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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (n° 954)
PAR M. StÉphane Travert
Député
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Voir le numéro : 954.
SOMMAIRE
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Pages
Article 1er Prolongation du relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions
Liste des personnes auditionnÉes
Lors des « États généraux de l’alimentation » qui se sont tenus en 2017, les parties prenantes ont unanimement souhaité la mise en œuvre d’une série de mesures permettant de rééquilibrer les relations commerciales en recréant de la valeur dans la chaîne agroalimentaire.
Le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et l’encadrement des promotions sur les produits alimentaires font partie intégrante d’un ensemble cohérent de dispositifs issu des lois dites « Égalim ».
Ces mesures étaient conçues comme le complément indispensable de la réforme des règles de contractualisation entre agriculteurs et transformateurs, avec l’objectif affiché que « chacun puisse vivre dignement et sereinement de son travail dans le cadre de relations commerciales entre égaux » ([1]).
Ainsi, l’article 15 de la première loi Égalim, promulguée le 30 octobre 2018 à la suite des États généraux de l’alimentation, prévoyait d’habiliter le Gouvernement à légiférer pour relever le seuil de revente à perte et encadrer en valeur et en volume les opérations promotionnelles portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie.
Le relèvement du seuil de revente à perte a pour objectif d’assurer des conditions de négociation plus favorables aux fournisseurs et ainsi d’améliorer le fonctionnement du marché, en réduisant les distorsions entre, d’une part, des produits d’appel source de tensions permanentes entre industriels et distributeurs et, d’autre part, des produits de prix plus élevés et dont les niveaux de marge pénalisent les fournisseurs pour l’accès au marché et les consommateurs pour l’accès à ces produits.
La « péréquation » des marges entre les produits, inhérente au métier des distributeurs, peut déséquilibrer les marchés et pénaliser les fournisseurs et les producteurs agricoles lorsqu’elle donne lieu à des excès. Le relèvement du seuil de revente à perte vise à renforcer l’équilibre général de la négociation grâce à une meilleure péréquation entre produits.
Le surplus de marge sur certains produits résultant de la règle dite « SRP + 10 » devait permettre aux distributeurs de revaloriser les tarifs accordés à leurs fournisseurs de produits alimentaires qui, à leur tour, pouvaient mieux rémunérer les producteurs.
Ainsi cette démarche, loin d’être contraire à la logique de « marche en avant » dans la construction des prix des produits agricoles et alimentaires qui guide le législateur depuis la première loi Égalim, en est le complément nécessaire.
Il en va de même de l’encadrement en valeur et en volume des opérations promotionnelles portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie. Les excès en matière de promotion sur les produits alimentaires sont destructeurs de valeur pour les filières concernées et ils privent le consommateur de repères quant au juste prix de son alimentation.
La construction du prix « en marche avant » et, en particulier, la sanctuarisation du prix de la matière première agricole tout au long de la chaîne de production et de distribution des produits alimentaires seraient vaines si, au bout de cette chaîne, les distributeurs pouvaient demander aux fournisseurs de financer des promotions trop importantes.
Ces deux dispositifs ont donc été conçus pour lever les freins à la mise en œuvre de la logique de « marche en avant » de la construction des prix des produits alimentaires.
Certes ils ne suffisent pas à assurer à eux seuls cette marche en avant. D’autres dispositions ont été prises par les trois lois Égalim successives pour assurer aux agriculteurs de vendre leurs productions à un prix couvrant leurs coûts de revient, en y intégrant une rémunération décente au regard du travail fourni. Ces dispositions devront certainement faire l’objet de nouveaux ajustements dans les mois qui viennent pour trouver le moyen d’imposer, en toutes circonstances, la prise en compte des coûts de production agricoles dans le prix payé aux agriculteurs.
La présente proposition de loi a un objet plus circonscrit, à savoir prolonger des dispositifs qui sont le complément utile et nécessaire de règles qui doivent garantir la marche en avant des prix agricoles.
Article adopté par la commission avec modifications
Cet article a pour objet de prolonger jusqu’au 15 avril 2028 le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions, tout en excluant de ce dernier dispositif les produits de droguerie, parfumerie et hygiène.
Sur le fondement de l’article 15 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Égalim », l’article 2 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires prévoit que, pour une durée de deux ans, « le prix d'achat effectif défini au deuxième alinéa du I de l’article L. 442-5 du code de commerce est affecté d'un coefficient de 1,10 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur. ».
Cette règle dite « SRP + 10 » a été reconduite jusqu’au 15 avril 2023 par l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l'action publique, dite loi « Asap », puis jusqu’au 15 avril 2025 par l’article 2 de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi « Égalim 3 » (qui en a exclu, dans le même temps, les fruits et légumes frais et les bananes).
Dispositions du code de commerce relatives au seuil de revente à perte
La revente à perte est définie par l’article L. 442-5 du code de commerce comme « le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif ». Depuis la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, le prix d’achat effectif est défini comme « le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport ».
La revente à perte est punie de 75 000 euros d’amende, hormis sept exceptions précisées au même article L. 442-5 du code de commerce.
Le seuil de revente à perte peut être modulé par l’affectation d’un coefficient au prix effectif. Outre l’expérimentation ouverte par l’ordonnance prévue en application de la loi Égalim, le droit prévoit ainsi une minoration de ce seuil pour les grossistes : « Le prix d’achat effectif est affecté d’un coefficient de 0,9 pour le grossiste qui distribue des produits ou services exclusivement à des professionnels qui lui sont indépendants et qui exercent une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de services final. » (article L. 442-5 du code de commerce).
L’article 3 de l’ordonnance précitée du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires prévoit, pour une durée de deux ans et pour les avantages promotionnels, immédiats ou différés, ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ou de produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, un encadrement en valeur de 34 % du prix de vente au consommateur ([2]). Il prévoit également un encadrement de ces promotions en volume, puisque ces dernières ne peuvent porter que sur des produits qui ne représentent pas plus de 25 % du volume d’affaires convenu entre le fournisseur et le distributeur.
Comme pour le SRP + 10, ce dispositif d’encadrement des promotions a été reconduit jusqu’au 15 avril 2023 par l’article 125 de la loi Asap. Les calendriers des deux dispositifs ont, en revanche, été découplés à compter de la loi du 30 mars 2023, puisque l’encadrement des promotions a été prolongé jusqu’au 15 avril 2026 alors que le SRP + 10 s’était vu fixer un terme au 15 avril 2025. Cette différence de traitement entre les deux dispositifs est apparue lors de la discussion de la loi Égalim 3 au Sénat, alors qu’était envisagée une suspension du SRP + 10 en raison des tensions inflationnistes.
Surtout, l’article 7 de cette loi a procédé à un élargissement du champ d’application des dispositions de l’article 125 de la loi Asap relatives à l’encadrement des promotions : alors que ce dispositif n’était jusqu’alors applicable qu’aux seules promotions sur les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, il le devient aux promotions sur l’ensemble des produits de grande consommation, donc aux produits de droguerie, parfumerie et hygiène (DPH), à compter du 1er mars 2024.
L’étude d’impact du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable justifiait la durée de deux ans alors retenue pour expérimenter le relèvement du seuil de revente à perte par la nécessité de pouvoir « en mesurer pleinement les effets sur l’ensemble des acteurs de la filière, y compris les consommateurs, avant, le cas échéant, de pérenniser cette mesure dans le code de commerce ».
Six ans après le début de cette expérimentation, force est de constater que la succession des évènements et des perturbations de l’économie ont empêché de mesurer et d’isoler les effets de la mesure pour l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire, de l’agriculteur au consommateur.
L’expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte a fait l’objet de deux rapports d’évaluation réalisés par des économistes indépendants et remis par le Gouvernement au Parlement en octobre 2020 et février 2022 ([3]).
Certes, les auteurs de ces rapports n’ont pas réussi à analyser les impacts de ces mesures sur le revenu des agriculteurs. Ils ont néanmoins conclu que, pris ensemble, l’encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte n’avaient eu qu’un très faible effet inflationniste sur les produits alimentaires : pour l’ensemble de ces produits, l’effet inflationniste attribuable aux deux dispositifs est évalué à 0,17 % entre mars 2019 et février 2020.
La critique relative à l’effet inflationniste du SRP + 10 doit donc être largement relativisée.
Source : Rapport au Parlement, Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique), 24 février 2022, p. 21.
Pour autant, l’évaluation du dispositif doit être approfondie, car l’objectif poursuivi par le relèvement du seuil de revente à perte est que le surcroît de marge sur les produits d’appel permette aux distributeurs de revaloriser les tarifs accordés à leurs fournisseurs de produits alimentaires et, indirectement, aux producteurs. Le caractère fondé de cette intuition doit encore être démontré.
L’article 2 de la loi Égalim 3 a complété les dispositions de l’article 125 de la loi Asap relatives au rapport annuel du Gouvernement au Parlement évaluant les effets du « SRP + 10 » sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur.
Ce rapport doit, en principe, fournir des informations sur l’usage par les distributeurs, depuis 2019, du surcroît de chiffre d’affaires résultant du relèvement du seuil de revente à perte. Mais cette évaluation n’a jamais pu être fournie par le Gouvernement, qui soutient ne pas être en mesure de la livrer faute de pouvoir recueillir des données utiles auprès des distributeurs.
Pourtant les distributeurs sont tenus, sur le fondement du IV bis de l’article 125 précité de la loi Asap, de « transmettre aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture, avant le 1er septembre de chaque année, un document présentant la part du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du “SRP + 10” qui s’est traduite par une revalorisation des prix d’achat des produits alimentaires et agricoles auprès de leurs fournisseurs ». Le Gouvernement doit transmettre au président de la commission chargée des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat ce document, qui ne peut être rendu public.
Une synthèse des réponses des distributeurs sur l’utilisation faite du surplus de chiffre d’affaires généré par le relèvement du seuil de revente à perte a bien été transmise au Parlement par le Gouvernement en 2024. Mais elle fait état d’un retour de la part de trois distributeurs uniquement et son contenu paraît assez pauvre. Les distributeurs soutiennent, quant à eux, qu’ils fournissent les informations dont ils disposent, mais qu’à défaut de méthodologie fournie par l’administration, ils ne sont pas en mesure de savoir précisément ce qui est attendu.
L’évaluation du dispositif doit donc impérativement progresser : si le caractère très limité de l’effet inflationniste du SRP + 10 a été établi, l’utilisation faite du surplus de marge généré par le relèvement du seuil de revente à perte reste à établir. Pour avancer dans cette voie, votre rapporteur soutiendra, lors de l’examen en commission, les propositions d’amendement permettant de rendre plus effectif le dispositif de remontée des données déjà inscrit dans la loi.
En dépit de ces carences dans l’évaluation du dispositif, l’abandon pur et simple du SRP + 10 ne peut être raisonnablement envisagé alors que la protection de la valeur tout au long de la chaîne de production et de distribution agroalimentaire demeure une priorité.
D’une part, les acteurs économiques qui participent aux négociations commerciales expriment dans une quasi-unanimité une demande de stabilité des règles, notamment s’agissant du SRP + 10.
D’autre part, la disparition du SRP + 10 aurait mécaniquement pour effet d’exacerber la guerre des prix entre distributeurs, ce qui fragiliserait certains producteurs et fournisseurs, dont les produits se trouveront utilisés en tant que produits d’appel, et d’autres producteurs et fournisseurs, qui verront leurs produits privés de débouchés en raison de leur renchérissement pour le consommateur du fait d’excès dans la péréquation des marges.
La proposition de prolonger le SRP + 10 est aussi partagée par les rapporteurs du groupe de suivi des lois Égalim du Sénat ([4]) et par ceux de la mission d’évaluation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite loi « Égalim 2 », de l’Assemblée nationale ([5]).
L’article unique de la présente proposition de loi prévoit donc de prolonger jusqu’au 15 avril 2028 les dispositifs du SRP + 10 et de l’encadrement des promotions. Il semble en effet pertinent de rétablir une date d’échéance commune pour deux dispositifs qui participent d’un ensemble cohérent au service la protection de la valeur de nos productions agricoles et alimentaires.
À l’occasion de la prolongation du dispositif d’encadrement des promotions jusqu’au 15 avril 2028 envisagé par la présente proposition de loi, la question du champ d’application de ce dispositif se pose nécessairement.
En effet, l’encadrement des promotions a été élargi aux produits de droguerie, de parfumerie et d’hygiène (DPH) à compter du 1er mars 2024 afin de mettre fin au report sur ces produits des promotions qui ne pouvaient plus être proposées sur les produits alimentaires depuis 2019 ([6]).
La présente proposition de loi fait le choix de recentrer le dispositif d’encadrement des promotions sur les produits alimentaires. En effet, les produits de DPH ne présentent pas les mêmes enjeux et l’encadrement des promotions les concernant ne participe pas à l’ensemble cohérent établi pour permettre aux agriculteurs de valoriser leurs productions à leur juste mesure.
Une suppression de l’encadrement des promotions sur les produits de DPH permettrait de redonner plus de liberté commerciale aux distributeurs, qui voient les volumes de ventes de ces produits s’éroder ([7]), même si ce phénomène n’est pas en lien direct avec l’encadrement des promotions depuis le 1er mars 2024. Les consommateurs sont, en tout état de cause, sensibles aux promotions importantes sur ces produits.
Néanmoins, qu’ils soient français ou étrangers, de nombreux fabricants de produits de DPH sont présents sur le territoire national et les secteurs « Cosmétique » et « Hygiène » sont pourvoyeurs de 85 000 emplois directs en France. L’idée de protéger ces entreprises du déport de la guerre des prix vers les produits du DPH mérite certainement d’être évaluée.
Aussi, votre rapporteur estime-t-il que le texte de la proposition de loi doit être modifié pour laisser l’expérimentation lancée en 2024 aller au moins jusqu’à son terme initialement prévu, soit le 15 avril 2026.
La commission a adopté plusieurs amendements permettant de renforcer le dispositif d’évaluation du relèvement du seuil de revente à perte.
Elle a ainsi adopté l’amendement CE6 présenté par notre collègue Dominique Potier, avec un avis favorable du rapporteur, qui prévoit que le rapport évaluant les effets de l’article 125 de la loi Asap sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires doit être réalisé sur la base des documents présentant la part du surplus de chiffre d'affaires induit par le SRP + 10 remis par les distributeurs.
L’amendement CE30 du rapporteur instaure une sanction en cas d’absence de transmission des éléments requis des distributeurs. Le niveau de la sanction encouru est le même que pour la méconnaissance du seuil de revente à perte, soit 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale.
Deux sous-amendements CE44 et CE45 du rapporteur ont été adoptés sur l’amendement CE5 de notre collègue Mélanie Thomin, lui-même adopté ainsi sous-amendé. L’amendement instaure l’obligation, à la charge des industriels, de transmettre au Gouvernement des données relatives aux surplus de revenus générés pour eux par les dispositifs du SRP + 10 et de l’encadrement des promotions, ainsi que des éléments relatifs à l’amélioration de la rémunération de leurs propres fournisseurs en matière première agricole. Ce dispositif est assorti d’une sanction identique à celle prévue pour les distributeurs.
Enfin, les amendements identiques CE28 du rapporteur et CE42 de notre collègue Anne-Sophie Ronceret repoussent au 15 avril 2026 la fin de l’encadrement des promotions pour les produits du DPH. L’expérimentation du dispositif pour ces produits pourra ainsi aller jusqu’au terme initialement prévu par la loi Égalim 3. Ces amendements prévoient également une entrée en vigueur immédiate pour la prolongation du SRP + 10.
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Article créé par la commission
Cet article complète l’article L. 442-5 du code de commerce relatif à la revente à perte, afin de lever toute incertitude sur le fait que les produits vendus sous marque de distributeur entrent dans son champ d’application.
L’amendement CE3, déposé par notre collègue Richard Ramos, a été adopté après avoir reçu un avis favorable du rapporteur.
L’article 2 ainsi créé, qui complète l’article L. 442-5 du code de commerce, vise à lever toute incertitude sur le fait que les produits vendus sous marque de distributeur entrent bien dans le champ d’application du dispositif de relèvement du seuil de revente à perte.
La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (n° 954) (M. Stéphane Travert, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je tiens tout d’abord à rappeler qu’une délégation du bureau de notre commission, composée des vice-présidents Charles Fournier, Pascal Lecamp et Jean-Pierre Vigier et de moi-même, s’est rendue, il y a dix jours, à Mayotte. Nous y avons rencontré nombre d’acteurs locaux – élus, agents de l’État, associations humanitaires et environnementales, agriculteurs, syndicats et entrepreneurs – qui nous ont fait part de leurs grandes difficultés et de leurs attentes. Les défis sont grands et multiples, qu’il s’agisse d’agriculture, de logement, d’infrastructures ou d’accès aux services essentiels. J’espère que nous mettrons à profit les enseignements de ce déplacement lors de l’examen, vraisemblablement d’ici deux ou trois mois, du futur projet de loi-programme de refondation de Mayotte, qui devrait comporter un volet consacré au développement économique.
En ce qui concerne la proposition de loi dont nous sommes saisis, l’encadrement des promotions et pratiques commerciales dans le domaine alimentaire constitue un sujet essentiel pour notre commission et notre économie, mais aussi d’actualité puisque les négociations commerciales viennent de s’achever.
Le dispositif de relèvement du seuil de revente à perte de 10 %, dit « SRP + 10 », avait été instauré par la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Égalim 1 », sous forme d’une expérimentation, pour éviter des promotions trop agressives, qui pourraient nuire aux fournisseurs et aux producteurs agricoles.
La présente proposition de loi comporte un article unique qui, d’une part, restreint le champ d’application de l’encadrement des promotions, en excluant le secteur « Droguerie, pharmacie, hygiène » (DPH), et, d’autre part, prolonge jusqu’au 15 avril 2028 le SRP +10, qui arrivera à échéance le 15 avril prochain.
Je déplore le manque de données solides et indépendantes pour évaluer les mécanismes qui se sont additionnés au fil des lois Égalim et mesurer les marges réalisées tout au long de la chaîne de valeur agricole et alimentaire. Il est difficile pour le législateur de travailler dans un tel brouillard. J’espère que nos travaux permettront de combler ces lacunes.
Je précise que deux amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, et qu’aucun ne l’a été au titre de son article 40. La commission aura ainsi à examiner quarante et un amendements.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Cette proposition de loi, que j’ai cosignée avec notre collègue Julien Dive, répond à une urgence : le SRP + 10 arrivant à échéance le 15 avril prochain, nous avons à décider de sa prorogation.
Il nous appartient également de nous prononcer sur le renouvellement de l’encadrement des promotions en valeur et en volume, dont le terme est fixé au 15 avril 2026, ainsi que sur la délimitation de son champ d’application. Autrement dit, souhaitons-nous maintenir l’élargissement aux produits DPH, entré en vigueur le 1er mars 2024 en vertu de la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi « Descrozaille », ou revenir au périmètre initial – à savoir, les produits agricoles ?
Ces deux dispositifs forment, avec d’autres, un ensemble cohérent issu des lois Égalim. Ils complètent les règles de contractualisation entre les agriculteurs et les transformateurs et l’encadrement des négociations commerciales, dont l’objectif commun est d’améliorer le revenu des agriculteurs. La valeur de leur production doit ainsi être reconnue tout au long de la chaîne de construction des prix alimentaires et, au bout de celle-ci, la guerre des prix entre distributeurs ne doit pas ruiner le travail de construction du prix « en marche avant ».
Voilà pourquoi en 2018, dans la loi Égalim que j’avais présentée en tant que ministre de l’agriculture, le Parlement avait habilité le Gouvernement à instaurer par ordonnance le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions pour les produits alimentaires. Ce fut chose faite avec l’ordonnance du 12 décembre 2018. Les deux dispositifs ont ensuite été prolongés jusqu’au 15 avril 2023 par l’article 125 de la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi « Asap ». Puis, en 2023, la loi Descrozaille a prolongé le SRP + 10 jusqu’au 15 avril 2025, après que les fruits et légumes frais ont été, à leur demande, exclus de son champ d’application tandis que l’encadrement des promotions a été prorogé jusqu’au 15 avril 2026.
Afin de rétablir la synchronisation de ces deux mesures, il est proposé de les prolonger toutes deux jusqu’au 15 avril 2028 – il est difficile d’adopter un calendrier plus serré, sachant que les acteurs économiques ont besoin de visibilité et de stabilité. Par ailleurs, nous pouvons tous nous accorder sur le fait que le début de l’année 2027 sera peu propice à une discussion parlementaire sur un tel sujet.
La prolongation du SRP + 10 est réclamée par les fédérations représentant les industriels, par l’ensemble des distributeurs, à l’exception du leader du marché, qui fonde sa stratégie sur les prix bas, ainsi que par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Cette dernière redoute que l’exacerbation de la guerre des prix entre distributeurs, qui suivrait inévitablement la disparition du SRP + 10, pèse sur la capacité des maillons amont à faire passer les coûts de production agricole vers l’aval. Le souci d’une juste répartition de la valeur et de meilleures conditions d’achat de la matière première agricole reste d’actualité.
Je suis convaincu que la prorogation est fondée. Toutefois, pas plus que vous et que la présidente de notre commission, je ne me satisfais de l’évaluation du dispositif, qui est décevante alors même que ses contours ont été précisés par la loi Descrozaille. Cette évaluation est censée détailler comment le surplus de marge généré par le relèvement du seuil de revente à perte a été utilisé ; or je constate que les distributeurs et le Gouvernement se renvoient la balle sur l’incapacité à fournir des données précises sur ce point. Je suis donc ouvert à l’introduction dans le texte d’un mécanisme de sanction contre les distributeurs et les industriels qui ne fournissent pas toutes les données nécessaires. La question de la contribution des industriels à l’effort de transparence doit également être posée.
Des enseignements peuvent tout de même être tirés des rapports d’évaluation remis au Parlement en 2020 et en 2022. Contrairement à ce qui est parfois avancé, l’effet inflationniste du SRP + 10 et de l’encadrement des promotions est très faible ; ces dispositifs sont sans lien avec les tensions inflationnistes que nous avons connues en 2022 et 2023.
Quant à l’encadrement des promotions, il est peut-être encore plus consensuel que le SRP + 10, s’agissant de son volet alimentaire. En revanche, l’élargissement au DPH par la loi Descrozaille, à compter du 1er mars 2024, a éloigné le dispositif de son objet initial, à savoir la préservation de la valeur de la production agricole. L’intention du législateur était alors d’empêcher le report sur le DPH des promotions qui ne pouvaient plus être proposées sur les produits alimentaires depuis 2019.
Le choix de maintenir ou non cet élargissement n’a rien d’évident. D’un côté, toute contrainte sur la politique commerciale des enseignes doit être prudemment envisagée et le fait d’assigner plusieurs objectifs simultanés à un dispositif peut en amoindrir l’efficacité. D’un autre côté, le secteur du DPH représente quatre-vingt-cinq mille emplois directs en France et on ne peut pas faire fi du risque de fragilisation des entreprises. Je vous propose donc de poursuivre l’expérimentation de l’encadrement des promotions sur le DPH jusqu’à son terme, initialement prévu le 15 avril 2026. Cette solution contribue à la stabilité recherchée par le texte et répond au souhait, exprimé lors des auditions, d’un compromis pour protéger nos PME et nos emplois. Nous avons entendu les acteurs des territoires ainsi que les représentants des PME et du tissu industriel français.
Voilà, mes chers collègues, les termes du débat à l’issue duquel, je l’espère, nous parviendrons au compromis nécessaire pour que la proposition de loi soit adoptée.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Hélène Laporte (RN). Nous voici réunis pour prolonger pour trois ans un dispositif en vigueur depuis six ans, censément destiné à soutenir le revenu des agriculteurs mais dont personne n’a jamais pu prouver le moindre effet sur les prix versés aux producteurs. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ubuesque ?
Depuis la loi du 2 juillet 1963, la vente à perte est interdite en France – une saine mesure protégeant les petits commerçants de la concurrence déloyale des grandes structures qui, du fait de leur poids économique, pourraient les mener à la faillite par des pratiques commerciales agressives. Mais, en 2018, c’est avec un tout autre objectif qu’un coup de génie du pouvoir macroniste a relevé de 10 % le seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires : en obligeant les distributeurs à dégager des marges significatives, la loi devait procurer au secteur une manne financière nouvelle, qui ne pouvait que ruisseler jusqu’à l’autre bout de la chaîne de production, permettant enfin à nos agriculteurs de vendre leur production à un prix décent. De la pensée complexe à la pensée magique, il n’y a, comme souvent, qu’un petit pas qu’on peut hésiter à franchir.
Si l’effet de cette mesure sur le revenu agricole est nul, l’addition pour le consommateur français est pour le moins salée : entre six cents millions et un milliard d’euros chaque année, selon les syndicats de l’industrie agroalimentaire ; 1,6 milliard sur les deux premières années, selon UFC-Que choisir. In fine, quelles caisses ont été renflouées par ces milliards d’euros tirés de l’inflation sur les produits alimentaires ? À ce jour, personne n’a été en mesure de fournir une réponse précise.
Si nous approuvons l’exclusion des produits DPH du champ de l’encadrement des marges, qui vient réparer une erreur regrettable de la loi Descrozaille – je note d’ailleurs combien les textes émanant de ce camp politique se suivent et se contredisent –, la prolongation du SRP + 10 pour trois nouvelles années n’est pas acceptable à nos yeux. La reconduction, pour une période aussi longue, d’un dispositif qui n’a jamais fait ses preuves pour protéger les prix de vente des producteurs agricoles est une manière de vous dédouaner, sans avoir à rechercher une solution vraiment efficace. Pourtant, les outils pour atteindre l’objectif existent : instauration de prix plancher, soutien accru aux organisations de producteurs dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), sanctions réellement dissuasives contre le non-respect et le contournement des lois Égalim. Nous espérons des avancées substantielles dans le texte dit « Égalim 4 », qui nous est promis pour les prochains mois, à moins qu’il ne soit une nouvelle fois reporté – nous commençons à en avoir l’habitude.
Nous voterons donc contre le texte en l’état, mais nos amendements proposeront des pistes pour en limiter les dégâts. Je rappellerai pour conclure ce que nous devrions tous tenir pour une évidence : ce n’est pas en punissant les ménages français que nous reconstruirons l’agriculture de notre pays.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je ne partage évidemment pas votre appréciation sur notre projet en 2018. Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire ; mais l’instauration du SRP + 10, après y avoir travaillé avec les filières et les organisations agricoles, reposait sur l’idée suivante : la manne que procurait la marge brute de 10 % supplémentaire sur certains produits de la grande distribution devait servir à acheter à un meilleur prix la matière première agricole et à rétablir une plus juste répartition de la valeur – tels étaient les objectifs de la loi Égalim.
Néanmoins et je vous rejoins sur un point, l’évaluation du dispositif n’est pas satisfaisante, en particulier sur l’usage de la marge excédentaire. C’est la raison pour laquelle je propose de durcir les exigences en la matière. Il nous faut obtenir des chiffres de la part des industriels mais aussi de la grande distribution. Nous assistons aussi à un jeu de « poker menteur » entre les distributeurs et le Gouvernement, les premiers affirmant qu’ils ont adressé les données au second, lequel répond qu’il ne les a pas reçues.
Comment peut-on objectiver les données ? Il suffit d’aller les chercher et de créer un outil dédié et piloté par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La filière laitière est un exemple d’utilisation probante de la manne créée par le SRP + 10.
Mme Olivia Grégoire (EPR). Depuis 2017, la France a fait un choix clair par les lois Égalim : mieux protéger nos agriculteurs, garantir la non-négociabilité des matières premières agricoles et instaurer un seuil de revente à perte pour lutter contre la guerre des prix irraisonnée.
Le SRP + 10, demandé dès 2017 par la FNSEA ainsi que par les filières, est une mesure plus économique et financière que strictement agricole. En effet, sans lui, il y a fort à parier que les acteurs les plus agressifs du marché n’auraient pas hésité à faire baisser encore les prix, affaiblissant un peu plus les faibles et renforçant les forts.
C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République soutient la prolongation du SRP + 10. Ce mécanisme a apporté aux agriculteurs une protection essentielle, notamment pendant la récente période de forte inflation, même si telle n’était pas sa raison d’être. Sa suppression brutale aurait pour conséquence de rouvrir en grand les vannes du dumping commercial et de relancer la guerre des prix, que le SRP + 10 a contribué à calmer.
Si la prolongation s’impose donc pour éviter une déstabilisation du marché, il devient crucial de s’assurer, par un contrôle renforcé, que le transfert de marge profite bien aux producteurs. Les trois ans supplémentaires doivent être mis à profit pour prouver que le SRP + 10 est bien utile aux agriculteurs, en s’appuyant sur des données qualifiées. La filière laitière en est la preuve : là où des évaluations ont été réalisées, des effets positifs sont visibles. Notre groupe plaide donc pour une prolongation du SRP + 10, assortie d’une exigence de transparence et d’un mécanisme de sanctions pour garantir son efficacité. Les distributeurs, comme les industriels, devront justifier de l’utilisation des 10 % de marge supplémentaire dans le cadre d’une collecte de données organisée par la DGCCRF et ceux qui ne respecteront pas les règles du jeu devront être sanctionnés financièrement.
Il nous semble également essentiel de distinguer ce qui relève de la souveraineté alimentaire de ce qui n’en relève pas. C’est à ce titre que nous proposons de supprimer l’encadrement des promotions sur les produits DPH en 2026. Ceux-ci ne sont pas soumis aux mêmes défis agricoles et industriels que les denrées alimentaires et, dans ce domaine, la déconsommation est claire. Selon Circana, le marché du DPH en grande surface s’est replié de 3,3 points en volume au cours des onze premiers mois de l’année et la baisse entre 2024 et 2023 a atteint 5,1 %.
Le SRP + 10 n’a pas la même portée que la non-négociabilité de la matière première agricole. Il n’en demeure pas moins qu’il a été un bouclier empêchant la guerre effrénée des prix. À nous désormais de faire en sorte que nous disposions des données nécessaires à une évaluation robuste.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Vous avez raison d’insister sur la non-négociabilité de la matière première agricole et sur la hausse des prix auxquels les distributeurs achètent aux agriculteurs.
Il importe de maintenir l’expérimentation pour évaluer ses effets au cours d’une année normale – nous n’en avons guère connu depuis l’instauration du SRP + 10, puisqu’à la covid-19 a succédé une inflation galopante, puis la guerre aux portes de l’Europe. Ces événements ont grandement influencé les politiques d’achat de certaines filières. L’année 2025-2026 peut être l’occasion d’objectiver les données, à condition de disposer des outils pour les récolter auprès des industriels et de la grande distribution, et ainsi de mesurer l’efficacité du dispositif. Nous ne voulons pas d’une guerre des prix préjudiciable à l’ensemble des agriculteurs.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Comme le disait un certain Emmanuel Macron, « Je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché. ». Les gouvernements successifs ont eu recours non pas à une, à deux, mais bien à trois – et bientôt quatre ! – lois Égalim pour prétendument essayer de fixer des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Or, les agriculteurs attendent toujours les effets positifs de ces lois.
Parmi les mesures phares des lois Égalim, le SRP + 10 oblige les distributeurs à fixer des prix au moins 10 % au-dessus du seuil de revente à perte, donc à s’octroyer une marge d’au moins 10 % pour que les profits générés ruissellent naturellement jusqu’aux agriculteurs par la bonté naturelle des dirigeants des multinationales de la grande distribution. Six ans après, surprise ! Ça n’a pas marché.
Pour les agriculteurs, le rapport, produit par le Gouvernement lui-même pour évaluer les effets de la loi Égalim, conclut que l’idée du ruissellement automatique n’a pas de fondement économique. Le ruissellement de la valeur ajoutée vers l’amont dépend en effet des conditions des négociations commerciales.
De son côté, UFC-Que choisir a mené une étude sur quatre filières (céréales, viande de porc, viande de bœuf et lait). Il en ressort que le revenu agricole a baissé en 2019, année de la mise en œuvre du SRP + 10, pour trois des quatre filières étudiées et a stagné pour la filière laitière.
Mais en plus d’être inefficace pour les agriculteurs, cette mesure a un effet pervers pour les consommateurs car le SRP + 10 est inflationniste. UFC-Que choisir a chiffré le coût de cette mesure en inflation à 1,6 milliard d’euros sur les deux premières années. L’effet est loin d’être neutre, puisqu’il porte majoritairement sur les produits alimentaires courants ainsi que sur les produits « premier prix ». Même le rapport du Gouvernement l’admet : « La nature probable des produits concernés par le relèvement du SRP tend à indiquer qu’une redistribution défavorable aux ménages à faible pouvoir d’achat est envisageable. »
Plus pervers encore : la suppression pure et simple du SRP + 10 en vigueur depuis six ans, sans lui substituer un dispositif alternatif, pourrait conduire au pire ; elle risquerait d’accentuer la guerre des prix et les premières victimes en seraient les petites et moyennes entreprises ou les agriculteurs.
Aussi, nous ne pourrons pas nous opposer à la proposition de loi, mais nous appelons à cesser d’affirmer que cette mesure est efficace. Nous avons besoin d’un encadrement véritable des marges de la grande distribution ; l’instauration d’un seuil supérieur est indispensable, parce que la distribution est aujourd’hui la seule à tirer parti de la situation en engrangeant toujours plus de profits. Nous devons faire en sorte que les prix soient accessibles pour les consommateurs – certains de nos amendements vont en ce sens.
Il est temps d’accepter la mise en place de conférences de filière régulières, qui établissent des prix planchers rémunérateurs. La France insoumise a présenté plusieurs fois des propositions de loi en ce sens et elle persistera jusqu’à leur mise en application.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je suis favorable aux conférences de filière : c’est ce qu’on appelle les « États généraux de l’alimentation ». Je suis partisan d’un nouveau tour de piste pour faire le point et tracer des perspectives. Il faut réfléchir à la direction dans laquelle chaque filière doit aller, planifier la production et valider des outils de compétitivité. Par le dialogue entre l’amont et l’aval, on pourra aussi objectiver les données utiles pour apprécier l’efficacité (ou non) du SRP + 10.
Je crois en ce dispositif. Lorsque nous en avons pris l’initiative, nous avions la certitude que l’augmentation des marges dans la grande distribution permettrait de mieux acheter la matière première agricole. La filière laitière est un exemple de cet effet bénéfique. C’est le cas dans toutes les filières dans lesquelles la contractualisation fonctionne bien. Je souhaite que la contractualisation se développe dans d’autres filières, car elle assure des résultats probants.
En tout état de cause, on ne peut pas abandonner un dispositif au milieu du gué. Une ou deux années supplémentaires sont nécessaires pour juger sérieusement de sa pertinence.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Alors que nous aurons bientôt à travailler sur la quatrième version de la loi Égalim, force est de constater que la loi du plus fort continue de dominer les négociations commerciales. L’objectif affiché étant de rééquilibrer les rapports de force entre producteurs, agro-industriels et distributeurs, la future loi devra aller plus loin que les précédentes et afficher une véritable volonté de régulation. Nous défendrons un meilleur partage de la valeur, une sanctuarisation de la matière première agricole, la construction du prix en marche avant, la contractualisation et le renforcement des organisations de producteurs.
Le SRP + 10, dont la prolongation nous est demandée, ne répond pas aux attentes de la profession agricole. Loin du ruissellement promis des marges vers les producteurs, ce mécanisme n’a profité qu’à la grande distribution et aux agro-industriels, la hausse de la rémunération des agriculteurs n’étant nullement prouvée. Son maintien en l’état et sans gage de contrôle serait un nouvel aveu de l’échec des lois Égalim et de leur incapacité à garantir un revenu juste aux producteurs.
À l’issue des auditions que nous avons menées avec des syndicats, des représentants des consommateurs, des distributeurs et des industriels, nous exprimons des réserves sur la prolongation d’un dispositif dont l’efficacité économique n’est pas démontrée, pas plus que le ruissellement vers les producteurs. Nous entendons l’argument selon lequel le SRP + 10 permet d’éviter la guerre des prix entre distributeurs. Nous sommes face à un chantage.
Selon l’UFC-Que choisir, au cours des deux premières années d’expérimentation, la grande distribution a sensiblement augmenté ses marges sur certaines catégories de produits. Dans le même temps, le SRP + 10 aurait coûté 1 milliard d’euros par an au consommateur.
Il est impératif que toutes les marges réalisées soient rendues publiques ; la transparence doit être totale. Parallèlement, le rapport du Gouvernement sur l’évaluation du SRP + 10 montre que les données auxquelles nous avons accès ne permettent pas d’attester d’une augmentation du revenu agricole.
Afin de garantir que le SRP + 10 bénéficie à l’ensemble des acteurs de la chaîne, nous souhaitons que les distributeurs aient l’obligation de transmettre chaque année, dans leur compte de résultat, un document présentant la part du surplus généré par le SRP + 10. Par ailleurs, nous étendons cette exigence de traçabilité aux fournisseurs, qui devront transmettre un document identique. Enfin, nous souhaitons revenir sur l’impossibilité de rendre publics les documents présentant le chiffre d’affaires supplémentaire généré par ce dispositif. En cas de non-respect de leurs obligations par la grande distribution et les agro-industriels, des sanctions sévères devront être appliquées.
Le groupe Socialistes et apparentés conditionne son vote en faveur de la prolongation du SRP + 10 à l’adoption de ces mesures indispensables à l’évaluation.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je partage votre volonté de placer l’ensemble des acteurs devant leurs responsabilités. Ils sont tenus de fournir toutes les informations dont nous avons besoin pour mesurer l’efficacité du SRP + 10.
Ce dispositif s’inscrivait complètement dans la philosophie des États généraux de l’alimentation – partage de la valeur, renforcement des indicateurs de coûts de production, etc. D’ailleurs, la profession tout entière et bon nombre de filières sont favorables à son maintien. Sa suppression pourrait aboutir à une résurgence de la guerre des prix, même si, admettons-le, elle n’a pas complètement cessé. Mettons en place les outils nécessaires pour garantir la bonne application du SRP + 10.
L’effet inflationniste est documenté dans les évaluations, réalisées par des économistes et qui ont été transmises au Parlement par le Gouvernement. Il apparaît que celui-ci est très faible ; il est évalué aujourd’hui à 0,17 % entre mars 2019 et février 2020. Les tensions inflationnistes que nous avons connues en 2022 et 2023 ont d’autres causes.
M. Boris Tavernier (EcoS). Défendre une juste rémunération pour les travailleurs de la terre, pour les ouvriers de l’agroalimentaire et pour les employés de nos supermarchés, défendre cette évidence tout en œuvrant à rendre accessible une alimentation de qualité pour tous nos concitoyens, voilà l’horizon que le groupe Écologiste et social souhaite poursuivre. Pour cela, il y a une première urgence : apaiser la guerre des prix qui, loin d’être la solution pour que chacun puisse accéder à une alimentation de qualité, détruit la valeur de notre alimentation.
Si cette guerre est déclarée par les patrons de la grande distribution, ce ne sont pas eux qui en paient le prix : ce sont d’abord leurs salariés, dont les conditions de travail se dégradent, mais aussi leurs franchisés, toujours plus pressurés. Surtout, c’est en amont que l’on trouve les victimes de cette guerre : ce sont, évidemment, nos agriculteurs, bien trop nombreux à ne pouvoir vivre de leur métier, mais aussi notre secteur agroalimentaire. Les géants de l’industrie et les multinationales, qui pensent davantage à bien se nourrir, eux et leurs actionnaires, qu’à bien nous nourrir, ne font pas partie de la solution ; il y a à côté d’eux une multitude d’entreprises de transformation alimentaire de taille plus modeste et de PME porteuses de savoir-faire, qui ne peuvent rivaliser avec quelques mastodontes de la grande distribution organisés en un oligopole prédateur et dominant.
Quoiqu’elles ne se montrent, de toute évidence, pas à la hauteur des enjeux, les lois Égalim visent à lutter contre cela. Bien qu’insuffisantes, elles ont tout de même permis des améliorations pour rééquilibrer les négociations commerciales. L’une de ces mesures est l’instauration, à titre expérimental, du seuil de revente à perte majoré, ou SRP + 10, qu’il nous est proposé de prolonger pour trois années supplémentaires. L’intuition initiale est que le fait d’obliger la grande distribution à réaliser une marge minimum détend la négociation commerciale – en un mot, il s’agit d’apaiser la guerre des prix. Le SRP + 10 porte aussi l’idée que le surplus de marges généré ruissellerait jusqu’aux producteurs.
Pour ce qui est des résultats, il est difficile d’être catégorique. D’un côté, en effet, il est certain que la mesure a eu un léger effet inflationniste, évalué à 0,7 % entre 2019 et 2020. Cela peut paraître faible mais, pour certains porte-monnaie, de petites hausses finissent par peser. De l’autre côté, il est permis de douter que l’argent du SRP + 10 ruisselle jusqu’aux producteurs. L’évaluer est bien plus difficile, puisqu’on joue alors à un jeu de poker menteur où distributeurs et transformateurs se renvoient la balle. Chacun reste dans son rôle dans ce qui ressemble à une tragicomédie, qui ne tient que par l’opacité du système. Ainsi, pour rendre plus effective son efficacité, le SRP + 10 doit s’accompagner d’une plus grande transparence : il faut exiger de la grande distribution, sous peine de sanctions, qu’elle rende des comptes sur son utilisation du surplus de marge généré par cette mesure. Plus largement, il faut exiger davantage de transparence sur les marges de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire pour que cesse cette comédie. C’est le sens des amendements que nous déposons.
En conclusion, le SRP + 10 doit pouvoir se prolonger. C’est un choix de sagesse pour éviter d’intensifier la guerre des prix, mais c’est aussi un choix par dépit. Profitons donc de cette loi pour mettre un outil de plus au service d’un système alimentaire plus juste.
M. Stéphane Travert, rapporteur. On ne peut certes pas chiffrer l’effet du dispositif pour les agriculteurs, mais on peut observer que ces derniers, dans leur immense majorité, redoutent aussi la suppression du dispositif pour les raisons que vous avez évoquées. L’arrêt du dispositif est, d’une certaine manière, facteur de déstabilisation.
Ce que nous souhaitons, c’est l’arrêt de la guerre des prix, avec des moyens de pression sur la grande distribution plus efficaces que ceux qui existent. On peut renforcer les outils avec diverses sanctions et des amendements ont d’ailleurs été déposés dans ce sens. Peut-être pourrons-nous trouver un chemin ensemble. L’objectif est de rééquilibrer les négociations commerciales et d’ouvrir les dispositifs à d’autres filières. Pour ce qui concerne les surplus de marge, la filière laitière, qui pèse lourd dans notre économie, fait état d’un dispositif plutôt réussi en la matière. Prenons donc l’exemple de cette filière pour regarder comment le résultat pourrait être obtenu de la même manière.
M. Julien Dive (DR). Cette proposition de loi répond à une urgence et fait suite à des débats menés au sein de la commission des affaires économiques en vue du rapport sur la loi Égalim 2 du 18 octobre 2021, pour lequel nous avions procédé à de nombreuses auditions où ont été évoqués le SRP + 10 et la redistribution de la valeur. Ces travaux avaient fait apparaître que le SRP + 10 n’était peut-être pas l’outil le plus efficient ni le plus pertinent, mais que sa non-reconduction entraînerait immédiatement dans les relations commerciales une pression très forte sur les producteurs, les transformateurs et les industriels. Il est donc nécessaire de prolonger le SRP + 10, en lui donnant un cadre dont nous débattrons en examinant les amendements afin de disposer de données objectivées à partir des conclusions de l’expérimentation.
Sur la deuxième mesure prévue par la proposition de loi, qui vise l’encadrement des promotions, je dois « mettre les pieds dans le plat » et exprimer un véritable ras-le-bol face aux pressions et chantages que nous subissons tous les jours à propos des négociations commerciales, quels que soient les groupes politiques auxquels nous appartenons, en tant que représentants de territoires où sont installés des acteurs industriels et des distributeurs. Je brise un tabou, mais qu’importe ! Ce chantage peut faire hésiter le législateur au moment de légiférer, ce qui n’est pas sain pour notre démocratie. Ce domaine est très sensible, car certaines négociations commerciales se sont déroulées dans des conditions déplorables, chacun essayant de « défendre son bout de gras », mais nous nous efforçons d’assurer l’équité dans les relations entre les différents maillons de la chaîne.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je ne peux que souscrire à vos propos. Sur quelque bord politique que nous nous situions, nous nous efforçons de répondre aux demandes sociétales et de trouver les compromis nécessaires pour l’efficience et l’efficacité de la loi. Des pressions se manifestent en effet de toutes parts et nous ne savons parfois plus qui dit la vérité. Nous devons nous faire violence pour tenter de démêler le vrai du faux et trouver un compromis. La suppression du dispositif ajouterait une pression supplémentaire sur l’amont agricole. En attendant de trouver la martingale qui assurerait l’efficacité que nous demandons tous, laissons fonctionner ce dispositif. Comme je le disais tout à l’heure, le texte relatif au dispositif DPH prévoyait des dispositions particulières pour la suppression de ce dispositif, mais ce sont aussi les auditions qui nous ont permis, non pas de faire marche arrière, mais d’examiner les attentes des PME françaises.
M. Richard Ramos (Dem). Les négociations, auxquelles nous avons parfois été appelés à participer par les industriels et les PME de nos territoires, n’ont jamais été aussi dures. De fait, lorsque des milliers d’industriels et de paysans sont confrontés à quatre grosses centrales d’achat, la situation est nécessairement déséquilibrée. Dans le document qu’elle a distribué aux parlementaires à propos du SRP + 10 et que j’ai lu avec attention, l’excellente association UFC-Que choisir affirme que ce serait pour des motifs politiques que nous aurions procédé à deux expérimentations – mais c’est bien la moindre des choses que l’Assemblée nationale légifère pour des motifs politiques ! Laissez-nous faire de la politique et débattre de ce que nous croyons juste pour la Cité.
Le groupe Les Démocrates votera le maintien du SRP + 10, qui, à l’exception de la filière du lait, très structurée, a fonctionné. Plus on structurera les filières, plus il fonctionnera. Pour le reste, je souscris à l’idée que le bénéfice de la mesure n’a pas atteint la cour de ferme. Les acteurs que nous avons écoutés, à savoir les paysans et nos petites PME industrielles qui essaient de fabriquer des produits pour les mettre dans les rayons, nous ont dit que le retrait du dispositif provoquerait une catastrophe. Finalement, le seul acteur qui ne veut pas du SRP + 10 est M. Michel-Édouard Leclerc – qui, d’ailleurs, lors du débat sur la loi Descrozaille, était allé voir le groupe Rassemblement national (et aucun autre). Ceux qui ne voudront pas voter le SRP + 10 devront donc expliquer aux paysans et aux industriels de leur circonscription qu’ils sont avec M. Leclerc et contre les PME de leur territoire. Nous savons que le dispositif n’est pas parfait, mais tous nous ont demandé de ne pas le supprimer. Nous devons, en la matière, décider avec raison.
Pour ce qui concerne le dispositif DPH, je ne pleurerai pas sur Unilever et les autres entreprises de cette catégorie. On ne peut évidemment pas changer les règles en cours de jeu et il faut donc maintenir ce dispositif jusqu’en 2026, afin de ne pas fragiliser des acteurs qui viennent juste de négocier. Il faut toutefois les sortir de cette situation, car le principe d’un hypermarché repose sur une péréquation : si une négociation n’aboutit pas pour l’alimentation, elle sera compensée par une autre négociation portant sur les produits DPH. En sortant de ce système et en appliquant la promotion du DPH sur les gros fournisseurs plutôt que sur la petite entreprise française qui fabrique du cirage, on redonnera du souffle aux produits issus de l’alimentation. Nous voterons donc avec vous le SRP + 10 et serons très vigilants pour ce qui concerne le dispositif DPH.
Je tiens à souligner que les débats qui ont eu lieu lors des auditions ont été d’un très bon niveau. Même lorsque nous ne sommes pas d’accord, nous cherchons l’intérêt de nos PME et de nos agriculteurs.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Les négociations en cours ont été, en effet, épouvantables à tous les niveaux, avec parfois des propos d’une dureté que nous n’oserions pas rapporter ici. La position des centrales d’achat européennes et des quatre grands distributeurs invite à envisager un Égalim européen, qui serait la meilleure manière de donner de la cohérence à notre volonté de protéger à la fois nos filières et nos producteurs agricoles. Il s’agit donc d’un appel à mieux structurer les filières et à prêter une attention particulière à nos PME. En effet, on ne change pas les règles du jeu en cours de partie ; or, les négociations viennent de se terminer et les catalogues des différents acteurs sont prêts à être envoyés aux consommateurs : laissons donc le temps d’aller au bout de l’expérimentation, notamment pour ce qui concerne le dispositif DPH, afin de disposer des outils nécessaires pour nous assurer de son efficience.
M. Thierry Benoit (HOR). Les négociations commerciales sont un écosystème complexe, qui dépasse le législateur que nous sommes. La commission d’enquête que j’ai présidée voilà six ans avec notre ancien collègue Grégory Besson-Moreau a abouti à des propositions intéressantes, mais elle a également permis de constater, à la faveur de l’audition des représentants de la grande distribution et de certains industriels, que les négociations commerciales intégrant le « triple net » (remises, ristournes et rabais), le système des services réels (et parfois plus ou moins virtuels…) et les pénalités logistiques ont contribué à détruire de la valeur. Si nous avons été amenés à travailler sur le SRP + 10 et sur l’encadrement des promotions, c’est parce que cette commission d’enquête nous a permis d’observer des mauvaises pratiques de la part de certains acteurs, notamment de distributeurs.
Il me semble bon, par les temps qui courent, de prolonger pour trois ans l’application du seuil de revente à perte et de l’aligner sur l’encadrement des promotions des produits alimentaires. Cette mesure aura, en outre, un effet collatéral, car la suppression de l’encadrement des prix et les promotions dans le secteur de la droguerie et de l’hygiène posent tout de même question. Depuis plus de quinze ans, en effet, la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi « Tepa », et la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite loi « LME », ont fondé les négociations commerciales et la recherche de croissance sur la consommation ; or qui dit consommation à outrance dit aussi gaspillage. À notre époque, il faut redonner du sens aux choses. De fait, certaines promotions, notamment sur les produits alimentaires, ont totalement brisé la relation du consommateur aux produits en dévalorisant ces derniers. C’est en ce sens que le SRP + 10 et l’encadrement des promotions sur les produits alimentaires sont nécessaires. Je tiens toutefois à mettre en garde quant à l’effet collatéral de ces mesures sur les entreprises du secteur de la droguerie et de l’hygiène basées en France – je ne parle pas du parfum, même si tout est dans le même paquet.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je me souviens en effet des propositions formulées lors de la commission d’enquête, dont certaines pourraient être judicieusement reprises pour nous donner des outils efficaces. Je rappelle qu’en 2016, la production agricole affichait 1 milliard d’euros de valeur en moins : comment enrayer cette chute effrénée ? Ce phénomène était lié aux mauvaises pratiques, parfois agressives, de certains distributeurs. L’encadrement des promotions alimentaires est donc à la fois une façon de lutter contre le gaspillage alimentaire et de ne pas déprécier plus encore le travail de nos agriculteurs.
Pour ce qui concerne le dispositif DPH, il est absolument nécessaire de se poser la question, mais nous devons laisser du temps aux PME françaises, notamment à celles qui travaillent sur le marché français, qui représentent quatre-vingt-cinq mille emplois sur le territoire national et à qui ce dispositif doit permettre de participer à des promotions.
Par ailleurs, on assiste aussi, dans le secteur DPH, à un déport des achats au profit de discounteurs tels qu’Action. Sans doute devons-nous, là aussi, trouver des formules. J’y reviendrai.
M. David Taupiac (LIOT). Sans rappeler la genèse du relèvement du seuil de revente à perte de 10 %, je me bornerai à rappeler les raisons qui motivaient, à l’époque, la décision d’imposer un prix de vente plus élevé aux produits alimentaires : l’objectif était de diminuer la pression sur les agriculteurs lors des négociations commerciales et de permettre, par un effet de ruissellement, une revalorisation du revenu agricole. Six ans et deux renouvellements de l’expérimentation plus tard, nous ne sommes toujours pas en mesure de juger si la mesure a eu les effets escomptés. La seule certitude, à ce stade, est qu’elle a permis à la grande distribution de dégager une marge supplémentaire qui représenterait entre six cents millions d’euros et un milliard d’euros par an. Les effets sur les agriculteurs restent, quant à eux, inconnus.
Ce n’est pas faute d’avoir apporté des correctifs au cadre législatif. La loi pour l’équilibre dans les relations commerciales imposait aux distributeurs de fournir des éléments précis sur l’utilisation du surplus de marge généré par la revalorisation de 10 % du seuil de revente à perte, mais sans succès, les distributeurs mettant beaucoup de mauvaise volonté à transmettre les éléments requis. Aussi sommes-nous favorables aux amendements qui proposent d’instaurer des sanctions à l’encontre des distributeurs ne se conformant pas à leurs obligations. Par ailleurs, notre groupe entend les craintes des agriculteurs, qui redoutent que la fin de la mesure conduise à une nouvelle guerre des prix entre distributeurs, dont ils seraient les premières victimes.
Pour cette raison et en renforçant la coercition vis-à-vis de la grande distribution, nous serons favorables à la prolongation du SRP + 10. Nous serons favorables, en outre, à la suppression de l’encadrement des promotions sur les produits d’hygiène ou d’entretien. Nous savons qu’il a eu des effets positifs pour les industriels et qu’il a pu être compensé, pour le pouvoir d’achat global des ménages français, par une baisse généralisée des prix avec d’autres promotions, parfois très agressives, imposées par la grande distribution. Cet encadrement a néanmoins eu un impact défavorable pour les ménages les plus précaires et les familles nombreuses, pour qui les promotions, atteignant parfois – 80 %, sont un vrai coup de pouce.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Se poser la question de maintenir le dispositif DPH jusqu’au terme prévu, c’est aussi se poser la question du pouvoir d’achat, notamment de celui des plus précaires, des plus vieux et des plus démunis ; c’est encore réfléchir à la participation des entreprises françaises, qui peuvent mettre en avant certains de leurs produits. Sans ce dispositif, elles seraient totalement exclues de l’ensemble des promotions, puisque seules les multinationales, particulièrement les multinationales étrangères, auraient les reins assez solides pour proposer, comme auparavant, des tarifs très agressifs.
Le travail que nous devons mener sur la répartition de la valeur doit toutefois nous amener à exiger de chacun des acteurs des données nous permettant au moment opportun, c’est-à-dire à la fin de l’expérimentation, de valider ou non le maintien du dispositif.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Dominique Potier (SOC). Monsieur rapporteur, si les députés du groupe Droite républicaine ont l’impression d’être mis sous pression par des lobbies, il faut déposer une plainte auprès de l’autorité de déontologie. Les députés socialistes s’y associeront volontiers, même si nous n’avons, pour notre compte, pas eu beaucoup de pressions de la part de quelque lobby que ce soit et nous sentons très libres.
Le SRP + 10 exerce un « effet lampadaire » évident, qui pourrait nous distraire de tous les autres mécanismes prévus par la loi Égalim et qui n’ont pas été mis en œuvre (ou qui ont même été en faillite) : on s’accroche à ce dispositif sans aucune conviction quant à son efficacité réelle.
Il faudrait préciser, pour éviter les confusions, que le mécanisme du SRP + 10 ne consiste pas à redistribuer aux producteurs les 10 % cédés par la grande distribution – cela n’a jamais existé ! – mais à éviter que les produits soient achetés à 90 % ou 80 % de leur prix, dans une logique de pression commerciale entraînant des baisses de prix en cascade. Toutefois, nous ne parvenons pas à évaluer dans quelle mesure ce dispositif aurait néanmoins échoué à éviter de telles baisses et nous souhaiterions aussi que vous le précisiez. Dans le doute, nous préférons le maintenir.
M. Stéphane Travert, rapporteur. De fait, il ne s’agit pas d’un surplus de 10 % qui entrerait dans le portefeuille du magasin, car il faut aussi tenir compte de certains frais. Ce dispositif est un outil, une arme, permettant de mieux acheter la matière première agricole. Votre analyse correspond donc tout à fait à ce que nous avons voulu faire en 2017. Attention, toutefois, à ne pas regarder la situation de 2017 avec les yeux de 2025 – après le choc inflationniste, la covid-19 et la guerre en Europe à nos portes – pour mesurer les effets d’inflation provoqués par les dispositifs adoptés. D’autres dispositifs étaient inscrits dans la loi Égalim et je ne demande qu’à les voir appliquer.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). Cette proposition de loi va dans le bon sens. D’un côté, en effet, le SRP + 10, qui a mis un terme à la spirale déflationniste des produits agricoles et stoppé la destruction de valeur, et sa prolongation, soutenue par les agriculteurs, doivent être sanctuarisés. De l’autre côté, l’encadrement des promotions sur les produits de droguerie, d’hygiène et de parfumerie doit être supprimé : premièrement, cet encadrement a renforcé les multinationales qui contrôlent 90 % du marché, au détriment des PME et des consommateurs ; deuxièmement et pire encore, cette réglementation a « ouvert un boulevard » aux hard-discounters étrangers, qui échappent aux restrictions et pratiquent jusqu’à 70 % de réduction par le biais du déstockage ; troisièmement, cela a eu pour résultat une fuite des consommateurs vers ces enseignes, affaiblissant nos distributeurs et les producteurs français. Alors que le texte corrige ces dérives, pourquoi revenir sur cette suppression immédiate de l’encadrement ?
M. Stéphane Travert, rapporteur. Comme je l’ai déjà dit, on ne change pas les règles du jeu en cours de partie. Laissons l’expérimentation aller à son terme, en avril 2026, et prenons le temps d’objectiver l’ensemble des données, que nous demanderons avec les outils que nous allons mettre en place à cette fin, et de vérifier si le dispositif est efficient.
Il est vrai que des multinationales ont pu profiter de l’encadrement des promotions, mais c’est aussi le cas d’un certain nombre de PME françaises et d’entreprises internationales dont les emplois sont situés en France. Le chiffre de quatre-vingt-cinq mille emplois en France dans le domaine du DPH n’est pas anodin : nous devons tenir compte aussi des positions françaises pour un certain nombre de produits et placer la valeur au niveau qui convient.
M. Benoît Biteau (EcoS). Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué l’idée d’un Égalim européen. Cette idée me convient – dans une autre vie, j’ai essayé de la défendre, mais le constat s’est vite imposé qu’un Égalim européen sera difficile sans régulation des volumes. Or, dans toutes les filières – qu’il s’agisse du lait, de la filière viticole ou de celle de la betterave –, on a reculé sur ce point et on a immédiatement plongé ces filières dans des crises très difficiles pour elles et dont elles ont du mal à se remettre. On ne pourra pas travailler sur des approches fondées sur la rémunération et les prix sans travailler en parallèle sur les régulations de volume.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je partage votre volonté d’instaurer un Égalim européen et j’ai même présenté aux députés européens la démarche française en ce sens. Il ne s’agirait pas d’opérer un « copier-coller » du dispositif français, qui ne fonctionnerait pas dans certains pays, mais de promouvoir la répartition et le partage de la valeur que prévoient les lois Égalim et de permettre des négociations commerciales réduisant considérablement l’agressivité de la guerre des prix. Il faudrait, dans le cadre d’une négociation européenne, disposer d’outils assurant de la cohérence, notamment dans le cadre des négociations commerciales menées avec les centrales d’achat qui contournent la loi française. Cette démarche correspond à une volonté du Président de la République, mais je ne sais pas quelle est aujourd’hui la volonté du Gouvernement de la soutenir. Il me semble cependant que nous devons appuyer fermement cette demande auprès de nos parlementaires européens respectifs.
M. Jérôme Nury (DR). Un consensus se dégage en faveur de la prolongation du dispositif SRP + 10, qui se termine dans quelques jours et dont la suppression entraînerait inévitablement une nouvelle guerre des prix au détriment de nos agriculteurs. Cette prolongation est d’ailleurs massivement demandée par la profession agricole.
Pour ce qui concerne, en revanche, la fin de l’encadrement des promotions sur les produits de droguerie, d’hygiène et de parfumerie, la rédaction proposée ne fait pas l’unanimité. Il faut donc la retravailler pour trouver un équilibre entre le pouvoir d’achat des consommateurs et la pérennité de nos PME, qui sont très présentes sur nos territoires, qui pèsent beaucoup dans l’emploi – je pense notamment à mon bocage ornais – et qu’il ne faut absolument pas affaiblir face à la grande distribution. Ces PME sont inquiètes et nos échanges en commission et en séance publique seront essentiels. J’espère donc que nous trouverons un compromis.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je partage pleinement le désir de trouver le compromis nécessaire, à la fois pour réfléchir à l’apport que peuvent offrir nos PME et pour démontrer que nous ne partons pas avec des idées toutes faites ou des idées reçues. Tel est en effet le sens de notre démarche, fondée sur l’écriture d’une proposition de loi et sur des auditions qui nous ont fait cheminer, réfléchir à une évolution du texte puis trouver ensemble un compromis. Les portes ne sont évidemment pas fermées.
Il nous faut aussi être attentifs au « boulevard » ouvert en matière d’encadrement des promotions sur le DPH, secteur dans lequel on observe, comme je le relevais tout à l’heure, un report de la consommation. Ce sont aujourd’hui les discounteurs qui profitent essentiellement de prix très bas, auxquels n’ont pas accès les enseignes de la grande distribution. Les 2 % de parts de marché qu’elles représentent sont peu de chose, mais une évolution peut se produire au fil des années et nous devons donc être vigilants et trouver des outils pour que ces grands discounteurs, comme Action et d’autres, entrent dans le cadre de la loi que nous produisons ici.
Mme Mélanie Thomin (SOC). On ne peut pas accuser de complicité avec la grande distribution les défenseurs de la transparence des marges et de la régulation des rapports de force dans les négociations commerciales. Il est important d’avoir certaines exigences commerciales car, si nous abordons ces questions dans une démarche de statu quo et sans conditions, si nous décidons de ne pas faire de vagues, nous passerons à côté de tous les grands débats que nous aurons à propos de la loi Égalim. Si l’on peut dire que nous sommes plutôt favorables au SRP, nous avons sans doute aussi en commun de vouloir lutter contre les monopoles de la grande distribution.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Ce devoir de transparence ne doit nuire à personne et il s’impose à la grande distribution comme aux industriels et à l’ensemble des PME. D’où, peut-être, la nécessité d’un régime de sanctions applicable à la distribution comme aux industriels, afin de nous assurer de disposer de l’ensemble des informations dont nous avons besoin pour déterminer si le dispositif est efficace ou efficient.
Je partage cette volonté de trouver un compromis raisonnable et nécessaire. J’ignore s’il y aura un « Égalim 4 », mais il est de toute façon judicieux de réfléchir à l’évolution d’Égalim. Peut-être pouvons-nous toutefois utiliser d’abord, en matière de contractualisation ou de construction du prix en marche avant, les outils déjà existants pour répondre aux demandes de revenu des agriculteurs et de répartition de la valeur.
Article unique
Amendements CE27 de Mme Hélène Laporte, amendements CE34 et CE33 de Mme Mathilde Hignet (discussion commune)
Mme Hélène Laporte (RN). Le SRP + 10 n’a jamais démontré la moindre efficacité pour garantir à nos agriculteurs un revenu décent. Sur les fruits et légumes, il a même abouti, à l’inverse, à une pression accrue à la baisse des prix de la part de la grande distribution. Selon un rapport du Sénat, il n’a entraîné aucune augmentation du revenu agricole, alors qu’il a coûté six cents millions d’euros par an aux Français. Son effet inflationniste n’est plus à démontrer. Nous proposons donc la seule mesure de bon sens qui devrait nous réunir : l’abrogation de l’article 125 de la loi du 7 décembre 2020.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Les diverses auditions que nous avons menées ont démontré que ce n’est pas vraiment pour mieux rémunérer les producteurs que le SRP + 10 a été mis en place, mais pour faire en sorte que les négociations commerciales se passent pour le mieux : c’est presque un cadeau qui a été fait à la grande distribution pour éviter la guerre des prix ! Nous craignons donc qu’un abandon du dispositif ne rouvre celle-ci, au détriment des producteurs et des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME).
Néanmoins, en l’absence de bilan précis, six ans après le vote de la loi Égalim, nous proposons avec l’amendement CE33 de prolonger le SRP + 10 et l’encadrement des promotions sur les produits du secteur DPH de deux ans seulement, soit jusqu’au 15 avril 2027.
Avec l’amendement de repli CE34, nous proposons de prolonger l’encadrement des promotions sur les produits du secteur DPH jusqu’au 15 avril 2028, afin que l’ensemble des expérimentations se terminent à la même date et qu’un bilan complet puisse en être établi.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je vous rejoins sur un point, Madame Laporte : le dispositif n’a pas été évalué de façon satisfaisante. Mais son effet inflationniste est estimé à 0,17 % entre mars 2019 et février 2020 : l’inflation globale s’explique par d’autres causes. Par ailleurs, un arrêt brutal serait un facteur de déstabilisation pour l’ensemble des acteurs économiques qui, à une exception près, rejettent ce scénario. Ni les agriculteurs ni les consommateurs n’en sortiraient gagnants car la guerre des prix, destructrice de valeur, en serait exacerbée.
Je conviens, Madame Hignet, que la période de prolongation doit être mise à profit pour mieux mesurer les effets du dispositif et je peux comprendre que vous proposiez une durée de deux ans. Mais je ne suis pas certain qu’au printemps 2027, date de l’élection présidentielle, nous aurons la possibilité de légiférer de nouveau sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous proposons de fixer l’échéance au printemps 2028. Quant à l’inclusion des produits du secteur DPH dans l’encadrement des promotions, elle a éloigné le dispositif de sa finalité d’origine : la protection de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. Les consommateurs sont, par ailleurs, friands des promotions sur ces produits et de nombreux fabricants du secteur sont présents sur le territoire national, où ils emploient plusieurs milliers de personnes. Une prolongation du dispositif jusqu’à la date prévue initialement, pour protéger ces producteurs du déport de la guerre des prix, mérite d’être évaluée. Je proposerai tout à l’heure un amendement visant à laisser l’expérimentation aller au moins jusqu’à son terme, le 15 avril 2026.
M. Dominique Potier (SOC). Notre groupe ne suivra pas ces propositions de réécriture de l’article. L’opposition que fait le Rassemblement national entre le pouvoir d’achat des Français et le maintien d’emplois industriels et agricoles est une impasse. La solution s’appelle le juste partage de la valeur ; nous y travaillons. Il y a une erreur d’analyse économique majeure : quoi qu’il arrive, la grande distribution réalise une marge minimum sur les produits qu’elle vend. Cette proposition de loi vise simplement à ce que la recherche du prix le plus bas ne se fasse pas sur les produits agricoles. Le consommateur ne sera de toute façon pas protégé, car ce qui ne sera pas fait sur ces produits le sera sur d’autres. C’est notre souveraineté agricole et agroalimentaire que nous protégeons avec ces dispositions. Et vos propositions ne protègent en aucun cas, chers collègues, le pouvoir d’achat des consommateurs.
M. Julien Dive (DR). Combattons un préjugé : le SRP + 10 ne correspond pas à une inflation (ou une revalorisation) de 10 % des prix, mais à une fixation du prix de vente au niveau du seuil de revente à perte majoré de 10 %. Or la distribution pratique aujourd’hui, sur certains produits, des prix plus élevés et auxquels le dispositif ne change donc rien. Sur d’autres, en revanche, notamment ceux des grandes marques, une pression s’exerce. Et ils peuvent être en partie issus de nos territoires : une canette de Coca-Cola, par exemple, contient du sucre produit par le groupe Tereos, implanté dans les Hauts-de-France. Dans ce cas, le dispositif sert à limiter la pression qui s’opère en cascade sur les producteurs. Il a au moins ce mérite – ce qui n’exclut pas que le partage de la valeur jusqu’au producteur mérite d’être objectivé.
Quant à la question des produits du secteur DPH, elle devra être traitée distinctement.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Nous ne proposons pas d’attendre deux ans avant de légiférer, Monsieur le rapporteur, mais de profiter de cette période pour le faire. On sait en effet que toutes les dispositions de la loi Égalim ne fonctionnent pas bien et que le SRP + 10 est un pansement sur une jambe de bois.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Il faut justement que nous évitions d’avoir à légiférer à la dernière minute comme nous le faisons aujourd’hui, contraints par l’échéance du 15 avril. Nous devons veiller à la cohérence de l’ensemble des dispositifs et prendre le temps nécessaire pour mesurer leur efficacité – et, éventuellement, en adopter d’autres plus efficaces, si tant est que cela soit possible.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CE35 de Mme Mathilde Hignet, amendements CE17, CE18, CE19, CE20 et CE21 de Mme Mélanie Thomin (discussion commune)
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Nous proposons d’encadrer les marges en mettant en place un seuil maximal équivalent au seuil de revente à perte majoré de 30 %.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Nos amendements relèvent d’une forme d’espièglerie législative (Sourires.) Alors qu’il nous est demandé de proroger un dispositif dont aucune étude économique n’a démontré le bénéfice pour le monde agricole, nous tenons à alerter la représentation nationale sur les zones d’ombre qui l’entourent, s’agissant notamment de son taux : pourquoi a-t-on pris le parti, il y a six ans, de majorer le seuil de revente à perte de 10 % ?
M. Stéphane Travert, rapporteur. Lors d’une audition à laquelle vous assistiez également, Madame Hignet, la présidente de la Coordination rurale a suggéré tout à la fois la suppression du dispositif fondé sur le seuil de revente à perte et l’instauration d’un « SRP + 30 ». J’ai eu quelque difficulté à comprendre la cohérence de sa proposition…Vous suggérez, vous aussi, de compléter le SRP + 10 par un plafonnement des marges brutes des distributeurs à 30 %. Je doute de la constitutionnalité d’une telle disposition et je pense qu’elle s’oppose à la liberté d’entreprendre. En outre, le taux de 30 % que vous proposez est relativement bas, puisque, selon le rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (Ofpm), le taux moyen de marge brute dans la grande distribution s’établit à 29,3 %, tous rayons confondus, et à 33 % au rayon charcuterie, par exemple. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement.
J’ai bien entendu, Madame Thomin, que vous appeliez à une meilleure évaluation du dispositif. Nous discuterons tout à l’heure d’un amendement que j’ai déposé, quasi identique à l’un des vôtres, ayant pour objet de faire la transparence sur l’utilisation qui est faite de l’excédent de marge réalisé sur certains produits consécutivement à la mise en place du dispositif SRP + 10. J’émets donc un avis défavorable à vos amendements. C’est de stabilité que les acteurs économiques ont besoin.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Vous n’avez pas répondu complètement à la question posée : pourquoi avoir majoré le SRP de 10 % précisément ?
M. Stéphane Travert, rapporteur. Ce seuil a fait l’objet d’un compromis au sein de l’un des ateliers organisés à l’occasion des États généraux de l’alimentation.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CE36 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). Cet amendement vise à contraindre la grande distribution à transmettre, sous peine de sanction, les données permettant de prouver que le surplus de marge issu du SRP + 10 profite aux fournisseurs de matières premières agricoles. Je le retire au bénéfice d’amendements déposés par le groupe Socialistes et le rapporteur, prévoyant des moyens supplémentaires – y compris des menaces de sanction – pour rendre effectives ces remontées d’information.
L’amendement est retiré.
Amendement CE38 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). Cet amendement vise à laisser se poursuivre l’expérimentation d’encadrement des promotions sur les produits du secteur DPH, qui a débuté il y a un an à peine et qui ne semblerait pas avoir d’effet inflationniste. Rappelons que les « mégapromos » sont en réalité payées par les industriels, dont seuls les plus gros ont les reins suffisamment solides pour les assumer – ce qui exclut du marché les plus petits.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Pour les mêmes raisons que celles exposées au sujet de l’amendement CE34 de madame Hignet, je vous invite à retirer votre amendement ; j’émettrai sinon un avis défavorable. Il serait utile de réfléchir, d’ici le passage du texte en séance, à l’échéance et aux paramètres de l’application aux produits du secteur DPH de l’encadrement des promotions.
L’amendement est retiré.
Amendement CE43 de M. Julien Dive
M. Julien Dive (DR). Cet amendement d’appel mérite d’être retravaillé et je le retirerai. Il invite à trouver une voie médiane permettant un encadrement plus lâche, dont le taux pourra être débattu avec les acteurs concernés (peut-être après le 15 avril 2026, ce qui ouvrirait la voie à une prolongation), mais aussi un alignement de l’échéance sur celle du SRP + 10. Peut-être est-il nécessaire aussi d’assurer un meilleur partage entre le producteur, le distributeur et le transformateur. Ce qu’il faut, c’est que les règles du jeu soient les mêmes pour tous.
M. Richard Ramos (Dem). Rappelons que les promotions sont souvent le seul levier commercial dont disposent les PME pour être présentes dans les rayons, car elles n’ont pas les moyens d’aller visiter les hypermarchés dans l’ensemble du territoire. La limitation à 34 % permet d’éviter les promotions à – 80 %, tout en leur laissant la possibilité d’entrer dans la compétition avec les très groupes.
M. Thierry Benoit (HOR). Une prolongation jusqu’en 2026 permettrait de rester dans le cadre initial prévu par la loi Descrozaille pour ce secteur. D’ici à l’examen en séance, il nous faudra aussi trouver un modus vivendi pour les entreprises concernées. Prenons garde aux effets que ces mesures peuvent avoir sur l’emploi.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je partage l’objectif visé par notre collègue Julien Dive. Il nous faut en effet prendre deux décisions : d’abord, le secteur DPH doit-il rester dans le champ de l’encadrement des promotions jusqu’en 2028 ? Ensuite, faut-il augmenter le seuil d’encadrement à 50 %, comme y tend l’amendement ? Je crois qu’il est possible de trouver un compromis d’ici à la discussion en séance : il consisterait à prolonger le cadre actuel jusqu’à 2026 et à réfléchir ensuite à une éventuelle modification du seuil.
L’amendement est retiré.
Amendement CE37 de Mme Manon Meunier
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Nous souhaitons que puisse être sanctionné le non-respect de l’obligation de communication des éléments d’appréciation de la pertinence des mesures. Nous ne pouvons malheureusement pas nous appuyer, en effet, sur un rapport d’évaluation détaillé de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Si les distributeurs n’ont pas correctement communiqué les données, comme l’affirme l’État, adoptons cet amendement. Mais s’ils l’ont bien fait, alors nous attendons des réponses de la part du Gouvernement et de la DGCCRF.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Vous avez raison, l’instauration d’une sanction pour les distributeurs qui ne fournissent pas les éléments nécessaires à l’évaluation du dispositif est nécessaire. C’est ce que prévoit l’amendement CE30, que je vous présenterai tout à l’heure.
J’ajoute une précision : le dispositif ayant été instauré par une ordonnance de 2019 prise sur le fondement de la loi Égalim (et non par la loi Asap), c’est par rapport à l’année précédant l’entrée en vigueur de cette ordonnance que doit être analysée l’évolution de la péréquation des marges. Votre amendement comporte, sur ce point, une difficulté.
Je vous invite donc à le retirer au profit du CE30 ; à défaut, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendement CE6 de M. Dominique Potier
M. Dominique Potier (SOC). Il y a deux ans, nous avions fait adopter un amendement prévoyant la remise au Parlement par le Gouvernement, avant le 1er octobre de chaque année, d’un rapport évaluant les effets du dispositif sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires. Ce rapport devait notamment analyser l’usage que les distributeurs avaient fait, depuis 2019, du surplus de chiffre d’affaires et détailler la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire s’étant traduite par une revalorisation des prix. Or cette évaluation n’a jamais été faite, ce qui nous conduit à travailler à l’aveugle. Nous proposons de la rendre effective en réinscrivant dans le présent texte l’obligation de transparence qui incombe aux entreprises de la grande distribution.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Oui, il faut que l’évaluation du SRP + 10 puisse se fonder sur des données objectives, transmises par les distributeurs. Nous avons tous été déçus par l’évaluation du dispositif. Je suis favorable à cet amendement de clarification, qui favorisera la transparence.
Mme Olivia Grégoire (EPR). Il faudra aussi que la DGCCRF clarifie le cadre et la nature des données attendues ; pour pouvoir être comparées, celles-ci devront être interopérables.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Je partage votre avis. Sans oublier la nécessaire préservation du secret des affaires, à laquelle je ne doute pas que le Gouvernement sera attentif, instaurons une plus grande transparence pour mieux évaluer le dispositif.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CE30 de M. Stéphane Travert et CE4 de Mme Mélanie Thomin (discussion commune)
M. Stéphane Travert, rapporteur. Il faut mieux faire appliquer le dispositif de remontée des données des distributeurs, créé par la loi Descrozaille, afin d’évaluer les effets du SRP + 10. Alors que la synthèse des données transmises en 2024 n’a pas permis d’alimenter un véritable travail d’évaluation, je propose d’instaurer une sanction en cas d’absence de transmission – après des échanges, le cas échéant, avec l’administration, pour préciser les informations attendues. Contrairement à l’amendement CE4, le mien s’aligne sur le niveau de sanction prévu pour la méconnaissance du SRP + 10 : 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. L’amendement CE32 soulève la même difficulté que l’amendement CE4, qui plus est sans prévoir d’autorité de contrôle. Je demanderai donc leur retrait au profit du mien.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Je me réjouis de nous voir établir la nécessité d’une évaluation et, partant, de la transmission de données fiables par la grande distribution. Dans son rapport, la sénatrice Anne-Catherine Loisier a considéré que le SRP + 10 avait été un « chèque en blanc » de six cents millions d’euros offert à la grande distribution et un « chèque en bois » pour les agriculteurs. La prorogation du dispositif doit donc être conditionnée et limitée dans le temps. Il est indispensable que la grande distribution remette son document annuel présentant la part de surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du SRP + 10 et que les entreprises qui ne joueraient pas le jeu puissent être menacées de très fortes sanctions. C’est pour cela que nous avons défini un seuil à 1 % du chiffre d’affaires moyen annuel, dans l’esprit de la mesure proposée par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, lors des mobilisations des agriculteurs il y a plus d’un an. Il faut punir ceux qui ne respectent pas la loi. Les 75 000 euros ne sont pas grand-chose au vu des bénéfices réalisés par la grande distribution.
M. Stéphane Travert, rapporteur. L’amende doit être en cohérence avec les manquements, pour éviter de pénaliser excessivement ceux qui ne rempliraient pas leurs obligations.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Dans la mesure où ces sanctions visent à faire appliquer la loi, il me semble indispensable qu’elles soient à la hauteur de ces grands groupes et multinationales. Les menacer d’une sanction de 75 000 euros ne suffira pas à leur faire mettre leurs marges sur la table.
M. Stéphane Travert, rapporteur. L’amende est de 375 000 euros pour une personne morale. Ce seront les mêmes sanctions pour les industriels.
La commission adopte l’amendement CE30.
En conséquence, les amendements CE4 et CE32 de M. Boris Tavernier tombent.
Amendement CE5 de Mme Mélanie Thomin et sous-amendements CE44 et CE45 de M. Stéphane Travert, amendement CE29 de M. Boris Tavernier (discussion commune)
Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement vise à intégrer l’échelon du fournisseur dans le dispositif de transmission des documents permettant de rendre compte des marges effectuées grâce au SRP + 10.
M. Stéphane Travert, rapporteur. De fait, il faut inclure les industriels dans le dispositif de remontée des données et votre amendement constitue, en ce sens, une bonne base de travail. Nous proposons, avec notre collègue Olivia Grégoire, de le sous-amender pour préciser que les fournisseurs doivent présenter le niveau de revalorisation des prix de leurs contrats avec les distributeurs qu’ils pensent avoir obtenu grâce au SRP + 10 et à l’encadrement des promotions. Ils devront également présenter la part de la revalorisation de leurs contrats d’approvisionnement trouvant son origine dans ces dispositifs. Toutefois, cet exercice de reporting ne peut raisonnablement être demandé qu’aux plus grandes entreprises, les PME n’ayant pas les moyens de répondre à une telle contrainte.
Le sous-amendement CE45 vise à définir, en cas de manquement à cette obligation de transparence, une sanction identique à celle prévue précédemment : 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
Sous réserve de l’adoption de mes deux sous-amendements je donne un avis favorable à l’amendement CE5. Demande de retrait pour l’amendement CE29, dont l’objectif sera satisfait.
M. Boris Tavernier (EcoS). Les négociations annuelles se font au bénéfice des industriels et des acteurs de la grande distribution, grâce à une opacité totale sur la construction des prix. Chaque acteur se renvoie alors la responsabilité de l’absence de juste rémunération des produits agricoles. Tous les ans, ce manque de transparence et la forte concentration du secteur empêchent les exploitations agricoles de négocier à armes égales.
Afin de rééquilibrer le rapport de force au bénéfice des agriculteurs pour leur permettre de disposer d’un revenu décent, l’amendement vise donc à imposer aux opérateurs de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution faisant plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires de transmettre leurs niveaux de marges brute et nette à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, qui en fera une publication trimestrielle.
M. Stéphane Travert, rapporteur. J’ai déjà exprimé ma position sur cet amendement. Je vous propose d’adopter mes deux sous-amendements, qui fixent le principe des sanctions et leur niveau.
M. Julien Dive (DR). Au-delà du dispositif de sanction, il est intéressant que la transparence soit faite sur l’utilisation des surplus de marge. En réalité, il est difficile d’objectiver la valeur du SRP + 10 depuis 2018, car nous avons toutes les peines du monde à obtenir des données – nous l’avons encore vérifié avec notre collègue Mathilde Hignet. Les rapports attendus ne sont jamais rendus publics. Nous avons besoin de données complémentaires et d’outils qui permettront d’offrir une vraie visibilité sur la valeur du SRP + 10. Le chiffre de six cents millions d’euros a été estimé « au doigt mouillé ». Qui les a touchés : la distribution ? Le transformateur ?
Mme Mélanie Thomin (SOC). Monsieur le rapporteur, nous nous réjouissons que vous saisissiez la balle au bond. C’est une première réponse très intéressante avant d’autres amendements en séance.
La commission adopte successivement les sous-amendements et l’amendement CE5 sous-amendé.
En conséquence, l’amendement CE29 et CE23 de Mme Mélanie Thomin tombent.
Amendement CE13 de Mme Hélène Laporte
Mme Hélène Laporte (RN). C’est un amendement de repli visant à ne pas toucher à la limitation dans le temps de l’application de la majoration du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions. La première mesure reste applicable jusqu’au 15 avril prochain et la seconde jusqu’au 15 avril 2026, comme le prévoit la loi.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Vous rejetez toute idée de prolongation des dispositifs du SRP + 10 et d’encadrement des promotions. Pour les raisons que nous avons déjà évoquées, je suis défavorable à votre amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE11 de Mme Hélène Laporte, amendements identiques CE7 de Mme Mélanie Thomin et CE31 de M. Boris Tavernier, amendements identiques CE8 de Mme Mélanie Thomin et CE14 de Mme Hélène Laporte (discussion commune)
Mme Hélène Laporte (RN). Dans ce nouvel amendement de repli, nous proposons une fin immédiate du SRP + 10, tout en conservant le report à 2028 de l’encadrement des marges prévu dans la proposition de loi. C’est un compromis visant à concentrer nos efforts sur la mesure la plus défavorable aux consommateurs.
Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement CE7 vise à réduire à deux ans la durée de la prorogation du SRP + 10. En effet, puisque la grande distribution doit nous remettre en toute transparence un document sur les marges réalisées grâce au SRP + 10, nous devrons rapidement faire un point d’étape. Le prévoir en 2027 me semble pertinent.
L’amendement CE8 vise à faire ce bilan en 2026.
Mme Hélène Laporte (RN). Avec l’amendement CE14 nous proposons de proroger le SRP + 10 jusqu’en 2026 seulement, alignant ainsi la fin de ce dispositif sur celle de l’encadrement des promotions. Une année entière suffira largement pour assurer de la visibilité aux acteurs du secteur. Quant à nous, il nous incombe d’adopter dans ce délai des mesures réellement favorables à nos producteurs.
M. Stéphane Travert, rapporteur. S’agissant de l’amendement CE11, j’ai déjà expliqué pourquoi nous souhaitions proroger le SRP + 10 jusqu’en 2028.
Quant à une fin du dispositif dans deux ans, en avril 2027, n’oubliez pas que nous ne siégerons pas, puisque nous serons en plein débat pour l’élection présidentielle !
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Nous avons deux ans pour concevoir une loi dotée d’un véritable impact. Il ne s’agit pas d’attendre 2027 pour faire autre chose.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Nous avons besoin de stabilité. Ne légiférons pas à la dernière minute, sans quoi nous serons bien démunis en avril 2027. Fixer un calendrier jusqu’en 2028 ne nous empêche pas de travailler sur le sujet.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CE22 de M. Julien Dive, amendements identiques CE28 de M. Stéphane Travert et CE42 de Mme Anne-Sophie Ronceret (discussion commune)
M. Julien Dive (DR). J’ai retiré mon amendement.
M. Stéphane Travert, rapporteur. L’amendement vise à maintenir l’encadrement des promotions sur le DPH jusqu’au 15 avril 2026 et à faire entrer en vigueur la prolongation du SRP + 10 dès la promulgation de la loi.
Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). L’encadrement actuel, fixé par la loi Descrozaille en 2023 et qui limite les promotions à 34 % en valeur et à 25 % en volume, est bénéfique aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) et aux entreprises de taille intermédiaire. Il permet aussi de réduire le prix des produits en fond de rayon, hors période de promotions, garantissant ainsi la protection du pouvoir d’achat des Français. Mettre fin prématurément à cette expérimentation empêcherait d’en tirer un bilan complet et objectif.
L’amendement CE22 est retiré.
La commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, les amendements CE10 et CE9 de Mme Mélanie Thomin, de même que l’amendement CE39 de Mme Mathilde Hignet, tombent.
La commission adopte l’article unique modifié.
Après l’article unique
Amendement CE3 de M. Richard Ramos
M. Richard Ramos (Dem). L’amendement vise à rééquilibrer la compétition entre la grande distribution, avec ses marques de distributeur (MDD), et nos PME. Certaines enseignes n’ont que deux mille références dans leurs rayons, alors que de gros hypermarchés en ont quarante mille. Ces derniers, en quête de prix bas, vont sortir de la loi Égalim pour concurrencer les petites enseignes sur leurs deux mille produits, tout en se rattrapant sur les autres. C’est pourquoi je propose de dissiper le flou juridique existant en mettant les marques de distributeur à égalité avec les autres.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Votre amendement a le mérite de mettre fin à une situation d’incertitude sur l’applicabilité de l’interdiction de la revente à perte aux produits vendus sous marque de distributeur. En effet, l’article 125 de la loi Asap prévoit que le coefficient de 1,10 ne s’applique qu’aux produits « revendus en l’état au consommateur ». Il existe donc une incertitude juridique : la revente implique-t-elle que le contrat par lequel le revendeur a acquis les produits est un contrat de vente ou peut-il aussi s’agir d’un contrat d’entreprise, comme c’est le cas pour les produits de MDD ?
Votre amendement permettra d’éviter que la guerre des prix ne se reporte sur les produits sous MDD, ce qui a un effet destructeur de valeur sur l’ensemble des produits alimentaires. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CE41 et CE40 de Mme Manon Meunier
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Nous souhaitons imposer à tous les acteurs économiques de la filière alimentaire concernés de communiquer à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes les prix appliqués avant et après l’entrée en vigueur du relèvement du seuil de revente à perte – des données nécessaires afin d’évaluer les véritables impacts du SRP + 10.
Nous souhaitons également que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’impact du relèvement du seuil de revente à perte sur les prix payés, tout au long de la chaîne.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Votre amendement est satisfait par l’adoption précédente des mesures de sanction. Par ailleurs, le SRP + 10 et l’encadrement des promotions ont été instaurés avant la loi Asap par le biais d’une ordonnance de 2019, prise sur le fondement de la loi Égalim. Demande de retrait.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Ces deux amendements sont pourtant des outils intéressants pour évaluer l’expérimentation.
M. Julien Dive (DR). Pour éviter de retomber, en avril 2026, dans ce qui existait avant la loi Descrozaille, j’avais proposé une voie médiane dans mon amendement CE43. C’est pour cette raison que je n’ai pas voté les amendements CE28 et CE42.
Par ailleurs, certains acteurs de la distribution échappent à notre dispositif : les soldeurs et les nouveaux entrants du hard discount. Action, par exemple, dont le fonds de commerce tournait autour du bricolage ou de l’habitat, vend de plus en plus de produits d’épicerie sèche, de lessives et de produits DPH. Les prix y sont équivalents à ceux des anciennes « mégapromos », parce qu’ils passent par des dispositifs d’appel d’offres qui n’ont rien à voir avec ceux pratiqués par les acteurs de la grande distribution. Si les industriels et les acteurs de la grande distribution créent des emplois, ces soldeurs en revanche viennent les casser.
M. Richard Ramos (Dem). S’agissant des produits de la DPH, il nous faudra, d’ici à l’examen en séance, travailler à une solution commune intelligente, qui rassemble aussi ceux dont les avis divergent sur d’autres enjeux. Il s’agit de défendre nos petites entreprises en évitant de donner des avantages à Unilever et consorts, sur le sort desquels je ne pleurerai pas – même en utilisant des Kleenex en promotion.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés se satisfait de la discussion que nous avons eue en vue de défendre le revenu agricole et de lutter contre la guerre des prix dans la grande distribution.
Nous nous réjouissons que soit imposée aux fournisseurs et aux acteurs de la grande distribution l’obligation de transmettre des données afin d’évaluer de manière plus transparente l’application du SRP + 10. Ce point positif augure d’un excellent débat en séance.
En revanche, nous sommes déçus par le niveau de sanctions retenu contre les entreprises qui ne joueraient pas le jeu et espérons que nous pourrons le rehausser en séance afin d’assurer une plus grande transparence à l’égard des consommateurs et des agriculteurs. Il importera par ailleurs de s’interroger sur la pertinence de prolonger ou non le dispositif du SRP + 10. Il nous faudra prendre, sur ce point, une décision rapide, dès que nous aurons sous les yeux les résultats des entreprises de la grande distribution.
Mme Olivia Grégoire (EPR). Comme le rapporteur, que je remercie, et notre collègue Julien Dive, je considère que les débordements constatés dans le secteur du hard discount en matière de prix des produits secs d’épicerie et de DPH posent un problème au long cours. Les acteurs de la grande distribution se voient en effet interdire des promotions qui sont pratiquées tout au long de l’année, avec des réductions même plus fortes, par les hard-discounteurs. Dans la semaine qui nous sépare de l’examen du texte en séance, nous pourrons peut-être trouver une solution ensemble, d’autant que ce constat semble partagé par l’ensemble des membres de la commission. C’est important pour garantir l’effectivité de la loi.
Le rapporteur n’a pas exagéré : tout le monde est conscient des difficultés d’évaluer, à ce stade, l’efficience du SRP + 10 – difficultés qui ont d’ailleurs motivé les demandes de sanction et de remontée de données. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il n’a eu aucun effet. Comme notre collègue Dominique Potier l’a rappelé, s’il n’avait pas été appliqué, des acteurs de la grande distribution auraient cherché à revendre en deçà des 100, vers 90 voire 80. L’histoire démontrera que ce dispositif, s’il n’a pas forcément contribué à augmenter le revenu agricole, a empêché la poursuite dans la grande distribution d’une guerre des prix effrénée et délétère.
M. Stéphane Travert, rapporteur. Nous devons en effet être très attentifs aux pratiques actuelles des hard-discounteurs. Leur part dans le volume des affaires, actuellement de 2 %, risque d’augmenter : pour les produits relevant de la DPH, nous percevons déjà un déport des consommateurs vers des achats auprès de leurs enseignes. Toute la difficulté réside dans le fait qu’ils ne font pas de promotions mais vendent, à prix très bas, des produits issus de lots qu’ils achètent dans des pays européens, notamment sur des plateformes hollandaises. Il s’agira, d’ici à la discussion en séance, de trouver comment les inciter à respecter les dispositions que nous avons adoptées. Avec notre collègue Julien Dive, nous chercherons un compromis nécessaire qui préserve à la fois le pouvoir d’achat des consommateurs et la compétitivité de nos entreprises, plus spécialement de nos PME, sur l’ensemble du territoire.
Sur vos deux amendements, Madame Meunier, je maintiens ma position : le régime de sanction que nous avons retenu tient compte du fait que le SRP + 10 et l’encadrement des promotions ont été instaurés avant la loi Asap.
Enfin, je veux tous vous remercier pour la qualité de nos échanges, même si je n’avais pas de doutes à ce sujet.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Si nous retirons nos amendements, la modification du dispositif juridique que nous appelons de nos vœux pourrait-elle être adoptée en séance ?
M. Stéphane Travert, rapporteur. Nous sommes là pour travailler ensemble et toute proposition peut être regardée ; mais je ne suis pas sûr que nous puissions trouver une issue, car je considère que votre demande est satisfaite.
La commission rejette successivement les amendements CE41 et CE40.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Liste des personnes auditionnÉes
Par ordre chronologique
Table ronde industriels :
Association Nationale des Industries Agroalimentaires (ANIA) *
M. Jean-François Loiseau, président
M. Maxime Costilhes, directeur général
Mme Marie Buisson, directrice compétitivité, en charge des négociations commerciales
Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC) *
M. Nicolas Facon, président-directeur général
M. Daniel Diot, secrétaire général
Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF) *
M. Léonard Prunier, président
Mme Diane Aubert, directrice des affaires publiques
Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA) *
M. Xavier Gueant, directeur juridique, économique et international
Fédération Hygiène et Entretien Responsable (FHER) *
Mme Virginie d’Enfert, déléguée générale
Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie Sociale et solidaire
M. Laurent Beteille, conseiller spécial auprès de Mme la ministre
UFC Que Choisir
M. Olivier Andrault, chargé de mission alimentation
M. Benjamin Recher, chargé des relations institutionnelles de France
Table ronde avec la grande distribution :
Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) *
Mme Layla Rahhou, déléguée générale
Mme Julie Fraisse, responsable des affaires publiques
E. Leclerc *
M. Alexis Bevillard, directeur des affaires publiques
LIDL *
M. Luc Vergez-Pascal, responsable des affaires publiques
Groupe Casino *
M. Jérôme Breysse, directeur des relations institutionnelles
Auchan *
M. Guillaume Gardillou, directeur des grands projets, de l'urbanisme commercial, et des affaires publiques
System U *
M. Philippe Gigleux, chargé de mission auprès de la présidence – coopérative U
Les Mousquetaires *
M. Nicolas Raynal, directeur adjoint en charge des affaires publiques et des relations institutionnelles agricoles
M. Frédéric Geney, responsable des affaires publiques et des relations agricoles
Groupe Carrefour *
Mme Nathalie Namade, directrice des affaires publiques
Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) *
M. Patrick Benezit, vice-président
M. Ali Karacoban, chef de service économie
Mme Romane Sagnier, chargée de mission affaires publiques
Confédération Paysanne *
M. Stéphane Galais, secrétaire national à la Confédération paysanne et paysan en Ille-et-Vilaine
Coordination rurale *
Mme Véronique Le Floc’h, présidente
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
([1]) Étude d’impact du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
([2]) Ou une augmentation de la quantité vendue limitée à 34 % pour un prix donné.
([3]) Rapport au Parlement, Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (article 4 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018), 30 septembre 2020.
Rapport au Parlement, Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique), 24 février 2022.
Un second rapport du 2 novembre 2022 confirme ces conclusions (voir, en ce sens, la réponse publiée le 17 janvier 2023 à la question écrite n° 2562 du 25 octobre 2022).
([4]) Rapport d'information n° 156 (2024-2025), déposé le 20 novembre 2024 au nom de la commission des affaires économiques sur le suivi des lois Égalim, par M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier.
([5]) Rapport d’information n° 1014, déposé le 25 février 2025 au nom de la commission des affaires économiques sur l’évaluation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, par M. Julien Dive, Mme Mathilde Hignet, M. Harold Huwart et M. Richard Ramos.
([6]) Voir, en ce sens, l’exposé des motifs de l’amendement n° COM42 déposé en commission des affaires économiques au Sénat par notre collègue Anne-Catherine Loisier, rapporteure d’une proposition de loi sur l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation.
([7]) Entre 2021 et 2023, les volumes du DPH en grande distribution ont enregistré une baisse de 8,6 %. Ils ont encore diminué de 1,8 % en 2024 (source : Circana).