partie du travail des parlementaires.

M. Michel Herbillon (DR). Il n’est plus temps de se contenter de rappeler des principes, comme nous le faisons depuis des mois, alors que Boualem Sansal se trouve toujours en prison. Il n’y a pas lieu d’inverser les valeurs en présentant Boualem Sansal comme l’otage de la proposition de résolution. Boualem Sansal n’est pas emprisonné à cause du texte proposé par l’Assemblée nationale mais à cause du refus du gouvernement algérien de respecter les droits fondamentaux. Nous proposons d’établir un rapport de force gradué.

M. Sébastien Chenu (RN). Je souscris aux propos de notre collègue Herbillon. Nous parlons d’un homme âgé, malade, en prison, seule victime de cette affaire. Si l’Algérie n’a pas besoin de notre aide au développement, tant mieux, nous pourrons en faire bénéficier nos compatriotes.

La commission rejette les amendements AE9 et AE10.

Amendement n° AE13 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Le motif de l’incarcération de Boualem Sansal ne laisse aucun doute quant à la motivation politique d’Alger. Accusé d’atteinte à l’unité nationale, il a été qualifié, par le président algérien, d’imposteur envoyé par la France. Le cas de Boualem Sansal apparaît symbolique d’une relation diplomatique fortement dégradée.

Dans votre rapport, vous indiquez très justement que le président algérien utilise la position française vis-à-vis du Sahara occidental pour mobiliser l’opinion publique en Algérie, exacerbant le sentiment d’injustice et la méfiance à l’égard de la politique étrangère française. Dans ces conditions, est-il raisonnable de continuer d’accueillir massivement les ressortissants d’un État dont les dirigeants politiques nourrissent un sentiment d’hostilité envers nous ?

Les déclarations politiques doivent laisser place aux actes. La France dispose de plusieurs leviers pour infléchir la position des autorités algériennes et se voir enfin prise au sérieux par cet État qui multiplie les provocations vis-à-vis d’elle. L’amendement AE13 propose de revenir sur les différents accords qui facilitent l’entrée et la circulation des Algériens sur le sol français. Cette mesure apparaît plébiscitée par les Français, qui s’y déclarent favorables à 74 %.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement pour des raisons que j’ai précédemment évoquées.

La commission rejette l’amendement.

Amendement n° AE20 de M. Bruno Fuchs

M. le président Bruno Fuchs. Je présente cet amendement dans l’idée de contribuer au débat public, soulignant que l’établissement d’un dialogue nécessite des efforts de la part de l’une et l’autre parties. La France pourrait ainsi faire un geste pour faciliter les discussions avec l’État algérien en vue de la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.

Pour rappel, la France a procédé à dix-sept essais nucléaires sur le sol algérien entre 1960 et 1966 : quatre atmosphériques et treize, en souterrain. De plus, environ onze millions de mines ont été déposées aux frontières marocaine et tunisienne, dont trois millions toujours en place. De nombreux citoyens en ont subi les conséquences.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’entends votre souhait de porter dans le débat le sujet des essais nucléaires et des mines enfouies en Algérie. Sans chercher à en minimiser l’importance, je ne suis toutefois pas sûre que ce sujet trouve sa place dans la proposition de résolution. Il mériterait à vrai dire d’être développé dans un autre cadre. Aussi je vous demande le retrait de cet amendement.

M. Michel Herbillon (DR). Monsieur le président, je ne saisis pas le lien entre votre amendement et le sujet qui nous occupe. Votre groupe vient de refuser de mentionner, dans le texte de la proposition de résolution, la question des visas pourtant plus liée à l’actualité et susceptible de servir de moyen de pression. Je vous invite à retirer cet amendement.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous assistons au retour de la droite qui n’a jamais accepté l’indépendance de l’Algérie et a même tenté d’assassiner de Gaulle pour cette raison, l’accusant d’islamo-marxisme, pour citer les propos de Jean Bastien-Thiry lors de son procès, à l’issue duquel il a d’ailleurs été condamné puis fusillé. La droite gaulliste s’est alignée sur l’extrême droite.

Nous soutiendrons pour notre part cet amendement, susceptible de faire avancer le dossier, bien que le sujet essentiel reste la libération de Boualem Sansal, laquelle n’a pas à faire l’objet de considérations idéologiques réactionnaires.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je m’attriste que nous soyons passés de la question de la libération d’un homme à des sujets sans rapport. Je tiens à saluer les amendements proposés par le président de cette commission, allant dans le sens du dialogue et de l’apaisement entre les pays.

Il importe d’entendre les arguments de la droite. Cet amendement est aussi hors sujet que vos amendements sur la limitation des visas et les conditions que vous prétendez imposer à l’Algérie dans l’éventualité où son gouvernement refuserait de libérer Boualem Sansal. Je déplore l’instrumentalisation politique de la situation de Boualem Sansal, qui ne sert ni sa propre cause ni celle des Français ou des Algériens.

Mme Maud Petit (Dem). Votre proposition, monsieur le président, de revenir sur les essais nucléaires pourrait être intéressante, quoique dans un autre contexte.

M. le président Bruno Fuchs. J’ai conscience que cet amendement apparaît en décalage avec le texte de la proposition de résolution. Je me suis demandé quels éléments pourraient faciliter la libération de Boualem Sansal. Convenant que cet amendement ne s’inscrit pas dans la ligne de la proposition de résolution, je le retire. Le plus important reste le débat qu’il aura initié.

L’amendement AE 20 est retiré.

La commission adopte alors l’ensemble de la proposition de résolution européenne modifiée.

 

 


   ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

En qualité de rapporteure de la commission des affaires européennes :


([1]) Albert Camus, Carnets.

([2]) Article 88‑4 de la Constitution, alinéa 2 : « Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, (…) sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. »