N° 1026
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à simplifier l’ouverture des débits de boisson en zone rurale,
Par M. Guillaume KASBARIAN,
Député.
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Voir le numéro : 904 rect.
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Pages
A. le nombre de bistrots et cafés a drastiquement diminué en France
B. Ils sont généralement des acteurs essentiels du lien social en ruralité
C. Les bistrots et cafés appartiennent au patrimoine national
II. les bistrots et cafés sont aussi des acteurs de la santé publique
A. LA législation encadrant les débits de boissons est d’une grande complexité
Commentaire de L’article UNIQUE
ANNEXE n° 1 : Liste des personnes ENTENDUEs par le rapporteur
Annexe N° 2 : liste des contributions écrites reçues par le rapporteur
L’ouverture de nouveaux débits de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie est par principe interdite en France ([1]).
En zone rurale, particulièrement au sein des communes de moins de 3 500 habitants, soit plus de 31 000 communes ([2]), cette interdiction entrave la revitalisation que pourrait permettre l’ouverture de bistrots et cafés, acteurs essentiels de la vie économique et du lien social.
En conséquence, l’adoption de mesures de simplification, plébiscitées par les élus locaux et les acteurs économiques, sans impact pour la santé publique, apparaît plus que jamais nécessaire.
I. fragilisés, les bistrots et cafés sont essentiels à la vie économique et au lien social en ruralité
A. le nombre de bistrots et cafés a drastiquement diminué en France
● Après avoir connu une hausse conséquente au cours du XIXe siècle, passant de 280 000 en 1830 à 483 000 en 1913, le nombre de débits de boissons a diminué en France. En effet, les pouvoirs publics ont successivement conduit des politiques dont l’objet était leur réduction, qu’il s’agisse de la loi du 9 novembre 1915 relative à la réglementation de l’ouverture de nouveaux débits de boissons ou, sous le régime de Vichy, de la loi du 24 septembre 1941 modifiant la loi du 23 août 1940 contre l’alcoolisme ([3]).
Si la législation en matière d’ouverture de débits de boissons, que le rapporteur a souhaité exposer au sein du commentaire de l’article unique de la présente proposition de loi, n’a pas connu de modification majeure depuis lors, le nombre de débits de boissons a quant à lui poursuivi sa diminution. Moins de 200 000 en 1968 ([4]), les débits de boissons seraient au nombre de 34 880 en 2020 ([5]).
Loin d’être liée à des considérations sanitaires, la baisse récente est bien davantage – au terme de l’ensemble des auditions conduites par le rapporteur – engendrée par la dévitalisation des zones rurales françaises. En effet, alors qu’un quart des communes françaises ne disposaient pas de commerce en 1980, elles sont aujourd’hui près de deux tiers à n’en disposer d’aucun selon le ministère chargé de l’économie ([6]). Si le rapporteur regrette qu’il n’existe aucun recensement précis des débits de boissons par commune, ce chiffre peut par conséquent être estimé à au moins deux tiers des communes et, logiquement, davantage encore.
● Or, la diminution du nombre de bistrots et cafés fragilise la vie économique des zones rurales. Pourvoyeurs d’emplois dans les domaines de la restauration, de la gestion ou du service, ces établissements, lorsqu’ils existent, peuvent également susciter d’autres activités économiques et, par conséquent, de l’emploi. Comme l’a rappelé la direction générale des entreprises au cours de son audition, ces établissements peuvent fonctionner comme des « pivots » ([7]) au bénéfice de tout un écosystème entrepreneurial local.
B. Ils sont généralement des acteurs essentiels du lien social en ruralité
● Parallèlement, la déliquescence du lien social s’est renforcée en France, en particulier dans les zones rurales. À l’issue de la crise des « gilets jaunes », le Conseil d’analyse économique (CAE) démontrait ainsi « l’influence de l’environnement local sur le mécontentement des habitants, au-delà de leur propre situation personnelle » et notait, en particulier, que la « perte des lieux de sociabilité semble participer au mal être des territoires mobilisés dans le mouvement des gilets jaunes » ([8]). Le CAE suggérait ainsi qu’outre « la dimension économique, [...] le délitement du lien social entraîné par la disparition du tissu des services publics et des commerces de proximité ainsi que des associations a joué un rôle important dans la vague de mécontentement observée » ([9]).
● D’autres études récentes montrent que le sentiment d’isolement ressenti par les habitants des zones rurales reste plus fort qu’en population générale. Selon la Fondation de France, si 12 % de la population se sentait isolée en 2023, « les campagnes [...] comptent parmi les territoires où les relations sociales sont les plus affaiblies » ([10]). Au-delà de la dimension géographique, certaines catégories socioprofessionnelles ou classes d’âge sont plus concernées par l’isolement. À titre d’exemple, le taux d’isolement des ouvriers atteint 18 % en 2023. De même, au cours de la période estivale, le taux d’isolement des jeunes de moins de 25 ans est près de deux fois supérieur à celui des 40-59 ans, de 45 % pour les premiers à 22 % pour les seconds. Or, l’étude relève que ces personnes les plus isolées « privilégieront d’abord les espaces accessibles et géographiquement proches de leurs lieux de vie » ([11]) pour fréquenter des lieux de sociabilité.
● Face à ces constats, dans un objectif de renforcement du lien social, des initiatives de soutien à la réouverture de bistrots et cafés ont été récemment engagées dans de nombreuses communes rurales. À l’échelle nationale, le Programme 1000 cafés déployé par le Groupe SOS a pu incarner à partir de 2019 cette tendance, au travers :
– de l’ouverture de cafés dans 130 communes rurales ;
– du maintien en activité de 82 cafés en difficulté ([12]).
Pour autant, malgré des initiatives locales et nationales, nombre de projets ne voient pas le jour sous l’effet de contraintes administratives et de difficultés économiques ou, pour ces mêmes raisons, ne perdurent pas dans le temps.
C. Les bistrots et cafés appartiennent au patrimoine national
● Outre le caractère essentiel des bistrots et cafés pour le lien social et le développement économique en ruralité, ces établissements incarnent à eux seuls, nombre des personnes auditionnées par le rapporteur l’ont rappelé, l’art de vivre à la française. En effet, bistrots et cafés se sont imposés sur l’ensemble du territoire comme les représentants d’une culture locale et nationale séculaire et comme les représentants de savoir-faire artisanaux.
Nombreux sont les exemples récents où les bistrots et cafés ont été la vitrine de la France à l’échelle nationale comme internationale, qu’il s’agisse de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 ou de séries populaires telles que Emily in Paris. Au fil du temps, ils sont ainsi devenus des acteurs importants du tourisme de la première destination touristique mondiale ([13]). Dans cette perspective, le ministère de la culture a inscrit en 2024 les pratiques sociales et culturelles des cafés et bistrots de France à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français.
● De ce fait, il semble essentiel que, partout sur le territoire, les bistrots et cafés puissent proposer en leur sein les spécialités produites localement, alcooliques ou non, ce dont la licence de quatrième catégorie est en tout état de cause l’outil.
II. les bistrots et cafés sont aussi des acteurs de la santé publique
Comme l’a rappelé la direction générale de la santé au cours de son audition, l’alcool est la deuxième cause de mortalité évitable en France et son coût social annuel dépasserait les 100 milliards d’euros selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives ([14]).
Face à ce constat, au terme de ses auditions, le rapporteur estime que les bistrots et cafés ne représentent pas un problème, mais une partie de la solution pour concilier l’ensemble des impératifs en matière de vie économique, de lien social, d’ordre public et de santé publique.
A. la consommation d’alcool diminue de façon tendancielle mais de nouveaux modes de consommation se développent, ne concernant qu’à la marge les bistrots et cafés
● La France connaît une baisse continue de la consommation d’alcool depuis les années 1960 qui, année après année, se confirme. Le nombre annuel moyen de litres d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans est ainsi passé de 11,7 en 2017 à 10,5 en 2021 ([15]).
Cette diminution de la consommation globale s’observe également à l’échelle individuelle, que l’on considère les hommes ou les femmes ([16]) :
– s’agissant de la consommation quotidienne, la proportion d’adultes déclarant consommer tous les jours de l’alcool a été divisée par trois, passant de près de 24 % en 1992 à 8 % en 2021 ;
– s’agissant de la consommation hebdomadaire, la proportion d’adultes déclarant consommer de l’alcool au moins une fois par semaine a été réduite d’un tiers, passant de 62,6 % en 1999 à 39 % en 2021.
● Pour autant, un indicateur de consommation progresse, en particulier chez les femmes et les plus jeunes. En effet, la proportion d’alcoolisation ponctuelle importante (API) dans la population, qui correspond à la consommation d’au moins six verres d’alcool standard en une seule occasion, progresse entre 2005 et 2021, qu’il s’agisse des API hebdomadaires (de 4,1 % à 4,7 %), mensuelles (de 15,2 % à 16,5 %) ou annuelles (33,9 % à 35,4 %). Cette progression est notamment observée chez les femmes, qui voient leur taux d’API annuelle progresser de plus de 5 points sur la période et, notamment, les plus jeunes d’entre elles puisqu’il progresse de près de 3 points chez les femmes de 18 à 24 ans entre 2017 et 2021.
évolution des indicateurs de consommation d’alcool entre 1992 et 2021 en France hexagonale parmi les 18-75 ans
Source : Santé publique France, La consommation d’alcool des adultes en France en 2021, Évolution récentes et tendances de long terme, 2023.
● Or, à l’issue des auditions qu’il a conduites, le rapporteur tire le constat que les bistrots et cafés ne pourraient être les lieux privilégiés du développement des API :
– d’une part, les boissons alcooliques sont beaucoup plus chères quand elles sont achetées puis consommées dans ces établissements, que lorsqu’elles sont achetées au sein de débits de boissons à emporter, puis consommées à domicile. À titre d’exemple, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), en janvier 2025, le prix moyen de vente au détail en France hexagonale de 25 centilitres de bière blonde était de 3,51 euros, soit 14,04 euros du litre ([17]). En février 2025, dans le cadre de ses travaux, le rapporteur constate que le prix de la même quantité de bière, vendue par lot de six, se situait entre 1,28 et 3,33 euros du litre dans la grande distribution ([18]). Ce prix, entre quatre et dix-huit fois inférieur à celui observé dans un bistrot ou café, est un outil majeur de régulation de la consommation, en particulier chez les plus jeunes, dont le pouvoir d’achat moyen est inférieur à celui de la population. Il en va de même pour les alcools dits forts, dont le taux de marge des bistrots et cafés, plus élevé encore que sur la bière, rend leur consommation moins accessible ;
– d’autre part, l’analyse des proportions d’alcool vendues en France traduit la part minoritaire que représentent les bistrots et cafés dans cet ensemble. À titre d’exemple, à ce jour, le secteur des cafés-hôtels-restaurants ne représente qu’environ 10 % du volume des ventes annuelles de spiritueux sur le marché français ([19]), soit une proportion marginale. L’essentiel de l’alcool est ainsi vendu en grande distribution.
Tout en étant concernés par les risques associés à la consommation d’alcool, les bistrots et cafés ne semblent ainsi pas être les premiers acteurs de sa consommation et du développement des API.
B. les bistrots et cafés sont des acteurs formés et responsables face aux risques associés à l’alcool
● Outre le prix de vente des boissons alcooliques en leur sein, les bistrots et cafés sont des acteurs importants de la lutte contre l’alcoolisme au regard de l’ensemble des règles auxquelles ils sont soumis.
D’une part, les bistrots et cafés sont des acteurs formés. En effet, aux termes de l’article L. 3332-1-1 du code de la santé publique, les détenteurs d’une licence de troisième ou quatrième catégorie sont tenus de suivre une formation spécifique sur les droits et obligations attachés à l’exploitation d’un débit de boissons. Cette formation est nécessaire à la délivrance du permis d’exploitation. D’une durée de 20 heures, elle permet notamment d’acquérir les connaissances nécessaires en matière de prévention et de lutte contre l’alcoolisme comme de protection des mineurs et de répression de l’ivresse publique.
D’autre part, les bistrots et cafés sont soumis à de nombreuses interdictions et obligations liées à la vente de boissons alcooliques telles que :
– l’interdiction de vente de boissons alcooliques aux mineurs, en vertu de l’article L. 3342-1 du code de la santé publique, de même que l’interdiction de recevoir les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés d’un adulte aux termes de l’article L. 3342-3 du même code ;
– la répression de la vente de boissons alcooliques aux personnes manifestement ivres, de même que la répression de leur accueil au sein de l’établissement, aux termes de l’article R. 3353-2 du code de la santé publique ;
– l’obligation de mettre à disposition du public des dispositifs de dépistage de l’imprégnation alcoolique, en application de l’article L. 3341-4 du code de la santé publique, de même que l’obligation de présenter un étalage de boissons non alcooliques d’au moins dix bouteilles ou récipients parmi six catégories de boissons non alcooliques telles que des jus de fruits, des limonades ou de l’eau aux termes de l’article L. 3323-1 du même code.
Enfin, l’ouverture des bistrots et cafés, qu’ils soient titulaires d’une licence de troisième ou quatrième catégorie, est limitée en nombre ([20]) comme sur le plan géographique. À titre d’exemple, l’article L. 3335-1 du code de la santé publique définit des zones protégées au sein desquelles ils ne peuvent s’installer, par exemple en proximité des établissements scolaires ou de santé. De plus, l’article L. 3332-15 du code de la santé publique prévoit qu’à la suite d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements, la fermeture d’un bistrot ou café peut être ordonnée par le représentant de l’État dans le département pour une durée n’excédant pas six mois.
● Par ailleurs, comme l’a souligné le Groupe SOS ([21]), le gérant d’un bistrot ou d’un café est en capacité de repérer, sensibiliser et, le cas échéant, d’alerter lorsqu’une personne rencontre visiblement des difficultés liées à sa consommation d’alcool. En définitive, le rapporteur fait sien les propos de la Société française de santé publique qui considère que « la consommation de boissons alcooliques dans des débits de boissons a la particularité – outre d’être marquée par des prix plus élevés que les boissons achetées en grandes surfaces – de pouvoir être régulée par le gérant ou la gérante du débit de boissons, qui exerce une responsabilité déléguée par l’État d’encadrer la consommation, comme cela est le cas des débitants de tabac ou des opérateurs de la Française des Jeux » ([22]).
C. en matière d’addiction, il n’y a pas de distiNction à opérer entre les aLcools forts et les autres
● Si en fonction de la catégorie de licence dont ils disposent, les bistrots et cafés peuvent vendre ou non des boissons alcooliques de plus de 18 degrés, il ne semble pas pertinent de différencier ces alcools des autres du point de vue de la santé publique, à tout le moins lorsqu’ils sont consommés dans un bistrot ou café.
D’une part, un verre d’alcool standard contient la même quantité d’alcool pur, égale à 10 grammes. De ce fait, il y a autant d’alcool dans un ballon de vin de 10 centilitres que dans un verre de spiritueux de 3 centilitres ou de bière de 25 centilitres. En addictologie, ce n’est donc pas la variété d’alcool consommé qui importe mais bien la quantité de verres standard et la fréquence de la consommation. Pour ces raisons, les repères de consommation d’alcool préconisés par Santé publique France reposent bien sur cette unité de mesure et non la variété d’alcool consommé.
verre standard en France : 10 grammes d’alcool pur
Source : Santé publique France, De nouveaux repères de consommation d’alcool pour limiter les risques sur sa santé, 2020.
D’autre part, le rapporteur souligne que lorsque le verre est vendu au sein d’un bistrot ou café, il correspond effectivement à une mesure standard comprenant 10 grammes d’alcool pur. Au contraire, en règle générale, les quantités servies lorsque la consommation se déroule à domicile tendent à être bien plus importantes.
III. simplifier l’accès aux licences iv en ruralité est nécessaire pour développer des bistrots et cafés à court terme et renforcer leur viabilité économique à moyen terme
A. LA législation encadrant les débits de boissons est d’une grande complexité
● Le cadre juridique encadrant les débits de boissons, dont relèvent les bistrots et cafés, est ancien voire obsolète. Malgré une catégorisation des boissons – réparties essentiellement en trois groupes, que sont les boissons sans alcool, les boissons alcooliques de moins de 18 degrés et les autres boissons alcooliques ([23]) –, sur laquelle repose une catégorisation des débits de boissons, le rapporteur s’étonne qu’aucune des administrations auditionnées n’ait pu lui fournir des données précises à leur sujet.
En effet, ni le ministère de l’intérieur, ni le ministère chargé de la santé, ni le ministère chargé de l’économie n’ont été en capacité de lui fournir le nombre de débits de boissons à consommer sur place de troisième catégorie, dits « licence III », autorisés à vendre des boissons alcooliques jusqu’à 18 degrés, et de quatrième catégorie, dits « licence IV », autorisés à vendre toutes boissons alcooliques, ouverts aujourd’hui en France. De la même manière, aucun de ces ministères ne dispose de données sur le nombre de transferts de licence ou, le cas échéant, d’ouvertures de nouveaux établissements réalisées. Il en va de même pour les éventuelles fermetures administratives.
Si la complexité du cadre légal régissant les débits de boissons pourrait se justifier au regard des enjeux qu’ils posent, le ministère chargé de la santé a confirmé au rapporteur qu’il n’existait, paradoxalement, aucune évaluation sanitaire de cette législation. Par ailleurs, cette politique publique n’apparaît pas davantage efficacement pilotée en interministériel.
Non suivie, non évaluée et non pilotée, la législation actuelle demeure pourtant complexe au détriment des gérants et des futurs bistrots et cafés, plus encore en ruralité. Comme l’a rappelé l’Association des maires de France au cours de son audition, la simplicité de la législation est essentielle dans des communes où les maires ne disposent pas des ressources administratives nombreuses pour accompagner les entrepreneurs ([24]).
B. en ruralité, l’accès à une licence iv est onéreux et difficile voire, dans certains cas, impossible
● Dans la mesure où l’ouverture de tout nouveau débit de boissons de quatrième catégorie, autorisé à vendre toutes boissons alcooliques, est par principe interdite ([25]), elle ne peut se faire que par transfert – par conséquent, à titre onéreux – essentiellement à l’intérieur d’un même département ([26]). De ce fait, pour le futur gérant de bistrot ou de café, il est non seulement nécessaire de trouver une licence IV disponible mais également de disposer des moyens financiers nécessaires pour l’acquérir.
Pour cette raison, l’ouverture d’un bistrot ou café est souvent vécue comme « un chemin de croix » par les professionnels du secteur ([27]). En ruralité, une concurrence forte peut même s’instaurer pour ces raisons entre des communes ou départements voisins, les porteurs de projets préférant les territoires où l’accès à ces licences est plus aisé et moins onéreux. Si dans certains grands espaces urbains, leur prix pourrait se chiffrer en centaines de milliers d’euros, il semble fréquent, au terme des auditions conduites par le rapporteur, que leur prix atteigne plusieurs dizaines de milliers d’euros dans les zones rurales.
Nombreuses ouvertures de bistrots et cafés seraient ainsi en suspens du fait de l’impossibilité de trouver voire d’acquérir une telle licence.
C. la licence iv permet pourtant de consolider leur modèle économique en renforcant leur diversification
● En permettant la vente de l’ensemble des boissons, qu’elles soient alcooliques ou non, les licences de quatrième catégorie permettent la vente d’une plus grande variété de boissons en autorisant, notamment, la vente de celles de quatrième et cinquième catégories.
Si, selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, ces boissons représenteraient moins du tiers du chiffre d’affaires moyen de ces établissements ([28]), il s’agit de boissons sur lesquelles leur taux de marge est plus important ([29]). Au-delà de ces considérations purement économiques, les licences de quatrième catégorie permettent l’indispensable diversification des produits et services proposés par les bistrots et cafés afin d’être en mesure d’attirer le plus grand nombre. L’audition du Groupe SOS a permis en ce sens de réaffirmer que la diversification, sur tous les plans, était indispensable à la viabilité économique des bistrots et cafés ([30]).
Aux copains d’abord
Curzon est une commune de 490 habitants dans le département de la Vendée. En 2022, Laurence Cordonnier a ouvert, avec l’accompagnement du Groupe SOS, le bar Aux copains d’abord et a pu bénéficier d’une licence de quatrième catégorie, par simple déclaration, au titre de l’article 47 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (1).
Outre le débit de boissons, l’établissement propose un vaste champ de services à ses clients : snack, épicerie, dépôt de pain, service postal, etc. Dans cette dynamique de diversification, contactée par le rapporteur, Laurence Cordonnier a insisté sur l’importance de disposer d’une licence de quatrième catégorie. En effet, sans elle, une partie de sa clientèle ne fréquenterait pas son établissement et ce même si les alcools de quatrième ou cinquième catégorie ne représentent qu’une part minoritaire de son chiffre d’affaires.
Par ailleurs, la gérante a confirmé au rapporteur que sans la simplification opérée par la loi susmentionnée, elle n’aurait pu ouvrir son établissement.
(1) Le dispositif mentionné est décrit de manière exhaustive dans le commentaire de l’article unique.
● Le Programme 1000 cafés, porté par le Groupe SOS et conduit parallèlement à la dérogation pour trois ans à l’interdiction d’ouverture de débits de boissons de quatrième catégorie permise par l’article 47 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, l’a montré :
– malgré l’accompagnement du Groupe SOS et la possibilité d’un accès simplifié et gratuit aux licences de quatrième catégorie dans les communes de moins de 3 500 habitants, le taux de chute des établissements intégrés au programme est resté élevé ([31]). La simplification n’est ainsi pas toujours suffisante pour créer de nouveaux bistrots et bars en zone rurale ;
– malgré la dérogation à l’interdiction d’ouverture de ces débits de boissons, le nombre de licences de quatrième catégorie nouvellement créées est resté faible. Si aucun recensement de ces ouvertures nouvelles n’a été conduit par l’administration, il apparaît à l’issue des auditions conduites par le rapporteur que leur nombre est resté très modéré relativement à l’objectif initialement affiché par le Gouvernement, qui s’établissait entre 10 000 et 15 000 licences ([32]). La courte durée de la dérogation, comme le contexte de crise sanitaire peuvent notamment l’expliquer.
● La simplification de l’accès aux licences de quatrième catégorie en zone rurale pour soutenir le développement des bistrots et cafés apparaît ainsi comme une mesure nécessaire. Soutenue par les associations d’élus auditionnées et les acteurs du secteur, la proposition de loi est une mesure de simplification de bon sens, qui ne saurait constituer l’unique mesure permettant de soutenir les acteurs économiques et sociaux essentiels en zone rurale que sont les bistrots et cafés. Elle est au contraire l’une des pierres à l’édifice de la revitalisation de la ruralité que le rapporteur appelle de ses vœux.
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Commentaire de L’article UNIQUE
Article unique
Dérogation à l’interdiction d’ouverture des débits de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie au sein des communes de moins de 3 500 habitants qui n’en comptent pas
Adopté par la commission avec modifications
L’article unique de la proposition de loi prévoit une dérogation à l’interdiction d’ouverture de débits de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie. Ainsi, au sein des communes de moins de 3 500 habitants où n’est installé aucun débit de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie, l’ouverture d’un tel établissement s’effectuerait par le dépôt d’une déclaration au maire.
● Aux termes de l’article L. 3321-1 du code de la santé publique, les boissons sont catégorisées en quatre groupes distincts :
– premier groupe : il s’agit des boissons sans alcool ou ne comportant pas de traces d’alcool supérieures à 1,2 degré, dont la vente n’est plus soumise depuis 2011 ([33]) à l’obtention d’une licence de première catégorie ;
– troisième groupe : issu de la fusion en 2016 ([34]) des deuxième et troisième groupes, il s’agit essentiellement des boissons de moins de 18 degrés d’alcool pur, notamment les vins, bières et cidres ;
– quatrième groupe : il s’agit essentiellement des boissons de plus de 18 degrés d’alcool pur, notamment les rhums, tafias, alcool provenant de la distillation de vins, cidres, poirés ou fruits ;
– cinquième groupe : il s’agit de toutes les autres boissons alcooliques autorisées.
Ainsi, le code de la santé publique opère une catégorisation des boissons qui ne repose pas uniquement sur le degré d’alcool pur, mais également sur la nature de la boisson, de telle sorte que certaines boissons ne titrant pas plus de 18 degrés d’alcool peuvent relever du quatrième ou cinquième groupe.
● Le code de la santé publique distingue différents types d’établissements pouvant vendre des boissons alcooliques :
– d’une part, les débits de boissons à consommer sur place ([35]), lesquels correspondent essentiellement aux bars, cafés et restaurants ;
– d’autre part, les restaurants ([36]), qui ne disposent pas d’une licence de débit de boissons à consommer sur place ;
– enfin, les débits de boissons à emporter ([37]), tels que les superettes ou magasins de grande distribution.
● Pour chaque type d’établissement, le code de la santé publique prévoit deux catégories de licence autorisant la vente des différents groupes de boissons. Elles sont présentées dans le tableau ci-dessous.
diférentes catégories de Licence selon le groupe de boissons vendu et le type d’établissement
Boissons |
Débit de boissons à consommer sur place |
Restaurants |
Débits de boissons à emporter |
3e groupe |
Licence de 3e catégorie dite « licence restreinte »
|
Petite licence restaurant |
Petite licence à emporter |
4e et 5e groupes |
Licence de 4e catégorie dite « grande licence »
|
Licence restaurant |
Licence à emporter |
Source : commission des affaires sociales, d’après les articles L. 3331-1, L. 3331-2 et L. 3331-3 du code de la santé publique.
● À l’exception des débits de boissons à emporter désirant vendre des boissons alcooliques entre 22 heures et 8 heures, l’ensemble de ces licences nécessite la participation à l’une des formations visées à l’article L. 3332-1-1 du code de la santé publique :
– une formation spécifique sur les droits et obligations attachés à l’exploitation d’un débit de boissons ou d’un établissement pourvu d’une licence de restaurant ;
– une formation spécifique sur les droits et obligations attachés à la vente à emporter de boissons alcooliques entre 22 heures et 8 heures.
À l’issue de ces formations, un permis d’exploitation attestant de la participation à l’une de ces formations est délivré à la personne l’ayant suivie. En vue de l’exploitation de la licence, celui-ci est nécessaire qu’il s’agisse d’un régime d’autorisation ou de déclaration lors de l’ouverture, de la mutation ou du transfert.
● Aux termes de l’article L. 3332-1 du code de la santé publique, les débits de boissons à consommer sur place de troisième catégorie ne peuvent être ouverts dans les communes où le total des établissements de cette nature et des établissements de quatrième catégorie atteint ou dépasse la proportion d’un débit pour 450 habitants ou une fraction de ce nombre.
● Lorsque cette proportion n’est pas atteinte ou dépassée, l’ouverture du débit de boissons à consommer sur place de troisième catégorie peut intervenir à la suite d’une déclaration d’ouverture. Celle-ci est faite au maire de la commune, ou à Paris au préfet de police, qui la transmet au représentant de l’État dans le département. La commune ou la préfecture lui en donne immédiatement récépissé aux termes de l’article L. 3332‑3 du code de la santé publique.
● Lorsque cette proportion est atteinte ou dépassée, l’ouverture du débit de boissons à consommer sur place de troisième catégorie peut intervenir à la suite d’un transfert qui, aux termes de l’article L. 3332-1 du code de la santé publique, n’est pas soumis à l’interdiction établie au même article. Selon l’article L. 3332‑11 du code de la santé publique, la demande d’autorisation de transfert doit être soumise au représentant de l’État dans le département et les maires des communes concernées sont obligatoirement consultés. Le transfert de la licence de troisième catégorie peut avoir lieu de droit au sein du département où elle se situe et, par dérogation, dans un département limitrophe ou, dans certains cas de figure, au‑delà ([38]).
● Aux termes de l’article L. 3332-2 du code de la santé publique, l’ouverture d’un nouvel établissement de quatrième catégorie est par principe interdite, en dehors des cas prévus à l’article L. 3334-1 du même code, que sont les manifestations temporaires organisées par les pouvoirs publics ou les associations reconnues d’utilité publique telles que les expositions ou les foires.
● Toutefois, en vertu de l’article L. 3332-11 du code de la santé publique, un débit de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie peut être transféré dans le département où il se situe. La demande d’autorisation de transfert est soumise au représentant de l’État dans le département. Les maires de la commune émettrice et réceptrice sont obligatoirement consultés. Lorsqu’une commune ne compte qu’un débit de boissons de quatrième catégorie, ce débit ne peut faire l’objet d’un transfert qu’avec l’avis favorable du maire de la commune. Par dérogation, le transfert peut être réalisé dans un département limitrophe selon la même procédure et, dans un département non limitrophe, lorsqu’ils sont transférés au profit de certains établissements, notamment touristiques.
● Le législateur a prévu au II de l’article 47 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique une dérogation à l’interdiction d’ouverture de débits de boissons de quatrième catégorie établie à l’article L. 3332-2 du code de la santé publique. Pour une durée de trois ans à compter de la publication de cette loi, au sein des communes de moins de 3 500 habitants ne disposant pas d’un débit de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie, l’ouverture d’un tel établissement a ainsi pu intervenir par déclaration au maire, prévue à l’article L. 3332-11 du code de la santé publique.
Les autres licences, qu’il s’agisse de la petite licence restaurant ou de la petite licence à emporter, tout comme de la licence restaurant ou de la licence à emporter, ne sont soumises à aucune restriction. Aux termes de l’article L. 3332‑4‑1 du code de la santé publique, leur ouverture relève d’un régime déclaratif identique à celui applicable à l’ouverture d’un débit de boissons à consommer sur place de troisième catégorie, prévu à l’article L. 3332-3 du même code.
● L’article unique de la proposition de loi modifie l’article L. 3332-2 du code de la santé publique. Serait ainsi ajouté un second alinéa à cet article, prévoyant une dérogation à l’interdiction d’ouverture de nouveaux débits de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie.
Par dérogation au premier alinéa, l’ouverture d’un nouveau débit de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie pourrait intervenir dans le respect une double condition cumulative :
– d’une part, que la commune concernée soit une commune de moins de 3 500 habitants ;
– d’autre part, qu’aucun débit de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie ne se soit déjà installé au sein de la commune concernée.
Dans ces conditions, l’ouverture de l’établissement pourrait intervenir suivant le régime déclaratif prévu à l’article L. 3332-3 du code de la santé publique. Il s’agit d’une déclaration écrite au maire de la commune, faite par la personne souhaitant ouvrir ledit établissement, dans les quinze jours au moins précédant l’ouverture et par écrit. La déclaration comprend les cinq éléments énumérés au même article, dont le permis d’exploitation.
La commission a adopté deux amendements rédactionnels du rapporteur. L’un d’entre eux a été sous‑amendé, à l’initiative de M. François Gernigon (groupe Horizons & Indépendants) et plusieurs de ses collègues des groupes Ensemble pour la République et Horizons & Indépendants, afin d’élargir le champ des communes concernées par la dérogation. Ainsi, les communes déléguées de moins de 3 500 habitants seront concernées par la dérogation au même titre que les communes de moins de 3 500 habitants.
A en outre été adopté un amendement rédactionnel au titre de la proposition de la loi, présenté par le rapporteur.
Lors de sa première réunion du mercredi 5 mars 2025, la commission examine la proposition de loi visant à simplifier l’ouverture des débits de boisson en zone rurale (n° 904 rect.) (M. Guillaume Kasbarian, rapporteur) ([39]).
M. Guillaume Kasbarian, rapporteur. Cette courte proposition de loi, qui tient en un unique article de simplification, est attendue tant par les élus que par les acteurs économiques du secteur et par nos concitoyens.
Alors qu’il s’élevait à près de 500 000 au début du siècle dernier, le nombre de débits de boissons n’a eu de cesse de diminuer au cours du temps, d’abord sous l’effet des politiques publiques de lutte contre l’alcoolisme, dès 1915, puis pour des raisons autres que sanitaires dans la seconde moitié du XXe siècle. Ils n’étaient plus que 35 000 en 2020 contre près de 200 000 il y a cinquante ans. Près de deux tiers des communes rurales n’ont aucun commerce, contre un quart en 1980 – et elles sont plus nombreuses encore à n’avoir ni bistrot ni café.
Certains s’accommodent de cette disparition progressive mais je ne m’y résous pas ; je pense au contraire qu’elle est problématique. Pourquoi ? Premièrement, les bistrots et les cafés sont des acteurs économiques importants dans les zones rurales ; pourvoyeurs d’emplois dans les domaines de la restauration, de la gestion ou des services, ils favorisent par leur rôle de pivot la création d’autres activités économiques.
Deuxièmement, ce sont des acteurs essentiels du lien social. Le sentiment d’isolement croît chez nos concitoyens, en particulier dans le milieu rural et parmi les jeunes. Selon le Conseil d’analyse économique, « c’est la perte des lieux de socialisation qui semble participer au mal-être des territoires ».
Troisièmement, les bistrots et cafés appartiennent à notre patrimoine car ils incarnent une partie de l’art de vivre à la française – j’en veux pour preuve le fait qu’ils nous ont manqué pendant les confinements successifs de 2020 et 2021.
S’ils ne semblent pas menacés de dévitalisation en ville, ils disparaissent peu à peu des zones rurales. Il nous appartient d’apporter des solutions concrètes à nos concitoyens qui y vivent, pour que le plaisir de boire un verre au comptoir d’un café ne soit pas un privilège réservé au milieu urbain ; pour ne pas opposer, en somme, la France des villes à la France des villages.
La commission des affaires sociales est naturellement sensible à l’enjeu de la santé publique. Nous connaissons tous les effets délétères sur la santé de l’abus d’alcool, mais je suis convaincu que les bistrots et les cafés ne constituent pas un problème sanitaire ; ils sont au contraire des acteurs de la santé publique formés et responsables.
Que l’on considère le volume global des ventes ou la consommation moyenne des femmes comme des hommes, la consommation d’alcool baisse de manière tendancielle depuis les années 1960 – c’est heureux. Toutefois, les alcoolisations ponctuelles importantes – plus de six verres standards en une seule occasion – augmentent en moyenne, en particulier chez les femmes et les jeunes. Or ce phénomène ne concerne que marginalement les bistrots et cafés, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les prix pratiqués y sont quatre à dix-huit fois supérieurs à ceux de la grande distribution, ce qui incite peu à l’excès. Ensuite, l’alcool est très majoritairement vendu en supermarché et consommé à domicile ; 10 % seulement des spiritueux en France sont vendus dans les bars, restaurants et hôtels, contre 80 % dans la grande distribution. Enfin, contrairement à la consommation à domicile, les verres servis dans les bistrots et les cafés correspondent à une dose réglementaire contenant la même quantité d’alcool pur quel que soit le produit – un verre de vin équivaut à un verre de bière ou à un verre de pastis.
Par ailleurs, de nombreuses dispositions du code de la santé publique encadrent les pratiques des bars et des restaurants, notamment en matière de formation. D’après la Société française de santé publique (SFSP), la consommation d’alcool dans les débits de boissons présente la particularité de pouvoir être régulée par le gérant, qui exerce une responsabilité déléguée par l’État d’encadrement de la consommation.
Néanmoins, le cadre législatif, ancien et parfois obsolète, présente des difficultés pour les bistrots et cafés. Il est peu ou mal suivi et évalué par les ministères, qu’il s’agisse de la santé, de l’économie ou de l’intérieur. La législation interdit par principe l’ouverture de nouveaux débits de boissons disposant d’une licence IV, c’est-à-dire où la consommation sur place de boissons de quatrième catégorie est autorisée. Autrement dit, ouvrir un tel établissement est souvent un chemin de croix : il faut d’abord trouver une licence disponible dans le même département ou un département limitrophe, ce qui est rare voire impossible – à moins d’une faillite –, mais il faut aussi avoir les moyens de l’acheter, à un prix pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, y compris en zone rurale. Ces entraves nuisent au modèle économique des bistrots et cafés ruraux en projet, dont beaucoup sont en suspens. La licence IV est essentielle parce qu’elle permet de diversifier les produits et services proposés et de vendre aussi bien des boissons chaudes ou rafraîchissantes que des boissons alcooliques titrant plus ou moins 18 degrés.
Pour ces raisons, l’article unique de la proposition de loi vise à autoriser, par dérogation à l’article L.3332-2 du code de la santé publique, l’ouverture d’un établissement de quatrième catégorie dans les communes de moins de 3 500 habitants qui en sont dépourvues, après le dépôt d’une déclaration à la mairie. Cette disposition simple figurait déjà dans la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui prévoyait une telle dérogation pour trois ans seulement. C’était juste avant la pandémie de covid et les confinements successifs, et, malgré l’accompagnement du Groupe SOS avec le programme 1000 cafés, la France rurale n’a pas connu de vague d’ouvertures de nouveaux établissements. Dans un contexte de désertification rurale, les cafés ainsi créés ont adopté un modèle économique reposant sur une gamme variée de services pour répondre aux attentes de tous les habitants et multiplier les motifs de fréquentation : jeux de société, fléchettes, billard, vente de boissons alcooliques ou non, jeux de grattage, mais aussi vente de la presse régionale et de produits d’épicerie locaux.
Tel est donc l’objectif de la proposition de loi : simplifier la vie des futurs gérantes et gérants de bistrots et cafés en milieu rural et celle des élus qui se battent pour revitaliser leur territoire, et renforcer le lien social que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. René Lioret (RN). En l’espace d’une soixantaine d’années, le nombre de débits de boissons a été divisé par six. Survenant le plus souvent en zone rurale, ces fermetures ont accompagné celles des entreprises et des commerces, mais aussi la disparition des services publics, la fermeture de classes et même d’écoles ; elles n’ont fait qu’accentuer l’abandon bien réel des milieux ruraux au profit de la métropolisation.
Dans la loi du 27 décembre 2019, une dérogation avait été octroyée pour trois ans, permettant l’obtention de nouvelles licences IV dans les communes de moins de 3 500 habitants qui n’en disposaient pas. Le groupe Rassemblement National souscrit pleinement à l’objectif de pérennisation de cette dérogation ; les bistrots et cafés de campagne sont les derniers lieux de vie, d’échange et de convivialité, sans parler des services qu’ils fournissent à la population – dépôt de pain et de journaux, réception de colis, petite restauration, voire menu ouvrier en semaine.
Toutefois, nous nous interrogeons sur le peu d’effets de cette dérogation : en trois ans, à peine une centaine de débits de boissons ont ouvert. Il y a tout lieu de penser que les conséquences de l’épidémie de covid ont constitué un frein important mais, outre le coût très variable des licences IV selon les départements, d’autres facteurs expliquent cet échec, notamment la difficulté pour un éventuel acquéreur de s’adapter à une activité qui est très différente en milieu rural de ce qu’elle est en ville.
Pour accroître les chances de succès du texte, nous avons déposé trois amendements. Deux d’entre eux ont été déclarés irrecevables : l’un visait à créer un programme d’accompagnement spécifique pour les porteurs de projets en zone rurale, l’autre à créer un label reconnaissant l’apport économique, social et culturel des débits de boissons dans les territoires ruraux. Le troisième, que je défendrai, vise la création d’un module de formation propre à la ruralité, en plus de la formation existante.
Mme Christine Le Nabour (EPR). La disparition progressive des cafés et des bistrots en zone rurale est réelle : en 1960, la France en comptait 200 000, contre moins de 40 000 aujourd’hui. Dans certaines communes, il n’existe tout simplement plus aucun lieu où se retrouver, échanger et faire vivre la convivialité locale. L’une des causes de cette érosion résulte de notre réglementation : l’ouverture d’un débit de boissons de catégorie IV est particulièrement contrainte, en raison de la complexité et du coût des transferts de licence.
L’expérimentation menée entre 2019 et 2022 a pourtant montré qu’un assouplissement ciblé peut favoriser la redynamisation des territoires. Le présent texte vise à pérenniser cette avancée en permettant aux communes de moins de 3 500 habitants qui ne disposent pas déjà d’un débit de boissons d’obtenir une licence IV.
En ce qui concerne l’enjeu de santé publique, rappelons que la consommation d’alcool ne se limite pas aux établissements dédiés et qu’il est possible d’acheter de l’alcool à tout moment en ligne ou en grande surface. Assouplir la réglementation pour favoriser l’activité locale plutôt que laisser la place aux grandes surfaces et aux plateformes numériques est une mesure juste, qui profite à la fois à l’économie et au lien social. Par ailleurs, cette proposition de loi conserve les garde-fous prévus dans la loi de 2019 : seules les communes sans débit de boissons et sans licence IV sont concernées.
Je regrette que deux de nos amendements aient été jugés irrecevables : le premier visait à clarifier la réglementation relative aux dégustations dans les lieux de production, afin que les producteurs puissent faire découvrir leurs produits sans être soumis aux mêmes contraintes qu’un débit de boissons classique ; le second avait pour but de simplifier la catégorisation des alcools dans le code de santé publique, afin de rendre la réglementation plus cohérente et plus lisible.
En tout état de cause, ce texte apporte une solution concrète à un problème réel et favorise la convivialité dans nos territoires. Le groupe Ensemble pour la République le soutiendra avec conviction.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). 6 000 médecins manquent dans nos campagnes, 62 % des communes n’ont plus de commerce et un bureau de poste ferme chaque semaine, mais vous voulez qu’on boive pour oublier votre bilan !
L’enjeu est pourtant réel : le nombre de débits de boissons a été divisé par cinq en un demi-siècle. Avec ce texte, il suffirait, dans les communes de moins de 3 500 habitants, d’une autorisation du maire pour ouvrir un établissement de quatrième catégorie, c’est-à-dire autorisant la distribution d’alcools forts. Où est le piège ? En Macronie, on se pose nécessairement la question. Le piège, c’est l’autorisation de la vente et du rachat libre des licences. Prenons un exemple dans votre circonscription, monsieur Kasbarian : admettons qu’un bistrot ouvert à Barjouville ferme malheureusement quelque temps plus tard, sa licence sera rachetée à Chartres au prix fort, et nous reviendrons à la case départ.
C’est pourquoi l’un de nos amendements vise à interdire le transfert des licences IV des petites communes vers les plus grandes – nous avons retenu le seuil de 5 000 habitants, qui peut être débattu –, afin d’empêcher l’ubérisation des bistrots et de maintenir leur ouverture dans les toutes petites communes. Son adoption conditionne le soutien du groupe La France insoumise à ce texte.
Ce n’est pas la première fois que vous lancez un projet de ce type – ne croyez pas que nous avons une mémoire de poisson rouge. En 2019, c’était le programme 1000 cafés. Résultat : 70 ouvertures de cafés, chapeau les artistes ! Dans le même temps, le ministère de la santé, aux mains des macronistes, a successivement annulé deux campagnes de prévention contre les dangers de l’alcool programmées par Santé publique France.
Cessez de jouer les Margaret Thatcher de la bouteille en prétendant tout régler par des logiques de marché ! La difficulté à ouvrir des cafés et bistrots tient avant tout à l’absence, dans les communes, de services publics, de clubs sportifs et d’institutions culturelles, qui permettent de les remplir, car c’est après un événement collectif – la signature d’une pétition en faveur de votre censure, par exemple – que les gens se rassemblent et les font vivre ! Quoi qu’il en soit, j’espère que nous pourrons améliorer ce texte, au bénéfice des plus petites communes.
M. Gérard Leseul (SOC). Non seulement le projet de loi de simplification de la vie économique, que l’Assemblée examinera prochainement, devait dénouer cette situation, mais la mesure de dérégulation que vous proposez pose problème, puisqu’elle va à l’encontre du code de la santé publique protégeant la population contre la consommation d’alcool. Le groupe Socialistes et apparentés insiste sur la nécessité d’en mesurer les incidences en matière de santé publique, mais aussi de permettre l’animation de la vie rurale. En l’absence d’étude d’impact, la généralisation de cette expérimentation est problématique. Nous ne pouvons ignorer les 49 000 décès et le coût social de 102 milliards d’euros résultant chaque année de la consommation d’alcool.
Néanmoins, nous devons garder à l’esprit que l’ouverture de ce type d’établissements crée de nouveaux lieux de sociabilité, notamment en milieu rural, ce qui contribue à la revitalisation des communes.
Cette proposition de loi soulève trois questions. Tout d’abord, une licence IV n’est peut-être pas indispensable pour revitaliser les communes rurales ; nous pourrons en débattre. Ensuite, nous nous interrogeons sur la disposition générale consistant à ouvrir des débits de boissons dans les communes de moins de 3 500 habitants et proposons de limiter ces autorisations aux communes rurales telles que définies par le code général des collectivités territoriales. Enfin, il faut absolument privilégier la cession des licences au sein non pas du département mais de l’intercommunalité, dans des communes de même taille.
Nous espérons donc que la discussion permettra d’éclaircir certains points et de limiter les dispositions proposées.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Le nombre de cafés et de bistrots est passé de 200 000 en 1960 à 38 800 en 2023. Ces fermetures sont la conséquence, et parfois la cause, de la dévitalisation des petites communes rurales. Lorsque les élus veulent rouvrir un café pour revitaliser un bourg, ils se heurtent au code de la santé publique qui interdit, en dehors de certaines dérogations pour les manifestations, l’octroi de nouvelles licences IV pourtant nécessaires.
Cette proposition de loi vise à pérenniser une expérimentation prévue dans la loi du 27 décembre 2019, qui a permis, pendant une durée limitée de trois ans, d’attribuer de nouvelles licences IV dans les communes de moins de 3 500 habitants n’en disposant pas déjà. Ces licences ne pouvaient être transférées en dehors de l’intercommunalité.
Le projet de loi de simplification de la vie économique, adopté par le Sénat en avril 2024, prévoyait le renouvellement de cette expérimentation pour une durée de trois ans, mais la dissolution ne nous a pas permis de l’examiner.
Le groupe Droite Républicaine soutient toutes les initiatives visant à revitaliser les zones rurales, ce que permettent les cafés, souvent les derniers commerces multiservices, indispensables au lien social. Ce texte n’encourage pas la consommation d’alcool et n’est pas incompatible avec l’objectif de santé publique auquel nous sommes attachés, puisqu’il concerne uniquement les communes de moins de 3 500 habitants dépourvues de licence IV. Le principe de transférabilité au sein d’un même département semble suffisant, car le découpage administratif des établissements public de coopération intercommunale n’est pas toujours pertinent. Notre groupe votera pour cette proposition de loi.
Mme Marie Pochon (EcoS). Des 200 000 cafés et bistrots qui animaient nos villages dans les années 1960, il en reste tout au plus 39 000. Un tiers de la population vit pourtant dans les zones rurales, qui représentent 88 % du territoire, mais parce qu’on travaille de plus en plus loin du domicile, la voiture individuelle progresse, et parce que le profit prime sur l’humain, les commerces de nombreuses petites communes ferment jusqu’au dernier au profit de vastes zones commerciales et d’entrepôts de méga-plateformes de vente en ligne à l’entrée des agglomérations. En quelques années seulement, ces évolutions ont bouleversé nos modes de vie et nos paysages. Les causes en sont nombreuses et la difficulté d’ouvrir et de maintenir des lieux de sociabilité et de vie dans les communes rurales y contribue sans nul doute. En 2019 déjà, une dérogation de trois ans avait permis à des cafés associatifs et privés, dans certaines communes, d’obtenir à nouveau des licences de quatrième catégorie, mais cette expérimentation n’a malheureusement pas été évaluée.
Plus que de simples espaces de consommation, las bistrots et cafés sont des espaces de vie, de rencontre et d’échange, des points de ralliement où les liens se tissent et où la solidarité s’organise. Lorsqu’ils disparaissent, c’est un peu de notre tissu social qui s’étiole.
Il est temps d’accompagner les projets qui, à petite échelle, à l’heure du chacun pour soi et de l’individualisme, luttent contre l’isolement et revitalisent nos centres-bourgs. Toutefois, cet accompagnement doit se faire à certaines conditions, notamment limiter le transfert des licences aux villages définis comme tels, et en cohérence avec une politique de santé publique ambitieuse, même dans nos villages. Le groupe Écologiste et Social défendra des amendements en ce sens.
Il nous faudra aller plus loin que ce texte pour élaborer une véritable politique de revitalisation de nos villages, dans ces 88 % de France où les politiques de mobilité, de logement, d’accès aux soins et de soutien aux services publics de proximité sont bien trop souvent limitées face aux grands bouleversements que nous avons l’impression de subir plutôt que de mener.
M. Nicolas Turquois (Dem). Étant moi-même conseiller municipal de la commune rurale de Moncontour, qui compte moins de 1 500 habitants, je connais l’importance des cafés et des bistrots dans la vie locale – à cet égard, je déplore l’inutile agressivité de notre collègue Clouet, qui discrimine totalement les territoires ruraux. Ces établissements ne sont pas de simples commerces mais des lieux de convivialité essentiels, où se croisent des générations et où se tissent des liens sociaux. Pourtant, leur disparition s’accélère ; chaque fermeture affaiblit l’attractivité des communes et alimente un sentiment d’abandon.
Cette proposition de loi vise à faciliter l’ouverture de nouveaux débits de boissons dans les communes de moins de 3 500 habitants en permettant l’attribution d’une licence IV par simple déclaration auprès du maire. Incontestablement, elle va dans le bon sens, mais elle ne réglera pas tous les problèmes d’installation des cafés en zone rurale. Tout d’abord, l’expérience du programme 1000 cafés, lancé en 2019, montre qu’un café en zone rurale ne survit que s’il repose sur un modèle économique adapté : il n’est plus uniquement un lieu de consommation mais aussi un espace de services – relais postal, dépôt de pain ou lieu d’animation.
Ensuite, la dérogation prévue par la loi de 2019, que cette proposition de loi vise à pérenniser, prévoyait des garde-fous pour empêcher la revente de ces licences ou leur transfert vers des communes plus attractives. Or ce texte n’en prévoit aucun. Sans régulation, rien n’empêchera un exploitant d’ouvrir un établissement dans une petite commune et d’obtenir gratuitement une licence IV pour la revendre dans une ville plus dynamique. Ce risque pourrait détourner le texte de son objectif initial, mais je ne doute pas que nous trouverons des solutions pour nous en prémunir, en commission ou en séance.
Se pose enfin la question des distances réglementaires : d’après un arrêté de 1985, il est impossible d’installer un nouveau débit de boissons à proximité d’une école, d’un équipement sportif ou d’une église – entre autres. La distance dépend de la taille de la commune mais dans un village, ces établissements sont souvent regroupés autour de la même place, d’où un blocage de fait. Nous pourrions assouplir cette réglementation avant l’examen du texte en séance publique.
Cette proposition de loi, qui constitue une avancée concrète et indéniable, est une pierre importante apportée à l’édifice, mais la réouverture de ces établissements doit s’inscrire dans une stratégie plus large. Le groupe Les Démocrates soutient cette démarche et suggère au rapporteur de proposer prochainement de nouveaux textes relatifs à ce sujet.
M. François Gernigon (HOR). En 2019, sous l’impulsion d’Édouard Philippe, l’Agenda rural avait permis de lancer une expérimentation d’une durée de trois ans pour assouplir temporairement l’encadrement des licences IV et lutter contre la disparition des cafés en zone rurale. Elle démontré son utilité et il nous est proposé de la pérenniser pour apporter une réponse durable aux territoires concernés.
La disparition progressive des cafés et des bistrots en milieu rural est réelle : environ 200 000 en 1960, ces établissements ne sont plus que 38 800 en 2023. Restaurer un débit de boissons dans une petite commune, c’est recréer un lieu de convivialité au cœur du village et retisser un lien social. Le groupe Horizons & Indépendants adhère pleinement à l’objectif de redynamisation des communes rurales par la facilitation de l’attribution des licences IV. Les cafés et bistrots jouent un rôle fondamental dans la vie locale, comme lieux de rencontre et d’animation. Leur disparition de nombreuses communes a entraîné une perte d’attractivité et une dévitalisation progressive des territoires que les habitants déplorent.
Il me semble important d’inclure dans ce texte la notion de commune déléguée. Dans ma circonscription, une commune nouvelle de 8 000 habitants est composée de huit communes déléguées, dont six comptent entre 400 et 1 000 habitants. Nous devons éviter tout effet pervers qui permettrait le transfert d’une nouvelle licence gratuite vers des zones plus attractives, privant ainsi les communes rurales du bénéfice attendu. C’est pourquoi j’ai déposé des amendements visant à limiter la transférabilité dans les autres communes du département.
En tout état de cause, le groupe Horizons & Indépendants soutient pleinement cette proposition de loi, qui apporte une réponse pragmatique à un problème réel.
M. Stéphane Viry (LIOT). Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires ne souhaite pas remettre en cause l’ensemble de la législation relative aux licences IV. L’interdiction de l’octroi de nouvelles licences répond à un objectif de santé publique de lutte contre l’alcoolisme, qui est toujours d’actualité.
Par ailleurs, nous sommes naturellement sensibles au constat de la dévitalisation d’un grand nombre de nos territoires : 62 % des communes rurales ne comptent plus aucun commerce. Notre groupe rappelle que le dynamisme des territoires ruraux suppose un accès aux services publics, une politique culturelle et associative ambitieuse, la présence d’écoles, d’emplois, de moyens de mobilité – en clair, une vision de l’aménagement du territoire et de la vie en commun. Cette proposition de loi s’inscrit dans une politique de développement de l’économie locale et de renforcement du lien social. Nous y souscrivons, parce que ces débits de boissons proposent bien souvent des services annexes – relais colis, dépôt de pain, petite épicerie, etc. –, sans compter les animations culturelles qui s’y déroulent.
Toutefois, notre groupe s’interroge sur le caractère suffisant du texte. L’ouverture de débits de boissons dotés d’une licence III est déjà possible. Avez-vous établi un bilan de la dérogation accordée en 2019 ? Selon nous, la solution réside avant tout dans une redynamisation de l’accompagnement de l’économie de proximité, à l’instar du programme 1000 cafés, ce qui suppose des politiques publiques et un soutien à l’investissement. Quid de l’aide au commerce et du soutien à l’artisanat en milieu rural ? Ne faudrait-il pas simplifier les procédures de financement, en créant notamment un guichet unique par département et un nouvel accompagnement par l’Agence nationale de la cohésion des territoires ?
M. Yannick Monnet (GDR). Très attaché au développement des territoires ruraux, le groupe Gauche démocrate et républicaine soutiendra cette proposition de loi, au nom de l’attractivité et de l’activité économiques, mais aussi du lien social. Nous proposerons toutefois des amendements pour l’encadrer et la clarifier, sachant que nous regrettons l’absence de bilan précis du système dérogatoire instauré en 2019 – bilan qui aurait procuré des éléments factuels.
Rappelons que 59 % des communes rurales ne disposent d’aucun commerce de proximité et que 50 % de leurs habitants doivent parcourir plus de 2 kilomètres ne serait-ce que pour trouver une boulangerie. Nous comptions 500 000 cafés il y a un siècle : il n’en existe plus que 35 000, sept communes sur dix n’en ayant pas. Et sans vouloir opposer les mondes urbain et rural, n’oublions pas que 43 % des habitants des communes rurales s’estiment exclus de notre société, contre 24 % des citadins.
Il est donc urgent de développer le commerce de proximité – les cafés, mais aussi les bars associatifs, qui sont de plus en plus nombreux grâce au programme de revitalisation des centres-bourgs, qui a permis la rénovation du foncier des communes et donc l’installation de nouveaux commerces.
Cependant, si vous êtes attaché aux territoires ruraux, ce qui est une bonne chose, la politique que vous défendez par ailleurs leur fait du mal, monsieur le rapporteur. Par cohérence, vous devriez vous opposer au déménagement des services publics et à la fermeture de classes dans les communes rurales. Et au lieu d’assécher leurs finances, donnez-leur de vrais moyens de développement.
M. le rapporteur. Je remercie l’ensemble des groupes soutenant cette proposition de loi et salue l’évolution de la position de ceux – les groupes SOC et LFI-NFP – ayant renoncé à présenter des amendements de suppression de l’article unique. Je me félicite que votre argumentation ait d’ores et déjà changé.
Certes, j’ai bien noté la franche réticence et les attaques de M. Clouet et de La France insoumise vis-à-vis de ce texte. Je vous sais gré, toutefois, d’avoir cité l’Eure-et-Loir et la Beauce. Vous y êtes le bienvenu pour découvrir l’un des multiples villages qui ne disposent plus d’aucun commerce. J’aurais aimé prendre un exemple dans votre circonscription, mais la métropole toulousaine ne sera pas concernée par le dispositif que je propose.
S’agissant d’abord du programme 1000 cafés, lancé en 2019, son expérimentation n’ayant duré que trois ans et s’étant déroulée à l’époque des confinements liés au covid – un contexte peu propice à la création de commerces –, il me paraît délicat d’en tirer des enseignements statistiques. Cela étant, sachez que 130 cafés ont été ouverts dans le cadre de cette dérogation au travers du Groupe SOS et que 82 existent encore à ce jour. La dérogation n’a donc pas permis la réouverture d’un café dans chacun des 20 000 villages où il n’en existe plus ; que celles et ceux qui pensent qu’il est simple d’ouvrir un tel commerce et que ma démarche entraînera une submersion de cafés soient donc rassurés. Mais le résultat de l’expérimentation n’est pas non plus nul, puisque 130 établissements ont vu le jour dans une période difficile et que 82 ont subsisté.
Cela me permet de faire le lien avec la question du modèle économique. Vous avez dit, monsieur Leseul, que disposer d’une licence IV n’est pas indispensable pour ouvrir un débit de boissons. N’étant pas omniscient, j’ai interrogé les personnes qui tiennent la caisse. Mme Laurence Cordonnier, qui a bénéficié de la dérogation pour ouvrir un café à Curzon, en Vendée, m’a ainsi indiqué – mais elle n’est pas la seule – qu’elle ne se serait jamais lancée sans licence IV.
La vente de boissons alcooliques n’est qu’une offre parmi d’autres dans ce type d’établissements, mais une offre sur laquelle la marge est importante – plus importante, par exemple, que sur le café. C’est d’ailleurs grâce à ce type de recettes que l’équilibre économique peut être atteint. Certaines personnes consomment un jus de fruits ou un café pour jouer aux fléchettes ou au billard tout l’après-midi, ce qui est certes très positif pour la vie du village, mais ce sont plutôt les clients qui viennent prendre l’apéritif qui permettent au gérant de se payer convenablement. J’insiste : si vous enlevez la vente d’alcool, vous dégradez le compte de résultat du café, qui est une entreprise comme une autre, et vous empêchez le commerçant de faire perdurer un lieu où de nombreuses personnes se rendent pour des motifs différents. Vous l’avez dit à juste titre, le modèle économique, dans un contexte de désertification rurale et face à la multiplicité des sources d’approvisionnement, notamment la grande distribution et la vente en ligne, est le premier facteur de fermeture des cafés. Leur refuser la licence IV constituerait donc un frein supplémentaire. J’encourage ceux qui ne l’auraient pas déjà fait à consulter les cafetiers de leur territoire à ce sujet.
Enfin, je rappelle que les transferts de licence sont rares, limités sur le plan géographique et conditionnés à un accord du maire et du préfet, ces trois critères étant cumulatifs. Un refus de l’un de ces deux acteurs empêche la cession, qui doit obligatoirement avoir lieu au sein d’un même département. Ne croyons donc pas que les transferts sont nombreux ou dérégulés.
Si vous l’approuvez, la proposition de loi permettra aux communes de moins de 3 500 habitants qui n’en disposent pas d’obtenir une licence IV. Leur transfert sera possible, mais selon les mêmes règles que celles en vigueur. Je fais cette proposition au nom de la simplicité administrative, mais aussi pour qu’il n’y ait pas une sorte de licence IV bis, spécifique aux petites communes et fonctionnant selon des règles différentes.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Hendrik Davi (EcoS). Il est bien sûr important qu’il y ait des cafés et des commerces dans nos villages, et à plus forte raison des écoles et des médecins ; nous sommes tous d’accord.
Cela étant, pour avoir siégé hier encore à l’agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur et pour siéger à Santé publique France, je tiens à rappeler certains chiffres. L’alcool est responsable de 41 000 décès prématurés chaque année. Il s’agit de la deuxième cause de cancer évitable après le tabac, ce qui signifie que 28 000 des 352 000 nouveaux cas de cancer chez l’adulte lui sont imputables. Un adulte qui boit a 32 % de chance de souffrir d’une maladie cardiovasculaire, contre 15 % pour un individu qui ne boit pas. Enfin, le risque d’être responsable d’un accident de la route mortel est multiplié par dix-huit quand on a bu, ce qui, en zone rurale, n’est pas négligeable.
Ainsi, eu égard aux considérations de santé publique, est-il réellement opportun, au nom de l’aménagement du territoire, de faciliter l’obtention de nouvelles licences IV ? Pour ma part, je ne le pense pas et voterai donc contre le texte.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je regrette que vous n’abordiez la question fondamentale du commerce de proximité que par le prisme de l’alcool. Je rappelle que les cafés dont nous parlons relèvent souvent de l’économie sociale et solidaire, qu’il s’agisse d’associations ou de coopératives. Or les crédits alloués à ce secteur sont en baisse de 25 % dans le budget pour 2025, tandis que les collectivités, qui subventionnent souvent de telles activités, voient leurs capacités diminuer de 2,2 milliards d’euros. J’ajoute que la psychiatrie et plus encore l’addictologie rencontrent de très grandes difficultés, particulièrement en zone rurale. On ne peut donc aborder la question de la consommation d’alcool sans nous assurer de son contrôle social.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Avec mes collègues du groupe Droite Républicaine, je soutiens cette initiative, qui vise à revitaliser nos territoires ruraux. En simplifiant l’ouverture de débits de boissons en zone rurale, nous soutiendrons le modèle économique du café ou du bistrot de village, qui rythme sa vie.
À cet égard, j’ai une suggestion. En vertu de l’article L. 3334-2 du code de la santé publique, une association ne peut obtenir que cinq autorisations par an pour tenir une buvette temporaire dans un village, lors d’une fête ou d’une foire, par exemple. Cependant, il arrive qu’un maire ne puisse s’appuyer que sur une seule association pour ce type d’événements, ce qui en limite de facto le nombre à cinq. Afin de soutenir le dynamisme et la vie locale de nos communes rurales, pourriez-vous, d’ici à l’examen du texte en séance, étudier la possibilité de supprimer cette limitation ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous connaissons tous le rôle de nos cafés, lieux de rencontre et de convivialité, dans nos villages et dans nos villes. Nous connaissons également tous des cafés, cafés-restaurants, cafés-presse et cafés associatifs qui vivent très bien sans licence IV, c’est-à-dire sans vendre de l’alcool fort. Vous parlez d’apéritif, mais il est possible d’en prendre un sans ce type de boissons. Je ne crois donc pas que le modèle économique des cafés repose sur la possession d’une licence IV.
De plus, nous connaissons les effets néfastes de l’alcool, particulièrement les spiritueux. Dans certains départements, le taux de cancers directement liés à la consommation d’alcool fort est très élevé. Je suis donc très réservé vis-à-vis de cette proposition de loi.
M. Jean-François Rousset (EPR). Cette proposition de loi est très intéressante. Nous connaissons les méfaits de l’alcool, moi le premier en tant que médecin. Mais n’oublions pas que les gérants disposant d’une licence bénéficient d’une formation en la matière et peuvent refuser de vendre de l’alcool, notamment aux jeunes qui, lors des fêtes de village, s’alcoolisent massivement après s’être fournis au supermarché du coin ou à une buvette éphémère, où il n’y a aucun contrôle – et qui, au reste, sont souvent des concurrentes directes pour le dernier bistrot du village.
Dans quelle société voulons-nous vivre ? J’estime que les lieux le plus conviviaux sont souvent l’épicerie, qui vend des produits locaux, et le café, qui propose aussi – on peut le regretter – tabac et jeux. Dans le petit village où j’habite, le bistrot est effectivement le lieu où on se rencontre. Dans ma circonscription, qui englobe 119 communes sur la moitié de l’Aveyron, j’organise tous les mois un café citoyen où chacun peut venir, quel que soit son parti politique. Je n’ai pas honte de le dire : le demi aide la conversation.
Mme Stéphanie Rist (EPR). J’apporte tout mon soutien à cette proposition de loi, qui tend à largement simplifier l’obtention d’une licence IV. Dans ma circonscription, il nous a fallu cravacher pendant un an, avec le maire de Tavers, pour permettre la réalisation d’un projet porté par deux femmes. Leur commerce est désormais ouvert et elles y organisent des expositions ou encore des concerts – il y en aura d’ailleurs un vendredi soir.
On peut tout à la fois soutenir la prévention de l’alcoolisme et l’ouverture de restaurants et de bistrots. Il suffit d’aller au supermarché pour acheter de l’alcool puis de rentrer chez soi pour le boire ; à l’inverse, les cafés permettent de vivre en société et de lutter contre l’exclusion.
M. Didier Le Gac (EPR). Ce texte fait partie des petites lois que nous sommes heureux de voter – l’adjectif « petites » n’a évidemment rien de péjoratif : ce sont des lois simples, pragmatiques, concrètes, qui simplifient la vie des élus. La commune dont j’ai été maire pendant vingt ans n’était pas entièrement dépourvue de bistrots, mais quand une personne voulait en créer un, il était obligé d’attendre une fermeture pour racheter une licence IV. Grâce à ce texte, les choses seront plus faciles.
J’ajoute qu’il ne faut pas opposer commerce privé et service public. Le bureau de poste de ma commune a fermé, car ses horaires d’ouverture n’étaient plus adaptés et se réduisaient comme peau de chagrin. En remplacement, une convention a été passée entre La Poste et un café-tabac, si bien que les habitants peuvent aller chercher un courrier, un recommandé ou des timbres le week-end, dimanche inclus, ou encore le soir à 20 heures, ce qui était évidemment impossible auparavant. Réduire la fonction d’un bistrot au risque d’alcoolisme est vraiment regrettable ; c’est méconnaître la vie de nos communes.
M. Fabien Di Filippo (DR). Je remercie le rapporteur d’avoir remis un peu de bon sens dans cette discussion. Avec ou sans licence, la vente d’alcool est très réglementée. Les cafés dont nous parlons sont avant tout des lieux de vie, dans des espaces très ruraux et dans une société où la tendance – renforcée par les écrans et les réseaux sociaux – est au repli sur soi. C’est particulièrement vrai chez les personnes les plus jeunes et les plus âgées, pour lesquelles le travail ne peut jouer son rôle social. J’y insiste : l’isolement s’accentue, ce qui a des effets délétères.
Je ne peux m’empêcher de voir un paradoxe dans les propos de Mme Rousseau qui, d’un côté, est contre la réouverture de cafés disposant d’une licence IV dans les petites communes et, de l’autre, est pour la légalisation de la vente de drogues. Avec votre laxisme, peut-être souhaitez-vous même le remplacement des cafés par des coffee shops et faire des points de deal au pied de nos immeubles de nouveaux lieux de convivialité ? En tout état de cause, ce n’est pas notre conception de la société, ni de son avenir.
M. le rapporteur. Messieurs Davi et Isaac-Sibille, la proposition de loi ne remet pas en cause les règles applicables aux cafés, ni la politique de prévention et de lutte contre l’alcoolisme. Rien dans le texte ne modifie le code de la santé publique dans ce domaine.
Je rappelle une nouvelle fois que l’écrasante majorité des volumes d’alcool sont vendus non dans les cafés, bistrots, restaurants et hôtels, mais dans la grande distribution. Les résidents des communes de moins de 3 500 habitants où il n’existe aucun débit de boissons ne sont pas tous abstinents : ils achètent de l’alcool au supermarché du coin, dans un rayon ouvert à tous, où les agents n’ont pas reçu de formation à ce sujet et à des prix défiant toute concurrence. Puis ils boivent leur bouteille chez eux, seuls ou à plusieurs, sans contrôle des doses, accompagnement social ni prévention.
Je ne veux pas laisser penser que les responsables des alcoolisations excessives seraient les gérants de café et de bistrot, ni que l’ouverture d’un tel lieu dans une commune qui en est dépourvue déclencherait une vague de consommation excessive. Ne nous trompons pas de combat.
Madame Rousseau, vous avez parlé de contrôle social de la consommation d’alcool, mais c’est justement ce que font les bars et les cafés. Je l’ai citée plus tôt, la SFSP considère que la consommation de boissons alcooliques dans les débits de boissons a non seulement la particularité d’être marquée par des prix plus élevés qu’en grande surface, mais « de pouvoir être régulée par le gérant qui exerce une responsabilité déléguée par l’État d’encadrement de la consommation », comme c’est le cas des débitants de tabac ou des opérateurs de La Française des jeux. Un cafetier ne fait pas n’importe quoi quand il sert de l’alcool. Outre qu’il doit suivre une formation de vingt heures, de nombreuses obligations et interdictions pèsent sur sa profession, comme l’interdiction, aux termes de l’article L. 3353-3 du code de la santé publique, de la vente d’alcool aux mineurs et de l’accueil de personnes de moins de 16 ans non accompagnées d’un adulte ; l’interdiction de vente d’alcool aux personnes manifestement ivres et même de leur accueil au sein de l’établissement ; l’obligation, en application de l’article 3341-4 du même code, de mettre à disposition des dispositifs de dépistage de l’imprégnation alcoolique ; ou encore l’obligation de présenter un étalage de boissons non alcooliques d’au moins dix bouteilles parmi six catégories de produits tels que les jus de fruits, les limonades ou l’eau. Ainsi les normes pesant sur les tenanciers de bar et de café sont-elles infiniment plus nombreuses que celles s’appliquant aux opérateurs de la grande distribution. Ils ne peuvent pas faire n’importe quoi et doivent servir les doses appropriées. Ne faisons pas de mauvais procès aux cafés et bistrots ruraux.
J’ai évoqué mon entretien avec Mme Cordonnier. Elle m’a aussi indiqué aller au‑delà de la réglementation. Quand un jeune lui semble trop ivre, elle lui confisque ses clefs de voiture et refuse de le laisser repartir dans cet état, son mari allant même jusqu’à en raccompagner certains. Ces lieux de socialisation sont aussi des lieux de contrôle de la consommation, à l’inverse de l’achat solitaire d’une bouteille au supermarché, que l’on consomme ensuite dans sa voiture ou chez soi. La lutte contre l’alcoolisme ne passe pas par l’interdiction d’ouvrir des cafés et bistrots.
Quant à votre suggestion, monsieur Bazin, elle figurait dans un amendement jugé irrecevable par le président Valletoux. Je ne me permettrai pas de commenter cette décision souveraine et indépendante, mais sachez que j’y étais très favorable. Libre à vous de le redéposer en séance ; à défaut, les sénateurs auront peut-être la même idée lors de la navette...
Article unique : Dérogation à l’interdiction d’ouverture des débits de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie au sein des communes de moins de 3 500 habitants qui n’en comptent pas
Amendement AS34 de Mme Chantal Jourdan
Mme Chantal Jourdan (SOC). Cet amendement de compromis vise à ce que les procédures liées à l’expérimentation menée entre 2019 et 2022 soient respectées, ce qui inclut l’évaluation de ses conséquences sanitaires et économiques, afin de décider de son éventuelle pérennisation en toute connaissance de cause.
M. le rapporteur. L’amendement, dont je demande le retrait, tend à lancer une nouvelle expérimentation de courte durée. Un dispositif pérenne a ma préférence, car il donnerait de la visibilité aux acteurs et parce que si de nouveaux aléas survenaient dans les mois qui viennent, nous ne serions pas davantage en mesure d’évaluer l’expérimentation – ou alors nous serions contraints de légiférer de nouveau pour la prolonger.
Si ce texte est adopté, une évaluation de l’application du présent texte pourra avoir lieu six mois puis trois ans après sa promulgation. Sur ce fondement, rien ne vous empêchera de légiférer de nouveau pour rendre le texte plus ou moins restrictif, voire pour l’abroger.
Quoi qu’il en soit, j’estime qu’une nouvelle expérimentation courte ne changerait pas la donne et ne procurerait pas la visibilité dont le secteur a besoin.
Mme Chantal Jourdan (SOC). Je maintiens l’amendement. Une expérimentation a été menée et il convient de la poursuivre et de l’évaluer. J’insiste sur le fait que l’article unique de la proposition de loi dérégule la santé publique. De même, il convient d’analyser la situation économique de manière globale et de réfléchir aux moyens de revitaliser les milieux ruraux.
M. le rapporteur. Pour que les choses soient claires, l’amendement ne vise pas uniquement à procéder à une évaluation, mais bien à réécrire l’ensemble de l’article unique. S’il est adopté, nous reviendrions à une expérimentation, en lieu et place du dispositif classique et pérenne que je propose, ce qui n’est pas du tout la même chose. Je répète qu’une évaluation du texte pourra avoir lieu quand vous le souhaitez dans les trois ans suivant sa promulgation.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS26 de Mme Marie Pochon
Mme Marie Pochon (EcoS). La dérogation en vigueur entre 2019 et 2022 n’autorisait les transferts de nouvelles licences IV qu’au sein d’une même intercommunalité, et non au sein d’un même département. Nous souhaitons reprendre cette disposition au sein de la présente proposition de loi, au risque, dans le cas contraire, d’assister à une concentration des débits de boissons dans les zones urbaines, au détriment des communes rurales, ce qui serait contraire à l’objectif du texte. En ne permettant les transferts qu’au sein d’une même intercommunalité, nous renforcerions le dynamisme local et garantirions que les nouvelles licences concerneront effectivement des projets locaux et favoriseront une répartition plus équitable des débits de boissons sur le territoire.
Par ailleurs, s’agissant de la définition des communes rurales, nous proposons de retenir le référentiel du code général des collectivités locales et la grille communale de densité de l’Institut national de la statistique et des études économiques, afin de correspondre avec précision à la réalité des territoires ruraux. Nous en avons discuté avec l’Association des maires ruraux de France et sommes prêts à travailler cette proposition d’ici à l’examen du texte en séance.
M. le rapporteur. L’amendement tend à largement réécrire le texte et à introduire des restrictions qui amoindriraient sa portée.
Premièrement, la définition des communes rurales que vous proposez réduirait le champ d’application du texte à celles de moins de 2 000 habitants – contre 3 500 habitants actuellement.
Deuxièmement, vous souhaitez fortement limiter les transferts de licence IV. Comme je l’expliquais, un dispositif spécifique aux nouvelles licences atténuerait la clarté des règles et introduirait une complexité administrative, sachant que les transferts sont déjà bien encadrés. Je rappelle que le maire et le préfet doivent donner leur accord et qu’il existe une limite géographique. Si votre amendement est adopté, nous imposerions en quelque sorte une double licence IV avec des règles de transfert différentes.
Je demande donc le retrait de l’amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Mme Marie Pochon (EcoS). Je répète que cet amendement a été rédigé en lien avec l’Association des maires ruraux de France, directement concernés par le texte. S’il vise effectivement à limiter les possibilités de transfert de licence, c’est pour protéger l’objectif de la proposition de loi. Dans la Drôme, en l’état actuel du texte, une licence pourrait être transférée d’une commune rurale à Valence ou à Romans-sur-Isère.
M. Gérard Leseul (SOC). Le groupe socialiste soutient pleinement cet amendement et souhaitait même en déposer un identique.
D’abord, si nous voulons, comme le titre de la proposition de loi l’indique, réserver l’ouverture de débits de boissons aux zones rurales, il faut respecter la strate démographique des 2 000 habitants, conformément au code général des collectivités territoriales.
Ensuite, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, un transfert de licence se fait sur décision du préfet après avis – strictement consultatif, donc – des maires des communes concernées. Or l’autorisation formelle des maires, comme le prévoit le présent amendement, nous semble fondamentale. C’est ainsi que la revitalisation de nos communes rurales grâce à ces nouveaux lieux de sociabilité pourra avoir lieu.
M. Yannick Monnet (GDR). Il faut en effet encadrer le transfert des licences. Le maire ne dispose d’un droit de veto que pour la dernière licence de sa commune ; autrement, son avis n’est que consultatif. En limitant davantage le transfert, et en le restreignant à une même intercommunalité, on protège mieux les communes rurales, surtout les plus petites d’entre elles, de moins de 1 000 habitants.
M. Stéphane Viry (LIOT). Nous soutenons l’objectif de la proposition de loi, et je ne crois pas que les positions des soutiens de cet amendement et du rapporteur soient éloignées. La question, c’est celle de la définition juridique de la ruralité : on peut douter de l’efficacité du texte tant que nous ne sommes pas au clair là-dessus. Ne devriez-vous pas travailler ensemble et faire un pas l’un vers l’autre, afin d’atteindre l’objectif de cette proposition de loi ?
M. le rapporteur. La proposition de loi concerne bien les communes rurales, puisqu’elle porte sur les communes de moins de 3 500 habitants. Nous avons reçu l’Association des maires ruraux de France comme l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et elles soutiennent notre rédaction.
Par ailleurs, l’amendement mentionne « les communes rurales définies par voie réglementaire » : pour que la loi entre en application, il faudrait que le Gouvernement publie un décret qui dresse la liste des je ne sais combien de communes concernées. On risque d’attendre longtemps !
En ce qui concerne le transfert, j’entends votre crainte d’une fuite des licences, d’un petit jeu où certains créeraient des licences dans les villages pour les emporter ailleurs sans contrôle. Mais le maire a un droit de veto sur le transfert de la dernière licence du village – ce qui est, par construction, le cas avec cette proposition de loi qui ne crée une licence que s’il n’y en a pas d’autre. Le préfet peut également refuser un transfert. Dans une logique de décentralisation, faisons-leur confiance.
Je suis tout à fait ouvert à un travail commun d’ici au passage en séance.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS33 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). Votre proposition de loi a le mérite de traiter de l’attractivité de nos villages : déroger aux règles d’attribution des licences IV est une idée judicieuse. Mais nous devons rester vigilants face aux dérives possibles. Un contrôle de l’autorité municipale est nécessaire : nous proposons donc qu’il ne soit possible d’accorder la dérogation qu’après accord du conseil municipal.
Les maires doivent conserver le pouvoir dans leur territoire, décider de son avenir. Ils doivent surtout pouvoir empêcher l’installation de commerces indésirables, gérés par des personnes qui auraient un mauvais état d’esprit, et qui viendraient par exemple implanter des points de deal un peu partout, comme c’est le cas de nombreuses épiceries qui poussent ici et là, et pas seulement dans les grandes villes.
Faisons confiance aux maires. Ils doivent être les maîtres de leur territoire.
M. le rapporteur. Pour ma part, je suis favorable à la liberté de commerce : on ne demande pas d’autorisation pour ouvrir une boulangerie ou une épicerie – et si l’on reste dans la catégorie des licences de débit de boissons, les licences III relèvent aussi d’un régime déclaratif. Il me semble que, par cohérence, il vaut mieux en rester là.
Les maires peuvent, en réalité, s’opposer à la création d’un établissement, par exemple parce que le code de l’urbanisme impose de demander une autorisation, ou la décourager. Quant aux dérives, les fermetures administratives existent : l’article L. 3332‑15 du code de la santé publique dispose que « la fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l’État dans le département pour une durée n’excédant pas six mois, à la suite d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements ». Les contrôles existants me paraissent suffisants. Je ne suis pas favorable à une sur-réglementation.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Yoann Gillet (RN). Au risque de vous froisser, monsieur le rapporteur, on voit que vous n’avez jamais été élu local ! Vous dites que le maire peut ne pas délivrer des autorisations d’urbanisme. Mais il suit des règles, il n’a pas de pouvoir d’appréciation ! Vous dites aussi qu’il est possible de fermer des commerces à problèmes : si vous étiez connecté avec la réalité, vous sauriez que des épiceries qui vendent du tabac de contrebande ou de la drogue risquent quelques milliers d’euros d’amende, et peuvent être fermées pour deux, trois, six mois dans le meilleur des cas ! Il y a des commerces indésirables, et les maires doivent avoir la main sur le développement du tissu commercial. Certains sont courageux et y parviennent, afin de promouvoir une diversité qui profite à tout le monde. Mais, dans la plupart des communes, ce n’est pas possible, et les nuisances prolifèrent.
Votre proposition de loi va dans le bon sens, car il faut redonner de la vie à nos territoires ruraux ; mais il faut maîtriser les installations pour empêcher les trafics de prospérer. Les maires doivent pouvoir développer leur ville comme ils le souhaitent et le cadre de vie des habitants doit être respecté.
M. le rapporteur général. Je suis choqué de cette dernière intervention : il faudrait tout réguler, il n’y aurait plus de liberté d’entreprendre ?
Le rapporteur connaît bien son département, ce qui n’est pas le cas de tous les députés ici, puisque certains n’habitent pas leur circonscription. Il y a des règles d’urbanisme qui s’imposent ; mais la liberté d’entreprendre ne doit pas être bridée plus que nécessaire.
La question du trafic est bien réelle, même si elle est moins présente dans la ruralité. J’espère que vous soutiendrez la proposition de loi sur le narcotrafic, cher collègue : elle prévoit notamment de rendre plus facile les fermetures administratives.
M. le rapporteur. Je m’indigne à mon tour de ces attaques personnelles. Vous approuvez la proposition de loi : quel est l’intérêt de ce genre de joute verbale ? Est-il vraiment nécessaire, pour faire valoir votre argument, de m’accuser de manquer d’expérience ?
La réalité, c’est celle du code de l’urbanisme : pour avoir été ministre du logement, je sais à quel point il regorge de possibilités offertes aux élus d’intervenir pour bloquer des projets de construction. Je vous invite à le lire.
On ne peut pas prétendre régler la question des trafics ou de la contrebande en interdisant la création de commerces ! S’il y a une infraction, alors il y a des fermetures administratives ; au-delà de six mois, le dossier remonte au niveau national. Les services du ministère nous ont confirmé qu’il existait des fermetures bien plus longues que cela. Heureusement que nous n’avons pas attendu votre amendement pour nous attaquer aux trafics !
M. le président Frédéric Valletoux. Je rappelle à M. Gillet, qui n’est pas membre cette commission, que si nos débats sont parfois vifs, nous avons pour habitude d’éviter les attaques personnelles.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS48 de M. Guillaume Kasbarian et sous-amendement AS50 de M. François Gernigon
M. le rapporteur. L’amendement est rédactionnel.
M. François Gernigon (HOR). Mon sous-amendement vise à inclure les communes déléguées de moins de 3 500 habitants dans la dérogation permettant l’ouverture d’établissements de quatrième catégorie. Dans le Maine-et-Loire, nous avions 360 communes, nous n’en avons plus que 170. Dans ma circonscription, une commune nouvelle de 8 000 habitants regroupe huit communes, dont deux comptent plus de 3 500 habitants et six en comptent bien moins, et sont parfois distantes de 10 à 15 kilomètres. L’association 1000 cafés a ouvert un café dans une commune déléguée de 400 habitants, et la licence IV y est très attendue. Il faut tenir compte de cette réalité.
M. le rapporteur. Avis favorable au sous-amendement. Ces communes déléguées peuvent être très éloignées du centre-bourg.
M. Christophe Bentz (RN). Nous sommes favorables à l’amendement ainsi qu’au sous-amendement : il y a maintenant plus de 2 500 communes déléguées.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous voterons contre l’amendement et le sous‑amendement. On connaît le truc de l’amendement rédactionnel dont l’adoption en ferait tomber plusieurs autres et ferait ainsi disparaître des discussions importantes, notamment sur la limitation du rachat de licences IV.
Vous écrivez dans votre projet de rapport que les bistrots sont la vitrine de la France à l’étranger et vous citez Emily in Paris, ce qui me paraît un peu décalé par rapport aux espaces ruraux : donnons-nous plutôt les moyens de faire Hadrien et Guillaume à Beauzelle dans le 31, ce sera plus intéressant pour le développement de la ruralité !
M. le président Frédéric Valletoux. L’adoption de cet amendement en ferait tomber cinq autres.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je soutiens le sous-amendement. Ma circonscription compte 85 % de communes nouvelles, qui regroupent de huit à quinze petites communes, dans lesquelles il est essentiel de maintenir un commerce de proximité.
M. le rapporteur. Merci d’avoir lu mon rapport, monsieur Clouet. Vous aurez noté que je ne parle pas seulement d’Emily in Paris, mais aussi des jeux Olympiques !
Si j’avais voulu couper court à la discussion, j’aurais déposé un amendement de rédaction globale de l’article unique. Par élégance et pour donner toute sa place au débat, j’ai préféré au contraire séparer les deux amendements rédactionnels.
Enfin, je note votre invitation : je serai très heureux d’aller au bar avec vous.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous‑amendé.
En conséquence, les amendements AS7 de M. Hadrien Clouet, AS17 de Mme Sylvie Bonnet, AS20 de Mme Chantal Jourdan, AS38 de M. François Gernigon et AS9 de M. Hadrien Clouet tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS47 de M. Guillaume Kasbarian.
Amendement AS21 de Mme Chantal Jourdan
Mme Chantal Jourdan (SOC). Cet amendement prévoit que l’attribution d’une licence IV est précédée d’un avis du préfet et de l’agence régionale de santé, pour des raisons de santé publique.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous ajoutez des contraintes supplémentaires : cela irait contre l’idée de simplification que j’exposais tout à l’heure.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS8 de M. Hadrien Clouet
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Cet amendement revient sur la question de la formation : tenir un bar, être bistrotier, c’est un métier. Afin de nous assurer que les exigences sont les mêmes partout, notre amendement rappelle que tous ceux qui tiennent des débits de boissons, y compris ceux ouverts grâce à cette dérogation, sont astreints à la formation.
M. le rapporteur. Votre amendement est partiellement satisfait, puisque les cafetiers ont tous sans exception l’obligation, pour se voir délivrer un permis d’exploitation, de suivre une formation de vingt heures qui permet d’acquérir les connaissances nécessaires en matière de prévention et de lutte contre l’alcoolisme, de protection des mineurs et de répression de l’ivresse publique.
Vous allez ici un cran plus loin en prévoyant une actualisation de cette formation tous les cinq ans. Mais pourquoi tous les cafetiers de France ne seraient-ils pas concernés ? Cela me semble manquer de cohérence.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous voulions nous assurer que ce régime dérogatoire ne supprime pas l’exigence de la formation. Je retire l’amendement.
L’amendement est retiré.
Amendement AS39 de M. François Gernigon
M. François Gernigon (HOR). Cet amendement vise à simplifier le cadre juridique afin que les communes de moins de 3 500 habitants puissent, lorsque l’initiative privée est défaillante, se porter titulaires d’une licence IV, dont elles pourraient confier l’usage à des établissements présents sur leur territoire ou à proximité, par exemple une guinguette ou une buvette saisonnière. Cela irait dans le sens de la revitalisation des communes rurales.
On obtient une licence IV gratuitement : en cas de défaillance, il est important que la commune puisse la récupérer et l’utiliser.
M. le rapporteur. Je comprends votre intention, mais la formule « lorsque l’initiative privée est défaillante » me pose problème.
M. François Gernigon (HOR). Pour moi, il s’agit d’une cessation d’activité définitive.
M. le rapporteur. Je vous propose de retirer l’amendement pour travailler ensemble à une nouvelle rédaction d’ici à la séance.
L’amendement est retiré.
Amendements AS37 et AS36 de M. François Gernigon, AS11 de M. Yannick Monnet et AS10 de M. Hadrien Clouet (discussion commune)
M. François Gernigon (HOR). Mes amendements proposent qu’il soit impossible de transférer une licence IV créée par dérogation en dehors de la commune – pour l’amendement AS37 – ou de l’intercommunalité – pour l’amendement AS36.
Il y a un risque de financiarisation : quelqu’un qui voudrait lancer une discothèque à 15 kilomètres, mais toujours dans la même commune, pourrait vouloir acheter cette licence à prix d’or – et le petit exploitant qui travaille dur, et qui a du mal à boucler ses fins de mois, pourrait être tenté de la vendre.
Et puisque toutes les communes de moins de 3 500 habitants qui n’en ont pas peuvent obtenir une licence gratuitement, pourquoi serait-elle transférable ?
M. Yannick Monnet (GDR). Notre amendement est similaire à l’amendement AS36. Nous reprenons une disposition votée dans la loi de 2019. L’idée de restreindre à la commune me paraît intéressante également. Les deux solutions nous conviendraient.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je me retrouve dans les propos des camarades Monnet et Gernigon ! La proposition de loi vise à faciliter l’ouverture de débits de boissons dans les plus petites communes ; si ces bistrots ferment, pour quelque raison que ce soit, leur licence est remise au pot commun, et elle peut être rachetée et transférée vers une ville plus importante, où les besoins ne sont pas les mêmes. Il y a un risque de développement d’un marché, donc d’enchères et de spéculation, et d’aspiration des licences vers les métropoles voisines.
Les différents amendements proposent différents critères pour interdire le transfert. Celui de la géographie, notamment de l’intercommunalité, ne me paraît pas satisfaisant : dans une intercommunalité, il peut y avoir de toutes petites communes et une autre beaucoup plus grande. Nous avons choisi le critère de la taille de la commune, qui me paraît plus efficace : nous nous assurons ainsi qu’un éventuel transfert se fera entre des communes de taille similaire.
M. le rapporteur. Ce marché existe depuis la création, en 1941, de ce système de licences, c’est-à-dire depuis des décennies : des licences sont régulièrement transférées, moyennant finances. Les prix vont de quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros en zone rurale à parfois plusieurs centaines de milliers dans les zones urbaines. Le législateur a déjà prévu des verrous : une licence ne peut pas être transférée d’un village vers Saint-Tropez ! L’article L. 3332‑11 du code de la santé publique impose une autorisation du représentant de l’État dans le département et l’avis favorable du maire, lorsque la licence IV est l’unique de la commune, ce qui est le cas ici.
Nous ne changeons pas ces règles. Puisque cette licence sera la seule de la commune, le maire pourra refuser son transfert ; le préfet aussi.
J’ajoute que ce texte, en créant des licences, aura un effet déflationniste sur le prix de transfert des licences.
Vos amendements me paraissent donc satisfaits. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je doute de l’effet déflationniste à moyen terme. La mise sur le marché de nouvelles licences risque de faire monter les enchères au profit des métropoles. Ne faudrait-il pas poser un verrou en plus du verrou départemental ? L’échelon intercommunal n’est pas totalement satisfaisant. Prenons l’exemple de la métropole toulousaine : rien n’empêcherait que la licence IV d’un bistrot qui ferme à Beaupuy ou à Aigrefeuille soit rachetée à Toulouse même. Ces licences doivent rester dans des communes de taille similaire, raison pour laquelle il faut ajouter une contrainte.
M. François Gernigon (HOR). Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec Hadrien Clouet. Vous créez une concurrence déloyale entre ceux qui auront acheté la licence et ceux qui l’auront obtenue gratuitement. Même s’il faut l’accord du préfet, je trouve dangereux de ne pas pouvoir contraindre davantage le transfert de licence à l’intérieur d’un département. Si l’on souhaite réellement défendre la ruralité, il ne faut pas rendre ces licences transférables.
M. le rapporteur général. On voit ce que l’on veut éviter, moins ce que l’on veut permettre. Nous pouvons réfléchir au périmètre mais les périmètres intercommunaux ne correspondent pas toujours aux bassins de vie ruraux, du fait de découpages étonnants. Enfin, je doute que les prix des licences IV s’envolent à court terme. Le modèle des bistrots est précaire et a besoin d’une diversification à laquelle la proposition de loi contribue.
M. le rapporteur. Je ne pense pas non plus que les prix s’envoleront, au contraire. Cette baisse va profiter à celles et ceux qui veulent monter un café en zone rurale et qui ne peuvent pas payer des dizaines de milliers d’euros pour une licence. M. Gernigon dit que c’est injuste pour ceux qui ont payé la licence, mais les propriétaires de ces cafés ruraux ne seront pas en concurrence avec eux.
Quant au transfert, il n’est pas automatique mais régi par des règles contraignantes, puisque le maire ou le préfet peuvent le refuser. Je ne propose ni de changer ces verrous ni de déréguler le secteur.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS12 de M. Yannick Monnet
M. Yannick Monnet (GDR). Pour trancher la question, je propose que la commune se prononce obligatoirement sur le transfert de toutes les licences IV. Redonner la maîtrise de ces licences aux communes moyennes qui ont des difficultés pour revitaliser leur centre‑ville ou leur offre commerciale nous paraît bénéfique.
M. le rapporteur. Ce serait une mesure de régulation excessive qui toucherait toutes les communes, quelle que soit leur taille, y compris dans des villes qui disposent de nombreuses licences, ce qui ne répond pas à l’objectif de la proposition de loi.
M. Yannick Monnet (GDR). Le sentiment de relégation des territoires ruraux existe aussi dans certains quartiers. Le maire doit être le chef d’orchestre de l’aménagement de son territoire, quel qu’il soit, et l’on sait l’importance d’un bar dans la vie d’un quartier.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS13 de Mme Karine Lebon
M. Yannick Monnet (GDR). L’amendement vise à rappeler les obligations en matière de respect de l’ordre public, de la santé, de la tranquillité et de la moralité publiques.
M. le rapporteur. Votre amendement me semble satisfait par la loi en vigueur. Demande de retrait.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article unique modifié.
Après l’article unique
Amendement AS31 de Mme Sandra Marsaud
Mme Sandra Marsaud (EPR). Nos zones rurales vivent aussi de festivals et de manifestations éphémères. Or une commune qui souhaite prêter sa licence à une organisation ou à une association pour un événement ponctuel ou saisonnier ne peut pas le faire. Nous proposons de créer une dérogation en ce sens.
M. le rapporteur. Une telle flexibilité serait en effet utile. Je suis favorable à votre amendement, sous réserve de sa réécriture. Demande de retrait.
L’amendement est retiré.
Amendement AS30 de M. René Lioret
M. René Lioret (RN). En France, le futur exploitant d’un débit de boissons doit suivre une formation pour obtenir son permis d’exploitation, qui couvre notamment : la réglementation spécifique à la vente d’alcool, les principes de prévention et de lutte contre l’alcoolisme, les règles de santé publique et de protection des mineurs et les obligations en matière d’hygiène et de sécurité. Toutefois, les défis relatifs à l’ouverture d’un café en zone rurale ne sont pas les mêmes qu’en zone urbaine – c’est d’ailleurs peut-être aussi pour cela que sur les quelque 120 établissements ouverts il n’en reste que 82 : plus faible densité de population, problèmes de mobilité, recherche d’activités multiservices. Cet amendement vise à proposer des modules de formation dédiés aux réalités économiques et sociales des territoires ruraux en plus des formations légales.
M. le rapporteur. Lors de nos auditions, nous avons constaté que la législation en matière de débits de boissons n’avait jamais été évaluée. De la même façon, il n’existe pas de répertoire national ni départemental des licences actives ou de leur transfert. Il me semblerait intéressant de demander un rapport sur ce sujet, plutôt que sur la formation des nouveaux exploitants.
Sagesse.
La commission rejette l’amendement.
Titre
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS49 de M. Guillaume Kasbarian.
En conséquence, l’amendement AS18 de Mme Sylvie Bonnet tombe.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
* *
En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
– Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/Z7r1GX
–Texte comparatif : https://assnat.fr/F6la2l
ANNEXE n° 1 :
Liste des personnes ENTENDUEs par le rapporteur
(par ordre chronologique)
Table ronde :
– Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) *– Mme Émilie Bono, directrice du département économique, juridique et fiscal, Europe et numérique, M. Franck Trouet, délégué général, et M. Johan Derderian, président de la branche des cafés-bars-brasseries-bowlings et président par intérim de la commission des enjeux numériques
– Fédération française des spiritueux *– Mme Lucile Talleu, directrice générale adjointe, M. Quentin Le Cléac’h, président de l’Association des distilleries indépendantes (ADI), et Mme Caroline Lecorguillier, administratrice
– Union des métiers de l’hôtellerie restauration (Umih) *– M. Laurent Lutse, président UMIH café, bar, brasserie, monde de la nuit, M. Philippe Carrion, directeur général, et Mme Chaïmae Karrout, juriste
Fédération française d’addictologie *– Dr Bernard Basset, secrétaire général, président national de l’association Addictions France
Groupe SOS – Mme Marie-Lou Poullot, directrice générale de 1000 cafés, et Mme Laure Lézat, directrice déléguée aux partenariats et au plaidoyer
Association des maires de France – Mme Catherine Lhéritier, présidente de l’association des maires de Loir-et-Cher, maire de Valloire-sur-Cisse, et Mme Judith Mwendo, responsable du département Administration et gestion communales
Ministère chargé de la santé – Direction générale de la santé – Sous-direction de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques – M. Patrick Ambroise, sous-directeur adjoint Santé des populations, prévention des maladies chroniques, et Mme Simone Alexe, cheffe du bureau Prévention des addictions
Ministère chargé de l’économie – Direction générale des entreprises – Sous-direction du commerce, de l’artisanat et de la restauration – M. Geoffroy Cailloux, chef de service de l’économie de proximité, et M. Arnaud Pacheu, chef de projets
Ministère de l’intérieur – Direction des libertés publiques et des affaires juridiques – M. Éric Ferri, sous-directeur des polices administratives
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
Annexe N° 2 :
liste des contributions écrites reçues par le rapporteur
Départements de France
Association des maires ruraux de France
Société française de santé publique
annexe n° 3 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi
Proposition de loi |
Dispositions en vigueur modifiées |
|
Article |
Codes et lois |
Numéro d’article |
Unique |
Code de la santé publique |
L. 3332‑3 |
([1]) Article L. 3332-2 du code de la santé publique.
([2]) https://www.amf.asso.fr/page-statistiques/36010, consulté le 28 février 2025.
([3]) Luc Bihl, Le droit des débits de boissons, 4e édition, 1992.
([4]) Ibid.
([5]) Insee, Élaboration des statistiques annuelles d’entreprises 2020, 2023.
([6]) https://www.economie.gouv.fr/commerce-rural-programme-reconqu%C3%AAte, consulté le 27 février 2025.
([7]) Audition de la direction générale des entreprises, le 27 février 2025.
([8]) Conseil d’analyse économique, Territoires, bien-être et politiques publiques, 2020.
([9]) Ibid.
([10]) Fondation de France, Solitudes 2023, (Re)liés par les lieux, 2024.
([11]) Ibid.
([12]) Audition du Groupe SOS « Programme 1000 cafés », le 21 février 2025.
([13]) https://www.info.gouv.fr/actualite/la-france-toujours-premiere-destination-touristique-au-monde, consulté le 1er mars 2025.
([14]) Audition de la direction générale de la santé, le 27 février 2025.
([15]) Santé publique France, La consommation d’alcool des adultes en France en 2021, Évolution récentes et tendances de long terme, 2023.
([16]) Ibid.
([17]) Insee, Prix moyens de vente de détail, 2025.
([18]) Application Leclerc Drive, consultée le 28 février 2025.
([19]) Contribution écrite transmise le 21 février 2025 par la Fédération française des spiritueux.
([20]) L’état du droit est présenté de manière exhaustive dans le commentaire de l’article unique.
([21]) Audition du Groupe SOS « Programme 1000 cafés », le 21 février 2025.
([22]) Contribution écrite transmise le 27 février 2025 par la Société française de santé publique.
([23]) L’état du droit est présenté de manière exhaustive dans le commentaire de l’article unique.
([24]) Audition de l’Association des maires de France, le 21 février 2025.
([25]) Article L. 3332-2 du code de la santé publique.
([26]) Article L. 3332-11 du code de la santé publique.
([27]) Audition du Groupement des Hôtelleries & Restaurations (GHR) de France, le 19 février 2025.
([28]) Contribution écrite transmise le 20 février 2025 par l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie.
([29]) Contribution écrite transmise le 20 février 2025 par le Groupement des Hôtelleries et Restaurations de France.
([30]) Audition du Groupe SOS « Programme 1000 cafés », le 21 février 2025.
([31]) Audition de la direction générale des entreprises, le 27 février 2025.
([32]) Contribution écrite transmise le 27 février 2025 par la direction générale des entreprises.
([33]) Loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
([34]) Ordonnance n° 2015-1682 du 17 décembre 2015 portant simplification de certains régimes d’autorisation préalable et de déclaration des entreprises et des professionnels.
([35]) Article L. 3331-1 du code de la santé publique.
([36]) Article L. 3331-2 du code de la santé publique.
([37]) Article L. 3331-3 du code de la santé publique.
([38]) Le transfert peut intervenir au-delà des limites du département où la licence se situe lorsqu’il est réalisé au profit d’établissements, notamment touristiques.